Section des affaires immobilières
En matière de fiscalité municipale
Référence neutre : 2022 QCTAQ 12174
Dossiers : SAI-M-309006-2106 / SAI-M-311364-2110
Devant les juges administratifs :
PHILIPPE TREMBLAY
JACQUELINE FRANCOEUR
c.
Contexte procédural
[1] Le 4 décembre 2018, Quartier Melrose Inc. (Melrose) acquiert une propriété (l’Immeuble) au 282, boulevard Labelle, ville de Rosemère (la Ville). Avant son acquisition par Melrose, cette propriété est activement exploitée comme terrain de golf par le propriétaire d’alors, Club de golf de Rosemère. L’Immeuble comporte un chalet (clubhouse) et des bâtiments accessoires pour l’exploitation du terrain de golf.
[2] Le 8 décembre 2020, Melrose demande la révision[1] du rôle d’évaluation triennal 2018-2020 en raison d’un non-geste de l’évaluateur de la Ville relativement à un événement qui serait visé aux paragraphes 174 (6) et 174 (
[3] Le 7 avril 2021, la Ville répond à Melrose et refuse le changement demandé.[3] La Ville ajoute que le recours a été déposé hors délai.
[4] Le 29 avril 2021, Melrose demande la révision[4] du rôle d’évaluation triennal 2021‑2023 afin que la catégorie de l’Immeuble soit modifiée. Tout comme dans sa demande du 8 décembre 2020, Melrose soutient que celui-ci doit être inscrit dans la catégorie résiduelle plutôt que dans la catégorie non-résidentielle, classe 10.
[5] Après avoir effectué une visite des lieux le 18 août 2021[5], la Ville répond à Melrose et refuse la modification demandée.[6]
[6] Compte tenu de ces réponses de la Ville, Melrose, insatisfaite de la situation, entreprend devant le TAQ un recours introductif[7] le 2 juin 2021 (Recours 1 ou Dossier 1) et un deuxième recours introductif[8] le 26 octobre 2021 (Recours 2 ou Dossier 2).
[7] Une audition commune pour les deux dossiers est tenue les 20, 21, 22 et 27 septembre 2022. Des objections furent soulevées de part et d’autre quant au dépôt de certaines pièces.[9] Ces objections furent prises sous réserve. Le Tribunal en décide ci-dessous. Le dossier est pris en délibéré le 27 septembre 2022.
[8] Comme les Recours 1 et 2 traitent des mêmes faits et des mêmes questions de droit, le Tribunal en dispose dans une seule décision.
Les faits
[9] L’Immeuble est situé dans les zones P-38, C-154, H-155, H-156 et C-157 du Règlement de zonage no 801 de la Ville.[10] Environ 90 % de l’Immeuble est dans la zone P‑38. Cette zone permet les usages semi-publics de type récréatif régional et cimetières, avec un usage spécifique de terrain de golf (sans chalet et autres aménagements sportifs) et terrain de golf (avec chalet et autres aménagements sportifs).
[10] Comme nous le verrons, un usage résidentiel a été permis sur une petite portion de l’Immeuble (environ 10 % de la superficie) en 2015.
[11] Avant son acquisition par Melrose, l’exploitation du club de golf par son ancien propriétaire est déficitaire depuis plusieurs années.[11] L’Immeuble est mis en vente en 2018 et est acquis par Melrose le 4 décembre 2018 à la suite de l’exercice d’un droit de premier refus.
[12] À l’automne 2018, le terrain est fermé selon les procédures habituelles pour l’hiver.
[13] De manière concomitante à l’acquisition de l’Immeuble, Melrose procède à la vente[12] de différents équipements liés à l’exploitation du terrain de golf incluant une station de pompage, et ce, dit-elle, afin de ne pas prendre en charge les contrats de location, les contrats de financement et de crédit-bail liés à ses équipements.[13] La vente de la station de pompage est sujette à une clause d’annulation de la vente jusqu’au 28 février 2019, clause dont elle ne se prévaudra pas.
[14] La machinerie et les équipements sont retirés en janvier et février 2019.
[15] Le 15 mars 2019, Melrose, selon sa version des faits, prend la décision de ne pas rouvrir le terrain de golf et le chalet et de mettre fin à leur exploitation définitivement.[14] Selon la Ville, cette décision est prise dès le 4 décembre 2018, au moment de l’acquisition du terrain de golf et la vente des équipements.
