Décision

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Décision

Jobin c. Bugain

2021 QCTAL 4425

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

482008 31 20190919 G

No demande :

2850812

 

 

Date :

15 avril 2021

Devant le juge administratif :

Alexandre Henri

 

Olivier Jobin

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Jeannine Bugain

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N   R E C T I F I É E

 

 

La présente décision est rectifiée d'office en vertu de l'article 88 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (RLRQ, c. T-15.01), afin de corriger une erreur d'écriture au paragraphe 17 dans lequel a été répété par mégarde le contenu du paragraphe 15.  Par conséquent, il y a donc lieu de corriger le paragraphe 17 de la décision afin de lui redonner son sens.

[1]      Suivant un recours introduit le 19 septembre 2019 et amendé le 1er octobre 2020, le locataire réclame une somme de 2 194,16 $ à titre de dommages-intérêts matériels ainsi qu’une somme de 2 000 $ à titre de dommages-intérêts pour la perte de jouissance des lieux loués, le tout avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec (C.c.Q.), plus le paiement des frais.

[2]      Comme motif au soutien de sa réclamation, le locataire invoque un problème récurrent d’alimentation d’eau courante dans son logement.

Les faits et la preuve

[3]      Un bail est intervenu entre les parties relativement à la location d’un logement de 4 ½ pièces pour la période du 1er juin 2015 au 30 juin 2016, au loyer mensuel de 925 $.  Ce bail a par la suite été reconduit jusqu’au 30 juin 2019 au même loyer mensuel.

[4]      Il est à noter qu’un autre colocataire a également signé le bail en 2015, soit M. Thomas Fontaine.  Toutefois, ce dernier a quitté le logement en 2017 et a été libéré de ses obligations en vertu du bail, de sorte que M. Olivier Jobin est ainsi devenu le seul locataire.

[5]      Le logement concerné est situé à l’étage d’un immeuble de type duplex, dans lequel la locatrice occupe l’autre logement au rez-de-chaussée.

[6]      Bien que la locatrice habite l’immeuble, il appert de la preuve que cette dernière s’absente fréquemment de son logement pour des périodes prolongées, notamment en raison d’un poste de professeur qu’elle occupe dans une université située en Californie.

[7]      Le locataire a quitté son logement le 16 février 2019, soit avant l’échéance de son bail.

[8]      Il prétend qu’il était justifié d’abandonner son logement car les lieux loués étaient devenus inhabitables et impropres à l’habitation, en raison d’un problème d’alimentation d’eau courante. 


[9]      Selon le locataire, ce problème d’alimentation en eau était récurrent et perdurait depuis au moins 2016, principalement pendant la saison hivernale.

[10]   Il allègue s’être plaint du problème à plusieurs reprises auprès de la locatrice, et il reproche à cette dernière d’avoir ignoré ses nombreux courriels et appels téléphoniques ou, selon cas, d’avoir tardé à y donner suite. 

[11]   Selon lui, la locatrice a fait preuve de négligence en n’effectuant pas les travaux requis afin de corriger le problème pour qu’il puisse avoir la pleine jouissance de son logement.

[12]   Il ajoute que la locatrice était rarement présente dans l’immeuble et qu’elle s’en était complètement désintéressée. 

[13]   Le locataire plaide que le problème récurrent d’alimentation d’eau a troublé sa jouissance paisible en plus de lui occasionner divers troubles et inconvénients.  Le manque d’eau l’empêchait notamment de prendre sa douche, aller aux toilettes, brosser ses dents, laver la vaisselle, etc.  Une telle situation l’a obligé, à plusieurs reprises, à aller prendre une douche ou dormir chez sa copine, ses parents ou ses amis.

[14]   Au mois de novembre 2018, le locataire a dû faire appel à un plombier afin de faire réparer un tuyau brisé par le gel.

[15]   Il prétend que la locatrice l’a autorisé à faire effectuer ces travaux de plomberie et qu’elle s’était engagée à lui rembourser les frais encourus, ce qu’elle refuse maintenant de faire.

[16]   Malgré les travaux de plomberie effectués en novembre 2018, le problème d’alimentation d’eau est réapparu quelque temps plus tard.  Selon les prétentions du locataire, le problème serait dû au gel des tuyaux d’alimentation d’eau causé par un manque de chauffage dans le logement inhabité par la locatrice au rez-de-chaussée de l’immeuble.

