Syndicat des copropriétaires du condominium Club Marin II c. Mokaddem | 2023 QCCS 4126 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
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No : | 500-17-111289-206 | |||||
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DATE : | 30 octobre 2023 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARTIN F. SHEEHAN, J.C.S. | ||||
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SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES DU CONDOMINIUM CLUB MARIN II | ||||||
Demandeur / Défendeur reconventionnel | ||||||
c. | ||||||
MOHAMMED MEHDI MOKADDEM | ||||||
Défendeur / Défendeur reconventionnel | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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[1] Le 2 août 2019, monsieur Mohammed Mehdi Mokaddem achète l’unité [...] du Club Marin II situé à L’Île-des-Sœurs (le « Club Marin II »)[1].
[2] Un an auparavant, anticipant la légalisation de la consommation du cannabis par le gouvernement fédéral, le Syndicat des copropriétaires du condominium Club Marin II (le « Syndicat ») adopte trois règlements interdisant la consommation et la culture du cannabis au Club Marin II (les « Règlements sur le cannabis »)[2]. Ces Règlements sur le cannabis sont adoptés en vertu de la Déclaration de copropriété de l’immeuble (la « Déclaration de copropriété »)[3] qui régit les rapports entre les copropriétaires du Club Marin II. Les Règlements portant sur le cannabis s’appliquent aux parties communes, aux parties communes à usage restreint et aux parties privatives de l’immeuble. Une clause pénale s’applique en cas de transgression.
[3] Lorsqu’il achète son condominium, monsieur Mokaddem est avisé de l’existence des Règlements sur le cannabis. Dans l’acte de vente, monsieur Mokaddem s’engage d’ailleurs à respecter les clauses et conditions de la Déclaration de copropriété ainsi que les divers règlements du Club Marin II[4].
[4] Dès l’arrivée de monsieur Mokaddem au Club Marin II, ses voisins immédiats se plaignent de l’odeur de cannabis qui émane de son unité.
[5] Un premier avis d’infraction est transmis le 16 octobre 2019[5]. Malgré tout, les plaintes se poursuivent[6]. Un deuxième avis est transmis en janvier 2020[7].
[6] Le 28 janvier 2020, le Syndicat dépose une demande introductive d’instance en injonction permanente (la « Demande introductive »). Le Syndicat réclame une injonction permanente interdisant à monsieur Mokaddem de fumer du cannabis dans son unité, l’application de pénalités en vertu des Règlements sur le cannabis, le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires et l’octroi de dommages punitifs.
[7] Las des remontrances de ses voisins et de ce qu’il considère être de l’espionnage démesuré à son égard, monsieur Mokaddem installe sur sa porte une sonnette vidéo de marque Ring[8]. Cette sonnette, munie d’un détecteur de mouvement, l’avise par le biais d’une notification sur son téléphone si quelqu’un passe devant sa porte et lui permet d’accéder à la caméra vidéo en direct pour identifier la personne en question.
[8] Monsieur Mokaddem retourne au Maroc d’août 2020 à janvier 2021. Pendant son absence, les émanations cessent. Elles reprennent dès son retour[9].
[9] En février 2021, le Syndicat dépose une demande pour obtenir une ordonnance de sauvegarde contre monsieur Mokaddem.
[10] Le 11 mars 2021, la juge Danielle Mayrand « ORDONNE au défendeur de cesser de fumer du cannabis et d’émettre toute odeur et fumée de cannabis dans l’immeuble, que ce soit dans son appartement, partie privative, ou sur son balcon, partie commune à usage restreint ou dans toutes et chacune des parties communes de l’immeuble […] »[10].
[11] Malgré l’ordonnance, monsieur Mokaddem persiste dans son comportement.
[12] Le 6 avril 2021, le Syndicat présente une demande pour une ordonnance portant citation à comparaître en matière d’outrage au tribunal.
[13] L’audience a lieu les 14 et 15 décembre 2021. Au terme de l’audience, la juge Tiziana Di Donato conclut que monsieur Mokaddem a effectivement transgressé l’ordonnance de la juge Mayrand et le condamne à une amende de 7 000 $[11]. La juge Di Donato reconduit également l’ordonnance de sauvegarde jusqu’au 15 juin 2022[12]. Le 2 avril 2022, la Cour d’appel du Québec rejette l’appel de monsieur Mokaddem à l’égard de ce jugement[13].
[14] Le Syndicat allègue que nonobstant sa condamnation pour outrage, le rejet de sa déclaration d’appel et le renouvellement de l’ordonnance de sauvegarde, monsieur Mokaddem a continué du fumer du cannabis dans son unité jusqu’à la fin du mois d’avril 2022, incluant le soir du 15 décembre 2021, soit la journée de sa condamnation, tel qu’en font foi les plaintes reçues[14].
[15] Le 10 août 2022, le Syndicat modifie sa Demande introductive pour réclamer, en plus des pénalités et des honoraires extrajudiciaires, la vente sous contrôle de justice de l’unité de monsieur Mokaddem. Le Syndicat demande aussi une ordonnance pour forcer monsieur Mokaddem à enlever sa sonnette vidéo.
[16] Monsieur Mokaddem nie avoir contrevenu aux Règlements sur le cannabis. Il allègue que certains copropriétaires et le Syndicat ont fait preuve d’acharnement et de discrimination à son égard. Il réclame l’annulation des pénalités imposées ainsi que des dommages de plus de 250 000 $.
[17] La présente demande soulève donc les questions suivantes :
17.1. Le Syndicat est-il bien fondé de demander à monsieur Mokaddem d’enlever sa sonnette vidéo?
17.2. Monsieur Mokaddem a-t-il contrevenu aux Règlements sur le cannabis?
17.3. Le Syndicat peut-il imposer des pénalités à monsieur Mokaddem et si oui, à quel montant?
17.4. Le Syndicat peut-il demander la vente en justice de l’unité de monsieur Mokaddem?
17.5. Le Syndicat peut-il réclamer ses honoraires extrajudiciaires?
17.6. Le Syndicat peut-il réclamer des dommages punitifs?
17.7. Monsieur Mokaddem a-t-il fait l’objet de discrimination de la part du Syndicat et si oui, quels sont les dommages qui lui ont été causés?
