Beaulieu c. Comptables professionnels agréés (Ordre des) | 2024 QCTP 34 | |||||
TRIBUNAL DES PROFESSIONS | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | LONGUEUIL | |||||
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N° : | 505-07-000122-229 | |||||
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DATE : | Le 24 mai 2024 | |||||
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CORAM : | LES HONORABLES | JULIE VEILLEUX, J.C.Q. JACQUES A. NADEAU, J.C.Q. THIERRY NADON, J.C.Q. | ||||
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MARC BEAULIEU
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APPELANT | ||||||
c.
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CLAUDE MAURER, en qualité de syndic adjoint de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec
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INTIMÉ | ||||||
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VÉRONIQUE SMITH, en qualité de secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec
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MISE EN CAUSE | ||||||
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JUGEM ENT | ||||||
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 173 DU CODE DES PROFESSIONS[1] (C.PROF.), LE TRIBUNAL PRONONCE UNE ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, NON-DIVULGATION ET DE NON-DIFFUSION DU NOM DE CHACUNE DES TROIS GARDERIES MENTIONNÉES DANS LA PLAINTE ET DE TOUTES INFORMATIONS OU DOCUMENTS PERMETTANT DE LES IDENTIFIER.
LE TRIBUNAL PRONONCE ÉGALEMENT, EN VERTU DE L’ARTICLE 173 C.PROF., UNE ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, NON-DIVULGATION ET NON-DIFFUSION DU NOM DES PROPRIÉTAIRES ET DES EMPLOYÉS DE CHACUNE DES GARDERIES ET DE TOUTES INFORMATIONS PERMETTANT DE LES IDENTIFIER.
[1] M. Marc Beaulieu, l’appelant, se pourvoit à l’encontre des décisions sur culpabilité et sanction rendues par le Conseil de discipline de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (le Conseil).
[2] Dans une décision du 11 juin 2021, le Conseil déclare l’appelant coupable des 16 chefs contenus à la plainte déposée contre lui.
[3] Les chefs impairs lui reprochent de ne pas avoir respecté les normes professionnelles de certification lors de la vérification des états de rémunération du personnel de trois garderies pour des années fiscales différentes, le tout en contravention de l’article 19 du Code de déontologie des comptables agréés (Code de déontologie)[2].
[4] Les chefs pairs lui reprochent, pour les mêmes garderies et les mêmes années fiscales, d’avoir signé une attestation de conformité aux normes professionnelles de certification applicable, sachant ou devant savoir que cette affirmation était erronée ou fallacieuse et que la vérification n’avait pas été effectuée conformément à ces normes, le tout en contravention de l’article 34 du Code de déontologie.
[5] Selon l’appelant, le Conseil a erré dans la détermination des principes applicables en matière de preuve pour l’ensemble des 16 chefs et il a omis de motiver la déclaration de culpabilité en regard de certains chefs.
[6] Dans sa décision du 25 juillet 2022, le Conseil lui impose des périodes de radiation de trois mois et des amendes totalisant 30 000 $ de même que le paiement des déboursés limités à 60 000 $.
[7] L’appelant prétend que le Conseil a erré dans l’application des principes applicables à l’imposition des sanctions, lesquelles sont disproportionnées et déraisonnables. Par ailleurs, l’appelant reproche au Conseil d’avoir erré dans sa discrétion en lien avec l’adjudication des déboursés incluant les frais d’experts.
CONTEXTE
[8] L’appelant est membre du tableau de l’Ordre des comptables agréés du Québec depuis le 7 janvier 1986. Il est inscrit au tableau de l’Ordre des comptables professionnels agréés depuis le 16 mai 2012 où il devient détenteur du permis de comptabilité publique.
[9] Une demande d’enquête à l’égard de l’appelant est formulée par le Service de la conformité financière et des enquêtes du ministère de la Famille et des aînés (le Ministère). Selon cette demande, l’appelant aurait émis une opinion sur les états financiers qui ne reflétaient pas la réalité, comportant des anomalies significatives relativement à l’état de la rémunération du personnel.
[10] À la suite de la transmission par l’appelant des dossiers de vérification de chacune des garderies, l’intimé retient les services d’un expert, M. Michel Mathieu, CPA, CA (l’expert Mathieu) qui produit trois rapports en avril 2015. Une plainte est ensuite déposée par l’intimé, M. Claude Maurer, en qualité de syndic adjoint de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec.
[11] L’audition débute en avril 2016 et il est constaté que les dossiers transmis par l’appelant à l’intimé n’incluaient pas la version définitive des rapports et des états financiers transmis au Ministère, mais plutôt des brouillons que l’appelant conservait à son bureau.
[12] Afin de mettre à jour son opinion, les rapports et états financiers transmis au Ministère sont soumis à l’expert Mathieu qui les compare avec les documents qu’il avait déjà analysés. C’est à la suite de cet exercice que l’expert Mathieu dépose un nouveau rapport et son opinion est inchangée.
[13] Différents événements surviennent si bien que ce n’est qu’en mai 2018 qu’une plainte modifiée est déposée et que deux nouveaux membres se joignent au président de la formation initiale pour reprendre l’audition depuis le début.
[14] Les auditions sur culpabilité et sanction se sont déroulées sur 22 jours. Outre les parties, deux experts ont témoigné, l’expert Mathieu et Mme Paule Mc Nicoll, CPA, CA (l’experte Mc Nicoll) pour le compte de l’appelant.
QUESTIONS EN LITIGE
DÉCISION SUR CULPABILITÉ
[15] D’entrée de jeu, il est utile de préciser que la preuve repose essentiellement sur le rapport et l’opinion des experts Mathieu et Mc Nicoll.
