Dossier : T-1458-20
Référence : 2025 CF 476
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 13 mars 2025
En présence de madame la juge Gagné
RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ |
ENTRE : |
NICHOLAS MARCUS THOMPSON, JENNIFER PHILLIPS, MICHELLE HERBERT, KATHY SAMUEL, WAGNA CELIDON, DUANE GUY GUERRA, STUART PHILP, DANIEL MALCOM, ALAIN BABINEAU, BERNADETH BETCHI, CAROL SIP, MONICA AGARD et MARCIA BANFIELD SMITH |
demandeurs |
et |
SA MAJESTÉ LE ROI |
défendeur |
et |
AMNISTIE INTERNATIONALE CANADA |
intervenante |
ORDONNANCE ET MOTIFS
- Dans le présent recours collectif envisagé, les demandeurs sont d’anciens employés ou employés de 11 différents ministères, organismes ou autres organisations (ou leurs prédécesseurs) du gouvernement fédéral. Ils cherchent à représenter les intérêts d’un groupe envisagé formé de personnes noires qui, à n’importe quel moment entre 1970 et aujourd’hui, ont postulé ou occupé un emploi dans la fonction publique fédérale et se sont vu refuser des perspectives d’emploi ou des possibilités d’avancement en raison de leur race. Selon l’annexe A de la nouvelle déclaration remodifiée [la déclaration], la fonction publique est définie de façon à inclure 98 organisations différentes du gouvernement fédéral, lesquels sont énumérés aux annexes I, IV et V de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC (1985), c F-11 [la LGFP], y compris les Forces armées canadiennes [les FAC]. Les demandeurs plaident que le défendeur est responsable à leur égard et à l’égard des membres putatifs du groupe visé par le présent recours collectif, pour avoir instauré une [traduction] « pratique généralisée visant à exclure les employés noirs » de l’embauche et de toutes promotions au sein des 99 entités fédérales.
- La Cour a tenu une audience de 13 jours lors de laquelle cinq requêtes préliminaires ont été examinées, en plus de la requête en autorisation des demandeurs. Dans Thompson c Canada, 2024 CF 1752, la Cour a statué sur les trois premières requêtes et, ce faisant, a circonscrit le contenu du dossier de preuve.
- Les présents motifs de la Cour ont trait aux trois requêtes restantes :
- La requête de sa Majesté le Roi [Canada] pour ordonner la suspension des portions de l’action des demandeurs qui chevauchent d’autres recours collectifs ou recours collectifs envisagés;
- La requête du Canada en radiation de la déclaration des demandeurs pour défaut de compétence et absence de cause d’action valable;
- La requête en autorisation des demandeurs.
- Les 14 demandeurs en l’espèce sont d’anciens ou d’actuels fonctionnaires qui travaillent ou ont travaillé pour 11 différents ministères, organismes ou autres organisations du gouvernement fédéral, notamment :
Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC];
Agence du revenu du Canada [l’ARC];
Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP];
Service correctionnel Canada [SCC];
Ministère de la Défense nationale [le MDN];
Ministère de la Justice [le JUS];
Emploi et Développement social Canada [EDSC];
Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR]
Service des poursuites pénales du Canada [le SPPC];
Gendarmerie royale du Canada [la GRC];
Forces armées canadiennes [les FAC].
- En plus de leurs propres affidavits, les demandeurs ont déposé les affidavits de deux anciens représentants demandeurs et ceux de six témoins experts :
Mme Wendy Cukier, professeure d’entrepreneuriat et de stratégie, et directrice de l’Institut de la diversité à l’École de gestion Ted Rogers de l’Université métropolitaine de Toronto (autrefois connue sous le nom de l’Université Ryerson). On lui a demandé de donner son avis sur la discrimination systémique et d’examiner la preuve statistique et les autres données fournies par les avocats.
M. Steve Prince (actuaire) et Mme Stephanie Greenwald (juricomptable), tous deux associés chez RSM Canada. On leur a demandé de concevoir un modèle raisonnable pour calculer les dommages-intérêts en conséquence de la perte de revenus d’emploi et de revenus de pension.
Mme Adele Furrie, statisticienne et spécialiste de la méthodologie, dont les services ont été retenus pour aider à la collecte et à l’analyse des données du Canada relatives aux fonctionnaires canadiens noirs.
Mme Uraina Clark, titulaire d’un doctorat en psychologie et psychologue en recherche avec spécialisation en neuropsychologie, en imagerie cérébrale et en stress. On lui a demandé de donner son avis sur l’incidence de l’exposition à la discrimination sur les troubles de santé mentale, notamment la dépression, l’anxiété et le syndrome de stress post-traumatique.
- Le défendeur représente la fonction publique fédérale, c’est-à-dire les composantes du gouvernement fédéral sur lesquelles le Conseil du Trésor [CT] assume une certaine responsabilité en vertu de la LGFP. La fonction publique fédérale se partage entre l’administration publique centrale [APC], qui comprend la GRC, et les organismes distincts.
- L’APC regroupe les 82 ministères et organismes énumérés aux annexes I et IV de la LGFP. Des 99 organisations énumérées à l’annexe A de la déclaration, 73 font partie de l’APC. En date du 31 mars 2021, l’APC comptait 245 739 employés actifs répartis dans des centaines de milieux de travail partout au Canada et dans le monde. Le CT est l’employeur des organisations de l’APC, et la gestion des ressources humaines est partagée entre différents organismes centraux : le Secrétariat du Conseil du Trésor [le SCT], la Commission de la fonction publique du Canada [la CFP] et le Bureau du Conseil privé.
- Les 25 organismes distincts compris dans la déclaration sont énumérés à l’annexe V de la LGFP [organismes distincts]. Les organismes distincts ne font pas partie de l’APC. Ils varient à certains égards : taille, structure, mandat, effectif et direction. Par exemple, l’ARC est le plus important (en taille) organisme distinct et l’un des principaux employeurs au sein de la fonction publique fédérale. En 2022, l’ARC comptait un effectif de plus de 58 000 employés : 13 000 employés établis à Ottawa, et 45 000 employés répartis à travers le Canada, dans différents bureaux ou dans des centres fiscaux.
- Chaque organisme distinct est son propre employeur et a compétence directe sur ses propres processus de dotation, tel que défini par sa loi habilitante.
- Par exemple, l’ARC est responsable, sous le régime de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, LC 1999, c 17, de la gestion de ses propres ressources humaines, ce qui inclut le pouvoir de déterminer ses propres besoins en matière de dotation et de nommer des employés en conséquence, ainsi que l’obligation d’élaborer son propre programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés. L’ARC, conformément à ses responsabilités et ses obligations, a élaboré des procédures de dotation qui déterminent les directives obligatoires pour l’embauche des gestionnaires au sein de l’ARC.
- La Cour note que, même si la déclaration fait mention des annexes I, IV et V de la LGFP, la liste des entités fédérales figurant à l’annexe A de la déclaration, au moment où elle a été rédigée, ne reflète plus fidèlement la LGFP. Il en est ainsi puisque les annexes I, IV et V de la LGFP sont modifiées régulièrement de manière à tenir compte des changements au sein des institutions de la fonction publique (changement de noms, création de nouvelles entités ou suppression d’entités redondantes). Bien que la présente ordonnance et les présents motifs reposent sur la déclaration telle que déposée par les demandeurs, la Cour reconnaît que, si le recours collectif était autorisé, le groupe comprendrait des membres de toutes les entités fédérales telles qu’elles apparaissent aux annexes I, IV et V de la LGFP.
- Les FAC ne sont visées par aucune définition légale de la fonction publique fédérale; il s’agit d’une entité législative entièrement distincte, constituée sous le régime de la Loi sur la défense nationale, LRC (1985), c N-5 [LDN], dont les membres entretiennent un rapport unique avec la Couronne. En mars 2022, les FAC comptaient environ 113 000 membres, répartis ainsi : 65 021 membres de la Force régulière, 29 907 membres de la Première réserve, 6 700 membres de la Réserve supplémentaire, 5 230 Rangers canadiens et 6 482 membres du Service d’administration et d’instruction des organisations de cadets. L’organisation de ces composantes se divise en une panoplie de commandements, de formations, d’unités, etc.
- Les FAC possèdent leur propre système indépendant de règlements, d’ordonnances et de directives qui gouverne la gestion du personnel et, en particulier, maintiennent leurs propres processus et procédures uniques aux fins de l’enrôlement ou de l’avancement de leurs membres.
- Le Canada a déposé un total de 37 affidavits, soit ceux de 35 témoins de faits issus de plusieurs entités de l’APC et d’organismes distincts et ceux de deux témoins experts.
- Des 35 témoins de faits, 22 sont des fonctionnaires qui occupent des postes liés à la gestion de 11 ministères, organismes ou organisations qui emploient ou ont employé les demandeurs. Ils sont essentiellement responsables des ressources humaines, des politiques de recrutement et de dotation, des relations de travail, des programmes d’équité en matière d’emploi, de la classification, des évaluations de rendement, etc.
- Neuf témoins de faits sont responsables, entre autres, des politiques, du respect des exigences applicables à la dotation, de l’assurance-qualité et des programmes d’équité en matière d’emploi au SCT et à la CFP. Ils offrent des conseils aux personnes détenant les pouvoirs de dotation au sein de l’APC et des organismes distincts et rendent comptent de leurs activités.
- Deux témoins de faits travaillent à Statistique Canada et s’occupent des ressources humaines, de la santé et de la sécurité au travail, de la collecte de données, de la certification et de la diffusion du recensement des variables ethnoculturelles.
- Le dernier témoin de faits est un gestionnaire des politiques à Anciens Combattants Canada chargé de fournir des recommandations et des directives stratégiques sur les prestations d’invalidité offertes aux membres, actuels et anciens, des FAC et de la GRC.
- Le Canada a déposé les affidavits des deux témoins experts suivants :
M. John H. Johnson, économiste spécialisé dans l’analyse économique et statistique des questions de travail et d’emploi. On lui a demandé de répondre aux propos formulés par les associés de RSM Canada et par mesdames Adele Furrie et Wendy Cukier.
M. Michael A. Campion, professeur de gestion à l’Université Perdue spécialisé en psychologie industrielle et organisationnelle. On lui a demandé de se prononcer sur : les facteurs qui permettent de déterminer la science derrière la sélection du personnel; la façon dont ces facteurs s’appliquent à la fonction publique fédérale; et la question de savoir s’il existe une procédure, une pratique ou un système de sélection commun dans l’ensemble des organisations qui forment la fonction publique fédérale.
- Amnistie internationale (Section canadienne) (anglophone) [Amnistie internationale Canada] est une organisation à but non lucratif enregistrée au Canada. Il s’agit de l’une des branches canadiennes de l’organisation mondiale Amnistie internationale, laquelle a pour mission de défendre et de promouvoir les droits de la personne à l’échelon tant international que national. Cette organisation surveille les violations et les abus des droits de la personne et en rend compte, elle participe à des réunions internationales et régionales sur les droits de la personne, elle intervient dans des instances judiciaires tenues à l’échelon national, international et régional, et elle rédige des mémoires et prend part à des processus législatifs et à des audiences d’envergure nationale.
- Amnistie internationale Canada a été autorisée à intervenir en l’espèce afin de présenter à la Cour ses observations sur les obligations du Canada envers le droit à la non-discrimination en droit international en matière des droits de la personne (Thompson c Canada, 2024 CF 215) [Thompson]. Amnistie internationale Canada a présenté des observations orales et écrites concernant la requête du Canada en radiation de l’action et la requête des demandeurs en autorisation du recours collectif.
- En ce qui a trait à la requête du Canada en radiation de l’action, Amnistie internationale Canada présente des règles de droit international pertinentes concernant la viabilité de la cause d’action des demandeurs fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte canadienne].
- Concernant la requête des demandeurs en autorisation du recours collectif, Amnistie internationale Canada plaide que l’obligation du Canada en matière de droit international a une incidence sur les points communs et sur le critère du meilleur moyen, favorisant l’autorisation du recours collectif.
- La discrimination et le racisme envers les personnes noires sont inacceptables et n’ont ni leur place dans les milieux de travail, ni dans la société canadienne. Les tribunaux ont reconnu, tant historiquement qu’actuellement, l’existence et la violence du racisme au Canada (R c Morris, 2021 ONCA 680 au para 1; R c Le, 2019 CSC 34 aux para 89-90, 97; R v Theriault, 2021 ONCA 517, autorisation de pourvoi à la Cour suprême refusée, 39768 (16 décembre 2021) au para 212).
- La question à trancher en l’espèce n’est pas celle de savoir si, ou dans quelle mesure, le racisme et la discrimination ont existés ou existent au sein de la fonction publique fédérale. La question est plutôt celle de savoir si l’action intentée par les demandeurs peut être autorisée comme recours collectif, et si la Cour a compétence en la matière. Autrement dit, il ne s’agit pas d’un examen du bien-fondé de la déclaration des demandeurs, il s’agit strictement d’une question de procédure : la présente affaire entre-t-elle dans le cadre précis du recours collectif?
- Dans sa première requête visée par les présents motifs, le Canada demande une ordonnance visant à :
- suspendre les réclamations formulées dans la présente action à l’égard des personnes qui servent ou qui ont servi dans la GRC, au motif qu’elles chevauchent les réclamations des recours collectifs autorisés dans les affaires Greenwood c Canada (T-1201-18, A‑42-20) [Greenwood] et Association des membres de la police montée du Québec inc c R. (500-06-000820-163) [AMPMQ], ainsi que dans le recours collectif envisagé dans l’affaire McMillan c Canada (T-1509-21) [McMillan]; ou, subsidiairement, les réclamations formulées dans le recours collectif dans l’affaire Hudson c Canada (T-723-20) [Hudson], si elles n’ont pas fait l’objet d’une suspension;
- suspendre les réclamations formulées dans la présente action à l’égard des personnes qui servent ou qui ont servi dans les FAC, au motif qu’elles chevauchent les réclamations du recours collectif dans l’affaire A.B. c Canada (T-2158-16) [A.B.];
- suspendre les réclamations formulées dans la présente action à l’égard des personnes qui travaillent ou ont travaillé pour le MDN ou pour le Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes [le PFNP], au motif qu’elles chevauchent les réclamations du recours collectif envisagé dans l’affaire Lightbody c Sa Majesté le Roi (T-1650-21) [Lightbody];
- suspendre les réclamations formulées dans la présente action à l’égard des personnes qui travaillent ou ont travaillé pour SCC, au motif qu’elles chevauchent les réclamations du recours collectif envisagé dans l’affaire Sanderson et Constant c Sa Majesté le Roi (T-89-21) [Sanderson].
- Le Canada soutient que ces affaires portent sur la même question à trancher – à savoir si le Canada a négligé de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement et de discrimination, y compris en ce qui a trait aux possibilités d’avancement professionnel et de promotion. Selon le Canada, ces affaires reposent sur les mêmes faits et les mêmes allégations d’actes répréhensibles, et réclament des dommages-intérêts à l’égard des mêmes préjudices qu’en l’espèce.
- Il ne fait aucun doute que les objectifs du recours collectif – l’accès à la justice, l’économie des ressources judiciaires et la modification des comportements – sont minés lorsque des recours collectifs qui se chevauchent sont intentés au nom du même groupe, et que celui-ci allègue les mêmes actes répréhensibles et cherche à obtenir les mêmes réparations.
- La poursuite de recours collectifs qui se chevauchent pourrait mener à un dédoublement coûteux de l’utilisation des ressources judiciaires et juridiques et à une augmentation du risque de décisions contradictoires, tout en étant susceptible de porter préjudice au défendeur qui devrait présenter une défense à l’égard des mêmes allégations dans différentes instances.
- Le pouvoir de la Cour d’accorder le remède recherché est fondé sur l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7 [la LCF], ainsi que sur la plénitude de compétence de la Cour pour gérer et régler toutes questions de procédure (Coote c Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143). Le Canada invoque donc l’alinéa 50(1)b) de la LCF, selon lequel la Cour a « le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire […] lorsque […] l’intérêt de la justice l’exige ».
- Le pouvoir de la Cour de suspendre les procédures en vertu de l’alinéa 50(1)b) repose sur des considérations discrétionnaires d’ordre général (Mylan Pharmaceuticals ULC c AstraZeneca Canada inc, 2011 CAF 312 au para 5; Clayton c Canada (Procureur général), 2018 CAF 1 au para 24), dont l’exercice ne devrait pas être restreint par des critères précis (Herold v Wassermann, 2022 SKCA 103 au para 98, renvoyant à Leier v Shumiatcher (No 2), 1962 CanLII 330 (SK CA) au para 2; Hamm v Canada (Attorney General), 2021 ABCA 329 au para 11).
- Lors de son examen de la portée du chevauchement, la Cour doit tenir compte de « l’accent » mis sur chaque recours collectif, en s’appuyant sur les ordonnances et les décisions d’autorisation, dans les cas où le recours collectif a été autorisé. À défaut d’autorisation, la Cour s’appuie sur l’acte de procédure du demandeur (Canada c Hudson, 2024 CAF 33 au para 27 [Hudson CAF], conf 2023 CF 35).
- Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale [la CAF] dans l’arrêt Hudson CAF, le fait que la LCF ou que les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], ne prévoient aucun critère à considérer pour déterminer le chevauchement des recours collectifs (qu’ils soient envisagés ou autorisés, multijuridictionnels ou de même ressort) vient s’ajouter aux difficultés à résoudre lors de l’analyse du chevauchement. Toutefois, la CAF a trouvé son inspiration dans l’article 1.1 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, LO 1992, c 6, de l’Ontario et dans l’arrêt Kett v Google LLC, 2023 BCCA 350, récemment rendu par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique. Dans cet arrêt, la CACB a conclu que l’analyse devait être centrée sur le chevauchement des questions de droit, des causes d’action et des dommages-intérêts réclamés, ainsi que sur le fondement factuel des instances (p. ex. à savoir si les allégations reposent sur des évènements ou des opérations qui sont les mêmes ou qui sont similaires).
- En outre, la CAF suggère au paragraphe 58 de l’arrêt Hudson CAF que [traduction] « l’analyse du chevauchement peut tenir compte de la question de savoir si les recours collectifs comprennent quelques membres ou tous les membres du groupe et les mêmes défendeurs (ou défendeurs affiliés) et visent les mêmes périodes ». La CAF ajoute cette note importante :
[traduction]
[59] La partie essentielle de l’analyse du chevauchement consiste à déterminer le niveau tolérable de chevauchement lorsque l’on autorise plusieurs actions à aller de l’avant et à garder à l’esprit les autres instruments de procédure visant à coordonner les poursuites. Un diagramme de Venn illustrant le chevauchement à l’aide de zones grisées me vient immédiatement à l’esprit.
- Finalement, il faut trouver l’équilibre entre le fait d’éviter la multiplicité des recours collectifs et l’objectif de l’accès à la justice.
- Le Canada fait valoir que les prétendues affaires faisant l’objet d’un chevauchement reposent sur le même fondement factuel, c’est-à-dire que les demandeurs sont des employés ou des membres d’organisations du gouvernement qui allèguent avoir été victimes de harcèlement et de discrimination en milieu de travail, notamment de harcèlement et de discrimination fondés sur la race, ce qui a limité à tort leurs possibilités d’avancement.
- Je suis d’accord, sauf pour les affaires Greenwood et AMPMQ.
- Je brosse d’abord le portrait de la cause dont je suis saisie pour ensuite me pencher sur chacune des autres causes présentées par le Canada.
- Dans leur déclaration, les demandeurs souhaitent faire valoir leurs demandes au moyen d’un recours collectif au nom du groupe suivant :
[traduction]
19. Dans la présente action, le groupe est composé de personnes noires qui, à n’importe quel moment durant la période visée par le recours collectif entre 1970 et aujourd’hui, ont postulé ou ont occupé un emploi à la fonction publique du gouvernement fédéral, telle que définie à l’annexe A, et se sont vu refuser des perspectives d’emploi ou des possibilités de promotion en raison de leur race.
Le groupe comprend également toute personne ayant le droit de faire valoir une demande en application de la Loi sur le droit de la famille, LRO 1990 c F.3, ou d’une loi équivalente ou comparable en vigueur dans une autre province ou un autre territoire (le groupe de familles).
Outre les demandes de réparation diverses relatives au défaut injustifié d’embaucher et de promouvoir les membres du groupe de race noire, et toutes les pertes connexes découlant de cette conduite visées par les causes d’action dans l’affaire Thompson et qui a eu une incidence sur l’embauche et sur la promotion des membres du groupe de race noire, la définition du groupe exclut par ailleurs les membres du groupe qui ont un lien avec les réparations sollicitées dans les affaires Greenwood, Hudson, A.B., Lightbody, et Sanderson. Il est admis que ce n’est que dans l’affaire Thompson que des réparations fondées sur la Charte sont sollicitées en ce qui concerne le défaut injustifié d’embaucher et de promouvoir les membres du groupe de race noire ou la discrimination lors de l’application des régimes de retraite de la fonction publique et des pratiques d’équité en matière d’emploi relatives aux membres du groupe de race noire visés par la définition du groupe dans l’affaire Thompson.
- Le Canada ne plaide pas qu’il y a chevauchement pour les personnes ayant postulé pour un poste au sein de la fonction publique fédérale et dont la candidature n’a pas été retenue; il reste alors ceux qui étaient ou sont toujours fonctionnaires et qui se sont vu refuser des possibilités de promotion et d’avancement.
