Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Association professionnelle des cadres de premier niveau d'Hydro-Québec (APCPNHQ) et Hydro-Québec

2016 QCTAT 6871

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

CM-2014-7415

 

Dossier accréditation :

AM-2001-5633

 

Montréal,

le 7 décembre 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Irène Zaïkoff

______________________________________________________________________

 

 

 

Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec (APCPNHQ)

Partie demanderesse

c.

Hydro-Québec

Employeur

 

et

 

Procureure générale du Québec

Partie intervenante de première part

 

Association des cadres de la Société des casinos du Québec

Partie intervenante de deuxième part

 

et

 

La Société des casinos du Québec inc.

Partie intervenante de troisième part

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION INTERLOCUTOIRE

 

 


[1]           La présente décision, ainsi que celle qui est rendue ce même jour dans le dossier CM 2009-5820, porte sur la constitutionnalité, en regard du droit à la liberté d’association, de l’exclusion du statut de cadre de la définition de « salarié » prévue au Code du travail (le Code)[1], condition nécessaire à l’accréditation d’une association aux fins de la négociation collective.

les procédures

[2]           Le 10 novembre 2009, l’Association des cadres de la Société des Casinos du Québec (l’ACSCQ) dépose une requête en vertu de l’article 25 du Code à la Commission des relations du travail (la Commission)[2]. Elle demande à être accréditée auprès de la Société des casinos du Québec inc. (la Société), pour son établissement de Montréal, le Casino de Montréal (le Casino), à l’égard du groupe d’employés suivant:

« Les cadres de premier niveau (classes 4 et 4a) du secteur des jeux notamment ceux offerts aux tables de jeux, aux machines à sous/keno, aux salons de poker et à tout autre système de loterie de même nature aux fins de l’exploitation d’un casino d’état. »

 

[3]           Le 19 décembre 2014, l’Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec (l’APCPNHQ) dépose à son tour une requête afin d’être accréditée auprès d’Hydro-Québec pour représenter :

« Tous les cadres de premier niveau à l’emploi d’Hydro-Québec à l’exclusion des cadres avec relevants cadres, des cadres assujettis au SPIHQ, des cadres de la fonction Ressources humaines, des cadres régis par le Répertoire des conditions de travail chantier (RCTC), des cadres occupant des fonctions de nature stratégique ou confidentielle et des cadres affectés à des projets spéciaux. »

 

[4]           La Société et Hydro-Québec soulèvent toutes deux l’irrecevabilité de ces requêtes puisque les cadres ne peuvent être visés par l’accréditation, étant exclus de la définition de « salarié » prévue à l’article 1l) 1° du Code.Ces dossiers sont joints le 30 janvier 2015 par décision de la Commission[3]. Après plusieurs aléas[4], les audiences sur la question de la constitutionnalité de l’exclusion du statut de cadre débutent en mars 2015 et se terminent en juillet 2016, par le dépôt de répliques et de documents.

[5]           Ces mêmes dossiers sont cependant disjoints lors de leur mise en délibéré. Il est convenu que le Tribunal ne traitera que de la question constitutionnelle. Les parties communes aux deux dossiers sont reproduites de façon identique dans chacune des décisions. Étant donné que les conclusions du Tribunal sont identiques dans les deux dossiers, une partie des motifs l’est également.

[6]           Restera, le cas échéant, à déterminer dans le dossier de l’ACSCQ, les personnes devant faire partie de la liste des salariés visés par la requête en accréditation et, dans celui de l’APCPNHQ, la description de l’unité de négociation et la liste des salariés.

les questions en litige

[7]           Les questions en litige ont été définies lors d’une conférence préparatoire tenue avec l’ACSCQ et la Société, le 9 septembre 2014. Elles sont les mêmes dans le dossier Hydro-Québec et se lisent ainsi :

- Vu que les cadres sont exclus de la définition de salarié du Code.

 

- Vu que les personnes visées par la requête en accréditation de l’Association sont des cadres.