[16] Au printemps 2019, il n’y a pas de déneigement des verts. Les verts restent sous les toiles et la paille, ce qui les expose à l’eau lors des dégels et à la glace lors des regels. Comme les toiles et la paille couvrant les verts ne sont pas retirées au printemps, les verts « cuisent » quand la température ambiante devient plus chaude.
[17] Le terrain n’est pas arrosé en avril 2019, alors qu’il doit l’être quotidiennement. Les 400 têtes de gicleurs sur le terrain sont « arrachées » en mai 2019 à l’aide d’un tracteur, ce qui endommage à la fois le système d’irrigation, les tertres de départ, les allées et les verts.
[18] La station de pompage est retirée en septembre 2019.
[19] En sus du chalet, quatre autres bâtiments se situent sur l’Immeuble. Il s’agit d’un abri pour les voiturettes et casse-croute, un entrepôt, un garage et un abri pour la station de pompage.
[20] Melrose a mis en preuve que l’ancien propriétaire, dans un contexte généralisé de difficultés des clubs de golf au Canada et au Québec[15], ne parvenait pas à rentabiliser l’exploitation du parcours de golf depuis plusieurs années[16], malgré l’obtention d’un changement de zonage en 2015 permettant un usage résidentiel pouvant aller jusqu’à quatre étages sur certaines parties de l’Immeuble et des investissements de 750 000,00 $ réalisés en 2017.
[21] En 2016, toujours afin de rentabiliser l’exploitation de l’Immeuble, Melrose tente de faire augmenter le zonage résidentiel à six étages, mais cela est rejeté par la Ville.
[22] En 2018 et 2019, des consultations publiques sont tenues par la Ville et dans lesquelles sont évoqués notamment différents scénarios pour l’avenir du secteur du terrain de golf, dont une requalification en espace vert et en usage résidentiel.[17]
[23] À cet égard, Melrose est en discussion avec la Ville et souhaite obtenir un changement de zonage afin de permettre un redéveloppement résidentiel sur une partie de l’Immeuble.
[24] Il est donc à noter qu’en date du 15 mars et du 1er juillet 2019, dates de référence pertinentes quant aux Recours 1 et 2, les usages permis de l’Immeuble demeurent inchangés bien qu’il soit clair que ceux-ci sont remis en question par les autorités de la Ville à cette époque.
[25] Par ailleurs, notons que la Ville a adopté pour son territoire trois taux de taxation pour les fins de sa taxe foncière, soit celui pour la catégorie des immeubles non résidentiels (INR), celui pour les terrains vacants desservis (TVD) et celui pour la catégorie résiduelle.
[26] Tel que mentionné précédemment, l’Immeuble de Melrose est inclus par la Ville dans la catégorie INR, classe 10.
[27] Selon les fiches municipales, l’Immeuble est subdivisé en trois blocs : 1) Les Bâtiments, 2) les Dépendances, améliorations et équipements et 3) le Parcours 18 trous (Bloc 55). Mentionnons que pour le rôle 2018-2020, le parcours de golf est évalué à 1 581 174 $ et tombe à 0 $ pour le rôle 2021-2023.
Argumentation de Melrose
[28] Quant à la question du délai pour introduire le Recours 1, Melrose soutient que celui-ci a été déposé à l’intérieur du délai prescrit, soit au cours de l’exercice financier suivant la survenance du non-geste de l’évaluateur de la Ville.[18]
[29] Sur le fond de la question, Melrose soutient que la catégorie de l’Immeuble doit être modifiée à compter du 15 mars 2019, « en raison du changement de la situation physique de l’immeuble causé par le retrait des équipements et à une cessation définitive de l’usage commercial en date du 15 mars 2019 »[19].
[30] En effet, selon Melrose, ce retrait des équipements, les dommages causés à l’Immeuble à l’occasion de ce retrait et le non-entretien de l’Immeuble depuis son acquisition consacrent la destruction complète du parcours de golf.
[31] En ce qui a trait au chalet, Melrose prétend que celui-ci a perdu toute utilité étant donné qu’il était un accessoire au terrain de golf dont l’exploitation a maintenant cessé définitivement. Melrose n’y voit aucun autre usage possible et soutient que le chalet est devenu sans vocation.[20] Il en va de même quant aux autres bâtiments situés sur l’Immeuble.
