- La requérante conteste une décision[1] du Bureau de la révision administrative de la Direction de l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC)[2], par laquelle il conclut au refus de la demande d’aide financière pour l’achat et la formation d’un chien d’assistance.
- À l’audience, la requérante explique avoir fait l’achat du chien depuis déjà deux ans. Elle souhaite le remboursement des frais encourus pour son achat, mais recherche surtout une aide financière couvrant les coûts pour le former comme chien d’assistance psychiatrique, ce dont elle estime avoir besoin en raison de ses symptômes de stress post-traumatique chronique découlant des différents actes criminels dont elle a été victime.
- De son côté, l’intimée considère que bien qu’il soit démontré que le chien procure des bénéfices à la requérante, il ne s’agit pas d’un chien d’assistance. Celui-ci est plutôt un animal de soutien émotionnel et ne contribue pas ici à sa réinsertion sociale. Il ne peut ainsi être remboursé en application de la Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement[3] (LAPVIC) et de son règlement d’application[4] (le Règlement).
QUESTION EN LITIGE
- En fonction des règles établies par la LAPVIC et son Règlement, la requérante a-t-elle droit à une aide financière pour l’achat et la formation de son chien ?
- Pour les motifs qui suivent, le Tribunal[5] répond par la négative et rejette le recours.
CONTEXTE
- Au cours de sa vie, la requérante a été victime de différentes infractions criminelles.
- Elle souffre aujourd’hui de diverses conditions psychologiques. La qualification exacte de celles-ci a évolué dans le temps. Dans un rapport d’évaluation sur les séquelles permanentes de juillet 2024[6], la médecin traitante indique que les diagnostics au dossier sont multiples et spécifie : un trouble d’adaptation, un trouble de la personnalité du cluster B, un trouble d’anxiété avec attaque de panique et la possibilité d’un trauma complexe.
- Un état de stress post-traumatique est également évoqué à différents endroits du dossier médical, notamment dans un rapport d’évaluation psychologique contemporain à l’ouverture du dossier initial en 2008[7].
- Elle a fait une première demande en 2008[8]. La réclamation est acceptée, mais la requérante ne donne pas suite à certaines demandes et ce dossier est fermé sans aucune prise en charge. Il est réactivé en aout 2021 à la demande de la requérante, accompagnée par le CAVAC.
- Elle demande ensuite l’ouverture de dossiers pour les autres événements survenus dans sa vie. Le premier dossier demeure toutefois le principal, celui auquel il est possible de peut relier sa condition médicale.
- Si l’IVAC ouvre un dossier pour chaque événement, elle évalue les demandes de la requérante au regard de l’ensemble des dossiers et rend une décision commune pour l’ensemble. C’est ainsi que, dans le cadre du présent litige, la décision réfère à cinq dossiers et aux cinq événements à leur source[9].
- Le 12 juillet 2023, la requérante communique avec l’IVAC afin de demander le remboursement et le dressage d’un chien d’assistance[10].
- Elle indique avoir été informée par une intervenante médicale que cela pourrait lui être remboursé. Il lui aurait été mentionné que d’autres victimes se seraient vu accorder la chose.
- Elle précise alors à l’agent d’indemnisation qu’elle a adopté son chien dans un refuge. Elle ajoute que son médecin lui a fait une prescription pour ce chien, car il comble des besoins affectifs.
- Différentes précisions sont demandées à la requérante quant aux besoins et aux plans de dressage.
- Lors d’une conversation téléphonique le 14 septembre 2023, la requérante se reporte à différents programmes qu’elle a recherchés, évalués et soumis à l’IVAC. L’agent d’indemnisation lui précise qu’il s’agit de cours de dressage et non pas de formation de chien d’assistance.
- Il explique aussi que les animaux de soutien émotionnel ne sont pas couverts par la directive de remboursement.
- L’IVAC rend une décision initiale de refus le 23 octobre 2023. Elle estime que les critères permettant le remboursement d’un chien d’assistance ne sont pas satisfaits.
- Cette décision est confirmée par la décision en révision, d’où le présent litige.
ANALYSE ET MOTIFS
Cadre juridique
- Comme le contexte permet de le constater, la requérante a plusieurs dossiers auprès de l’IVAC. Les événements à leur origine et leur ouverture chevauchent tant la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels[11] que la LAPVIC, entrée en vigueur le 13 octobre 2021.
- Dans le présent dossier, la demande d’aide visant le remboursement de frais est effectuée au dossier initial en juillet 2023. De plus, quoique la décision réfère à plusieurs dossiers, la demande apparait formulée dans le cadre d’un dossier ouvert après l’entrée en vigueur de la LAPVIC, soit celui de mars 2023.
