Décision

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Section des affaires immobilières

En matière de fiscalité municipale

 

 

Date : 5 septembre 2023

Référence neutre : 2023 QCTAQ 0971

Dossier  : SAI-M-277976-1808

Devant les juges administratifs :

PHILIPPE TREMBLAY

DANIEL CÔTÉ

 

9301-7689 QUÉBEC INC.

Partie requérante

c.

VILLE DE LAVAL

Partie intimée

 

 


DÉCISION


 


 


CONTEXTE PROCÉDURAL

[1]                    La Partie Requérante 9301-7689 Québec inc. (9301) introduit devant le Tribunal un recours afin de contester le refus de l’évaluateur de la Partie Intimée Ville de Laval (Laval) de répondre favorablement à sa demande de révision du 9 avril 2018 contestant un avis de modification du rôle (Avis) émis le 5 mars 2018[1].

[2]                    L’Avis est transmis en vertu de l’article 180 de la Loi sur la fiscalité municipale[2] (LFM) et vise un immeuble sis au 3860 boulevard Lévesque Ouest, à Laval.[3] Il a pour effet de faire augmenter la valeur de cet immeuble de 6 492 200 $ à 9 394 100 $. Cette augmentation de valeur résulte de travaux d’agrandissement effectués sur l’immeuble à partir de 2016 et qui se sont terminés au printemps 2017.[4]

[3]                    Ces informations comparatives quant à la valeur de l’immeuble apparaissent du certificat de modification (Certificat) et non à l’Avis. Le certificat de modification n’a pas été transmis par Laval à 9301 avec l’Avis.

[4]                    L’Avis indique que la modification prend effet au 1er mai 2017 et vise le rôle triennal 2016-2017-2018.

[5]                    Par sa demande de révision, 9301 conteste la valeur inscrite au rôle et la légalité même de l’Avis, c’est-à-dire sa conformité avec les exigences de la LFM.
Position de 9301

[6]                    À l’audience tenue devant le Tribunal le 14 juin 2023, 9301 annonce que sa contestation de l’Avis ne repose plus que sur le seul motif de sa légalité. Elle réclame du Tribunal qu’il soit déclaré nul de nullité absolue.[5]

[7]                    En effet, 9301 soutient que l’Avis n’identifie pas les inscriptions au rôle visées par la modification, et ce, en contravention avec l’article 12.2 du Règlement sur la forme ou le contenu minimal de divers documents relatifs à la fiscalité municipale (Règlement) applicable à la date de l’Avis[6]. Ce règlement découle de l’article 263 de la LFM permettant au ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire de prescrire la forme ou le contenu, entre autres, d’un avis de modification du rôle prévu à l’article 180 de la LFM.

[8]                    9301 soutient qu’à la lecture de l’Avis, il n’est pas possible d’identifier parmi les informations qui s’y retrouvent, lesquelles font l’objet ou non d’une modification. Cette non-conformité, selon elle, n’est pas une simple informalité, mais porte sur un élément essentiel de l’Avis; il ne lui est donc pas nécessaire de prouver l’existence d’un préjudice pour s’y opposer tel que prévu à l’article 3 de la LFM. À tout événement, elle prétend avoir subi un préjudice du seul fait que l’Avis était incompréhensible.

Position de Laval

[9]                    Laval oppose aux prétentions de 9301 l’absence de compétence du Tribunal pour se prononcer sur la question de la conformité de l’Avis qui en est une de légalité. À noter que Laval annonce ce moyen deux jours avant l’audience, par l’échange des cahiers d’autorités. Pourtant, le recours devant le Tribunal est introduit le 24 août 2018 et le dossier a fait l’objet de deux conférences préparatoires sans que cette question ne soit jamais soulevée.

[10]               Ainsi, selon Laval, seule la Cour supérieure a compétence sur cette question. Le Tribunal ne peut qu’examiner l’opportunité de l’Avis, par exemple, la valeur établie pour l’immeuble à la suite de travaux de rénovation.

[11]               Ses prétentions reposent sur l’arrêt rendu en 2018 par la Cour supérieure dans Ville de Drummondville c. Cour du Québec[7] (Affaire Drummondville) qui règle, selon elle, de manière définitive cette question. En réponse à cet argument, 9301 prétend qu’il y a ici compétence concurrente entre la Cour supérieure et le Tribunal tel que l’aurait décidé la Cour supérieure dans un jugement subséquent rendu en 2021[8] (Affaire Adamax).

[12]               Subsidiairement, Laval plaide qu’il s’agit d’une simple informalité qui n’est pas fatale à la validité de l’Avis en l’absence de préjudice. Elle prétend que 9301 a très bien compris la nature des modifications visées par l’Avis et n’a donc subi aucun préjudice d’une prétendue imprécision qui aurait pu être contenue à celui-ci.

QUESTIONS EN LITIGE

[13]               Le Tribunal identifie les questions en litige de la manière suivante :

a) Le Tribunal a-t-il compétence pour se prononcer sur la légalité de l’Avis ?

b) Si le Tribunal a compétence, l’Avis est-il conforme aux exigences du Règlement ?

c) Si l’Avis est non conforme aux exigences du Règlement, s’agit-il d’une inobservation qui entraîne, selon les dispositions de la LFM, sa nullité ?

d) S’il ne s’agit pas d’une telle inobservation, mais d’une simple informalité, 9301 atelle démontré avoir subi un préjudice ?

Pour les motifs ci-après exposés, le Tribunal conclut qu’il a compétence pour se prononcer sur la légalité de l’Avis. Le Tribunal estime également que l’Avis est non conforme au Règlement et que cela entraîne sa nullité suivant la loi, sans nécessité de démontrer un préjudice.