[18] Ces questions seront étudiées dans l’ordre.
[19] L’obligation de respecter la Déclaration de copropriété et les règlements de l’immeuble découle tant de la Déclaration de copropriété[15] elle-même que de la loi[16]. Pour cette raison, on a déjà soutenu qu’une déclaration de copropriété revêt un caractère obligatoire qui relève à la fois du contractuel que du statutaire[17].
[20] Le préambule du règlement du Club Marin II stipule :
PRÉAMBULE
Ayant choisi la vie en condominium pour tous les avantages qu’elle offre, chaque copropriétaire doit être conscient que ses droits sont limités par ceux, égaux, des autres copropriétaires, et qu’à ces droits correspondent des devoirs et obligations.
Chaque copropriétaire est tenu de respecter les présents règlements et doit veiller à ce que tous ceux qui résident dans son unité de logement, ses invités et son personnel (aides domestiques, gardiennes, etc.) les respectent également. Le copropriétaire est de ce fait responsable de leur faire connaitre cette réglementation.
Les règlements sont adoptés par le conseil d’administration et ratifiés par les copropriétaires réunis en assemblée. Ils demeurent en vigueur à moins qu’ils ne soient révoqués ou amendés par le vote majoritaire des copropriétaires lors ‘une assemblée générale. […] Tous sont donc invités à lire attentivement la Déclaration de copropriété et les présents Règlements.
Le respect de ces règlements fait appel à la bonne volonté et à la collaboration de chacun afin de maintenir notre qualité de vie, de minimiser les coûts d’entretien, de favoriser la plus-value de la copropriété et d'accroitre notre fierté de résider au Club Marin ll.
[21] L’article 1063 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit que chaque copropriétaire peut user et jouir librement de sa partie privative et des parties communes à la condition de respecter le règlement de l’immeuble et de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires.
[22] Certains ont observé que ces restrictions impliquent que les droits des copropriétaires sont moins étendus que ceux des propriétaires uniques parce qu’ils sont limités par la loi et par la déclaration de copropriété. Les droits des copropriétaires doivent, dans certains cas, céder le pas à ceux de la collectivité représentée par le syndicat[18].
[23] Par ailleurs, en l’absence de restriction dans la déclaration de copropriété, les droits de jouissance et d’utilisation relatifs à la partie privative d’un copropriétaire doivent être interprétés de manière libérale[19].
[24] Au soutien de sa demande en injonction pour faire enlever la sonnette vidéo sur la porte de monsieur Mokaddem, le Syndicat invoque l’article 3.5 de la Déclaration de copropriété :
3.5 UNIFORMITÉ DE DÉCORATION
Les portes d’entrée des unités de logement, les fenêtres, surfaces extérieures peintes et, en général, tous les éléments extérieurs contribuant à l’harmonie de l’ensemble ne peuvent en aucun cas être modifiés, même s’ils font partie des parties communes limitées, sans l’autorisation écrite préalable du conseil d’administration.
En conséquence, l’extérieur des parties privatives ne peut être décoré, peint ou modifié par les copropriétaires, de quelque façon que ce soit, sans le consentement écrit préalable du conseil, à moins d’une exception spécifiquement contenue dans la présente Déclaration.
[25] Personne ne conteste que monsieur Mokaddem n’a pas demandé l’autorisation du Syndicat avant d’installer sa sonnette vidéo. Par ailleurs, le titre de l’article et la référence à « l’harmonie de l’immeuble » confirment qu’il s’agit là d’un article qui vise d’abord la décoration.
[26] Or, l’installation d’une sonnette vidéo revêt plutôt un caractère fonctionnel et sécuritaire.
[27] Il n’est pas opportun de décider ici si le Syndicat pourrait, en utilisant un langage clair, interdire l’installation de judas électroniques. Il suffit pour trancher la question posée de conclure que l’article 3.5 de la Déclaration de copropriété n’est pas assez clair pour restreindre le droit d’un copropriétaire d’installer une caméra de sécurité à la porte de son unité. Ainsi, cet article ne peut servir d’assise à l’ordonnance demandée.
[28] Les Règlements sur le cannabis font partie des règlements adoptés par le conseil d’administration du Syndicat. Ils ont été ratifiés par l’assemblée des copropriétaires le 23 mai 2018[20].
[29] Ces Règlements ne souffrent d’aucune ambiguïté. Ils interdisent de fumer du cannabis tant dans les parties communes que dans les parties privatives de l’immeuble :
Interdiction de consommer du cannabis dans les parties privatives
1. Il est interdit de fumer du cannabis dans les parties privatives de l’Immeuble. Le présent règlement s’applique tant à toute partie de la plante de cannabis (fleurs séchées, feuilles, etc.) qu’à tous produits dérivés du cannabis (haschich, huile de cannabis, etc.) qui, lorsque fumés, émettent de la fumée et/ou des odeurs. […]
[30] Des règlements interdisant aux copropriétaires de fumer dans leur partie privative ont déjà été considérés comme étant valides par les tribunaux. En effet, ceux-ci se justifient par les risques pour la santé que représente la fumée secondaire et les désagréments qui peuvent être causés par les odeurs[21].
[31] Monsieur Mokaddem admet qu’il a été avisé de l’existence des Règlements. Il reconnait être un consommateur de cannabis, mais il nie avoir fumé dans son unité. Il affirme que l’odeur provient soit de ses vêtements lorsqu’il fume dehors ou de l’unité d’un autre copropriétaire.
[32] Le Syndicat doit faire la preuve de ses allégations selon le critère de la balance des probabilités[22]. C’est-à-dire, qu’il doit démontrer qu’il est plus probable que monsieur Mokaddem ait violé les Règlements que l’inverse.