[32] Aussi, à la suite de la visite effectuée en août 2021, des infiltrations d’eau et des moisissures ont été constatées dans le chalet, ce qui rendrait sa démolition inévitable selon Melrose.[21]
[33] Melrose soumet aussi qu’une réutilisation de l’Immeuble comme terrain de golf et du chalet est impossible « parce qu’il nécessiterait des investissements majeurs pour construire un nouveau clubhouse, acheter et installer de nouveaux gicleurs sur le terrain, acheter et installer une nouvelle station de pompage et acheter la machinerie et les gros équipements nécessaires aux opérations d’un golf, alors que l’utilisation de l’immeuble comme golf était une activité déjà déficitaire »[22].
[34] Selon un expert qu’a fait entendre Melrose, il en couterait environ 1,6 M$ pour remettre en état le parcours de golf.[23]
[35] Melrose argumente que l’évaluation du parcours de golf qui tombe à 0 $ pour le rôle 2021-2023 et la faible valeur des bâtiments qui n’atteignent que 10,37 % de la valeur du terrain pour ce même rôle confirment que l’Immeuble a perdu ses attributs essentiels à la vocation golf.
[36] Melrose soumet également que l’Immeuble ne peut être considéré dans la catégorie des TVD étant donné que la valeur des bâtiments inscrite au rôle dépasse le seuil de 10 %, soit 10,37 % spécifié à l’article
[37] Melrose soumet que dans un contexte où le cadre réglementaire est « en mouvance » aux dates de référence pertinentes et avec les difficultés liées à la rentabilité du club de golf, aucun investisseur avisé ne procèderait avec des investissements significatifs pour réhabiliter le terrain de golf.
[38] Melrose conclut qu’elle estime que l’Immeuble a donc perdu sa vocation commerciale et est devenu un terrain en attente de développement tombant dans la catégorie résiduelle. À l’appui de sa thèse, elle soumet notamment une décision impliquant un presbytère[24]. Nous y reviendrons.
[39] Mentionnions qu’à l’appui de ses prétentions, Melrose a fait témoigner son président, M. François Vachon, ainsi que deux témoins experts, Mme Julie Gaulin, EA, qui a déposé un rapport d’expertise élaboré au soutien de son témoignage[25] ainsi que M. Warren Huxham, expert en estimation de coûts de rénovation de terrains de golf.
Argumentation de la Ville
[40] Essentiellement, la Ville soutient que l’Immeuble fait partie de la catégorie INR visée à l’article
[41] Elle ajoute que la catégorie « immeubles sans vocation » n’existe pas dans la LFM. En se référant à l’article
[42] Quant au changement de vocation, selon la Ville, il s’agit plutôt de parler d’une absence d’entretien et de la vente de certains équipements reliés au golf. La seule cessation d’activité du golf n’est pas déterminante en soi.
[43] En se référant à une décision du TAQ et à l’article
[44] En citant une autre affaire[27] devant la Cour supérieure qui commente l’affaire du presbytère[28] à laquelle nous avons brièvement référé ci-dessus, la Ville souligne que c’est lorsque la transformation de l’immeuble d’une vocation à une autre aura été substantiellement terminée qu’un changement de catégorie pourra survenir, et non avant. En l’espèce, la conversion en usage résidentiel de l’Immeuble n’est qu’un projet dont la réalisation n’a pas encore débuté.
[45] En utilisant à son avantage l’affaire du presbytère, la Ville en tire l’enseignement que ce n’est pas parce qu’un immeuble est devenu vacant qu’il change de catégorie. La Ville retient aussi de cette affaire que la seule intention du propriétaire de changer la vocation de l’immeuble ne peut justifier un changement de catégorie de l’immeuble.
[46] En appliquant ces principes à la présente espèce, la Ville soumet que le seul retrait des gicleurs et le manque d’entretien de l’Immeuble ne sont pas suffisants pour justifier l’inscription de la catégorie résiduelle. Les coûts de remise en état de 1,6 M$ estimés par l’expert de Melrose sont tout de même inférieurs au coût de 6 M$ pour construire un parcours de golf à partir d’un terrain vague.
[47] La Ville estime donc que l’Immeuble conserve plusieurs attributs d’un terrain de golf et n’a pas entamé une transformation vers un autre usage.
