Décision

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Chabot c. Lessard

2025 QCTP 38

TRIBUNAL DES PROFESSIONS

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 :

500-07-001220-254

 

 

 

DATE :

 Le 15 juillet 2025

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

ÉRICK VANCHESTEIN, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

MICHELIN CHABOT

 

APPELANT

c.

 

PIERRE LESSARD

 

INTIMÉ

-et-

SARAH THIBODEAU, en qualité de secrétaire du Conseil de discipline du Barreau du Québec

 

MISE EN CAUSE

-et-

CONSTRUCTION DJL INC.

 

INTERVENANTE

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

sur demande de permission d’appel

d’une décision interlocutoire

(Article 164, par. 2 du Code des professions)

 

______________________________________________________________________

  1.                L’appelant demande la permission d’en appeler d’une décision interlocutoire du Conseil de discipline du Barreau du Québec (le Conseil) qui rejette ses demandes de récusation à l’égard de la présidente et d’un membre du Conseil.
  2.                Avant d’aborder les moyens d’appel soumis, une mise en contexte s’impose.

CONTEXTE

  1.                Le 20 décembre 2018, l’appelant dépose une plainte déontologique privée contre l’intimé.
  2.                Cette plainte s’inscrit dans le cadre d’un litige civil entre Construction DJL inc. (DJL) représentée par l’intimé et Pavage Chabot inc. dont l’appelant est l’âme dirigeante.
  3.                Le 26 mars 2019, l’intimé produit une demande en rejet de la plainte. Une première journée d’audience se tient le 5 avril 2019. Cependant, par la suite, les procédures disciplinaires sont suspendues par ordonnance d’un juge de la Cour supérieure, à la demande de DJL.
  4.                Néanmoins, le 3 septembre 2021, l’appelant transmet au greffe du Conseil de discipline une demande en radiation provisoire immédiate de l’intimé.
  5.                Le 7 septembre 2021, la présidente en chef du Bureau des présidents des conseils de discipline rend une décision selon laquelle « la présentation de la demande en radiation provisoire est suspendue à moins d’une ordonnance à l’effet contraire de la Cour supérieure »[1].
  6.                Les procédures disciplinaires reprennent en juin 2023, après l’arrêt de la Cour d’appel rendu dans le litige civil et que l’appelant informe le greffe qu’il ne compte pas porter ce jugement en appel.
  7.                Le 19 juillet 2023, DJL transmet un acte d’intervention au greffe du conseil de discipline. Lors d’une conférence de gestion tenue le 9 août 2023 pour établir le calendrier des audiences des demandes des parties, l’intimé annonce qu’il présentera une demande modifiée en rejet de la plainte pour y inclure le rejet de la demande en radiation provisoire.
  8.           Le 26 octobre 2023, à la suite d’une audition, le Conseil « permet l’intervention de DJL sur toute question pouvant affecter ses droits au respect du secret professionnel et du privilège relatif au litige. »[2].
  9.           Au soutien de sa demande en radiation provisoire immédiate, l’appelant assigne à comparaître avec duces tecum quatre témoins qui sont susceptibles d’affecter les droits de DJL à la confidentialité des renseignements.
  10.           DJL présente une demande en annulation des citations à comparaître et le 1er novembre, le Conseil tient une audience pour entendre cette demande.
  11.           Le 8 novembre 2023, le Conseil accueille une demande en réouverture d’enquête de l’appelant dans le cadre de la demande de DJL en annulation des assignations à comparaître duces tecum.
  12.           Au retour de la pause du dîner le 8 novembre, Me Benoit Turcotte, un des membres du Conseil, informe les parties que sa conjointe est avocate chez Lavery, le même bureau que l’avocat de DJL, tout en précisant qu’elle travaille dans un autre département.
  13.           La présidente informe l’appelant, qui n’est pas représenté par avocat, des dispositions pertinentes relativement à la récusation. Elle lui offre de remettre l’audience afin qu’il puisse consulter un avocat. L’appelant « déclare alors ne pas vouloir de temps pour réfléchir, être d’accord pour que Me Turcotte « fasse son travail », avoir confiance en ce dernier et ne pas demander qu’il se récuse. »[3].
  14.           Les avocats de l’intimé et de DJL indiquent ne pas avoir d’objection à ce que Me Turcotte puisse continuer à siéger au sein de cette formation du Conseil.
  15.           Le 23 novembre 2023, l’appelant se ravise, il envoie un courriel pour indiquer avoir changé d’idée et demande maintenant la récusation de Me Turcotte. Il s’ensuit une série d’échanges de courriels et la tenue de conférences de gestion. La date du 22 janvier 2024 est retenue pour une audience sur la demande de récusation. Celle-ci sera annulée le 12 janvier 2024 après que l’appelant ait informé le greffe par courriel qu’il ne présentera pas de demande de récusation.
  16.           Cette position de l’appelant est fondée sur son interprétation particulière de l’article 201 du Code de procédure civile qui, selon l’appelant, obligerait la présidente du Conseil à agir et à demander à Me Turcotte de se récuser. Il en conclut que ce n’est pas à lui de demander la récusation de Me Turcotte parce que c’est le rôle de la présidente.
  17.           Par la suite, la présidente est empêchée d’agir pendant plusieurs mois. Le 20 novembre 2024, après le retour de la présidente, le Conseil donne ses motifs relativement à des décisions antérieures rendues oralement.
  18.           Après plusieurs tentatives pour joindre l’appelant, la suite des audiences est fixée au 28 mars 2025, où il est convenu que l’appelant présentera verbalement ses demandes de récusation. À l’égard de Me Turcotte au motif que sa conjointe est avocate chez Lavery et à l’égard de la présidente aux motifs qu’elle a accepté ou toléré un membre de son équipe qui n’est pas impartial et qui aurait dû être récusé et parce qu’elle n’a pas tenu une audience concernant la demande de radiation provisoire à l’intérieur du délai de 10 jours prévu au Code des professions.
  19.           Le Conseil, séance tenante, rejette les demandes et dépose ses motifs écrits le 30 avril 2025.