 

- Vu que, de ce fait, l’Association qui les représente ne peut bénéficier des avantages dont jouit une association accréditée en vertu du Code.

 

1.- Cette exclusion porte-t-elle atteinte à la liberté d’association, garantie par l’article 2.d de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte canadienne)[5] et par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C-12 (la Charte québécoise), des personnes visées par la requête en accréditation?

 

2.- Dans l’affirmative, cette atteinte est-elle justifiée en regard de l’article 1 de la Charte canadienne et de l’article 9.1 de la Charte québécoise?

 

(caractère gras ajouté)

la preuve

[8]           Bien que le Tribunal soit saisi de la question constitutionnelle aux fins des requêtes en accréditation de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ, les parties ont administré une preuve beaucoup plus large afin de brosser un portrait des associations de cadres et de leur situation en regard des relations du travail au niveau international, canadien et québécois. La présente décision en traitera en premier.

[9]           Après ce portrait des associations de cadres, le Tribunal abordera ensuite les démarches des associations de cadres québécoises, tant au niveau international qu’auprès du gouvernement du Québec. Par la suite, la preuve particulière à chaque dossier sera analysée.

Portrait des associations de cadres

[10]        L’ACSCQ et L’APCPNHQ ont fait témoigner, à titre d’expert, le professeur Michel Coutu[6], qui a présenté l’historique de la syndicalisation des cadres et la situation au Québec, tant historique que contemporaine. Son témoignage est complété par ceux de Gilles Lachance, qui fut président de la Conférence nationale des cadres du Québec (CNCQ) jusqu’en 2011, et de Michel Mathieu, président de l’Association des directeurs et directrices de la Société des alcools du Québec (ADDS/SAQ).

[11]        Pour sa part, la Procureure générale a fait entendre Marie-Pier Gagnon, dans le cadre de ses fonctions de conseillère en relations du travail, Isabelle Marcotte, directrice des régimes collectifs et Stéphane Gamache, directeur de l’actuariat, tous à l’emploi du secrétariat du Conseil du trésor. De plus, la Procureure générale a déposé une série de décrets portant sur la reconnaissance de diverses associations de cadres de l’État, de même que les codes du travail (ou lois de même nature) des autres provinces et territoires.

[12]        Le Tribunal résumera d’abord les grandes lignes qui se dégagent de la preuve testimoniale et documentaire, puis analysera les conclusions du professeur Coutu.

Portrait au niveau international

1. Les conventions internationales

[13]        De nombreuses conventions internationales portent sur les droits fondamentaux du travail, dont plusieurs sont ratifiées par le Canada, membre de l’Organisation internationale du travail (OIT)[7].

[14]        La Convention (n°87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, (la Convention 87)[8], ratifiée par le Canada en 1972, déclare que les travailleurs et les employeurs « sans distinction d’aucune sorte » - à l’exception des forces armées et de la police - ont le droit de « constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisations ».

[15]        La Convention (n°98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949 (la Convention 98) prévoit, notamment, le droit d’être protégé contre l’ingérence et le droit à la négociation collective. Celle-ci n’a pas été ratifiée par le Canada. Cependant, la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail[9], adoptée en 1998, prévoit que tout membre a l’obligation, de par sa seule appartenance à l’OIT, doit respecter, promouvoir et réaliser de bonne foi les principes concernant les droits fondamentaux au travail, dont font partie la liberté d’association et le droit de négociation collective.

[16]        Le Comité de liberté syndicale, institué au sein du Conseil d’administration de l’OIT, a pour mission de contrôler l’application de la Convention 87 et de la Convention 98, afin de s’assurer de leur respect par les États membres de l’OIT. Il examine les plaintes qui peuvent être déposées par des associations d’employeurs ou de travailleurs contre un État membre. S’il conclut qu’il y a violation des normes ou des principes établis, il soumet un rapport et ses recommandations au Conseil d’administration de l’OIT. Le gouvernement du pays en cause est ensuite invité à rendre compte de la mise en œuvre de ces recommandations.