[48] Précisons que la Ville, au soutien de ses prétentions, a fait témoigner M. Martin Laplante, EA, comme témoin expert et un rapport d’expertise a été déposé.[29]
Les objections
[49] La Ville s’est objectée au dépôt de différentes pièces, car elles constituent des faits postérieurs aux dates de référence pertinentes au présent litige, la plus tardive étant le 1er juillet 2019.[30]
[50] La jurisprudence soumise par la Ville[31] se rapporte à la preuve visant la détermination de la valeur réelle d’un immeuble conformément à l’article
[51] Quant au recours basé sur l’article
[52] Bien que Melrose fasse aussi reposer son recours sur le paragraphe
[53] Le Tribunal estime donc qu’il y a lieu de s’inspirer de la règle générale de la pertinence de la preuve[32] pour déterminer la recevabilité de faits postérieurs, à défaut de dispositions spécifiques prévues à la loi. Rappelons aussi, à titre d’inspiration, que l’article
[54] Or, de l’avis du Tribunal, une preuve se rapportant à la catégorie d’un immeuble à une date de référence donnée, que ce soit à l’égard d’un non-geste de l’évaluateur lors d’un rôle en cours ou à l’égard d’un nouveau rôle, pour être pertinente, doit, en toute logique, être nécessairement concomitante à cette dernière date.
[55] Par conséquent, à moins de motifs particuliers en justifiant sa pertinence, une preuve de faits postérieurs à la date de référence n’est pas pertinente et doit être déclarée non recevable.
[56] Une première série de documents concerne des projets de modification de la réglementation municipale et un règlement de contrôle intérimaire dont les dates se situent entre juin 2020 et août 2022 (R-21, R-23, R-25, R-27, R-30, R-53 et R-54).
[57] Une autre objection vise certains paragraphes[33] du rapport d’expertise R-50 qui rapportent une partie du contenu de ces documents ou y réfèrent. On demande donc que ces paragraphes soient considérés comme rayés du rapport.
[58] De son côté, Melrose prétend que ces documents sont nécessaires pour démontrer l’existence « d’une mouvance réglementaire » aux dates de référence de mars et juillet 2019 et sont donc pertinents.
[59] Le Tribunal n’est pas de cet avis.
[60] Ces documents ayant été constitués bien après les dates de référence pertinentes, leur pertinence est inexistante en l’espèce et ne doivent pas être pris en compte par le Tribunal dans sa décision. Le Tribunal fait donc droit aux deux objections de la Ville.
[61] Malgré cette décision, le Tribunal précise, tel que mentionné précédemment, qu’il prend acte du fait que l’avenir du club de golf a fait l’objet de consultations publiques en 2018 et 2019 et que sa requalification en espaces verts et résidentiels est alors envisagée par les autorités de la Ville.
[62] Quant à l’objection visant les pièces R-38 et R-39, celles-ci visent des procédures judiciaires entreprises en 2022 devant la Cour supérieure par Melrose contre la Ville et la MRC de Thérèse-de-Blainville.
[63] Ces pièces sont elles aussi nettement postérieures au 1er juillet 2019 et ne sauraient être considérées pertinentes par le Tribunal. L’objection de la Ville est donc accueillie.
[64] De son côté, Melrose s’est objectée au dépôt des pièces I-6, I-7 et I-8. Ces pièces visent la location temporaire d’une partie du site du terrain de golf pour des tournages cinématographiques.
[65] La pièce I-8 est un bail signé en date du 8 juillet 2019. La pièce I-7 se rapporte à ce tournage. La date de la signature du bail est concomitante à l’une des dates de référence pertinentes au litige et les documents sont donc admis en preuve et l’objection de Melrose est rejetée.
[66] Quant à la pièce I-6, celle-ci se rapporte en un tournage en mars 2021 et est trop éloignée de la date de référence pour être considérée pertinente par le Tribunal. L’objection de Melrose est donc accueillie.
Question en litige
[67] Le Tribunal résume les questions en litige de la manière suivante :
1) le Recours 1 a-t-il été intenté dans le délai prescrit ?
2) la vocation de l’Immeuble a-t-elle été modifiée le 15 mars 2019 justifiant un changement de la catégorie INR à la catégorie résiduelle pour le rôle 2018-2020 (à compter du 15 mars 2019) et pour le rôle 2021-2023 ?
[68] Pour les motifs ci-après exposés, le Tribunal estime que le Recours 1 a été intenté dans le délai prescrit et que l’Immeuble doit demeurer dans la catégorie INR pour les deux rôles visés.
Analyse
1) Le Recours 1 a-t-il été intenté dans le délai prescrit ?
[69] La Ville soumet que le délai pour exercer le Recours 1 par Melrose était prescrit lorsque la demande de modification a été déposée.
[70] La Ville soumet que si l’événement découlant de la cessation de l’usage golf constitue un événement justifiant une modification de catégorie, ce qu’elle conteste, celui-ci est survenu le 4 décembre 2018, soit au moment de l’acquisition de l’Immeuble par Melrose et de la vente des différents équipements du terrain de golf.