- L’annexe A de la déclaration des demandeurs énumère la plupart des entités qui existaient au moment du dépôt de la demande. Ces entités constituent, de façon générale, la fonction publique fédérale, c’est-à-dire :
[traduction]
Annexe I de la LGFP : les 22 ministères du gouvernement fédéral.
Annexe IV de la LGFP : les 51 organismes du gouvernement fédéral, qui, avec les 22 ministères de l’annexe I, composent l’APC.
Annexe V de la LGFP : les 25 organismes distincts qui ne font pas partie de l’APC.
Les FAC, y compris : a) la Force régulière, la Force de réserve et les services de défense au contingent spécial; b) les éléments mer, terre et air qui sont appelés, respectivement, la Marine royale canadienne, l’Armée canadienne et l’Aviation royale canadienne; et c) tous les officiers, les militaires du rang et les cadets de la Marine, de l’Armée ou de l’Air visés par le paragraphe 17(1) de la Loi sur la défense nationale.
- La déclaration des demandeurs se caractérise d’abord par le fait que la définition du groupe se limite strictement aux personnes de race noire. Lors des différentes conférences de gestion de l’instance, ainsi que dans leurs observations écrites et orales, les demandeurs ont mis l’accent sur l’importante de cette restriction. Les personnes noires ont un parcours singulier, sont exposées à des formes distinctes de discrimination et ont vécu des expériences sensiblement différentes des autres sous-groupes de minorités visibles. Autrement dit, les demandeurs rejettent et contestent fermement ce qu’ils appellent le [traduction] « paradigme de la minorité visible », puisqu’il s’agit selon eux d’une façon inappropriée et inconstitutionnelle de mesurer la sous-représentation des personnes noires dans la fonction publique fédérale ainsi que les difficultés auxquelles elles sont confrontées.
- La déclaration des demandeurs se caractérise également par la discrimination et les obstacles systémiques allégués en matière de politiques de dotation auxquels sont confrontées les personnes noires dans l’ensemble de la fonction publique. La présente affaire est la seule à cibler l’ensemble de la fonction publique fédérale. Elle vise à démontrer que les pratiques de dotation décentralisées adoptées par le gouvernement fédéral ont mené à de la discrimination systémique envers les personnes noires; par conséquent, les demandeurs font valoir qu’il est impératif d’examiner l’intégralité de l’approche adoptée par le gouvernement afin de maintenir l’essence et l’objet de cette déclaration.
- Finalement, comme il en est question plus haut, les demandeurs ne réclament pas de dommages-intérêts pour la discrimination ou le harcèlement subi en milieu de travail, mais cherchent plutôt à être indemnisés pour les pertes subies après s’être vu refuser un emploi ou des promotions en raison de leur race. Ils demandent des dommages-intérêts pour les limitations dans l’avancement professionnel, les pertes de revenus, les pertes en raison d’une retraite anticipée et les pertes de montants de pension découlant des incidences de la discrimination ou du harcèlement, ainsi que les dommages-intérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne. Par conséquent, tout au long de l’audience, les demandeurs ont beaucoup insisté sur la différence entre les conditions d’emploi, lesquelles ne sont pas en jeu en l’espèce, et les politiques de dotation, lesquelles constituent « l’accent » de la présente demande.
- L’affaire Hudson constitue un vaste groupe de personnes racisées et comprend tout membre, actuel ou ancien, de la GRC. Le groupe est défini en ces termes :
[traduction]
Le groupe (à définir par la Cour) vise à inclure toutes les personnes racisées qui, à n’importe quel moment lors de la période visée par le recours collectif, ont travaillé pour ou avec la GRC (les membres du groupe) notamment, les membres réguliers, les membres civils, les gendarmes spéciaux, les cadets, les précadets, les gendarmes auxiliaires, les membres spéciaux, les réservistes, les fonctionnaires nommés à la GRC en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LRC (1985) c P-32 abrogée LC 2003 c 22, art 12 et 13, y compris les employés civils temporaires qui, avant 2014, ont été nommés en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R-10 [la Loi sur la GRC], aujourd’hui abrogé, les employés municipaux, les employés de district régional, les employés d’organismes à but non lucratif, les bénévoles, les commissionnaires, les gendarmes spéciaux surnuméraires, les consultants, les entrepreneurs, les étudiants, les membres de groupes de police intégrés et les personnes d’organismes ou de services de police extérieurs qui ont travaillé sous la supervision ou la gestion de la GRC ou dans un milieu de travail tenu par la GRC. La période visée par le recours collectif sera fixée par la Cour. Le présent recours exclut les demandes qui visent des incidents survenus le 1er avril 2005 ou par la suite et qui sont assujetties aux articles 208 et 236 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.
Le groupe comprend également toute personne ayant le droit de faire valoir une demande en application de la Loi sur le droit de la famille, LRO 1990 c F.3, ou d’une loi équivalente ou comparable en vigueur dans une autre province ou un autre territoire (le groupe de familles).
- Mme Hudson soutient qu’on n’a jamais envisagé de lui accorder une promotion, que sa rémunération était inférieure à celle de ses collègues non racisés et que la formation, l’enseignement et le mentorat qu’elle recevait étaient de moins bonne qualité que ceux de ses collègues non racisés. Elle allègue que les minorités visibles sont sous-représentées à la GRC et que cette dernière s’est montrée hostile à l’égard des recrues de minorités visibles. La réclamation soulève de la négligence et de la discrimination systémiques exercées par la GRC, ainsi que des causes d’action fondées sur la Charte canadienne et la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12 [Charte québécoise]. Par conséquent, les membres du groupe ont subi des limitations dans l’avancement professionnel, des pertes de prestations de pension et des pertes en raison d’une retraite anticipée, comme c’est le cas en l’espèce.
- Puisque les personnes noires sont comprises dans les catégories générales de personnes racisées ou de minorités visibles, les membres du groupe en l’espèce sont également membres de l’affaire Hudson. En effet, M. Alain Babineau, l’un des représentants demandeurs en l’espèce, a signé un affidavit en tant que membre du groupe de l’affaire Hudson. Je suis d’avis que la portée du chevauchement entre l’affaire qui nous occupe et l’affaire Hudson est déterminante, et que les allégations des membres du groupe relevant de la GRC en l’espèce sont les mêmes que celles qui ont déjà été formulées dans l’affaire Hudson.
- Afin de trancher la question de savoir si le cas en l’espèce doit céder le pas à l’affaire Hudson, je dois tenir compte de l’ordonnance d’interdiction rendue par la juge Ann Marie McDonald le 11 septembre 2020 dans l’affaire Hudson. L’ordonnance est rédigée en ces termes :
[traduction]
Aucun autre recours collectif envisagé ne peut être intenté devant la Cour fédérale à l’égard des allégations contenues dans le présent recours, sauf avec l’autorisation de la Cour.
- Les demandeurs ont déposé le présent recours collectif le 2 décembre 2020 sans demander l’autorisation de la Cour d’y inclure les membres du groupe qui sont ou étaient des membres de la GRC et qui soutiennent s’être vu refuser des promotions en raison de leur race. Le présent recours collectif sera donc suspendu relativement à ces membres du groupe.
- Je suis d’avis, en ce qui concerne ces deux affaires, que le Canada adopte la même position que celle qu’il a prise dans l’affaire Hudson, laquelle a été rejetée par la Cour et par la CAF dans l’arrêt Hudson CAF. Le Canada soutient que la Cour et la CAF n’ont pas écarté la possibilité de réexaminer la question à l’étape de l’autorisation. C’est ce que j’ai fait et je suis parvenue à la même conclusion que le juge Zinn dans la décision Hudson c Canada, 2023 CF 35 : l’accent en l’espèce et dans les affaires Greenwood et AMPMQ, est suffisamment différent pour éviter la possibilité de décisions contradictoires.
- Il semble que la Cour ait déjà implicitement adopté un point de vue semblable lorsqu’elle a autorisé l’affaire Hudson. La juge McDonald a rendu des ordonnances d’interdiction tant dans l’affaire Greenwood (en janvier 2019, lors de l’ordonnance d’autorisation) que dans l’affaire Hudson (en septembre 2020, lors d’une ordonnance interlocutoire). En permettant à l’affaire Hudson d’aller de l’avant sans autorisation de la Cour, malgré l’ordonnance d’interdiction rendue dans l’affaire Greenwood, la Cour procède en amont à une évaluation implicite des questions de chevauchement et conclut que l’affaire Hudson ne vise pas [traduction] « les faits plaidés dans [l’affaire Greenwood] ». Comme l’ont reconnu les avocats du Canada lors de l’audience, [traduction] « la Cour procède de la même manière, qu’il s’agisse d’une requête en suspension, que vous cherchiez à exclure le chevauchement en limitant l’affaire ou que vous tentiez de faire respecter l’ordonnance d’interdiction ».
- Cela dit, dans l’affaire Greenwood, le groupe est défini en ces termes :
Tous les membres anciens et actuels de la GRC (soit les membres réguliers, les membres civils et les membres spéciaux) ainsi que les réservistes qui ont travaillé pour la GRC entre le 1er janvier 1995 et la date à laquelle leur unité de négociation est devenue assujettie à une convention collective.
et
Toute personne ayant le droit de faire valoir une demande en application de la Loi sur le droit de la famille, LRO 1990, c F.3, ou d’une loi équivalente ou comparable en vigueur dans une autre province ou un autre territoire (le groupe de familles).
Le présent recours collectif exclut les revendications couvertes dans les affaires Merlo c Canada, dossier de la Cour fédérale no T-1685-16, Ross et al. c Sa Majesté la Reine, dossier de la Cour fédérale no T-370-17, et [AMPMQ].
- Le groupe ne se limite pas aux minorités visibles, encore moins aux personnes noires, et même si le représentant des demandeurs affirme que les prestations et les possibilités d’avancement professionnel de ces dernières étaient limitées, cette allégation dépendait de la question de savoir si les membres du groupe s’étaient plaints de mauvais traitements ou avaient été victimes d’intimidation de la part de leurs supérieurs. Ici, il est question d’intimidation et de harcèlement des personnes qui travaillent pour la GRC ou qui collaborent avec elle, notamment de l’exposition ou des contacts physiques ou sexuels non désirés, des représailles après dénonciation et de commentaires dévalorisants et insultants à l’endroit de membres du groupe. L’affaire Greenwood met l’accent sur les conséquences néfastes de l’exposition au harcèlement et à l’intimidation.
- Dans l’affaire AMPMQ, un groupe composé uniquement de membres québécois, l’accent est mis sur l’abus de pouvoir et la discrimination envers les membres appartenant au groupe linguistique francophone et ceux ayant subi un préjudice en raison de leurs activités en lien avec la liberté d’association et le droit de former un syndicat. Le Canada fait référence au demandeur, M. Babineau, un membre de la GRC qui est à la fois noir et francophone. C’est peut-être le cas, mais à mon avis, le diagramme de Venn, qui illustre le chevauchement à l’aide de zones ombragées, et auquel la juge Biringer fait référence au paragraphe 59 de l’arrêt Hudson CAF, s’apparente davantage ici à une nouvelle lune qu’à une pleine lune. Quoi qu’il en soit, le présent recours collectif sera suspendu en ce qui concerne les membres de la GRC, en raison du chevauchement avec l’affaire Hudson.
- J’estime que le chevauchement avec les affaires Greenwood et AMPMQ, le cas échéant, est si minime que les décisions de la Cour n’auront aucune incidence majeure ou véritable en l’espèce, et inversement.
- Au moment de l’audience, la requête en autorisation de l’affaire McMillan comme recours collectif avait été rejetée sans autorisation de modification, comme le recours envisagé du représentant demandeur était prescrit (McMillan c Canada, 2023 CF 1752 [McMillan CF]). Depuis, la CAF a accordé l’autorisation de modifier la déclaration en permettant au groupe envisagé de nommer un nouveau représentant demandeur (McMillan c Canada, 2024 CAF 199).
- Le groupe envisagé dans l’affaire McMillan CF était le suivant :
[86] Le demandeur envisage une période visée par le recours collectif qui commence en 1974. Le demandeur envisage également le groupe suivant :
A. [traduction] Membres du groupe principal : Toutes les personnes qui ont travaillé dans les lieux de travail de la GRC pendant la période visée par le recours collectif dans l’une des catégories suivantes : les employés civils temporaires; les gendarmes spéciaux surnuméraires, les gendarmes auxiliaires; les cadets, les précadets, les étudiants; les entrepreneurs et les consultants; les commissionnaires; les employés d’autres gouvernements, y compris les administrations municipales et régionales; les agents et les employés en détachement; les personnes provenant d’organismes et de corps de police externes, y compris des membres de services de police intégrés et de groupes opérationnels; les bénévoles et les employés d’organismes sans but lucratif; les personnes qui travaillent ou qui suivent des cours dans les locaux de la GRC; les personnes qui sont des fonctionnaires au sens des alinéas 206(1)a)-(h) [sic] de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22 [LRT[S]FP];
B. Membres du groupe de familles : Toute personne qui, en raison d’une relation avec un membre du groupe principal, a le droit de faire valoir une demande en application de la Loi sur le droit de la famille, LRO 1990 c F.3, ou d’une législation équivalente ou comparable en vigueur dans une autre province ou un autre territoire.
[87] Le demandeur exclut du recours collectif envisagé les demandes suivantes :
A. les demandes qui visent des incidents survenus le 1er avril 2005 ou par la suite et qui sont assujetties aux articles 208 et 236 de la LRTSPF;
B. les demandes qui visent des incidents survenus pendant que la personne a servi dans la GRC à titre de membre régulier, de membre civil, de gendarme spécial ou de réserviste;
C. les demandes qui ont été résolues dans les affaires Merlo et al c sa Majesté la Reine, dossier de la Cour fédérale no T-1685-16, Tiller et al c Sa Majesté le Roi, dossier de la Cour fédérale no T-1673-17 ou Ross et al c sa Majesté le Roi, dossier de la Cour fédérale no T-370-17.
- Dans son jugement, le juge Michael Manson a radié, en procédant par élimination, toutes les parties des actes de procédure pour lesquelles la Cour n’avait pas compétence, et toutes les demandes qui, de façon évidente et manifeste, ne révélaient aucune cause d’action valable, et a modifié le groupe de la manière suivante :
[88] J’ai déjà limité les demandes à celles qui visent des incidents survenus de 2003 au 31 mars 2005. J’ai également déterminé que je dois limiter l’exercice de ma compétence aux ECT qui ont travaillé au CCO de Kelowna. Le groupe principal envisagé ne peut pas dépasser ces limites. Par extension, le groupe de familles doit être entièrement exclu, comme je l’ai indiqué ci-dessus. Par conséquent, en procédant par élimination, le groupe envisagé et la période visée par le recours collectif doivent être modifiés comme suit (le groupe modifié) :
Toute personne qui a travaillé au centre de communications opérationnelles de Kelowna pendant la période comprise du 1er janvier 2003 au 31 mars 2005 à titre d’employé civil temporaire.
Et puisque les deux premières exclusions sont redondantes, les seules demandes qui doivent être explicitement exclues du groupe modifié sont celles qui ont été résolues dans les décisions Merlo et al c Sa Majesté la Reine, dossier de la Cour fédérale T-1685-16, Tiller et al c Sa Majesté le Roi, dossier de la Cour fédérale T-1673‑17 et Ross et al c sa Majesté le Roi, dossier de la Cour fédérale T-370‑17.
- Il ressort des autres parties de la demande que les membres du groupe modifié, à savoir les employés civils temporaires ayant travaillé pendant un peu plus de deux ans au centre des communications opérationnelles de Kelowna, ont été victimes d’intimidation systémique, d’intimidation et de harcèlement en milieu de travail. Ces employés invoquent une cause d’action pour négligence.
- Le groupe modifié dans l’affaire McMillan est d’une telle spécificité que je ne vois pratiquement aucun chevauchement avec la présente affaire.
- L’affaire A.B. a été intentée en 2016 et a depuis été réglée par les parties. La Cour a entendu une requête en autorisation et en approbation le 16 juillet 2024 et a approuvé le règlement par jugement rendu en date du 13 février 2025. Dans l’entente de règlement définitive, la définition du « groupe » est ainsi libellée :
4.01 Définition du groupe
Les parties conviennent de définir le groupe de la façon suivante :
Toutes les personnes qui sont ou ont été membres des FAC à tout moment depuis le 17 avril 1985 et pour toute durée qui prend fin à la date d’approbation, et qui affirment avoir été victimes de discrimination raciale et/ou de harcèlement racial.
- Le terme « discrimination raciale » est défini ainsi :
« Discrimination raciale » s’entend de tout traitement injuste, tout motif de distinction illicite ou tout préjugé se produisant dans le cadre du service militaire et faisant intervenir des militaires (au sein des FAC ou étrangers), des employés du MDN, des employés du Fonds non public ou des entrepreneurs des FAC/MDN, et qui est fondé sur la race, l’ethnie, la couleur ou l’appartenance à un groupe autochtone d’une personne.
- Le Canada fait valoir que le défaut de promouvoir les membres des FAC ou de permettre leur avancement professionnel en raison de leur race est visé par le règlement de l’affaire A.B. Je suis d’accord.
- Selon le régime d’évaluation du paiement de l’entente de règlement définitive, les membres du groupe peuvent d’abord toucher un paiement d’expérience commune pour la discrimination systémique au sein des FAC, et ce, sans qu’ils aient à raconter leur vécu. En outre, les membres du groupe peuvent témoigner de leur propre expérience de racisme qui tient compte des éléments pertinents, notamment des incidences de la discrimination sur leur carrière et leurs possibilités d’avancement professionnel. L’entente de règlement définitive prévoit également des mesures, qui seront mises en place par le Canada, pour contrer la discrimination systémique au sein des FAC.
- En plus du chevauchement considérable, le caractère unique de la relation qui existe entre les membres des FAC et la Couronne penche également en faveur de la suspension de l’action en l’espèce en ce qui concerne les membres des FAC.
- Les FAC sont exclues de la définition légale de la fonction publique fédérale; elles possèdent leur propre système indépendant de règlements, d’ordonnances et de directives qui gouverne la gestion du personnel et, en particulier, maintiennent leurs propres processus et procédures uniques aux fins de l’enrôlement ou de l’avancement de leurs membres. À mon avis, ces éléments penchent vers un règlement de la question du chevauchement en faveur de l’affaire A.B. ou en faveur de la spécificité de l’entité plutôt que de la spécificité de la race.
- Finalement, du fait que la Cour ait approuvé l’entente de règlement définitive de l’affaire A.B., les membres de l’affaire Thompson, qui sont également membres des FAC, sont désormais liés par la renonciation totale et définitive qui s’y trouve.
- L’affaire Lightbody a été intentée en octobre 2021 et a été entendue par la Cour en avril 2024 puis prise en délibéré. La définition du groupe est décrite aux paragraphes 2, 4 et 5 de la déclaration dont le texte suit :
[traduction]
2. Le présent recours porte sur le racisme systémique exercé par le ministère de la Défense nationale (le MDN) et les Forces armées canadiennes (les FAC) (ensemble, l’équipe de la Défense), fondé sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur ou la religion et qui vise les personnes racisées qui sont ou étaient employées du MDN ou du Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes (le PFNP), ou qui collaborent ou ont collaboré avec ceux-ci. Le MDN et les FAC constituent une organisation au sein de laquelle les membres militaires relèvent de civils, et inversement, et les civils et les entités militaires travaillent essentiellement de concert.
[…]
4. Le groupe (à définir par la Cour) vise à inclure toutes les personnes racisées qui sont ou étaient employées par le MDN, y compris tous les fonctionnaires nommés en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et tous les employés du Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes (les membres du groupe).
5. Toute personne ayant le droit de faire valoir une demande en application de la Loi sur le droit de la famille, LRO 1990 c F.3, ou d’une loi équivalente ou comparable en vigueur dans une autre province ou un autre territoire (le groupe de familles).
- Dans le contexte de la discrimination qu’ils ont subie en milieu de travail, les demandeurs affirment qu’on accordait des promotions aux employés non racisés avant d’en accorder aux employés racisés. Ils relatent les occasions où, même s’ils étaient plus qualifiés que leurs collègues non racisés, ce sont ces derniers qui ont obtenu les promotions. Les demandeurs souhaitent obtenir des réparations pour les pertes de revenus antérieures et potentielles. Comme en l’espèce, les allégations dans l’affaire Lightbody portent sur la négligence systémique à l’égard de la discrimination systémique en milieu de travail, ce qui a mené, entre autres, à l’érection de barrières artificielles à la promotion et à l’avancement des employés racisés. J’estime qu’il y a suffisamment de chevauchement entre les membres des groupes des affaires Thompson et Lightbody pour justifier de ne pas imposer au défendeur de présenter une défense à l’égard des deux affaires.
- Comme c’est le cas pour les membres du groupe dans la présente affaire qui sont membres de la GRC et des FAC, l’action intentée par les employés du MDN sera également suspendue.
- La demande dans l’affaire Sanderson a été déposée en 2021 et n’a pas encore été autorisée. Les demandeurs dans cette affaire cherchent à faire autoriser leur instance à l’égard du groupe suivant :
[traduction]
3. Le groupe (à définir par la Cour) vise à inclure toutes les personnes racisées qui occupent ou occupaient le poste d’agent en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, partie 1, articles 1 et 5, y compris les personnes qui se sont vues attribuer la qualité d’agent de la paix en vertu de l’article 10, toutes les personnes visées par le Règlement d’application au Service canadien des pénitenciers, CRC, c 1333, notamment les membres de SCC visés par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22 et toutes autres personnes racisées qui ont travaillé pour SCC ou en collaboration avec cet organisme (les membres du groupe).
