Santoianni c. Ford du Canada limitée |
2020 QCCQ 6627 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LAVAL |
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LOCALITÉ DE |
LAVAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
540-32-701492-181 |
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DATE : |
6 novembre 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
YVAN NOLET, J.C.Q. |
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ADALGISA SANTOIANNI |
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Demanderesse |
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c. |
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FORD DU CANADA LIMITÉE et LAVAL AUTOS HAMEL INC. |
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Défenderesses |
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JUGEMENT |
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[1] Adalgisa Santoianni réclame 13 493,77 $ solidairement à Ford du Canada Limitée (le « Fabricant ») et à Laval Autos Hamel Inc. (le « Concessionnaire ») en remboursement des réparations à son moteur. Elle soutient que le bris de son moteur découle d’un vice de fabrication.
[2] Le Fabricant a produit au dossier de la cour une contestation écrite. Toutefois, au jour de l’audience, aucun représentant n’était présent afin de faire valoir ces motifs de contestation.
[3] Pour ce qui est du Concessionnaire, il considère ne pas être responsable du bris du moteur de la camionnette de madame Santoianni.
LE CONTEXTE
[4] Les faits les plus pertinents retenus par le Tribunal afin de résoudre le litige opposant les parties sont ceux mentionnés ci-après.
[5] En août 2014, madame Santoianni achète du Concessionnaire un camion usagé Ford-150 FX4 Ecoboost 2012 (le «véhicule») dont l’odomètre indique 62 855 kilomètres. Au moment de son acquisition, le véhicule servait occasionnellement au transport de la remorque du cheval de la demanderesse. Toutefois, dès 2015, elle a cessé de participer à des compétitions équestres et son véhicule n’a été utilisé depuis que pour ses besoins en transport.
[6] Son véhicule est entretenu régulièrement[1], ce que son mécanicien confirme. Malgré cela, fin avril 2018, alors que l’odomètre indique 111 215 kilomètres, le moteur fait un bruit anormal et le conjoint de madame Santoianni doit interrompe rapidement le contact.
[7] Le véhicule est remorqué chez un concessionnaire Ford qui, malgré la vérification à l’aide d’un équipement électronique, ne peut identifier la cause du problème. Madame Santoianni accepte d’assumer des frais de plus de 700 $ afin que le concessionnaire pousse plus loin son analyse pour identifier la cause du problème du moteur.
[8] Cet examen révèle que le coussinet du 4ième piston s’est désagrégé et que le métal de celui-ci à causer des dommages importants au moteur et aux turbos qui doivent être remplacés. Le mécanicien qui entretient le véhicule de madame Santoianni explique qu’un problème de cette nature survient lorsque l’alimentation en huile d’un cylindre est déficiente.
[9] Il précise que cette situation, lorsqu’elle concerne un seul piston situé de surcroit au centre du moteur, est rare et résulte d’un problème spécifique d’alimentation en huile du piston concerné. Selon lui, ce problème remonte bien avant l’acquisition par la demanderesse de son véhicule. Il ajoute que les moteurs de camions similaires à celui de la demanderesse sont réputés pour leur puissance et leur résistance et durent normalement plus de 300 000 kilomètres.
[10] Madame Santoianni considère que son véhicule était donc affecté d’un vice caché lors de son acquisition et demande du vendeur et du fabriquant le remboursement du coût des réparations de son moteur.
[11] Le Concessionnaire soutient pour sa part que le véhicule a fait l’objet d’une inspection mécanique avant la vente à la demanderesse et que celle-ci n’a révélé aucun problème avec le moteur. Il plaide que le véhicule de la demanderesse a bien fonctionné pendant quatre années, ce qui démontre qu’il n’y avait aucun vice-caché au moteur du véhicule.
[12] Il ajoute ne pas avoir été informé du problème concernant le fonctionnement du moteur du véhicule et ne pas avoir été en mesure de vérifier son état avant les réparations. Il demande en conséquence à ce que la réclamation de madame Santoianni soit rejetée en ce qui le concerne.
ANALYSE ET MOTIFS
[13] Lors de l'analyse des prétentions des parties, le Tribunal doit tenir compte des règles de preuve contenues au Code civil du Québec (« C.c.Q. »).
[14] L'article 2803 C.c.Q. indique que « Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. […] ». Ainsi, il revient donc à la demanderesse de prouver les vices cachés qu’elle allègue. À cette fin, elle bénéficie des présomptions qui régissent les contrats de vente et de consommation.