ANALYSE DU TRIBUNAL

a) Compétence du Tribunal pour se prononcer sur la légalité de l’Avis

[14]               Pour fins de compréhension des faits dans la présente affaire, il est utile de résumer sommairement le processus de modification du rôle d’évaluation foncière. Lorsque l’évaluateur d’une municipalité estime qu’il doit apporter une modification au rôle en vigueur selon les prescriptions de l’article 174 de la LFM, il émet un certificat de modification et le transmet au greffier de la municipalité.[9] Ce dernier transmet ensuite un avis de modification à la personne dont le bien visé est inscrit au rôle.[10] En l’espèce, c’est l’avis de modification qui est attaqué et non le certificat de modification.

[15]               En ce qui a trait à l’examen de la jurisprudence soumise par les parties, incluant l’examen des décisions auxquelles cette même jurisprudence réfère, le Tribunal en tire les constats suivants.

[16]               Le recours en cassation pour cause d’illégalité d’un acte de l’administration municipale, dont la validité des inscriptions figurant à son rôle d’évaluation, relève historiquement de la compétence de la Cour supérieure.

[17]               Dans son arrêt rendu sur cette question en 1972[11], la Cour suprême du Canada détermine que le recours en cassation pour cause d’illégalité visant les actes d’une administration municipale fait partie des pouvoirs dévolus aux juges nommés par le gouvernement du Canada en 1867, soit au moment où l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique est conclu. Conformément à l’article 96 de cet acte, cette compétence demeure donc celle des juges de l’actuelle Cour supérieure.

[18]               La Cour suprême, dans cet arrêt, déclare ultra vires des pouvoirs de la Législature de la province de Québec, la délégation à une cour provinciale du recours en cassation pour cause d’illégalité qui est alors prévue dans la Loi des cités et villes[12].

[19]               Depuis l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada, il est utile de souligner que les dispositions législatives prévoyant la délégation des recours en cassation à la Cour provinciale du Québec ont été modifiées et celles-ci prévoient maintenant que c’est la Cour supérieure qui est compétente pour entendre ces recours.[13]

[20]               Cela prive-t-il le Tribunal de toute compétence sur cette question ?

[21]               C’est la position prise par la Cour supérieure dans l’Affaire Drummondville sur laquelle s’appuie principalement Laval dans ses prétentions à l’effet que le Tribunal n’aurait pas compétence pour décider de la légalité de l’Avis. On peut lire dans cette décision:

[55]   Le Tribunal considère avec égard et respect que le TAQ n’a pas juridiction pour statuer sur la validité d’un certificat de modification du rôle d’évaluation.

[56]   Il peut uniquement déterminer s’il y a exactitude de l’inscription.

[57]   C’est la Cour supérieure qui a compétence sur cette question par une demande en cassation ou une demande en nullité suivant les articles 171 et 172 précités et soulevée par le Tribunal dans les pages précédentes quant au processus que l’on doit suivre.

[22]               La Cour supérieure s’appuie sur la décision rendue par la Cour d’appel en 1981 dans une affaire impliquant le Bureau d’évaluation foncière et qui confirme que c’est la Cour supérieure qui a compétence pour casser une inscription illégale au rôle d’évaluation municipale.[14]

[23]               Il faut se rappeler qu’à l’époque où la décision de la Cour d’appel est rendue, en 1981, la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire du Séminaire de Chicoutimi est récente et le législateur n’a toujours pas modifié les dispositions confiant à la Cour provinciale le recours en cassation pour cause d’illégalité des actes municipaux.

[24]               Au contraire de la situation prévalant en 1981, les dispositions actuelles de la LFM[15] prévoient spécifiquement l’existence du recours en cassation devant la Cour supérieure. Le législateur québécois reconnaît donc explicitement l’autorité de la Cour supérieure de se saisir de telles matières.

[25]               Aussi, la jurisprudence de la Cour d’appel à laquelle réfère la Cour supérieure dans l’Affaire Drummondville, qui remonte maintenant à plus de 40 ans, ne peut prendre en compte l’état du droit administratif actuel, qui a largement évolué depuis et qui a vu naître la Loi sur la justice administrative[16] (LJA).

[26]               À cet égard, la revue de certaines décisions rendues dans les 20 dernières années nous fait douter du bien-fondé de la position de Laval à l’effet qu’il n’existe aucune compétence pour le Tribunal de décider de cette question et que l’Affaire Drummondville constitue un précédent à suivre.

[27]               Tout d’abord, dans une décision rendue par la Cour supérieure en 2001 (Affaire Vigi Santé), celle-ci s’exprime ainsi quant à la compétence du Tribunal pour se prononcer sur la légalité de certificats de modification, alors que la compétence de l’évaluateur pour les émettre pendant la période de validité d’un rôle est contestée:

Depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur la justice administrative (L.R.Q. c. J-3), le législateur a confié à la section immobilière du TAQ compétence pour trancher, sur requête formulée dans les trente jours, toute inscription portée à un rôle. Il n'est nullement mis en doute par l'une ou l'autre des parties que le TAQ a compétence pour décider de la contestation des sociétés demanderesses de la légalité des modifications apportées fin 1999 ou début 2000, aux rôles d'évaluation foncière et de valeur locative les concernant, ni d'ordonner le remboursement des taxes payées, si les modifications sont invalides ou encore le taux d'imposition retenu est non approprié.

[Soulignement du Tribunal]

[28]               On comprend que dans cette affaire la question de la légalité proprement dite des certificats doit d’abord être décidée avant que l’on se penche plus avant sur leur contenu.