[17]   Le locataire mentionne avoir enduré une telle situation problématique pendant plusieurs années car il aimait beaucoup ce logement, notamment en raison de sa localisation. Toutefois, en février 2019, le locataire n’en pouvait tout simplement plus. Il a alors décidé de quitter son logement.

[18]   Le 1er février 2019, l’avocat du locataire transmet une lettre de mise en demeure à la locatrice afin de l’aviser que son client abandonnera le logement d’ici au 16 février 2019, conformément aux articles 1915 et 1916 C.c.Q. 

[19]   Dans une seconde lettre mise en demeure datée du 18 juillet 2019, le locataire réclame à la locatrice les montants suivants :

-   1 446,38 $ pour les frais de plombier;

-   500 $ pour les frais de déménagement;

-   185 $ pour les frais d’entreposage de ses biens; et

-   2 000 $ pour la perte de jouissance.

[20]   Dans sa demande, le locataire réclame également une somme additionnelle de 62,78 $ pour les frais de poste.

[21]   La locatrice conteste la demande du locataire et nie toute responsabilité. 

[22]   Elle prétend que le problème d’alimentation d’eau aurait été causé par un gel de tuyaux occasionné par un manque de chauffage dans le logement du locataire lui-même, plutôt que par un manque de chauffage provenant de son logement à elle.

[23]   Elle allègue avoir confié l’entretien et les réparations de son logement à un entrepreneur dénommé « Monsieur Gabriel ».  Sachant qu’elle était fréquemment à l’extérieur du pays, elle avait donné les coordonnées de Monsieur Gabriel au locataire afin que celui-ci puisse communiquer avec lui en cas de problème avec le logement.

[24]   Elle fait valoir qu’elle payait Monsieur Gabriel pour entretenir et réparer son immeuble, et elle ajoute avoir payé ce dernier pour effectuer des travaux de plomberie. Il est donc hors de question pour elle de payer d’autres frais additionnels de plombier. Elle prétend que le locataire n’avait pas été autorisé à entreprendre des travaux de plomberie en novembre 2018.


[25]   Le locataire rétorque qu’il avait été autorisé par la locatrice à entreprendre ces travaux de plomberie, d’autant plus qu’il a fallu que le plombier obtienne l’approbation préalable de la locatrice afin qu’il puisse être autorisé à faire des travaux dans l’immeuble.  D’ailleurs, ajoute-t-il, c’est Monsieur Gabriel qui a ouvert la porte du logement de la locatrice afin que le plombier puisse y avoir accès, en l’absence de la locatrice.

[26]   De plus, le locataire affirme que Monsieur Gabriel était difficile à rejoindre et que ce dernier était de toute façon incapable de réparer le problème d’alimentation d’eau qui perdurait dans son logement.  Il ajoute que Monsieur Gabriel avait lui aussi de la difficulté à entrer en communication avec la locatrice lorsqu’elle était à l’extérieur du pays, notamment en raison du décalage horaire.

[27]   La locatrice mentionne qu’il s’agit d’un beau logement situé sur le Plateau Mont-Royal et qu’elle n’a jamais augmenté le loyer pendant tout le temps où le locataire a occupé le logement. 

[28]   Elle reproche au locataire d’avoir fait défaut de payer son loyer pendant plusieurs mois.  En janvier 2019, elle a d’ailleurs intenté contre lui un recours en résiliation de bail et recouvrement de loyer, mais ce recours fut rejeté par le Tribunal le 13 février 2019 en raison de l’absence de la locatrice à l’audience. 

[29]   Ainsi se résume l’essentiel de la preuve et des allégations de chaque partie.

Analyse et décision

[30]   La loi impose diverses obligations à la locatrice, dont notamment celles de procurer au locataire la jouissance paisible de son logement et de garantir que celui-ci puisse servir à l’usage pour lequel il a été loué[1].  Elle a également l’obligation d’y effectuer toutes les réparations nécessaires, à l'exception des menues réparations d'entretien[2]

[31]   De plus, la locatrice doit aussi maintenir le logement en bon état d’habitabilité[3] et il lui est interdit d’offrir en location un logement impropre à l’habitation[4].

[32]   L’obligation de la locatrice de procurer la jouissance paisible des lieux (premier alinéa de l’article 1854 C.c.Q.) est considérée comme étant une obligation de résultat, alors que celle relative à l’usage du bien loué (second alinéa de l’article 1854 C.c.Q.) constitue une obligation de garantie[5]. Les obligations prévues aux articles 1864 et 1910 C.c.Q. sont également des obligations de résultat.

