Hôpital Sacré-Coeur de Mtl-Qvt et Baldi |
2007 QCCLP 1673 |
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[1] Le 1er mars 2006, Hôpital Sacré-Cœur de Mtl-Qvt (l’employeur) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 7 février 2006, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 20 décembre 2005, faisant suite à un avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale portant sur le diagnostic, la date de consolidation, la suffisance des soins et traitements, la détermination d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. La CSST déclare sans objet la demande de révision de l’employeur concernant l’admissibilité en regard du diagnostic d’entorse cervicale ; déclare que le diagnostic de tendinite du sus-épineux à l’épaule gauche est en relation avec l’événement survenu le 22 août 2004 ; déclare qu’elle est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi, étant donné que la lésion est consolidée avec des limitations fonctionnelles ; déclare qu’elle doit cesser de payer les soins et traitements puisqu'ils ne sont plus justifiés et déclare que la travailleuse a droit à une indemnité pour préjudice corporel, étant donné la présence d’une atteinte permanente.
[3] La CSST confirme également une décision rendue le 21 décembre 2005 et déclare que le pourcentage d’atteinte permanente est de 6,90 % et donne droit à une indemnité pour préjudice corporel de 4 938,05 $.
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[4] Le 13 juillet 2006, madame Nadia Baldi (la travailleuse) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST le 7 juillet 2006, à la suite d’une révision administrative.
[5] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 30 mai 2006 et déclare que la travailleuse n’a pas été victime, le 25 mars 2006, d’une lésion professionnelle. La CSST confirme également la décision rendue le 20 juin 2006, reconsidérant la somme que la travailleuse devra rembourser à la CSST, soit 509,18 $ au lieu de 375,48 $, montant mentionné dans la décision initiale du 30 mai 2006.
[6] À l’audience tenue à Saint-Jérôme le 9 janvier 2007, l’employeur est représenté par madame Édith Hould qui est accompagnée de son procureur. La travailleuse est présente et est représentée.
[7] À l’audience, un délai est accordé au procureur de la travailleuse pour lui permettre de soumettre les notes médicales du docteur Taillefer. Ces notes sont reçues le 31 janvier 2007, date à laquelle le dossier est mis en délibéré.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
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[8] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le diagnostic de tendinite du sus-épineux à l’épaule gauche, retenu en date du 13 décembre 2005 par la docteure Desloges membre du Bureau d’évaluation médicale, ne constitue pas une lésion professionnelle et que seule subsiste, à titre de lésion professionnelle, un diagnostic d’entorse dorsale, laquelle est résolue en date du 3 novembre 2004.
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[9] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle est victime, le 25 mars 2006, d’une lésion professionnelle, soit une récidive, rechute ou aggravation de la lésion initiale survenue le 22 août 2004.
MOYEN PRÉALABLE
[10] En début d’audience, le procureur du travailleur indique au tribunal que la membre du Bureau d’évaluation médicale ne pouvait se prononcer à nouveau sur le diagnostic de tendinite à l’épaule gauche. Ce diagnostic est déjà reconnu juridiquement et médicalement à titre de lésion professionnelle, et ce, de façon finale, par une décision rendue par la CSST en révision administrative, pour laquelle l’employeur s’est désisté de sa requête à la Commission des lésions professionnelles.
[11] Le procureur fait valoir que le tribunal ne peut ainsi se saisir de la relation entre le diagnostic de tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche et l’événement survenu le 22 août 2004. Il demande au tribunal de rejeter d’emblée la requête de l’employeur sur cette question.
L’AVIS DES MEMBRES
[12] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la seconde procédure d’évaluation médicale entreprise par l’employeur est régulière au sens de la loi, considérant la présence d’un nouveau diagnostic de bursite émis par le médecin qui a charge dans le cours du dossier. La procédure demeure régulière même si une décision rendue par la CSST en révision administrative le 16 mars 2005, reconnaissant le diagnostic de tendinite de la coiffe de l’épaule gauche comme lésion professionnelle à la suite d’un avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale, est devenue finale par le désistement de l’employeur à la Commission des lésions professionnelles. Il est clair que la membre du Bureau d’évaluation médicale a utilisé son pouvoir discrétionnaire, le 5 décembre 2005, pour statuer à nouveau sur le diagnostic de la lésion professionnelle survenu le 22 août 2004. Il s’agit d’un processus tout à fait régulier et les deux parties peuvent, dès lors, en contester les conclusions. Suivant cette logique, la décision rendue par la révision administrative, le 16 mars 2005, est devenue caduque et est remplacée par celle rendue le 7 février 2006, dont est saisi actuellement le tribunal. À son avis, le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs retenu initialement est global et doit être remplacé par celui de tendinite du sus-épineux qui précise davantage le siège de la lésion et qui permet au tribunal de se saisir à nouveau de la relation entre ce diagnostic de tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche et l’événement initial survenu le 22 août 2004. Le moyen préalable soulevé par le procureur du travailleur devrait être rejeté.
[13] Le membre demeure d’avis que ce diagnostic ne constitue pas une lésion professionnelle retenant en cela qu’aucune déclaration contemporaine de l’événement ne mentionne une telle lésion à gauche et qu’il s’agit plutôt d’une maladie intercurrente personnelle. La lésion professionnelle demeure celle d’une entorse dorsale, consolidée le 3 novembre 2004, et qui demeure asymptomatique, comme le mentionne la membre du Bureau d’évaluation médicale. De ce fait, il ne saurait exister une lésion professionnelle survenue le 25 mars 2006 à l’épaule gauche puisqu’il ne s’agit pas du siège de la lésion professionnelle reconnue. La requête de l’employeur devrait ainsi être accueillie et celle du travailleur rejetée.
[14] Pour la membre issue des associations syndicales, la décision rendue par la CSST en révision administrative le 16 mars 2005 demeure finale, car l’employeur s’est désisté de son appel à la Commission des lésions professionnelles. Cette décision confirmait que le diagnostic retenu par un premier membre du Bureau d’évaluation médical, soit celui de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche, constitue une lésion professionnelle survenue le 22 août 2004. Le tribunal n’a pas à remettre en question cette décision dont il n’est pas saisi. Il en découle que la seconde procédure d’évaluation médicale, bien que régulière sur l’aspect de son déroulement, doit être invalidée au plan juridique quant au diagnostic, ce dernier étant déjà reconnu par une décision sans appel. Le moyen préalable soulevé par le procureur du travailleur devrait être accueilli et la requête déposée par l’employeur ainsi rejetée.
[15] Par ailleurs, concernant la récidive, rechute ou aggravation, la membre estime que la preuve prépondérante démontre que la travailleuse a toujours consulté entre la consolidation de sa lésion professionnelle et la survenance de la nouvelle lésion. Les paramètres retenus par la jurisprudence du tribunal sont satisfaits et la requête de la travailleuse devrait être accueillie.
LES FAITS ET LES MOTIFS
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[16] Avant de disposer de la requête de l’employeur visant à infirmer la reconnaissance d’un diagnostic de tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche à titre de lésion professionnelle et de disposer de la requête de la travailleuse voulant faire déclarer une récidive, rechute ou aggravation de cette lésion en date du 25 mars 2006, il importe pour le tribunal de juger de la recevabilité du moyen préalable soumis par le procureur du travailleur.
[17] En effet, pour le procureur du travailleur, le tribunal ne peut remettre en cause la relation juridique déjà reconnue par une décision rendue par la CSST en révision administrative et pour laquelle l’employeur a produit un désistement auprès de la Commission des lésions professionnelles, faisant en sorte que cette décision est donc devenue finale et sans appel. À son avis, la membre du Bureau d’évaluation médicale ne pouvait se prononcer à nouveau sur le diagnostic reconnu à titre de lésion professionnelle et, de ce fait, la requête de l’employeur voulant remettre à nouveau en cause cette relation n’est pas recevable.