[17]        Selon cette instance, le droit d’association, que protège la Convention 87, vise également les cadres, au même titre que les autres travailleurs. La liberté d’association comprend le droit à la négociation collective des conditions de travail, le droit de grève, l’accès à une procédure de règlement des différends et une protection contre l’ingérence[10]. La législation nationale peut cependant, à certaines conditions, prévoir que les cadres fassent partie d’une association distincte.

[18]        Outre les conventions de l’OIT, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[11], entré en vigueur et ratifié par le Canada en 1976 garantit la négociation collective et plus spécifiquement le droit de grève. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[12], également entré en vigueur et ratifié par le Canada la même année, protège le droit à la liberté d’association, ce qui comprend le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer. Les restrictions permises sont celles nécessaires dans une société libre et démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Des restrictions légales peuvent aussi viser les membres des forces armées et de la police[13].

2. Le droit d’association des cadres en Europe

[19]        En Europe, les régimes législatifs permettent en général aux cadres l’accès à la négociation collective, tant dans les secteurs privé que public. La Confédération générale des cadres, créée en 1944 et reconnue comme syndicat représentatif par la France, a 177 000 membres. En Allemagne, les cadres sont regroupés avec le reste des travailleurs. Seuls les cadres dirigeants sont exclus. Au Royaume-Uni, les cadres et les professionnels font partie des mêmes syndicats[14].

3. Le droit d’association des cadres aux États-Unis

[20]        En Amérique du Nord, la situation contraire prévaut[15]. Les cadres de tous les niveaux se trouvent généralement exclus des régimes d’accréditation. Toutefois, des exceptions existent pour les cadres de premier niveau.

[21]        Précisons d’abord que le terme « cadre » couvre un large spectre de personnes associées à la direction de l’entreprise, qu’on classe généralement en trois catégories. Les cadres « subalternes » - ou cadres de « premier niveau » - sont ceux qui s’assurent que les directives de l’employeur sont respectées; les cadres « intermédiaires » participent indirectement à l’élaboration des politiques de l’entreprise et les cadres « supérieurs » sont ceux qui sont investis d’un commandement et qui relèvent directement soit du conseil d’administration, soit du président ou encore du directeur général.

[22]        Ainsi, aux États-Unis, pendant des années, le National Labor Relations Board (le NLRB) hésite à considérer les cadres de premier niveau comme étant exclus de la définition de « salarié » de la Loi Wagner[16], laquelle n’interdisait pas alors explicitement la syndicalisation des cadres. La Foreman’s Association of America (FAA), association regroupant des contremaitres du secteur privé, d’abord reconnue volontairement, est accréditée en 1945 par le NLRB, décision confirmée par la Cour suprême des États-Unis deux ans plus tard[17]. Ce fut cependant pour une courte période, car la Loi Wagner est modifiée à la suite du jugement de la Cour suprême, deux ans plus tard, par la Loi Taft-Hartley, ce qui met un terme à la syndicalisation des cadres.

[23]        À l’heure actuelle, seule la législation d’une douzaine d’États américains permet la syndicalisation des cadres de premier niveau et intermédiaires. De plus, le professeur Coutu apporte la précision suivante : « contrairement à la situation prévalant au Canada, aux États-Unis les lois fédérales régissent 90% de la main d’oeuvre. La législation adoptée par les États de l’Union vise pour sa part 10% des salariés, relevant en grande partie du secteur public »[18]. Au New Jersey, la majorité des 65 000 fonctionnaires, cadres de premier niveau et intermédiaires, sont membres d’associations accréditées qui négocient collectivement.

Portrait de la situation au Canada (à l’exception du Québec)[19]

[24]        Au Canada, les lois provinciales excluent de la définition d’« employé » ou de « salarié », et donc de la syndicalisation, les personnes qui occupent des fonctions de direction, en des termes qui cependant varient. Sont aussi généralement exclues les personnes qui ont accès à de l’information confidentielle dans le cadre de leur fonction ou qui occupent un poste stratégique dans les relations du travail. Bien que l’analyse de la jurisprudence de chaque province n’ait pas été faite, on peut néanmoins déduire que ces définitions sont parfois moins restrictives que celle du Code et n’excluent pas nécessairement les cadres de premier niveau[20].