[29]               Dans une affaire subséquente rendue en 2011, Sun Life du Canada, Cie d’assurance vie c. Ville de Montréal (affaire Sun Life)[17],  où se pose, tout comme en l’espèce, la question de la conformité des certificats de modification avec les exigences du Règlement et ce, dans le contexte d’un contrôle judiciaire, la Cour supérieure émet l’opinion suivante quant à la compétence du Tribunal pour se prononcer sur cette question :

[50]   Le TAQ détermine donc que les documents transmis sont conformes à la LFM et au Règlement. Il s'agit d'une question qui tombe dans le champ d'expertise du TAQ soumise à la norme de la raisonnabilité.

[Soulignement du Tribunal]

[30]               Enfin, en 2021, la Cour supérieure dans l’Affaire Adamax émet l’avis qu’il existe une compétence concurrente dans le cas d’un recours en annulation de certificats de modification entre le Tribunal et la Cour supérieure. On peut y lire les passages suivants. On nous pardonnera leur longueur, mais nous croyons nécessaire de les reproduire pour donner un bon aperçu du contexte légal ici applicable tel que souligné, dans le sens propre et figuré, par la Cour:

[20]   Le TAQ est constitué en vertu de la LJA21. La LJA prévoit aux articles 14 et 15:

14.  Est institué le «Tribunal administratif du Québec».

 

Il a pour fonction, dans les cas prévus par la loi, de statuer sur les recours formés contre une autorité administrative ou une autorité décentralisée.

 

Sauf disposition contraire de la loi, il exerce sa compétence à l’exclusion de tout autre tribunal ou organisme juridictionnel.

 

15.  Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.

 

Lorsqu’il s’agit de la contestation d’une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu.

[Soulignés du Tribunal]

[…]

[30]   Si l’évaluateur conclut de sa propre initiative qu’un des évènements énumérés à l’article 174 LFM est survenu, il effectue la modification au moyen d’un certificat qu’il signe31.

[33]   Ce certificat peut ensuite être attaqué par la personne intéressée de plusieurs façons comme le prévoit l’article 181 LFM :

181.  Une demande de révision peut être déposée, ou un recours en cassation ou en nullité exercé, à l’égard d’une modification faite en vertu de l’article 174 ou 174.2, dans le délai prévu à l’article 132, au paragraphe 3° du deuxième alinéa de l’article 171 ou au premier alinéa de l’article 172, selon le cas.

Toutefois, une demande de révision ne peut être déposée à l’égard d’une modification faite en vertu du paragraphe 1° de l’article 174 ou du paragraphe 1°de l’article 174.2.

En outre, aucune demande de révision ne peut être formulée ni aucun recours en cassation ou en nullité exercé à l’égard des modifications effectuées au moyen d’un certificat global prévu au troisième alinéa de l’article 176.

[Soulignés du Tribunal]

[34] C’est donc pour cette raison que les tribunaux parleront de compétence concurrente en présence d’un certificat de l’évaluateur en cas de modification :

d’une part, il peut être attaqué par la voie de la demande de révision administrative (art. 132 LFM) et recours devant le TAQ et appel sur la permission à la Cour du Québec;

d’autre part, il peut être attaqué par une demande en cassation (art. 171 LFM) ou en nullité devant la Cour supérieure (art. 172 LFM et 529 10 C.p.c.).

[…]

[41]   Le Tribunal souligne dès à présent que ce n’est pas parce que deux voies procédurales concurrentes existent, c’est-à-dire la révision administrative/TAQ/Cour du Québec d’une part et l’annulation ou la cassation par la Cour supérieure d’autre part, que la Cour supérieure doit laisser à d’éventuelles demanderesses la seule initiative de décider du forum où le débat se déroulera.

[…]

[60]   La Cour supérieure est donc manifestement compétente de façon concurrente au TAQ en matière de nullité ou de cassation40 s’il y a délivrance d’un certificat de modification par l’évaluateur. Il demeurerait à déterminer si elle doit décliner compétence vu la politique judiciaire de l’épuisement des recours. 

[31]               Dans cette Affaire Adamax, on demande à la Cour supérieure d’émettre une ordonnance à l’encontre de l’évaluateur de la Ville de Montréal pour le forcer à modifier les inscriptions au rôle d’évaluation de certains immeubles dont les activités sont durement affectées par les mesures sanitaires mises en place par les autorités gouvernementales en raison de la pandémie de COVID-19. On évoque l’existence d’une « restriction juridique » au sens de l’article 174 (19) de la LFM. On reproche donc ici à l’évaluateur de ne pas avoir émis de certificats de modification pour refléter ce prétendu événement.

[32]               Compte tenu de ces faits dans l’Affaire Adamax, Laval soumet que ce n’est pas spécifiquement de la légalité des certificats dont il y est question, contrairement au présent dossier. Il s’agit plutôt de déterminer l’opportunité de reconnaître l’existence de « restrictions juridiques » pour ensuite émettre les certificats de modification, ce sur quoi le Tribunal a incontestablement compétence selon Laval. L’Affaire Adamax se distinguerait donc du présent dossier où c’est la légalité de la forme de l’Avis qui est en jeu.

[33]               Avec respect, le Tribunal croit que cette interprétation de l’Affaire Adamax, bien que défendable, est trop réductrice.

