Décision

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Boisclair c. Béric Sport inc.

2019 QCCQ 7429

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D’

ABITIBI

LOCALITÉ DE

LA SARRE

« Chambre civile »

N° :

620-32-700073-198

 

DATE :

12 novembre 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JEAN-PIERRE GERVAIS, J.C.Q.

 

 

                      

______________________________________________________________________

 

 

DENIS BOISCLAIR et MANON GUÉRIN

[...], Macamic, QC, [...]

Partie demanderesse

 

c.

 

BÉRIC SPORT INC.

50, 3e Avenue, Val-d’Or, QC, J9P 1R2

Partie défenderesse

et

 

PROMUTUEL ASSURANCE

100, avenue du Lac, Rouyn-Noranda, QC, J9X 4N4

Partie défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Les demandeurs poursuivent les défenderesses estimant que la roulotte à sellette d’attelage acquise de la première, Béric Sport inc., s’est détériorée de manière anormale et accélérée. Ne sachant pas, au moment d’introduire le recours, s’il s’agissait d’un défaut de fabrication ou encore d’un sinistre, ils ont également dirigé celui-ci contre leur propre assureur. La première des défenderesses dit que les dommages ne résultent pas d’une défaillance de la caravane, tandis que la seconde est d’avis contraire.

[2]           Le rôle du Tribunal ici consiste à déterminer si la preuve administrée de part et d’autre permet d’identifier la cause des bris de manière probante. Dans l’éventualité où il ne s’agirait pas d’un défaut de fabrication, sommes-nous alors en présence d’un dommage résultant d’un événement couvert par la police d’assurance souscrite?

Contexte

[3]           Le 20 avril 2013, les demandeurs acquièrent de Béric Sport inc. (Béric) une caravane à sellette d’attelage neuve de marque Puma. Ils achètent par la même occasion une garantie prolongée couvrant certaines de ses composantes. Dans les années qui suivent,  vu qu’ils ne sont pas encore retraités, madame Guérin et monsieur Boisclair utilisent celle-ci approximativement trois semaines par année, durant la période estivale. Ils parcourent ainsi, à chaque fois, quelques milliers de kilomètres, leur plus grand voyage, en totalisant 6 000, s’effectue en 2018 alors qu’ils visitent les provinces maritimes.

[4]           Ils insistent sur le fait que jamais la caravane n’a roulé ailleurs que sur les chemins publics asphaltés.

[5]           Toujours est-il qu’au retour de leur dernier voyage, ils découvrent une fissure dans la coquille qui garnit l’avant de la roulotte. Ils constatent rapidement qu’elle a été causée par le déplacement du châssis du fait que celui-ci, au niveau des soudures ou ailleurs, s’est brisé. Ils en avisent immédiatement leur vendeur qui leur dit que ceci n’est pas possible à moins qu’il y ait eu un accident, et les invite à contacter, dans ce cas, leur assureur.

[6]           Bien qu’ils n’ont jamais été impliqués dans un incident du genre, les demandeurs suivent tout de même cette recommandation et contactent Promutuel, auprès de qui ils ont souscrit la police.

[7]           Cette dernière, par le biais d’une entreprise de La Sarre, entreprend de rechercher les causes des bris et soumet à un ingénieur, tant les photos que les informations disponibles à cet égard.

[8]           Voici quels sont ses constats :

 […] Les observations tirées des photographies ont permis d’identifier la présence de plusieurs fissures dans la sellette d’attelage. La majorité de ces fissures était localisée dans les zones de soudure. Plus précisément, le support latéral de la roulotte affichait des zones de défaillance traduites par des fissures longitudinales dans la zone soudée avec le support de la sellette (photographies 1 et 2). Ces fissures étaient relativement droites et le matériau ne semblait pas étiré au niveau des faciès de bris.

D’autres fissures témoignaient plutôt d’une propagation de bris final, avec des faciès de rupture orientés à 45 degrés et des parcours non linéaires (photographies 3 et 4).

Nous avons noté que plusieurs zones de fissuration étaient béantes et présentaient une quantité importante de produits de corrosion sur leurs faciès de rupture (photographie 5). Ceci indiquait que des fissures s’étaient propagées depuis un certain temps. Au surplus, les photographies permettaient d’établir la présence d’un très grand nombre de fissures, ce qui permettait d’éliminer qu’un événement soudain ait engendré cette défaillance.

Il est important de mentionner que la plupart des zones de bris était (sic) précisément localisée (sic) dans les soudures du châssis. Or, il est techniquement reconnu que les zones soudées intègres et bien élaborées ont des propriétés mécaniques supérieures aux matériaux de base assemblés et ne constituent donc pas les zones de faiblesse des assemblages.