[25]        Au niveau fédéral, c’est à la suite du Rapport Woods[21] qu’une révision en profondeur du Code canadien du travail (Code canadien)[22] est faite en 1972. L’exclusion des cadres de la définition d’employé est restreinte afin de mettre l’accent sur les fonctions de direction, plutôt que sur celles de surveillance[23]. Nous y reviendrons. 

[26]        Le Conseil canadien des relations de travail (le CCRT), devenu depuis le Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI), accordera dès lors la syndicalisation aux employés dont les tâches consistent notamment à surveiller d’autres employés, soit l’équivalent des cadres de premier niveau. Ont ainsi été accrédités les réalisateurs de la Société Radio-Canada, les surintendants d’une entreprise de débardage, des capitaines de navire et certains superviseurs d’entreprises de téléphonie.

[27]        De plus, le Code canadien permet que des employés qui exercent des fonctions de surveillance soient inclus dans la même unité que celle des employés qu’ils supervisent[24].

[28]        Dans le secteur public fédéral, les cadres supérieurs sont regroupés dans une association qui peut faire valoir ses positions devant le comité consultatif sur le maintien de poste et la rémunération du personnel de direction. Par ailleurs, la Loi sur les relations du travail dans la fonction publique[25] exclut de la définition de « fonctionnaire » les personnes qui occupent un poste de direction ou de confiance. Cette exclusion est cependant interprétée plus largement par la Commission des relations du travail dans la fonction publique que par le CCRI, mais la procédure de griefs est ouverte à ces personnes en cas de mesures disciplinaires.

Portait de la situation au Québec

1. Historique

[29]        L’exclusion de l’article 1l) 1° du Code existait déjà dans la législation précédant le Code, la Loi des relations ouvrières[26] de 1944. Tel que déjà souligné, cette exclusion est plus large que celle du Code canadien et que celles que l’on trouve dans les lois de certaines provinces. Le professeur Coutu explique qu’elle répond à deux préoccupations: préserver l’indivisibilité de l’entreprise et éviter des conflits d’intérêts.

[30]        Le développement de la syndicalisation des cadres au Québec commence lors de ce qui est connu comme « la Révolution tranquille », au début des années 60, par un regroupement qui se fait souvent avec les professionnels, au sein d’une même association; ce n’est que plus tard que les cadres mettent sur pied des associations qui leur sont exclusives aux fins de négocier collectivement leurs conditions de travail avec les employeurs.

[31]        Ainsi, les professionnels, tout comme les cadres, sont aussi exclus de la définition de « salarié » dans la Loi des relations ouvrières, d’où la formation d’associations mixtes regroupant professionnels et cadres. Il en existe d’ailleurs encore. Ce n’est qu’à partir de 1964 que les professionnels peuvent se syndiquer. L’exclusion visant les cadres étant maintenue, des associations mixtes qui s’étaient constituées ne pourront être accréditées, ce qui en amènera certaines à exclure les cadres de leur rang[27].

[32]        En 1963, les ingénieurs de la Ville de Montréal forment le Syndicat professionnel des ingénieurs de la Ville de Montréal et de la Communauté urbaine de Montréal (le SPIVM) et ceux d’Hydro-Québec, en 1964, le Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec (le SPIHQ). Dans les deux cas, les ingénieurs cadres sont inclus dans la même unité. Ces associations feront l’objet d’une reconnaissance volontaire par leur employeur respectif, ce qui produit alors, pour l’essentiel, les mêmes effets que l’accréditation prévue au Code.

[33]        À la même époque, la Fédération des ingénieurs et cadres du Québec (CSN) est créée. Elle deviendra par la suite la Fédération des professionnels salariés et cadres du Québec. Son éclatement en 1979 marque la fin du syndicalisme des cadres à la Confédération des syndicats nationaux (CSN)[28].