[16] En regard de l’opinion de l’expert Mathieu, le Conseil dénombre 10 manquements pertinents à la plainte :
- Non-respect des normes de documentation;
- Non-respect des normes de planification;
- Non-respect de la norme traitant de l’appréciation des risques relatifs aux missions de certification;
- Manque de soin à l’égard du travail de l’appelant relatif à la compréhension d’identité de son environnement et relativement à l’appréciation d’inexactitudes importantes;
- Non-respect de la norme relative à la détermination de l’importance relative dans le dossier de la vérification de la rémunération du personnel éducateur;
- Non-respect de la norme sur l’importance de prendre des décisions et de les consigner au dossier, à l’étape de la planification de la mission;
- Non-respect de la norme relativement à la détermination des procédés de corroboration destinés à ramener le risque de mission à un niveau suffisamment faible;
- Non-respect de la norme relativement à l’obligation pour le praticien de réunir des éléments probants suffisants et appropriés pour servir de fondement à sa conclusion;
- Non-respect de la norme relativement à la consignation au dossier de la stratégie globale de vérification et du plan de vérification, y compris tout changement significatif apporté à ceux-ci au cours de l’émission de vérification;
- Non-respect de la norme relativement au procédé mis en œuvre par le vérificateur en réponse à son appréciation des risques.
[17] Le Conseil réfère ensuite au témoignage de l’appelant qui explique le contexte dans lequel il a obtenu de nouveaux clients en vérification au cours de l’année financière 2008-2009. Il s’agit de trois garderies, propriété de sociétés à capital-actions dont les actions sont réparties entre M. M.P. à 51% et sa sœur, Mme M.P. à 49%. Cette dernière agit seule comme gestionnaire de ces garderies pendant la période pertinente.
[18] L’appelant explique tant la démarche que le résultat du travail de vérification qu’il a effectué avec son équipe de 10 personnes. Celle-ci inclut 2 autres CPA, 2 comptables, 3 techniciens comptables, 1 adjointe et 1 programmeur.
[19] L’appelant décrit le moment et les étapes suivies par le programmeur pour les tests de vérification. Il réfère aussi à des formulaires pré-imprimés et remplis d’avance lesquels sont modifiés au besoin. Il confirme qu’il peut exister dans les documents de comptabilité des erreurs devant être corrigées au moyen d’écritures de régularisation qui doivent être autorisées au préalable par le client. Selon le Conseil, ces autorisations ne sont pas au dossier.
[20] L’appelant souligne aussi que dans plusieurs cas où de telles autorisations étaient requises, elles étaient obtenues verbalement et des résolutions émanant du conseil d’administration des sociétés le confirment. Cependant, le Conseil note qu’il n’y a aucun conseil d’administration fonctionnel au sein des trois sociétés.
[21] Le résumé du contre-interrogatoire de l’appelant fait état de nombreuses incongruités et erreurs dans les réponses aux questions contenues dans les différents formulaires[3]. Par exemple :
- Les documents font état qu’il existe un comité de contrôle à l’interne, ce qui n’est pas exact puisqu’il n’y a que la gestionnaire des garderies qui pourrait se contrôler elle-même;
- Pour la rémunération des éducatrices qualifiées ou non qualifiées, 12 tests sont prévus au départ lors de la planification du programme de vérification, soit 1 test par mois, mais dans les faits, seulement 4 tests sont effectués.
[22] L’appelant témoigne qu’il travaille avec plusieurs personnes, qu’il ne vérifie pas tout mais plutôt ce qui lui paraît important. Les membres de son équipe ont sa confiance.
[23] Le Conseil questionne l’appelant à savoir comment il explique que pour trois garderies, pour chacune des années en cause, ce sont les mêmes erreurs, les mêmes manquements et les mêmes annotations qui sont soulevés. Il répond qu’il s’agit de formulaires pré-imprimés et que les mêmes formulaires sont utilisés pour chaque garderie et pour chaque année en cause. Il affirme aussi que le travail a été fait individuellement pour chaque garderie et ce, à chaque année.
[24] Le Conseil relate également le témoignage de l’experte Mc Nicoll dont le rapport a été déposé en août 2020. Selon le Conseil, elle voit initialement peu d’erreurs dans l’ensemble des documents étudiés et celles qu’elle a constatées n’étaient pas suffisamment importantes pour influencer le vérificateur.
[25] Par contre, dans le cadre de son contre-interrogatoire, l’experte Mc Nicoll relate plusieurs éléments probants non documentés qu’elle a répertoriés dans le dossier de travail de l’appelant pour une garderie[4]. Mais plus encore, le Conseil note que l’experte Mc Nicoll reconnaît 25 manquements en lien avec les formulaires préremplis utilisés par l’appelant[5].
[26] Le Conseil procède ensuite à l’analyse des opinions fournies par les deux experts, à l’appréciation de leur crédibilité et explique pourquoi il donne préséance au témoignage de l’expert Mathieu.
[27] Voici comment le Conseil s’exprime à cet égard :
[170] Par ailleurs, les nombreux manquements soulevés par M. Mathieu à l’égard du travail de l’intimé, tant dans ses expertises que lors de son témoignage devant le Conseil, ne sont pas contredits d’aucune façon, ni par l’intimé, lors de son contre-interrogatoire, ni par Mme Mc Nicoll.
[171] Quant au reproche qui lui est adressé pour ne pas avoir analysé les rapports finaux, l’erreur du départ revient à l’intimé lui-même, pour ne pas avoir transmis au plaignant les documents qu’il lui avait demandés au départ.
[172] Que M. Mathieu constate qu’il n’est pas en possession des documents transmis au Ministère, il est certes en droit de présumer que les documents qui lui ont été transmis sont complets et qu’ils reflètent le même contenu que ceux déposés au Ministère.
[173] Même si M. Mathieu, en ce faisant, avait commis un impair, cette erreur de bonne foi est subséquemment corrigée par la révision, par ce dernier, des documents finaux obtenus directement du Ministère, suite à laquelle M. Mathieu conclut que rien dans son opinion initiale ne change.[6]
[soulignement du Tribunal]
[28] Le Conseil s’attarde ensuite à la valeur probante de l’expert Mathieu. Il conclut que le fait qu’il siège depuis plusieurs années sur le même comité que la personne du Ministère qui a fait la demande d’enquête n’affecte pas sa crédibilité ou la force probante de son opinion.