[71] Or, selon ce que prévoit l’article
[72] La position de Melrose est plutôt de situer l’événement au 15 mars 2019, date de la fin de l’exploitation du golf ou d’activités connexes dont la clinique de golf par le pro.
[73] Précisons qu’il n’est pas contredit que les gros équipements sont enlevés en janvier et février 2019, que la fermeture du chalet a lieu le 15 mars 2019, que l’enlèvement des gicleurs est fait en mai 2019 et que le retrait de la station de pompage survient en septembre 2019.
[74] Melrose se réfère aux paragraphes 174 (6) et 174 (13.1.1) de la LFM pour fonder son recours.
[75] Le Tribunal ne croit pas que le fondement du recours en l’espèce puisse reposer sur l’article 174 (6), car le remède recherché par cette disposition est une modification de la valeur de l’immeuble inscrite au rôle en raison, notamment, de la destruction de l’immeuble[34]. Ce n’est pas ce que Melrose recherche ici, elle ne demande qu’une modification de la catégorie de l’Immeuble.
[76] Le Tribunal estime que le recours de Melrose ne peut donc reposer que sur l’article 174 (13.1.1) de la LFM, lequel réfère à l’article
[77] Le but de ce recours est d’ajouter ou de supprimer des mentions inscrites au rôle afin de se conformer à ce que prévoit à cet égard l’article
[78] Ce dernier article prescrit, entre autres, que le rôle doit identifier les unités d’évaluation appartenant au groupe des immeubles non résidentiels défini à l’article
[79] En l’espèce, Melrose soumet que la mention du code « INR » apparaissant au rôle pour l’unité d’évaluation correspondant à l'Immeuble doit être supprimée, car il a cessé, selon elle, de faire partie de cette catégorie à compter du 15 mars 2019.
[80] D’un point de vue juridique, le Tribunal estime que ce sont, en principe, les changements aux caractéristiques physiques de l’Immeuble qui peuvent déclencher une modification de catégorie de l’Immeuble fondée sur l’article 174 (13.1.1) et non simplement une intention de son propriétaire de procéder à ces changements. Nous en discutons plus en détail ci-dessous relativement à la deuxième question en litige.
[81] Sans reconnaître ici qu’il y a eu de tels changements justifiant une modification, l’acquisition, en soi, de l’Immeuble et la vente des équipements ne peuvent donc pas être ici la survenance de l’événement en question, car il ne s’est pas encore opéré à ce moment de changement aux caractéristiques physiques de l’Immeuble.
[82] Ces changements ne peuvent avoir eu lieu, au plus tôt, qu’en janvier 2019, soit par le début du retrait d’équipements relatifs à l’exploitation du terrain de golf.
[83] Ceci fait en sorte que le Recours 1, selon l’article
2) La vocation de l’immeuble a-t-elle été modifiée à compter du 15 mars 2019 justifiant ainsi un changement de catégorie d’immeuble pour une partie de la période couverte par le rôle 2018-2020 et en date du 1er juillet 2019 pour le rôle 2021-2023 ?
[84] Les dispositions pertinentes de la LFM sont les suivantes :
244.29. Toute municipalité locale peut, conformément aux dispositions de la présente section, fixer pour un exercice financier plusieurs taux de la taxe foncière générale en fonction des catégories auxquelles appartiennent les unités d’évaluation.
244.30. Pour l’application de la présente section, les catégories d’immeubles sont :
1° celle des immeubles non résidentiels;
2° celle des immeubles industriels;
3° celle des immeubles de six logements ou plus;
4° celle des terrains vagues desservis;
4.0.1° celle des immeubles forestiers;
4.1° celle des immeubles agricoles;
5° celle qui est résiduelle.
La composition de la catégorie des immeubles non résidentiels et de la catégorie résiduelle varie selon les diverses hypothèses quant à l’existence de taux particuliers à d’autres catégories.
Une unité d’évaluation peut appartenir à plusieurs catégories.
244.31. Aux fins de déterminer la composition de la catégorie des immeubles non résidentiels, on tient compte du groupe comprenant les unités d’évaluation qui comportent un immeuble non résidentiel ou un immeuble résidentiel dont l’exploitant doit être le titulaire d’une attestation de classification délivrée en vertu de la Loi sur les établissements d’hébergement touristique (chapitre E-14.2) à l’égard d’un établissement autre qu’un établissement de pourvoirie ou de résidence principale.