[34]        En 1969, le Code est amendé et la reconnaissance volontaire d’association abolie[29]. Pour contrer l’effet de cette abolition sur les associations déjà reconnues de la Ville de Montréal et d’Hydro-Québec, le gouvernement adopte en 1970 un amendement au Code[30]. L’article 20, tel qu’il existait alors, maintient les accréditations pour les associations reconnues volontairement par leur employeur[31]. Le SPIVM et le SPHIQ, ainsi que l’Association des contremaitres employés par la Ville de Montréal, qui ne regroupe, elle, que des employés cadres, sont considérés comme accrédités.

[35]        Lors des débats parlementaires entourant cet amendement, la syndicalisation des cadres est abordée plus largement[32]. Le ministre du Travail de l’époque, Pierre Laporte, se dit ouvert à examiner cette question.

[36]        Par la suite, les associations exclusives de cadres se forment, essentiellement dans les secteurs publics et parapublics. Au niveau des sociétés d’État, l’ADDS/SAQ est créée en 1977, l’APCPNHQ en 1985 et l’ACSCQ en 1997.

[37]        En 1978, le gouvernement reconnait par décret l’Association des cadres supérieurs aux fins des relations du travail. Il adoptera par la suite plusieurs autres décrets reconnaissant des associations de cadres de la fonction publique: cadres juridiques, administrateurs et directeurs de centres de détention, gestionnaires de la fonction publique. Certaines associations changeront de nom au fil des années, d’autres se regrouperont, sans que cela pose problème. Elles demeurent reconnues par le gouvernement, qui adopte des décrets en conséquence des modifications.

[38]        À partir des années 90, des associations de cadres se regroupent en confédérations et fédérations.

[39]        Ainsi, en 1992, la CNCQ (qui rappelons-le est l’acronyme pour la Confédération nationale des cadres du Québec) est créée aux fins de demander un régime particulier de relations du travail pour les cadres. Elle regroupe des associations de cadres municipaux, des réseaux de la santé et scolaire et de trois sociétés d’État, soit l’ACSCQ et l’APCPNHQ et l’ADDS/SAQ, mais ne représente pas les associations de cadres du gouvernement, qui, en raison du nombre de membres qu’elles ont (près de 20 000), décident de rester autonomes, tout en entretenant de bonnes relations avec la CNCQ.

[40]        En 2001, lors de la réforme du Code, la CNCQ présente un mémoire en Commission parlementaire, dans lequel elle demande que les cadres ne soient plus exclus de la définition de salarié.

[41]        Le nombre de membres de la CNCQ fluctuera au cours des années. Au printemps 2003, alors qu’elle entame des démarches au palier politique et international pour l’obtention d’un régime donnant droit aux cadres à la négociation collective, elle représente 18 associations de cadres.

[42]        En 2003, les cadres municipaux forment la Fédération des cadres municipaux. Elle a comme objectif, notamment, la création d’un régime de relations du travail propre aux cadres municipaux.

[43]        En octobre 2006, la CNCQ tient un colloque qui porte sur la création d’un régime de relations de travail pour les cadres. L’Interassociation des cadres du Québec est alors constituée et rassemble, en plus des membres de la CNQC, les associations de cadres du secteur public. Sa mission est de négocier avec le gouvernement les suites d’une décision du Comité de la liberté syndicale, rendue en avril 2004, et concluant que l’exclusion des cadres du régime d’accréditation du Code contrevient à la liberté d’association. Nous y reviendrons.

[44]        En 2014, alors que l’Interassociation est dissoute, la CNCQ poursuit ses démarches afin d’améliorer sa position sur le plan international. Elle met sur pied, de concert avec des associations de cadres ontariennes, la Confédération canadienne des cadres (la CCC), afin d’élargir sa portée. L’ACSCQ et APCPNHQ en sont membres. La CNCQ mettra ensuite fin à ses activités. Le professeur Coutu souligne que la disparition de l’Interassociation et de la CNCQ est révélatrice des difficultés qu’elles ont rencontrées. Le nombre de cadres représentées par des associations membres de la CNCQ a chuté drastiquement et la CCC oriente ses activités davantage sur la valorisation du travail des cadres que sur leur droit à la négociation collective.

