FPI Boardwalk Québec inc. c. Isik |
2020 QCCQ 2875 |
COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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« Division administrative et d’appel » |
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N° : |
200-80-008615-179 |
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DATE : |
4 août 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CHRISTIAN BOUTIN, J.C.Q. (JB5161) |
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FPI BOARDWALK QUÉBEC INC. |
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Locatrice/Appelante |
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c. |
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SEFRA ISIK |
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Locataire/Intimée |
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JUGEMENT |
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APERÇU [1] L’appelante et locatrice, FPI Boardwalk Québec inc. (ci-après « Boardwalk »), se pourvoit à l’encontre d’une décision rectifiée de la Régie du logement (ci-après la « Régie ») rendue le 2 juin 2017 par le juge administratif Me Serge Adam dans le dossier portant le numéro 182604 18 20141030 G. [2] Par sa décision, la Régie accueillait en partie la demande de l’intimée locataire, Mme Sefra Isik, lui accordant une diminution de loyer de 3 240 $ ainsi que des dommages moraux de 5 000 $, pour un total de 8 240 $. [3] Par jugement daté du 1er octobre 2018, M. le juge Jacques Tremblay accueillait la demande de permission d’en appeler de Boardwalk et déterminait que les questions à analyser dans le cadre du pourvoi en appel seraient les suivantes, à savoir : · Dans le cadre de l’octroi en diminution de loyer, le juge était-il bien fondé en faits et en droit : a. D’imposer à la locatrice une connaissance présumée de la situation in concreto que la locataire subissait avant d’être mise en demeure? b. De l’accorder à partir du début des travaux au lieu de la réception de la mise en demeure? c. D’accorder une diminution constante sur la période des travaux, sans considérer la variation de l’intensité du bruit? ·
Dans le cadre de l’octroi de dommages moraux, le juge s’est-il
conformé à l'article a. En mentionnant verbalement lors de l'audition qu’il allait les accorder, et cela, sans avoir entendu toute la preuve? b. Suivant la lecture de la décision, cet octroi est-il suffisamment motivé? · Le juge est-il bien fondé en faits et en droit d’accorder les dommages moraux considérant que lors de la conclusion du bail, la locataire n’était pas étudiante? Le contexte et la décision entreprise [4] Madame Isik est locataire d’un logement dans un des édifices du complexe immobilier Les Jardins Mérici, dans le secteur des Plaines d’Abraham, à Québec, durant la période visée par son recours, soit du 1er juillet 2014 au 30 avril 2015[1]. [5] Pendant cette période et après avoir transmis aux locataires un avis de travaux majeurs en date du 20 juin 2014, Boardwalk s’affaire à réparer le stationnement intérieur de l’immeuble qu’habite madame Isik, et ce, à la suite d’une vérification effectuée en vertu de l’article 389 du Code de sécurité[2]. [6] Les travaux dits de ‘réhabilitation de garage’, soit des interventions au niveau de l’armature, du coffrage et de la finition[3], consistent en la coulée du béton, l’enlèvement de la membrane, la préparation d’une nouvelle surface, la pose d’une nouvelle peinture et l’application d’une nouvelle membrane[4]. Deux phases sont prévues et seront effectuées, la première au niveau du garage situé immédiatement en dessous du rez-de-chaussée, la seconde au niveau du second étage du stationnement. [7] Ces procédures impliquent donc la démolition et la réfection des planchers de béton du stationnement et causent des bruits importants qui troublent madame Isik dans la jouissance de son appartement. [8] Aussi, cette dernière transmet-elle le 18 octobre 2014 une mise en demeure à Boardwalk et demande par la suite[5] une diminution de loyer de 545 $[6] mensuellement et rétroactive à juillet 2014, soit au moment du début desdits travaux. [9] Il ressort de la preuve offerte lors de l’audition devant la Régie que madame Isik avait, dans sa demande de location auprès de Boardwalk signée le 30 avril 2012, indiqué être travailleur autonome, faisant affaires dans l’exploitation de son entreprise Mademoizelle Sefra Inc.