[33] Or, la preuve versée au dossier[23] et entendue viva voce confirme sans équivoque que monsieur Mokaddem a contrevenu à plusieurs reprises aux Règlements sur le cannabis.
[34] Les copropriétaires qui habitent dans la même aile du 16e étage où se trouve l’unité [...] de monsieur Mokaddem ont tous témoigné. Ces témoignages sont précis et concordants.
[35] Vu le déni généralisé de monsieur Mokaddem, un bref résumé de ces témoignages s’impose.
[36] Madame Solange Péruse habite l’unité [2]. Elle est retraitée depuis quinze ans. Elle était auparavant technologiste en chimie industrielle pour une compagnie pharmaceutique.
[37] Dès le mois de novembre 2019, elle a senti des odeurs de cannabis en provenance de l’unité [...], parfois plusieurs fois dans la même journée. Elle estime avoir transmis plus de 80 plaintes au Syndicat.
[38] Les odeurs sont particulièrement fortes dans une de ses salles de bain et dans sa chambre à coucher. La situation était tellement désagréable qu’elle et son conjoint ont décidé de condamner cette salle de bain. Il lui arrivait de devoir coucher dans une autre pièce en raison de l’odeur.
[39] Les odeurs et la fumée de cannabis lui ont causé des inconvénients importants incluant des maux de tête et des troubles de sommeil.
[40] Elle n’entretient aucun doute sur l’origine des odeurs. Elle a senti des odeurs plus prononcées dans le corridor en face de la porte de monsieur Mokaddem et à deux occasions lorsque sa porte était ouverte.
[41] Madame Pérusse confirme que monsieur Mokaddem a fumé du cannabis dans les jours qui ont suivi l’ordonnance de sauvegarde du 11 mars 2021 ainsi que le soir du 15 décembre 2021, le même jour où il fut condamné pour outrage au tribunal.
[42] À plusieurs reprises des représentants du Syndicat (monsieur Buffoni, maître Azoulay ou madame Amiaud) sont venus constater eux-mêmes les odeurs émanant de l’unité [...].
[43] Monsieur St-Denis habite l’unité [3]. Il est séparé de l’unité [...] par l’unité de madame Pérusse.
[44] Monsieur St-Denis est retraité. Auparavant, il travaillait comme policier à la Sûreté du Québec.
[45] Monsieur St-Denis a commencé à sentir des odeurs de cannabis dans son appartement et dans le corridor en octobre 2019. Ces odeurs sont récurrentes au point où monsieur St-Denis s’est plaint à environ 60 reprises au Syndicat.
[46] Les odeurs se sont poursuivies malgré l’émission de l’ordonnance de sauvegarde et la condamnation pour outrage.
[47] Lorsqu’il sentait l’odeur de cannabis dans son appartement, monsieur St-Denis sortait souvent pour vérifier d’où l’odeur provenait. Chaque fois, il a pu constater que l’odeur était plus forte devant la porte de l’unité [...]. À deux reprises, il a vu de la fumée et a senti une odeur prononcée de cannabis lorsque monsieur Mokaddem a ouvert sa porte. Il n’y a aucun doute dans son esprit que l’odeur provient de l’unité de monsieur Mokaddem.
[48] Lui aussi confirme que maître Azoulay est venue constater l’odeur.
[49] Monsieur St-Denis souligne que ses médecins l’ont avisé que la fumée secondaire pourrait être dangereuse pour sa santé vu son antécédent d’embolie pulmonaire.
[50] Il admet cependant que les odeurs ont cessé depuis avril 2022.
[51] Au moment des faits en litige, monsieur Bédard habitait [l'unité 5], soit l’unité en face du [...].
[52] Monsieur Bédard est associé dans une firme de consultants en informatique. Il a obtenu son diplôme des HEC en 1991.
[53] Il a constaté des odeurs de cannabis fréquentes au 16e étage dès le début de 2020.
[54] L’odeur était plus forte devant le condominium de monsieur Mokaddem. Pour lui, la source de l’odeur est claire et évidente.
[55] L’odeur a continué nonobstant l’émission de la sauvegarde et la condamnation pour outrage. Lui aussi a senti une odeur de cannabis le soir même où monsieur Mokaddem a été condamné pour outrage.
[56] Monsieur Bédard est asthmatique et est fortement incommodé par la fumée secondaire.
[57] Il mentionne avoir transmis entre quinze et vingt plaintes au Syndicat (dont trois après la condamnation pour outrage), mais précise qu’il n’envoyait pas de courriel à chaque fois.
[58] Monsieur Buffoni était juge à la Cour du Québec jusqu’en 2019. Il est copropriétaire d’une unité au Club Marin II depuis 2006.
[59] Monsieur Buffoni a été membre du conseil d’administration du Syndicat de septembre 2020 à mai 2022. Il a présidé le conseil d’administration de septembre 2020 à novembre 2021.
[60] Peu de temps après son élection au conseil d’administration, il a pris en charge le dossier de monsieur Mokaddem.
[61] Par la suite, il a reçu des plaintes de certains copropriétaires du 16e étage.
[62] Malgré l’ordonnance de sauvegarde rendue le 11 mars 2021, monsieur Buffoni mentionne que les plaintes se sont poursuivies.
[63] À au moins une reprise, le 22 mars 2021, il s’est rendu sur les lieux pour vérifier si la plainte était fondée. Arrivé à l’étage, il a immédiatement constaté l’odeur de cannabis dans le corridor. Cette odeur était clairement plus forte devant l’unité de monsieur Mokaddem. Il a cogné à la porte et dès que monsieur Mokaddem a ouvert il avait sa réponse. L’odeur provenait définitivement de cette unité.