[34]               En effet, nulle part, la Cour ne suggère de faire une distinction entre une question d’illégalité et une question d’opportunité pour déterminer s’il y a compétence concurrente ou non entre le TAQ et la Cour supérieure sur un litige visant un certificat de modification. La Cour mentionne sans ambiguïté : « La Cour supérieure est donc manifestement compétente de façon concurrente au TAQ en matière de nullité ou de cassation. [18]

[35]               Nous croyons utile de souligner aussi les autres remarques suivantes de la Cour dans cette même affaire, et on nous pardonnera à nouveau leur longueur. Dans ces remarques, la Cour explique ainsi son refus d’intervenir, à ce stade, sur la question des illégalités prétendument commises par la Ville de Montréal et s’inspire de l’arrêt de la Cour suprême du Canada rendue en 2005 dans l’affaire Okwuobi[19] :

[80]   Le Tribunal doit s’incliner en faveur de recours administratifs que s’ils offrent un recours approprié, « convenable et efficace »52. Selon les demanderesses, « la LFM ne prévoit aucun recours administratif « convenable et efficace » permettant de remédier à l’illégalité alléguée par les demanderesses ».

[81]   Le Tribunal n’est pas d’accord avec cette affirmation. La Cour suprême dans Okwuobi conclut que le TAQ est un tribunal « fort complexe, semblable à plusieurs égards aux cours de justice du Canada »53. Sa division en sections assure un grand niveau de spécialisation et d’expertise, et en particulier en matière d’évaluation foncière au sein de la section affaires immobilières. D’ailleurs, même si la question de ce que constitue une « restriction juridique » est une pure question de droit, ce dont le Tribunal ne peut convenir, l’article 15 LJA stipule que le TAQ a le pouvoir de décider toute question de droit nécessaire à l’exercice de sa compétence.

[82]   Dans un contexte autre que celui de la LFM, la Cour supérieure54, en citant Vigi Santé, applique le principe de la théorie de l’épuisement des recours en soulignant que la Cour supérieure doit respecter « l’intégrité du système mis en place par le législateur, surtout lorsqu’il fait appel à une expertise spécialisée »55.

[83]   Les demanderesses soutiennent que les principes de célérité et de saine administration de la justice commandent que la Cour supérieure se saisisse des demandes et ce, afin de permettre de trouver une solution convenable, efficace, rapide et finale des différents dossiers. Le Tribunal est aussi en désaccord avec cette affirmation. À cet égard, il est d’avis que la proposition subsidiaire des demanderesses à l’effet que la Cour supérieure se prononce d’abord sur la question à savoir si les mesures gouvernementales constituent une restriction juridique et qu’ensuite, le dossier soit possiblement soumis à l’évaluateur et au TAQ pour établir la baisse de valeur, n’assure nullement la célérité et la saine gestion. Une telle approche mène au morcellement du débat et à la multiplication des procédures, ce qui ne peut être efficace. 

[Soulignement du Tribunal]

[36]               Bien que ces propos soient tenus dans le contexte où la Cour supérieure évalue l’opportunité d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire en contrôle judiciaire, ils apportent tout de même un éclairage pertinent à la question ici débattue.

[37]               Le Tribunal en retient que, même si la Cour supérieure a également compétence sur les questions de cassation ou de nullité, les éléments suivants militent en faveur de laisser le Tribunal s’en saisir, du moins, en premier ressort :

 1) le souci d’efficacité dans la résolution des questions en litige;

 2) l’expertise spécialisée du Tribunal pour en décider;

3) le pouvoir du Tribunal pour décider de toute question de droit nécessaire à l’exercice de sa compétence; et

4) la nécessité d’éviter l’effet de morcellement et de multiplication des recours.

[38]               Sur ce plan, nous rejoignons aussi les propos de la Cour du Québec dans l’Affaire Drummondville qui nous semblent refléter de manière juste les objectifs recherchés par la LJA et la possible cohabitation de la compétence du Tribunal avec celle de la Cour supérieure sur les questions de légalité des certificats de modification :

[37]   Dans le cas du TAQ, la compétence pour décider toute demande de révision à l'égard d'une modification faite en vertu de l'article 174 doit être lue en conjonction avec l'article 15 de la LJA :

15.  Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

Lorsqu'il s'agit de la contestation d'une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu.

[38]   Cette compétence étant donc compréhensive et complète, le fait pour le justiciable d'invoquer un motif qu'il souhaiterait présenter pour obtenir une décision concernant l'objet de sa demande ne prive pas le TAQ d'exercer sa compétence sur cet objet en fonction de tous les principes de droit applicable. Le fait d'invoquer des motifs concernant le fond de la question ne privait pas le TAQ de sa compétence de statuer, pour d'autres motifs, sur la validité de la modification.

[39]   Cela nous mène à la question plus fondamentale de l'appel c'est-à-dire la compétence du TAQ rationae materiae, d'invoquer l'invalidité des avis de modifications quant à la forme et contenu exigé par le Règlement.

[…]

[45]   De l'avis du Tribunal, la compétence donnée au TAQ est assez large et complète pour comprendre tout motif pour valider, invalider ou changer une inscription au rôle d'évaluation foncière, et ce, nonobstant la compétence qui est reconnue spécifiquement pour la Cour supérieure à l'égard des recours en cassation ou en nullité.

[46]   En effet, la compétence de la Cour supérieure en nullité ou en cassation fait partie d'une compétence inhérente dont la LFM n'empêche pas l'exercice.

[47]   Il s'agit donc d'une compétence concurrente lorsqu'il est question de la nullité ou de l'invalidité d'une inscription.

 

(…)

 

[50]   De l'avis du Tribunal, la métaphore du « contenant » et du « contenu » dessine une belle illustration du débat, mais au fond, il est question de la validité de l'acte administratif de la Ville qui consigne, d'une façon documentaire, la modification qu'il apporte au rôle d'évaluation foncière.

[51]   Le document intitulé « Certificat de !'évaluateur et avis de modification du rôle d'évaluation foncière» est la manifestation documentaire d'un acte juridique administratif. Le but du certificat est de constater la modification et d'en donner avis au contribuable affecté. L'emploi du certificat de l'évaluateur et avis de modification du rôle d'évaluation foncière fait partie de l'accomplissement de l'acte juridique.