[45]        Par ailleurs, des associations de cadres dans le secteur public se regroupent pour partager des intérêts communs relatifs aux régimes de retraite et d’assurances collectives.

[46]        Le Regroupement des associations de cadres en matière d’assurance et de retraite (le RACAR) est créé à la fin des années 80. Ce regroupement vise maintenant à représenter ses membres aux fins de consultations et de discussions avec le gouvernement sur les questions relatives aux régimes de retraite et d’assurances. À la fin des années 90, la Coalition d’encadrement en matière de retraite et d’assurances (la CERA) est formée par des membres du RACAR. Ces deux regroupements sont reconnus par le gouvernement.

[47]        Jusque dans les années 2000, les cadres faisaient partie du même régime de retraite que les employés syndiqués (RREGOP). À leur demande, un régime pour le personnel d’encadrement a été mis sur pied (RRPE).

[48]        Des instances de consultation sont créées par le Conseil du trésor, tant pour les régimes de retraite que pour les assurances, auxquelles participent le RACAR et la CERA, ainsi que les principales associations reconnues de cadres.

[49]        Une première structure de consultation plus formelle, la Tribune sur les régimes de retraite des secteurs public et parapublic, voit le jour au début des années 90. Par la suite, la Table de développement la remplace, avec un mandat élargi, qui permet les échanges non seulement sur le régime de retraite, mais aussi sur les assurances. Finalement, en 2009, une Table de consultation est créée, non par décision formelle du Conseil du trésor, comme l’ont été les précédentes instances, mais par les parties elles-mêmes..

2. Situation actuelle

·        Les associations reconnues par voie législative

[50]        La reconnaissance des associations de cadres par voie législative est exceptionnelle et se limite maintenant à deux associations qui ont fait l’objet d’une reconnaissance volontaire avant 1969, soit celle des contremaitres de la Ville de Montréal et celle des ingénieurs cadres, syndiqués avec le SPIHQ.

[51]        Le cas de ce dernier a fait l’objet d’une preuve plus détaillée, par voie d’admissions. Il représente environ 1 800 ingénieurs, dont 156 cadres qui font partie de la même unité et qui supervisent le personnel syndiqué. La convention collective comporte des dispositions régissant leurs conditions de travail et prévoit que les conditions salariales des ingénieurs cadres sont prévues soit dans une disposition de la convention collective, soit dans le Régime de rémunération du personnel non régi d’Hydro-Québec. Actuellement, la moitié des ingénieurs cadres visée par l’accréditation bénéficient des conditions salariales prévues à la convention collective, alors que l’autre est visée par ce régime. Les conditions salariales des ingénieurs qui seront promus cadres sont aussi prévues à ce régime.

·        Les associations reconnues par voie règlementaire

[52]        Les associations de cadres du secteur public, des établissements scolaires et de la santé et des services sociaux sont reconnues par décrets pour représenter l’ensemble du groupe visé auprès de l’employeur.

[53]        Le décret 1153-96, adopté en 1996[33], qui reconnait les associations de cadres de la fonction publique, prévoit ce qui suit :

·        la cotisation est prélevée à même le traitement de tout nouvel employé cadre, qui en est cependant exonéré pendant 30 jours, période pendant laquelle il peut aviser de son refus d’être soumis à la cotisation. Il peut décider par la suite à tout moment de s’en soustraire;

·        le caractère représentatif de l’association est susceptible d’être vérifié en tout temps par le ministre responsable, qui peut aussi suggérer au gouvernement une modification à la description du groupe d’employés. La détermination ou la modification de conditions de travail doit être précédée par une consultation;

·        l’association doit être consultée avant la détermination ou la modification d’une condition de travail.