[18] Pour le procureur de l’employeur, la procédure d’évaluation médicale entreprise une seconde fois, à la suite de l’ajout par le médecin qui a charge d’un nouveau diagnostic, permet à la membre du Bureau d’évaluation médicale de se prononcer à nouveau sur le diagnostic et de générer de nouveaux droits d’appel, considérant le pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu selon l’article 221 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). La CSST devait ainsi se prononcer à nouveau sur la relation et sa requête est donc recevable. Le tribunal doit donc se saisir de la relation entre le diagnostic retenu de tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche et l’événement initial, car il en a la compétence.
[19] Les faits médicaux pertinents à cette question sont les suivants :
Ø Le 22 août 2004, la travailleuse, préposée aux bénéficiaires chez l’employeur depuis 1998, est victime d’un accident du travail, lors d’une manœuvre de contention auprès d’un patient agité.
Ø Le 26 août 2004, le docteur Forget pose un diagnostic d’entorse dorsale et de douleurs paravertébrales droites, qu’il maintiendra à six reprises jusqu’au 10 novembre 2004 où il ajoutera celui d’algie à la face antérieure de l’épaule qu’il infiltre.
Ø Le 8 novembre 2004, le docteur Bertrand, orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de l’employeur. Il retient les diagnostics d’entorse dorsale, de scoliose dorsale (condition personnelle) et de tendinite de l’épaule gauche (maladie intercurrente), reconnaissant une relation entre l’entorse dorsale et le fait accidentel décrit. L’entorse dorsale est consolidée le 3 novembre 2004, mais la maladie intercurrente de tendinite n’est pas consolidée.
Ø Dans son Rapport complémentaire du 18 novembre 2004, le docteur Forget, maintenant le diagnostic d’entorse dorsale, se dit d’accord en tous points avec les conclusions du docteur Bertrand à savoir que la tendinite de l’épaule gauche est une maladie intercurrente.
Ø Le 11 janvier 2005, le docteur Bourdua, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine la travailleuse. Il retient les diagnostics d’entorse dorsale et de tendinite traumatique de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche. L’entorse dorsale est consolidée en date du 3 novembre 2004, mais la tendinite nécessite une évaluation plus complète, soit par une échographie ou par une résonance magnétique.
Ø À la suite de la résonance magnétique effectuée le 27 janvier 2005, le docteur Hudon, radiologiste, décrit des signes de tendinopathie du tendon sus-épineux, suggestifs d’une minime composante de déchirure partielle impliquant mois de 20 % de son épaisseur, sans signe de déchirure complète. Il y a un discret signal liquidien à la bourse sous-acromiale suggestif d’une discrète composante inflammatoire à corréler avec la clinique.
Ø Une seconde résonance magnétique est effectuée le 26 avril 2005. Le docteur Kaplan, radiologiste, décrit des structures normales au bras gauche alors qu’à l’épaule gauche, il n’y a aucune évidence de tendinopathie ou de déchirure de la coiffe des rotateurs. Le reste de l’examen est, par ailleurs, normal si ce n’est une légère bursite sous-acromiale sous-deltoïdienne.
Ø Le 5 mai 2005, le docteur Forget ajoute au diagnostic déjà retenu de tendinite de l’épaule gauche celui de bursite sous-acromiale sous-deltoïdienne.
Ø Le 24 mai 2005, une échographie est pratiquée et, selon l’interprétation du radiologiste, la longue portion du biceps, le sous-scapulaire et le sous-épineux sont normaux. Il n’y a pas d’anomalie à l’articulation acromioclaviculaire ni à la bourse sous-acromiale. Il n’y a pas d’accrochage aux manœuvres dynamiques. Subsiste « un petit foyer hypoéchogène intra-tendineux compatible avec une tendinopathie versus une petite zone de déchirure intra-tendineuse plus petit de 20 % de l’épaisseur, sans déchirure transfixiante. »
Ø Le 23 septembre 2005, le docteur Beauchamp, orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de l’employeur. Il retient un diagnostic d’entorse dorsale résolue et de tendinopathie radiologique de l’épaule, laquelle est consolidée le même jour, avec suffisance des soins ou traitements, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
Ø Le 14 octobre 2005, le docteur Forget maintient, selon son examen palpatoire, les diagnostics de tendinite du sus-épineux et de bursite sous-acromiale sous-deltoïdienne dans son Rapport complémentaire.
Ø Le 5 décembre 2005, la docteure Desloges, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine la travailleuse. Elle se prononce à nouveau sur le diagnostic, retenant celui d’entorse dorsale résolue et de tendinite du sus-épineux gauche, éliminant ceux de tendinopathie radiologique, de bursite et de capsulite. La tendinite de l’épaule gauche est consolidée en date du 23 novembre 2005. La tendinite entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[20] Au plan juridique, la séquence des événements est la suivante :
Ø La CSST accepte, le 30 septembre 2004, la réclamation de la travailleuse pour un diagnostic d’entorse dorsale survenue le 22 août 2004.
Ø Le 20 octobre 2004, l’employeur conteste et la CSST maintient cette décision en révision administrative le 17 novembre 2004.
Ø Le 29 novembre 2004, l’employeur dépose une requête à l’encontre de cette décision (dossier 249607-64-0411). Le 2 juin 2005, il produit un désistement.
Ø Le 1er février 2005, la CSST rend une décision à la suite de l’avis rendu par le docteur Bourdua, membre du Bureau d’évaluation médicale. Elle reconnaît, outre d’autres conclusions médicales, une relation entre le diagnostic de tendinite traumatique de la coiffe du rotateur gauche et l’événement du 22 août 2004.
Ø Le 8 février 2005, l’employeur conteste cette décision qui est maintenue en révision administrative le 16 mars 2005.
Ø Le 4 avril 2005, l’employeur dépose une requête à l’encontre de cette décision (dossier 259215-64-0504). Le 29 juin 2005, il se désiste de celle-ci.
Ø Le 20 décembre 2005, la CSST rend une décision faisant suite à l’avis rendu par la docteure Desloges, membre du Bureau d’évaluation médicale. La CSST déclare que la tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche est en relation avec l’événement, qu’elle est consolidée, que les soins ne sont plus requis et que la lésion entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Elle indique qu’elle poursuit le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité de la travailleuse d’exercer un emploi.
Ø Le 21 décembre 2005, la CSST déclare dans sa décision que la travailleuse a droit au montant de 4 938,05 $, à titre d’indemnité pour préjudice corporel.
Ø Le 23 décembre 2005 et le 5 janvier 2006, l’employeur conteste respectivement ces deux dernières décisions de la CSST.
Ø Le 7 février 2006, la CSST rend une décision en révision administrative, laquelle est portée devant la Commission des lésions professionnelles par l’employeur le 1er mars 2006 (dossier 283760-64-0603, faisant l’objet de la présente décision) et par la travailleuse le 21 mars 2006 (dossier 285740-64-0603, désistement produit à l’audience).
Ø Le 24 mars 2006, la CSST déclare la travailleuse capable d’exercer son emploi, ce que la travailleuse conteste le 29 mars 2006.
Ø Le 7 juillet 2006, la CSST confirme cette dernière décision en révision administrative. La travailleuse dépose, le 11 juillet 2006, une requête à la Commission des lésions professionnelles (dossier 293879-64-0607, désistement produit à l’audience).
Ø La travailleuse présente une Réclamation du travailleur pour un événement survenu le 25 mars 2006.
Ø Le 30 mai 2006, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse à titre de lésion professionnelle. La travailleuse conteste cette décision le 6 juin 2006.
Ø Le 20 juin 2006, la CSST reconsidère la somme versée pour les quatorze premiers jours, ce que conteste la travailleuse le 29 juin 2006.
Ø Le 7 juillet 2006, la CSST maintient ces deux dernières décisions en révision administrative. La travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles le 13 juillet 2006 (dossier 296057-64-0607, faisant l’objet de la présente décision).
[21] À la suite de ces historiques médicaux et juridiques, le tribunal doit-il se saisir de la relation entre le diagnostic de tendinite du sus-épineux retenu par la docteure Desloges, membre du Bureau d’évaluation médicale, et l’événement survenu le 22 août 2004, considérant qu’une décision rendue par la CSST en révision administrative a été contestée devant le tribunal sur le même sujet, selon le procureur du travailleur, mais a cependant fait l’objet d’un désistement de la part de l’employeur ?