Enfin, nous avons relevé, sur certaines photographies, la présence de ponts de soudure utilisée pour joindre les composantes (flèches, photographies 6, 7 et 8). Ces points de soudure n’avaient pas la même couleur que le reste du châssis, laissant présumer qu’ils n’avaient possiblement pas été faits de la même façon ou à la même occasion que l’ensemble des autres soudures (flèches, photographie 9) […].[1]

[9]           Il tire comme conclusion de ceci « que la cause la plus probable de la défaillance de la sellette d’attelage de la roulotte est reliée à une problématique de fabrication/conception de la pièce, incluant le soudage (procédure, type, emplacement) ». Donc, aux yeux de la défenderesse Promutuel, il ne saurait être question ici d’un sinistre couvert par la police émise par elle.

[10]        Les représentants de la défenderesse Béric Sport inc. ne partagent pas cet avis, estimant que les bris sont le résultat d’un manque d’entretien et d’impacts répétés sur le châssis.

[11]        Au surplus, ils ajoutent que tant la garantie conventionnelle, venue à échéance le 2 avril 2014, que sa prolongation, souscrite moyennant des frais, ne couvrent pas ce type dommage.

[12]        Pour appuyer leurs prétentions, monsieur Allen Charrette, maître-technicien à cet endroit depuis de nombreuses années, témoigne de la rigueur avec laquelle chaque caravane est inspectée avant d’être livrée au client pour détecter ce genre de défectuosité. Donc, s’il y avait eu une malfaçon ou un bris, nul doute à ses yeux, qu’il aurait été identifié avant la livraison du véhicule en 2013. Pour lui, les fissures au niveau du châssis sont le résultat de coups répétés imputables au mauvais état des routes et à un manque total d’entretien qui aurait permis de limiter les dégâts.

[13]        Voici donc l’essentiel de la preuve à la disposition du Tribunal pour trancher cette affaire.

Le droit

[14]        La garantie de qualité assurant à un acheteur que le bien qu’il acquiert est exempt de vice caché est régie tant par le Code civil du Québec que la Loi sur la protection du consommateur[2], dans ce dernier cas lorsque ledit acheteur se qualifie évidemment comme tel.

[15]        On retient essentiellement qu’en vertu de l’article 38 L.p.c., un bien acquis doit pouvoir fonctionner normalement pour une durée raisonnable eu égard à toutes les circonstances. De leur côté, les articles 53 L.p.c. et 1729 C.c.Q. créent entre autres une présomption de connaissance de l’existence d’un vice si la transaction est le fait d’un vendeur professionnel. Ce dernier article édicte ce qui suit :

1729.  En cas de vente par un vendeur professionnel, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur.

1991, c. 64, a. 1729.

[16]        Récemment, la Cour d’appel du Québec a clarifié certains aspects en lien avec sa portée ainsi que son application. Voici comment le juge Pelletier explique l’état du droit à ce sujet[3] :

28. Selon moi, l’application de la règle posée par cet article a pour effet pratique de mettre en œuvre non pas une double, mais bien une triple présomption en faveur de l’acheteur, soit celle de l’existence d’un vice, celle de son antériorité par rapport au contrat de vente et, enfin, celle du lien de causalité l’unissant à la détérioration ou au mauvais fonctionnement. Sous ce rapport, je partage les vues du professeur  Deslauriers qui y voit une présomption de responsabilité[5] :

460. Remarquons toutefois que si l’acheteur poursuit un vendeur professionnel ou un fabricant, le régime extracontractuel n’est pas nécessairement le plus profitable. En effet, l’article 1468 C.c.Q., applicable au régime extracontractuel, ne prévoit qu’une simple présomption de faute contre le fabricant, alors que les articles 1728, 1729 et 1730 C.c.Q., applicables au régime contractuel, créent en faveur de l’acheteur une présomption de responsabilité contre le fabricant. Pour les contrats de consommation, les articles 37 et 38L.p.c. créent une présomption de responsabilité; le commerçant et le fabricant ne peuvent plaider leur  ignorance d’un vice dont l’existence est prouvée ou présumée lors de la vente (art. 53, al. 3 L.p.c.). Leur seule défense est de prouver que le bien n’était affecté d’aucun défaut caché lorsqu’il a été mis sur le marché. C’est donc dire que l’acheteur n’aurait pas intérêt à opter pour les règles de la responsabilité extracontractuelle.

29. Cette approche a l’avantage de mettre en lumière la nécessaire corrélation entre les fardeaux de preuve respectifs de chacune des parties s’opposant dans le cadre d’un litige portant sur l’application de l’article 1729 C.c.Q.

30. Pour jouir des effets de cette disposition, un acheteur doit en effet établir par prépondérance

a)    qu’il a acquis le bien d’une personne tenue à la garantie du vendeur professionnel;

b)    que le bien s’est détérioré prématurément par rapport à un bien identique ou de même espèce.

[17]        Si un commerçant ou un manufacturier désire repousser cette triple présomption, il doit alors, tel que l’édicte l’article 1729 C.c.Q., prouver qu’une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur est à l’origine de sa défectuosité. Il peut de même se dégager de sa responsabilité s’il établit qu’il y a force majeure, faute d’un tiers ou encore que la cause du bris ou mauvais fonctionnement est externe ou étrangère au bien qu’il a vendu ou fabriqué.