[33]   Cette classification des obligations de résultat ou de garantie entraîne des conséquences quant aux moyens de défense limités pouvant être soulevés par la locatrice. Cette dernière ne peut simplement invoquer comme moyen de défense qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable[6].

[34]   En cas de manquement de la locatrice d’exécuter ses obligations prévues à la loi, le locataire peut notamment réclamer l’exécution en nature, des dommages-intérêts et/ou une diminution de loyer[7].

[35]   Dans sa demande, le locataire ne réclame aucune diminution de loyer en lien avec la perte de jouissance dont il se plaint, sa réclamation se limitant uniquement à des dommages-intérêts.

[36]   Tel que le mentionne le professeur Pierre-Gabriel Jobin[8], l’obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués constitue l’un des éléments essentiels du contrat de bail. Il s’agit d’une obligation fondamentale et essentielle du locateur en matière de louage résidentiel.

[37]   En l’instance, la preuve prépondérante démontre clairement un manquement de la locatrice à procurer la jouissance paisible du logement au locataire, en raison d’un problème récurrent d’alimentation d’eau courante. Par le fait même, la locatrice a également fait défaut de respecter son obligation de garantir le bon usage du bien loué pendant toute la durée du bail.

[38]   Nul besoin de mentionner que l’approvisionnement en eau potable constitue un élément essentiel pour qu’un locataire puisse jouir pleinement de son logement.

[39]   La locatrice avait l’obligation de s’assurer que le logement soit approvisionné en eau potable, ce qu’elle n’a pas fait. 

[40]   En outre, il appert que cette dernière a également fait défaut de maintenir le logement en bon état de réparation et d’habitabilité.

[41]   La preuve révèle que la locatrice a fait preuve de laxisme et de négligence dans la conduite de ses affaires.  Elle a fait défaut à maintes reprises de donner suite aux courriels et appels téléphoniques du locataire qui se plaignait du manque d’eau dans son logement.

[42]   La locatrice ne pouvait simplement s’en remettre à Monsieur Gabriel, sans pour autant s’assurer que ce dernier s’occupe d’effectuer toutes les réparations requises afin de procurer au locataire la pleine jouissance de son logement, ce qui ne semble pas avoir été le cas en l’espèce.

[43]   Le fait que la locatrice soit fréquemment à l’extérieur du pays et qu’il y ait un décalage horaire ne l’excusent aucunement de son défaut de remplir ses obligations.  Le locataire n’avait pas à en subir les désagréments et inconvénients occasionnés par l’absence de la locatrice due à son travail à l’extérieur du pays.

[44]   Cette dernière a choisi d’être propriétaire d’un immeuble locatif, et à ce titre, elle se doit d’en assumer les responsabilités qui en découlent et de remplir les obligations légales qui lui incombent.

[45]   Le Tribunal estime que le locataire a été plus que patient dans les circonstances compte tenu de la récurrence du problème d’alimentation d’eau dans son logement. 

[46]   À la lumière de la preuve soumise, le Tribunal est d’avis que le locataire était justifié d’abandonner le logement comme il l’a fait en février 2019, puisque celui-ci était alors devenu impropre à l’habitation en raison de l’absence d’eau courante. 

[47]   À cet effet, le Tribunal n’a aucune hésitation à déclarer d’office que le logement est devenu impropre à l'habitation à compter du 16 février 2019[9].  Il est absolument inconcevable qu’un locataire puisse continuer à habiter un logement qui souffre d’un grave problème récurrent d’alimentation d’eau courante.

[48]   Par ailleurs, il appert que le locataire a suivi la procédure d’abandon prévue à loi, en avisant la locatrice conformément aux modalités prévues à l’article 1915 C.c.Q.  De plus, compte tenu que le locataire n’a pas réintégré le logement suite à son abandon, le Tribunal constate la résiliation de plein droit du bail, à compter du 16 février 2019, et ce, aux torts de la locatrice.

[49]   Pour avoir gain de cause dans son recours en dommages, le locataire doit faire la preuve de ses dommages et démontrer que ceux-ci découlent directement de la faute de la locatrice[10] et qu’ils étaient prévisibles[11].