[22] D’entrée de jeu, le tribunal constate qu’une certaine jurisprudence du tribunal veut qu’un membre du Bureau d’évaluation médicale ne puisse se prononcer à nouveau sur le diagnostic si cet aspect du dossier a déjà fait l’objet d’un premier avis rendu par un autre membre du Bureau d’évaluation médicale, avis qui est entériné par une décision de la CSST et qui ne serait pas contesté[2].
[23] Dans l’affaire Centre de soins prolongés de Montréal et Deokie[3], la Commission des lésions professionnelles concluait qu’un membre du Bureau d’évaluation médicale avait implicitement statué sur l’absence de limitations fonctionnelles, considérant l’absence d’une atteinte permanente. Ce faisant, la CSST ne pouvait, par une seconde demande au Bureau d’évaluation médicale et une troisième ultérieurement, demander à un autre membre du Bureau d’évaluation médicale de se prononcer sur la présence de limitations fonctionnelles.
[24] Dans l’affaire Controlnet et Service d'entretien d'immeubles inc. et Martin[4], après analyse des dispositions des articles 212 et 221, la Commission des lésions professionnelles conclut que, même si un membre du Bureau d’évaluation médicale peut être appelé à utiliser son pouvoir discrétionnaire, cela ne lui permet pas de se prononcer à nouveau sur le diagnostic ou autres sujets alors qu’un autre membre du Bureau d’évaluation médicale a déjà exercé ce pouvoir en regard du même événement, d’autant plus s’il ne s’agit pas d’un diagnostic évolutif ou que le dossier ne contient aucun élément nouveau. Suivant cette jurisprudence, la seconde procédure d’évaluation médicale serait irrégulière.
[25] A contrario, le tribunal a déjà déclaré que la CSST pouvait, malgré une décision rendue à la suite d’un avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale sur un diagnostic, statuer à nouveau sur la relation entre un diagnostic dit évolutif et l’événement et qu’elle devait le faire[5] puisque la condition du travailleur devenait toute autre.
[26] Prenant en considération cette jurisprudence en la matière et afin de répondre à la question posée, le tribunal estime qu’il est plus qu’approprié de revoir, étape par étape, la procédure d’évaluation médicale du présent dossier et en tirer les conclusions juridiques et médicales qui s’imposent.
La procédure d’évaluation médicale est-elle régulière ?
[27] C’est la première question à laquelle doit répondre le tribunal. Dans le présent dossier, le tribunal doit constater que la seconde procédure d’évaluation médicale, initiée par l’employeur le 23 septembre 2005, demeure régulière, et ce, même si elle fut entreprise après le désistement, produit par l’employeur le 29 juin 2005, à l’encontre d’une décision rendue en révision administrative portant sur un premier avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale reconnaissant un diagnostic de tendinite traumatique de l’épaule gauche à titre de lésion professionnelle.
[28] Le tribunal convient, comme le soumet le procureur de l’employeur, que l’ajout par le médecin qui a charge d’un diagnostic de bursite sous-acromiale sous-deltoïdienne à l’épaule gauche à compter du 5 mai 2005, lequel ne figurait aucunement au dossier auparavant, justifie que l’employeur puisse en contester la validité par la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi.
[29] Rappelons que l’article 212 de la loi ne requiert de l’employeur que l’obtention, par un professionnel de la santé, d’un rapport qui infirme les conclusions du médecin qui a charge quant à un sujet prévu à cet article, et ce, après avoir examiné un travailleur[6]. Cet article s’énonce ainsi :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[30] Dans le présent dossier, le docteur Forget, médecin qui a charge, retient à compter du 5 mai 2005 un diagnostic de bursite sous-acromiale sous-deltoïdienne à la suite d’une résonance magnétique réalisée le 26 avril 2005. Or, le docteur Beauchamp, qui examine la travailleuse le 23 septembre 2005 pour le compte de l’employeur, ne retient pas ce diagnostic, considérant qu’il s’agit plutôt d’une tendinopathie radiologique.
[31] Il s’ensuit, considérant que le docteur Forget maintient dans son Rapport complémentaire le diagnostic de bursite, que la CSST doit soumettre ces rapports au Bureau d’évaluation médicale, comme le prévoient les articles 212.1 et 217 de la loi :
212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
__________
1997, c. 27, a. 5.
217. La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.
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1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.
[32]
Cette procédure, étant respectée d’un point de vue médical, est
également régulière au plan juridique. Il n’est aucunement plaidé qu’une
erreur aurait été commise de la part de la CSST[7], qu’un délai n’a pas été
respecté[8], qu’un examen de la
travailleuse n’a pas eu lieu[9], que le médecin qui a
charge n’a pas produit de Rapport complémentaire[10]
ou qu’il y a eu l’assentiment de la part du médecin qui a charge sur le
diagnostic retenu par le médecin de l’employeur[11],
conditions qui, selon les circonstances, sont reconnues par la jurisprudence
pour invalider la procédure d’évaluation médicale.
[33] Le membre du Bureau d’évaluation médicale, en l’occurrence la docteure Desloges, devait donc se saisir et disposer de l’existence ou non du diagnostic de bursite sous-acromiale sous-deltoïdienne émis par le médecin qui a charge, diagnostic contesté par le médecin de l’employeur.
[34] C’est ce que la docteure Desloges fait dans son rapport produit le 13 décembre 2005, à la suite de son examen de la travailleuse le 5 décembre 2005. La docteure Desloges discute des examens des docteurs Forget et Beauchamp et tient compte des examens radiologiques pour conclure en l’absence clinique d’une bursite et d’une capsulite, diagnostic également retenu par le docteur Forget, soulignant une incompatibilité de ce dernier diagnostic avec les amplitudes articulaires retrouvées. Elle rejette également le diagnostic de tendinopathie radiologique de l’épaule gauche, retenu par le docteur Beauchamp, retrouvant un léger accrochage persistant lors de son examen.
[35]
La situation particulière du présent dossier se distingue nettement de
la cause Centre de soins prolongés de Montréal et Deokie ou de l’affaire Controlnet et
Service d'entretien d'immeubles inc. et Martin préalablement
discutées[12], considérant
que l’ajout d’un nouveau diagnostic par le médecin qui a charge permet, de
l’avis du soussigné,
d’enclencher une nouvelle procédure d’évaluation médicale afin de déterminer
s’il y a lieu de retenir ou non ce nouveau diagnostic, comme il en a été jugé
ci-dessus.
[36] Dès lors, une seconde question surgit : considérant la décision rendue en révision administrative par la CSST et devenue finale par le désistement de l’employeur à la Commission des lésions professionnelles, laquelle retient un diagnostic de tendinite traumatique de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche, la docteure Desloges pouvait-elle se prononcer à nouveau sur ce diagnostic ou ne devait-elle que s’en tenir au rejet ou à l’acceptation des diagnostics proposés ? En d’autres mots, la docteure Desloges pouvait-elle utiliser son pouvoir discrétionnaire pour émettre son opinion au-delà de la contradiction sur l’existence du diagnostic de bursite et se prononcer à nouveau sur le diagnostic de tendinite ?
Le pouvoir discrétionnaire du membre du Bureau d’évaluation médicale
[37] La loi prévoit qu’un membre du Bureau d’évaluation médicale dispose d’un tel pouvoir, conformément aux dispositions prévues au second alinéa de l’article 221 qui mentionne ce qui suit :
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujet même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
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1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
[38] Selon certaines décisions du tribunal, le membre du Bureau d’évaluation médicale peut se prononcer en tout temps et sur tous les aspects médicaux mentionnés à l’article 212 de la loi[13], selon une interprétation littérale du second alinéa de l’article 221 de la loi.