[7]. Dans la mise en demeure qu’elle adresse à Boardwalk quelque deux ans plus tard, elle indique être à ce moment étudiante et mentionne que le bruit assourdissant et incessant l’empêche d’étudier dans son appartement et la force à se réfugier à l’extérieur des lieux dans sa voiture pour ce faire. [10] L’audition devant la Régie a lieu le 29 mars 2017 devant le juge administratif Me Serge Adam. Madame Isik agit pour elle-même et Boardwalk est alors représentée par madame Mélanie Van Berkom. [11] C’est par décision datée du 10 mai 2017 que le juge administratif dispose de la demande de madame Isik. [12] Une décision rectifiée est émise le 2 juin 2017. Au terme d’icelle, la Régie réduit le loyer de madame Isik de 30 % sur toute la durée des travaux et lui accorde en outre 5 000 $ à titre de dommages moraux en considération de « son état d’âme et de désespoir de se trouver devant une telle évidence de vivre pendant plusieurs mois avec un tel vacarme durant les heures ouvrables de travail » (au par. 51). [13] En début d’audience, la représentante de Boardwalk admet qu’une diminution de loyer doit être accordée à madame Isik mais soumet que celle réclamée par cette dernière est exagérée et qu’elle devrait, en outre, être accordée qu’à compter de la date de la mise en demeure, à savoir le 18 octobre 2014, plutôt qu’au moment où les travaux de réfection ont été entrepris, début juillet 2014. [14] Boardwalk
soumet par ailleurs à la Régie qu’aucun dommage ne saurait être accordé à
madame Isik puisqu’elle n’a commis aucune faute ou manquement, le chantier
ayant été entrepris suite à l’inspection précitée et prévue à la Loi sur
le bâtiment et ayant été approuvé par toutes les instances
administratives compétentes[8].
Boardwalk s’appuie alors sur les articles [15] Le juge administratif, aux paragraphes 10 et 11 de sa décision, campe comme suit les questions en litige : « Quel est le régime de responsabilité applicable à la locatrice? En d’autres mots, est-ce que la locataire a droit à une diminution de loyer et des dommages moraux résultant de travaux majeurs aux stationnements intérieurs de l’édifice? Si oui, quel est le montant de diminution et de dommages pouvant être versé à la locataire? ». [16] Il résume ensuite, aux paragraphes 17 à 27 de ses motifs, les prétentions des parties et relate la preuve offerte par madame Isik, incluant le dépôt d’une preuve audio de même que les témoignages de son conjoint et de sa belle-mère. Aux paragraphes 18 et 22, il rappelle que madame Isik « était étudiante à temps plein » et « a dû même étudier dans son automobile à cause de ces travaux »[9]. [17] Il mentionne, aux paragraphes 23 à 26, que Boardwalk admet que les travaux ont pu causer des bruits dérangeants malgré l’utilisation d’une technologie innovante appelée « hydro-démolition », Boardwalk précisant toutefois que la période au cours de laquelle la membrane existante fut démantelée fut plus bruyante que les autres et qu’en conséquence seule une diminution de loyer de 30 % durant 80 jours de travaux et 10 % pour le reste devrait à la rigueur être accordée. [18] Après
avoir reproduit les dispositions pertinentes du C.c.Q., le juge administratif
Adam débute son analyse au paragraphe 29 de sa décision. Il conclut dans un
premier temps (par. 29 à 33) que l’article [19] Le
juge administratif Adam écarte par la suite (aux par. 34 à 36) l’application
de l’article [20] Une
fois cela dit, le juge administratif Adam indique que le recours de madame
Isik lui paraît donc reposer sur l’article [21] Cela décidé, il s’attarde par la suite (aux par. 40 et ss.) à déterminer le quantum pouvant être accordé. Il discute dans un premier temps du point de départ de la période d’indemnisation en traitant de la question de la mise en demeure (aux par. 42 à 46). Après avoir fait état du principe selon lequel le locateur ne peut être tenu responsable d’une perte de jouissance d’un logement s’il n’est pas avisé, il rappelle que Boardwalk avait transmis en juin un avis de travaux majeurs et reconnu, dans une lettre datée du 18 juillet 2014, que la démolition des surfaces de béton occasionnait du bruit. Il en conclut que Boardwalk ne saurait, dans ces