[52]   Nous pouvons donc parler de formalité essentielle à l'acte juridique. Ce ne serait pas logique de priver le TAQ de la responsabilité de constater l'existence ou la non-existence du certificat pour fonder sa propre juridiction. Il nous semble que le geste décisionnel du TAQ à conclure sur la validité formelle du document serait un aspect de sa compétence de décider du bien-fondé substantiel du geste administratif que l'évaluateur a posé.

[53]   Dire que cette question initiale est réservée à la compétence exclusive de la Cour supérieure priverait le TAQ d'un pouvoir décisionnel essentiel à sa mission et rendrait très boiteuse la démarche procédurale dans les dossiers où il est question à la fois de la validité formelle du geste de l'évaluateur et du bien-fondé factuel ou juridique de sa démarche. 

[39]               En effet, pour illustrer ces derniers commentaires de la Cour du Québec, la position de Laval a pour résultat pratique qu’un contribuable qui veut contester à la fois la conformité de l’avis de modification avec les exigences du Règlement et la valeur de l’immeuble indiquée à l’avis, devrait d’abord s’adresser à la Cour supérieure pour faire décider de la question de la légalité, avec tous les délais et coûts qu’une telle démarche peut engendrer, incluant la possibilité bien réelle que cette affaire se retrouve ensuite à la Cour d’appel.

[40]               S’il perd au terme de cette contestation judiciaire, le contribuable devrait ensuite retourner devant le Tribunal pour y débattre la valeur de l’immeuble.

[41]               Comme on peut le constater, un tel morcellement de recours entrainerait inévitablement le contribuable dans les méandres du système de justice pour des années.

[42]               Il ne fait aucun doute pourtant que cela est contraire à la volonté du législateur, exprimé à l’article 1 de la LJA et qui énonce:

1.  La présente loi a pour objet d’affirmer la spécificité de la justice administrative et d’en assurer la qualité, la célérité et l’accessibilité, de même que d’assurer le respect des droits fondamentaux des administrés.

[Soulignement du Tribunal]

[43]               L’article 15 de la LJA prévoit aussi que le Tribunal a compétence pour trancher toute question de droit nécessaire à l’exercice de sa compétence.

[44]               Le Tribunal croit également utile de mentionner l’arrêt rendu en 1983 dans Abel Skiver Farm Corporation c. Ville de Ste-Foy par la Cour suprême du Canada[20]. Dans cette affaire, un contribuable revendique l’application d’une exemption fiscale partielle pour des terres en culture. Il n’a pas exercé ses recours devant le Bureau de révision. On lui conteste son droit de s’adresser à la Cour supérieure par action directe en nullité.

[45]               Bien que la Cour suprême reconnaisse que le Bureau de révision a compétence sur la question[21], elle estime que l’action directe en nullité devant la Cour supérieure était tout de même ouverte au contribuable même s’il n’a pas saisi le Bureau de révision de la question.[22] Selon la Cour, il s’agit d’une question de droit et de compétence de la part de la Ville de déterminer si le contribuable peut bénéficier ou non de l’exemption. L’action directe en nullité qui vise à faire déclarer nuls des actes ultra vires est donc ici un véhicule procédural qui est disponible au contribuable malgré le recours devant le Bureau de révision visant la même matière.

[46]               En ce faisant, la Cour suprême reconnaît, du moins implicitement, que le Bureau de révision pouvait se saisir lui-même d’une question de légalité d’une décision de la Ville, même d’une décision ultra vires des compétences de la ville, dans le cadre de ses attributions. Ainsi, la Cour suprême vient reconnaître la compétence concurrente de la Cour supérieure et du Bureau de révision pour décider de la légalité d’une décision de la ville.

[47]               Comme on peut donc le constater, ce n’est pas parce qu’une question soulève de stricts enjeux de légalité et même de compétence que ceci vient automatiquement éliminer le pouvoir d’un tribunal administratif d’en décider.

[48]               Nous pourrions aussi débattre longuement sur ce qui constitue une question d’illégalité et ce qui constitue une question d’opportunité, soit la distinction que plaide Laval. Certaines situations semblent plus faciles à circonscrire, comme la détermination de la valeur réelle d’un immeuble à la suite de travaux de rénovation, qui en serait une d’opportunité.

[49]               Cependant, comme on le voit dans l’affaire ci-dessus de la Cour suprême, la décision de la Ville de Ste-Foy de ne pas faire bénéficier un contribuable d’une exemption fiscale est une question de droit et de compétence selon le plus haut tribunal du pays. Mais on pourrait aussi plaider qu’il s’agit d’une question d’opportunité car il revient, en principe, à l’évaluateur de la ville de déterminer, selon son jugement d’évaluateur, si un immeuble doit ou non être exempté, en fonction de ses caractéristiques ou de son usage.

[50]               La distinction proposée par Laval n’est donc pas si décisive ou déterminante qu’elle n’y parait pour délimiter la compétence du Tribunal et peut varier selon les perspectives de chacun.

[51]               Le Tribunal estime donc que la séparation étanche que demande Laval entre la compétence de la Cour supérieure et celle du Tribunal sur des questions de légalité n’est probablement pas la bonne approche à utiliser. Concevoir qu’il peut y avoir une compétence concurrente entre les différents tribunaux sur certaines des décisions ou actes attaqués apparaît au Tribunal mieux répondre à la saine administration de la justice et au besoin d’efficacité de la justice administrative moderne.

[52]               Laval, en cours de délibéré, a porté à l’attention du Tribunal une décision tout à fait récente rendue par la Cour supérieure dans Condominiums Renaissance Blainville c. Ville de Blainville[23] (Affaire Blainville) qui confirmerait, selon elle, l’Affaire Drummondville. Avec égards, nous sommes d’avis que cette affirmation doit être nuancée compte tenu du contexte factuel et juridique propre à ce dossier.