4. Toute personne ayant le droit de faire valoir une demande en application de la Loi sur le droit de la famille, LRO 1990, c F.3, ou d’une loi équivalente ou comparable en vigueur dans une autre province ou un autre territoire (le groupe de familles).
- Les demandeurs allèguent que le SCC a fait preuve de négligence systémique et a violé la Charte canadienne puisque les minorités visibles allèguent, entre autres, être sous-représentées dans la fonction publique, et que les employés non racisés bénéficient d’une éducation et d’un mentorat de meilleure qualité et se voient accorder de meilleures promotions que les employés racisés. Les demandeurs réclament des dommages-intérêts pour les pertes liées à une retraite anticipée, les pertes de prestations de pension et les préjudices liés aux effets de la discrimination sur la rémunération et le revenu des membres du groupe. Là encore, il existe suffisamment de chevauchement entre les affaires Thompson et Sanderson concernant les pertes de revenu et de prestations de pension liées aux pertes de possibilités d’avancement professionnel.
- Comme c’est le cas pour les membres du groupe de l’affaire Thompson qui sont membres de la GRC, des FAC et du MDN, les réclamations des employés de SCC seront également suspendues.
- La Cour estime qu’il y a suffisamment de chevauchement avec les affaires Hudson, A.B., Lightbody et Sanderson et qu’il est dans l’intérêt de la justice de suspendre les réclamations des demandeurs qui occupent ou occupaient un poste à la GRC, au sein des FAC, au MDN/PFNP et au SCC, ou qui en sont ou en étaient membres.
- Dans le premier volet de cette requête, la Cour doit déterminer si : a) elle a compétence à l’égard de l’action, et si b) à défaut de compétence, elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour néanmoins se déclarer compétente pour disposer de l’affaire.
- Le Canada fait valoir que la Cour n’a pas compétence à l’égard de la présente action puisque les demandeurs, et les membres putatifs du groupe visé par le présent recours collectif qui se trouvent dans une situation semblable, sont ou étaient des fonctionnaires et que, par conséquent, ils ont ou avaient le droit de déposer un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2 [Loi sur les relations de travail] ou de la version précédente de celle-ci.
- Plus précisément, le Canada soutient qu’il est évident et manifeste que la présente déclaration devrait être radiée au motif que la Cour n’a pas compétence à l’égard des allégations des 13 représentants demandeurs proposés et des membres putatifs du groupe visé par le présent recours collectif. Il existe trois catégories d’employés et les raisons pour lesquelles la Cour n’a pas compétence diffèrent pour chaque catégorie.
- Le Canada soutient que toutes les réclamations survenues après 2005 sont proscrites par l’article 236 de la Loi sur les relations de travail, entré en vigueur en 2005, qui prévoit que le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief remplace ses droits d’action en justice relativement à une question pouvant faire l’objet d’un grief.
- Pour les réclamations présentées par des employés syndiqués qui ne sont pas assujettis à l’article 236, il est clairement établi en droit qu’ils n’ont aucun droit d’action à l’égard de toutes questions pour lesquelles un recours peut être exercé en vertu de la convention collective (Weber c Ontario Hydro, [1995] 2 RCS 929 [Weber]; Canada c Greenwood, 2021 CAF 186 aux para 115, 129, 131, 135-139 [Greenwood CAF]).
- Finalement, la troisième catégorie vise les réclamations des employés non syndiqués qui n’ont pas le droit de déposer un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail, ou dont les allégations sont antérieures à 2005. Même si leurs réclamations ne sont pas expressément proscrites par l’article 236 ou par les principes énoncés dans l’arrêt Weber, ils avaient tous accès à des mécanismes de recours prévus par la loi, et conformément à ce que la Cour suprême a énoncé dans l’arrêt Vaughan c Canada, 2005 CSC 11 [Vaughan], ces mécanismes commandent la déférence. Cette catégorie comprend les employés occasionnels, les étudiants, les employés nommés pour une période déterminée de moins de trois mois, les membres de la GRC avant la date à laquelle ils sont devenus assujettis à la convention collective (soit le 6 août 2021) et les membres des FAC.
- Les demandeurs, pour leur part, soutiennent que l’interdiction prévue à l’article 236 de la Loi sur les relations de travail ne s’applique pas à leur déclaration. Cette interdiction ne s’applique qu’aux griefs présentés et qu’aux plaintes déposées par un employé dans le but de régler un différend relatif à ses conditions d’emploi, tandis que le cas en l’espèce porte strictement sur la dotation.
- Les demandeurs ajoutent que le paragraphe 208(2) de la Loi sur les relations de travail prévoit plutôt l’interdiction à un fonctionnaire de présenter un grief relatif à des questions de dotation, puisqu’un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 12 et 13 [Loi sur l’emploi] et des lois connexes applicables aux organismes distincts.
- Les demandeurs ajoutent que les affaires de dotation ne sont pas assujetties aux négociations collectives. En fait, le défendeur s’est opposé à maintes reprises au fait que les questions de dotation soient tranchées par voie de grief. La présente action, qui vise à traiter des questions de dotation et de promotion, se distingue donc des conclusions tirées par la Cour dans les affaires Greenwood CAF et Hudson CAF, lesquelles concernaient des questions fondamentales de relations de travail dans des circonstances où l’interdiction prévue au paragraphe 208(2) n’empêchait pas le grief de suivre son cours. Dans ces deux affaires, la question était de savoir si l’application de politiques contre le harcèlement et la discrimination visait à prévenir la création d’un milieu de travail toxique. Les demandeurs voient une différence manifeste entre ces deux affaires et celle en l’espèce.
- La requête soulève les questions de savoir :
- si la Cour a compétence à l’égard des réclamations des demandeurs compte tenu de l’article 236 de la Loi sur les relations de travail;
- si la Cour devrait refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire à l’égard des réclamations des personnes qui ne sont pas visées par l’article 236.
- Une requête en radiation pour défaut de compétence ou pour défaut de révéler une cause d’action valable peut être intentée en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles. Le critère du caractère manifeste et évident est le critère approprié à utiliser pour décider si une demande devrait être radiée (Apotex Inc c Ambrose, 2017 CF 487 au para 39; Fraser Point Holdings Ltd c Vision Marine Technologies Inc, 2023 CF 738 au para 30). Pour une requête en radiation, les faits substantiels invoqués dans la déclaration doivent être tenus pour avérés. Même si le paragraphe 221(2) des Règles prévoit qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa 221(1)a), lorsque sa compétence est en jeu, la Cour doit être convaincue de l’existence de faits attributifs de compétence ou d’allégations à l’égard de tels faits qui étayent une attribution de compétence. Par conséquent, la preuve est admissible lorsqu’on demande à la Cour de décliner compétence en faveur d’autres recours administratifs; il est nécessaire de présenter des éléments de preuve sur la nature et l’efficacité des autres recours suggérés pour que la Cour puisse déterminer si elle doit ou non décliner compétence (Greenwood CAF, au para 95).
- Quant à la question de compétence, la Cour suprême a conclu que, lorsque le législateur a établi des régimes pour le règlement des différends en matière de relations de travail, comme les processus de griefs ou de plaintes, les tribunaux devraient généralement s’en remettre à ces processus (Weber, au para 58; Vaughan, au para 39; Greenwood FCA, au para 129).
- Toutefois, les tribunaux conservent un pouvoir résiduel pour régler les différends en matière d’emploi dans les cas où la procédure de griefs internes ne permet pas de véritable recours, ou dans des circonstances exceptionnelles (Ebadi c Canada, 2024 CAF 39 [Ebadi] au para 47, autorisation de pourvoi à la Cour suprême refusée, 41260 (17 octobre 2024); Greenwood CAF, au para 130; Adelberg c Canada, 2024 CAF 106 au para 58; Bron v Canada (Attorney General), 2010 ONCA 71 aux para 27-30).
- Les obligations juridiques internationales du Canada peuvent aider la Cour à déterminer si elle devrait exercer son pouvoir résiduel pour se prévaloir de sa compétence à l’égard de la présente affaire. À titre d’État partie à la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, 1155 RTNU 331 (conclue le27 janvier 1980), le Canada, en vertu de l’article 27, « ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité ». Le Canada doit accorder une réparation efficace en cas de violation des droits de la personne.
- La question de la compétence est déterminée après que la Cour ait établi si l’essence du litige, dans son contexte factuel, résulte de la convention collective ou de la relation employeur-employé (Weber, au para 54; Vaughan, au para 11; voir également Chase c Canada, 2004 CF 273 au para 38). Par exemple, caractériser un préjudice allégué comme une violation de la Charte canadienne n’empêche pas l’application de l’interdiction. Un plaignant ne « saurait éviter la procédure prescrite par la Loi au moyen d’un énoncé étudié de sa cause si le litige soulève une question qui tombe sous le coup de cette procédure » (Murphy c Canada (Procureur général), 2023 CF 57 au para 98, renvoyant à Burlacu c Canada (Procureur général), 2022 CF 1177 au para 10).
- Tel que mentionné plus haut, la déclaration est présentée par des employés, actuels ou anciens, de 11 différents ministères, organismes ou autres organisations du gouvernement fédéral (ou leurs prédécesseurs). Ceux-ci cherchent à représenter les intérêts de toutes les personnes noires qui, à n’importe quel moment entre 1970 et aujourd’hui, « ont postulé ou ont occupé un emploi à la fonction publique du gouvernement fédéral » et qui « se sont vu refuser des perspectives d’emploi ou des possibilités de promotion en raison de leur race ». Le terme « fonction publique » est défini de façon à inclure 98 organisations différentes du gouvernement fédéral énumérées dans la LGFP et à y ajouter les FAC. Il ressort de la déclaration que le Canada est responsable envers les demandeurs et les membres putatifs du groupe visé par le présent recours collectif de l’emploi d’une [traduction] « pratique généralisée visant l’exclusion des employés noirs » en ce qui concerne l’embauche et les promotions au sein des 99 entités fédérales mentionnées dans la déclaration.
- Pendant la période visée par le recours collectif, différents cadres légaux ont régi les questions relatives à l’emploi et à la dotation concernant divers demandeurs et membres putatifs du groupe visé par le présent recours collectif, en fonction de l’entité pour laquelle ils travaillent (ou pour laquelle ils avaient posé leur candidature).
- Les fonctionnaires fédéraux se sont vu accorder des droits de négociation collective en 1967 et la Loi sur les relations de travail régit, depuis 2005, les relations de travail au sein de la fonction publique fédérale (c.-à-d. l’APC et les organismes distincts). La Loi sur les relations de travail et ses règlements d’application traitent de façon exhaustive du processus de négociation collective pour les employés syndiqués et définissent la procédure de grief pour les fonctionnaires syndiqués et non syndiqués.
- La grande majorité des fonctionnaires de l’APC et des organismes distincts sont syndiqués; 85 % de tous les employés en service, ou 96,5 % des employés en service si l’on exclut les employés occasionnels, les étudiants et les employés nommés pour une période déterminée de moins de trois mois, sont représentés par un agent négociateur et couverts par l’une des 28 conventions collectives applicables aux employés de l’APC. Les employés de 15 des 22 organismes distincts sont représentés par un ou plusieurs agents négociateurs qui ont négocié 54 conventions collectives distinctes. Le pourcentage de fonctionnaires qui sont syndiqués, quelle que soit la durée de leur emploi, s’élève à 91,8 %. À quelques exceptions près seulement, toutes les conventions collectives contiennent des articles qui interdisent la discrimination et le harcèlement fondés sur la race en milieu de travail.
- Plusieurs postes sont également exclus de la syndicalisation s’ils sont considérés comme des postes de direction ou de confiance. Les postes ne peuvent être exclus d’une unité de négociation pour ce motif que par une ordonnance de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral [la Commission], en fonction de critères définis par la Loi sur les relations de travail.
- Les membres de la GRC étaient auparavant exclus des conventions collectives, mais ce n’est plus le cas. Par suite du jugement de la Cour suprême dans l’arrêt Association de la police montée de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, la Loi sur les relations de travail a été amendée pour fournir un cadre de relations de travail propre à la GRC. Ces modifications sont entrées en vigueur en juin 2017. Les membres réguliers, les membres spéciaux et les réservistes ont signé une convention collective, avec la Fédération de la police nationale comme agent négociateur, qui est entrée en vigueur le 6 août 2021. Cette convention couvre les réservistes et les membres nommés à un grade de la GRC inférieur à celui d’inspecteur. L’article 16 de la convention collective interdit la discrimination fondée sur plusieurs motifs, y compris la race, les croyances, la couleur et l’origine nationale ou ethnique.
- La Loi sur les relations de travail confère à un fonctionnaire le droit de présenter un grief lorsqu’il s’estime lésé par l’interprétation ou l’application à son égard soit de toute disposition d’une loi, d’un règlement ou d’une convention collective ou de toute directive ou de tout autre document concernant les conditions d’emploi. Le droit de déposer un grief est accordé aux employés syndiqués et non syndiqués. Selon la Loi sur les relations de travail, l’employeur et le titulaire d’un poste de direction se livrent à une pratique déloyale s’ils exercent des représailles à l’égard d’un employé ayant exercé son droit de présenter un grief.
- La Loi sur les relations de travail prévoit trois types de griefs :
a) Le fonctionnaire, en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail, a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé : a) par l’interprétation ou l’application à son égard : (i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi, (ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale; b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.
b) L’agent négociateur, en vertu de l’article 215 de la Loi sur les relations de travail, peut présenter un grief collectif au nom des fonctionnaires qui s’estiment lésés par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.
c) L’agent négociateur ou l’employeur peut, en vertu de l’article 220 de la Loi sur les relations de travail, présenter un grief de principe portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention ou de la décision arbitrale relativement à l’unité de négociation.
- Pour les griefs individuels et collectifs, la procédure de grief prévoit généralement trois paliers d’examen et de décision. Aux trois premiers paliers, les décideurs disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour accorder un recours : ils peuvent interpréter la Charte canadienne, accorder des dommages-intérêts ou renvoyer l’affaire à une enquête disciplinaire. Si la Commission établit qu’un grief est fondé, elle a le pouvoir de rendre toute ordonnance qu’elle juge indiquée dans les circonstances. La Commission peut octroyer une indemnisation pour les pertes subies, réintégrer l’employé avec salaire rétroactif, annuler une mesure disciplinaire et accorder des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs (Klos c Canada (Procureur général), 2021 CAF 238 au para 9; Canada (Procureur général) c Lyons, 2024 CAF 26 au para 5).
- La procédure de grief prévoit un palier pour les griefs de principe et ceux-ci sont réglés directement par l’employeur. Si le grief n’a pas été réglé à la satisfaction de l’employé ou de l’agent négociateur, la décision définitive peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire ou être renvoyée à la Commission pour arbitrage indépendant, si cette dernière a compétence en la matière.
- La Commission est un tribunal quasi judiciaire indépendant établi par la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, LC 2013, c 40, art 365. En vertu de cette loi, la Commission dispose de vastes pouvoirs procéduraux qui lui permettent de trancher les affaires dont elle est saisie. La Commission est également habilitée, en vertu de l’alinéa 226(2)a) de la Loi sur les relations de travail, à interpréter et à appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6 [LCDP], pour instruire toute affaire dont elle est saisie, et à accorder des dommages-intérêts compensatoires et exemplaires. La LCDP est liée de près au mandat attribué à la Commission en vertu de la Loi sur les relations de travail (Stringer c Canada (Procureur général), 2013 CF 735 au para 55).
- Si la Commission détermine que le grief est fondé, elle se prévaut de ses vastes pouvoirs pour trancher le grief par l’ordonnance qu’elle juge indiquée (Loi sur les relations de travail, au para 228(2)). La Commission a le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts pour la perte de possibilités d’avancement professionnel et pour les préjudices psychologiques subis et d’ordonner des réparations systémiques. Dans la décision Stringer c Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) et Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2014 CRTFP 5, la Commission a ordonné des réparations systémiques en lien avec un grief alléguant une violation, commise par le MDN, de la clause « d’élimination de la discrimination » de la convention collective. Elle a également ordonné à l’employeur de créer un programme de formation et de sensibilisation s’adressant à tous les gestionnaires et employés du MDN sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les employés atteints d’une déficience ou d’une invalidité.
- Les fonctionnaires dont l’emploi est régi par la Loi sur l’emploi peuvent également contester l’équité de processus spécifiques en matière de dotation par le dépôt d’une plainte en vertu de la Loi sur l’emploi. Depuis 2005, toutes les plaintes déposées en vertu de la Loi sur l’emploi sont également examinées et tranchées par la Commission.
- L’article 77 de la Loi sur l’emploi prévoit que lorsque la Commission a fait une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la « zone de recours » (c.-à-d. qu’elle a postulé ou aurait pu postuler sur le poste ou être considérée pour celui-ci), peut présenter à la Commission une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée par « abus de pouvoir ». Dans la Loi sur l’emploi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel et cette expression a été interprétée de manière à inclure les erreurs et les omissions graves. Il n’est pas nécessaire de prouver l’intention (Huard c Administrateur général (Bureau de l’infrastructure du Canada), 2023 CRTESPF 9 aux para 78-80). Le plaignant peut déposer une plainte pour abus de pouvoir fondé sur l’un des motifs de distinction illicite énoncé dans la LCDP (Abi-Mansour c Président de la Commission de la fonction publique, 2016 CRTEFP 53 au para 71; Boivin c Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2017 CRTEFP 8 au para 57). La Commission peut interpréter et appliquer la Charte canadienne lorsqu’elle traite d’une plainte en matière d’emploi présentée en vertu de la Loi sur l’emploi et elle peut révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, et de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.
- En outre, l’article 66 de la Loi sur l’emploi habilite la CFP à mener une enquête sur tout processus de nomination externe – c’est-à-dire, l’embauche de personnes ayant déposé leur candidature pour travailler à la fonction publique – et s’il y a « une erreur, une omission ou une conduite irrégulière », elle peut prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.
- Quant aux 21 organismes distincts, ceux-ci ne sont pas régis par la Loi sur l’emploi, mais plutôt par leur loi habilitante, et ils peuvent se prévaloir des recours spécifiques en matière de dotation qui sont mis à leur disposition par leurs organismes respectifs.
- Par exemple, les employés de l’ARC ont accès à un processus de recours prévu par le programme de dotation en personnel de l’ARC qui a été élaboré conformément à ses obligations légales. Les employés peuvent formuler des allégations de traitement arbitraire et discriminatoire dont ils ont été victimes lors de processus de dotation particuliers, et un tribunal d’arbitrage indépendant peut procéder à l’examen des décisions en matière de dotation en ce qui concerne les promotions permanentes.
- Les fonctionnaires de la GRC jouissent du même droit de présenter un grief ou une plainte que tous les autres fonctionnaires placés dans la même situation. Quant aux membres de la GRC, ceux-ci disposent d’une procédure de grief distincte en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R-10. Pendant la période visée par le recours collectif, les membres de la GRC étaient en droit de présenter des griefs concernant la dotation, notamment des allégations de discrimination en matière de promotion, et d’obtenir un recours à cet égard. Les membres étaient également en droit de demander le contrôle judiciaire de toute décision de la Cour rendue au dernier palier de la procédure de grief. Tel que mentionné plus haut, les membres réguliers, les membres spéciaux et les réservistes de la GRC qui sont syndiqués peuvent présenter des griefs en vertu de leurs conventions collectives et de la Loi sur les relations de travail.
- Finalement, les FAC possèdent leur propre système interne de règlement des griefs en vertu de la LDN. Grâce à la procédure de grief des FAC, les membres des FAC peuvent déposer un grief à l’égard d’un large éventail de questions, y compris les questions de discrimination à l’égard des promotions et des questions connexes. La décision qui fait l’objet d’un grief peut comprendre des lois ou des politiques qui régissent les conditions de travail, même si les pouvoirs de modifier ces lois et ces politiques ou d’accorder le recours demandé par le plaignant ne relèvent pas des FAC.
- La particularité de la présente affaire réside dans le fait que les demandeurs ne contestent pas un processus de nomination particulier, mais cherchent plutôt à obtenir des réparations systémiques pour de la discrimination systémique. En ce sens, comme le soutient le Canada, leur déclaration n’est pas visée par le paragraphe 208(2) de la Loi sur les relations de travail, mais plutôt par l’article 236 de cette même loi, puisqu’elle relève directement de la clause « d’élimination de la discrimination » contenue dans toutes, ou presque toutes, les conventions collectives applicables aux demandeurs. L’article 236 impose une interdiction absolue d’intenter une action civile puisque le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief « […] remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits – actions ou omissions – à l’origine du différend ». Si la question est susceptible de faire l’objet d’un grief, il n’existe aucune exception à l’article 236.