circonstances, invoquer sa propre turpitude et exiger, comme condition préalable relative au point de départ de la période d’indemnisation, la transmission d’une mise en demeure. [22] Aux paragraphes 47 et 48 de ses motifs, le juge administratif Adam conclut que la preuve lui ayant été présentée l’a convaincu, sous la forme de l’enregistrement audio et de trois témoignages, « d’une perte de jouissance totale du logement durant les heures où des travaux s’effectuaient ». Il accorde en conséquence une diminution de 30 % « pour tout le temps où des travaux eurent lieu, soit 324 $ par mois pendant les 10 mois de ceux-ci (324 $ X 10 = 3 240 $) ». Il précise en outre ne pouvoir « accorder la diminution réclamée de la locataire pour plus de 50 %, car de la preuve admise par la locataire elle-même, celle-ci pouvait jouir de son logement le temps où aucun travail n’était effectué, notamment le soir, la nuit, les fins de semaines et les congés fériés » (au par 48). [23] Enfin, le juge administratif Adam estime que madame Isik était « justifiée de quitter le logement durant le jour ne pouvant jouir pleinement de celui-ci, car il lui était impossible de supporter un tel bruit durant plusieurs heures et obtenir une certaine quiétude » (au par. 50). Aussi, décide-t-il que « la somme réclamée de 5 000 $ doit lui être allouée à titre de dommages moraux compte tenu du témoignage crédible et sincère rendu par cette dernière à cet égard et sur son état d’âme et de désespoir de se trouver devant une telle évidence de vivre pendant plusieurs mois avec un tel vacarme durant les heures ouvrables de travail » (au par. 51). [24] Au
final, c’est donc pour 8 240 $, à savoir les 3 240 $ précités en
diminution de loyer ainsi que les 5 000 $ en dommages moraux, que le
recours de madame Isik est accueilli, plus intérêts à compter de la date de
fin des travaux, soit le 1er mai 2015, le tout majoré de
l’indemnité additionnelle prévue à l’article [25] Voilà donc la teneur de la décision entreprise. Il importe maintenant de discuter de la norme d’intervention applicable. La norme d’intervention applicable [26] Depuis l’introduction du pourvoi de Boardwalk, la Cour suprême du Canada a prononcé, le 19 décembre 2019, son arrêt dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Vavilov[10], au terme duquel les juges majoritaires de la formation ont revu et déterminé la norme de contrôle applicable lorsqu’une cour de justice contrôle une décision administrative au fond. [27] Au paragraphe 10 de l’arrêt Vavilov[11], la majorité de la Cour suprême indique : « qu’il est nécessaire de revoir l’approche de la Cour afin d’apporter une cohérence et une prévisibilité accrues à ce domaine du droit », à savoir, celui relatif au contrôle judiciaire, qu’il y a lieu de simplifier. [28] Aux paragraphes 16 à 72, la majorité de la Cour suprême fixe les paramètres devant être suivis par les tribunaux canadiens dans la détermination de la norme de contrôle applicable. Le cadre d’analyse déterminé par la Cour suprême « repose sur la présomption vouant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable chaque fois qu’une cour contrôle une décision administrative » (par. 16). [29] Cette présomption d’application de la norme de la décision raisonnable peut toutefois être réfutée, et ce, dans deux types de situations. [30] Premièrement, il y a réfutation de la présomption précitée dans les cas où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, soit pour : les questions constitutionnelles (par.55-57), les questions de droit général d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble (par. 58-62) et les questions liées aux limitations des compétences respectives d’organismes administratifs (par.63-64). [31] Deuxièmement, il y a également réfutation de la présomption précitée dans le cas où le législateur a indiqué qu’il souhaite l’application d’une norme différente ou d’un ensemble de normes différentes lorsque, d’une part, il a prescrit expressément la norme de contrôle applicable ou, d’autre part, il a prévu un mécanisme d’appel d’une décision administrative devant une cour de justice, indiquant ainsi son intention que les tribunaux utilisent alors, en matière de contrôle, les normes applicables en appel (par. 36-52). [32] S’agissant de cette dernière