- Dans tous les cas, la demande doit être évaluée sous l’égide de la LAPVIC. Les parties le reconnaissent par ailleurs.
- Celle-ci prévoit différentes aides financières pouvant être accordées à une victime d’acte criminel. Certaines, prévues aux chapitres 4 à 7, visent respectivement la réhabilitation psychothérapeutique ou psychosociale, la réadaptation physique, la réinsertion professionnelle et finalement la réinsertion sociale.
- La présente demande ne se qualifie clairement pas au regard de la réadaptation physique ou d’une réinsertion professionnelle.
- D’autre part, l’aide financière pour la réhabilitation psychothérapeutique ou psychosociale ou la réinsertion sociale ne peut ici s’appliquer. Celle-ci vise d’abord l’obtention d’un service dispensé par un professionnel de la santé[12].
- De plus, le Tribunal a déjà évalué la question en fonction du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 56 de la Loi. Dans une décision récente[13], celui-ci retenait que l’intention recherchée par le législateur par ce pouvoir est d’accorder un service ou un traitement qui s’inscrit dans une démarche offerte et dispensée par un professionnel de la santé en vue de l’atteinte d’objectifs thérapeutiques.
- Le Tribunal adhère ici à cette interprétation et en réaffirme la conclusion sur le sujet :
« [72] Interpréter l’article 56 de la LAPVIC afin de permettre une aide financière pour acheter un objet, un animal ou autre chose de rassurant et d’aidant pour une personne, serait une interprétation trop large qui dénaturerait le sens de cette section de la loi.
[73] Cela ouvrirait la porte à des demandes de toute nature, pour l’achat de différents objets qui, même s’ils sont prescrits, ne sont pas encadrés dans une démarche structurée par un professionnel de la santé. »[14]
- Reste l’aide financière pour la réinsertion sociale. Celle-ci est prévue aux articles 62 et 63 de la LAPVIC :
62. Les personnes victimes qualifiées suivantes sont, conformément au règlement du gouvernement, admissibles au remboursement des dépenses qu’elles engagent pour leur réinsertion sociale et qui, sous réserve du quatrième alinéa de l’article 68, ne sont pas couvertes par un autre régime public :
[…]
Les dépenses visées au premier alinéa sont notamment celles engagées aux fins :
1° du déménagement de la personne et de la résiliation d’un bail résidentiel en application de l’article 1974.1 du Code civil ;
2° de la protection de la personne ;
3° de l’obtention de services professionnels d’intervention psychosociale ;
4° de l’obtention de services d’aide à domicile ou de services d’aide à la réalisation des tâches requises pour subvenir aux besoins de la personne ;
5° de l’obtention de services de garde d’enfants ;
6° de l’obtention de services d’entretien domestique.
Le règlement prévu au premier alinéa prévoit les conditions, les normes, les montants et les modalités relatifs au remboursement des dépenses. De même, il peut prévoir auprès de quels professionnels les dépenses doivent être engagées pour être admissibles au remboursement.
63. Outre ce qui est prévu au présent chapitre et par le règlement du gouvernement, le ministre peut prendre toutes les mesures nécessaires, y compris d’autres mesures financières, pour contribuer à la réinsertion sociale d’une personne victime.
- À sa face même, les frais recherchés par la requérante ne sont pas spécifiquement inscrits. Il s’agit toutefois d’une liste non limitative et un pouvoir discrétionnaire similaire à celui promulgué pour la réhabilitation psychothérapeutique est également prévu.
- L’IVAC a prévu une directive sur le sujet[15]. Celle-ci ne va toutefois pas jusqu’à prévoir les paramètres d’une aide financière pour l’achat ou la formation d’un chien d’assistance, se limitant à indiquer que l’aide peut « concerner, entre autres, des biens, des frais, des soins, des traitements ou d’autres services ».
- En lien avec la réinsertion sociale, elle prévoit qu’il s’agit d’une mesure contribuant à ce qu’une victime puisse « surmonter des difficultés sociales et redevenir autonome dans la réalisation de ses activités quotidiennes effectuées avant l’infraction criminelle ».
- Dans ce contexte, l’intimée est d’avis que les dépenses liées à l’achat et la formation d'un chien d’assistance pourraient être couvertes en vertu des dispositions sur la réinsertion sociale, ceux-ci aidant généralement les personnes à réaliser des tâches ou des activités de la vie courante.