Toutefois, n’appartient pas au groupe une unité d’évaluation qui :
1° est constituée uniquement d’une exploitation agricole enregistrée conformément à l’article
2° est entièrement inscrite à un certificat visé à l’article 220.2;
3° est constituée uniquement d’un terrain non exploité, d’une étendue d’eau ou de l’un et l’autre;
4° constitue uniquement la dépendance d’une unité entièrement composée d’immeubles résidentiels non visés au premier alinéa;
5° est constituée uniquement de l’assiette d’une voie ferrée à laquelle s’applique l’article 47.
Malgré l’article 2, le deuxième alinéa ne vise qu’une unité d’évaluation entière.
244.37. Dans l’hypothèse de l’existence d’un taux particulier à une ou à plusieurs des autres catégories, une unité d’évaluation appartient à la catégorie résiduelle lorsqu’elle n’appartient pas à celle ou à l’une de celles, selon le cas, que vise l’hypothèse. (…)
[85] Comme on peut le constater, une municipalité locale peut fixer différents taux de taxes foncières selon certaines catégories identifiées par la loi. Il lui appartient donc d’établir ces taux par catégorie d’immeubles qu’elle souhaite constituer en respectant ce cadre législatif.
[86] En l’espèce, la Ville a prévu des taux particuliers pour les catégories INR, TVD et pour la catégorie résiduelle.
[87] Précisons ici qu’il est clair que l’Immeuble ne fait pas partie de la catégorie TVD compte tenu de la présence de bâtiments dont la valeur excède 10 % de la valeur du terrain[35]. Ceci est également la position des parties.
[88] En présence de ces trois catégories d’immeuble établies par la Ville, voici le cheminement qui devrait être suivi, selon le Tribunal, pour catégoriser adéquatement un immeuble faisant partie du territoire de la Ville et qui ne fait pas partie de la catégorie TVD, comme l’Immeuble. Ce cheminement emprunte la logique suivie par la Ville.
1) L’immeuble est-il ou non résidentiel ?
S’il est non résidentiel, il devient en principe visé par le premier alinéa de l’article 244.31 et doit être inclus dans la catégorie INR à moins que l’une des exclusions prévues au deuxième alinéa de ce même article trouve application.
S’il est résidentiel, il fait alors partie de la catégorie résiduelle, car il n’appartient à aucune autre catégorie d’immeubles établie par la Ville conformément à l’article
2) Si l'on conclut que l’immeuble est non-résidentiel, il faut poursuivre l’analyse et alors s’interroger s’il est visé par l’une des exclusions mentionnées au 2e alinéa de l’article
Si une telle exclusion se confirme, l’immeuble en question ne fait plus partie de la catégorie INR, mais il devient inclus dans la catégorie résiduelle en application de l’article
Si aucune exclusion ne trouve application, l’immeuble demeure dans la catégorie INR.
L’analyse se termine là.
[89] Si nous appliquons cette grille d’analyse à l’Immeuble, il est clair, à la première question, que celui-ci est un immeuble à vocation non-résidentielle.
[90] Il faut donc poursuivre l’analyse et se demander s’il est visé par une exclusion prévue au 2e alinéa de l’article
[91] Précisions que l’exclusion « terrain non exploité » qui y est mentionnée ne s’applique que si le terrain est vacant, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, compte tenu notamment de la présence de bâtiments. La version anglaise de cette disposition utilise d’ailleurs les termes « vacant land ». Melrose ne prétend pas non plus à l’application de cette exclusion, son raisonnement est autre comme nous en discutons ci-après.
[92] L’Immeuble est donc inclus dans la catégorie INR et l’analyse doit donc s’arrêter là.
[93] Le Tribunal est conscient de l’affaire du presbytère[36] sur laquelle s’appuie, entre autres, Melrose et il est donc nécessaire d’en discuter.
[94] Il faut d’abord préciser que cette décision est un cas très particulier et il faut donc se garder de lui donner une portée trop générale.
[95] Il s’agit du cas d’un presbytère qui est considéré par la Ville de Montréal comme un immeuble à vocation résidentielle tant qu’il est occupé par les membres de la communauté religieuse qui y réside.
[96] Ce site devient inoccupé et est vendu à un promoteur privé qui veut transformer l’immeuble pour y accueillir une garderie ainsi qu’une clinique médicale et de soins personnels.
[97] Avant même que les travaux de décontamination d’amiante et de transformation ne soient débutés, la ville modifie la catégorie de l’immeuble en la faisant passer à la catégorie INR.