situation, la majorité de la Cour suprême dicte que les tribunaux doivent donner effet à l’intention du législateur lorsque celui-ci édicte un mécanisme d’appel puisque « le législateur (…) indique [alors] qu’il s’attend à ce que la Cour vérifie attentivement cette décision lors d’un processus d'appel » (par. 36). [33] En l’espèce, l’article 91 de la Loi sur la Régie du logement[12] (« LRL ») prescrit que « les décisions de la Régie du logement peuvent faire l’objet d’un appel sur permission d’un juge de la Cour du Québec, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour du Québec ». [34] Incidemment, le fait que l’appel auprès de la Cour du Québec ne soit accordé que sur permission de celle-ci ne change en rien les principes décidés par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov. [35] Au paragraphe 37 de ses motifs, la majorité de la Cour suprême écrit qu’il « convient donc de reconnaître que, lorsque le législateur prévoit un appel à l’encontre d’une décision administrative devant une cour de justice, la cour saisie de l'appel doit recourir aux normes applicables en appel pour réviser la décision ». La majorité de la Cour suprême réfère à l’arrêt Housen c. Nikolaisen[13] comme suit : «
[37] (…) lorsqu’une
cour de justice entend l’appel d’une décision administrative, elle se
prononcera sur des questions de droit, touchant notamment à l’interprétation
législative et à la portée de la compétence du décideur, selon la norme de la
décision correcte conformément à l’arrêt Housen c. Nikolaisen,
[36] La majorité de la Cour suprême écrit qu’il « est vrai que donner un tel sens aux mécanismes d’appel prévus par la loi s’écarte de la jurisprudence récente de notre Cour » (par. 38) puis ajoute, un peu plus loin, que « cette approche est justifiée par la mise en balance des valeurs de la certitude et de la justesse ». [37] Pour la majorité de la Cour suprême, « il n’y a aucune raison convaincante de présumer que le législateur voulait que le mot « appel » revête un sens tout à fait différent dans une loi à caractère administratif que, par exemple, dans un contexte du droit criminel ou commercial » (par. 44). [38] Appliquant les principes précités que la Cour suprême nous enseigne, il en découle qu’il faut alors recourir aux normes applicables en appel, énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen précité, dans le cadre de la révision de la décision de la Régie. [39] Cela dit et tel que le soumet l’avocat de Boardwalk, les questions soulevées par les appelantes et autorisées par la Cour sont des questions mixtes de fait et de droit et, en conséquence, il convient alors d’appliquer la norme de l’erreur manifeste et déterminante[14]. Les questions qu’avait à résoudre le TAQ supposaient l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits[15]. Il lui fallait en effet apprécier les faits à l’origine de l’affaire, en tirer des conclusions factuelles et appliquer à celles-ci les normes juridiques prescrites aux articles 43 et ss. LRL. [40] La question de la norme d’intervention étant couverte, il importe maintenant de traiter des questions autorisées par M. le juge Tremblay. Discussion · Dans le cadre de l’octroi en diminution de loyer, le juge était-il bien fondé en faits et en droit : a. D’imposer à la locatrice une connaissance présumée de la situation in concreto que la locataire subissait avant d’être mise en demeure ? b. De l’accorder à partir du début des travaux au lieu de la réception de la mise en demeure ? c. D’accorder une diminution constante sur la période des travaux, sans considérer la variation de l’intensité du bruit ? [41] L’article
1597. Le débiteur est en demeure de plein droit, par le seul effet de la loi, lorsque l’obligation ne pouvait être exécutée utilement que dans un certain temps qu’il a laissé s’écouler ou qu’il ne l’a pas exécutée immédiatement alors qu’il y avait urgence. Il est également en demeure de plein droit lorsqu’il a manqué à une obligation de ne pas faire, ou qu’il a, par sa faute, rendu impossible l’exécution en nature de l’obligation; il l’est encore lorsqu’il a clairement manifesté au créancier son intention de ne pas exécuter l’obligation ou, s’il s’agit d’une obligation à exécution successive, qu’il refuse ou néglige de l’exécuter de manière répétée.