- Les demandeurs, d’autre part, soutiennent que puisque l’accent de leur déclaration est mis sur la dotation, et non pas sur leurs « conditions d’emploi », l’article 236 ne s’applique pas et le paragraphe 208(2) de la Loi sur les relations de travail leur interdit de présenter un grief. Ce paragraphe est ainsi rédigé :
Griefs individuels | Individual Grievances |
Présentation | Presentation |
[…] | […] |
Réserve | Limitation |
208(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne. | 208 (2) An employee may not present an individual grievance in respect of which an administrative procedure for redress is provided under any Act of Parliament, other than the Canadian Human Rights Act. |
- Premièrement, cette exception ne s’applique qu’aux griefs individuels.
- Deuxièmement, afin que l’exception s’applique au droit général et large de présenter un grief, une loi fédérale doit prévoir un recours – qu’on espère efficace.
- Troisièmement, l’employé pourrait présenter un grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime de la LCDP.
- La plainte devant la Commission présentée en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi par une personne qui s’est vu refuser un poste dans le contexte d’un processus de sélection spécifique serait exclue du grief. Les motifs de la plainte doivent porter sur l’un ou l’autre des éléments suivants :
[traduction]
a) le pouvoir discrétionnaire du responsable de l’embauche en ce qui concerne le concept de mérite et les qualifications essentielles du poste (Loi sur l’emploi, au para 30(2));
b) le choix d’avoir recours à un processus annoncé ou non annoncé;
c) le droit du plaignant d’être évalué dans la langue officielle de son choix, sauf s’il s’agit d’un examen ayant pour objet d’apprécier sa compétence dans les langues officielles, comme l’exige le processus de nomination (Loi sur l’emploi, au para 37(1)).
- La plainte peut être déposée par un candidat non retenu qui était admissible au processus de nomination, si le processus a été annoncé, ou par toute personne qui était admissible au processus de nomination, si le processus n’a pas été annoncé. Le plaignant avise la CCDP de toute question soulevée par la plainte qui fait appel à l’interprétation de la LCDP, et la CCDP peut présenter des observations à la Commission à l’égard de ces questions.
- Les décisions de la Commission rendues en vertu de la Loi sur les relations de travail ou de la Loi sur l’emploi sont susceptibles de révision par la Cour d’appel fédérale en vertu de l’article 28 des Règles.
- Par conséquent, si le processus de traitement des plaintes prévu par la Loi sur l’emploi ne s’applique pas aux plaintes collectives de discrimination systémique en matière de dotation, comme celle déposée par les demandeurs, le paragraphe 208(2) ne s’applique pas et les demandeurs peuvent ou pouvaient procéder par voie de grief.
- Dans l’arrêt Ebadi, la Cour d’appel fédérale a réaffirmé qu’indépendamment des étiquettes juridiques attribuées, si l’allégation vise une conduite en milieu de travail, l’affaire peut faire l’objet d’un grief. Toute autre approche irait à l’encontre de l’intention du législateur :
[36] […] Permettre à de grandes catégories de demandes – telles que toute demande portant sur une faute intentionnelle ou une violation de la Charte – d’échapper à l’application de la [Loi sur les relations de travail] irait à l’encontre de l’intention du législateur. Un grand nombre, si ce n’est la totalité, des griefs du travail pourraient être présentés, par d’astucieux plaideurs, comme des fautes intentionnelles : par exemple, on pourrait dire d’un cadre qui a tenu des propos durs envers un employé qu’il a intentionnellement infligé un préjudice moral, ou du refus d’une promotion qu’il s’agit d’un acte discriminatoire. Exempter ces allégations de la procédure de grief pourrait dans les faits revenir à vider le régime de sa substance, en le réduisant aux éléments les plus mécaniques et administratifs des relations de travail, tels que les heures de travail, les heures supplémentaires, la classification et la rémunération.
[Non souligné dans l’original.]
- Il s’ensuit que l’ensemble des réclamations des demandeurs qui ont été formulées depuis l’entrée en vigueur de l’article 236 de la Loi sur les relations de travail ne relève pas de la compétence de la Cour. Cela vise les réclamations des demandeurs suivants :
Mme Nicolas Marcus Thompson, qui travaille à l’ARC depuis 2015 et qui est membre du Syndicat des employé-e-s de l’impôt – l’Alliance de la fonction publique du Canada (le SEI-AFPC);
Mme Michelle Herbert, qui occupe un poste relevant de EDSC au sein de Service Canada depuis 2014. Au paragraphe 28 de son affidavit, elle fait référence à « notre syndicat », sans clairement le nommer;
Mme Shalane Rooney, qui a travaillé à Statistique Canada de 2010 à 2020 et qui était membre du Syndicat des employées et des employés nationaux;
Mme Bernadeth Betchi, qui a travaillé comme étudiante à l’ARC de 2009 à 2011 et comme employée régulière de 2011 à 2018. Lors de cette dernière période, elle était membre de l’Association canadienne des employés professionnels (l’ACEP). Elle a par la suite travaillé à la CCDP de 2019 à 2020, puis au MDN (poste en détachement de la CCDP) de 2021 à 2023 et était membre de l’ACEP.
- Dans l’arrêt Weber, la Cour suprême a statué qu’un employé salarié ne devrait pas intenter une action civile fondée sur la négligence ou sur des violations de la Charte canadienne pour un différend résultant expressément ou implicitement de la convention collective (Greenwood CAF, au para 105). Une fois que les tribunaux, qui possèdent une compétence inhérente, ont examiné la nature essentielle des réclamations et ont déterminé qu’elles résultent expressément ou implicitement de la collection collective, ces réclamations échappent aux tribunaux (Weber, au para 54). Quant aux préoccupations de M. Weber concernant la compétence de l’arbitre pour examiner les questions fondées sur la Charte canadienne, la juge McLachlin, à l’issue d’un examen sur la jurisprudence pertinente, a conclu ce qui suit :
Il découle de l’arrêt Mills que les tribunaux d’origine législative créés par le Parlement ou les législatures peuvent être compétents pour accorder des réparations fondées sur la Charte, pour autant qu’ils ont compétence à l’égard des parties et de l’objet du litige et qu’ils sont habilités à rendre les ordonnances demandées (Weber, au para 66).
[…] Dans chaque cas, il s’agit de déterminer si le litige, considéré dans son essence, résulte de la convention collective. Cela vaut pour les réparations fondées sur la Charte, pour autant que la loi habilite l’arbitre à entendre le litige et à accorder les réparations demandées (Weber, au para 67).
- La preuve dont la Cour dispose indique que la plupart des demandeurs qui auraient eu des réclamations avant 2005 étaient syndiqués :
Mme Jennifer Phillips a travaillé à l’ARC de 1990 à 2020 et était également membre du SEI-AFPC;
Mme Kathy Samuel a travaillé au JUS de 2001 à 2006 et travaille pour le SPPC depuis 2006. Elle est représentante syndicale;
Mme Wagna Celidon a travaillé au SCC de 1991 à 2019 et était représentante syndicale du Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice;
M. Duane Guy Guerra travaille au MDN et est membre des FAC depuis 1999. Il est, au MDN, membre de l’Union des employés de la Défense nationale, local 625;
M. Daniel Malcom a travaillé à l’ARC de 1999 à 2022 et était membre de plusieurs unités de négociation avant d’occuper un poste de direction en 2019;
Mme Carol Sip a travaillé au MDN de 1974 à 1981. On ignore si elle était syndiquée durant ces années. Elle a par la suite travaillé à l’ARC/l’ASFC de 1981 à 1999 où elle était membre de l’Union Douanes Accise – AFPC. Elle était représentante syndicale;
Mme Monica Agard a travaillé à l’ARC de 1989 à 1991; on ignore si elle était syndiquée durant ces années. Elle travaille depuis 1991 à la CISR et est membre de l’AFPC;
Mme Marcia Banfield Smith a travaillé au JUS de 2002 à 2021 et était membre de l’ACEP.
- Tel que mentionné plus haut, l’essence de la déclaration en l’espèce ne se rapporte pas à un processus de nomination particulier qui sortirait du cadre de la convention collective. L’essence réside plutôt dans la discrimination systémique à l’égard des employés noirs dans l’ensemble de la fonction publique, laquelle a empêché l’embauche et la promotion, et a causé la sous-représentation, des employés noirs dans tous les ministères, les organismes distincts et les autres organisations.
- J’estime que les dommages-intérêts réclamés par les demandeurs pour discrimination systémique tombent sous le coup de la clause « d’élimination de la discrimination » contenue dans toutes, ou presque toutes, les conventions collectives applicables aux demandeurs.
- Il s’ensuit que la Cour n’a pas compétence à l’égard des réclamations de Mme Jennifer Phillips, Mme Kathy Samuel, Mme Wagna Celidon, M. Duane Guy Guerra, M. Daniel Malcom, Mme Carol Sip, Mme Monica Agard et Mme Marcia Banfield Smith.
- Dans l’arrêt Vaughan, la Cour suprême a entendu l’appel d’un fonctionnaire qui souhaitait toucher les prestations de retraite anticipée prévues par règlement, mais non par la convention collective. Il faisait valoir que le principe énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Weber était inapplicable et que la Cour ne devrait pas s’en remettre au régime prévu par la loi en matière de relations de travail lorsque la question ne peut être soumise à un décideur indépendant.
- La Cour a rejeté cet argument et a statué que même si l’affaire peut faire l’objet d’un grief, mais non d’un arbitrage, M. Vaughan aurait dû présenter un grief en vertu de la loi ayant précédé la Loi sur les relations de travail. La raison en est que le différend porte sur les prestations d’emploi dans le contexte des relations de travail et que M. Vaughan ne peut présenter devant les tribunaux sa réclamation déguisée en une action pour négligence.
- La Cour n’a pas énoncé une interdiction absolue à la compétence des tribunaux concernant ces réclamations, et a ajouté que les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire résiduel pour exercer leur compétence sur les réclamations, s’il a été démontré que le tribunal de création législative ne peut accorder les réparations appropriées. Pour que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire résiduel, les demandeurs doivent présenter des éléments de preuve convaincants qui démontrent l’existence de lacunes systémiques dans les mécanismes de recours internes mis à leur disposition.
- Quoi qu’il en soit, aucune réclamation des demandeurs ne relève clairement de cette catégorie.
- De plus, et tel qu’il sera discuté dans la section portant sur la requête en autorisation, les allégations de négligence systémique formulées par les demandeurs sont fondées sur le modèle de sous-délégation pour la dotation au sein de la fonction publique adopté en 2005. Selon leur propre thèse, la cause à l’origine de la discrimination systémique n’existait donc pas avant 2005.
- Finalement et pour des raisons évidentes, la question de la promotion et de l’avancement des employés ne se pose pas de la même façon pour les employés occasionnels, les étudiants et les employés nommés pour une période déterminée de moins de trois mois, que pour les employés nommés pour une période indéterminée ou les fonctionnaires de carrière.
- Les deux demandeurs suivants ont mené la majorité de leur carrière comme membres non syndiqués de la GRC :
M. Stuart Philp a travaillé à l’ASFC de 1996 à 2002 et il ne se souvient pas s’il était membre d’un syndicat durant ces années (quoiqu’il l’était probablement). Il est membre de la GRC depuis 2002 et n’était donc pas syndiqué pour la période allant de 2002 à 2019, année où il est devenu membre de la Fédération de la police nationale;
M. Alain Babineau a travaillé à l’ARC de 1981 à 1984 et était membre de la GRC de 1989 à 2016. Il n’a jamais été membre d’un syndicat, quoique la GRC a offert un programme de représentants à ses membres jusqu’en 2019.
- Comme l’affirme le juge Binnie dans l’arrêt Vaughan :
14. La démarche suivie dans Weber a été étendue au-delà du cadre des conventions collectives à un régime établi par la loi (et non par la négociation collective) dans l’arrêt Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, 2000 CSC 14. Dans cette affaire, le régime en question portait sur la discipline des policiers. Le juge Bastarache a affirmé ce qui suit au nom de la Cour, au par. 26 :
. . . le modèle de la compétence exclusive a été adopté afin de garantir que l’attribution de compétence à une instance décisionnelle que n’avait pas envisagée le législateur ne porte pas atteinte au régime législatif en cause.
15. Le débat franchit un pas de plus dans le présent pourvoi qui soulève la question de savoir si le principe de la retenue judiciaire (ou de la déférence) prôné dans le courant jurisprudentiel de l’arrêt Weber s’applique au régime de relations de travail établi par la LRTFP. Les aspects de cette loi qui nous intéressent ne prévoient pas un décideur indépendant. Comme je l’ai indiqué, le différend en l’espèce porte sur un avantage accordé unilatéralement par l’employeur; le législateur a conféré au sous-ministre ou à la personne qu’il désigne le pouvoir de rendre la décision définitive au sujet de ces avantages, sans possibilité de recours à un décideur indépendant. Si cette retenue n’est pas obligatoire (comme c’était le cas dans Weber), est-elle néanmoins nécessaire pour éviter de contrecarrer l’intention du législateur exprimée dans la loi sur les relations de travail?
- Les membres de la GRC (préalablement à la convention collective) et des FAC possèdent des droits de grief qui leur sont propres, en vertu de leurs lois habilitantes respectives, et qui sont équivalents, voire supérieurs, aux droits dont disposent les autres fonctionnaires.
- Les membres de la GRC sont nommés par le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada conformément aux articles 6 et 7 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.
- M. Philp et Babineau étaient tous deux membres de la GRC dans les années qui ont précédé la première convention collective de la GRC.
- Dans son affidavit, M. Philp relate un seul évènement survenu lors de cette même période, soit un cycle de promotion. L’évènement s’est déroulé ainsi :
[traduction]
12. Vers 2013-2014, l’officier responsable du détachement de Toronto-Ouest a parlé ouvertement du candidat qui, selon lui, devait être promu (un candidat qui n’était pas noir) et a dit qu’il ne voyait aucun autre candidat aussi qualifié que lui. L’officier responsable de la région du Grand Toronto a eu vent de cette affirmation et a remplacé l’officier de la sélection du personnel par un officier d’une autre région, ce qui est revenu essentiellement à anonymiser le cycle de promotion. On m’a accordé une promotion en 2015. Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai voulu aller l’annoncer à un collègue et c’est là que j’ai entendu un inspecteur et un sergent d’état-major se plaindre de la GRC et du processus de promotion. L’inspecteur a mentionné ne pas avoir pu sélectionner l’employé qui cadrait le mieux avec la promotion. Le sergent d’état-major a ajouté ne pas connaître le candidat sélectionné (moi). Il a mentionné que je ne faisais pas partie de la ligue de hockey de la GRC. J’étais abattu. Je ne faisais clairement pas partie du club. On me considérait comme un étranger, à la fois comme homme noir et comme officier qui ne faisait pas partie de la ligue de hockey de la GRC.
- Somme toute, M. Philp était le mieux placé pour occuper le poste et il s’est vu accorder la promotion. Le processus de sélection a joué en sa faveur. Outre cet évènement spécifique de dotation qui s’est déroulé lors de la période pertinente, M. Philp soutient, en des termes généraux, qu’il a [traduction] « rencontré de nombreux obstacles institutionnels et systémiques anti-Noirs qui ont nui à [son] avancement dans la fonction publique, notamment »:
a) des préjugés et des attitudes préjudiciables à [son] égard de la part de supérieurs ou de collègues;
b) l’absence de reconnaissance de [son] expérience et de [ses] réalisations lors des processus de promotion ou de gestion des talents;
c) l’absence d’employés noirs qui occupent des postes de supervision et de gestion qui seraient aptes à [le] mentorer et à [l]’aider à développer [ses] compétences et à améliorer [sa] position au sein de la hiérarchie afin d’augmenter [ses] chances d’avancement. »
- Il n’y a aucune allégation concernant un processus de plainte ou des mécanismes de recours internes dont il n’aurait pas pu se prévaloir ou qui n’auraient pas été efficaces.
- En 1981, M. Babineau a présenté sa candidature pour devenir membre de la GRC, mais s’est finalement joint aux FAC comme agent de police militaire de 1981 à 1984. Lorsqu’il a de nouveau fait une demande d’emploi pour devenir membre de la GRC en 1984, il a appris que, lors de sa première tentative, il avait fait l’objet d’un profilage racial puisqu’on croyait qu’il avait trempé dans le monde de la drogue dans son village natal du Québec lorsqu’il était adolescent, et qu’un faux rapport qui portait atteinte à sa personne avait été déposé. Il a porté plainte auprès de la CCDP en 1985 et, suite à une séance médiation, s’est par la suite vu offrir un poste qu’il a accepté. En 2014, il a eu l’impression de heurter un plafond de verre lorsqu’il a cherché à obtenir un poste de direction. Il a donc déposé une plainte auprès de la CCDP pour discrimination systémique lors du Programme de perfectionnement des aspirants officiers [le PPAO] de la GRC. Dans son affidavit, M. Babineau décrit son processus auprès de la CCDP en ces termes :
[traduction]
19. Le 24 juillet 2015, puisque la GRC n’était pas en mesure de traiter les plaintes de discrimination systémique au moyen de ses processus internes, la CCDP a décidé de donner suite à ma plainte et a indiqué ce qui suit : « il semble que le processus interne de règlement des plaintes pour discrimination du défendeur ne peut traiter les allégations concernant la différence préjudiciable de traitement, le refus d’accorder des perspectives d’emploi et la discrimination systémique soulevées dans la présente plainte. Par conséquent, ce processus ne peut constituer un moyen “raisonnablement disponible” pour le plaignant puisqu’il ne peut traiter l’ensemble des questions de droits de la personne dans la présente plainte. »
20. La question traitée par la CCDP dans ma plainte pour discrimination était celle de savoir si la GRC avait employé une pratique discriminatoire qui empêchait les membres noirs et afro-canadiens de réussir le PPAO, programme dont la réussite est obligatoire afin d’être promu au grade d’inspecteur.
21. Toutefois, l’enquêteur de la CCDP a mené une enquête ordinaire fondée sur l’objet de ma plainte, ce qui ne lui a pas permis d’étudier à fond le caractère dysfonctionnel du processus.
22. Par conséquent, l’enquêteur de la CCDP n’a constaté aucune discrimination et a fermé mon dossier.
- Toutefois, lors du contre-interrogatoire, M. Babineau a confirmé qu’il a été promu à quelques reprises lors de sa carrière à la GRC : il est passé de gendarme aux grades de caporal, de sergent, de sergent d’état-major et d’inspecteur intérimaire. À Montréal, il a participé au recrutement en vue de pourvoir un poste à exigences professionnelles justifiées, c’est-à-dire un poste ciblant les candidats issus des minorités visibles. Il a obtenu le poste malgré le fait qu’il n’avait pas d’expérience en ressources humaines. Lors de ce processus de recrutement, les minorités visibles qui réussissaient le test écrit étaient automatiquement sélectionnées pour une entrevue, tandis que tous les autres candidats devaient obtenir une certaine note de passage.
- En tant qu’agent de recrutement, M. Babineau connaissait bien la procédure interne de règlement des griefs de la GRC, notamment les griefs touchant les droits de la personne. Il a même, à un moment donné, aidé des employés avec leurs griefs, particulièrement ceux qui étaient fondés sur la race.
- M. Babineau a également confirmé que sa plainte de 2014 auprès de la CCDP avait été rejetée puisqu’il ne satisfaisait pas à certaines compétences requises à la réussite du PPAO.
- Finalement, en ce qui concerne les FAC, l’enrôlement de leurs membres se fait conformément aux Ordonnances et règlements royaux et aux Directives et ordonnances administratives de la défense. Les membres possèdent un ensemble de recours uniques prévus au paragraphe 29(1) de la LDN. Comme l’a déclaré la juge McDonald au paragraphe 25 de la décision Fortin c Canada (Procureur général), 2021 CF 1061 :
[25] L’étendue des griefs visés par cette disposition a été discutée aux paragraphes 9 et 10 de la décision Jones c Canada, [1994] ACF No 1742, et réitérée au paragraphe 35 de la décision Bernath c Canada, 2005 CF 1232 :
[traduction]
[…] c’est le libellé le plus large possible [de l’article 29 de la Loi] qui englobe toute formule, toute tournure, toute expression d’injustice, d’iniquité, de discrimination ou de quoi que ce soit. Ça englobe tout. Ça n’écarte rien, [sic] Ça comprend absolument tout […] Il n’existe, dans aucune autre loi du Canada, de disposition équivalente à l’article 29 et s’appliquant, comme lui, à toute une gamme de torts, effectifs, présumés ou imaginés, et permettant à une personne d’en obtenir réparation, quelle qu’en soit la cause. Voilà la différence entre un civil et un militaire.
- Lors du contre-interrogatoire, M. Babineau a reconnu qu’il n’avait pas travaillé au sein des FAC assez longtemps pour envisager quelque possibilité de promotion ou d’avancement que ce soit, puisque la vie de militaire ne lui plaisait pas. Cependant, s’il avait eu à faire valoir une demande au cours de la période pendant laquelle il travaillait au sein des FAC, il aurait pu se prévaloir des réparations prévues dans le cadre de la procédure de grief des FAC. Le contexte militaire est unique et hautement spécialisé, et le comité de règlement des griefs, qui peut faire des recommandations au Chef d’état-major de la défense, aurait été mieux placé pour examiner les questions soulevées en contexte militaire.