[98] Dans cette décision, le TAQ estime que tant que la transformation de l’immeuble n’est pas réalisée, il ne saurait y avoir de changement de catégorie d’immeubles. Le changement de catégorie ne doit pas non plus résulter d’une simple intention de changer la vocation de l’immeuble. Au moment où la ville modifie la catégorie de l’immeuble, celui-ci possède toujours les caractéristiques d’un immeuble résidentiel. Le TAQ estime que l’immeuble doit donc demeurer dans la catégorie résiduelle.
[99] Alors que les considérations ci-dessus, selon la présente formation, sont suffisantes pour disposer de l’affaire, le TAQ ajoute dans cette décision que l’immeuble est devenu sans vocation en raison de son état de contamination. Le TAQ précise qu’il s’agit d’un immeuble d’un « type innommé », visé par aucune autre catégorie particulière, qui n’est ni résidentiel ni non résidentiel. L’immeuble doit donc être mis dans la catégorie résiduelle.
[100] Melrose, s’inspirant de ces considérations, estime que, tout comme pour le presbytère, l’Immeuble est devenu sans vocation et doit donc aussi faire partie de la catégorie résiduelle.
[101] Respectueusement soumis, le Tribunal ne partage pas cette opinion, car ce n’est pas ce que la LFM prévoit.
[102] Pour revenir à la grille d’analyse que nous avons élaborée ci-dessus et en présumant qu’en l’espèce, il s’agit bien d’un immeuble sans vocation, il y a tout d’abord lieu de se demander si un tel immeuble est un immeuble à vocation résidentielle ou non.
[103] Le Tribunal estime qu’un immeuble sans vocation, ne pouvant être qualifié d’immeuble résidentiel par sa nature même, fait en principe partie de la catégorie INR.
[104] Quant à la deuxième question visant à déterminer si un immeuble sans vocation peut être visé par l’une des exclusions mentionnées au 2e alinéa de l’article
[105] L’Immeuble demeure donc un immeuble de la catégorie INR même dans l’hypothèse où il s’agirait bien d’un immeuble devenu sans vocation, comme le soutient Melrose.
[106] Au surplus, le Tribunal estime que la vocation de l’Immeuble est toujours demeurée celle d’un terrain de golf aux dates de référence pertinentes pour les fins de déterminer la catégorie d’immeubles qui lui est applicable.
[107] À cette époque, les attributs physiques du terrain de golf sont encore largement présents et c’est là le critère à suivre par le Tribunal pour en déterminer la catégorie.
[108] À ce sujet, nous citons ci-après un extrait d’une décision récente de la Cour du Québec siégeant en appel d’une décision du TAQ réitérant ce critère[37] :
« [54] De l’avis du Tribunal, il n’y a pas erreur de la part du TAQ lorsqu’il a considéré que le changement d’intention du propriétaire ne constituait pas une cessation d’exploitation. L’intimée a raison de souligner que la valeur réelle de l’immeuble, au sens de l’article
[55] Au dépôt du rôle à la date de référence, l’immeuble avait les mêmes caractéristiques qu’au moment de ce changement d’intention. Il n’y a eu aucun changement physique affectant la location possible de l’immeuble. Les changements dans les choix économiques du propriétaire n’ont pas d’incidence, étant subjectifs et non physiques. » (Nos soulignés)
[109] Le parcours de golf est toujours là, avec ses allées, ses verts et ses trappes de sable, même s’ils nécessitent des travaux de restauration en raison des équipements qui en ont été retirés et de l’absence d’entretien du terrain au printemps 2019.
[110] Aussi, bien que cet élément ne soit pas en lui seul déterminant, la valeur de ces travaux de restauration, bien qu’importante, constitue une fraction des coûts pour construire, à partie de zéro, un nouveau parcours de golf.[38]
[111] Également, les bâtiments accessoires au parcours de golf s’y trouvent toujours. Il est vrai que le chalet, tel qu’examiné lors de la visite en août 2021, semble nécessiter des coûts de remise en état relativement importants, ou peut-être même sa démolition, en raison de son défaut d’entretien par Melrose.
[112] Cependant, ces constatations surviennent plus de deux ans après les dates de référence pertinentes. Il n’y a aucune preuve précise sur l’état du chalet au printemps 2019. Bien que ce seul élément ne soit pas non plus en lui seul déterminant, il est improbable que le chalet fût alors dans un état aussi détérioré que dans lequel il se trouvait en août 2021.
Conclusion
[113] En conclusion, l’Immeuble, n’étant pas de nature résidentielle, ni visé par l’une des exclusions mentionnées au 2e alinéa de l’article
[114] Ce raisonnement s’applique tout autant même si l’Immeuble est devenu, comme le prétend Melrose, sans vocation.