[39] Récemment, la portée de cet article a fait l’objet d’interprétations de la part du tribunal. Dans la cause Bas de nylon Doris ltée et Iadinardi[14], la Commission des lésions professionnelles, après une revue de la jurisprudence, énonçait le principe que :
[66] Le fait d’ajouter « même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l’employeur ou la Commission ne s’est pas prononcé relativement à ce sujet » n’a pas pour effet de limiter la généralité de ce qui précède et qui stipule que le membre du Bureau d’évaluation médicale peut, s’il l‘estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets. Pour donner à cet article le sens que l’on veut lui donner, à savoir que ce pouvoir ne pourrait être utilisé que lorsque les médecins précédemment énumérés ne se seraient pas prononcés, il aurait fallu utiliser les mots «lorsque » ou «seulement» à la place du mot «même» qui a été choisi.
[67] De plus, l’interprétation plus large à laquelle souscrit la soussignée, s’inscrit davantage dans le rôle qui est dévolu au membre du Bureau d’évaluation médicale de donner un avis éclairé et motivé. Les articles 219 et 220 de la loi permettent au membre désigné du Bureau d’évaluation médicale d’obtenir toutes les informations médicales pertinentes. Il est précisé que le dossier médical complet doit être transmis, ce qui implique parfois des informations médicales nouvelles. Il peut même requérir des informations médicales additionnelles s’il le juge à propos. Il peut arriver que des documents médicaux postérieurs à un rapport complémentaire soient disponibles et qu’il puisse être approprié de se prononcer alors sur la question du diagnostic, par exemple, lorsqu’il est évolutif.
[68] Cependant, la soussignée souscrit aussi au principe de la primauté de l’opinion du médecin traitant dans la loi, principe qui est d’ailleurs largement invoqué à l’appui de la première interprétation8. Ainsi, lorsqu’il n’y a aucun désaccord ni controverse ou questionnement entre l’opinion du médecin traitant et celle du médecin de l’employeur sur un sujet de l’article 212 de la loi, on peut questionner l’utilité et l’opportunité du membre du Bureau d'évaluation médicale de donner son avis sur un sujet qui fait l’unanimité et qui n’est pas controversé. C’est ici que prennent tout leur sens les termes « lorsqu’il l’estime approprié » prévus à l’article 221 de la loi.
__________
8 Précitées, note 4
[40] Dans la cause Fraser et Laurin Laurin (1991) inc.[15], le tribunal pousse plus loin la réflexion. Ainsi s’exprime la Commission des lésions professionnelles :
[33] La modification législative apportée à l'article 221 implique donc que le membre du Bureau d'évaluation médicale peut dorénavant se prononcer sur un sujet même en l'absence d'un désaccord opposant ces médecins.
[34] C'est la raison pour laquelle le tribunal ne souscrit pas à la thèse selon laquelle le membre du Bureau d'évaluation médicale ne peut se prononcer lorsqu'il y a absence de litige qui oppose les médecins sur un sujet donné.
[35] Toutefois, le présent tribunal considère que les termes « lorsqu'il l'estime approprié » utilisés par le législateur au deuxième alinéa de l'article 221 de la loi ont pour effet de circonscrire le cadre dans lequel le membre du Bureau d'évaluation médicale peut dorénavant intervenir.
[36] En effet, à l'instar de la Commission des lésions professionnelles dans l'affaire Bas de nylon Doris ltée et Ladinardi , le présent tribunal estime qu'en raison du principe de la primauté de l’opinion du médecin qui a charge qui prévaut dans la loi, lorsqu’il n'existe aucun désaccord entre l’opinion du médecin qui a charge et celle du professionnel de la santé désigné par l'employeur ou du professionnel de la santé désigné par la CSST quant à l'un des sujets mentionnés à l’article 212 de la loi, il y a lieu de questionner l’intérêt et la pertinence d'émettre un avis sur ce sujet.
[37] Le tribunal estime qu'il s'agit là de la raison pour laquelle le législateur apporte une nuance à l'intervention permise par le membre du Bureau d'évaluation médicale en introduisant les termes « lorsqu’il l’estime approprié » au deuxième alinéa de l'article 221, assurant ainsi qu'une telle intervention du membre du Bureau d'évaluation médicale soit « appropriée » aux circonstances.
[38] Ainsi, lorsque la Commission des lésions professionnelles est saisie d'une décision qui entérine un avis du membre du Bureau d'évaluation médicale qui est rendu dans de telles circonstances, comme c'est le cas en l'espèce, il y a lieu d'évaluer si l'intervention du membre du Bureau d'évaluation médicale est appropriée.
(Nos soulignements)
[41] Le soussigné partage cette approche exprimée dans la cause Fraser et Laurin Laurin (1991) inc. et reprise récemment dans l’affaire Allen et Les Entreprises électriques Pierre Sicotte inc.[16]. Le tribunal considère qu’il y a lieu d’examiner les circonstances qui ont amené la docteure Desloges à statuer sur le diagnostic de la lésion, considérant que le docteur Bourdua avait déjà retenu un diagnostic en rapport avec l’événement survenu en août 2004.
[42] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles conclut que la docteure Desloges pouvait utiliser ce pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 221 de la loi puisque les circonstances s’y prêtaient.
[43]
En effet, le docteur Bourdua, lors de son examen de la travailleuse le
11 janvier 2005 à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale, ne
disposait pas des résultats provenant des deux résonances magnétiques ou de
l’échographie de l’épaule gauche. Le diagnostic retenu par le docteur Bourdua
se basait sur un examen
clinique positif pour une tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule
gauche. Par ailleurs, le docteur Bourdua recommandait une échographie ou une
résonance magnétique de cette épaule dans le but de compléter le bilan
lésionnel.
[44] À la suite d’une première résonance magnétique, il appert que cet examen confirmait une condition de tendinopathie du sus-épineux avec déchirure, ce que ne confirmait pas une seconde résonance magnétique effectuée trois mois plus tard en vue de documenter une bursite probable. Ce n’est qu’à l’échographie réalisée le 24 mai 2005 qu’il est révélé un petit foyer hypoéchogène intra-tendineux compatible avec une tendinopathie versus une petite zone de déchirure intra-tendineuse. Par cette controverse, la docteure Desloges se devait alors de préciser si la tendinite de l’épaule gauche constituait toujours le diagnostic à retenir pour l’épaule gauche.
[45] Il en découle que la docteure Desloges, face à ces circonstances nouvelles, pouvait utiliser son pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 221 de la loi pour éclaircir, en fonction des nouvelles données médicales du dossier, le diagnostic à retenir à l’épaule gauche. Écartant tout autre diagnostic émis (tendinopathie, bursite, capsulite), la docteure Desloges maintiendra un diagnostic de tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche.
[46] Le soussigné a déjà statué dans la cause Morin et José & Georges inc.[17] que :
[49] En effet, le deuxième alinéa de l’article 221 de la loi est bien précis à cet égard. Il y est mentionné que le membre du Bureau d'évaluation médicale peut donner son avis relativement à chacun des sujets même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l’employeur ou la Commission ne s’est pas prononcé relativement à ce sujet. Or, dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles constate que, et le médecin désigné par la Commission et le médecin qui a charge se sont prononcés sur le sujet. Ils se sont prononcés d’autant plus qu’ils sont également en parfaite harmonie quant aux conclusions médicales à retenir eu égard à l’existence et à la détermination de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il ne devenait pas du ressort du membre du Bureau d'évaluation médicale de substituer alors son opinion dans une telle situation.
[47] Toutefois, dans le présent dossier, la présence de faits nouveaux, dont l’ajout d’un nouveau diagnostic par le médecin qui a charge, fait en sorte, puisqu’il y avait un nouveau litige concernant le diagnostic, qu’il y avait lieu pour la docteure Desloges d’utiliser son pouvoir discrétionnaire, considérant une possible discordance entre les tests radiologiques, et de donner son avis sur la présence d’une tendinite de l’épaule gauche puisque cela était alors approprié.
[48] Ce faisant, la CSST, en vertu de l’article 224.1 de la loi, devenait liée par ce diagnostic et devait rendre une décision en conséquence comme le mentionne cet article :
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
__________
1992, c. 11, a. 27.