[29] Le Conseil écarte aussi l’argument présenté par l’appelant suivant lequel l’expert Mathieu a exécuté son mandat en regard de sa pratique personnelle par opposition aux normes professionnelles applicables.
[30] Le Conseil souligne que le rapport de l’experte Mc Nicoll de même que son témoignage sont aux antipodes de ce qui est attendu d’un expert tout en soulignant qu’elle avait reconnu des lacunes et des manquements aux normes professionnelles de la part de l’appelant.
[31] Le Conseil conclut ainsi en regard des reproches formulés contre l’appelant :
[199] En sollicitant son admission au sein de l’Ordre des comptables agréés du Québec (OCAQ) puis, à la suite de la fusion des ordres comptables, au sein de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (l’Ordre) et en contrepartie des importants privilèges dont il bénéficie en tant que professionnel comptable agréé, l’intimé s’est engagé à respecter les devoirs qui incombent à tout membre de son ordre professionnel, dont celui de respecter les dispositions du Code de déontologie alors en vigueur, lequel précise notamment que le membre doit exécuter ses mandats avec tout le soin nécessaire et conformément aux normes de certification en vigueur ainsi qu’aux autres normes du Manuel de l’Institut Canadien des Comptables Agréés et aux données en vigueur selon l’état de la science (art. 19 du Code).
[200] De même et en vertu des mêmes privilèges, l’intimé ne pouvait pas non plus, signer un rapport du vérificateur, dans lequel il affirme que sa vérification est effectuée conformément aux normes de vérification généralement reconnues au Canada et au mandat de vérification externe des Centres de la petite enfance et autres services de garde à l’enfance édictés par le Ministère, alors qu’il sait ou devait savoir que cette affirmation est erronée ou fallacieuse (art. 34 du Code).[7]
[32] Voici quelques-uns des éléments considérés par le Conseil au soutien de ses conclusions.
- Le mandat de vérification de l’appelant est important « d’autant qu’il ne peut ignorer que c’est l’argent du public québécois qui sert à subventionner ces garderies et que le Ministère exige cette vérification effectuée par l’intimé, et s’y fie pour s’assurer que les subventions versées sont conformes à ce qui doit l’être et utilisées aux fins prévues. »[8].
- La preuve révèle que de nombreuses pages des dossiers de travail de l’appelant sont incomplètes et incohérentes à savoir même inexactes ou parfois même carrément non complétées, en tout ou en partie, et que conséquemment, il est donc impossible à un vérificateur d’expérience de comprendre la nature, le calendrier d’application et l’étendue des procédés de vérification mis en œuvre.
- La quasi-totalité des manquements identifiés apparaissent à la face même des dossiers de travail de l’appelant.
- L’appelant se sert de son jugement professionnel et de son expérience pour justifier l’absence de la documentation des différents dossiers mais les démarches professionnelles et les décisions doivent être documentées, expliquées et motivées dans chaque dossier, ce qui n’est pas le cas.
[33] Le Conseil termine son analyse en soulignant qu’il n’est pas question de l’exercice du jugement professionnel de l’appelant mais plutôt d’une série d’absences, d’erreurs et de manquements essentiels pour permettre à l’appelant d’exercer tel jugement. Pour le Conseil, ces manquements sont suffisamment graves pour constituer des fautes déontologiques.
ANALYSE
[34] Cette question éminemment factuelle doit être abordée par le Tribunal sous l’angle de l’erreur manifeste et déterminante pour permettre son intervention.
[35] En effet, il est bien établi que le Conseil a une position privilégiée en ce qu’il voit et entend les témoins. Il est le mieux placé pour évaluer la valeur probante des témoignages; cela vaut également pour les témoins experts[9]. Partant, il appartient à l’appelant d’identifier, c’est-à-dire montrer du doigt, l’erreur déterminante commise par le Conseil[10].
- L’indépendance et la crédibilité des experts
[36] L’appelant reproche au Conseil de ne pas avoir abordé son argument le plus important en lien avec l’indépendance de l’expert Mathieu : ses relations étroites avec l’Ordre des comptables professionnels agréés et ses représentants, « et ce, sur près de deux décennies, lesquelles lui ont permis de générer des honoraires non négligeables excédant le million de dollars »[11]. Selon l’appelant, si le Conseil avait accordé l’attention et le sérieux appropriés à cet argument, il n’aurait pu faire autrement que constater son absence d’indépendance.
[37] D’entrée de jeu, le Tribunal souligne que c’est à tort que l’appelant prétend que le Conseil n’a pas abordé cet argument. Voici en effet comment s’exprime le Conseil à cet égard :
[153] Dans un premier temps, le Conseil considère que ce n’est pas parce que l’ordre professionnel auquel appartient M. Mathieu a reconnu ses compétences et a retenu les services de ce dernier, à plusieurs reprises au cours des années précédentes, et ce, dans ses domaines d’expertise, incluant dans le domaine des garderies subventionnées, qu’il ne saurait être qualifié comme témoin expert ou être appelé à témoigner à ce sujet.
[154] Bien au contraire, sur cette question de qualification d’un expert, les mandats qu’il a complétés à la demande du Ministère et/ou de son Ordre professionnel, ne font que démontrer davantage qu’il est véritablement une autorité et un réel expert dans le domaine des garderies privées subventionnées.[12]
[38] Non seulement le Conseil a-t-il abordé cet argument, mais il s’est bien dirigé en droit en distinguant, autorités à l’appui[13], l’admissibilité d’un témoignage d’expert de la valeur probante de son opinion.
[39] De même, toujours selon l’appelant, le Conseil a omis de se prononcer sur les éléments suivants :
- L’expert Mathieu siège depuis une quinzaine d’années sur le même comité que la personne qui a formulé la demande d’enquête, la représentante du Ministère;
- L’expert Mathieu a omis de traiter les nombreux facteurs qui lui étaient favorables démontrant ainsi son absence de neutralité et d’objectivité.
[40] L’appelant a raison de souligner certaines omissions de la part du Conseil mais celles-ci ne sont pas déterminantes.