[42] Rappelons
ici qu’il incombe ici au locateur, au terme de l’article [43] Dans l’affaire Habitations Desjardins du Centre-Ville c. Lamontagne[16], un groupe de locataires réclamait une diminution de loyer pour chacun de ses membres à la suite de travaux de réfection des murs de maçonnerie de l’édifice qu’ils habitaient. La Régie décida, comme le rappelle la juge administrative Gravel dans l’affaire postérieure Bélanger c. Société d’habitation et de développement de Montréal[17], que la mise en demeure « n’était pas nécessaire puisqu’il était évident de la situation et des avis donnés par le locateur que ce dernier était pleinement au courant des troubles que ses travaux occasionnaient aux locataires ». [44] Se prononçant sur l’appel, M. le juge St-Hilaire écrivait : « Le bailleur est obligé de procurer la jouissance paisible des lieux loués. Il a donc, comme corollaire de cette obligation, l’obligation de ne rien faire qui aurait comme conséquence de diminuer ou d’anéantir cette jouissance. Tout acte du bailleur qui aurait cet effet lui est interdit par son obligation de ne pas faire ». [45] Ainsi, comme le résumait la juge administrative Gravel, « une action directe du locateur troublant manifestement la jouissance des lieux loués constitue une contravention à une obligation de ne pas faire »[18]. [46] Dans une affaire récente, Condos Résidence Le Laurier inc. c. Sirois[19], M. le juge Coderre en vient à une conclusion similaire lorsqu’il écrit: « Or, le locateur, qui est le débiteur en l’instance, devait assurer à chaque locataire la jouissance paisible de son logement, ce qui lui est reproché. Il a donc manqué à son obligataire de ne pas porter atteinte à ce droit de chaque locataire ». [47] Le Tribunal est d’avis qu’il faut appliquer le même raisonnement en l’espèce de telle sorte que Boardwalk était en demeure de plein droit et que l’envoi d’une mise en demeure n’était pas nécessaire. Ainsi, le début de la période d’indemnisation pouvait remonter à la date de début des travaux dont Boardwalk était l’instigateur et donneur d’ouvrage. [48] Cela dispose des deux premières questions en litige. [49] Qu’en est-il de la troisième, à savoir de déterminer si le juge administratif était bien fondé d’accorder une diminution constante sur la période des travaux, sans considérer la variation de l’intensité du bruit? [50] Sur ce point, le Tribunal est d’avis que la Régie n’a, ultimement, pas rejeté la prétention de Boardwalk, selon laquelle les dommages devaient être moindres pour la période autre que celle consacrée au démantèlement de la membrane existante, mais a plutôt opté pour une méthode d’évaluation des dommages qui, implicitement, en tient compte. [51] Le Tribunal note par ailleurs de la transcription des notes sténographiques de l’audition du 29 mars 2017[20] que la représentante de Boardwalk, madame Van Berkom, soumettait, en plaidoirie, que « ce que nous, on évoque, c’est que la diminution de loyer devrait être différente dans les périodes (…) parce que les travaux n’étaient pas de même nature ». Le juge administratif Adam indique alors que « ça peut être aussi une diminution globale qui va tenir compte pour l’ensemble des niveaux aussi », ce à quoi la représentante de Boardwalk lui répondit : « Pour l’ensemble, oui, c’est possible également ». [52] Comme le rappelait la Cour d’appel dans l’arrêt C.A. Spensor Ltée c. Ville de Laval[21], la Régie avait « la mission de faire un choix parmi les méthodes proposées » et à moins qu’elle n’applique, dans le choix d’une méthode, « des principes erronés ou à moins [qu’elle] ne commette une erreur manifeste dans l’appréciation de la preuve, [une cour d’appel] n’interviendra pas ». [53] Or, au vu de l’affaire, le Tribunal est d’avis que la Régie n’a pas appliqué de principe erroné ni erré de façon manifeste dans l’appréciation de la preuve lui ayant été offerte si bien qu’il n’interviendra pas ici. [54] Il convient maintenant d’aborder les deux prochaines questions autorisées. ·
Dans le cadre de l’octroi de dommages moraux, le juge s’est-il
conformé à l'article a. En mentionnant verbalement lors de l'audition qu’il allait les accorder, et cela, sans avoir entendu toute la preuve ? b. Suivant la lecture de la décision, cet octroi est-il suffisamment motivé ?