L’effet de remplacement par la décision rendue à la suite d’un avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale
[49] Subsiste la troisième question : la CSST devait-elle se prononcer à nouveau sur la relation entre un diagnostic de tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche et l’événement, sachant que le diagnostic de tendinite traumatique de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche constituait déjà une lésion professionnelle à la suite du désistement produit par l’employeur de sa requête à la Commission des lésions professionnelles, le 29 juin 2005, de sa requête à l’encontre de la décision rendue en révision administrative le 16 mars 2005.
[50] La CSST, dans sa seconde décision rendue en révision administrative le 7 février 2006, déclare, avec raison, sans objet la demande de révision de l’employeur concernant le diagnostic d’entorse dorsale, ce qui n’est pas contesté par les parties. Toutefois, elle ne semble pas s’être posé la question relativement à la reconnaissance antérieure de la pathologie présente à l’épaule. La CSST confirme simplement la relation entre le diagnostic retenu de tendinite du sus-épineux et l’événement.
[51] Il est de jurisprudence majoritaire du tribunal, à la suite d’un avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale portant sur le diagnostic, que la décision rendue en vertu de l’article 224.1 remplace la décision initiale d’admissibilité, sauf s’il s’agit du même diagnostic émis par le médecin qui a charge et qui a fait l’objet de l’admissibilité de la réclamation par la CSST[18].
[52] Cette théorie du remplacement dit « complet » a fait l’objet d’une revue jurisprudentielle exhaustive dans deux décisions récentes[19] dans lesquelles il est réitéré que ce courant demeure plus que majoritaire et qu’il y a lieu d’y adhérer.
[53] Par ailleurs, une brève revue des décisions récentes[20] rendues en la matière par le tribunal confirme ce courant fortement majoritaire, le courant voulant que la décision de la CSST faisant suite à un avis du Bureau d’évaluation médicale qui modifie le diagnostic de la lésion ne remplace pas la décision initiale d’admissibilité (nommé parfois remplacement partiel) demeurant minoritaire[21].
[54]
Le tribunal ne voit aucune raison voulant qu’il doive modifier cette
approche majoritaire auquel il adhère et, en ce sens, maintient que s’il y a
une modification du
diagnostic effectuée par un membre du Bureau d’évaluation médicale, il s’ensuit
qu’en vertu de l’article 224.1, la CSST doit rendre une nouvelle décision et
que celle-ci remplace la décision initiale d’admissibilité si une telle décision
a déjà été émise. Par ailleurs, si le diagnostic du médecin qui a charge qui a
donné lieu à la décision d’admissibilité est maintenu, il n’y a pas de
remplacement puisqu’il n’y a pas lieu de modifier les conclusions juridiques
d’un diagnostic déjà reconnu à titre de lésion professionnelle. D’ailleurs
dans un récent jugement, la Cour supérieure[22] mentionne que
l’application de cette théorie du remplacement ne comporte aucune erreur de
droit manifeste et déterminante, estimant qu’il n’est pas opportun pour la Cour
d’intervenir dans ce débat.
[55] Parvenant à cette conclusion, la Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si la décision rendue par la CSST initialement le 1er février 2005 et qui, en l’instance, faisait suite à un avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale sur le diagnostic de tendinite traumatique de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche, décision maintenue en révision administrative et contestée par l’employeur qui a produit un désistement à la Commission des lésions professionnelles, est remplacée par celle rendue initialement le 20 décembre 2005 et qui a été confirmée en révision administrative le 7 février 2006, dont est actuellement saisi le tribunal.
[56] Pour répondre à cette question, le tribunal doit d’abord décider s’il s’agit des mêmes diagnostics.
[57] De prime abord, le tribunal serait tenté de répondre immédiatement par l’affirmative. En effet, qu’elle est la différence entre un diagnostic de tendinite traumatique de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche et celui de tendinite du sus-épineux, sachant pertinemment par sa connaissance médicale d’office que le sus-épineux est un tendon constituant cette coiffe des rotateurs ?
[58] Le procureur de l’employeur argumente que le vocable « traumatique » retenu par le docteur Borduas fait en sorte qu’il ne s’agit pas du même diagnostic retenu par la docteure Desloges, l’un découlant d’un fait accidentel précis, alors que le second signe plutôt une pathologie chronique.
[59] Le tribunal estime que cet argument ne peut être retenu, considérant qu’il ne s’agit pas d’une différence anatomophysiologique, mais bien d’une étiologie différente qui n’a aucune connotation médicale. Il s’agit certes d’une différence juridique, mais non médicale. Il n’existe pas médicalement parlant de tendinite traumatique ou chronique, ces vocables faisant plutôt appel à la nature des faits pour expliquer la survenance de la pathologie que d’une différence d’entité médicale.
[60] Dans les faits, même si un test permettait, par sa nature, de qualifier une tendinite de traumatique ou de chronique, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit fondamentalement et médicalement d’une atteinte d’une même structure quelle que soit son origine ou son stade clinique.
[61] Cet argument de l’employeur est ainsi rejeté.
[62] Par ailleurs, l’on pourrait arguer l’imprécision diagnostique du vocable « coiffe des rotateurs » en opposition à celui de « sus-épineux » pour plaider qu’il ne s’agit peut-être pas de la même entité physiologique, la coiffe des rotateurs étant composée de divers tendons.
[63] Une lecture attentive des examens conduits par le docteur Bourdua en comparaison avec ceux réalisés par la docteure Desloges ne permet pas de conclure qu’il s’agit de deux diagnostics différents, mais plutôt en l’espèce du même diagnostic. La tendinite dont fait mention le docteur Bourdua dans ses conclusions demeure localisée au tendon sus-épineux.
[64] Le docteur Bourdua retrouvait des tests d’accrochage sous-acromial à l’épaule gauche positifs (tests de Neer et de Hawkins) alors que les épreuves pour vérifier le tendon bicipital (manœuvres de Speed et de Yergason) sont négatives. Une manœuvre de Yocum, vérifiant l’accrochage s’avère négative. La docteure Desloges retrouve les mêmes constats (tests de Neer et de Hawkins positifs, test de Speed et Yergason négatifs). La manœuvre de Yocum est également négative mais celle de Jobe, plus spécifique pour le sus-épineux, s’avère positive.
[65] La Commission des lésions professionnelles conclut ainsi qu’en retenant le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs, le docteur Bourdua englobait le tendon du sus-épineux que la docteure Desloges n’a fait que confirmer, en ayant en main, entre autres, les tests radiologiques démontrant le site de la déchirure, soit au sus-épineux. Il s’agit dans les faits d’un seul et même diagnostic.
[66] En venant à cette conclusion, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST ne pouvait, dès lors, statuer à nouveau sur la relation entre le diagnostic de tendinite du sus-épineux et l’événement, puisqu’elle s’était déjà prononcée antérieurement sur cet aspect du dossier. La décision rendue à la suite de l’avis de la docteure Desloges portant sur le diagnostic de tendinite du sus-épineux, bien que liant la CSST au plan médical, ne remplace pas celle initialement rendue à la suite de l’avis rendu par le docteur Bourdua le 1er février 2005 et qui fut confirmée en révision administrative le 16 mars 2005 et pour laquelle l’employeur a produit un désistement à la Commission des lésions professionnelles le 29 juin 2005. Cette décision devient donc finale et sans appel.
[67] La Commission des lésions professionnelles n’a donc pas la compétence nécessaire pour remettre en question la relation entre le diagnostic déjà reconnu à titre de lésion professionnelle de tendinite de l’épaule gauche du sus-épineux et l’événement survenu le 22 août 2004. Cet aspect du dossier est déjà jugé.
[68] Le tribunal accueille ainsi le moyen préalable soulevé par le procureur du travailleur et déclare irrecevable la requête déposée par l’employeur le 1er mars 2006 à l’encontre de la décision rendue par la CSST en révision administrative le 7 février 2006 concernant sa demande voulant que la tendinite de l’épaule gauche ne constitue pas une lésion professionnelle.
[69] La Commission des lésions professionnelles conclut que le diagnostic de tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche constitue ainsi une lésion professionnelle découlant de l’événement survenu le 22 août 2004.