[64] Le 28 mars 2021, monsieur Buffoni s’est rendu à nouveau au 16e étage en compagnie de madame Claire Amiaud, alors vice-présidente du conseil d’administration. À ce moment, ils ont tous les deux constaté l’odeur et la fumée de cannabis provenant de l’unité de monsieur Mokaddem. Les deux se sont ensuite rendus dans l’appartement de madame Pérusse et ils ont confirmé que cette forte odeur se propageait dans la chambre à coucher et dans la salle de bain de madame Pérusse.
[65] Monsieur Buffoni a senti l’odeur de cannabis une troisième fois le 24 septembre 2021, alors qu’il accompagnait madame Amiaud et monsieur Ghislain Leblanc, un expert indépendant dont les services avaient été retenus par le Syndicat pour vérifier les systèmes de climatisation de l’immeuble, notamment dans l’unité [...].
[66] Chaque fois qu’il recevait une plainte, monsieur Buffoni prenait une note dans un fichier. Ce fichier a été utilisé pour préparer l’avis d’infraction du 23 août 2021. Le fichier contient une colonne qui indique la personne qui a confirmé l’infraction. Souvent, plus d’une personne est mentionnée puisque l’infraction a été constatée par plusieurs[24].
[67] Lors des réunions du conseil d’administration qui ont suivi l’ordonnance d’outrage au tribunal rendue contre monsieur Mokaddem le 15 décembre 2021, monsieur Buffoni a été informé que les plaintes à l’égard de monsieur Mokaddem continuaient.
[68] Monsieur Buffoni confirme que le Syndicat ne recevait pas de plaintes lorsque monsieur Mokaddem était à l’extérieur du Québec.
[69] Maître Catherine Azoulay habite au Club Marin II depuis 2001.
[70] Elle a siégé au conseil d’administration du Syndicat de janvier 2021 au 31 mai 2022. Elle a été présidente du conseil du 4 novembre 2021 jusqu’au 31 mai 2022.
[71] Maître Azoulay est avocate. Elle se spécialise en litige civil ainsi qu’en droit de la copropriété.
[72] Après sa nomination au conseil, maître Azoulay a pris en charge les dossiers juridiques impliquant le Syndicat, dont celui de monsieur Mokaddem. Elle recevait les plaintes des copropriétaires.
[73] Pendant la pandémie, maître Azoulay travaillait souvent de chez elle. Puisqu’elle était sur place, à la réception d’une plainte visant monsieur Mokaddem, elle se rendait systématiquement au 16e étage pour constater par elle-même l’odeur de cannabis.
[74] Elle mentionne avoir confirmé l’odeur de cannabis à une trentaine de reprises. Elle s’est également rendue dans l’unité de madame Pérusse pour constater l’odeur. Elle a vu que madame Pérusse avait installé des journaux sous la porte pour éviter la propagation des odeurs.
[75] Maître Azoulay s’est rendue à plusieurs reprises au 16e étage en mars et en avril 2022 pour vérifier le bien-fondé de plaintes reçues. À chaque fois, elle a constaté que des odeurs provenaient de l’unité de monsieur Mokaddem.
[76] Maître Azoulay a donné instruction de demander le renouvellement de l’ordonnance de sauvegarde qui venait à échéance en juin 2022 en raison des défauts répétés de monsieur Mokaddem de respecter les Règlements. Elle confirme qu’il y a eu récidive nonobstant le jugement d’outrage et le rejet de l’appel.
[77] Selon Maître Azoulay, il n’y avait pas de plainte pour les odeurs ou la fumée de cannabis lorsque monsieur Mokaddem était absent.
[78] La version de monsieur Mokaddem, selon laquelle l’odeur proviendrait de ses vêtements ou d’une autre unité n’est tout simplement pas crédible.
[79] Monsieur Andrade a témoigné à la demande du défendeur. Monsieur Andrade habite l’unité [4] soit une unité adjacente à celle de monsieur Mokaddem.
[80] Monsieur Andrade a constaté des odeurs de brulé provenant de sa hotte de cuisine (qui est installée sur le mur mitoyen qu’il partage avec l’unité de monsieur Mokaddem). Il a porté plainte à la gestionnaire de l’immeuble qui l’aurait informé qu’il s’agissait de cannabis provenant de l’unité [...]. Monsieur Andrade n’est pas en mesure de confirmer la provenance de l’odeur et il a suggéré qu’un expert en odeur soit embauché.
[81] Monsieur Mokaddem voudrait que l’on en conclue que la source n’est pas identifiable.
[82] Ce n’est pas le cas.
[83] Les témoignages des copropriétaires sont clairs, convaincants et concordants.
[84] Chacun d’entre eux a senti des odeurs de cannabis provenant de l’unité de monsieur Mokaddem. La source des odeurs est établie par les témoignages des copropriétaires ou des représentants du Syndicat qui ont personnellement constaté :
84.1. que l’odeur dans leur propre appartement était plus forte dans les pièces qui partagent un mur mitoyen avec l’unité de monsieur Mokaddem;
84.2. que l’odeur est plus intense lorsqu’on s’approche de la porte de l’unité de monsieur Mokaddem; et
84.3. l’odeur est persistante lorsque monsieur Mokaddem ouvre la porte de son unité.
[85] Qui plus est, l’analyse des billets d’avion et des passeports produits par monsieur Mokaddem[25] ainsi que la compilation des plaintes des copropriétaires[26] permet de confirmer que les plaintes coïncident avec les présences de monsieur Mokaddem au Canada. Lorsque monsieur Mokaddem s’absente, les plaintes cessent.
[86] Loin de contredire ces éléments de preuve, le témoignage de monsieur Andrade confirme que l’odeur est plus forte à proximité du mur mitoyen de l’unité de monsieur Mokaddem.
[87] Le Tribunal n’a aucune hésitation à conclure que monsieur Mokaddem a violé les Règlements.
[88] Vu les transgressions répétées du défendeur, une ordonnance d’injonction permanente est émise pour interdire au défendeur de fumer du cannabis dans l’immeuble.
[89] L’ordonnance demandée par le Syndicat, qui ordonnerait au défendeur de se conformer à la Déclaration de copropriété est trop générale[27].