[53]               Dans l’Affaire Blainville, une demande de pourvoi en contrôle judiciaire est entreprise devant la Cour supérieure pour demander la nullité de certificats de modification émis par la Ville de Blainville. Aucune autre question n’est soumise à la cour, comme par exemple, la valeur des immeubles en cause. Après que le dossier ait été mis en état, l’évaluateur de la ville et une autre partie demandent que la cour décline compétence et renvoie l’affaire devant le TAQ comme l’a fait la Cour supérieure dans l’Affaire Adamax.

[54]               Sans procéder à une analyse détaillée de la question de la compétence de la cour, la Cour supérieure se réfère, en quelques lignes, à l’Affaire Drummondville pour s’estimer compétente pour se saisir de la matière. Elle distingue aussi ce dossier de l’Affaire Adamax et refuse de décliner compétence et de retourner le dossier au TAQ.

[55]               Aux yeux du Tribunal, il ne ressort pas clairement que la cour vienne confirmer, en se référant ainsi de manière plutôt laconique à l’Affaire Drummondville, et sans autres commentaires plus spécifiques, une compétence exclusive de la Cour supérieure sur une demande en nullité de certificats de modification. Notre lecture nous amène plutôt à constater qu’elle vise surtout à confirmer sa compétence pour s’en saisir, ce qui est non discutable.

[56]               En fait, la tardivité de la demande de renvoi du dossier au TAQ apparaît avoir été un élément déterminant pour la cour dans l’Affaire Blainville, celle-ci ayant été annoncée après que les parties aient mis en état leur dossier et dépensé déjà des honoraires juridiques importants. La cour énonce ce qui suit :

Au surplus, les délais encourus entre le dépôt de la Demande en pourvoi et le moyen d’irrecevabilité soulevé ne militent pas en faveur de l’irrecevabilité recherchée considérant les honoraires encourus par les parties pour mettre leur dossier en état et les délais pour obtenir une date d’audition. La saine administration de la justice favorise plutôt le rejet du moyen d’irrecevabilité soulevé par LBP et l’Évaluateur.[24]

[57]               Le Tribunal ne peut qu’adhérer à la pertinence de ces propos. Il n’y a aucun intérêt ou gain pour les justiciables de retarder le dossier en le renvoyant au TAQ pour se prononcer sur la seule question de la légalité des certificats. La cour en est déjà saisie, les parties sont prêtes à plaider et elle a compétence pour se prononcer sur la question.

[58]               En l’espèce, nous ne sommes évidemment aucunement dans ce cas de figure. C’est le Tribunal qui est ici initialement saisi de la question de la validité de l’Avis, cela figure comme un motif de contestation de 9301 depuis le tout début du dossier. Le dossier est ouvert au Tribunal depuis maintenant cinq ans et a fait l’objet de conférences préparatoires pour circonscrire les questions à plaider. Pourtant, le moyen d’irrecevabilité de Laval n’est annoncé que deux jours avant l’audience, avec l’échange des cahiers d’autorités.

[59]               À tout événement, à la lumière de la revue de l’ensemble de la jurisprudence discutée ci-dessus, il apparaît au Tribunal que la jurisprudence dominante confirme que celui-ci a compétence pour trancher une question traitant de la légalité de l’Avis telle qu’ici soumise et à ce stade du litige entre les parties. Un tel résultat est aussi conforme avec les objectifs fondamentaux édictés dans la LJA quant à l’accessibilité et la célérité de la justice administrative.

[60]               L’exercice de cette compétence par le Tribunal ne nie évidemment en rien le recours en cassation historiquement dévolu à la Cour supérieure pas plus que sa compétence en matière de contrôle et de surveillance, ces différents régimes pouvant légalement coexister.

b) La conformité de l’Avis avec les exigences du Règlement

[61]               9301 soumet que l’Avis ne respecte pas les exigences du Règlement.

[62]               L’article 12.2 du Règlement prévoit ce qui suit :

12.2.  En plus de ce que prescrit l’article 180 de la Loi, l’avis de modification prévu à cet article doit contenir les mentions suivantes :

    le rôle visé par la modification;

  l’identification des inscriptions au rôle visées par la modification;

  un renvoi à la disposition législative en vertu de laquelle a été effectuée la modification;             

  la date de prise d’effet de la modification.

[Soulignement du Tribunal]

[63]               L’Avis contient différents éléments d’informations relatifs à l’identité du propriétaire, à l’unité d’évaluation et la valeur de l’immeuble. L’Avis ne précise pas lesquels de ces éléments d’informations constituent une modification.

[64]               De l’opinion du Tribunal, il ne suffit pas d’insérer les éléments modifiés à travers plusieurs autres éléments d’information pour satisfaire à l’exigence réglementaire, il faut indiquer clairement lesquels sont des modifications.

[65]               Il est vrai que l’Avis dans la section « Source législative du motif de la modification », mentionne « CONTRUCTION OU RENOVATION D’UN BATIMENT » et la référence législative pertinente. Cependant, ces seules mentions n’indiquent pas, en soi, quelle inscription est modifiée au rôle d’évaluation.

[66]               En fait, cette section de l’Avis vise à satisfaire une autre exigence distincte du Règlement, soit le paragraphe 3 de l’article 12.2, qui est de mentionner le renvoi à la disposition législative en vertu de laquelle la modification est effectuée. Se conformer à cette exigence ne peut donc suppléer à celle qui est d’identifier les inscriptions au rôle qui sont modifiées.