[70] Puisqu’aucune autre demande n’est formulée par l’employeur touchant les autres conclusions médicales retenues par la docteure Desloges, la décision rendue par la CSST en révision administrative le 7 février 2006 est donc reconduite sur les autres aspects touchant la date de consolidation, la suffisance des soins et des traitements, l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
296057-64-0607
[71] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si la travailleuse est victime d’une lésion professionnelle survenue le 25 mars 2006.
[72] La lésion professionnelle est ainsi définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[73] Selon le témoignage de la travailleuse, celle-ci a repris son emploi habituel, le 24 mars 2006, à la suite de la décision rendue par la CSST le jour même la déclarant capable d’occuper son emploi, malgré les limitations fonctionnelles retenues par la docteure Desloges, membre du Bureau d’évaluation médicale en décembre 2005. La travailleuse explique avoir reçu un appel téléphonique de la CSST le 23 mars 2006, l’avisant de la situation.
[74] Il importe de souligner que la docteure Desloges retenait comme limitation fonctionnelle ce qui suit :
Elle doit éviter les gestes répétitifs au-dessus de l’horizontale avec le membre supérieur gauche.
[75] La CSST avait demandé à madame Tremblay, ergothérapeute, une évaluation du poste de travail prélésionnel de la travailleuse en relation avec la limitation fonctionnelle retenue par la docteure Desloges.
[76] Dans son rapport du 22 mars 2006, madame Tremblay explique que la travailleuse occupe un poste de préposé à l’urgence dans le secteur non ambulatoire, lequel accueille en moyenne 65 bénéficiaires par 24 heures. Sa tâche consiste à répondre aux besoins primaires de la clientèle (salle de bain, repas, confort, etc.). La travailleuse peut être appelée à la salle de traumatologie pour effectuer des transferts en équipe avec le personnel soignant. Il n’y a pas de routine de travail, c’est-à-dire de tâches spécifiques inscrites dans un déroulement temporel, d’où une grande variabilité dans le travail. Après étude du poste, madame Tremblay conclut :
En somme, bien que l’environnement et la nature du travail du préposé peuvent impliquer à l’occasion d’élever obligatoirement l’épaule gauche au-delà de 90° d’amplitude, il est clair que ce segment ne sera jamais mobilisé de façon répétée au-dessus de l’horizontal.
Effectivement, le travail du préposé à l’urgence est un travail très dynamique et varié où les tâches s’inscrivent dans un cycle de travail qui se déroule tout au long de la journée de travail. Tel que nous l’avons décrit au point 4.1, la notion de « gestes répétitifs » fait référence à une invariabilité de la tâche et lorsque les activités de travail sont réalisées à l’intérieur d’un cycle de travail qui est court, ce qui n’est pas le cas dans le poste étudié. Le cycle de préposé à l’urgence ne peut imposer que l’épaule gauche soit contrainte d’exécuter successivement un mouvement d’élévation au-delà de 90°, sans alternance avec une position de repos ou avec l’exécution d’un autre mouvement.
[77] Lors de son retour au travail de préposée aux bénéficiaires, la travailleuse explique que sa condition physique était stable, mais avec un fondement de douleur. Elle œuvre sur l’horaire de soir (16 h à minuit), pour une durée de trois jours.
[78] Le 24 mars 2006, elle indique qu’il y a eu plusieurs transferts de patients à effectuer et qu’elle a été seule pour sept patients, alors qu’habituellement, elles sont deux pour ces manœuvres, considérant qu’ils sont survenus durant l’heure du souper de sa collègue. Ce travail exige, pour transférer le patient de la civière au lit, qu’elle doive allonger les bras pour saisir le piqué et le tirer vers elle pour favoriser le transfert.
[79] Le 25 mars 2006, cette situation s’est répétée alors qu’elle a transféré seule six patients. La travailleuse explique de plus que, pour un patient très obèse et incontinent, elle a dû le changer seule. Durant cette tâche, elle devait le tourner, tirer sur son piqué et le tenir d’une main pour, par la suite, le retourner de l’autre côté pour changer le piqué. Elle n’a été aidée que de la fille du bénéficiaire qui ne savait quoi faire.
[80] Le 26 mars 2006, la travailleuse, n’étant pas certaine de terminer son quart de travail, considérant une forte augmentation de ses douleurs à l’épaule gauche, s’inscrit sur l’équipe volante, laquelle effectue du travail plus léger.
[81] Elle consulte le docteur Forget le 28 mars 2006. Celui-ci retient un diagnostic de tendinite de l’épaule gauche et de bursite sous-deltoïdienne et procède à une infiltration, indiquant qu’il s’agit d’une rechute. Ces diagnostics seront continuellement retenus par le docteur Forget tout au cours du dossier.
[82] Le 29 mars 2006, le docteur Asselin, médecin de l’employeur, examine la travailleuse. Le docteur Asselin retient un diagnostic de péritendinite de l’épaule gauche (récidive) qui, selon la travailleuse et son médecin, n’aurait jamais été consolidée. Il demeure d’avis que la travailleuse fait indirectement, par cette réclamation, une contestation de son retour à son travail prélésionnel. Il inscrit aux notes médico-administratives que c’est une récidive pure, car il s’agit des mêmes douleurs au même site. La travailleuse effectuait son travail normal alors que les douleurs ont repris le 24 mars 2006 après sept transferts. Le docteur Asselin mentionne que la travailleuse fait part de sa connaissance et de sa croyance de la nécessité d’une chirurgie.
[83] Le 31 juillet 2006, le docteur Blanchette, orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de l’employeur. Il retient un diagnostic de tendinopathie de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche avec composante de capsulite, la lésion n’étant pas consolidée.
[84] Le 25 octobre 2006, le docteur Taillefer produit une expertise pour le compte de la travailleuse. Il est d’avis que le diagnostic demeure celui de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche assimilable à celui de syndrome d’accrochage qui est conforme avec le fait accidentel du 22 août 2004, mais avec une exacerbation lors du retour au travail constituant une rechute précoce.
[85] Le 1er novembre 2006, la travailleuse subit une chirurgie, soit une « acromioplastie par scopie épaule gauche et arthroscopie gléno-humérale de l’épaule gauche », réalisée par la docteure Vézina, chirurgienne-orthopédiste, à la suite de laquelle elle se dit nettement améliorée.
[86] Le 27 décembre 2006, la CSST reconnaît un lien entre une tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche avec accrochage survenue le 1er novembre 2006 et la lésion professionnelle initiale du 22 août 2004. Cette décision est contestée par l’employeur le 10 janvier 2007.
[87] Pour le procureur de l’employeur, la travailleuse n’a fait qu’accomplir sa tâche habituelle qui n’est pas à l’encontre des limitations fonctionnelles retenues par la docteure Desloges. La travailleuse a également admis sa capacité à exercer son emploi par son désistement de la contestation portant sur cet aspect du dossier, justifiant ainsi les conclusions retenues par l’ergothérapeute. Il se réfère à l’examen du docteur Asselin du 29 mars 2006 pour conclure en l’absence de récidive, rechute ou aggravation.
[88] Pour le procureur de la travailleuse, celle-ci a dû utiliser de façon plus importante son membre supérieur gauche et il en est résulté une exacerbation de douleurs. Même si la lésion est consolidée juridiquement en date du 23 septembre 2005, il y a un suivi médical continu depuis cette date. Il se réfère à l’opinion exprimée par le docteur Blanchette et celle du docteur Taillefer pour conclure en une relation plus que probable entre la condition de la travailleuse en mars 2006 et la lésion professionnelle initiale.
[89] À l’encontre de l’argument voulant que la travailleuse accomplisse son travail normal, le tribunal constate que la travailleuse précise dans le temps et dans l’espace un événement particulier survenu le 25 mars 2006. C’est en manipulant seule un patient particulièrement lourd qu’elle ressent immédiatement une vive douleur à l’épaule gauche.