Analyse

[18]        Quant à la preuve de mauvais usage ou entretien de la caravane, comme l’allègue la défenderesse Béric, le Tribunal croit qu’elle n’est pas convaincante tout au contraire.

[19]        En effet, il est établi que le véhicule a été utilisé de manière normale pendant de courtes périodes de temps et qu’il n’a pas été remorqué dans des conditions extrêmes ou inadéquates.

[20]        S’il est vrai, et tout le monde en convient, que certaines routes du Québec soient loin d’être impeccables, il est difficile de croire que le kilométrage parcouru, qui demeure somme toute faible, ait pu imposer des contraintes à ce point excessives sur le châssis.

[21]        Pour ce qui est de l’entretien, la preuve révèle qu’il n’est pas exact qu’il a été négligé même si l'on n’a pas ramené le véhicule chez le concessionnaire en suivant des épisodes réguliers.

[22]        Quant aux bris, tel qu’on peut le lire dans le rapport des ingénieurs Antoun et Murray, et comme en ont témoigné, tant le demandeur que l’expert en sinistre appelé à examiner le bien, ils sont multiples et sérieux, certaines parties du châssis étant pour ainsi dire non seulement fissurées, mais même déchirées.

[23]        À la lumière de la preuve, le Tribunal a beaucoup de mal à penser qu’un usage normal puisse produire un tel résultat. La cause la plus probable est plutôt celle avancée, tant en demande que par la défenderesse Promutuel, soit que le châssis, par la qualité des matériaux utilisés ou par encore des soudures défectueuses, est à l’origine des bris.

[24]        Bien que la caravane ait été acquise cinq ans avant qu’on ne découvre ces problèmes et que cette période de temps puisse sembler longue, son faible kilométrage et l’usage pour le moins limité qu’on en a fait permettent de déduire que ce n’est pas l’écoulement du temps ni son utilisation qui ont abîmé le bien.

[25]        Reste maintenant à déterminer la valeur du préjudice subi par le demandeur.

[26]        À ce chapitre rappelons que les demandeurs réclament un montant de 11 103,38 $ composé de ce qu’ils ont déboursé pour remettre en état la caravane et 1 000 $ « pour les inconvénients et pertes de jouissance du véhicule ».

[27]        La preuve révèle qu’on a remplacé certaines composantes du châssis tandis que d’autres ont été renforcies. Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’autres réparations ont été requises, résultat de la torsion qu’a entrainée le châssis défaillant.

[28]        Cependant, on voit que sur la facture de Garage Lacroix, figurent des pièces qui ont été remplacées, mais qui n’ont aucun lien avec la défaillance alléguée, comme les batteries, un pneu, un cric et le caoutchouc d’étanchéité de la partie extensible.

[29]        De même, l’attelage, bien qu’il doive être changé, l’a été par un d’une catégorie et d’une qualité autres. À ce dernier égard, on a facturé 1 200 $ plus 85 $ de transport alors que, selon la preuve toujours, si l'on avait utilisé une pièce équivalente, le coût aurait été de 380 $.

[30]        Il y a donc lieu de faire des ajustements en retranchant ces pièces, tout comme une partie de la main-d’œuvre utilisée pour les installer.

[31]        Le montant de la facture taxes incluses est de 10 103,38 $. Une fois les ajustements mentionnés plus avant effectués la somme s’élève à 7 702,48 $.

[32]        Quant aux 1 000 $ additionnels réclamés à titre de dommage, de ce que le Tribunal comprend, bien sûr les demandeurs ont subi des inconvénients, mais pour autant, ils ont été en mesure de réaliser leur projet de voyage comme prévu, de telle sorte qu’il n’y a pas de preuve d’un réel préjudice qui doit être compensé.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la demande contre Béric Sport inc.;

CONDAMNE la défenderesse Béric Sport inc. à verser aux demandeurs la somme de 7 702.48 $, en plus de l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., et ce, à compter du 25 octobre 2018;

CONDAMNE Béric Sport inc. à rembourser aux demandeurs le coût du timbre judiciaire qui s’élève à  205 $.

REJETTE la demande en ce qui a trait à Promutuel Assurance;

CONDAMNE les demandeurs à rembourser à la défenderesse le coût du timbre judiciaire payé par Promutuel au montant de 308 $.

 

 

 

 

__________________________________

Jean-Pierre Gervais, J.C.Q.

 

 

Date d’audience :

17 juillet 2019

 



[1] CEP Sintra, rapport du 13 novembre 2018, réf. 2018-09-0165, p. 2

[2] RLRQ, c. P-40.1.

 

[3] CNH Industrial Canada Ltd. c. Promutuel Verchères, société mutuelle d'assurances générales, 2017 QCCA 154.

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