[41] D’une part, l’impact de ces omissions doit être apprécié dans le contexte où les manquements soulevés par l’expert Mathieu n’ont pas été contredits, comme cela a été évoqué ci-dessus[14].
[42] D’autre part, il est bien établi qu’un décideur n’a pas à traiter de tous les arguments qui lui sont fournis par les plaideurs[15]. Dans ces circonstances, les omissions du Conseil ne portent pas à conséquence.
[43] Le Tribunal ajoute que l’exercice auquel l’appelant le convie est de réévaluer l’ensemble de la preuve d’expert.
[44] L’appelant plaide enfin que le Conseil a accordé une importance démesurée à une réponse donnée candidement par l’expert Mc Nicoll en cours de contre-interrogatoire lorsqu’elle affirmait « qu’elle représentait » l’appelant et qu’en conséquence, le Conseil concluait au manque d’impartialité.
[45] Même si l’appelant avait raison à cet égard, il reste que l’experte Mc Nicoll s’est à toutes fins utiles rangée dernière l’opinion de l’expert Mathieu, constatant elle aussi des manquements notables de la part de l’appelant.
[46] Par conséquent, le premier moyen de l’appelant doit être rejeté.
- La confusion entre les préférences professionnelles de l’expert Mathieu et l’existence de normes professionnelles
[47] L’appelant prétend que l’expert Mathieu a admis que les normes auxquelles il se réfère ne sont pas « des normes communément admises et suivies, mais sont plutôt des préférences et façons de faire personnelles »[16].
[48] L’appelant évoque le contre-interrogatoire de l’expert Mathieu où il a été question d’écoles de pensée avec la qualification du personnel. D’ailleurs, l’experte Mc Nicoll a fait état de la confusion par rapport à ces exigences, ce qui a mené le Ministère à émettre une directive afin d’uniformiser les pratiques entre autres sur la qualification d’employés.
[49] L’appelant souligne quatre préférences personnelles de l’expert Mathieu initialement présentées comme des normes devant être respectées. Selon lui, l’expert Mathieu a induit le Comité en erreur qui a négligé d’aborder cet aspect dans son analyse. En présence de deux écoles de pensée, l’appelant prétend qu’il ne pouvait être trouvé coupable d’un manquement déontologique.
[50] L’intimé a raison de souligner dans son mémoire que le Conseil a écarté cet argument. Il est utile de reproduire les paragraphes suivants de la décision sur culpabilité.
[186] Par ailleurs, prétendre que M. Mathieu a exécuté son mandat qu’en regard de sa pratique personnelle ne tient pas non plus la route. Tant ses rapports d’expertise que son témoignage devant le Conseil réfèrent spécifiquement à des normes précises applicables et à leur non-respect par l’intimé.
[187] D’ailleurs, le Conseil comprend que le fait, pour M. Mathieu, d’énoncer que telle ou telle pratique seraient inadmissibles à son bureau, tout comme l’a également fait Mme Mc Nicoll à plusieurs reprises, sous-entend que leur pratique personnelle respective se fait dans le respect des normes applicables.
[…]
[189] En effet, la question posée à l’expert n’était pas de décider du caractère raisonnable des décisions prises par l’intimé dans le cadre de ses mandats de vérification, mais plutôt de vérifier le contenu des dossiers et des rapports de vérification en regard des normes applicables en la matière.
[190] Le Conseil réitère que les dossiers de vérification doivent être autoportants et que toute décision prise doit faire l’objet d’une note et d’une explication.[17]
[51] La répétition par l’appelant de sa position devant le Conseil n’équivaut certainement pas à l’identification d’une erreur manifeste et déterminante permettant au Tribunal d’intervenir.
- L’omission de considérer l’impact de nombreuses erreurs de l’expert Mathieu dans le cadre de l’évaluation de la valeur probante de son opinion
[52] L’appelant plaide que la preuve démontre que l’opinion de l’expert Mathieu s’appuie sur des faits qui se sont révélés en grande partie erronés, non prouvés ou incomplets en regard de six éléments[18].
[53] L’appelant ajoute que l’expert Mathieu a erronément indiqué, en s’appuyant sur une note désuète, que le vérificateur dispose d’un délai de 45 jours suivant la signification de son rapport pour terminer la documentation de son dossier. Or, pour l’année 2010-2011, cette norme était passée à 60 jours, suscitant ainsi un doute sur le sérieux de son analyse et la valeur probante de son opinion.
[54] Somme toute, l’appelant reproche au Conseil de ne pas avoir considéré le portrait global et le cumul de ces erreurs et omissions de l’expert Mathieu et a endossé sans réserve son opinion, errant de façon manifeste et déterminante.
[55] Qu’en est-il?
[56] À nouveau, l’appelant demande au Tribunal de réévaluer la preuve d’expert et surtout, de pondérer différemment certains aspects de la preuve afin d’amoindrir la valeur probante de l’opinion de l’expert Mathieu.
[57] Il n’appartient pas au tribunal d’appel de revoir des grands pans de la preuve à moins qu’une erreur manifeste et déterminante n’ait été d’abord identifiée par l’appelant[19]. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le Conseil, formé majoritairement de pairs, a eu l’occasion de prendre en considération ces éléments, de les pondérer et d’en tirer les conclusions qu’il estime appropriées. Le Tribunal n’y voit aucune erreur.
[58] Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu pour le Tribunal de rejeter ce moyen.
[59] L’appelant a raison de qualifier la deuxième question comme soulevant une erreur de droit. L’absence ou l’insuffisance de motivation peut entraîner l’intervention du Tribunal dans la mesure où elle constitue un accroc à l’équité procédurale[20].