[67]               La seule façon d’identifier avec certitude, en l’espèce, quelles sont les inscriptions qui ont été modifiées est de comparer l’Avis avec d’autres documents, par exemple l’avis d’évaluation transmis lors du dépôt du rôle ou un compte de taxes. Cet exercice ne devrait pourtant ne pas être nécessaire si les dispositions réglementaires étaient respectées.

[68]               L’Avis tel que confectionné ne remplit pas son objectif premier qui est d’informer précisément le contribuable de la nature des modifications apportées au rôle et il est donc non conforme.

c) La non-conformité de l’Avis entraine-t-elle sa nullité ?

[69]               Le Tribunal doit déterminer si la non-conformité de l’Avis entraîne sa nullité. Cette question se pose tout particulièrement en raison de l’article 3 de la LFM qui édicte ce qui suit :

3.  Nulle action, défense ou exception, fondée sur l’omission de formalités, même impératives, dans un acte d’une Communauté, d’une municipalité, d’une commission scolaire, d’un de leurs fonctionnaires ou d’un évaluateur, n’est recevable à moins que l’omission n’ait causé un préjudice réel, ou à moins qu’il ne s’agisse d’une formalité dont l’inobservation entraîne, d’après les dispositions de la loi, la nullité de l’acte où elle a été omise.

[70]               Le Tribunal conclut sans peine que la non-conformité doit entrainer sa nullité.

[71]               La Cour suprême du Canada[25], en traitant d’une disposition similaire dans le code municipal, a établi que cet article 3 ne trouve application que pour les simples informalités. On peut lire à ce sujet :

En vertu de l’art. 14 du Code municipal, nulle action, poursuite ou procédure fondée sur la forme ou sur l’omission de formalités même impératives, dans des actes ou procédures relatifs à des matières municipales, n’est recevable, à moins que la forme ou l’omission n’ait causé une injustice réelle ou que les formalités omises ne soient de celles dont l’omission rende nuis, d’après les dispositions du Code municipal, les procédures ou autres actes municipaux qui doivent en être accompagnés. L’article 11 de la Loi sur les cités et villes et l’art. 3 de la Loi sur la fiscalité municipale, L.R.Q., ch. F-2.1, sont au même effet. Néanmoins, ces articles ne touchent que les simples informalités (voir City of Beaconsfield c. Bagosy, précité). Le professeur Jacques L’Heureux dans Droit municipal québécois (1984), t. 2, affirme aux pp. 319 et 320:

En vertu de la jurisprudence, lorsqu’une formalité est une condition essentielle à la validité d’un acte, son omission entraîne la nullité de l’acte sans qu’il soit nécessaire de prouver préjudice.

Les notions de «formalité essentielle» et d’«élément essentiel» demeurent, toutefois, assez imprécises en jurisprudence. En fait, on peut dire que, globalement parlant, les tribunaux annulent un acte pour irrégularité de procédure lorsque le but de la procédure n’a pas été atteint.

La jurisprudence a établi que les illégalités qui atteignent la procédure dans sa substance ou qui affectent un droit fondamental sont admissibles à une contestation élargie.

[…]

Des avis insuffisants ou défectueux, tout comme une approbation déficiente, peuvent porter atteinte à la validité de l’acte dans sa substance et affecter des droits que le législateur a voulu protéger.

[]

Dans l’affaire City of Beaconsfield c. Bagosy, précitée, la Cour d’appel du Québec a établi clairement que les avis publics adressés aux propriétaires intéressés doivent être suffisamment détaillés pour permettre aux personnes touchées par le règlement de savoir dans quelle mesure leurs droits seront affectés. Dans ses notes, le juge Bélanger écrit à la p. 95:

À mon sens, un tel avis devait contenir des informations suffisantes pour que les personnes intéressées se rendent compte que c’est à elles qu’il était adressé: sans qu’il n’ait été nécessaire qu’on y reproduise en entier le règlement de modification, il était essentiel que le groupe de propriétaires qui avaient des droits à faire valoir soient identifiés au moins par le territoire visé par le règlement et que la nature de la modification, donc l’objet du règlement, soit indiquée.

Pour les juges de la Cour d’appel une telle insuffisance dans les avis équivaut à une absence d’avis et entraîne l’annulation du règlement. 

[72]               Il faut aussi se rappeler que le présent litige met en jeu le principe et objectif d’ordre public de l’immuabilité du rôle d’évaluation municipale, maintes fois affirmé par la jurisprudence[26]. Ce principe implique le respect des règles strictes qui sont applicables en cas de modifications de celui-ci. L’analyse du Tribunal doit donc être faite en ayant à l’esprit que l’on se situe à l’intérieur de cette route étroitement balisée.

[73]               En l’espèce, le Règlement impose des exigences minimales, le simple usage de ces termes est une indication claire qu’on ne peut y déroger.

[74]               Aussi, l’article 12.2 du Règlement emploie à son premier paragraphe les termes « doit contenir », ce qui confirme encore une fois le caractère essentiel des exigences qui y sont mentionnées. C’est d’ailleurs ce que la Cour d’appel conclut quant à l’utilisation du mot « doit » relativement à l’absence d’une indication obligatoire devant apparaître à un avis d’évaluation foncière en précisant qu’il n'y a pas alors nécessité, de la part du contribuable, de démontrer avoir subi un préjudice.[27]

[75]               Ces dispositions du Règlement visent à assurer une communication claire et transparente d’informations jugées importantes aux contribuables pour leur permettre, notamment, de prendre une décision éclairée sur l’exercice ou non d’un recours en révision. Un avis qui n’indique pas de façon précise et à sa face même, tel qu’exigé par le Règlement, les modifications effectuées omet un élément essentiel à l’avis.