[50]   En l’espèce, le locataire a relevé son fardeau de prouver l’existence d’un lien causal direct entre ses dommages et les manquements de la locatrice énoncés ci-dessus.

[51]   En ce qui a trait aux dommages subis, le témoignage du locataire est convaincant lorsqu’il explique tous les troubles et inconvénients qu’il a subis pendant de nombreux mois en raison du manque d’eau courante dans son logement. 

[52]   Ce dernier a dû, à de nombreuses reprises, et parfois même pendant plusieurs jours consécutifs, aller dormir, manger et se laver chez sa copine, ses parents ou ses amis, afin de pallier au manque d’eau courante.  Il n’a pu jouir pleinement de son logement.

[53]   Afin de compenser le locataire pour le préjudice subi découlant directement de la faute de la locatrice, le Tribunal condamne cette dernière à payer au locataire la somme de 2 000 $ à titre de dommages-intérêts pour le stress, le trouble et les inconvénients subis.  La somme réclamée par le locataire apparaît tout à fait justifiée et raisonnable dans les circonstances.

[54]   En ce qui concerne les frais de plomberie réclamés par le locataire, ce dernier a convaincu le Tribunal du bien-fondé de cette réclamation, par son témoignage crédible, sincère et probant.

[55]   En effet, à la lumière de la preuve soumise, le Tribunal conclut que le locataire était justifié d’entreprendre des travaux urgents de plomberie afin de faire réparer un bris de tuyau. 

[56]   Les courriels déposés en preuve viennent corroborer le témoignage du locataire à l’effet qu’il avait avisé la locatrice du problème et que cette dernière négligeait d’apporter les correctifs en temps utile. Le Tribunal estime qu’il s’agissait d’une réparation urgente et nécessaire pour assurer la jouissance du bien loué.

[57]   Conséquemment, le locataire était donc en droit d’engager une dépense pour faire réparer les tuyaux, même en l’absence du consentement de la locatrice, et d’en exiger le remboursement de la locatrice[12]

[58]   Quoi qu’il en soit, même si le consentement de la locatrice n’était pas requis en l’espèce pour les motifs exposés ci-dessus, la preuve démontre néanmoins que cette dernière a consenti à payer les frais du plombier au locataire.

[59]   À ce sujet, la locatrice a rendu un témoignage contradictoire. Selon les courriels déposés en preuve, cette dernière s’était engagée à payer les frais de plomberie encourus par le locataire.

[60]   En conséquence, le Tribunal condamne la locatrice à payer au locataire la somme totale de 1 446,38 $ à titre de dommages-intérêts matériels pour les frais de plomberie reliés aux travaux effectués en novembre 2018, tel qu’il appert des factures déposées en preuve.

[61]   Le Tribunal fait également droit à la réclamation du locataire pour les frais de déménagement (500 $), lesquels apparaissent tout à fait justifiés en l’espèce compte tenu que le locataire a dû déménager en plein mois de février.  Ces dommages découlent directement de la faute de la locatrice.

[62]   Toutefois, le Tribunal rejette la réclamation du locataire en ce qui concerne les frais d’entreposage (185 $) et les frais postaux (62,78 $).  La preuve soumise à cet égard est insuffisante. Il s’agit de frais indirects dont la locatrice ne peut être tenue responsable.

[63]   Enfin, les frais applicables sont adjugés contre les parties défenderesses selon le Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement[13].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[64]   CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme totale de 3 946,38 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q à compter du 18 juillet 2019, plus les frais de 85,50 $;

[65]   REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Alexandre Henri

 

Présence(s) :

le locataire

la locatrice

Date de l’audience :  

27 octobre 2020 et 18 janvier 2021

 

 

 


Jobin c. Bugain

2021 QCTAL 4425

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

482008 31 20190919 G

No demande :

2850812

 

 

Date :

16 février 2021

Devant le juge administratif :

Alexandre Henri

 

Olivier Jobin

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Jeannine Bugain

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Suivant un recours introduit le 19 septembre 2019 et amendé le 1er octobre 2020, le locataire réclame une somme de 2 194,16 $ à titre de dommages-intérêts matériels ainsi qu’une somme de 2 000 $ à titre de dommages-intérêts pour la perte de jouissance des lieux loués, le tout avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec (C.c.Q.), plus le paiement des frais.

[2]      Comme motif au soutien de sa réclamation, le locataire invoque un problème récurrent d’alimentation d’eau courante dans son logement.