[60] L’appelant plaide qu’aucune analyse n’a été faite en lien avec les déclarations de culpabilité prononcées sous les chefs pairs de la plainte. Il prétend que la décision se consacre entièrement à l’identification et aux manquements des normes professionnelles visées par les chefs impairs. Seulement deux paragraphes visent les chefs pairs qui ont trait à la signature d’attestation de conformité aux normes sachant qu’elles sont erronées. Il s’agit des extraits suivants :
[200] De même et en vertu des mêmes privilèges, l’intimé ne pouvait pas non plus, signer un rapport du vérificateur, dans lequel il affirme que sa vérification est effectuée conformément aux normes de vérification généralement reconnues au Canada et au mandat de vérification externe des Centres de la petite enfance et autres services de garde à l’enfance édictés par le Ministère, alors qu’il sait ou devait savoir que cette affirmation est erronée ou fallacieuse (art. 34 du Code).[21]
[…]
[219] Ainsi, le Conseil décide que le plaignant s’est déchargé de son fardeau de preuve d’établir que l’intimé a :
[…]
▪ signé un rapport du vérificateur, dans lequel il déclare :
« Ma vérification a été effectuée conformément aux normes de vérification généralement reconnues du Canada et au mandat de vérification externe des centres de la petite enfance et autres services de garde à l’enfance édicté par le Ministère de la Famille et des Aînés. […] »
alors qu’il sait ou devait savoir que cette affirmation est erronée ou fallacieuse et que sa vérification n’a pas été effectuée conformément aux normes de vérification généralement reconnues du Canada et au mandat de vérification externe des centres de la petite enfance et autres services de garde édicté par le Ministère de l’Emploi de la famille et des aînés, contrevenant ainsi aux dispositions alors en vigueur de l’article 34 du Code de déontologie des comptables agréés, alors identifié sous la référence (RRQ, c. C-48, r.2.01), et ce :
[…]
[61] Selon l’appelant, le Conseil ne pouvait sommairement conclure qu’une déclaration de culpabilité quant aux chefs impairs entraînait automatiquement une déclaration de culpabilité quant aux chefs pairs. L’absence de motifs sous-jacents à la déclaration de culpabilité quant aux chefs pairs constitue selon lui une erreur requérant l’intervention du Tribunal.
[62] En effet, même si les dossiers de l’appelant n’étaient pas parfaits, que des éléments auraient pu être mieux documentés et vu ses explications verbales, il pouvait avoir l’assurance raisonnable nécessaire pour affirmer, au moment où il l’a fait, que sa vérification a été faite conformément aux normes applicables.
[63] Il est utile de rappeler sommairement les enseignements des tribunaux supérieurs en regard de l’obligation de motivation :
- La communication de motifs à l’appui d’une décision administrative est susceptible d’avoir des répercussions sur sa légitimité, à la fois au regard de l’équité procédurale et du caractère raisonnable de ceux-ci sur le fond[22];
- Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle[23];
- L’intervention d’une cour d’appel n’est justifiée que dans les cas où les motifs sont à ce point laconiques qu’ils font obstacles à un examen valable en appel de la justice de la décision[24];
- Les motifs ne doivent pas être qualifiés d’insuffisants simplement parce qu’ils ne font pas état de chaque argument soulevé ou n’analysent pas tous les moyens invoqués, ni n’exposent pas tous les éléments de la preuve[25];
- L’implicite a sa place[26].
[64] La trame factuelle de l’ensemble des chefs reprochés à l’appelant dans la plainte comporte de nombreuses similarités. Il s’agit en effet des mêmes clients, des mêmes années et des mêmes rapports.
[65] Cela dit, une déclaration de culpabilité en regard des chefs impairs n’a pas entraîné, automatiquement comme le plaide l’appelant, une déclaration de culpabilité à l’égard des chefs pairs. En effet, l’intimé devait faire la démonstration par preuve prépondérante que l’appelant savait ou devait savoir que l’attestation qu’il a signée était erronée parce que les normes de vérification n’avaient pas été respectées.
[66] L’intimé a raison de souligner les passages suivants de la décision[27] :
[217] Sur ce point, même l’intimé reconnaît qu’à divers endroits de ses dossiers de travail, un vérificateur subséquent n’aurait pas été en mesure de comprendre le travail effectué.
[…]
[221] En effet, la preuve a été faite non seulement des normes scientifiques applicables mais également que les rapports signés ne sont pas supportés, comportant, par ailleurs, des lacunes importantes quant à la documentation. L’écart entre les deux est si grand qu’il constitue plus qu’une erreur légère, mais plutôt une faute déontologique passible de sanction.
[…]
[225] Le Conseil tient à rappeler le fait que les mêmes erreurs ou manquements se retrouvent dans les trois dossiers pour les trois garderies, et ce, pour chacune des années en cause, ce qui lui fait comprendre que tout le travail qui aurait dû être exécuté pour chacune des entités n’a pas été effectué conformément aux normes.
[226] Il ne s’agit pas non plus d’une question d’exercice par l’intimé de son jugement professionnel, mais plutôt d’une série d’erreurs, d’absences et de manquements d’information essentielle et nécessaire pour permettre à l’intimé d’exercer son jugement professionnel en toute connaissance de cause.
[67] L’implicite qui se dégage de ces motifs est qu’avec l’expérience de l’appelant, il ne pouvait ignorer la non-conformité de sa vérification compte tenu de l’ampleur de celle-ci.
[68] À la lumière de ce qui précède et bien que les motifs de la décision auraient pu être plus élaborés en ce qui a trait aux chefs pairs, il y a lieu pour le Tribunal de conclure que la décision, lue dans son ensemble, permet de comprendre le raisonnement du Conseil et son examen utile en appel.
[69] Par conséquent, il y a lieu de répondre par la négative à la deuxième question.
[70] Il convient d’entrée de jeu de résumer la décision sur sanction.
[71] L’intimé évoque un antécédent disciplinaire de 2019 où l’appelant avait été reconnu coupable de ne pas avoir agi avec tout le soin nécessaire et conformément aux normes professionnelles en 2012, 2013 et 2014 quant aux audits des états financiers, de l’état de rémunération et de l’état de l’occupation et des présences réelles pour un centre de la petite enfance. L’appelant s’était alors vu imposer des périodes de radiation temporaires de 30 jours et des amendes totalisant 10 000 $[28].