[90] L’article 3b) du Règlement interdisant la consommation dans les parties communes (qui s’applique à l’ensemble des Règlements) est clair. Il permet l’imposition de pénalités. Ces pénalités doivent faire l’objet d’un avis d’infraction. Le montant de la pénalité augmente avec chaque avis transmis pendant une même période de référence :
b) Pour chaque contravention relevant de la consommation de cannabis, le premier avis d’infraction pendant la période de référence donne lieu à une pénalité de cent dollars (100,00 $); le second avis d’infraction pendant la période de référence donne lieu à une pénalité de cent vingt-cinq dollars (125,00 $); tout avis d’infraction additionnel pendant la période de référence donne lieu à une pénalité graduellement augmentée de cinquante dollars (50,00 $) pour chaque nouvel avis (troisième 175,00 $, quatrième 225,00 $,etc.).[28]
[91] Les Règlements prévoient que la période de référence correspond à l’exercice financier du Syndicat (du 1er décembre au 30 novembre de chaque année[29]), que les pénalités sont payables le 1er du mois suivant la réception de l’avis et que les sommes en souffrance portent intérêt au taux de 26,82 % par année. Le Syndicat n’a pas l’obligation d’imposer une pénalité. Il peut décider d’aviser le copropriétaire d’une infraction sans imposer de pénalité[30].
[92] Monsieur Mokaddem a reçu un premier avis d’infraction écrit le 16 octobre 2019 assorti d’une pénalité de 100 $[31]. Au même moment, on l’avise que le prochain avis sera assujetti à une pénalité de 125 $ et que les pénalités subséquentes augmenteront de 50 $ à chaque fois.
[93] Un deuxième avis d’infraction est transmis le 8 novembre 2019 pour une pénalité de 125 $[32].
[94] Le 21 janvier 2020, le Syndicat transmet un troisième avis[33]. Alléguant que monsieur Mokaddem a déjà reçu neuf avertissements, il impose une pénalité de 525 $.
[95] Le 23 août 2021, le Syndicat transmet un 4e avis cette fois-ci pour la période entre le 3 février 2021 et le 11 juin 2021[34]. Un tableau explicatif est joint à la lettre faisant état de 42 journées de violation distinctes et imposant à monsieur Mokaddem des pénalités totalisant 46 225 $.
[96] Ces pénalités ne respectent pas le texte des Règlements.
[97] Les Règlements prévoient que ce sont les avis d’infractions (plutôt que les infractions elles-mêmes) qui permettent d’imposer des pénalités.
[98] On peut le comprendre. Il serait plutôt injuste de permettre au Syndicat de comptabiliser des plaintes et d’imposer des pénalités en catimini sans en aviser le copropriétaire visé.
[99] Les Règlements réfèrent aussi aux avis transmis pendant une même période de référence ce qui laisse supposer que le compteur repart à zéro le 1er décembre de chaque année. Or, les deux premiers avis concernent l’année de référence 2018-2019. Le troisième concerne l’année de référence 2019-2020 et le quatrième concerne l’année de référence 2020-2021.
[100] En appliquant les Règlements, les pénalités imposées à monsieur Mokaddem auraient dû être :
Date de l’avis d’infraction | Référence dans la preuve | Montant |
16 octobre 2019 | P-7 | 100 $ |
8 novembre 2019 | P-8 | 125 $ |
21 janvier 2020 | P-12 | 100 $ |
23 août 2021 | P-27 et P-37 | 100 $ |
Total : |
| 425 $ |
[101] Le Syndicat affirme que monsieur Mokaddem a renoncé à recevoir des avis d’infraction, ce qui lui permettrait d’imposer des pénalités par infraction plutôt que par avis.
[102] En effet, dans un courriel du 11 novembre 2019[35], monsieur Mokaddem écrit au Syndicat :
Merci pour vos courriels, mais malheureusement j’ai d’autres préoccupations notamment mon emploi que de gérer ces enfantillages.
Je prends note de ces courriels, et vous avise qu’au prochain avis une mise en demeure vous sera envoyé [sic] détaillant le désagrément causé par ces agissements, les différentes notes et requêtes envoyés [sic] et remarques mal placés [sic] et infondés [sic]. La mise en demeure détaillera les procédures judiciaires à engager.
Je profite de ce dernier point pour vous demander une dernière fois de cesser toute correspondance m’avisant de pénalités imaginaires que nous percevons maintenant plus comme du harcèlement. […]
[103] Ce courriel ne permet pas au Syndicat d’imposer des pénalités sans transmettre d’avis d’infraction. D’ailleurs, le Syndicat l’a bien compris puisque deux mois après la prétendue renonciation, soit le 21 janvier 2020, il transmettait un nouvel avis d’infraction au défendeur[36].
[104] Pour ce qui est des nombreuses infractions prouvées qui n’ont pas fait l’objet d’avis d’infraction, il y a lieu de conclure que le Syndicat, usant de sa discrétion, a décidé de ne pas imposer d’amende. D’ailleurs, l’ensemble des représentants du Syndicat ont confirmé que l’objectif des pénalités n’était pas de faire de l’argent, mais plutôt d’amener le copropriétaire à se conformer aux Règlements. Voyant que les pénalités ne permettaient pas d’accomplir cet objectif et voulant éviter d’envenimer le conflit, le conseil d’administration a décidé de cesser la transmission d’avis d’infraction.
[105] Ainsi, le Syndicat peut imposer des pénalités, mais ces pénalités seront réduites à 450 $.
[106] L’article 1080 C.c.Q. permet à un syndicat de copropriété de demander l’émission d’une injonction lorsque le refus du copropriétaire de se conformer à la déclaration de copropriété cause un préjudice sérieux et irréparable au syndicat ou à l’un des copropriétaires. L’article ajoute que lorsque « le copropriétaire transgresse l’injonction ou refuse d’y obéir, le tribunal peut, outre les autres peines qu’il peut imposer, ordonner la vente de la fraction conformément aux dispositions du Code de procédure civile (chapitre C-25.01) relatives à la vente du bien d’autrui ».