Les faits et la preuve

[3]      Un bail est intervenu entre les parties relativement à la location d’un logement de 4 ½ pièces pour la période du 1er juin 2015 au 30 juin 2016, au loyer mensuel de 925 $.  Ce bail a par la suite été reconduit jusqu’au 30 juin 2019 au même loyer mensuel.

[4]      Il est à noter qu’un autre colocataire a également signé le bail en 2015, soit M. Thomas Fontaine.  Toutefois, ce dernier a quitté le logement en 2017 et a été libéré de ses obligations en vertu du bail, de sorte que M. Olivier Jobin est ainsi devenu le seul locataire.

[5]      Le logement concerné est situé à l’étage d’un immeuble de type duplex, dans lequel la locatrice occupe l’autre logement au rez-de-chaussée.

[6]      Bien que la locatrice habite l’immeuble, il appert de la preuve que cette dernière s’absente fréquemment de son logement pour des périodes prolongées, notamment en raison d’un poste de professeur qu’elle occupe dans une université située en Californie.

[7]      Le locataire a quitté son logement le 16 février 2019, soit avant l’échéance de son bail.

[8]      Il prétend qu’il était justifié d’abandonner son logement car les lieux loués étaient devenus inhabitables et impropres à l’habitation, en raison d’un problème d’alimentation d’eau courante. 


[9]      Selon le locataire, ce problème d’alimentation en eau était récurrent et perdurait depuis au moins 2016, principalement pendant la saison hivernale.

[10]   Il allègue s’être plaint du problème à plusieurs reprises auprès de la locatrice, et il reproche à cette dernière d’avoir ignoré ses nombreux courriels et appels téléphoniques ou, selon cas, d’avoir tardé à y donner suite. 

[11]   Selon lui, la locatrice a fait preuve de négligence en n’effectuant pas les travaux requis afin de corriger le problème pour qu’il puisse avoir la pleine jouissance de son logement.

[12]   Il ajoute que la locatrice était rarement présente dans l’immeuble et qu’elle s’en était complètement désintéressée. 

[13]   Le locataire plaide que le problème récurrent d’alimentation d’eau a troublé sa jouissance paisible en plus de lui occasionner divers troubles et inconvénients.  Le manque d’eau l’empêchait notamment de prendre sa douche, aller aux toilettes, brosser ses dents, laver la vaisselle, etc.  Une telle situation l’a obligé, à plusieurs reprises, à aller prendre une douche ou dormir chez sa copine, ses parents ou ses amis.

[14]   Au mois de novembre 2018, le locataire a dû faire appel à un plombier afin de faire réparer un tuyau brisé par le gel.

[15]   Il prétend que la locatrice l’a autorisé à faire effectuer ces travaux de plomberie et qu’elle s’était engagée à lui rembourser les frais encourus, ce qu’elle refuse maintenant de faire.

[16]   Malgré les travaux de plomberie effectués en novembre 2018, le problème d’alimentation d’eau est réapparu quelque temps plus tard.  Selon les prétentions du locataire, le problème serait dû au gel des tuyaux d’alimentation d’eau causé par un manque de chauffage dans le logement inhabité par la locatrice au rez-de-chaussée de l’immeuble.

[17]   Le locataire mentionne avoir enduré une telle situation problématique pendant plusieurs années car il aimait beaucoup ce logement, notamment en raison de sa localisation.  Toutefois, en février Il prétend que la locatrice l’a autorisé à faire effectuer ces travaux de plomberie et qu’elle s’était engagée à lui rembourser les frais encourus, ce qu’elle refuse maintenant de faire.2019, le locataire n’en pouvait tout simplement plus.  Il a alors décidé de quitter son logement.

[18]   Le 1er février 2019, l’avocat du locataire transmet une lettre de mise en demeure à la locatrice afin de l’aviser que son client abandonnera le logement d’ici au 16 février 2019, conformément aux articles 1915 et 1916 C.c.Q. 

[19]   Dans une seconde lettre mise en demeure datée du 18 juillet 2019, le locataire réclame à la locatrice les montants suivants :

-   1 446,38 $ pour les frais de plombier;

-   500 $ pour les frais de déménagement;

-   185 $ pour les frais d’entreposage de ses biens; et

-   2 000 $ pour la perte de jouissance.

[20]   Dans sa demande, le locataire réclame également une somme additionnelle de 62,78 $ pour les frais de poste.