- L’IVAC estime toutefois que les animaux de soutien émotionnels n’agissent pas en ce sens et ne facilitent donc pas la réinsertion sociale au sens de la Loi.
- Notons finalement que selon le Règlement, les demandes de remboursement pour de tels frais doivent être approuvées au préalable[16].
Qu’en est-il ?
- D’emblée, en raison de l’article 123 du Règlement, la requérante ayant fait l’acquisition de son chien sans en demander au préalable l’approbation, les frais liés à son achat ne sont pas couverts. Restent les frais liés à une possible formation.
- L’IVAC ne conteste pas le fait que l’article 63 de la LAPVIC pourrait permettre d’autoriser une aide financière visant l’achat d’un chien d’assistance. Elle estime cependant que la demande de la requérante vise ici en réalité un chien de support émotionnel, lequel ne requiert pas de formation spécifique afin de pallier un handicap déterminé.
- Sur ce point, il cite une décision récente du Tribunal[17] excluant d’abord la possibilité qu’un animal d’assistance soit couvert par l’aide pour la réhabilitation psychothérapeutique ou psychosociale puis que si un tel animal pouvait l’être sous l’angle de la réinsertion sociale, un animal de support émotionnel ne l’est pas, celui-ci ne répondant pas aux mêmes objectifs.
- Pour la requérante, sa condition médicale et plus spécifiquement l’état de stress post-traumatique constituent un handicap. Elle affirme avoir besoin de soutien constant afin d’interagir avec les gens, ce que le chien lui permettrait de faire plus facilement. Il s’agit, pour elle, bel et bien d’un chien d’assistance.
- Elle réfère le Tribunal à une lettre[18] soulignant l’importance qu’ont les animaux pour elle, ceux-ci « étant une source de confiance et de bien-être ».
- À l’audience, elle souligne aussi qu’un intervenant de l’IVAC lui aurait initialement mentionné que sa demande aurait dû être acceptée. Elle revient sur le fait que d’autres personnes auraient bénéficié du remboursement de tels frais.
- Sur ce sujet, le Tribunal doit mentionner d’emblée que les propos possibles d’un intervenant ou l’expérience d’autres victimes ne sont pas pertinents. La décision en litige fait foi de la position de l’intimée et le Tribunal doit déterminer si celle-ci est conforme à la Loi. À ce titre, il agit de novo, c’est-à-dire qu’il doit rendre la décision qui aurait dû être rendue.
- Ainsi, la question principale à laquelle doit répondre le Tribunal afin de déterminer si la requérante a droit à l’aide financière recherchée est de déterminer la nature de l’assistance requise et le rôle de l’animal dans ce contexte.
- À ce sujet, les parties déposent de part et d’autre différents documents sur la question[19]. Dans le Guide « Reconnaître les chiens d’assistance au Québec », les concepts derrière les chiens d’assistance et les chiens de soutien émotionnels sont ainsi définis :
« Chien d’assistance : un chien d’assistance est spécialement entraîné pour pallier le handicap de son bénéficiaire. Ces chiens sont formés pour accomplir des tâches spécifiques qui répondent à des besoins particuliers. À moins de circonstances particulières, ils ont accès aux lieux publics, normalement interdits aux chiens, tels que les édifices gouvernementaux, les transports en commun, les restaurants, les écoles, les commerces, etc.
Chien de soutien émotionnel : un chien de soutien émotionnel est un chien n’ayant pas reçu un entraînement spécifique pour pallier le handicap de son bénéficiaire, mais dont les effets bénéfiques sur la personne qui l’utilise peuvent être démontrés. Il aide la personne, notamment, à modifier positivement son comportement en facilitant les interactions sociales ou en améliorant son sentiment de sécurité. » [20]
(Soulignements du Tribunal, références omises)
- Au-delà de ces définitions précises, le Tribunal a déjà fait siennes ces distinctions[21]. Celles-ci ont aussi déjà été faites dans le cadre d’une décision issue du Tribunal administratif du travail et déposée par la partie intimée[22].
- Au regard des faits mis en preuve dans le présent dossier, le Tribunal retient que le chien de la requérante est, en toute probabilité, un animal de soutien émotionnel plutôt qu’un chien d’assistance.
- Si la requérante démontre que celui-ci lui procure des bienfaits, elle ne peut faire ressortir aucune tâche spécifique que celui-ci accomplit ou serait en mesure d’accomplir une fois une formation de chien d’assistance complétée.