[54]        Les conditions de travail sont prévues dans une directive du Conseil du trésor et modifiées par décisions de celui-ci. Elles sont en général plus avantageuses que celles des syndiqués. Un recours à la Commission de la fonction publique permet de trancher un différend sur l’interprétation d’une condition de travail[34].

[55]        Le mécanisme de consultation qui précède la modification à une condition de travail est informel : si l’association formule une demande, les représentants du Conseil du trésor l’analysent, afin d’obtenir un « mandat de consultation », et reviennent auprès de l’association avec une proposition. En pratique, il ne semble pas y avoir de négociations nécessitant l’échange de contre-propositions. Les sujets abordés au cours des cinq dernières années ont été réglés en une seule rencontre et consistent davantage en une actualisation des conditions de travail des cadres après la conclusion des conventions collectives avec les employés syndiqués. Le dossier le plus important au cours de ces dernières années aurait porté selon madame Gagnon, conseillère en relations du travail du Conseil du trésor, sur les congés parentaux.

[56]         Bien qu’en principe, toute modification, même mineure, doive être précédée d’une consultation, en pratique ce n’est pas toujours les cas. En effet, le boni au rendement, prévu à l’article 34 et à l’annexe I de la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres, a été aboli par décret depuis 2012, année après année, et ce, sans consultation préalable[35].

[57]        Quant au RACAR et à la CERA, ces deux regroupements d’associations représentent l’ensemble des cadres des secteurs public et parapublic ainsi que des associations d’autres organismes[36] et, comme mentionné précédemment, mènent les discussions en matière de régime de retraite et d’assurances sur une base régulière.

[58]        De plus, les cadres sont représentés au sein du comité de retraite, qui a pour fonction d’administrer le régime. Au cours des dernières années, la mauvaise santé financière du régime a nécessité des modifications, qui ont été adoptées après discussion avec les associations de cadres.

·        Les associations reconnues à la discrétion de leur employeur

[59]        D’autres associations de cadres sont reconnues par leur employeur, au moyen d’une entente. C’est le cas dans le secteur universitaire et dans certaines sociétés d’État. Le contenu des ententes varie d’un employeur à l’autre.

[60]        Dans le secteur privé, le mouvement associatif des cadres aux fins de négocier collectivement leurs conditions de travail est pratiquement inexistant.

3. L’opinion du professeur Coutu

[61]        Le professeur Coutu a procédé à l’analyse de documents de différentes natures : conventions internationales, jurisprudence de différentes instances, lois, sites Web d’associations et études d’auteurs de diverses nationalités portant sur la syndicalisation des cadres. Il n’a pas lui-même conduit de recherche sur le terrain et les études québécoises, voire canadiennes, sont rares et elles datent parfois. Il énonce les constats suivants :

·           À l’exception des associations de cadres accréditées, aucune autre ne bénéficie d’une protection contre la discrimination antisyndicale (entrave, ingérence, mesures de représailles pour activités syndicales);

·           l’employeur prélève les cotisations de leurs membres sur le salaire. Cependant, ce mode de prélèvement n’est pas équivalant à la formule Rand, puisque l’employé peut décider à tout moment de mettre fin à son adhésion;

·           quant aux libérations « syndicales », les ententes, protocoles ou décrets traduisent une grande variété de règles, allant d’un nombre d’heures déterminées accordées à l’association à une libération octroyée à la discrétion de l’employeur et à la pièce;

·           seules les associations accréditées ont accès à un véritable processus de négociation. Certaines associations ont des échanges avec leur employeur, mais celui-ci décide seul en cas d’impasse. Dans la plupart des cas, les ententes permettent une consultation préalable à la détermination ou à la modification unilatérale par l’employeur des conditions de travail plutôt qu’une véritable négociation[37];

·           certaines ententes comportent des conditions de travail, comme l’entente de partenariat conclut entre Hydro-Québec et l’APCPNHQ. Beaucoup ne portent que sur la reconnaissance de l’association;

·           à l’exception des associations accréditées, il n’existe pas de mécanisme pour sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi ni de procédure de règlement des différends par un tiers;

·           quant au règlement des mésententes relatives aux conditions de travail, un tel mécanisme est très rare. La plupart du temps, s’il existe, il ne permet que de contester un congédiement ou une mesure disciplinaire. Les cadres, autres que supérieurs, peuvent porter une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[38].