[15] L'article 2804 C.c.Q. énonce une règle importante qui doit guider le Tribunal dans l'analyse de la preuve présentée par les parties. Cet article précise :
La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[16] Cet article consacre le principe voulant que dans un procès civil, la prépondérance d'une preuve concernant un fait est suffisante afin de prouver l'existence de ce fait. Le Tribunal doit donc analyser l'ensemble de la preuve en s'interrogeant sur l'existence d'une preuve prépondérante soutenant la réclamation de la demanderesse.
[17] Enfin, l’article 2845 C.c.Q. précise que la force probante de tout témoignage concernant les faits dont un témoin a eu une connaissance personnelle ou concernant l’avis que donne un expert est laissée à l’appréciation du tribunal.
[18] En matière de vices cachés, le consommateur ayant acquis un véhicule d’occasion bénéficie de la garantie de qualité légale prévue par le droit commun, de même que des garanties propres au droit de la consommation, tel que le prévoit l’article 270 de la Loi sur la protection du consommateur[2] (« L.p.c. »). Ainsi, le C.c.Q. et la L.p.c. ont été conçus de manière complémentaire[3] et le consommateur peut opter pour le régime prévu au C.c.Q. si, dans une situation donnée, ce dernier y trouve son avantage[4].
[19] Par le biais des articles 1726 et 1729 C.c.Q., le droit commun prévoit une garantie générale de qualité. Ces articles se lisent ainsi :
1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.
Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
[…]
1729. En cas de vente par un vendeur professionnel, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur.
[20] La L.p.c. prévoit quant à elle une double garantie : la première, prévue à l’article 37 de la L.p.c. en est une d’usage[5] et la seconde, précisée à l’article 38 de la L.p.c., en est une de durabilité[6] :
37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.
38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.
[21] Dans la présente affaire, la preuve a établi que le véhicule de la demanderesse a été entretenu sur une base régulière et que le bris du moteur est survenu prématurément pour un tel véhicule. Tenant compte des présomptions prévues aux articles 1729 C.c.Q. et 53 L.p.c. ainsi que du témoignage du mécanicien, il y a lieu de conclure que le problème d’alimentation en huile d’un seul piston constitue un vice caché qui affectait le bon fonctionnement du moteur du véhicule lors de son acquisition et que ce vice est la cause du bris du moteur et des turbos.
[22] En ce qui concerne l’argument du Concessionnaire relatif à la tardivité de la dénonciation de la demanderesse, il ne peut s’en prévaloir[7] considérant qu’à titre de vendeur professionnel, il était présumé connaître l’existence du vice du moteur[8].
[23] Il y a donc lieu d’accueillir la demande solidaire de 13 292,77 $ de madame Santoianni contre le Concessionnaire et le Fabricant.
[24] Toutefois, considérant l’article 1530 C.c.Q., le Concessionnaire peut également opposer au Fabricant que le vice caché existait lorsqu’il a lui-même acquis le véhicule avant de le vendre à la demanderesse. Ainsi, il y a donc lieu qu’entre le Concessionnaire et le Fabricant, ce dernier assume seul la réclamation de madame Santoianni pour la somme de 13 292,77 $.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[25] ACCUEILLE la demande.
[26] CONDAMNE solidairement Ford du Canada Limitée et Laval Autos Hamel Inc. à payer à Adalgisa Santoianni la somme de 13 292,77 $ avec intérêts au taux légal, plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 14 mai 2018, ainsi que les frais de justice limités aux droits de greffe de 202 $;
[27] DÉTERMINE, pour ne valoir qu’entre elles, la part de chacune des défenderesses dans la condamnation de la façon suivante : Ford du Canada limitée à 100 % et Laval Autos Hamel inc. à 0 %.
[28] DÉCLARE, pour ne valoir qu’entre elles, que la défenderesse Ford du Canada Limitée est responsable à 100 % de la condamnation découlant du présent jugement.
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__________________________________ YVAN NOLET, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
9 octobre 2020 |
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[1] Les factures de l’entretien sont produites comme Pièce P-5.
[2] Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40-1.
[3] Pierre-Gabriel JOBIN et Michelle CUMYN, La vente, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 192.
[4] Idem.
[5] Article 37 L.p.c.
[6] Article 38 L.p.c.
[7] Article 1739 C.c.Q.
[8] Article 53 L.p.c.
AVIS :
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