[107] La vente forcée d’une unité de copropriété a été décrite comme un « remède de cheval » qui ne devrait être prononcé que dans des circonstances exceptionnelles. On doit l’ordonner « qu’en présence d’un préjudice sérieux et irréparable causé au Syndicat ou aux copropriétaires – sans pour autant qu’un tel préjudice doive nécessairement affecter tout un chacun des copropriétaires – dans l’éventualité où une telle ordonnance n’est pas prononcée à l’endroit du copropriétaire fautif »[37].
[108] Cette prudence s’impose en raison des dommages significatifs que pourrait subir un copropriétaire en cas de vente forcée de son unité. En effet, bien que la mise à prix d’un immeuble lors d’une vente en justice doive être « commercialement raisonnable », elle est néanmoins fixée pour favoriser une « vente rapide »[38], ce qui dans plusieurs cas peut entrainer une vente à une valeur moindre que la valeur marchande. À titre d’exemple, dans sa demande remodifiée du 23 septembre 2023, le Syndicat demande de fixer la mise à prix à 284 800 $ (soit à 80 % de l’évaluation municipale) alors que le courtier choisi par monsieur Mokaddem l’a mis en vente pour 550 000 $[39].
[109] Or, les conditions requises pour ordonner la vente forcée de l’unité ne sont pas satisfaites ici.
[110] Certes, monsieur Mokaddem a violé l’injonction rendue contre lui. Cette cour l’a d’ailleurs condamné pour outrage en raison de cette violation[40].
[111] Par ailleurs, le Syndicat n’a pas démontré qu’il subirait un préjudice sérieux et irréparable si la vente n’était pas ordonnée.
[112] D’une part, monsieur Mokaddem a refait sa vie au Maroc. Il s’est marié et s’y est installé. Depuis qu’il a quitté en avril 2022, les copropriétaires du 16e étage n’ont pas constaté d’odeur de cannabis.
[113] De plus, l’unité de monsieur Mokaddem est présentement en vente[41]. Personne n’a prétendu que le prix de vente était déraisonnable. Monsieur Mokaddem a déjà reçu deux offres. L’une a été refusée par lui puisque le prix était trop bas. La deuxième a été acceptée par monsieur Mokaddem, mais elle a été refusée par le Syndicat puisque le promettant-acheteur avait trois petits chiens alors que la Déclaration de copropriété n’en permet qu’un seul.
[114] Dans les circonstances, ni le Syndicat ni les copropriétaires ne risquent de subir un préjudice sérieux dans l’immédiat.
[115] Le Syndicat soumet qu’il demeure possible que monsieur Mokaddem décide de retirer son unité du marché et revienne s’y installer. Or, cette possibilité lointaine ne suffit pas pour ordonner un remède aussi draconien.
[116] Si monsieur Mokaddem décide de réintégrer son unité et qu’il continue de violer sans gêne les Règlements, le Syndicat pourra toujours représenter sa demande, laquelle sera évaluée selon les circonstances alors présentes.
[117] Pour l’heure, la demande du Syndicat pour ordonner la vente forcée de l’unité est refusée.
[118] Le droit du Syndicat de réclamer ses honoraires extrajudiciaires est prévu à la clause 16.2.5 de la Déclaration de copropriété :
16.2.5 Frais extrajudiciaires
a) Le copropriétaire d’une unité de logement en défaut de se conformer à la destination de l’immeuble, à l’une des conventions ou à l’un des règlements de la Déclaration de copropriété sera redevable au syndicat de tous les frais judiciaires ou extrajudiciaire qu’il occasionnera, jusqu’à concurrence d’un montant maximal équivalent à quinze pour cent (15%) de la valeur de son unité pour fins de taxation municipale. Ces montants dus seront réputés être des charges communes de la copropriété.
b) Le copropriétaire devra en outre rembourser au syndicat de tous les frais judiciaires et extrajudiciaires raisonnablement encourus pour obtenir une injonction ou pour toute autre procédure jusqu’à concurrence d’une somme de cinq mille dollars (5 000 $). Ce montant sera ajusté s’il y a hausse du taux de l’indice des prix à la consommation pour la région de Montréal, le premier de chaque année.
[119] Lorsque les conditions sont satisfaites et que les honoraires sont raisonnables, les tribunaux n’ont pas hésité à appliquer ce genre de clauses[42].
[120] Appliquant ce calcul, le Syndicat aurait droit à un remboursement maximum de 103 695,00 $ calculé comme suit :
15 % de la valeur municipale de son unité (article 16.2.5 a)) | 73 695,00 $[43] |
Demande d’ordonnance de sauvegarde de mars 2021 | 5 000,00 $[44] |
Procédure d’outrage au tribunal de décembre 2021, laquelle comprenait une demande de reconduction de l’ordonnance de sauvegarde | 5 000,00 $ |
Demande pour la reconduction de l’ordonnance de sauvegarde de décembre 2021 | 5 000,00 $ |
Requête en rejet d’appel d’avril 2022 plus les ajustements pour la hausse de l’indice des prix à la consommation depuis 2006 | 5 000,00 $ |
Procédure de demande pour le renouvellement de l’ordonnance de sauvegarde de juillet 2022 | 5 000,00$ |
Procédure de demande en vente sous contrôle de justice et injonctions permanentes de septembre 2023 | 5 000,00$ |
Total : | 103 695,00 $ |
[121] En date du 31 juillet 2023, le Syndicat avait déjà encouru des honoraires de plus de 87 000 $[45], ce qui n’incluait pas la préparation et l’audience de trois jours qui a procédé devant le soussigné. Les avocats du Syndicat ont transmis une facture subséquente de 64 871 $ pour leurs services en lien avec l’audience. Ainsi, les honoraires totaux excèdent les 103 695 $ calculés en conformité avec la Déclaration prévus à la Déclaration de copropriété, de sorte que le Syndicat a droit à ce montant.