- À mon humble avis, il est manifeste et évident que les allégations de discrimination raciale formulées par les demandeurs doivent être traitées au moyen des mécanismes de recours créés par le législateur. Ces allégations font référence à la discrimination systémique lors de l’attribution de postes, de promotions et de possibilités d’avancement professionnel au sein des centaines d’entités fédérales différentes. Des mécanismes de recours exhaustifs sont à la disposition de tous les fonctionnaires et de tous les membres de la GRC et des FAC afin de régler les différends liés à l’emploi, y compris les différends concernant des allégations de discrimination en milieu de travail. Les réparations offertes par l’intermédiaire de ces mécanismes de recours sont larges et comprennent des réparations individuelles et systémiques, notamment des réparations pécuniaires et d’autres formes d’indemnisation. Par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’obligation imposée au Canada par le droit international d’accorder une réparation efficace en cas de violation des droits de la personne, puisque les lois internes de ce pays prévoient de telles réparations.
- Plus précisément, il est évident et manifeste que la déclaration en l’espèce devrait être radiée au motif que la Cour n’a pas compétence pour entendre les réclamations des 13 représentants demandeurs proposés et des groupes envisagés pour les motifs suivants :
a) Réclamations ultérieures à 2005 : ces demandes sont interdites en vertu de l’article 236 de la Loi sur les relations de travail entré en vigueur en 2005 et qui prévoit que le droit de recours des fonctionnaires par voie de grief remplace leurs droits d’action en justice pour les questions pouvant faire l’objet d’un grief;
b) Réclamations antérieures à 2005 présentées par les employés syndiqués : conformément à l’arrêt Weber de la Cour suprême, les employés syndiqués d’organisations du gouvernement fédéral n’ont aucun droit d’action à l’égard de toutes questions pour lesquelles un recours peut être demandé en vertu de la convention collective;
c) Réclamations antérieures à 2005 présentées par les employés non syndiqués : quant à cette catégorie résiduelle d’employés, même si leurs demandes ne sont pas expressément interdites par l’article 236 ou les principes énoncés dans l’arrêt Weber, ils avaient tous accès aux mécanismes de recours prévus par la loi, et conformément à l’arrêt Vaughan de la Cour suprême, il y a lieu de faire preuve de retenue envers ces mécanismes.
- Sachant que la Cour ne se considère pas comme compétente pour traiter des questions soulevées par la déclaration, j’estime inutile d’examiner ce second aspect de la requête.
- Toutefois, au cas où je ferais erreur concernant la requête en radiation pour défaut de compétence, j’examinerai la requête en autorisation des demandeurs. Ce faisant, j’aborderai inévitablement la question de savoir si la déclaration révèle une cause d’action valable, puisque les arguments du Canada sur cet aspect de sa requête en radiation et ceux qui concernent le premier critère à rencontrer pour l’autorisation d’un recours collectif sont les mêmes.
- La seule question à trancher dans la présente requête est celle de savoir si la Cour peut autoriser la présente instance comme recours collectif. Le paragraphe 334.16(1) des Règles établit les conditions à réunir pour qu’une instance puisse être autorisée comme recours collectif :
a) les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable;
b) il doit exister un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;
c) les réclamations des membres du groupe doivent soulever des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;
d) le recours collectif doit être le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;
e) il doit exister un représentant demandeur qui : i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe, ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement, iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs et iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.
- C’est l’acte de procédure qui révèle une cause d’action valable, et les autres conditions d’autorisation doivent seulement être démontrées par « un certain fondement factuel » (Pro-Sys Consultants Ltd c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 aux para 99-100 [Pro-Sys Consultants]).
- Dans le cas d’une requête en autorisation, la tâche de la Cour ne consiste pas à résoudre des faits et des éléments de preuve contradictoires ou à évaluer le bien-fondé de l’affaire. Il s’agit plutôt de répondre à la question du seuil requis : l’action peut-elle se poursuivre par voie de recours collectif? (Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 28 [Wenham], renvoyant à Pro-Sys Consultants aux para 99, 102).
- Dans leurs actes de procédure, les demandeurs soutiennent que le Canada pratique implicitement « l’exclusion des employés noirs » dans le cadre des processus d’embauches et de promotion. Cette pratique systémique et discriminatoire est à l’origine des causes d’action énoncées dans les procédures.
- Dans leurs observations orales, les avocats des demandeurs affirment que la pratique de délégation et de sous-délégation du pouvoir de faire des nominations – pouvoir qui est réglementé par la Loi sur l’emploi – est la politique officielle qui rend possible la subjectivité lors du processus d’embauche et de promotion et expose les employés noirs à la discrimination systémique dans l’ensemble de la fonction publique. Les demandeurs soutiennent que cette pratique est à l’origine de la sous-représentation des employés noirs au sein de la fonction publique.
- Les demandeurs soutiennent également dans leurs procédures que l’exclusion des employés noirs de la fonction publique constitue :
[traduction]
i) une violation du droit à l’égalité des demandeurs garanti par l’article 15 de la Charte canadienne et par l’article 10 de la Charte québécoise;
ii) une violation de l’engagement du Canada à promouvoir le multiculturalisme et le droit à l’égalité des femmes en vertu des articles 27 et 28 de la Charte canadienne;
iii) un délit de négligence selon la common law et une faute en droit civil;
iv) un manquement du Canada à son obligation de fiduciaire envers les demandeurs;
v) une violation de contrat.
- La Loi sur l’emploi désigne le CT comme l’employeur des organismes de la fonction publique énumérés aux annexes I et IV de la LGFP et confère à la CFP le pouvoir de faires des nominations à la fonction publique et au sein de celle-ci.
- Le préambule de la Loi sur l’emploi précise que le pouvoir décisionnel en matière d’embauche et de promotion devrait être délégué à l’échelon le plus bas possible pour que les gestionnaires disposent de la marge de manœuvre nécessaire pour effectuer la dotation. La Loi sur l’emploi autorise ainsi la délégation du pouvoir de la CFP de faire des nominations aux administrateurs généraux et la sous-délégation de ce pouvoir au niveau de gestion le plus bas possible au sein des organismes de la fonction publique.
- La Loi sur l’équité en matière d’emploi, LC 1995, c 44, prévoit également la délégation – aux ministères et aux organismes de la fonction publique – des obligations d’équité en matière d’emploi qui relèvent du CT et de la CFP.
- Puisque l’on doit présumer de la véracité des faits invoqués à ce stade, la question est de savoir si les demandeurs ont plaidé des faits matériels suffisamment précis pour étayer l’action et le remède recherché. La Cour et la partie adverse n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits appuient diverses causes d’action. Les règles applicables aux actes de procédure ordinaires s’appliquent tout autant à un recours collectif (Hudson c Canada, 2022 CF 694 aux para 68-70; Doan c Canada, 2023 CF 968 au para 48). L’ouverture d’un recours collectif envisagé est une affaire que les cours prennent très au sérieux puisqu’un tel recours peut affecter les droits d’un grand nombre de membres ainsi que les responsabilités et les intérêts des défendeurs.
- Les demandeurs font valoir que l’application, par le Canada, des dispositions de la Loi sur l’équité en matière d’emploi – qui exigent la suppression des obstacles à l’embauche et à la promotion des groupes minoritaires – constitue, en l’absence de données désagrégées pour la catégorie « minorités visibles », une violation du droit à l’égalité des personnes noires visé à l’article 15 de la Charte canadienne. Les demandeurs affirment que la Loi sur l’équité en matière d’emploi ne permet pas au Canada de rendre compte de la discrimination et des obstacles systémiques propres au vécu des personnes noires et d’y apporter les réparations adaptées.
- Les demandeurs soutiennent que l’embauche et la promotion des personnes noires ne sont pas proportionnelles à leur poids démographique.
- Les demandeurs allèguent également que le régime de retraite du gouvernement du Canada a un impact négatif sur les employés noirs, car ces derniers gagnent moins bien leur vie au cours de leur carrière au sein de la fonction publique puisqu’ils sont cantonnés aux emplois peu rémunérés. Par conséquent, une fois à la retraite, ces employés jouissent de pensions moins intéressantes que celles des autres employés retraités et sont désavantagés sur le plan économique pour n’avoir pas été promus à des emplois mieux rémunérés au cours de leur carrière au sein de la fonction publique.
- Bien qu’ils n’en fassent pas explicitement mention, les actes de procédure sous-entendent que le groupe de comparaison pour l’analyse de la violation de l’article 15 de la Charte canadienne correspond aux fonctionnaires qui ne sont pas noirs et, plus précisément, aux fonctionnaires blancs.
- Toutefois, les demandeurs n’ont plaidé aucun fait substantiel pour illustrer dans le détail la pratique courante, généralisée et omniprésente d’exclusion des employés noirs qui perdure depuis plus de 50 ans au sein des 99 entités de l’APC, des organismes distincts et des autres organisations du gouvernement fédéral ciblés par leur déclaration. Les demandeurs sont muets sur la façon dont cette pratique est mise en œuvre ou sur les mandataires du gouvernement prétendument responsables de sa mise en œuvre.
- En fait, les demandeurs présentent un résultat, un « état de choses », à savoir que les employés noirs sont statistiquement sous-représentés dans la fonction publique fédérale, particulièrement aux postes de cadres supérieurs, et demandent à la Cour de conclure que cette situation découle des pratiques et des politiques du Canada ou de la conduite de ses mandataires. En d’autres termes, les demandeurs s’appuient sur les données d’une étude sur les taux de promotion pour en déduire que le Canada a adopté des pratiques et dressé des obstacles qui ont contribué à priver les employés noirs de possibilités d’embauche et de promotion.
- Les demandeurs soutiennent tout d’abord que le défaut injustifié du Canada d’embaucher et de promouvoir les employés noirs en raison de leur race contrevient à l’article 15 de la Charte canadienne et à l’article 10 de la Charte québécoise. Ils ajoutent que la violation, par le Canada, du droit à l’égalité de ces employés, est aggravée par l’échec de ce dernier à respecter ses engagements en faveur du multiculturalisme visé à l’article 27 et du droit à l’égalité des femmes visé à l’article 28 de la Charte canadienne.
- L’intervenante, Amnistie internationale Canada, soutient pour sa part qu’il convient d’adopter une perspective intersectionnelle pour ainsi analyser le racisme anti-Noirs comme relevant d’un système complexe de formes interreliées d’oppression, notamment le sexisme, le patriarcat, l’homophobie, la xénophobie, l’âgisme et le capacitisme. Amnistie internationale Canada affirme également que les engagements internationaux du Canada en faveur de l’égalité des droits et de l’interdiction de la discrimination raciale constituent un outil d’interprétation pertinent puisque la Cour suprême du Canada a affirmé « qu’il faut présumer, en général, que la Charte accorde une protection à tout le moins aussi grande que celle qu’offrent les dispositions similaires des instruments internationaux que le Canada a ratifiés en matière de droits de la personne » (R c Hape, 2007 CSC 26 au para 55, renvoyant à Slaight Communications Inc c Davidson, [1989] 1 RCS 1038 au para 1056, et à Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb), [1987] 1 RCS 313 au para 349).
- Le droit à l’égalité prévu par la Charte canadienne ne peut être invoqué pour fonder une allégation que s’il existe une mesure de l’État contestée ayant un effet discriminatoire. Dans l’arrêt Dickson c Vuntut Gwitchin First Nation, 2024 CSC 10, la Cour suprême a récemment réitéré ce qui constitue une violation à première vue du paragraphe 15(1) :
[188] Aux termes du par. 15(1) de la Charte, « [l]a loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. » Dans une contestation fondée sur le par. 15(1) de la Charte, le demandeur doit démontrer que la loi ou la mesure étatique contestée : a) crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue; b) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage.
[Renvoi omis.]
- Là encore, les actes de procédure ne permettent pas de définir une conduite précise du gouvernement qui serait à l’origine d’une discrimination fondée sur la race dans les pratiques d’embauche ou de promotion des employés de la fonction publique. Les observations orales se concentrent sur le modèle de sous-délégation, sans donner de détails supplémentaires.
- Dans la décision La Rose c Canada, 2020 CF 1008 [La Rose], un groupe d’enfants et de jeunes allèguent que le comportement du gouvernement du Canada – ou plutôt son défaut d’agir – en matière de lutte contre le changement climatique a porté atteinte à leurs droits prévus par les articles 7 et 15 de la Charte canadienne. Le juge Manson a conclu que l’acte de procédure ne révélait aucune cause d’action valable au titre de l’article 15, puisque, bien que les demandeurs aient affirmé que le changement climatique avait eu une incidence démesurée sur les jeunes, ils n’ont pas identifié quelle loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré (La Rose, au para 79). En d’autres termes, les demandeurs, dans l’affaire La Rose, ont plaidé une panoplie de résultats, mais pas la cause de ces derniers.
- Dans l’affaire Tanudjaja v Canada (Attorney General), 2014 ONCA 852 [Tanudjaja], les demandeurs alléguaient que les actions et inactions des gouvernements du Canada et de l’Ontario en matière de logement entraînent une violation des articles 7 et 15 de la Charte canadienne, car ces gouvernements n’agissent pas de manière à prévenir l’itinérance ou à apporter des solutions. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que, contrairement à la jurisprudence de la Cour suprême (qui s’intéresse aux questions de politique sociale), l’affaire dont elle était saisie n’était pas justiciable, car lui faisait défaut [traduction] « un aspect suffisamment juridique sur lequel fonder l’analyse » (Tanudjaja, aux para 35-36). La Cour d’appel de l’Ontario était particulièrement soucieuse du fait qu’il serait ultérieurement impossible de procéder à une analyse adéquate fondée sur l’article premier, puisque les gouvernements intimés devaient être en mesure de justifier une loi, une politique ou une action concrète (Tanudjaja, au para 32).
- L’argument des demandeurs en l’espèce, selon lequel la mauvaise application par le Canada de la Loi sur l’équité en matière d’emploi constituerait une violation de l’article 15 de la Charte canadienne, n’est pas non plus étayé par les actes de procédure.
- Les demandeurs allèguent que le Canada a mis en œuvre une pratique systémique « d’exclusion des employés noirs » ou qu’il a échoué à appliquer des mesures positives pour éliminer les obstacles systémiques auxquels sont confrontés les employés noirs. Une fois encore, les demandeurs n’ont identifié aucune pratique ou politique précise pour étayer leur allégation. Ils n’expliquent pas comment les nombreux ministères et organismes qui composent la fonction publique fédérale ont appliqué, de façon discriminatoire, les dispositions de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
- Le fait que les dispositions de la Loi sur l’équité en matière d’emploi n’obligent pas à désagréger la catégorie « minorités visibles » n’est pas contraire au droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte canadienne. Les choix du législateur concernant la promotion de l’équité en matière d’emploi ne sont pas susceptibles de contrôle par la Cour. L’article 15 de la Charte canadienne n’impose pas au Canada de mener des actions concrètes pour remédier à la discrimination (R c Sharma, 2022 CSC 39 [Sharma]; Ferrel v Ontario (Attorney General), 1998 CanLII 6274 (ONCA) [Ferrel]). Tant que les choix de politiques du Canada ne portent pas atteinte à l’article 15, ce dernier a le pouvoir discrétionnaire de choisir la façon dont il souhaite promouvoir l’équité en matière d’emploi dans la législation et les politiques connexes (Ferrel, à la p 24).
- Dans l’arrêt Sharma, la Cour suprême déclare que la première étape de toute analyse fondée sur l’article 15 de la Charte canadienne est d’identifier l’existence d’une mesure de l’État ayant eu un effet disproportionné, « et non les désavantages historiques ou systémiques » (Sharma, au para 71). Au paragraphe 63, la Cour explique en outre :
[63] Tout d’abord, le par. 15(1) n’a pas pour effet d’imposer à l’État une obligation positive générale de remédier aux inégalités sociales ou d’adopter des lois réparatrices (Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627, par. 37; Eldridge, par. 73; Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie Britannique (Procureur général), 2004 CSC 78, [2004] 3 R.C.S. 657, par. 41; Alliance, par. 42). S’il en était autrement, les tribunaux seraient entraînés de manière inadmissible à s’ingérer dans le rôle complexe dévolu au législateur en matière d’élaboration de politiques et d’affectation des ressources, ce qui serait contraire au principe de la séparation des pouvoirs. […]
- Dans l’arrêt Sharma, la Cour suprême confirme également que l’État n’a aucune obligation positive de remédier aux inégalités sociales préexistantes qui affectent un groupe protégé.
- Les demandeurs affirment que le défaut de la Loi sur l’équité en matière d’emploi à désagréger la catégorie « minorités visibles » en différents sous-groupes de minorités visibles occulte ou alimente la discrimination (et ses impacts négatifs) spécifiquement vécue par les personnes noires. Dans cette loi, le terme « groupes désignés » comprend les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles, alors que le terme « minorité visible » réfère aux personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche. Les demandeurs ne peuvent contester le choix du législateur de définir quatre groupes désignés, puisqu’il n’existe aucune obligation constitutionnelle d’adopter la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Par conséquent, le fait d’appliquer la loi sans désagréger la catégorie « minorités visibles » ne peut constituer une violation de la Charte canadienne de la part du Canada.
- Dans la décision Ferrel, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré au sujet de la Loi de 1993 sur l’équité en matière d’emploi, LO 1993, c 35, que le choix du législateur quant au mécanisme précis mis en place pour aborder le problème de la discrimination en milieu de travail ne peut être contesté.
- Dans la même veine, les allégations des demandeurs fondées sur l’article 15 ne peuvent reposer sur la décision de principe prise par le Canada de cibler un groupe minoritaire plutôt qu’un groupe racisé donné.
- Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle le régime de retraite du gouvernement du Canada est discriminatoire envers les employés noirs, les demandeurs se fondent en grande partie sur l’arrêt Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28 [Fraser] de la Cour suprême. Dans cette affaire, un groupe d’employés de la GRC a plaidé avec succès que leur régime de pension était discriminatoire, car ce dernier opérait une distinction entre les employés qui participaient au programme de partage de poste et les employés qui n’y participaient pas. Les demandeurs ont ainsi démontré que cette distinction avait affecté de façon disproportionnée un groupe caractérisé par un motif énuméré ou analogue.
- Toutefois, en l’espèce, les demandeurs ne nomment aucune disposition précise du régime de retraite qui pourrait avoir un effet disproportionné en fonction de la race des employés. Le régime de retraite du gouvernement du Canada pour les employés n’est pas conçu ou appliqué différemment pour les employés noirs et les salaires des emplois peu rémunérés au sein de la fonction publique ne sont pas corrélés à la race des employés. Même s’il est possible de démontrer que les employés noirs gagnent en moyenne moins que leurs collègues qui ne sont pas noirs par l’effet de facteurs discriminatoires, la déclaration des demandeurs ne mentionne aucune politique ou loi qui pourrait être modifiée afin de remédier aux écarts de pensions entre ces deux groupes d’employés.
- Par ailleurs, les demandeurs ne citent aucune mesure réparatrice, telle que le système de « rachat » dans l’affaire Fraser, à laquelle ils auraient accès. La seule réparation qu’ils peuvent demander, ce sont des dommages-intérêts additionnels pour la perte de revenus de pension. Pour éviter cette perte de revenus de pension liée à la discrimination, les employés noirs devraient gagner, en moyenne, les mêmes salaires que les employés qui ne sont pas noirs, ce qui rejoint l’allégation au sujet des pratiques discriminatoires présumées à l’embauche et à la promotion au sein de la fonction publique. L’embauche et la promotion des employés noirs à des taux semblables à ceux des employés qui ne sont pas noirs élimineraient les disparités de revenus et les effets disproportionnés sur les pensions des employés noirs. Par conséquent, la déclaration des demandeurs concernant les écarts de pension ne semble pas constituer une cause d’action distincte, mais plutôt une réclamation supplémentaire de dommages-intérêts, enracinée dans la même cause d’action que celle des pratiques discriminatoires alléguées à l’embauche et à la promotion.
- Une approche intersectionnelle des faits présentés dans cette affaire ne fait pas ressortir d’autres motifs qui permettraient d’ancrer les allégations fondées sur l’article 15. Alors que les demanderesses noires allèguent dans leurs affidavits être la cible de sexisme et de misogynie anti-Noires – comme en témoigne le récit de Mme Carol Sip relatant le harcèlement racial et sexiste qu’elle a subi de la part d’un superviseur maltraitant –, aucun lien de causalité n’est établi entre le manque de possibilités d’emploi et de promotion et la discrimination dont elles ont été victimes dans le cadre de leur travail. Il convient de rappeler qu’en l’espèce, l’affaire, telle qu’elle est présentée par les demandeurs, ne concerne pas le harcèlement et la conduite discriminatoires fondés sur la race : elle concerne des politiques de dotation discriminatoires.
- Enfin, les demandeurs s’appuient sur les statistiques relatives aux employés noirs, mais ne présentent aucune statistique pour les groupes de comparaison ni aucune statistique illustrant les disparités intersectionnelles. Dans la décision McQuade c Canada (Procureur général), 2023 CF 1083, la Cour a jugé que la déclaration n’était pas étayée par suffisamment de faits concernant les groupes de comparaison et ne révélait, par conséquent, aucune cause d’action raisonnable découlant de la violation alléguée de l’article 15 de la Charte canadienne.