[72] L’appelant explique pour sa part avoir vendu sa pratique professionnelle en mai 2021. Il est demeuré associé minoritaire pour assurer le paiement du solde du prix de vente mais il ne va plus au bureau et ne pose plus de geste relevant de la pratique de comptabilité. Il est aussi fait mention de son engagement de ne jamais revenir à la pratique active de la comptabilité.
[73] Quant aux facteurs objectifs considérés par le Conseil, la gravité objective de ces infractions est mentionnée, tout comme le fait que les comportements reprochés sont au cœur de la profession, soit de donner de la crédibilité aux états financiers.
[74] Il est aussi noté que les infractions se sont déroulées sur une période très longue, soit de 2008 à 2011.
[75] Le Conseil rappelle que la signature certifiant que les conditions d’une mission d’audit est fondée sur les normes acceptées et reconnues permet au public d’apprécier la santé de l’entreprise. La vérification des états financiers permet à l’État de s’assurer de la bonne utilisation des fonds publics.
[76] Le Conseil qualifie de grossières et d’inacceptables les nombreuses fautes pour lesquelles une preuve d’expert a été administrée. Il est d’avis que les comportements jettent un discrédit sur l’ensemble de la profession.
[77] Le Conseil s’exprime ensuite ainsi :
[80] Comme facteur objectif aggravant, le Conseil constate que l’intimé fait témoigner son expert inutilement.
[81] En effet, il ressort de la preuve que Mme Mc Nicoll, lors de son contre-interrogatoire serré, témoigne finalement à l’encontre de ce qu’elle a écrit dans son rapport d’expertise, entraînant ainsi temps et coûts inutiles.
[82] En effet, tant dans son rapport écrit que lors de son témoignage devant le Conseil, Mme Mc Nicoll adopte et tente de défendre la position de l’intimé alors qu’elle reconnaît entre autres, après avoir dit que l’intimé travaillait avec une équipe spécialisée, n’avoir jamais rencontré les membres de cette équipe ni validé leur connaissance de la règlementation applicable, ce qui rend son témoignage en lien avec le présent dossier totalement non crédible et inutile.[29]
[78] Pour ce qui est des facteurs subjectifs, le Conseil considère la grande expérience de l’appelant et le fait qu’il a plaidé coupable à des infractions similaires pour d’autres clients et pour des années subséquentes (2012 à 2014). Le Conseil reconnaît qu’il ne s’agit pas d’un antécédent disciplinaire.
[79] Le Conseil souligne que l’appelant a transmis à l’intimé des projets de rapport et non les rapports finaux déposés au Ministère, entraînant des délais inutiles occasionnés par le report de l’audition. Il note l’absence de remords ou de regrets et s’exprime ainsi en ce qui a trait au risque de récidive :
[89] Quant au risque de récidive, étant donné la retraite de l’intimé depuis le 21 juin 2021 et son engagement pris devant le Conseil de ne plus jamais poser un geste relevant de l’exercice de la comptabilité, le Conseil, dans ces circonstances, conclut à l’absence de tout risque de récidive.[30]
[soulignement du Tribunal]
[80] Le Conseil conclut ensuite que de façon générale, des périodes de radiation de trois à huit mois sont imposées pour ce genre de manquement. Au terme de son analyse, le Conseil impose une période de radiation temporaire de trois mois pour tous les chefs.
[81] Aussi, il impose une amende de 3 000 $ sous chacun des chefs 7 à 16.
[82] En effet, le Conseil est d’avis que bien que la jurisprudence impose généralement des périodes de radiation temporaires de quelques mois, cette sanction n’aurait aucun effet dissuasif sur l’appelant étant donné qu’il a pris sa retraite « faisant en sorte qu’il ne purgerait pas de sanction »[31].
[83] Le Conseil conclut ensuite que les amendes de 30 000 $ sont suffisantes pour s’assurer que l’appelant ne soit pas « tenté de récidiver de quelque façon que ce soit »[32].
[84] Enfin, en ce qu’il a trait aux frais d’experts, le Conseil rappelle les principes généraux pour ensuite analyser la réclamation de l’expert Mathieu qui totalise 92 898,92 $.
[85] L’appelant plaide qu’il devrait être condamné qu’au paiement d’un maximum de 25 000 $ de ces frais d’expertise.
[86] Le Conseil considère que le travail et la présence de l’expert Mathieu étaient essentiels au bon déroulement du dossier pour expliquer les principes et les normes applicables. Le Conseil fait une analyse de chacune des factures, y compris les frais de déplacement facturés, et s’exprime ainsi :
[156] Quant au critère de la raisonnabilité du quantum des frais d’expertise facturés à l’intimé qui, selon la jurisprudence, dépend de plusieurs facteurs, notamment son importance en ce qui a trait à la question en litige, il nous amène à l’analyse de la règle de la proportionnalité.
[157] Dans le cas à l’étude, il s’agit d’un travail de trois garderies différentes sur une période de trois années consécutives pour lesquelles l’expert devait faire des rapports pour chacune de ces garderies, et ce, pour chacune des trois années en cause, ce qui représente un travail colossal.
[158] Ajoutons à ceci le fait que l’intimé n’a pas remis au plaignant, bien que requis, les documents finaux pour les fins de son analyse.
[159] Le Conseil ne peut, non plus, passer sous silence, le travail de l’expert du plaignant, qui, en cours d’audience, a dû prendre connaissance du rapport de deux expertes différentes engagées par l’intimé et de les commenter, le tout en prévision de leur contre-interrogatoire éventuel.
[160] Enfin, la nature du dossier et le caractère technique de la preuve entendue justifient pleinement la présence de l’expert du plaignant pendant presque tout le processus, et ce, de façon à comprendre la position et les arguments soulevés en défense et d’assister le plaignant lors des contre-interrogatoires des témoins de la partie intimée.[33]
[87] À la lumière de ce qui précède, le Conseil considère que la condamnation à la totalité des frais d’expertise serait punitive compte tenu que des amendes de 30 000 $ ont été imposées en sus des périodes de radiation de trois mois. Exerçant son pouvoir discrétionnaire, le Conseil considère plusieurs éléments soulevés en défense, notamment l’absence de preuve de la nature du travail fait, l’application d’un taux horaire de 200 $ ainsi que la disproportion qui pourrait résulter d’une condamnation à la totalité des déboursés réclamés. Il décide de réduire ceux-ci à 60 000 $ et accorde à l’appelant un délai de six mois pour les acquitter.