[21]   La locatrice conteste la demande du locataire et nie toute responsabilité. 

[22]   Elle prétend que le problème d’alimentation d’eau aurait été causé par un gel de tuyaux occasionné par un manque de chauffage dans le logement du locataire lui-même, plutôt que par un manque de chauffage provenant de son logement à elle.

[23]   Elle allègue avoir confié l’entretien et les réparations de son logement à un entrepreneur dénommé « Monsieur Gabriel ».  Sachant qu’elle était fréquemment à l’extérieur du pays, elle avait donné les coordonnées de Monsieur Gabriel au locataire afin que celui-ci puisse communiquer avec lui en cas de problème avec le logement.

[24]   Elle fait valoir qu’elle payait Monsieur Gabriel pour entretenir et réparer son immeuble, et elle ajoute avoir payé ce dernier pour effectuer des travaux de plomberie. Il est donc hors de question pour elle de payer d’autres frais additionnels de plombier. Elle prétend que le locataire n’avait pas été autorisé à entreprendre des travaux de plomberie en novembre 2018.


[25]   Le locataire rétorque qu’il avait été autorisé par la locatrice à entreprendre ces travaux de plomberie, d’autant plus qu’il a fallu que le plombier obtienne l’approbation préalable de la locatrice afin qu’il puisse être autorisé à faire des travaux dans l’immeuble.  D’ailleurs, ajoute-t-il, c’est Monsieur Gabriel qui a ouvert la porte du logement de la locatrice afin que le plombier puisse y avoir accès, en l’absence de la locatrice.

[26]   De plus, le locataire affirme que Monsieur Gabriel était difficile à rejoindre et que ce dernier était de toute façon incapable de réparer le problème d’alimentation d’eau qui perdurait dans son logement.  Il ajoute que Monsieur Gabriel avait lui aussi de la difficulté à entrer en communication avec la locatrice lorsqu’elle était à l’extérieur du pays, notamment en raison du décalage horaire.

[27]   La locatrice mentionne qu’il s’agit d’un beau logement situé sur le Plateau Mont-Royal et qu’elle n’a jamais augmenté le loyer pendant tout le temps où le locataire a occupé le logement. 

[28]   Elle reproche au locataire d’avoir fait défaut de payer son loyer pendant plusieurs mois.  En janvier 2019, elle a d’ailleurs intenté contre lui un recours en résiliation de bail et recouvrement de loyer, mais ce recours fut rejeté par le Tribunal le 13 février 2019 en raison de l’absence de la locatrice à l’audience. 

[29]   Ainsi se résume l’essentiel de la preuve et des allégations de chaque partie.

Analyse et décision

[30]   La loi impose diverses obligations à la locatrice, dont notamment celles de procurer au locataire la jouissance paisible de son logement et de garantir que celui-ci puisse servir à l’usage pour lequel il a été loué[14].  Elle a également l’obligation d’y effectuer toutes les réparations nécessaires, à l'exception des menues réparations d'entretien[15]

[31]   De plus, la locatrice doit aussi maintenir le logement en bon état d’habitabilité[16] et il lui est interdit d’offrir en location un logement impropre à l’habitation[17].

[32]   L’obligation de la locatrice de procurer la jouissance paisible des lieux (premier alinéa de l’article 1854 C.c.Q.) est considérée comme étant une obligation de résultat, alors que celle relative à l’usage du bien loué (second alinéa de l’article 1854 C.c.Q.) constitue une obligation de garantie[18]. Les obligations prévues aux articles 1864 et 1910 C.c.Q. sont également des obligations de résultat.

[33]   Cette classification des obligations de résultat ou de garantie entraîne des conséquences quant aux moyens de défense limités pouvant être soulevés par la locatrice. Cette dernière ne peut simplement invoquer comme moyen de défense qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable[19].

[34]   En cas de manquement de la locatrice d’exécuter ses obligations prévues à la loi, le locataire peut notamment réclamer l’exécution en nature, des dommages-intérêts et/ou une diminution de loyer[20].

[35]   Dans sa demande, le locataire ne réclame aucune diminution de loyer en lien avec la perte de jouissance dont il se plaint, sa réclamation se limitant uniquement à des dommages-intérêts.

[36]   Tel que le mentionne le professeur Pierre-Gabriel Jobin[21], l’obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués constitue l’un des éléments essentiels du contrat de bail. Il s’agit d’une obligation fondamentale et essentielle du locateur en matière de louage résidentiel.