- Dans l’affaire Kahnapace c Canada (Procureur général), 2023 CF 32 (renversée en partie pour d’autres motifs dans Michel c Canada, 2025 CAF 58) [Kahnapace], les demanderesses souhaitaient que leur instance soit autorisée comme recours collectif au nom d’un groupe de détenues autochtones. Les demanderesses allèguent que SCC utilise un outil appelé l’Échelle de classement par niveau de sécurité [l’ECNS] destiné à déterminer la cote de sécurité des détenus et qui, à tort, attribue aux délinquantes autochtones une cote de sécurité plus élevée que celle qui est autrement justifiée. Cette pratique a pour effet de priver ces dernières de leur droit à la liberté résiduelle et de les rendre inadmissibles à la mise en liberté discrétionnaire et à la libération conditionnelle. Après analyse de la première étape de l’allégation au titre de l’article 15 de la Charte canadienne, la Cour a conclu ce qui suit :
[traduction]
[153] Comme il est mentionné précédemment, le lien de causalité est capital à la première étape de toute allégation au titre de l’article 15 de la Charte, de sorte que le demandeur doit établir un lien entre la loi ou la mesure de l’État contestée et son effet discriminatoire. Cependant, en l’espèce, les demanderesses n’ont pas invoqué les faits substantiels nécessaires expliquant dans quelle mesure l’ECNS ou d’autres outils, parmi tant d’autres facteurs pris en considération au moment de déterminer une cote de sécurité, attribuent en fait aux délinquantes autochtones une cote trop élevée ou dans quelle mesure ils causent la discrimination qui est alléguée. Je trouve que l’acte de procédure, au lieu de contenir les faits substantiels nécessaires, est truffé de déclarations péremptoires, ce qui rend l’allégation au titre de l’article 15 de la Charte irrecevable. […]
- Par conséquent, les demanderesses ont échoué à révéler une cause d’action qui découle de la violation alléguée de l’article 15 de la Charte canadienne. Puisque les droits de la Charte canadienne ne jouent pas en l’espèce, en raison de l’absence des éléments requis pour alléguer une violation des articles 15, 27 ou 28, la Cour ne peut s’appuyer sur aucune interprétation du droit international dans son analyse de la présente violation alléguée de la Charte canadienne. Quant à la violation alléguée de la Charte québécoise, les deux parties sont muettes sur ce point – tout comme elles l’ont été concernant l’autre cause d’action propre au Québec. La Cour ne peut donc effectuer aucune analyse particulière. Si ce silence n’exclut pas nécessairement les membres québécois putatifs, l’absence d’argument précis fondé sur le Code civil du Québec [le CcQ] pourrait quant à elle constituer un motif d’exclusion (je reviendrai sur ce point dans la partie suivante).
- Les demandeurs affirment que le Canada a un devoir de diligence envers les employés noirs, ce qui signifie qu’il a l’obligation de les promouvoir sur la base de leur mérite, de lever les obstacles qui empêchent leur pleine participation et de ne pas les discriminer. Le Canada avait l’obligation juridique d’appliquer des politiques, des pratiques et des procédures légales pour permettre une vraie égalité et l’équité en matière d’emploi. La relation entre les demandeurs (et les membres putatifs du groupe visé par le recours collectif) et le Canada (en tant qu’employeur) était suffisamment directe et proche pour donner lieu à un devoir de diligence envers les demandeurs, y compris l’obligation de leur offrir un environnement de travail exempt de discrimination et de harcèlement. L’exclusion des employés noirs pratiquée par le Canada est responsable des préjudices physiques, financiers et psychologiques prévisibles subis par les demandeurs (et les membres putatifs du groupe visé par le recours collectif).
- La négligence systémique ne touche pas une victime en particulier; elle affecte plutôt un ensemble de victimes en tant que groupe. Les demandeurs se fondent sur l’arrêt de la Cour suprême dans Rumley c Colombie-Britannique, 2001 CSC 69 [Rumley] et sur la décision Greenwood CAF pour proposer qu’une cause d’action fondée sur la négligence systémique puisse être autorisée comme recours collectif, y compris en ce qui concerne les cultures en milieu de travail au sein de la fonction publique.
- Dans l’arrêt Rumley, les demandeurs sollicitaient l’autorisation comme recours collectif de leur demande concernant les agressions physiques et sexuelles et les abus émotionnels subis par les membres du groupe lorsqu’ils étaient élèves dans un pensionnat pour enfants souffrant de surdité. Toutefois, il n’incombait pas à la Cour suprême de déterminer si les actes de procédure révélaient une cause d’action raisonnable, mais plutôt de déterminer si les critères des questions communes et du meilleur moyen étaient bien remplis.
- Dans la décision Greenwood c Canada, 2020 CF 119, la Cour a conclu que les demandes à l’encontre de la Couronne ne constituaient pas de « “simples” différends en milieu de travail ». Ces demandes étaient plutôt fondées sur la responsabilité de la Couronne du fait d’autrui pour les actes collectifs de la direction de la GRC et sur une négligence systémique en matière d’intimidation et de harcèlement. Les demandeurs attaquaient les procédures et les systèmes mêmes qui, selon la Couronne, peuvent et devraient offrir une voie de recours. Les dirigeants de la GRC ont été identifiés comme les auteurs du délit et les actes individuels d’intimidation et de harcèlement comme de la négligence systémique.
- En fait, ce que les demandeurs avancent en l’espèce, c’est la responsabilité institutionnelle concernant l’exclusion des employés noirs dans l’ensemble de la fonction publique. De plus, la politique ou la pratique qui aurait mené à la négligence systémique alléguée est le modèle de sous-délégation intégré dans la Loi sur l’emploi en 2005. Pourtant, chaque ministère, organisme distinct et organisation du gouvernement fédéral a ses propres règles et politiques de dotation ainsi que son propre mécanisme de recours pour chaque processus de nomination donné. On ignore, pour la période de plus de 50 ans visée par le recours collectif, qui sont les auteurs des délits dont le Canada serait tenu responsable, quels actes ces auteurs ont commis et si ces actes ont des points communs.
- Selon la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC (1985), c C-50, l’État est responsable des dommages résultants des délits commis par ses préposés (ou des dommages causés par la faute de ses préposés, dans la province du Québec). La responsabilité de l’État est subordonnée à l’existence d’une omission ou d’un acte précis commis par un de ses préposés et qui donnerait lieu à une cause d’action à l’encontre de ce préposé (Hinse c Canada (Procureur général), 2015 CSC 35 aux para 91-92; Merchant Law Group c Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184 au para 39).
- Une lecture approfondie et impartiale de la déclaration démontre clairement que cette dernière n’est pas fondée sur la responsabilité du fait d’autrui pour les fautes individuelles commises par les préposés ou les agents du gouvernement canadien, mais plutôt sur des allégations de défaillance diffuse et systémique du Canada lui-même, à savoir que : la discrimination systémique imprègne l’ensemble des structures institutionnelles du Canada; les modèles institutionnels de comportement sont parties prenantes des structures sociales et administratives de l’État ou de la fonction publique; les structures institutionnelles reflètent les inégalités persistantes au sein de la société; et, plus généralement, les politiques suivies par le Canada ont échoué à corriger les inégalités que doivent surmonter les personnes noires en raison du cadre institutionnel bâti sur le racisme et l’inégalité systémiques.
- Il s’ensuit que la structure de l’acte de procédure des demandeurs ne peut étayer l’allégation de négligence et de négligence systémique envers le Canada.
- Je me permets quelques remarques au sujet de la cause d’action fondée sur l’article 1457 du CcQ. Les parties n’ont dit que peu de choses, tant dans leurs observations écrites qu’à l’audience, sur ce qui constituerait une cause d’action fondée sur le CcQ. Les demandeurs ont à peine effleuré ce sujet lorsqu’ils ont présenté leurs arguments fondés sur le délit de négligence. Le Canada, quant à lui, ne l’a même pas mentionnée dans sa requête en radiation. Les parties ne font référence à aucune doctrine ou jurisprudence propre au droit applicable dans la province de Québec.
- Lorsque la Cour a interrogé les avocats sur ce point, les avocats qui représentent le Canada ont répondu que l’article 1457 du CcQ n’était qu’une simple codification du délit de négligence de la common law, tandis que les avocats des demandeurs ont déclaré que cet article était analogue au devoir de diligence de la common law. Malheureusement, aucune de ces deux affirmations ne permet de saisir les nombreuses différences qui existent entre les deux régimes juridiques applicables aux affaires de droit privé au Canada. Aussi, à supposer que la Cour eût conclu que la cause d’action fondée sur la négligence était établie, elle aurait hésité à y inclure les membres du groupe résidant dans la province de Québec, puisqu’aucun argument n’a été présenté pour étayer une cause d’action fondée sur le CcQ.
- Les demandeurs soutiennent que la relation employeur-employé entre le Canada et les demandeurs, ainsi que les membres putatifs du groupe visé par le recours collectif, s’étend au-delà des relations normales de travail et crée une obligation de fiduciaire. Puisque le Canada exerce un contrôle et un pouvoir discrétionnaire significatifs sur ses employés, et qu’il est en contact permanent avec eux, leur relation se caractérise par la confiance et la dépendance. Les demandeurs ajoutent que la nature des obligations du Canada envers le public en matière de prestation de services publics crée également une obligation fiduciaire et juridique unique envers le public. En raison de cette obligation de fiduciaire, les demandeurs et les membres putatifs du groupe visé par le recours collectif nourrissaient des attentes raisonnables quant au fait que le Canada agirait au mieux de leurs intérêts, à savoir qu’il leur garantirait un traitement respectueux, juste et équitable et qu’il n’aurait pas activement recours à des pratiques discriminatoires préjudiciables. Les demandeurs affirment que le Canada a manqué à son obligation de fiduciaire en mettant en œuvre une pratique qui exclut les employés noirs.
- Dans l’arrêt Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24 [Elder Advocates], la Cour suprême énonce les critères pour établir l’existence d’une obligation fiduciaire ad hoc. Pour qu’une telle obligation existe, le bénéficiaire doit afficher un certain degré de vulnérabilité aux actions du fiduciaire. Il doit également y avoir un engagement de la part du fiduciaire à agir dans le meilleur intérêt du présumé bénéficiaire. De plus, une personne ou un groupe de personnes définies doivent être vulnérables au contrôle du fiduciaire. Enfin, il doit exister un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable.
- Dans l’arrêt Elder Advocates, la Cour suprême a également établi qu’une déclaration alléguant le manquement à une obligation de fiduciaire ne peut être viable que si le demandeur plaide des faits substantiels qui, tenus pour avérés, rempliraient les conditions pour établir une relation fiduciaire ad hoc. Les actes de procédure doivent être en mesure d’étayer la conclusion selon laquelle le fiduciaire s’est engagé délibérément à agir aux mieux des intérêts du bénéficiaire. Ils doivent démontrer que, relativement à l’intérêt juridique particulier en jeu, le fiduciaire a renoncé aux intérêts de toutes les autres parties en faveur de ceux du bénéficiaire (Elder Advocates, aux para 30-31).
- La relation employeur-employé est intrinsèquement une relation commerciale dans laquelle les intérêts de l’employeur et ceux de l’employé s’opposent souvent. À ce titre, chaque partie reconnaît et accepte que l’autre partie agisse dans son propre intérêt (Robertson v Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc, 2011 MBCA 4 au para 76; Graphic Communications International Union Local 255-C v Unisource Canada Inc, 1996 ABCA 137 aux para 19-20; Basyal v Mac’s Convenience Stores Inc, 2018 BCCA 235 aux para 75-76).
- Dans la décision Professional Institute of the Public Service of Canada v Canada (Attorney General), 2010 ONCA 657, confirmée par l’arrêt 2012 CSC 71, des syndicats et des associations représentant des fonctionnaires, des membres de la GRC et des FAC ont soutenu que le gouvernement avait manqué à ses obligations fiduciaires envers les demandeurs en « amortissant » les surplus actuariels des comptes de pension de retraite administrés par le gouvernement du Canada et créés sous le régime de différentes lois. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’affirmation selon laquelle des obligations fiduciaires s’appliquaient dans ces circonstances :
[TRADUCTION]
[95] Dans le contexte des présents appels, je ne considère pas qu’il était raisonnable de la part des membres des régimes de pension de s’attendre à ce que le gouvernement agisse au mieux de leurs intérêts dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Rien n’indique dans les lois sur les pensions de retraite (ou dans d’autres lois qui ont une incidence sur les régimes de pension et l’exercice du pouvoir discrétionnaire) que le gouvernement est tenu d’agir uniquement au profit, ou dans l’intérêt, des membres des régimes. […] Le gouvernement n’a pas non plus signé d’entente ou de promesse le poussant à agir uniquement pour les membres des régimes ou dans leurs intérêts. Assurément, la relation d’emploi entre le gouvernement et les membres des régimes ne donne pas lieu à une telle obligation.
- Confirmant la décision de la Cour d’appel, la Cour suprême a énoncé qu’aucune obligation fiduciaire n’était due aux employés du gouvernement (membres des régimes) – puisque l’imposition d’une telle obligation se heurterait au devoir du gouvernement d’agir dans l’intérêt de la société en général (Institut professionnel de la fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2012 CSC 71 au para 142). Cet énoncé est conforme au préambule de la Loi sur les relations de travail qui fixe l’un des principes reconnus par le législateur, à savoir que « le régime de relations patronales-syndicales de la fonction publique doit s’appliquer dans un environnement où la protection de l’intérêt public revêt une importance primordiale ».
- Le fait que les demandeurs et les membres putatifs du groupe visé par le recours collectif sont ou ont été [traduction] « assujettis au fait d’être constamment en contact avec le gouvernement du Canada et supervisés ou dirigés par ce dernier » et le fait qu’ils remplissent ou « remplissaient des obligations de service public et exerçaient des fonctions officielles dans le cadre de leur travail » ne créent pas une obligation de fiduciaire en leur faveur.
- La Loi sur l’équité en matière d’emploi, le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et d’autres politiques de la CFP ne créent pas non plus d’obligation de fiduciaire. Tous ces instruments énoncent les principes qui devraient régir la dotation au sein de la fonction publique. Ils n’enjoignent pas le gouvernement à agir dans le meilleur intérêt des demandeurs et des membres putatifs du groupe visé par le recours collectif, au détriment d’autres groupes ou de la société en général. Dans le contexte de la fonction publique fédérale, il incombe aux agents négociateurs de la fonction publique de représenter les intérêts des fonctionnaires ou des groupes d’employés. Les agents négociateurs représentent les intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives et ont un rôle à jouer dans la résolution des problèmes en milieu de travail et des conflits de droits.
- Pour ces motifs, je suis d’avis que l’allégation de manquement à l’obligation de fiduciaire n’est pas viable et qu’aucune cause d’action n’a été suffisamment étayée pour justifier l’autorisation de la présente instance comme recours collectif.
- Hormis quelques simples allégations, selon lesquelles le Canada a manqué à ses obligations contractuelles envers les demandeurs, ces derniers donnent peu de détails sur cette cause d’action dans la déclaration. Cependant, je suis d’accord avec le Canada pour dire que, lus dans leur ensemble, les torts allégués dans la déclaration prennent deux formes : (1) le défaut d’embaucher des candidats noirs ayant postulé à des postes au sein des 99 entités de l’APC, des organismes distincts et des autres organisations du gouvernement fédéral; (2) l’échec de ces 99 entités à promouvoir les employés noirs déjà en poste.
- Le premier tort allégué ne peut donner lieu à une violation de contrat, puisqu’il n’existe aucune obligation contractuelle entre un employeur potentiel et une personne qui postule sur un poste, cette dernière cherchant simplement à signer un contrat de travail.
- Pour analyser le second tort allégué, il convient de se reporter aux catégories d’employés et de membres auxquelles appartiennent les demandeurs et les membres putatifs du groupe visé par le recours collectif (fonctionnaires – membres de la GRC ou des FAC).
- Les fonctionnaires syndiqués (qui représentent la grande majorité des demandeurs et des membres putatifs du groupe visé par le recours collectif) ne peuvent présenter de recours individuels fondés sur une violation de contrat de la part de leur employeur. Comme l’a conclu la CAF dans l’affaire Greenwood CAF (en s’appuyant sur l’arrêt Syndicat Catholique des Employés de Magasins de Québec Inc v Paquet Ltée, [1959] SCR 206, rendu par la COUR SUPRÊME) :
[104] […] dans le cas d’employés assujettis à une convention collective, les parties à la convention sont l’employeur et le syndicat. Les contrats d’emploi individuels n’y ont pas leur place. Les recours concernant des manquements au contrat présen[tés] par des employés syndiqués, ou contre eux, ne peuvent donc pas être accueillis.
- Ce cas de figure s’applique également aux membres de la GRC depuis leur syndicalisation.
- Enfin, dans le cas des fonctionnaires non syndiqués, bien qu’ils signent un contrat de travail avec la Couronne, c’est la loi, non ce contrat de travail, qui régit les questions relatives à la promotion, à la démission et à la cessation d’emploi. Comme nous l’avons vu plus haut, les questions relatives à la gestion des ressources humaines sont régies par la LGFP, tandis que la Loi sur l’emploi régit les nominations. Comme il en a également été question plus haut, tout recours offert à un candidat non retenu pour une promotion doit être exercé par l’intermédiaire du régime particulier prévu par la Loi sur l’emploi, non par l’intermédiaire d’une action au civil pour violation de contrat.
- Comme cela a été mentionné dans la décision Greenwood CAF, avant d’être syndiqués, les membres de la GRC n’avaient pas de contrat de travail. Ils étaient titulaires d’une charge légale et non des employés (Greenwood CAF, au para 156).
- Enfin, dans l’affaire Gligbe c Canada, 2016 CF 467 [Gligbe], la Cour a examiné la jurisprudence existante et a confirmé que les membres des FAC servent à titre amovible. Ils ne sont pas liés à la Couronne par un contrat de travail (Gligbe, au para 13).
- Par conséquent, puisque la majorité des demandeurs et des membres putatifs du groupe visé par le recours collectif ne possèdent pas de contrat individuel, ou en l’absence d’obligation contractuelle particulière pour les quelques personnes qui jouissent d’un tel contrat, les actes de procédure ne révèlent pas une cause d’action valable pour violation de contrat.
- La condition qu’il existe « un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes » requiert l’application d’un critère objectif qui ne dépend pas de l’issue du litige. La définition du groupe est appropriée si on ne pourrait lui donner une définition plus étroite sans exclure arbitrairement des personnes ayant le même intérêt dans le règlement des questions communes (Hollick c Toronto (Ville), 2001 COUR SUPRÊME 68 au para 18 [Hollick]; Wenham, aux para 66-69).
- Les demandeurs font valoir que la définition du groupe a été adaptée pour tenir compte des préjudices précis énoncés dans leur déclaration et de leurs impacts sur les fonctionnaires noirs et sur les candidats noirs à un poste au sein de la fonction publique fédérale.
- Les demandeurs déclarent tout d’abord que la date de début retenue pour la définition du groupe se justifie par : i) l’entrée en vigueur en 1970 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée le 21 décembre 1965 par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2106 A (XX); ii) l’entrée en vigueur en 1976 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2200 A (XXI) (RTNU, vol 999, p 171); et iii) l’adoption en 1985 de la Loi sur le multiculturalisme canadien, LRC (1985), c 24 (4e supp).
- Pourtant, à l’audience, lorsqu’ils ont été invités à définir [traduction] « la pratique généralisée d’exclusion des employés noirs » qui est contestée, les demandeurs ont associé cette pratique aux modifications de 2005 de la Loi sur l’emploi ainsi qu’au modèle de sous-délégation introduit à ce moment-là pour permettre de déléguer aux administrateurs généraux, voire aux niveaux de gestion inférieurs, le pouvoir de la CFP de nommer les fonctionnaires. Selon les demandeurs, ce modèle de sous-délégation accroît la subjectivité, laquelle alimente à son tour la discrimination à l’encontre des employés noirs.
- La date de début pour définir le groupe devrait donc être fixée, au mieux, à l’année 2005, plutôt qu’à l’année 1970. Pour que la présente déclaration puisse être autorisée comme recours collectif, la Cour devrait également examiner les éléments de preuve capables de justifier le début de la période visée par le recours collectif pour chacun des demandeurs, puisqu’on ne peut extrapoler au-delà de la date pour laquelle il existe un certain fondement factuel (Greenwood CAF, au para 133).
- Le principal problème que pose la définition du groupe visé par le recours collectif est qu’elle touche au fond du litige. La définition englobe toutes les personnes noires qui se sont vu refuser des possibilités d’emploi et de promotion en raison de leur race.
- Dans l’affaire Cirillo v Ontario, 2021 ONCA 353, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la causalité touche intrinsèquement au fond du litige et que, par conséquent, les membres d’un tel groupe ne sont pas suffisamment identifiables.
- En l’espèce, la Cour serait contrainte d’évaluer toutes les pratiques idiosyncratiques d’embauche ou de promotion afin de délimiter le groupe, ou il reviendrait aux membres putatifs du groupe visé par le recours collectif’ de définir le groupe sur la base de leur seule évaluation des raisons pour lesquelles ils se sont vu refuser une embauche ou une promotion. En d’autres termes, on ne peut déterminer de manière objective l’appartenance d’une personne au groupe visé par le recours collectif avant que sa réclamation individuelle ne soit tranchée.
- Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ce point porte un coup fatal au recours collectif des demandeurs.
- Le même raisonnement s’applique à l’argument des demandeurs selon lequel leur définition du groupe pourrait être interprétée comme étant fondée sur la réclamation plutôt que sur le fond du litige. Les demandeurs expliquent que cette définition pourrait être lue comme englobant [traduction] « toutes les personnes noires qui se sont vu refuser des possibilités d’embauche et de promotion en raison de leur race ».