ANALYSE

Cadre juridique

  1.           L’article 164 du Code des professions prévoit que la permission d’appel peut être octroyé si le Tribunal « estime que la décision décide en partie du litige ou cause un préjudice irrémédiable à une partie ».
  2.           La juge Veilleux dans Lacroix c. Médecins[4] énonce les critères ainsi :

La décision doit décider en partie du litige ou causer un préjudice irrémédiable;

L’appel projeté est dans le meilleur intérêt de la justice et de la saine administration de celle-ci (article 9, 3e al. C.p.c.) en ce qu’il soulève une question d’intérêt, qu’il a des chances de succès et s’accorde avec les principes directeurs de la procédure (articles 17 et suiv. C.p.c.).

[référence omise]

Application

  1.           L’appelant soumet neuf moyens d’appel reprochant au Conseil les erreurs suivantes :
  1. De ne pas avoir conclu que Me Turcotte aurait dû se récuser dès qu’il est informé que DJL devient intervenante au dossier;
  2. De conclure que l’appelant n’a pas été diligent dans ses demandes de récusation et de conclure qu’il est forclos de les présenter;
  3. D’avoir ignoré la preuve qu’il est autiste et qu’il ne réfléchit pas comme tout le monde;
  4. De ne pas avoir donné à l’appelant, un plaignant privé non représenté par avocat, l’assistance requise;
  5. De conclure que la conduite de l’appelant constitue une renonciation expresse à demander les récusations de Me Turcotte et de la présidente;
  6. De ne pas avoir conclu que le fait que la conjointe de Me Turcotte travaille au même bureau que l’avocat de DJL est un motif sérieux permettant de douter de l’impartialité de Me Turcotte et de la présidente;
  7. De ne pas avoir pris les dispositions nécessaires pour récuser Me Turcotte dès que le Conseil est informé de la situation;
  8. De ne pas avoir traité la demande en radiation provisoire 650 jours après son dépôt;
  9. Le délai à traiter la demande en radiation provisoire permet de douter de l’impartialité de la présidente.
  1.           Ces moyens reprennent l’essentiel de son argumentaire devant le Conseil et n’identifie pas de véritables erreurs.
  2.           En l’espèce, le Conseil a donné beaucoup de latitude à l’appelant pour lui permettre d’évaluer ses options, mais celui-ci est resté cantonné sur sa position selon laquelle c’était à la présidente d’agir et non à lui de présenter une demande écrite. Malgré ce fait, l’intimé a accepté que l’appelant présente une demande verbale afin de vider la question.
  3.           Dans sa décision, le Conseil expose clairement les principes applicables à cette matière dont celui que « [L]a présomption d’impartialité ne peut être renversée que par une preuve convaincante »[5], ce que clairement l’appelant n’a pas réussi à satisfaire selon le Conseil.
  4.           De plus, en se fondant sur la jurisprudence pertinente, le Conseil considère qu’à l’égard de Me Turcotte, l’appelant n’a pas seulement été non diligent à présenter sa demande de récusation, mais il y a renoncé à deux reprises. Par ailleurs, ce passage de la décision est révélateur des intentions de l’appelant :

[187]   Le plaignant privé est assujetti aux mêmes devoirs et obligations qu’un syndic lorsqu’il dépose une plainte. La présomption d’impartialité accompagnant la fonction d’un juge « sert un objectif bien précis, celui de l’intégrité du système judiciaire. Cette prémisse ne peut pas être remise en question à chaque fois qu’un justiciable est insatisfait d’une décision ».