[122] Le président actuel du conseil d’administration a confirmé que l’ensemble des honoraires extrajudiciaires avaient été payés par le Syndicat.
[123] Le Tribunal accorde la demande du Syndicat et condamne le défendeur à rembourser au Syndicat la somme de 103 695 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires.
[124] Dans sa demande modifiée du 10 août 2022, le Syndicat demandait une condamnation de 10 000 $ à titre de dommages punitifs « pour atteinte illicite et intentionnelle aux droits des copropriétaires à la jouissance paisible de leur propriété »[46].
[125] Au deuxième jour de procès, alors que les copropriétaires concernés avaient témoigné la veille, le Syndicat a demandé de modifier sa procédure.
[126] Il désirait préciser que trois des copropriétaires avaient mandaté le Syndicat pour réclamer en leur nom des dommages punitifs. La demande était assujettie d’une demande de produire trois mandats de représentants signés la veille (le 27 septembre 2023) voulant que le Syndicat soit mandaté par ces trois copropriétaires pour réclamer les dommages punitifs qui pourraient leur être dus.
[127] Puisque la demande modifiait la cause d’action à cet égard et risquait de porter préjudice au défendeur (qui n’avait plus l’opportunité de contre-interroger les copropriétaires sur cet aspect), le Tribunal a refusé la modification[47].
[128] Quoiqu’il en soit, même si la demande de modification avait été permise, le Tribunal n’aurait pas accordé de dommages punitifs.
[129] Certes, l’atteinte au droit à la jouissance de sa propriété, garanti par l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne[48] (la « Charte québécoise »), peut donner ouverture à des dommages-intérêts punitifs en vertu de l’article 49 de la Charte québécoise[49].
[130] Cependant, cet article permet l’attribution de dommages punitifs seulement lorsque le défendeur a porté atteinte de manière « illicite et intentionnelle » à un droit protégé par la Charte québécoise[50].
[131] Dans l’arrêt St-Ferdinand, la Cour suprême du Canada a bien expliqué ce qui constitue une atteinte « illicite et intentionnelle »[51] :
121. En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.
[132] Dans le cas présent, l’intention de nuire n’est pas présente. Même si la conduite du défendeur est persistante, celle-ci découle d’une dépendance plutôt que d’une intention de violer le droit des copropriétaires.
[133] Même si le Tribunal ne doute pas de la sincérité des copropriétaires qui ont témoigné au sujet des inconvénients importants qu’ils ont subis, la demande du Syndicat ne satisfait pas aux critères pour l’octroi de dommages punitifs.
[134] La demande en dommages punitifs est rejetée.
[135] Monsieur Mokaddem présente une demande reconventionnelle en dommages au motif qu’il a fait l’objet de rigidité, de mauvaise foi, d’abus et de discrimination de la part du Syndicat.
[136] Quant à la rigidité du Syndicat, monsieur Mokaddem invoque des autorités qui suggèrent une gradation des mesures lorsqu’un Syndicat désire régler un litige avec un copropriétaire[52]. Ainsi, avant de demander une injonction, un syndicat devrait tenter de convaincre le copropriétaire à respecter la déclaration de copropriété.
[137] Or, c’est ce que le Syndicat a fait ici. Des représentants du Syndicat ont rendu visite à monsieur Mokaddem chez lui. On lui a transmis des avis d’infraction. Ces démarches n’ont pas porté leurs fruits.
[138] Monsieur Mokaddem suggère aussi que d’autres copropriétaires, qui auraient également fumé du cannabis dans leur unité, ont fait l’objet d’un traitement différent.
[139] Or, il n’en est rien.
[140] Tant monsieur Mokaddem que le copropriétaire identifié par monsieur Mokaddem ont reçu un premier avertissement de la part du Syndicat.
[141] La différence de traitement entre les deux résulte de leur comportement postérieur à la réception de l’avis.
[142] Le premier copropriétaire s’est excusé et a promis de ne pas récidiver. Il s’est ensuite conformé aux Règlements sur le cannabis.
[143] Quant à monsieur Mokaddem, nonobstant l’accumulation de preuves compromettantes à cet égard, il a toujours nié être en violation des Règlements sur le cannabis. Il a persisté dans sa conduite illégale nonobstant les nombreuses plaintes, les Avis d’infraction et les jugements de cette cour.
[144] Il a notamment agi de manière désinvolte envers le Syndicat et ses copropriétaires en invoquant tout à tour, la violation à sa vie privée, son droit au silence, la légalité de la consommation de cannabis au Canada, etc. Dans son courriel de novembre 2019, il qualifie les démarches du Syndicat d’enfantillages. En réponse à un avis de la gestionnaire de l’immeuble, il a menacé de « vider le fonds de réserve ». De nombreux témoins sont venus raconter qu’il adoptait un ton menaçant et intimidant envers eux rendant désagréable toute interaction avec lui.
[145] Ainsi, monsieur Mokaddem est l’artisan de son propre malheur. Le Tribunal n’a aucun doute que le comportement du Syndicat à son endroit n’a rien à voir avec son origine ethnique, mais est plutôt le résultat de sa propre attitude irrespectueuse envers le Syndicat et ses copropriétaires.
[146] La demande reconventionnelle est rejetée.
[147] Le Syndicat a démontré que monsieur Mokaddem ne s’est pas conformé aux Règlements. Il a droit à une injonction permanente, aux pénalités calculées en conformité aux Règlements et au remboursement de ses honoraires extrajudiciaires.
[148] Par ailleurs, la demande de vente en justice n’est pas autorisée en l’absence de risque imminent à la santé des copropriétaires ou à l’intégrité de l’immeuble.
