Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit EDJ

CONSEIL DE LA MAGISTRATURE DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

N° :

2018-CMQC-044

 

 

DATE :

Le 6 novembre 2018

 

 

PLAINTE DE :

 

Monsieur A

 

À L’ÉGARD DE :

 

Monsieur le juge X, Cour du Québec, Chambre civile

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION À LA SUITE DE L’EXAMEN D’UNE PLAINTE

______________________________________________________________________

 

[1]           Le […] 2018, le juge X siège à la division de pratique de la Chambre civile de la Cour du Québec. Il entend la demande en modification du plaignant pour joindre trois nouveaux défendeurs à l'instance. Son jugement écrit rejetant la demande est déposé le […] 2018.

[2]           Le 6 août 2018, le plaignant dépose une plainte au Conseil de la magistrature. Il reproche au juge de lui avoir dit : « shut up » et d'avoir ignoré sa demande en récusation pour avoir prononcé ces paroles. Également, de lui avoir manqué de courtoisie et de respect et d'avoir refusé de lui dire combien de temps il prendrait pour rendre jugement.

LE CONTEXTE

[3]           L’écoute de l’enregistrement des débats permet de contextualiser certains éléments de la plainte.

[4]           Au début de l'audience, d'une durée approximative d'une heure, le plaignant informe le juge qu'il ne parle pas français. Celui-ci lui répond que cela ne présente aucune difficulté.

[5]           Le juge demande au plaignant de lui exposer sa demande. Il prend le temps de questionner le plaignant sur sa demande introductive d'instance originale en Cour supérieure et de prendre connaissance des procédures et des décisions se trouvant au dossier. Il doit cependant demander au plaignant de lui laisser le temps de prendre connaissance des documents; pour ce faire, il emploie un ton ferme, mais respectueux.

[6]           Le juge demande au plaignant de préciser les défendeurs qu'il veut joindre à l'instance. Il s'adresse ensuite, en anglais, à l'avocat de la défense et lui demande qui il représente.

[7]           Me B répond, en français, qu'il représente les trois compagnies que le demandeur veut joindre à l'instance, et ajoute, avant d'être interrompu par le plaignant, qu'il aurait souhaité faire ses observations en français.

[8]           Dès que l'avocat de la défense s'adresse au juge, le plaignant se lève, dit qu'il ne comprend pas le français et qu'il veut un interprète.

[9]           Sur un ton très calme, Me B demande au plaignant de le laisser parler.

[10]        Le plaignant lève le ton et répète qu'il ne comprend pas le français.

[11]        Le juge dit alors au plaignant sur un ton ferme, mais calme : « Shut up please, he did not intervene when you were talking ». Le plaignant réitère qu'il ne comprend pas le français. Le juge ajoute : « Sit down, please sit down. I will try to explain what he is saying ».

[12]        Le plaignant réplique : « I object to you telling me « shut up », that's unprofessional ».

[13]        Le plaignant dit aussi au juge qu'il pourrait porter plainte contre lui pour avoir tenu ces propos. Toujours sur un ton calme, le juge répond : « Well I cannot stop you from making a complaint against me if that suits, well go ahead - Please be quiet now… ».

[14]        Le plaignant demande au juge de se récuser. Celui-ci lui répond qu'il lui demande de ne pas parler pendant que Me B fait ses observations.

[15]        Le plaignant continue d'argumenter, au point où le greffier-audiencier intervient et lui dit que s'il n'arrête pas, il va appeler les constables.

[16]        Le plaignant ajoute : « There was no reason for you to tell me shut up ».

[17]        Le juge répond : « Yes there was a reason for me to tell you not to speak while Me B was speaking ».

[18]        Le plaignant réplique : « You didn't say not to speak, you said shut up ».

[19]        Le juge explique ses paroles en ces termes : « Well it means the same thing; well it may be rude a little bit, I agree, but it means what it means ».

[20]        Le juge dit à nouveau au plaignant qu'il s'assurera qu'il comprend le débat.

[21]        Me B reprend en disant qu'il aurait souhaité faire ses observations en français, mais ne voulant pas compliquer le dossier, il accepte de les faire en anglais.