[115] À cet égard, le Tribunal estime que l’Immeuble a conservé, aux dates de référence pertinentes, l’essentiel des attributs physiques d’un terrain de golf. Les caractéristiques physiques de l’immeuble constituent le critère que doit appliquer le Tribunal aux fins de déterminer la catégorie à laquelle doit appartenir l’Immeuble.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE les objections de la Partie intimée visant le dépôt des pièces R-21, R-23, R‑25, R-27, R-30, R-38, R-39, R-53 et R-54;
ACCUEILLE l’objection de la Partie intimée visant certains paragraphes de la pièce R-50, soit le 4e paragraphe de la page 12 et les paragraphes 2 à 5 de la page 16 et déclare ces paragraphes non admissibles en preuve et réputés comme non écrits;
ACCUEILLE l’objection de la Partie requérante visant le dépôt de la pièce I-6;
REJETTE l’objection de la Partie requérante visant le dépôt des pièces I-7 et I-8;
REJETTE les recours de la Partie requérante;
LE TOUT, avec frais de justice.
PHILIPPE TREMBLAY, j.a.t.a.q.
| JACQUELINE FRANCOEUR, j.a.t.a.q. |
Fasken Martineau DuMoulin SENCRL, s.r.l.
Me François Barette
Procureur de la partie requérante
DHC Avocats inc.
Me Simon Frenette
Procureur de la partie intimée
[1] Pièce P-2 jointe au recours introductif du 2 juin 2021; pièce R-43.
[2] RLRQ, chapitre F-2.1.
[3] Pièce P-3 jointe au recours 1.
[4] Pièce P-2 jointe au recours introductif du 26 octobre 2021.
[5] Paragraphe 14 du recours introductif du 26 octobre 2021.
[6] Pièce P-3 jointe au Recours 2, réponse de la Ville portant la date du 31 août 2021.
[7] SAI-M-309006-2106.
[8] SAI-M-311364-2110.
[9] La Ville s’est objectée au dépôt des pièces R-21, R-23, R-25, R-27, R-30, R-38, R-39, R-53, R-54 et à certains passages contenus à la pièce R-50; Melrose s’est objectée au dépôt des pièces I-6, I-7 et I-8.
[10] Annexe 4, pièce R-50.
[11] Depuis 2012 selon les données compilées par le témoin expert de Melrose, pièce R-50.
[12] Pièces R-36 et R-37; paragraphe 6 du Recours 1.
[13] Paragraphe 5 du Recours 1.
[14] Paragraphe 10 du Recours 1.
[15] Melrose a, entre autres, mis en preuve que 17 clubs de golf ont fermé entre 2010 et 2022 dans le grand Montréal; annexe 7 de R-50.
[16] Pièces R-1 à R-7 (états financiers de 2009 à 2017).
[17] Pièces R-56 et R-26.
[18] Paragraphes 19 à 24 du Recours 1.
[19] Paragraphes 14 et 17 du Recours 1.
[20] Notamment parag. 5 et 6 de la p. 23 du rapport d’expertise R-50.
[21] Paragraphe 14 du Recours 2.
[22] Paragraphe 18 du recours 2.
[23] Témoignage de Warren Huxham; R-50, annexe 8.
[24] 9203-6615 Québec inc. c. Montréal (Ville de),
[25] Pièce R-50.
[26] Bilodeau c. Longueuil (SAI-M-072882-0112).
[27] 3428826 Canada Ltd. c. Cour du Québec (
[28] 9203-6615 Québec Inc. c. Montréal (Ville).
[29] Pièce I-1.
[30] Pièces R-21, R-23, R-25, R-27, R-30, R-38, R-39, certains passages de R-50.
[31] Notamment Communauté urbaine de Montréal c. Les Développements Iberville Ltée (2002 CanLII 1 (C.Q.)); Windsor (Ville de) c. Domtar inc., (
[32] Article
[33] P. 14, 4e paragraphe; P. 16, paragraphes 2 à 5.
[34] Au sujet de la distinction de ces deux recours, l’affaire 3428826 Canada Ltd. c. Cour du Québec (C.S., 2022‑08‑25),
[35] Article
[36] 9203-6615 Québec inc. c. Montréal (Ville de),
[37] 9189-9294 Québec inc. c. Ville de Montréal et al.
[38] Environ1.6 M $ vs 6.0 M$ selon le témoignage de M. Warren Huxham.
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