[88] L’appelant prétend que le Conseil a erré en considérant comme aggravant le fait qu’il se soit défendu à l’encontre de la plainte déposée et qu’il lui a imposé une double sanction qui s’avère punitive quant aux chefs 7 à 16. Aussi, il plaide que l’exercice de la discrétion du Conseil en regard des frais d’experts est non judicieux et inapproprié.
[89] Qu’en est-il?
[90] Il est utile de souligner dès à présent que le Conseil ne fait pas de reproche à l’appelant de s’être défendu. Partant, il ne s’écarte pas de la jurisprudence suivant laquelle un professionnel peut plaider non coupable, être entendu et faire entendre un expert. Il s’agit là de l’exercice de son droit à une défense pleine et entière[34].
[91] Par ailleurs, après avoir considéré la gravité objective des manquements commis, leur durée et leur impact sur la profession, le Conseil considère un facteur additionnel qu’il qualifie d’aggravant, soit l’inutilité du témoignage de l’expert de l’appelant.
[92] Selon le Conseil, l’inutilité de ce témoignage découle de l’écart entre l’opinion que l’experte Mc Nicoll a d’abord exprimée dans son rapport écrit et celle qu’elle a ensuite fournie lors de son témoignage.
[93] Pour le Tribunal, la considération du Conseil de ce facteur comme étant aggravant constitue une erreur de principe. En effet, si l’opinion initiale fournie par l’experte Mc Nicoll était incomplète et superficielle, ce qui n’est possiblement pas étranger au contexte dans lequel ses services ont été retenus[35], il y a lieu de reconnaître que lors de son contre-interrogatoire, elle a effectué plusieurs vérifications qui ont mené à l’évidence : les nombreux manquements de l’appelant.
[94] L’experte Mc Nicoll a donc joué le rôle qui est dévolu à l’expert, soit d’éclairer le décideur[36]. Pour le Tribunal, cet élément pouvait certainement entrer en ligne de compte dans le cadre de l’adjudication des déboursés. Cependant, il ne pouvait l’être à titre de facteur aggravant dans le cadre de l’imposition de la sanction.
[95] L’appelant plaide aussi qu’en imposant une période de radiation temporaire de trois mois, le Conseil se conformait au principe de la parité des sanctions. À cela s’ajoute « une seconde sanction purgeable dès maintenant »[37] afin que l’appelant ne soit pas tenté de récidiver de quelque façon que ce soit, et ce, même si le Conseil a conclu à l’absence de risque de récidive devant un appelant sans antécédent disciplinaire.
[96] L’appelant prétend que l’imposition de cette double sanction pour les chefs 7 à 16 constitue une erreur de principe puisqu’elle vise clairement à punir l’appelant « de manière à s’assurer que peu importe son statut professionnel, il en ait minimalement une à purger »[38]. Selon lui, l’imposition d’amendes en sus des frais est abusive, démesurée, punitive et accablante.
[97] Le Tribunal est d’avis que l’appelant a identifié une seconde erreur de principe ayant un impact sur la sanction qui lui a été imposée.
[98] Le Conseil ne peut à la fois conclure à l’absence de risque de récidive de l’appelant et lui imposer des amendes substantielles pour empêcher une tentative de récidive. En d’autres termes, il est erroné d’imposer une sanction pour dissuader un comportement dont la survenance a été écartée. Dans le cas sous étude, l’abandon de la profession cumulé à l’engagement de ne plus pratiquer en est l’illustration.
[99] De surcroît, la justification du Conseil d’imposer ces amendes pour que l’appelant ait « minimalement » une sanction à purger laisse craindre une volonté de le punir, ce qui est contraire à tous les enseignements des tribunaux supérieurs et de notre tribunal[39].
[100] À la lumière des deux erreurs de principe identifiées par l’appelant, il y a lieu pour le Tribunal d’intervenir uniquement en regard de l’imposition des amendes de 3 000 $ à l’égard de chacun des chefs 7 à 16.
[101] En effet, il n’est pas contesté qu’en semblable matière, ce sont des périodes de radiation variant entre 3 et 8 mois qui sont généralement imposées.
[102] Par ailleurs, l’analyse détaillée des factures soumises par l’expert Mathieu qui a été effectuée par le Conseil est adéquate. Ainsi, comme le souligne d’ailleurs l’intimé, l’appelant néglige d’identifier une erreur dans l’exercice de la discrétion du Conseil à cet égard et il n’y a donc pas lieu pour le Tribunal d’intervenir[40].
[103] Enfin, dans l’évaluation de la globalité de la sanction, c’est à juste titre que le Conseil a tenu compte de l’impact de la condamnation aux frais afin qu’une fois combinée aux autres sanctions, elle ne devienne pas accablante[41]. Voici comment il s’exprime :
[161] Cela étant et bien que la majorité des montants réclamés comme « frais d’expertise » soient, aux yeux du Conseil, justifiés, le Conseil considère également qu’une condamnation à la totalité des frais d’expertise réclamés tant en honoraires qu’en déboursés, à savoir 92 898,92 $, serait punitive pour l’intimé.
[162] En effet, il s’agit d’un dossier imposant des amendes totalisant 30 000 $ en sus de périodes de radiation concurrentes de trois mois, ces dernières ne prenant effet que si l’intimé décide de se réinscrire au tableau de l’Ordre.
[163] Ainsi le Conseil, utilisant son pouvoir discrétionnaire en la matière, décide de réduire le montant des frais d’expertise à un montant totalisant 60 000 $.