- Comme l’a énoncé la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Ragoonanan v Imperial Tobacco Canada Ltd, 2005 CanLII 40373 (ONSC) :
[TRADUCTION]
[45] S’il était possible de définir un groupe en fonction des personnes qui allèguent qu’une ou plusieurs questions individuelles devraient être tranchées en leur faveur, il y a de fortes chances qu’il n’y aurait plus personne dans ce groupe – et aucune personne liée par la décision – si les questions communes étaient tranchées en faveur du défendeur. Les personnes qui n’ont pas formulé une telle allégation pourraient, pour ce motif, résister, lors d’instances subséquentes, au moyen de défense fondée sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Dans un recours collectif pour dommages-intérêts, pour violation de contrat, par exemple, la décision rendue au terme de l’instruction des questions communes, selon laquelle il n’existait pas de contrat, pourrait être ignorée par les membres putatifs du groupe visé par le recours collectif qui n’ont jamais été appelés à faire une réclamation et qui intentent par la suite une instance pour obtenir une réparation de nature restitutoire ou une réparation en equity indépendante de la preuve des dommages.
[46] Par conséquent, et en dépit de la retenue dont il faut faire preuve envers les juges qui ont exprimé des opinions contraires dans d’autres ressorts, je ne crois pas que l’on puisse en l’espèce éviter le problème des définitions touchant au fond du litige en remplaçant le lien de causalité dans les faits par le fait que le lien de causalité puisse être allégué ou revendiqué – à un moment non défini – par un membre putatif du groupe visé par le recours collectif.
- La Cour du Banc du Roi de l’Alberta a adopté une approche semblable dans la décision Paron v Alberta (Environmental Protection), 2006 ABQB 375. Le demandeur cherchait à faire autoriser une action comme recours collectif qui comprendrait tous les résidents de l’Alberta dont les terres étaient menacées en raison de l’exploitation de l’eau d’un lac par une centrale électrique. Là encore, la Cour a conclu qu’il faut se garder d’utiliser des critères subjectifs ou qui touchent au fond du litige pour définir un groupe visé par un recours collectif.
- Par conséquent, je suis d’avis que la définition du groupe, telle qu’elle est articulée par les demandeurs, n’est pas suffisamment objective et que les membres du groupe ne sont pas facilement identifiables, notamment au regard des 99 entités de l’APC, organismes distincts et autres organisations du gouvernement fédéral et de la période de 55 ans (ou de 20 ans) visée par le recours collectif.
- Le recours collectif est un régime à option de retrait. Ainsi, les membres du groupe doivent pouvoir être identifiés sur la base de critères objectifs afin qu’ils puissent recevoir un préavis suffisant et avoir la possibilité de s’exclure du groupe.
- Enfin, il n’y a aucun fondement factuel au groupe de familles dérivé puisqu’aucun demandeur n’a été proposé pour représenter ce groupe.
- L’alinéa 334.16(1)c) des Règles prévoit que « les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre ». Le seuil requis pour satisfaire à cette condition est peu élevé (Vivendi Canada Inc c Dell’Aniello, 2014 CSC 1 au para 72).
- Dans l’arrêt Pro-Sys Consultants, la Cour suprême a confirmé le fait que les cours doivent aborder le sujet des points communs en fonction de l’objet et que ces points communs doivent être lus à la lumière de la déclaration dans son ensemble. La résolution d’un point commun devrait faire avancer le litige et éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique. Il n’est pas nécessaire que la résolution des points communs règle les demandes de chaque membre du groupe. Le fait que des points individuels importants subsistent après le règlement des points communs n’empêche pas l’autorisation.
- Les demandes des membres du groupe doivent toutefois partager un élément commun important afin de justifier le recours collectif. Pour décider si des questions communes motivent un recours collectif, le tribunal peut avoir à évaluer l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles (Western Canadian Shopping Centres Inc c Dutton, 2001 CSC 46 au para 39 [Western Canadian Shopping Centres]).
- Les Règles prévoient que la Cour autorise une instance comme recours collectif en dépit de la présence d’un ou plusieurs des motifs ci-après : i) les réparations demandées exigeraient des évaluations individuelles des dommages-intérêts; ii) les réparations demandées portent sur des contrats distincts; iii) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe; iv) il existe au sein du groupe identifié un sous-groupe de membres dont les réclamations ou défenses soulèvent des points communs que ne partagent pas tous les membres du groupe.
- Les demandeurs cherchent à faire autoriser les questions communes suivantes (annexe D de leur mémoire) :
[traduction]
a) Du fait de sa gestion de la fonction publique fédérale ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a-t-il manqué à une obligation de diligence envers les membres du groupe de les protéger contre tout préjudice?
b) Du fait de sa gestion de la fonction publique fédérale ou du fonctionnement de cette dernière, le défendeur a-t-il manqué à une obligation fiduciaire envers les membres du groupe de les protéger contre tout préjudice?
c) Les actes du défendeur ont-ils violé le droit des membres du groupe à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, le sexe ou l’origine ethnique, droit garanti par les articles 15, 27 et 28 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que par les articles 10, 10.1 et 16 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne?
d) Si la réponse à la question commune c) est « oui », les actions du défendeur sont-elles justifiées aux termes de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et le cas échéant, dans quelle mesure et pour quelle période?
e) Si la réponse à la question commune c) est « oui », mais que la réponse à la question commune d) est « non », quelle est la réparation convenable et juste visée aux articles 24 et 52 de la Constitution?
f) Le défendeur a-t-il, par sa conduite, manqué à ses obligations contractuelles et extracontractuelles envers les membres du groupe?
g) La conduite du défendeur s’est-elle traduite par le défaut injustifié d’embaucher et de promouvoir des employés noirs de la fonction publique et, le cas échéant, quels dommages-intérêts en résultent?
h) Si vous avez répondu par l’affirmative à une ou plusieurs des questions communes ci-dessus, le montant des dommages-intérêts à payer par le défendeur peut-il être fixé globalement?
i) La conduite du défendeur était-elle autoritaire ou outrageante au point qu’elle devrait être dénoncée et devrait justifier l’adjudication de dommages-intérêts moraux, majorés ou punitifs? Si des dommages globaux généraux, majorés, moraux ou punitifs sont appropriés, quelle serait la valeur indiquée de cette réparation?
j) Les actions du défendeur justifient-elles une ordonnance qui impose l’élaboration d’un plan pour la promotion de la justice et de l’équité pour les fonctionnaires axé sur l’embauche et la promotion d’employés noirs au sein de la fonction publique canadienne et sur des thématiques connexes, afin de réparer les préjudices causés aux membres du groupe?
k) Les actions du défendeur et le défaut de mettre en œuvre un programme sensible aux aspects culturels pour répondre aux besoins de santé physique et mentale des membres du groupe justifient-ils la prise d’une ordonnance pour créer un fonds afin de financer un tel programme?
- Les questions a, b, c, d et f concernent la responsabilité du Canada et la question de savoir si les actions et la conduite du Canada et le fonctionnement de la fonction publique fédérale établissent une cause d’action. Le premier problème que soulèvent les questions communes proposées provient de l’absence d’éléments de preuve concernant 88 entités de l’APC, des organismes distincts et des organisations du gouvernement fédéral énumérés dans la déclaration. Aucun élément de preuve ou fondement factuel ne permet d’étayer les questions communes en lien avec ces entités, de la même façon qu’aucun représentant demandeur n’a formulé de demande à l’encontre de chacune de ces entités.
- Le second problème tient au fait que les incidents sur lesquels se fonde cette action – les décisions individuelles de ne pas embaucher et de ne pas promouvoir des personnes noires – n’illustrent pas une ligne de conduite unique ou « descendante » au sein des 99 entités au cours de la période visée par le recours collectif. Avant de s’intéresser aux questions communes envisagées, la Cour se verrait obligée de décomposer son analyse et d’examiner séparément les milliers de décisions de dotation au sein de chacune des entités fédérales pour la période visée par le recours collectif. La preuve qu’une décision en matière de dotation est entachée de discrimination raciale ne prouvera rien dans le cas des autres demandeurs ou membres putatifs du groupe visé par le recours collectif. Un membre du groupe qui aurait subi de la discrimination en raison de sa race a droit à une réparation, même si le modèle de sous-délégation ne constitue pas un manquement aux droits du demandeur.
- Inversement, le membre du groupe qui n’aurait pas fait l’objet de discrimination raciale, ou qui n’aurait pas été embauché ou promu parce qu’il ne remplissait pas l’une des exigences du poste, ne peut recevoir réparation, même s’il est avéré que le modèle de sous-délégation constitue un manquement aux droits du demandeur.
- Le préambule de la Loi sur l’emploi présente les raisons qui sous-tendent le modèle de sous-délégation. Parmi celles-ci figure le besoin de s’assurer que les décisions en matière de dotation échappent à toute influence politique :
Attendu : […] | ... |
qu’il demeure avantageux pour le Canada de pouvoir compter sur une fonction publique non partisane et axée sur le mérite et que ces valeurs doivent être protégées de façon indépendante; | Canada will continue to benefit from a public service that is based on merit and non-partisanship and in which these values are independently safeguarded; |
qu’il demeure aussi avantageux pour le Canada de pouvoir compter sur une fonction publique vouée à l’excellence, représentative de la diversité canadienne et capable de servir la population avec intégrité et dans la langue officielle de son choix; | Canada will also continue to gain from a public service that strives for excellence, that is representative of Canada’s diversity and that is able to serve the public with integrity and in their official language of choice; |
que la fonction publique, dont les membres proviennent de toutes les régions du pays, réunit des personnes d’horizons, de compétences et de professions très variés et que cela constitue une ressource unique pour le Canada; | The public service, whose members are drawn from across the country, reflects a myriad of backgrounds, skills and professions that are a unique resource for Canada; |
que le pouvoir de faire des nominations à la fonction publique et au sein de celle-ci est conféré à la Commission de la fonction publique et que ce pouvoir peut être délégué aux administrateurs généraux; | Authority to make appointments to and within the public service has been vested in the Public service Commission, which can delegate this authority to deputy heads; |
que ceux qui sont investis du pouvoir délégué de dotation doivent l’exercer dans un cadre exigeant qu’ils en rendent compte à la Commission, laquelle, à son tour, en rend compte au Parlement; […] | Those to whom this appointment authority is delegated must exercise it within a framework that ensures that they are accountable for its proper use to the Commission, which is in turn accountable to Parliament; … |
- Dans son affidavit daté du 23 septembre 2022, M. Michael Morin, directeur général, Direction des politiques et des orientations stratégiques, Secteur des politiques et des communications de la CFP, explique les raisons qui ont conduit aux modifications de 2005 de la Loi sur l’emploi :
[traduction]
27. En 2000, le vérificateur général a publié un rapport dans lequel il critiquait l’APC et le cadre de gestion des ressources humaines de l’époque d’être indument complexes, désuets et mal adaptés à un environnement qui exige de la souplesse et des facultés d’adaptation face à un marché du travail de plus en plus compétitif. Le vérificateur général a recommandé des changements dans le système de dotation, y compris le fait d’accroître le pouvoir des gestionnaires en matière de dotation et de les responsabiliser davantage quant à leurs décisions dans ce domaine.
- M. Michael Campion, expert en sélection du personnel au Canada, offre un aperçu des fondements du modèle de sous-délégation. Il déclare :
[traduction]
Le thème de la décentralisation des services des ressources humaines et de leurs fonctions, telles que le pouvoir en matière de dotation, a été largement étudié dans les documents sur la recherche et la pratique. Le degré de décentralisation ne se définit généralement pas en termes de dichotomie, mais se caractérise plutôt par l’existence d’au moins trois niveaux.
- L’expert poursuit sa description des systèmes centralisés, partiellement centralisés (assistés par le centre) et décentralisés. Le système partiellement centralisé est le système qui a été mis en œuvre dans le cadre de la Loi sur l’emploi et qui, selon M. Campion, est le plus répandu au sein des gouvernements du Canada et des autres pays qui lui ressemblent le plus, ainsi que dans la majorité des grandes organisations. C’est le système qui, de son point de vue, assure le mieux l’équilibre entre la standardisation et la souplesse :
[traduction]
Au sein de ce système, un service de dotation centralisé fournit les outils et les ressources aux gestionnaires responsables de l’embauche, tels que les tests qu’ils sont susceptibles d’utiliser, les entrevues, les conseils et généralement les politiques connexes, ainsi que la tenue des dossiers et éventuellement de l’aide au recrutement. Mais l’unité de travail individuelle ou le gestionnaire de l’embauche choisit le système qui lui convient le mieux et le met en œuvre par ses propres moyens, et peut être amené à solliciter l’aide de consultants externes. Cette pratique est souvent qualifiée de « modèle de services partagés » dans lequel se mélangent les systèmes centralisé et décentralisé.
- M. Campion explique également la tendance vers ce modèle de dotation et les nombreux avantages qu’il offre :
[TRADUCTION]
a) Les systèmes d’embauche sont adaptés aux emplois et au contexte, ce qui améliore la pertinence (justesse) du processus et la qualité subséquente des recrues. Les systèmes centralisés ne sont pas en mesure d’adapter les processus d’embauche à chacun des emplois au sein d’une grande organisation (ou aux divers types d’emplois affichés au sein des dizaines d’organisations de tailles différentes – aux mandats et fonctions distincts – que compte la fonction publique fédérale).
b) Les décisions en matière d’embauche sont prises par ceux qui connaissent le mieux le travail. Les gestionnaires sont généralement plus familiers que le personnel centralisé avec les connaissances et les compétences particulières qu’exige un emploi.
c) La réussite propre du gestionnaire responsable de l’embauche repose sur sa capacité à prendre de bonnes décisions en matière d’embauche, puisque les nouvelles recrues participeront à l’efficacité de l’unité de travail dont il a la charge. Par conséquent, le gestionnaire responsable de l’embauche devrait afficher une forte motivation à exceller dans l’embauche de nouveaux employés. Il doit également assumer la responsabilité des erreurs commises en matière d’embauche sans pouvoir en rejeter la faute sur le processus d’embauche centralisé.
d) Pour la même raison, le gestionnaire responsable de l’embauche prend une part active à la réussite des nouvelles recrues. Il y a de plus fortes chances qu’il se dévoue pour un nouvel employé s’il a pris part à son embauche.
- Les éléments de preuve apportés par M. Campion et par les témoins des faits pour le Canada (voir, par exemple, M. Jonathan Caron pour la GRC, Mme Amy Jarret pour SCC et Mme Tabatha Tranquilla pour la CCDP) montrent que la souplesse offerte par la Loi sur l’emploi permet également aux gestionnaires responsables de l’embauche de combler les écarts relatifs à l’équité en matière d’emploi. Il ressort également des éléments de preuve que les gestionnaires responsables de l’embauche sont tenus de suivre une formation obligatoire sur l’antiracisme et les biais (voir, par exemple, M. Matthew Lakodaris pour EDSC et le Lieutenant-Colonel Steven Champ pour les FAC).
- Les demandeurs ne remettent pas en cause la Loi sur l’emploi en soi, mais le modèle de sous-délégation et ses répercussions alléguées sur la sous-représentation des employés noirs. Il n’y a pourtant aucun fondement factuel qui permet d’établir un lien de cause à effet entre ces deux éléments.
- Par ailleurs, aucun fondement factuel ne montre que les pratiques de dotation étaient régulièrement et uniformément appliquées de façon subjective, arbitraire, partiale ou capricieuse dans l’ensemble des 99 entités. Dans le cadre du modèle de dotation délégué, chaque gestionnaire responsable de l’embauche est investi d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet, entre autres, d’élaborer des critères pour les méthodes de nomination et d’évaluation. Ainsi, il existe une très grande variété de pratiques dans l’ensemble de la fonction publique, qu’il s’agisse de processus objectifs structurés pouvant regrouper des centaines de candidats ou de processus très ciblés non structurés visant la recherche de compétences uniques précises.
- Les milliers de processus de dotation en jeu dans le présent recours collectif envisagé possèdent leur propre contexte factuel particulier. Quel régime légal encadrait le processus de dotation? Quel test a été réalisé? Quelles étaient les qualifications jugées essentielles pour le poste? Qui possédaient ces qualifications et qui ne les possédaient pas? Un jury de sélection était-il présent et, le cas échéant, quelle en était la composition? Le jury de sélection s’est-il montré, d’une façon ou d’une autre, partial? Combien de candidats ont pris part au processus? Quel candidat a été retenu et pour quelles raisons?
- Je partage l’opinion du défendeur dans sa réponse aux observations de l’intervenante – à savoir que les obligations du Canada en droit international ne changent pas l’analyse pour déchiffrer l’existence d’une question commune aux réclamations des demandeurs. Cette analyse devra être réalisée de manière individuelle, indépendamment du fait de savoir si le droit international constitue un outil d’interprétation utile pour analyser les droits de la personne à l’échelle nationale. De la même manière, il conviendrait d’examiner au cas par cas la réclamation de chacun des demandeurs concernant les processus individuels de dotation.
- En outre, une variété de facteurs, tels que la géographie ou le nécessité d’avoir des compétences particulières, peuvent influencer les processus de dotation : les retombées ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit d’embaucher dans un aéroport du Nunavut ou au sein de la Garde côtière dans les provinces maritimes, ou encore d’embaucher des scientifiques à Santé Canada. Par exemple, la GRC exige que ses membres aient suivi la formation sur le maniement sécuritaire des armes à feu, tout comme le JUS impose des conditions préalables – comme être membre du Barreau d’une province ou d’un territoire – pour certains postes.
- Il est important de noter que les demandeurs ne contestent pas des tests en particulier effectués par les entités de l’APC, les organismes distincts ou les autres organisations du gouvernement fédéral, ni les conditions préalables qui peuvent être nécessaires. Ils n’affirment pas non plus que ces tests ou conditions préalables sont intrinsèquement partiaux.
- L’ensemble de la présente affaire repose sur le fait que les demandeurs n’ont pas obtenu une promotion recherchée, ce qui les a privés d’une augmentation salariale et a empêché la bonification de leur droit aux prestations de retraite. Malheureusement, je suis d’avis que cette prémisse ne peut étayer la présente affaire.
- Les demandeurs s’appuient fortement sur l’Étude sur les taux de promotion des groupes désignés aux fins de l’équité en matière d’emploi [Étude] réalisée en 2019 par la CFP pour démontrer que le taux de promotion des employés noirs, comparé à celui de leurs collègues qui n’appartiennent pas aux minorités visibles, est de -4,8 %.
- Le fait que les demandeurs se soient largement fondés sur cette étude pose un premier problème. En effet, l’Étude s’intéresse uniquement aux taux de promotion au sein des entités régies par la Loi sur l’emploi; elle ne concerne donc pas l’ensemble du groupe.
- Cela dit, l’Étude analyse les données relatives aux promotions pour tous les ministères et organismes qui relèvent de la Loi sur l’emploi. Elle se divise en 3 parties :
a) une comparaison des données sur les groupes visés par l’équité en matière d’emploi et celles sur leurs collègues, laquelle s’échelonne entre le 1er avril 2005 et le 31 mars 2018 pour tous les fonctionnaires embauchés depuis le 1er avril 1991;
b) une observation des progrès relatifs aux taux de promotion des groupes visés par l’équité en matière d’emploi qui s’appuie sur l’analyse des taux de promotion des nouvelles recrues au cours de deux périodes : du 1er avril 1991 au 31 mars 2005, et du 1er avril 2005 au 31 mars 2018;
c) la représentation des groupes visés par l’équité en matière d’emploi en tant que candidats et la part proportionnelle des promotions pour des postes indéterminés au cours des exercices 2016-2017 et 2017-2018.
- L’une des principales conclusions de l’Étude est que, d’après les taux de promotion entre le 1er avril 2005 et le 31 mars 2018, les femmes ont un taux de promotion supérieur à celui des hommes (+4,8 %), il n’y a pas de différences perceptibles entre les minorités visibles et les autres minorités non visibles (+0,6 %), et les Autochtones et les personnes handicapées affichent des taux de promotion inférieurs aux autres (-7,5 % et -7,9 %, respectivement).
- Mme Adele Furrie, la statisticienne dont l’affidavit a été déposé par les demandeurs, affirme qu’une fois que l’on désagrège la catégorie « minorités visibles » en sous-catégories, les données montrent que comparés aux personnes qui n’appartiennent pas à la catégorie « minorités visibles » :
[TRADUCTION]
a) le taux de promotion des fonctionnaires noirs est de -4,8 %;
b) le taux de promotion des fonctionnaires noirs entre le niveau de cadre et le niveau juste en dessous de ce dernier est de ‑17,8 %;
c) les fonctionnaires noirs obtiennent le plus de promotions dans la catégorie professionnelle « technique » (taux de promotion de +4,1 %) et obtiennent le moins de promotions dans la catégorie professionnelle « soutien administratif » (taux de promotion de -7,6 %);
d) les fonctionnaires noirs sont promus à un taux comparable à leur poids démographique au sein de la fonction publique (ils représentent +2,8 % des fonctionnaires et 2,9% d’entre eux sont promus), mais sont promus à un taux inférieur à leur taux de candidatures (ils sont +5,1 % à postuler pour obtenir une promotion);
e) en moyenne, les fonctionnaires noirs sont promus plus rapidement que les personnes n’appartenant pas à la catégorie « minorités visibles » (3,67 années avant la première promotion et 3,8 années avant la seconde promotion concernant les fonctionnaires noirs, contre 3,76 années avant la première promotion et 4,27 années avant la seconde promotion pour les personnes n’appartenant pas à la catégorie « minorités visibles »);
f) la proportion de fonctionnaires qui n’ont pas été promus au cours de la période étudiée (2005 à 2018) est semblable dans le sous-groupe « personnes noires » et dans la catégorie « Pas une minorité visible » (35,4 % et 34,6 %, respectivement);
g) en moyenne, depuis 1991, les fonctionnaires noirs ont été promus à un rythme semblable à celui des personnes n’appartenant pas à la catégorie « minorités visibles » (les fonctionnaires noirs ont été promus après chaque 1,08 année alors que les personnes n’appartenant pas à la catégorie « minorités visibles » ont été promues chaque 1,16 année).