[76]               Le Tribunal croit qu’il est important que les municipalités soient tenues de respecter rigoureusement, sous peine de nullité, ce type d’exigences, sinon cela pourrait avoir pour effet d’encourager les municipalités à ne pas s’y conformer et potentiellement de priver plusieurs contribuables de leur droit de contester le bienfondé des modifications apportées aux inscriptions visant leur propriété.

[77]               En effet, une telle non-conformité peut faire plusieurs « victimes silencieuses » qui n’ont pas conscience que leurs droits ont été affectés faute d’avoir été dument informées. Elles ne s’en plaindront donc jamais devant les tribunaux et la municipalité, sans lui prêter quelconque intention malveillante, tire alors objectivement profit de son manquement à se conformer au Règlement.

[78]               Cela ne peut être la conséquence souhaitée par la LFM et le Règlement.

[79]               C’est pour cette raison également qu’il est ici indifférent que 9301 ait subi ou non un préjudice, l’atteinte potentielle au droit de l’ensemble des contribuables qui découle de cette non-conformité est trop importante pour l’examiner uniquement sous l’angle d’une simple informalité.

[80]               Le Tribunal estime donc, s’inspirant en cela des enseignements de la Cour suprême du Canada, qu’en l’espèce, la non-conformité de l’Avis, émis dans un contexte juridique dérogeant de manière exceptionnelle au principe de l’immuabilité d’un rôle en vigueur et imposant le strict respect des règles applicables, atteint la procédure dans sa substance et affecte un droit fondamental conféré au contribuable. Ce droit du contribuable est celui d’être adéquatement informé des modifications apportées au rôle municipal à l’égard de sa propriété pour ainsi lui permettre, en pleine connaissance de cause, d’exercer un recours en révision, le cas échéant.

[81]               Dans ces circonstances, le Tribunal estime que 9301 n’a pas à démontrer avoir subi un préjudice résultant de la non-conformité de l’Avis puisque celle-ci entraine sa nullité.

[82]               Le Tribunal accueille donc le recours de 9301, annule l’Avis et ordonne à Laval de rétablir les inscriptions telles qu’elles apparaissaient au rôle triennal 2016-2017-2018 avant les modifications qui y ont été apportées en raison de l’Avis et du Certificat.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE le recours de 9301-7689 Québec inc.;

ANNULE l’avis de modification du 5 mars 2018 émis par Ville de Laval visant l’unité d’évaluation portant le numéro de matricule 8643 07 4297 2 000 0000;ORDONNE à Ville de Laval de rétablir les inscriptions de l’unité d’évaluation portant le numéro de matricule 8643 07 4297 2 000 0000 telles qu’elles apparaissaient au rôle d’évaluation triennal 2016-2017-2018 avant les modifications qui y ont été apportées en raison de l’avis de modification du 5 mars 2018 et du certificat de modification qui a donné lieu à cet avis;

LE TOUT avec frais.

 


 

PHILIPPE TREMBLAY, j.a.t.a.q.

 

 

DANIEL CÔTÉ, j.a.t.a.q.


 

Therrien Couture Joli-Coeur S.E.N.C.R.L.

Me Samuel Cousineau-Bourgeois

Procureur de la partie requérante

 

Services des affaires juridiques Ville de Laval (SAJVL)

Me Marie-Hélène Toussaint

Procureure de la partie intimée


 


[1]  Vise l’unité d’évaluation portant le numéro de matricule 8643 07 4297 2 000 0000.

[2]  RLRQ, chapitre F-2.1.

[3]  Pièce I-5, p. 6 de 9.

[4]  Enquête sur les coûts de construction Pièce I-3A.

[5]  Paragraphe 41 du Plan d’argumentation des procureurs de 9301.

[6]  RLRQ chapitre F-2.1, r 6.

[7]  2018 QCCS 2362 (CanLII).

[8]  Société en commandite Adamax Immobilier c. Ville de Montréal et als. 2021 QCCS 499.

[9]  Articles 176 et 179 LFM.

[10]  Article 180 LFM.

[11]  Séminaire de Chicoutimi v. La Cité de Chicoutimi, (1973) R.C.S. 681.

[12]  S.R.Q. 1964, chapitre 193.

[13]  Par exemple, articles 352 et 397 et de la Loi sur les Cités et Villes, RLRQ, chapitre C-19.

[14]  Ivanhoe c. Ville de Laval (1981) C.A. 189.

[15]  Articles 171 et 172 LFM.

[16]  RLRQ, chapitre J-3.

[17]  Sun Life du Canada Cie d’assurance vie c. Ville de Montréal 2010 QCCQ 1995.

[18]  Paragraphe 60.

[19]  Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B. Pearson,2005 1 R.C.S. 257

[20]  (1983) 1 R.C.S. 403

[21]  Id. p. 434, 1er paragraphe

[22]  Id., voir notamment p. 438, 3e paragraphe

[23]  2023 QCCS 2992.

[24]  Paragraphe 115.

[25]  Immeubles Port Louis ltée c. Lafontaine (Village), 1991 CanLII 82 (CSC), [1991] 1 RCS 326.

[26]  Sears Canada inc. c. Saint-Laurent (Ville), 1996 CanLII 5866 (QC CA); Montréal (Ville) c. Technispect Inc., 2004 CanLII 19233 (QC CA) ; 9185-6617 Québec inc. c. Ville de Longueuil, 2019 QCCA 1663 (CanLII); Ville de Gatineau c. Chartrand, 2022 QCCQ 3273 (CanLII).

[27]  Ville de Lévis c. Collège de Lévis, 1989 CanLII 640 (QC CA) : il s’agit de l’exigence d’indiquer dans l’avis d’évaluation "la façon de formuler une plainte et le délai dans lequel une plainte doit être déposée ».

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