[164] Pour ce faire, le Conseil prend en considération plusieurs éléments, soulevés en défense, notamment l’absence de preuve de la nature du travail fait, l’application d’un taux horaire de 200 $ pour le travail fait par tous les collaborateurs, professionnels ou non, en lien avec ce dossier ainsi que la disproportion qui pourrait résulter d’une condamnation à la totalité des frais réclamés.
[104] Compte tenu de ce qui précède et même si le Tribunal annule les amendes imposées par le Conseil, il n’y a pas lieu d’intervenir sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à l’égard des frais. L’intimé n’a d’ailleurs pas interjeté appel de la décision du Conseil en regard des frais.
[105] En effet, la vente par l’appelant de sa pratique professionnelle, son engagement à ne pas revenir à la pratique active de la comptabilité, les périodes de radiation temporaires de trois mois et les frais de 60 000 $ sont proportionnels à la culpabilité générale de l’appelant.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[106] ACCUEILLE l’appel à la seule fin d’annuler les amendes de 3 000 $ imposées à chacun des chefs 7 à 16;
[107] LE TOUT, chaque partie assumant ses propres déboursés.
__________________________
JULIE VEILLEUX, J.C.Q.
__________________________
JACQUES A. NADEAU, J.C.Q.
__________________________
THIERRY NADON, J.C.Q.
Me Pascal A. Pelletier
Pelletier & Cie Avocats
APPELANT
Me Michel C. Bélisle
Pouliot, Caron, Prévost, Bélisle, Galarneau
Pour l’INTIMÉ
Depuis le 16 avril 2024
Me Alexandre L. Racine
Ordre des comptables professionnels agréés du Québec
Pour l’INTIMÉ
Mme Véronique Smith
Secrétaire du Conseil de discipline
de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec
Mise en cause
Date d'audition : 13 février 2024
C.D. No : 47-15-00149
Décision sur culpabilité rendue le 11 juin 2021
Décision sur sanction rendue le 25 juillet 2022
[1] RLRQ, c. C-26.
[2] RRQ, c. C-48, r. 2.01 et RLRQ, c. C-48.1, r. 6 (pour la période de juillet 2009 à décembre 2010 et pour la période à compter du mois d’août 2011).
[3] D.C., vol. 3, p. 535 et suiv., le paragraphe 112 de la décision sur culpabilité relate l’ensemble des incongruités reconnues par l’appelant.
[4] Les mêmes manquements sont aussi identifiés à l’égard des deux autres garderies.
[5] D.C., vol. 3, p. 543 à 548.
[6] D.C., vol. 3, p. 559 à 561.
[7] D.C., vol. 3, p. 566.
[8] D.C., vol. 3, p. 567-568.
[9] Gercotech inc. c. Kruger inc. Master Trust (CIBC Mellon Trust Company), 2019 QCCA 168, par. 41; Psychologues (Ordre professionnel des) c. Bourget, 2022 QCTP 9.
[10] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 37; P.L. c. Benchetrit, 2010 QCCA 1505; Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078, par. 52; Dragon c. Notaires (Ordre professionnel des), 2020 QCTP 45.
[11] M.A., vol. 1, p. 7, par. 15.
[12] D.C., vol. 3, p. 553.
[13] Jean-Claude ROYER, La preuve civile, 2ième édition, Éditions Yvon Blais, 1995, p. 264-265; Dentistes c. Lyons, 2003 QCTP 157; MIUF – 12, [1988] RDJ 455; P. R. c. K. Ra., EYB 2004-61748; Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. St-Pierre, 2018 CanLII 123431 (QC OAPQ); Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 RCS 3.
[14] D.C., vol. 3, p. 560, par. 170.
[15] R. c. Sheppard, 2002 CSC 26; SNC Lavalin c. Société québécoise des infrastructures (Société immobilière du Québec), 2015 QCCA 1153 ; Lapointe c. Chen, 2019 QCCA 1400, par. 61.
[16] M.A., vol. 1, p. 12, par. 23.
[17] D.C., vol. 3, p. 563,
[18] L’absence de détermination du seuil d’importance relative pour l’état de la rémunération des garderies; Déficience de la documentation des travaux de vérification; Erreur quant à la qualification du personnel; Impact de ses erreurs pour les subventions octroyés par le Ministère; Omission d’une employée de l’échantillon dans l’état de la rémunération; Impossibilité que le nombre d’heures travaillés par le personnel soient égales aux nombres d’heures rémunérées.
[19] Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078, par. 52.
[20] Camko Alignement pneus et mécanique inc. c. Société des transports de Montréal, 2019 QCCA 319, par. 11 et suiv.
[21] D.C., vol. 3, p. 566.
[22] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 81.
[23] Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.
[24] Camko Alignement pneus et mécanique inc. c. Société de transport de Montréal, 2019 QCCA 319, par. 14.
[25] Metellus c. Centre intégré universitaire de santé et services sociaux du Nord-de-l’Ïle de Montréal (Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal), 2018 QCCA 135, par. 11.
[26] Syndical national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada), sections locales 187, 728, 1163 c. Brideau, 2007 QCCA 805, par. 42.
[27] D.C., vol. 3, p. 573, 576 et 577.
[28] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Beaulieu, 2019 CanLII 40201 (QC CPA); Beaulieu c. Comptables professionnels agréés, 2021 QCTP 76 (appel rejeté).
[29] D.C., vol. 3, p. 602.
[30] Id., p. 603.
[31] Id., p. 605, par. 95.
[32] D.C., vol. 3, p. 606.
[33] Id., p. 617-618.
[34] Art. 144 C.prof.
[35] D.C., vol. 3, p. 532, par. 99, 100 et 101.
[36] White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., [2015] 2 RCS 182, par. 32.
[37] M.A., p. 24, par. 50.
[38] Id., par. 51.
[39] Pigeon c. Daigneault, [2003] RJQ 1090 (C.A.); Brochu c. Médecins, 2002 QCTP 2; Mercure c. Avocats (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 56.
[40] Moreau c. Ingénieurs (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 146.
[41] Gagnon c. Ingénieurs (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 97; Moreau c. Ingénieurs (Ordre professionnel des), id.
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