[37]   En l’instance, la preuve prépondérante démontre clairement un manquement de la locatrice à procurer la jouissance paisible du logement au locataire, en raison d’un problème récurrent d’alimentation d’eau courante. Par le fait même, la locatrice a également fait défaut de respecter son obligation de garantir le bon usage du bien loué pendant toute la durée du bail.

[38]   Nul besoin de mentionner que l’approvisionnement en eau potable constitue un élément essentiel pour qu’un locataire puisse jouir pleinement de son logement.

[39]   La locatrice avait l’obligation de s’assurer que le logement soit approvisionné en eau potable, ce qu’elle n’a pas fait. 

[40]   En outre, il appert que cette dernière a également fait défaut de maintenir le logement en bon état de réparation et d’habitabilité.

[41]   La preuve révèle que la locatrice a fait preuve de laxisme et de négligence dans la conduite de ses affaires.  Elle a fait défaut à maintes reprises de donner suite aux courriels et appels téléphoniques du locataire qui se plaignait du manque d’eau dans son logement.

[42]   La locatrice ne pouvait simplement s’en remettre à Monsieur Gabriel, sans pour autant s’assurer que ce dernier s’occupe d’effectuer toutes les réparations requises afin de procurer au locataire la pleine jouissance de son logement, ce qui ne semble pas avoir été le cas en l’espèce.

[43]   Le fait que la locatrice soit fréquemment à l’extérieur du pays et qu’il y ait un décalage horaire ne l’excusent aucunement de son défaut de remplir ses obligations.  Le locataire n’avait pas à en subir les désagréments et inconvénients occasionnés par l’absence de la locatrice due à son travail à l’extérieur du pays.

[44]   Cette dernière a choisi d’être propriétaire d’un immeuble locatif, et à ce titre, elle se doit d’en assumer les responsabilités qui en découlent et de remplir les obligations légales qui lui incombent.

[45]   Le Tribunal estime que le locataire a été plus que patient dans les circonstances compte tenu de la récurrence du problème d’alimentation d’eau dans son logement. 

[46]   À la lumière de la preuve soumise, le Tribunal est d’avis que le locataire était justifié d’abandonner le logement comme il l’a fait en février 2019, puisque celui-ci était alors devenu impropre à l’habitation en raison de l’absence d’eau courante. 

[47]   À cet effet, le Tribunal n’a aucune hésitation à déclarer d’office que le logement est devenu impropre à l'habitation à compter du 16 février 2019[22].  Il est absolument inconcevable qu’un locataire puisse continuer à habiter un logement qui souffre d’un grave problème récurrent d’alimentation d’eau courante.

[48]   Par ailleurs, il appert que le locataire a suivi la procédure d’abandon prévue à loi, en avisant la locatrice conformément aux modalités prévues à l’article 1915 C.c.Q.  De plus, compte tenu que le locataire n’a pas réintégré le logement suite à son abandon, le Tribunal constate la résiliation de plein droit du bail, à compter du 16 février 2019, et ce, aux torts de la locatrice.

[49]   Pour avoir gain de cause dans son recours en dommages, le locataire doit faire la preuve de ses dommages et démontrer que ceux-ci découlent directement de la faute de la locatrice[23] et qu’ils étaient prévisibles[24].

[50]   En l’espèce, le locataire a relevé son fardeau de prouver l’existence d’un lien causal direct entre ses dommages et les manquements de la locatrice énoncés ci-dessus.

[51]   En ce qui a trait aux dommages subis, le témoignage du locataire est convaincant lorsqu’il explique tous les troubles et inconvénients qu’il a subis pendant de nombreux mois en raison du manque d’eau courante dans son logement. 

[52]   Ce dernier a dû, à de nombreuses reprises, et parfois même pendant plusieurs jours consécutifs, aller dormir, manger et se laver chez sa copine, ses parents ou ses amis, afin de pallier au manque d’eau courante.  Il n’a pu jouir pleinement de son logement.

[53]   Afin de compenser le locataire pour le préjudice subi découlant directement de la faute de la locatrice, le Tribunal condamne cette dernière à payer au locataire la somme de 2 000 $ à titre de dommages-intérêts pour le stress, le trouble et les inconvénients subis.  La somme réclamée par le locataire apparaît tout à fait justifiée et raisonnable dans les circonstances.