[90] La Commission des lésions professionnelles constate que dans la note médicale du 28 mars 2006 du docteur Forget, celui-ci inscrit que le 25 mars 2006 la travailleuse a forcé auprès d’un bénéficiaire d’un poids d’environ 240 livres, qu’elle fut aidée par la fille de ce dernier pour le déplacer et, qu’en le remontant dans son lit, elle aurait ressenti un « clic » dans la partie supérieure de l’épaule et qu’après, elle avait de la difficulté à mobiliser son membre supérieur gauche. Dans sa note du 31 mars 2006, le docteur Forget mentionne une augmentation de la douleur à la mobilisation, inscrivant une aggravation d’un état préexistant. Il constatait également une atrophie du deltoïde gauche.
[91] Le 26 mars 2006, la travailleuse remplit une Déclaration d’accident du travail, avisant son employeur et mentionnant avoir changé un patient incontinent qui attendait depuis deux heures qu’elle puisse le changer et le remonter dans son lit. La travailleuse mentionne avoir eu une douleur aiguë, un engourdissement et un « déclic » survenu au membre supérieur gauche.
[92] Dans une note du 28 mars 2006 adressée à la direction des Ressources humaines de l’employeur, la travailleuse explique avoir dû, étant seule, installer un patient, le tourner, changer les piqués souillés, étant aidée par un membre de la famille qui ne savait cependant pas comment faire. La travailleuse mentionne avoir dû forcer davantage et, à ce moment, avoir ressenti une douleur aiguë, avec engourdissement et un « déclic » à l’épaule gauche.
[93] L’examen du docteur Asselin, du 29 mars 2006, démontre une diminution dans les amplitudes articulaires de l’épaule gauche, notamment en abduction et en élévation antérieure, en comparaison avec celles retrouvées par la docteure Desloges lors de son examen du 5 décembre 2005. Il en est de même pour les mesures d’abduction et d’élévation antérieure rapportées par le docteur Blanchette le 31 juillet 2006. Le docteur Forget retrouvait également, le 28 mars 2006, une abduction nettement diminuée.
[94] Bien qu’il puisse être possible que l’événement survenu le 25 mars 2006 ne soit pas susceptible en lui-même de causer la lésion diagnostiquée et, de ce fait, ne saurait constituer un accident du travail, et considérant la condition préexistante et démontrée de la travailleuse, il demeure qu’il y a eu à ce moment une recrudescence au travail de la symptomatologie de la travailleuse, comme en font foi les notes médicales contemporaines. En ce sens, il pourrait s’agir d’une récidive, rechute ou aggravation.
[95] La loi ne définit aucunement les notions de récidive, rechute ou aggravation. La jurisprudence reconnaît qu’il y a lieu de retenir le sens courant de ces termes soit : une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes[23]. Aussi, la jurisprudence stipule qu’il y a lieu d’établir, par une preuve prépondérante, que la récidive, rechute ou aggravation est reliée à l’événement d’origine, que cette relation ne peut être présumée, que le témoignage du travailleur est insuffisant pour l’établir à lui seul alors qu’une preuve médicale est nécessaire[24].
[96] Pour y arriver, la jurisprudence identifie certains paramètres qui permettent de déterminer l’existence d’une telle relation : la gravité de la lésion initiale ; la continuité de la symptomatologie ; l’existence ou non d’un suivi médical ; le retour au travail avec ou sans limitation fonctionnelle ; la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ; la présence ou l’absence d’une condition personnelle ; la compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale ; le délai entre la récidive, rechute ou aggravation et la lésion initiale. Aucun de ces paramètres n’est à lui seul décisif mais, pris ensemble, ils peuvent permettre de décider du bien-fondé de la réclamation[25].
[97] La Commission des lésions professionnelles constate que les médecins qui ont examiné la travailleuse ont tous noté une diminution dans les amplitudes articulaires de l’épaule gauche touchant l’abduction et l’élévation antérieure.
[98] Le docteur Blanchette et le docteur Taillefer établissent une relation directe entre la symptomatologie de la travailleuse en date du 25 mars 2006 et l’événement initial survenu le 22 août 2004. Il s’agit des mêmes symptômes, au même site, et la travailleuse a toujours eu un suivi médical constant jusqu’à son retour au travail.
[99] Ainsi s’exprime le docteur Taillefer :
L’événement rapporté le 25 mars 2006 constitue définitivement une RRA reliée directement à l’événement du 22 août 2004. Il y a eu continuité évolutive d’une lésion survenant au même siège anatomique et avec les mêmes diagnostics. Il y a eu évidence d’une exacerbation et détérioration de la condition, puisque le DR Forget a recommandé, le 28 mars 2006, l’arrêt de travail et la physiothérapie, et il a procédé d’emblée à une infiltration cortisonée. Par ailleurs, l’évolution défavorable de la condition de cette patiente rend l’indication chirurgicale nécessaire, tel qu’exposé par le Dr Blanchet en expertise en tel que recommandé par le Dr Vézina, orthopédiste traitante.
Les efforts de transfert d’environ 13 patients que Mme Baldi a faits les 24 et 25 mars 2006 impliquaient, selon ses démonstrations, des élévations prolongées et avec efforts contre résistance significative, à des angles de 90° ou plus, et cela a fort probablement exacerbé la tendinopathie persistante de la coiffe des rotateurs de son épaule gauche. Le tout a culminé lors des efforts pour déplacer un patient pesant plus de 200 lb, avec l’aide de la fille de ce dernier, ce qui a obligé Mme Baldi à des efforts encore plus importants, dans des postures contraignantes, avec l’épaule gauche déjà fragilisée par les 2 journées de travail qu’elle venait d’accomplir. [sic]
[100] Le tribunal estime que la preuve médicale prépondérante, les faits décrits lors du retour au travail aux dates du 24 et 25 mars 2006 et les évaluations médicales contemporaines des docteurs Forget, Asselin et Blanchette confirment que la condition pathologique de la travailleuse, le 28 mars 2006, s’était dégradée et que cette dégradation relève directement des conséquences de la lésion professionnelle initiale survenue à la travailleuse.
[101] Dès lors, la travailleuse a démontré avoir été victime d’une lésion professionnelle survenue le 25 mars 2006, soit une récidive, rechute ou aggravation.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
283760-64-0603
ACCUEILLE le moyen préalable soulevé par le procureur de madame Nadia Baldi ;
DÉCLARE irrecevable la requête déposée par Hôpital Sacré-Cœur de Mtl-Qvt, le 1er mars 2006, à l’encontre de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en révision administrative le 7 février 2006, voulant que la tendinite de l’épaule gauche ne constitue pas une lésion professionnelle ;
REJETTE la requête déposée par Hôpital Sacré-Cœur de Mtl-Qvt ;
CONFIRME les autres conclusions médicales et juridiques mentionnées dans la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en révision administrative le 7 février 2006 ;
DÉCLARE que la tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche est consolidée le 23 novembre 2005 ;
DÉCLARE que la tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles ;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité de madame Nadia Baldi d’exercer son emploi, étant donné que la lésion est consolidée avec des limitations fonctionnelles ;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit cesser de payer les soins et traitements puisqu'ils ne sont plus justifiés ;
DÉCLARE que madame Nadia Baldi a droit à une indemnité pour préjudice corporel, étant donné la présence d’une atteinte permanente ;
DÉCLARE que le pourcentage d’atteinte permanente est de 6,90 % et donne droit à une indemnité pour préjudice corporel de 4 938,05 $ ;
296057-64-0607
ACCUEILLE la requête déposée par madame Nadia Baldi ;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 juillet 2006, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE madame Nadia Baldi est victime, le 25 mars 2006, d’une lésion professionnelle ;
DÉCLARE que madame Nadia Baldi n’a pas à rembourser à la Commission de la santé et de la sécurité du travail la somme de 509,18 $, puisqu’elle a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Robert Daniel |
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Commissaire |
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Me Jean Beauregard |
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Lavery, de Billy, avocats |
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Représentant de l’employeur |
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Me Denis Mailloux |
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C.S.N. |
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Représentant de la travailleuse |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Therrien et Société des alcools du Québec, [1995] C.A.L.P. 986 .