[188]   C’est pourtant ce que le plaignant tente de faire dans le présent dossier.

[références omises]

  1.           Le rôle de DJL à titre d’intervenante dans une affaire disciplinaire est inusité et il a été limité par le Conseil à la protection du secret professionnel et du privilège relativement au litige puisque l’appelant assigne des témoins qui pourraient éventuellement être contraints à révéler des informations ou des documents protégés.
  2.           Objectivement, la question de la récusation d’un décideur peut causer un préjudice irrémédiable à une partie et mérite une attention sérieuse et particulière par le décideur visé par cette demande. C’est exactement l’exercice auquel s’est astreint le Conseil et en ce qui concerne la récusation de Me Turcotte, l’appelant n’identifie aucune erreur susceptible de chance de succès en appel.
  3.           En ce qui concerne la présidente et les autres griefs, l’appelant ne comprend pas le rôle de la présidente du Conseil qui, comme elle le mentionne dans sa décision, participe à un tribunal collégial et n’a pas de pouvoirs particuliers à l’égard des membres[6].
  4.           Donc, l’appelant n’identifie pas d’erreur véritable en lien avec ce motif de récusation fondé sur le fait que la présidente a toléré la présence d’un membre impartial qui, à sa face même, est sans fondement.
  5.           En ce qui concerne le délai d’audition pour la présentation de sa demande en radiation provisoire, le Conseil fait état de la raison des délais dont le fait que la demande n’a pas été jointe à la plainte en 2018, mais plutôt produite en 2021 alors que les procédures disciplinaires sont toujours suspendues par la Cour supérieure.
  6.           Par la suite, plusieurs séances de gestion ont eu lieu pour déterminer l’ordre de présentation des diverses demandes où l’appelant a eu l’occasion de faire valoir sa position. Cependant, il a préféré laisser le tout à la discrétion de la présidente[7].
  7.           L’appelant n’identifie aucune erreur dans la conclusion du Conseil selon laquelle la demande de récusation de la présidente fondée sur ce motif est tardive et sans justification[8] ainsi qu’elle « ne constitue pas un motif sérieux justifiant une crainte raisonnable, logique et objective de partialité de la présidente. »[9]
  8.           Pour les autres arguments de l’appelant relativement au fait qu’il est autiste et qu’il n’a pas reçu l’assistance nécessaire pour un plaignant privé non représenté, ceux-ci ne sont pas déterminants puisqu’en définitive, l’appelant a pu présenter verbalement ses demandes de récusation.
  9.           Le délai de présentation de ses demandes de récusation est attribuable non pas à ses problèmes allégués, mais en grande partie à sa position arrêtée qu’il n’a pas à présenter une demande de récusation puisque c’est à la présidente d’agir.
  10.           De l’ensemble des moyens, la demande de permission d’appel ne satisfait aucun des critères pour obtenir la permission, soit que la décision ne décide pas en partie du litige et ne cause aucun préjudice irrémédiable et l’appel n’est pas dans le meilleur intérêt de la justice et de la saine administration de celle-ci. L’appelant ne soulève aucune question d’intérêt et l’appel demandé n’a aucune chance de succès.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.            REJETTE la demande de permission d’appeler;
  2.            CONDAMNE l’appelant aux déboursés.

 

 

__________________________________

ÉRICK VANCHESTEIN, J.C.Q.

 

 

 

 

 

M. Michelin Chabot

Agissant personnellement

Appelant

 

Me Guy Ste-Marie

Gutkin Ste-marie

Pour l’intimé

 

Me Sarah Thibodeau

Secrétaire du Conseil de discipline du Barreau du Québec

Mise en cause

 

Me Guillaume Laberge

Lavery, de Billy

Pour l’intervenante

 

Date d'audition :

 

C.R. No

7 juillet 2025

 

06-18-03181

 

Décision du Conseil de discipline rendue le 30 avril 2025

 

 


[1]  Décision du Conseil, Chabot c. Lessard, 2025 QCCDBQ 34, par. 17.

[2]  Id., par. 33.

[3]  Id., par. 45.

[4]  Lacroix c. Médecins (Ordre professionnel des), 2023 QCTP 55, par. 29.

[5]  Préc., note 1, par. 147.

[6]  Id., par. 198 à 200.

[7]  Id., par. 248.

[8]  Id., par. 258.

[9]  Id., par. 266.

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