[55] L’article 79 LRL, tel qu’applicable lors de l’audition du 29 mars 2017, stipule que « toute décision de la Régie doit être motivée et transmise aux parties en cause, en la manière prévue par les règlements de procédure ». [56] La transcription des notes sténographiques de l’audition tenue devant la Régie le 29 mars 2017 fait voir que la preuve de madame Isik est déclarée close à la page 95 alors que celle de Boardwalk est déclarée close à la page 129. S’ensuit un court échange (pages 129-131) entre madame Isik, son conjoint et le juge administratif Adam, ce dernier décidant alors de faire plaider la représentante de Boardwalk dans un premier temps bien qu’elle était défenderesse, et ce, afin que madame Isik et son conjoint puissent voir de quoi il en retourne. [57] En cours de plaidoirie, la représentante de Boardwalk indique (page 137) qu’en « ce qui concerne les dommages moraux demandés par la locataire, il n’y a aucune preuve qui a été émise, le médecin n’est pas venu témoigner…il n’y a pas de preuve, donc je vais vous demander de rejeter cette partie-là de la demande », ce à quoi le juge administratif répond : « Êtes-vous sérieuse?...Le témoignage d’une personne est suffisant pour accorder des dommages moraux. Je n’ai pas besoin d’un avis médical ». [58] Le juge administratif mentionne ensuite (page 138) le fait que madame Isik « a fait tout ce qu’elle aurait pu dans les périodes de stress, les périodes où elle avait de la difficulté à lire, même il fallait qu’elle aille lire dans son auto parce qu’il y avait trop de bruit…pour préparer ses examens ». [59] Et le juge administratif annonce peu après (page 139), toujours pendant la plaidoirie de la représentante de Boardwalk et avant même que madame Isik n’ait entamé la sienne, que « c’est sûr que je vais accorder des dommages moraux…c’est sûr pour dommages moraux…On verra. Je verrai le montant, là mais je veux dire, c’est sûr ». Il s’adresse alors tout de suite (page 140) à madame Isik lui indiquant : « OK. Vous avez écouté, maintenant, c’est à vous ». [60] Quelques minutes plus tard, tout juste avant de prendre l’affaire en délibéré, le juge administratif demande aux parties si elles désirent tenter une ultime négociation puisque, dit-il, « j’ai déjà annoncé mes couleurs, c’est sûr qu’il va y avoir des dommages moraux…C’est sûr, alors, la question est de savoir le montant, c’est tout » (page 148). [61] Lorsque le juge administratif demande aux parties : « Est-ce que vous êtes prêt (sic) à discuter encore un peu ou si ? » (page 149), la représentante de Boardwalk répond à ce moment : « Moi, je vous fais confiance, monsieur le régisseur ». [62] Boardwalk soumet dans son mémoire d’appel que « ce faisant, il prend sa décision et en fait part avant la fin de l’instruction. Nous vous soumettons respectueusement qu’agissant ainsi, il va à l’encontre de la règle audi alteram partem et refuse à la Locatrice sont droit d’être entendue »[22]. Boardwalk soumet que selon l’article 79 LRL précité, « une décision doit être motivée et transmise aux parties et non simplement divulguée en cours d’instance, sans justification »[23]. [63] C’est de la règle audi alteram partem dont il s’agit et c’est le critère de l’esprit ouvert qui s’applique[24]. Cela étant, l’intensité de l’obligation varie selon la fonction du tribunal administratif en cause. Ceux qui remplissent des fonctions juridictionnelles, telle la Régie, doivent ici respecter les normes applicables aux cours de justice[25]. La conduite de ses membres ne doit susciter, à aucun moment au cours de l’audition, une crainte raisonnable de partialité relativement à leur décision. [64] Au moment des commentaires précités, la partie en faveur de laquelle le juge administratif a indiqué qu’il allait lui accorder des dommages moraux n’avait pas encore plaidé et Boardwalk n’avait quant à elle pas terminé ses représentations, sur ce point d’ailleurs. Or, la teneur somme toute catégorique des propos du juge administratif indique bien qu’il ne servait à rien à Boardwalk de présenter des arguments contredisant le point de vue du décideur ou, plutôt, sa décision d’ores et déjà annoncée. [65] Le Tribunal est d’avis qu’il s’agit là d’un manquement à la règle audi alteram partem. [66] Cela
étant et gardant à l’esprit l’article [67] C’est ici qu’il convient de rappeler que le recours en diminution de loyer doit être distingué de celui en dommages. Le premier vise à rétablir l’équilibre des prestations en évaluant, de façon objective, la valeur de la perte locative subie alors que le second vise à compenser le préjudice subi en raison de la commission d’une faute[26]. [68] Or
et s’agissant de la réclamation pour dommages moraux, Boardwalk a plaidé
devant la Régie qu’en procédant aux réparations au stationnement intérieur de
son immeuble, elle n’a commis aucune faute et n’a fait qu’exécuter
l’obligation qui était sienne imposée aux propriétaires d’un parc de