- Mme Angela Henry, qui a travaillé pour le SCT pendant près de 20 ans et a occupé le poste d’analyste de politique au sein de la Division de l’équité en matière d’emploi du SCT de 1998 à 2003, explique dans son affidavit que les données compilées sur les sous-groupes sont issues de déclarations volontaires. Les employés n’étaient pas tenus de remplir le formulaire ni de s’auto-identifier à un sous-groupe. Aussi, il est impossible de mesurer le taux de réponse véridique ou la véritable représentation du groupe désigné au sein de la main-d’œuvre, particulièrement lorsque l’on s’intéresse aux périodes antérieures. Par conséquent, il faut considérer les chiffres de l’Étude comme représentant le nombre d’employés noirs minimum au cours d’une période donnée.
- Mme Henry a annexé un tableau (pièce J) à son affidavit qui illustre la répartition des employés au sein de l’APC en date du 31 mars 2021. La colonne 3 montre le pourcentage d’employés noirs selon le ministère ou l’organisme distinct. Il convient de noter l’absence de similitudes entre ces entités. Par exemple, on note 6,2 % d’employés noirs pour EDSC, 2 % pour le MDN, 2,6 % pour SCC et 4,7 % pour Services publics et Approvisionnement Canada.
- Lors du contre-interrogatoire, la plupart des demandeurs qui ont travaillé pour plus d’une organisation fédérale ont confirmé que, même s’il pouvait exister des obstacles à la promotion dans une organisation, ils n’en avaient pas nécessairement fait l’expérience au sein des autres organisations. Dans certains cas, il existait même des disparités entre les différents milieux de travail et lieux géographiques au sein de la même organisation.
- Encore une fois, ces disparités pourraient s’expliquer de diverses façons. Mme Supriya Edwards, de Statistique Canada, fournit un exemple dans sa réponse à l’un des affidavits des demandeurs. Mme Shalane Rooney affirmait qu’il n’y avait aucun employé noir aux postes de supervision et seulement un employé noir au sein du bureau régional de Sturgeon Falls. Toutefois, les éléments de preuve montrent que les intervieweurs et les superviseurs devaient travailler localement, et le recensement pour cette année-là indiquait que 98,9 % de la population de cette municipalité s’identifiait comme n’appartenant pas au groupe des minorités visibles.
- M. Jarod Dobson, employé lui aussi par Statistique Canada, a déclaré que, pour le recensement de 2021, les personnes noires âgées de 15 ans et plus au Canada représentent 3,49 % de la population totale (3,9 % si l’on s’appuie sur la définition des Canadiens noirs utilisée par Mme Furrie), et que ce pourcentage a augmenté de manière significative au fil du temps. M. Dobson a également rapporté que l’âge médian est de 40,7 ans pour la population canadienne totale, contre 29,6 ans pour la population noire. Par conséquent, la population noire est relativement jeune par rapport au reste de la population canadienne, ce qui se répercute sur l’ancienneté.
- De plus, le pourcentage de candidats noirs disponibles varie inévitablement entre les concours. Par exemple, lorsque le JUS embauche des avocats, le bassin réel est celui des candidats noirs diplômés en droit et accrédités pour exercer le droit dans la province d’embauche.
- Enfin, contrairement à l’Étude, une étude de suivi couvrant la période de 2008 à 2021 a désagrégé les données en sous-catégories. Dans cette dernière, le sous-groupe des employés noirs affichait un taux de promotion relatif statistiquement équivalent à celui des employés n’appartenant pas à la catégorie « minorités visibles ». Bien que ces données aient été fournies par Mme Adele Furrie, la statisticienne dont l’affidavit a été déposé par les demandeurs, elle n’a pas jugé approprié de modifier son rapport ou de soumettre un rapport additionnel. Lors de son contre-interrogatoire, Mme Furrie a confirmé qu’elle n’utilisait plus ces statistiques. Par conséquent, sa conclusion générale selon laquelle les employés noirs sont sous-représentés au sein de la fonction publique fédérale est caduque à la lumière du seuil de preuve d’ « un certain fondement factuel » de la requête en autorisation.
- Le défendeur (pas les demandeurs) a présenté des éléments de preuve concernant les différents systèmes de dotation des 11 organisations au sein desquelles les demandeurs travaillent ou ont travaillé. Bien qu’il revienne aux demandeurs de prouver qu’il existe un certain fondement factuel pour l’ensemble des 99 entités de l’APC, les organismes distincts et les autres organisations du gouvernement fédéral, ils ne l’ont pas fait. Il n’existe donc aucun élément de preuve concernant les systèmes de dotation de 88 entités de l’APC.
- Je conclus à l’absence de question commune qui permettrait de faire avancer de manière significative les réclamations du groupe et à la prépondérance des points individuels sur les questions communes. Seule une évaluation individuelle des circonstances pertinentes propres à chaque membre du groupe permettrait à la Cour de déterminer l’existence d’une cause d’action valable.
- Une fois de plus, cela ne veut pas dire que la discrimination n’existe pas ou que les employés noirs ne sont pas sous-représentés dans certains secteurs de la fonction publique, mais simplement qu’une telle conclusion ne peut s’appliquer de façon générale à l’ensemble de la fonction publique, ou que cette sous-représentation résulte du modèle de sous-délégation. À mon avis, cette affaire ne soulève pas suffisamment de questions communes pour faire l’objet d’un recours collectif.
- L’alinéa 334.16(1)d) des Règles prescrit que le recours collectif soit le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs. Le paragraphe 334.16(2) des Règles énumère de façon non exhaustive les facteurs à prendre en compte pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les questions en litige (Canada c M. Untel, 2016 CAF 191 au para 26).
- Le critère du meilleur moyen repose sur deux concepts centraux : premièrement, que le recours collectif soit un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance; deuxièmement, que le recours collectif soit préférable à tous les moyens raisonnables offerts pour régler les questions proposées. Lorsque l’on s’interroge sur le meilleur moyen de régler un différend, il convient d’examiner l’importance des questions communes dans le contexte général de l’action. Or, le critère du meilleur moyen sera rempli même lorsqu’il reste des questions importantes à déterminer d’un point de vue individuel (AIC Limitée c Fischer, 2013 COUR SUPRÊME 69 au para 23).
- L’analyse relative au meilleur moyen s’effectue à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif, à savoir l’accès à la justice, l’économie des ressources judiciaires et la modification des comportements (Western Canadian Shopping Centres; Hollick, au para 15; Paradis Honey Ltd c Canada, 2017 CF 199 au para 96).
- Si j’avais conclu, d’une part, que la Cour avait compétence pour entendre l’action et, d’autre part, que la demande remplissait les quatre autres conditions pour que l’instance soit autorisée comme recours collectif – en particulier, qu’elle soulevait des questions communes, j’aurais également conclu que le recours collectif était le meilleur moyen pour régler ces questions communes. Puisque tel n’est pas le cas, et puisque cette condition est intimement liée aux quatre autres conditions (en fait, les avocats des parties revisitent la majeure partie de leurs observations antérieures lorsqu’ils traitent la condition du meilleur moyen), il n’y a pas lieu d’en dire plus.
- Les représentants demandeurs proposés n’ont pas besoin de correspondre au demandeur type du groupe ni d’être les meilleurs représentants possibles. Toutefois, la Cour doit être convaincue que les représentants demandeurs proposés défendront vigoureusement et habilement les intérêts des membres du groupe (Canada c M. Untel, 2016 CAF 191 au para 75).
- Tous les représentants demandeurs proposés sont membres du groupe putatif visé par le recours collectif ainsi que d’anciens employés ou des employés actuels de 11 entités différentes de l’APC, d’organismes distincts et d’autres organisations du gouvernement fédéral. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire qu’ils ont montré qu’ils comprennent les devoirs d’un représentant demandeur et qu’ils sont disposés à agir dans l’intérêt des membres du groupe. Par ailleurs, ils ont apporté des éléments de preuve personnels de leurs expériences au sein de la fonction publique et des exemples de la discrimination raciale qu’ils ont subie, notamment en ce qui concerne les pratiques de dotation inhérentes aux processus d’embauche et de promotion. Ils s’expriment également sur les préjudices dont ils ont été victimes en raison de cette discrimination.
- Les demandeurs ont élaboré un plan de déroulement de l’instance qui précise qu’ils poursuivront l’instance et rempliront leurs obligations en tant que représentants demandeurs. Ce plan décrit également les étapes du contentieux et confirme le fait que les objectifs du recours collectif seront favorisés par l’autorisation. Les représentants demandeurs proposés n’ont pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points communs soulevés par leur déclaration.
- Outre son argument selon lequel la Cour n’a pas compétence pour entendre les allégations personnelles de chaque demandeur, le défendeur conteste surtout le plan de déroulement de l’instance proposé par les demandeurs. Il soulève des arguments semblables à ceux avancés précédemment : les demandeurs ne présentent aucun fait substantiel concernant la prétendue pratique discriminatoire; ils ne parviennent pas à identifier quelles personnes ou quelles entités parmi les 99 entités de l’APC, les organismes distincts et les autres organisations du gouvernement fédéral (ce dernier étant traité comme une seule entité monolithique par les demandeurs) ont supposément mis en œuvre de telles pratiques, etc.
- Les deux parties ont présenté l’affaire qui nous occupe comme l’un des recours collectifs les plus importants de tous les temps. On se serait donc attendu à un plan de déroulement de l’instance qui aurait permis d’autoriser le recours collectif de façon aisée et équitable.
- Comme l’a mentionné la Cour dans la décision Kahnapace :
[traduction]
[227] Je reconnais qu’à l’étape de l’autorisation, le plan de déroulement de l’instance ne doit pas être examiné à l’excès, étant donné qu’il s’agit d’un document en constante évolution qui peut être modifié au fur et à mesure du déroulement du contentieux. Cependant, le plan de déroulement de l’instance doit montrer que les représentants demandeurs ont réfléchi au déroulement de l’instance et qu’ils en saisissent les complexités. À tout le moins, le plan de déroulement de l’instance fourni par le représentant demandeur proposé doit permettre au juge saisis de la requête de décider s’il y a lieu de confier au représentant demandeur la responsabilité de poursuivre l’instance pour le compte des membres du groupe.
[Renvois omis.]
[228] Bien qu’aucune règle décrivant les conditions d’un plan de déroulement de l’instance adéquat n’existe, la nature, la portée et la complexité du contentieux en particulier détermineront le niveau de détail requis d’un plan de déroulement de l’instance et la jurisprudence a établi la liste non exhaustive suivante des questions à traiter dans un plan de déroulement de l’instance :
1. les mesures qui seront prises pour déterminer l’identité des témoins nécessaires, les trouver et recueillir leur preuve;
2. la collecte des documents pertinents auprès des membres du groupe et d’autres personnes;
3. l’échange et la gestion des documents produits par toutes les parties;
4. la remise d’un rapport régulier aux membres du groupe;
5. les mécanismes permettant de répondre aux questions des membres du groupe;
6. la probabilité qu’un interrogatoire préalable soit tenu auprès de certains membres du groupe et, dans l’affirmative, la procédure envisagée à cette fin;
7. la nécessité de recourir à des experts et, dans l’affirmative, les mesures à prendre pour les trouver et retenir leurs services;
8. les mesures envisagées pour résoudre les questions individuelles qui demeureront encore en litige après le règlement des questions communes, le cas échéant,
9. la façon dont les indemnités et autres formes de réparation seront évaluées ou déterminées une fois que les questions communes auront été tranchées.
(Voir la décision Nation crie de Samson [c Nation crie de Samson (Chef et conseil), 2008 CF 1308] aux para 150-151)
- Or, le plan de déroulement de l’instance présenté par les demandeurs est bref et n’aborde pas, par exemple, la nécessité de retenir les services d’experts, les étapes pour identifier les membres de ce recours collectif extrêmement vaste et pour rassembler leurs éléments de preuve, ou encore les modalités envisagées par les demandeurs pour résoudre les points individuels une fois les questions communes réglées – lesquelles, comme je le souligne plus haut, sont nombreuses dans la présente affaire. Comme c’était le cas dans l’affaire Kahnapace, le plan de déroulement de l’instance ressemble plus à un document modèle contenant peu d’informations relatives à la présente affaire, qui est excessivement vaste dans sa portée et complexe dans sa nature.
- Alors que l’affaire qui nous occupe est présentée comme un recours collectif de 2,5 milliards de dollars, la section du plan de déroulement de l’instance concernant les dommages-intérêts indique simplement :
[traduction]
19. À supposer qu’une ou plusieurs questions communes soient tranchées en faveur des demandeurs, ces derniers proposent les méthodes suivantes pour évaluer le montant des dommages-intérêts et pour les distribuer aux membres du groupe :
- dommages-intérêts globaux à distribuer selon une méthode qui devra être déterminée par la Cour.
Les demandeurs souhaitent qu’une évaluation globale de la réparation pécuniaire figure comme question commune. Si des dommages-intérêts globaux ne sont pas adjugés, ou si la Cour conclut qu’il convient de mener des évaluations en plus de la décision au sujet des dommages-intérêts globaux, il pourrait s’avérer nécessaire d’établir une procédure conformément à l’article 334.28 des Règles, pour déterminer les dommages individuels des membres du groupe, ou toute autre question individuelle telle que précisée par la Cour.
20. Les parties se réuniront dans les quatre-vingt-dix jours à compter de la date du jugement rendu sur les questions communes pour prévoir, conformément à l’article 334.26 des Règles, la manière appropriée de statuer sur les points individuels, le cas échéant.
21. Lors de l’audience, les deux parties seront libres de présenter des observations concernant la procédure à suivre pour statuer sur les points individuels.
- Alors qu’il s’agit d’un recours collectif d’une grande complexité, les demandeurs imposent un fardeau beaucoup trop lourd à la Cour et leur plan de déroulement de l’instance ne répond pas aux exigences de base.
- Plusieurs recours collectifs à l’encontre de différentes entités fédérales, devant cette Cour ou d’autres cours, allèguent l’existence d’une discrimination raciale, y compris de la discrimination ayant limité l’avancement professionnel, et recoupent de façon importante la présente affaire. Les membres putatifs du groupe visé par le présent recours collectif seraient donc inclus dans la définition des groupes de certains autres recours collectifs.
- Aussi, la Cour accueille la requête du Canada pour suspendre les portions de la présente action qui chevauchent d’autres recours en ce qui concerne la GRC, les FAC, le MDN et SCC. Les membres putatifs du recours collectif Thompson, qui travaillent ou ont travaillé au sein d’une de ces quatre organisations fédérales, auront la possibilité de se joindre aux recours collectifs Hudson, A.B., Lightbody et Sanderson, dans l’éventualité où ces instances sont autorisées ou réglées.
- La Cour accueille également la requête en radiation de la déclaration des demandeurs déposée par le Canada sans autorisation de la modifier, puisque les demandeurs n’ont pas présenté de motif pour que la Cour se déclare compétente en l’espèce. Les demandeurs ont accès à une variété de recours fournis par la loi, les règlements et les procédures pour contester des décisions de dotation, à la fois en tant que fonctionnaires souhaitant obtenir une promotion et en tant que candidats non retenus pour des postes à pourvoir.
- Il est bien établi dans la législation et la jurisprudence que les tribunaux doivent faire preuve de déférence à l’égard des choix du législateur de fournir des recours juridiques pour les conflits de travail et les différends en matière d’emploi au sein des entités de l’APC, des organismes distincts et des autres organisations du gouvernement fédéral ciblés par la présente instance. En l’absence d’une raison impérieuse pour que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire sur de telles questions, la Cour s’en remet aux processus prévus pour résoudre ces différends et fournir des réparations pour les allégations justifiées de discrimination dans les décisions de dotation.
- Quant aux arguments du Canada concernant la requête en radiation en l’absence d’une cause d’action valable, la Cour renvoie à son analyse de la première condition de la requête en autorisation de l’instance comme recours collectif.
- La Cour conclut que la déclaration des demandeurs ne remplit aucune des conditions requises pour autoriser la présente instance comme recours collectif :
a) la demande ne révèle pas de cause d’action valable fondée sur une violation du droit à l’égalité garanti par la Charte canadienne et la Charte québécoise; une négligence ou négligence systémique selon la common law; une faute en droit civil; un manquement à l’obligation de fiduciaire; ou une violation de contrat;
b) aucun groupe de personnes ne peut être identifié de façon objective sans se baser sur les décisions concernant le fond des réclamations individuelles;
c) la déclaration ne soulève aucun point de droit ou de fait communs aux 99 entités fédérales qui peut être tranché de façon appropriée dans le contexte d’un recours collectif;
d) le recours collectif n’est pas le meilleur moyen de trancher la présente déclaration, puisque les demandeurs peuvent se prévaloir des processus et recours juridiques, réglementaires et procéduraux prévus par le législateur et par ceux qui sont investis de son pouvoir législatif délégué;
e) les représentants demandeurs proposés n’ont pas élaboré un plan de déroulement de l’instance pertinent qui démontre à la Cour que la présente affaire est prête à être instruite.
- Concernant la première condition, la Cour fait remarquer que plusieurs causes d’action soulevées dans la déclaration sont dépourvues de fondements factuels propres à convaincre la Cour qu’elles pourraient être étayées après autorisation de la présente instance comme recours collectif. Les causes d’action relatives au Québec, notamment, ont à peine été abordées, même après que la Cour eut invité les parties à élaborer sur ce point lors de l’audience. Il convient de bien réfléchir à chacune des causes d’action pour en garantir la viabilité et s’assurer qu’il existe un certain fondement factuel pour chaque élément constitutif de leurs critères juridiques respectifs. Cela permet de montrer à la Cour que chaque cause d’action a une chance d’être accueillie lors d’un éventuel procès.
- Une requête en autorisation d’une instance comme recours collectif est par nature procédurale, et les demandeurs ne satisfont pas aux exigences énoncées dans les Règles d’une façon qui soit cohérente avec la jurisprudence bien établie.
- La Cour reconnaît l’histoire profondément triste et toujours d’actualité de la discrimination subie par les Canadiens noirs, de la même façon qu’elle est consciente du fait que les représentants demandeurs ont eu à relever des défis inconnus de leurs collègues de la fonction publique qui n’appartiennent pas à une minorité visible. Malheureusement, telle n’est pas la question dont la Cour était saisie. À plusieurs reprises, au cours de l’instruction des présentes requêtes, les avocats des demandeurs ont déclaré que la Cour était leur dernier espoir d’obtenir un règlement équitable pour le préjudice subi. Bien que j’aie beaucoup de sympathie pour les demandeurs, et pour tous les motifs exposés plus haut, je me trouve, soit dit en tout respect, en désaccord avec eux.
- Un proverbe français affirme « qui trop embrasse, mal étreint » [en français dans l’original].
- La portée de la déclaration des demandeurs la rend tout simplement impropre à un recours collectif.
- En dehors d’un simple énoncé, dans la déclaration des demandeurs, selon lequel ils sollicitent des dépens sur une base d’indemnisation substantielle, aucune des parties n’a formulé d’observations écrites ou orales sur les dépens.
- Dans sa requête en vue d’être autorisée à intervenir dans la présente instance, l’intervenante, Amnistie internationale Canada, a demandé à ne pas être condamnée aux dépens. Elle ne le sera pas.
- Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens, elles peuvent soumettre des observations écrites n’excédant pas 10 pages dans les 30 jours qui suivent la présente ordonnance et les présents motifs, après quoi les parties auront 14 jours supplémentaires pour soumettre leurs observations écrites en réponse (maximum 2 pags).
- Le 9e jour de l’audience, les demandeurs ont déposé un dossier de requête pour qu’une ordonnance les autorise à présenter de nouveaux éléments de preuve contenus dans un rapport élaboré par Mme Rachel Zellars. Les avocats et la Cour se sont entretenus à plusieurs reprises pour savoir si la Cour devrait accepter cette requête tardive. Il est rapidement devenu manifeste que le dossier de requête des demandeurs n’avait pas été mis en état, si bien que la Cour ne pouvait rendre sa décision sur le dossier tel qu’il avait été soumis. Le dernier jour de l’audience, la Cour a accepté d’accorder quelques semaines supplémentaires aux demandeurs pour qu’ils puissent discuter de la requête avec le défendeur et d’informer la Cour s’ils entendaient mettre leur dossier de requête en état et à quel moment elle pourrait être présentée à la Cour. Les parties sont demeurées muettes sur la question jusqu’à ce que les demandeurs déposent un dossier de requête supplémentaire le 20 février 2025, alors que les présents motifs avaient déjà été transmis au département de traduction. La Cour a donc refusé de disposer de cette requête tardive.