[22]        Le juge s'adresse au plaignant : « Me B has accepted to speak in English just to accommodate you ».

[23]        Le plaignant se calme et l'audience se poursuit.

[24]        Me B poursuit : « It is my fundamental right to speak French. »

[25]        Le plaignant l'interrompt de nouveau : « Yes sir, mister fundamental.»

[26]        Le juge demande alors au plaignant de ne pas se moquer du processus judiciaire.

[27]        Me B fait ses observations en anglais.

[28]        Le juge pose ensuite plusieurs questions au plaignant, afin de lui faire préciser le fondement de sa demande et le lien existant entre les trois compagnies qu'il veut joindre à l'instance.

[29]        Au moment où le juge informe les parties qu'il prend le dossier en délibéré, le plaignant lui demande dans combien de temps il rendra jugement. Le juge lui explique qu'il a l'obligation de rendre son jugement dans un délai raisonnable et que c'est ce qu'il entend faire.

[30]        Le plaignant devient agité et mentionne, entre autres, devoir voyager à l'extérieur du Canada. Le juge répond qu'il ne sait pas combien de temps il prendra pour rendre jugement.

[31]        Le plaignant s'insurge, hausse le ton et dit : « It is a very simple matter. If you want to play with my life, go ahead, but I won't let you. I withdraw my motion ». Le juge répond qu'il est saisi de la demande et qu'il rendra jugement.

[32]        Le plaignant continue à argumenter et le juge demande au constable de l'accompagner  à l'extérieur de la salle.

L'ANALYSE

[33]        Le juge doit gérer l'instance et ainsi voir au décorum et au bon ordre dans la salle de cour.

[34]        En l'instance, le juge a été appelé à ramener l'ordre à plus d'une reprise. Rappelons que l'article 14 du Code de procédure civile édicte que « les personnes présentes aux audiences des tribunaux doivent s'y comporter avec respect et retenue », ce qui, de toute évidence, n'a pas été le cas du plaignant.

[35]        Tout au long de l'audience, le juge écoute dûment les parties. Il tente de comprendre la position du plaignant et lui pose plusieurs questions pour lui faire préciser le fondement de sa demande. Le plaignant a donc eu l'occasion de faire valoir toutes ses prétentions.

[36]        En ce qui a trait à la demande de récusation présentée par le plaignant, elle est formulée oralement alors que le juge tente de rétablir l'ordre dans la salle de cour. C'est dans ce contexte qu'il ne se prononce pas sur cette demande. À preuve, lorsque l'audience se poursuit, le plaignant ne réitère pas sa demande. Aucun reproche ne peut donc être adressé au juge à ce chapitre.

[37]        Quant au deuxième reproche, un juge doit rendre un jugement écrit et motivé. Pour ce faire, il peut mettre l'affaire en délibéré et n'a pas à préciser le temps qu'il prendra pour rendre jugement. En l'instance, le juge a agi avec diligence en rendant son jugement dans les deux mois suivant l'audience, comme prescrit par l'article 324 du Code de procédure civile. Sur ce point, le juge n’a commis aucune faute déontologique.

[38]        Relativement au reproche sur les propos tenus par le juge, l'article 2 du Code de déontologie de la magistrature édicte qu'un juge se doit d'agir avec intégrité, dignité et honneur. Il doit également faire preuve de courtoisie et de sérénité lors de l'audience.

[39]        Le Conseil de la magistrature estime que les termes employés par le juge sont sujets à critique. En aucune circonstance un juge ne devrait s'adresser à un justiciable en lui disant « Shut up please ». Ce faisant, il n'a pas agi avec toute la dignité et la sérénité attendues d'un juge.

[40]        Toutefois, en considérant l'ensemble des circonstances et la difficulté à maintenir l'ordre et à gérer les débats qui existaient au moment où le juge a prononcé ces paroles, le Conseil conclut qu'il n'y a pas lieu de tenir une enquête.

POUR CES MOTIFS, conformément à l’article 267 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, le Conseil de la magistrature constate que le caractère et l’importance de la plainte ne justifient pas la tenue d’une enquête.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.