stationnement au terme des articles [69] Malgré cela, l’on ne retrouve aucune mention dans la décision de la Régie relativement à cet argument. Il est vrai que l’obligation de motiver imposée au décideur ne l’oblige pas à tenir compte explicitement de tous les arguments et éléments de preuve lui ayant été présentés[27]. Encore faut-il toutefois qu’il dispose des arguments principaux des parties et que ses motifs puissent permettre de constater une réflexion raisonnée et intelligible relativement à ces arguments et de permettre au juge d’appel d’exercer ainsi son devoir. [70] Il ressort de la transcription des notes sténographiques de l’audition[28] que le juge administratif n’avait alors pas idée de la teneur de ce que la représentante de Boardwalk appelait « la loi 122 ». Boardwalk plaidait alors qu’elle ne pouvait être considérée comme ayant commis une faute et que, partant, il ne saurait y avoir d’octroi de dommages moraux afin de sanctionner celle-ci. [71] Or, il n’y a aucun commentaire, aucun motif, voire aucune allusion, à cet argument de Boardwalk, argument qui, du reste, était décisif quant à l’octroi de dommages moraux, alors même que le juge administratif a fait part de sa décision, quantum à parfaire, séance tenante. [72] En
effet, le Tribunal est d’avis qu’à moins qu’il y ait une preuve que le
locateur ait indûment retardé le chantier ou qu’il ait contrevenu à une norme
de construction à laquelle il était soumis, par exemple en matière d’émission
de monoxyde de carbone, il ne saurait y avoir octroi de dommages puisqu’il
n’y a pas eu faute ni lien causal (art. [73] Le Tribunal ajoute que la preuve offerte à la Régie était à l’effet que toutes les instances administratives avaient suivi et inspecté le chantier et que celui-ci s’est déroulé tel que prévu[29]. [74] Le défaut de la Régie de se prononcer sur cette question constitue une erreur manifeste et déterminante et il y a lieu pour le Tribunal d’infirmer sa décision sur ce point. La preuve offerte ne démontrant pas que Boardwalk ait pu avoir commis une faute, il s’en suit qu’il ne pouvait y avoir octroi, à son encontre, de dommages moraux en faveur de la locatrice. [75] Cela dispose par le fait même de la dernière question autorisée par M. le juge Tremblay quant à savoir si le juge administratif était bien fondé en faits et en droit d’accorder les dommages moraux considérant que lors de la conclusion du bail, la locataire n’était pas étudiante. En effet, cette question devient, dans les circonstances, purement théorique de telle sorte que le Tribunal ne se prononcera pas sur icelle.
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POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
ACCUEILLE l’appel;
INFIRME PARTIELLEMENT la décision rectifiée de la Régie du logement rendue le 2 juin 2017 par le juge administratif Me Serge Adam dans le dossier portant le numéro 182604 18 20141030 G et, procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue:
CONDAMNE la
locatrice FPI Boardwalk Québec inc. à payer à la locatrice Sefra Isik 3 240 $,
plus les intérêts au taux légal, majorés de l’indemnité additionnelle prévue à
l’article
LE TOUT avec frais de justice.
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CHRISTIAN BOUTIN, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
6 mars 2020 |
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Me Guy Audet
Guy Audet avocat
Avocat de la Locatrice/Appelante
Sefra Isik
Locataire/Intimée
[1] Le bail de logement courait jusqu’au 30 juin 2015.
[2] Art.
[3] Transcription des notes sténographiques, journée du 29 mars 2017, p. 100, lignes 3-4.
[4] Décision entreprise de la Régie, par. 14.
[5] Pièce R-2.
[6] Correspondant à plus de la moitié du loyer convenu.
[7] Pièce R-4.
[8] À savoir la Régie du bâtiment du Québec, la CNESST, la Direction de la santé publique de même que le Service des incendies de la Ville de Québec : transcription des notes sténographiques, pp. 100 et ss.
[9] C’est l’insertion de ce paragraphe 22, de même que la modification du montant octroyé dans le dispositif, qui a nécessité l’émission d’une décision rectifiée.
[10]
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov,
[11] Précitée note 10.
[12] RLRQ., c. R-8.1
[13]
[14] Housen c. Nikolaisen, précité, p. 258.
[15] Housen c. Nikolaisen, précité, p. 256.
[16]
[17] 2016 QCRDL 10363, au par. 80,
[18] 2016 QCRDL 10363, au par. 80.
[19] 2018 QCCQ 923, aux par. 41-43.
[20] À la page 136.
[21]
[22] À la p. 5.
[23] À la p. 5.
[24] Association
des résidents du Vieux St-Boniface inc. c. Winnipeg (Ville de),
[25] Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. pp. 638-639.
[26] Mirza c. Chowdhury, 2013 QCRDL.
[27]
Ducas c. Québec (Ministère de la Solidarité sociale),
[28] Aux pages 102 et ss, journée du 29 mars 2017.
[29] Voir le paragraphe 14 des présents motifs.
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