[3] Centre de soins prolongés de Montréal et Deokie, C.L.P 125470-71-9910, 22 septembre 2000, M. Zigby
[4] Controlnet et Service d'entretien d'immeubles inc. et Martin, C.L.P. 162889-07-0105, 10 juillet 2003, M. Langlois
[5] Recouvrements Métalliques Buissières ltée et Boucher [2006], C.L.P. 240
[6] Société canadienne des postes c. CALP, [1990] C.A.L.P. 1072 (C.S.) ; Lévesque et S.T.C.U.M., C.A.L.P. 07052-60-8803, 2 novembre 1990, S. Moreau, (J2-19-27) ; Meilleur et Ville de Saint-Hubert, C.A.L.P. 10406-62-8812, 8 mai 1991, S. Moreau ; Somavrac inc. et Hébert, 180846-04-0203, 24 avril 2003, J.-F. Clément.
[7] Roudenko et Korum Design inc., C.L.P. 103460-72-9807, 26 mai 1999, L. Boudreault, (99LP-58) ; Sanchez et Service de main-d'oeuvre Président, C.L.P. 253136-71-0501, 16 juin 2006, F. Juteau.
[8] Pilon et La Pâtisserie de Gascogne inc., C.L.P.133316-64-0003, 1er octobre 2001, F. Poupart ; Supermétal inc. et Guay, C.L.P.292923-03B-0606, 25 septembre 2006, P. Brazeau, (06LP-113).
[9] Alarie et Gamebridge inc., [1994] C.A.L.P. 1410 , révision rejetée, [1994] C.A.L.P. 1398 , requête en révision judiciaire rejetée, [1994] C.A.L.P. 1759 (C.S.) ; Commission scolaire des Mille-Iles et Robillard, [1995] C.A.L.P. 139 , requête en révision judiciaire rejetée, [1995] C.A.L.P. 440 (C.S.) ; Redburn et Ville de Montréal, C.L.P. 107119-63-9811, 25 novembre 1999, J.-L. Rivard, (99LP-177) ; Doucet et Centre jeunesse Mauricie et Centre-du-Québec, C.L.P. 245193-04-0410, 16 mai 2005, S. Sénéchal, (05LP-46).
[10] Ferguson et Ind. de moulage Polytech inc., C.L.P. 155516-62B-0102, 3 octobre 2001, A. Vaillancourt ; Morin et 1970-0374 Québec inc., C.L.P. 135078-08-0003, 9 octobre 2001, L. Boudreault ; Fox et Commission scolaire South Shore, C.L.P. 152348-62A-0012, 22 mars 2002, N. Tremblay, révision rejetée, 25 juin 2003, N. Lacroix ; Fortin et Société Groupe Emb. Pepsi Canada, [2004] C.L.P. 168 ; Rona l'Entrepôt et Ducharme, [2004] C.L.P. 718 ; Paquette et Aménagement Forestier LF, C.L.P. 246976-08-0410, 6 juillet 2005, J.-F. Clément ; Abitibi Consolidated-Div.Laurentide et Caron, C.L.P. 289596-04-0605, 14 juillet 2006, L. Boudreault.
[11] Lecompte et Action Chevrolet Oldsmobile inc., [2003] C.L.P. 312 ; Transport Desgagnés inc. et Pelletier, [2004] C.L.P. 458 ; Gauthier et Ville de Shawinigan, [2005] C.L.P. 299 ; Bélanger et Les Bois Dumais inc., C.L.P. 272711-63-0509, 3 juillet 2006, D. Beauregard, révision pendante.
[12] Précitées, notes 3 et 4 respectivement
[13] Soeurs de la Charité de Québec et Poitras et CSST, C.L.P. 270159-31-0508 et 272996-31-0509, 18 juillet 2006, P. Simard
[14] Bas de nylon Doris ltée et Iadinardi, C.L.P. 254373-72-0502 et 265860-72-0506, 24 février 2006, Anne Vaillancourt
[15] Fraser et Laurin Laurin (1991) inc., C.L.P. 230519-64-0403, 21 avril 2006, M. Montplaisir
[16] Allen et Les Entreprises électriques Pierre Sicotte inc., C.L.P. 249170-71-0411, le 22 juin 2006, L. Crochetière
[17] Morin et José & Georges inc., C.L.P. 154442-64-0101, 24 septembre 2001, R. Daniel
[18] Rozon et Kalman, Samuels, Q.C. & Ass., C.A.L.P. 79399-62-9605, 8 octobre 1997, P. Capriolo ; Teolis et Hôtel Méridien Montréal, C.L.P. 86577-73-9702, 19 avril 1999, Y. Ostiguy, (99LP-4) ; Hershey Canada inc. et Saint-Amant, C.L.P. 87945-63-9704, 8 juin 1999, J.-L. Rivard, (99LP-157) ; Masse et Nova Bus Corporation, [2000] C.L.P. 441 ; Novabus Corporation et Sinclair, C.L.P. 113894-61-9903, 13 septembre 2000, B. Roy ; C.H. Maisonneuve-Rosemont et Larche, C.L.P. 109920-63-9902, 3 août 2001, D. Beauregard (décision accueillant la requête en révision) ; Icon Canada inc. et Perron, C.L.P. 169432-64-0109, 9 mai 2002, R. Daniel ; Divex Marine inc. et Bujold, [2003] C.L.P. 827 ; Auger et Icon Canada inc., C.L.P. 174731-64-0111, 24 janvier 2003, A. Suicco ; Casino de Charlevoix et Bertrand, C.LP. 163958-32-0106, 14 février 2003, C. Lessard ; Larocque et Exceldor Coopérative avicole, Groupe Dorchester, C.L.P. 198168-62B-0301, 4 août 2003, M.D. Lampron ; Icon Canada inc. et Carrière, C.L.P. 190266-64-0209, 27 août 2003, R. Daniel ; Strozik et Industries Hagen ltée, C.L.P. 199483-72-0302, 17 décembre 2003, D. Taillon, révision rejetée, 27 septembre 2004, B. Roy ; Larue et C-MacNetwork System, [2004] C.L.P. 1634 ; Desmarais et Beaulieu Canada (Corp. Peerless), [2005] C.L.P. 228 ; Malaborsa et Restaurant Apelia, C.L.P. 210044-71-0306, 23 février 2005, L Landriault ; Ouimet et Commission scolaire de la Seigneurie des-Mille-Iles, C.L.P. 247948-64-0411, 13 février 2006, M. Montplaisir ; Constructions Louisbourg ltée et Lépine, C.L.P. 250252-71-0412, 19 septembre 2006, L. Couture, (06LP-135).
[19] Thériault et Transport Ray-Mont 1992 inc., C.L.P. 276657-62A-0511, 20 septembre 2006, Anne Vaillancourt, (retenu pour publication au C.L.P.E.) ; Ville de Laval et Doris Hall, C.L.P. 267104-64-0506 et als, 14 novembre 2006, M. Montplaisir.
[20] Ouimet et Commission Scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles et Matériaux J.C. Brunet et CMC électronique et Marconi Canadan inc., C.L.P. 247948-64-0411 et 248038-64-0411, 13 février 2006, M. Montplaisir ; Arontec inc. et Ménard, C.L.P. 213479-64-0308 et als., 21 juin 2006, T. Demers ; Thériault et Transport Ray-Mont 1992 inc., précitée note 19 ; Bédard et Claude Forget (1979) inc. et CSST, C.L.P. 238788-64-0407, 13 octobre 2006, M. Montplaisir ; Ville de Laval et Doris Hall, précitée note 19 ; Prince et Waterville TG inc., C.L.P. 256157-05-0503 et 283135-05-0603, 4 décembre 2006, F. Ranger ; Proulx et Transport urbain AM Wesbell et CSST, C.L.P. 267283-31-0507 et 276844-31-0511, 18 décembre 2006, C. Lessard.
[21] Tremblay et Société Canadienne des postes et D.H.RC. Direction Travail, C.L.P. 217488-61-0310, 1er août 2006, B. Lemay
[22] Chevalier c. C.L.P. et CSST, C.S. 200-17-007031-065, 19 décembre 2006, j. J. Lemelin
[23] Lapointe et Cie Minière Québec-Cartier, [1989] C.A.L.P. 38
[24] Millette et CUM, [1994] C.A.L.P. 833
[25] Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 19
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