[54]   En ce qui concerne les frais de plomberie réclamés par le locataire, ce dernier a convaincu le Tribunal du bien-fondé de cette réclamation, par son témoignage crédible, sincère et probant.

[55]   En effet, à la lumière de la preuve soumise, le Tribunal conclut que le locataire était justifié d’entreprendre des travaux urgents de plomberie afin de faire réparer un bris de tuyau. 

[56]   Les courriels déposés en preuve viennent corroborer le témoignage du locataire à l’effet qu’il avait avisé la locatrice du problème et que cette dernière négligeait d’apporter les correctifs en temps utile. Le Tribunal estime qu’il s’agissait d’une réparation urgente et nécessaire pour assurer la jouissance du bien loué.

[57]   Conséquemment, le locataire était donc en droit d’engager une dépense pour faire réparer les tuyaux, même en l’absence du consentement de la locatrice, et d’en exiger le remboursement de la locatrice[25]

[58]   Quoi qu’il en soit, même si le consentement de la locatrice n’était pas requis en l’espèce pour les motifs exposés ci-dessus, la preuve démontre néanmoins que cette dernière a consenti à payer les frais du plombier au locataire.

[59]   À ce sujet, la locatrice a rendu un témoignage contradictoire. Selon les courriels déposés en preuve, cette dernière s’était engagée à payer les frais de plomberie encourus par le locataire.

[60]   En conséquence, le Tribunal condamne la locatrice à payer au locataire la somme totale de 1 446,38 $ à titre de dommages-intérêts matériels pour les frais de plomberie reliés aux travaux effectués en novembre 2018, tel qu’il appert des factures déposées en preuve.

[61]   Le Tribunal fait également droit à la réclamation du locataire pour les frais de déménagement (500 $), lesquels apparaissent tout à fait justifiés en l’espèce compte tenu que le locataire a dû déménager en plein mois de février.  Ces dommages découlent directement de la faute de la locatrice.

[62]   Toutefois, le Tribunal rejette la réclamation du locataire en ce qui concerne les frais d’entreposage (185 $) et les frais postaux (62,78 $).  La preuve soumise à cet égard est insuffisante. Il s’agit de frais indirects dont la locatrice ne peut être tenue responsable.

[63]   Enfin, les frais applicables sont adjugés contre les parties défenderesses selon le Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement[26].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[64]   CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme totale de 3 946,38 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q à compter du 18 juillet 2019, plus les frais de 85,50 $;

[65]   REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Alexandre Henri

 

Présence(s) :

le locataire

la locatrice

Dates des audiences :          

27 octobre 2020 et 18 janvier 2021

 

 

 


 

 



[1] Article 1854 C.c.Q.

[2] Article 1864 C.c.Q.

[3] Article 1910 C.c.Q.

[4] Article 1913 C.c.Q.

[5] 9192-2401 Québec inc. (Fabrication Pro-Fab) c. Villeneuve (Immeubles Jolika), 2018 QCCA 1143.

[6] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., par P.-G. Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 40.

[7] Article 1863 C.c.Q.

[8] P.-G. Jobin, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 23 et 423.

[9] En vertu de l’article 1917 C.c.Q., le Tribunal peut, à l’occasion de tout litige relatif au bail, déclarer, même d’office, qu’un logement est impropre à l’habitation.

[10] Article 1607 C.c.Q.

[11] Article 1613 C.c.Q.

[12] En vertu de l’article 1868 C.c.Q.

[13] RLRQ, c. T-15.01, r. 6.

[14] Article 1854 C.c.Q.

[15] Article 1864 C.c.Q.

[16] Article 1910 C.c.Q.

[17] Article 1913 C.c.Q.

[18] 9192-2401 Québec inc. (Fabrication Pro-Fab) c. Villeneuve (Immeubles Jolika), 2018 QCCA 1143.

[19] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., par P.-G. Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 40.

[20] Article 1863 C.c.Q.

[21] P.-G. Jobin, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 23 et 423.

[22] En vertu de l’article 1917 C.c.Q., le Tribunal peut, à l’occasion de tout litige relatif au bail, déclarer, même d’office, qu’un logement est impropre à l’habitation.

[23] Article 1607 C.c.Q.

[24] Article 1613 C.c.Q.

[25] En vertu de l’article 1868 C.c.Q.

[26] RLRQ, c. T-15.01, r. 6.

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