- Comme elle le précise aux agents de l’intimée ou dans ses écrits[23], ainsi que devant le Tribunal, celui-ci est là pour « la soutenir émotionnellement » en raison de son handicap, lequel lui amène des difficultés dans le cadre de ses interactions sociales.
- Or, ceci correspond spécifiquement à la définition de chien de soutien émotionnel, soit qu’« Il aide la personne, notamment, à modifier positivement son comportement en facilitant les interactions sociales ou en améliorant son sentiment de sécurité »[24].
- Au soutien de sa demande, la requérante s’appuie notamment sur des billets médicaux du 3 octobre 2024[25] et du 7 février 2024[26] de ses médecins[27]. Dans ceux-ci, elles indiquent toutes deux : « Je confirme que l’animal de Mme est un chien/animal d’assistance dû à des symptômes de stress post-traumatique ».
- Pour le Tribunal, les propos des médecins traitants quant au type de chien ont peu de poids dans la mesure où il s’agit d’une question de fait, ce qui relève de sa fonction, et où leur affirmation sur ce fait n’est pas expliquée, ni même mise en contexte.
- D’ailleurs, elles ne précisent pas plus que la requérante quelles tâches spécifiques l’animal accomplit ou pourrait accomplir une fois la formation complétée et qui justifierait sa qualification à titre de chien d’assistance.
- Pour le Tribunal, la mention à l’indicatif présent dans ces notes, soit qu’il s’agit déjà d’un chien d’assistance, et ce, malgré l’absence de formation, constitue une preuve parlante de la nature du soutien apporté par le chien et renforce la conclusion qu’il s’agit d’un animal de soutien émotionnel.
- Les soumissions fournies par la requérante au moment de la demande appuient également ce constat puisqu’il s’agit plus généralement de plan de dressage ou d’obéissance de base. Ceux-ci peuvent certes rendre le chien plus efficace dans le rôle de chien de soutien émotionnel, mais ils ne visent pas à lui permettre de pallier un déficit clairement établi.
- Le formulaire « bienfaits canins »[28] déposé plus tard par la requérante vise certes une réelle formation de chien d’assistance psychologique. Les informations y étant contenues sont d’ailleurs très cohérentes avec l’ensemble des distinctions étudiées jusqu’à maintenant, donnant même certains exemples de comportements concrets pouvant être réalisés par un chien d’assistance.
- Or, il n’est pas complété. En ce sens qu’il ne s’agit pas d’une soumission, mais tout au plus de la démonstration que des formations canines existent.
- Pour le Tribunal, plusieurs des préoccupations de la requérante semblent s’articuler autour des enjeux d’accessibilité qu’elle peut avoir avec son chien. Il serait évidemment plus aisé pour elle qu’il soit certifié afin de pouvoir bénéficier de la protection de la Charte.
- À ce sujet, les auteurs du rapport « Reconnaître les chiens d’assistance au Québec » précédemment cité émettaient le commentaire suivant lors de l’établissement des différentes définitions :
« Du fait qu’ils portent sur les chiens d'assistance tels que définis précédemment, les chiens de soutien émotionnel ou autres chiens non entraînés permettant de pallier un handicap ne sont pas visés par les travaux du comité de réflexion interministériel. En raison de leur popularité croissante et dans la mesure où la personne qui utilise un chien de soutien émotionnel pourrait bénéficier de la protection de la Charte, il serait néanmoins souhaitable que l’encadrement des chiens exclus précédemment cités fasse l’objet d’une future réflexion au Québec. »[29]
- Cette problématique ne peut toutefois entrer en compte dans l’analyse du Tribunal. Le rôle de l’animal constitue ici la question fondamentale afin de déterminer si la requérante peut avoir droit à une aide afin qu’il soit formé comme chien d’assistance.
- Le Tribunal comprend que le chien de la requérante l’aide effectivement beaucoup, notamment par l’apaisement qu’il lui procure au regard de ses difficultés dans ses relations interpersonnelles et sociales.
- Cependant, le Tribunal n’a aucune preuve quant à ce que la formation permettrait au chien de la requérante d’accomplir de plus que ce qu’il fait déjà par sa seule présence. Ni la requérante ni les médecins ne ciblent de besoins spécifiques de la requérante auxquels un entraînement lui permettrait de répondre.
- Conséquemment, le Tribunal conclut que le chien de la requérante est un animal de soutien émotionnel. Dès lors, les frais liés à son achat et son dressage ne correspondent à aucune des aides prévues à la LAPVIC et ne peuvent donc être accordés en vertu de celle-ci.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
CONFIRME la décision en révision du 29 janvier 2024.
REJETTE le recours.