[149] REJETTE la demande du Syndicat des copropriétaires du Condominium Club Marin II pour l’obtention d’une ordonnance d’injonction visant l’enlèvement sonnette vidéo située sur la porte d’entrée de l’unité [...] du Club Marin;
[150] REJETTE la demande du Syndicat des copropriétaires du Condominium Club Marin II pour l’obtention d’une ordonnance de mise en vente sous contrôle de justice de la fraction du défendeur Mohammed Mehdi Mokaddem conformément aux dispositions de l’article 1080 du Code civil du Québec;
[151] ORDONNE au défendeur Mohammed Mehdi Mokaddem de ne pas fumer de cannabis dans l’immeuble connu sous le nom de Club Marin II et de ne pas produire d’odeur ou de la fumée de cannabis que ce soit dans son appartement, partie privative, ou sur son balcon, partie commune à son usage restreint ou dans toutes et chacune des parties communes de l’immeuble;
[152] ACCORDE au Syndicat des copropriétaires du Condominium Club Marin II la permission de signifier l’ordonnance d’injonction permanente en dehors des heures légales et des jours ouvrables, sous le huis de la porte ou dans la boîte aux lettres de Mohammed Mehdi Mokaddem;
[153] CONDAMNE le défendeur Mohammed Mehdi Mokaddem à payer au Syndicat des copropriétaires du Condominium Club Marin II la somme de 450 $ à titre de pénalité, chaque pénalité portant intérêt au taux de 26,82 % à compter du 1er jour du mois suivant la transmission de l’avis d’infraction comme suit :
153.1. Une somme de 100 $ portant intérêt au taux de 26,82 % à compter du 1er novembre 2019;
153.2. Une somme de 125 $ portant intérêt au taux de 26,82 % à compter du 1er décembre 2019;
153.3. Une somme de 100 $ portant intérêt au taux de 26,82 % à compter du 1er février 2020;
153.4. Une somme de 100 $ portant intérêt au taux de 26,82 % à compter du 1er septembre 2021;
[154] CONDAMNE le défendeur Mohammed Mehdi Mokaddem à rembourser à la demanderesse, Syndicat des copropriétaires du Condominium Club Marin II , la somme de 103 695 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires, plus les intérêts au taux conventionnel de 7 % par année prévu par l’article 11.4.2 de la déclaration de copropriété, à compter de la date du présent jugement;
[155] REJETTE la demande du Syndicat des copropriétaires du Condominium Club Marin II pour l’obtention de dommages punitifs;
[156] LE TOUT avec frais de justice à l’encontre du défendeur.
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| __________________________________MARTIN F. SHEEHAN, J.C.S. | |
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Me Olivier Lessard | ||
Me Philippe Gagnon-Marin | ||
LJT Avocats s.e.n.c.r.l. | ||
Avocats du Demandeur / Défendeur reconventionnel | ||
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Me Hedi Belabidi | ||
Hedi Belabidi, avocat | ||
Avocat du Défendeur / Défendeur reconventionnel | ||
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Dates d’audience : | 27 au 29 septembre 2023 | |
[1] Pièces P-3 et D-1.
[2] Pièce P-42.
[3] Pièce P-2.
[4] Pièce P-3, section intitulée Charges et conditions de l’Acte de vente.
[5] Pièce P-7.
[6] Pièce P-11.
[7] Pièce P-12.
[8] Pièces P-13 et D-20.
[9] Pièces P-15, P-20, P-21, P-22, P-23 et P-24.
[10] Pièce P-25.
[11] Syndicat des copropriétaires des condominiums Club Marin II c. Mokaddem,
[12] Procès-verbal de l’audience du 15 décembre 2021.
[13] Mokaddem c. Syndicat des copropriétaires des condominiums Club Marin II,
[14] Pièces P-29 et P-43.
[15] Article 3.24 de la Déclaration de copropriété.
[16] Article 1063 C.c.Q.
[17] Krebs c. Paquin,
[18] Bourbonnais c. 9168-3615 Québec inc.,
[19] Article 947 C.c.Q.; Mazza c. Havre Lafontaine,
[20] Pièce P-42.
[21] El-Helou c. Syndicat de la copropriété du 7500, 7502 et 7504 rue Saint-Gérard, Montréal,
[22] Art. 2804 C.c.Q.
[23] Pièce P-35.
[24] Pièces P-37 et P-37A.
[25] Pièces D-8 et D-24.
[26] Pièce P-43.
[27] 9218-2435 Québec inc. c. Ville de Laval,
[28] Pièces P-4 et P-42.
[29] Article 11.3.1 de la Déclaration de copropriété.
[30] Articles 3a) et 3d) du Règlement sur l’interdiction de fumer dans les parties communes.
[31] Pièce P-7
[32] Pièce P-8.
[33] Pièce P-12.
[34] Pièces P-27 et P-37.
[35] Pièces P-9 et D-13.
[36] Pièce P-12.
[37] Syndicat des copropriétaires du Mont-Saint-Louis c. Grochowska Yale,
[38] Art. 744 et 761 C.c.p.; Béland c. Amyot,
[39] Pièce P-39.
[40] Syndicat des copropriétaires des condominiums Club Marin II c. Mokaddem, préc., note 11; pièce P‑28.
[41] Pièce P-39.
[42] Giguère c. Syndicat de copropriété Domaine Quatre-Saisons, Phase II,
[43] 491 300 $ (pièce P-41) x 0,015 = 73 695 $.
[44] Les ajustements à la hausse basés sur l’indice des prix à la consommation depuis 2006 n’ont pas été prouvés, de sorte que le Tribunal n’en tient pas compte.
[45] Pièces P-32 et P-32A ainsi que le courriel transmis à la cour par Me Philippe Gagnon-Marin le 18 octobre 2023.
[46] Par. 55.1.1 de la Demande modifiée du 10 août 2022.
[47] Procès-verbal du 28 septembre 2023.
[48] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 6.
[49] Investissements Historia inc. c. Gervais Harding et Associés Design inc.,
[50] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand,
[51] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, préc., note 50; Scafuro c. Municipalité d'Entrelacs, préc., note 50, par. 117.
[52] Syndicat Les Terrasses du Parc-Rue Normand c. Gougeon,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.