[62]        Le professeur Coutu met en garde contre le fait de placer les cadres, sans nuance, dans la catégorie des employés privilégiés, car cela ne correspondrait pas à la réalité. Il est d’avis que les cadres subissent une « certaine précarisation de leurs conditions de travail liées aux pressions engendrées par la mondialisation économique, la concurrence accrue entre les entreprises et les conséquences de leurs restructurations quasi permanentes, de même que des difficultés budgétaires que connaît l’État [39]». Les conditions de travail des cadres subalternes ne sont guère un incitatif pour les employés syndiqués à vouloir obtenir une promotion.

[63]        Il souligne aussi la « dissonance » entre la législation québécoise et fédérale quant à la syndicalisation des cadres subalternes, celle-ci étant permise au fédéral alors qu’elle est complètement exclue au Québec. À titre d’exemple, il rapporte le cas des superviseurs de Québec-Téléphone. Le syndicat en cause était au départ accrédité au Québec, mais sans les superviseurs, leur inclusion ayant été refusée en 1970 en raison de leur statut de cadre. Par la suite, en 1994, la Cour suprême, saisie d’une contestation constitutionnelle, décida que l’entreprise relevait de la compétence fédérale. Le syndicat a ainsi pu revenir à la charge pour faire inclure les superviseurs dans son unité, en 1996, par le CCRT[40].

[64]        Le professeur Coutu explique les difficultés des cadres à se regrouper par le fait que, dans le contexte nord-américain, « on a toujours préféré penser la direction de l’entreprise comme unique et indivisible, et exigé une loyauté sans failles de la part du personnel d’encadrement dont on se refuse à admettre un intérêt distinct de celui de la haute direction[41]». Outre le facteur culturel, l’absence d’une masse critique (en particulier dans le secteur privé) et l’absence d’un encadrement juridique permettant la syndicalisation seraient d’autres facteurs décourageant l’exercice du droit d’association des cadres.  

[65]        Par ailleurs, le professeur Coutu ne voit pas d’obstacle significatif à permettre la syndicalisation des cadres. Au contraire, certains avantages pourraient en découler, comme protéger les cadres de pressions indues[42].

[66]        Quelle est la force probante de cette expertise? La Procureure générale est d’avis que le témoignage du professeur Coutu et son rapport ont une faible valeur probante, pour les motifs suivants : celui-ci fonde son opinion sur des suppositions, plutôt que sur des faits; il passe sous silence des éléments contenus dans des études qu’il cite allant à l’encontre de son opinion; les données sur lesquelles il se repose sont insuffisantes.

[67]        À titre d’exemple, un professeur américain, Adam Goldstein, cité dans le rapport du professeur Coutu, est d’avis que les cadres ont des conditions nettement plus avantageuses que le reste des employés et aiment mieux une représentation par association que par syndicat[43]. Aussi, une étude québécoise des auteurs Arnaud Sales et Noël Bélanger[44] conclut qu’une importante majorité des cadres a le sentiment de faire un tout avec la direction et préfère entretenir une collaboration avec l’employeur plutôt que de se donner des moyens de représentation collective.

[68]        Un autre exemple serait celui de l’étude relative à la syndicalisation des cadres au New Jersey, qui précise que le droit de grève étant très rare dans le secteur public de cet État, la syndicalisation des cadres ne pose pas de difficulté dans ce contexte. Or, le professeur Coutu ne mentionne pas cette distinction avec le Québec, alors qu’il réfère abondamment à cette étude[45].

[69]        Le Tribunal constate qu’en effet certaines études, lues dans leur intégralité, auraient effectivement pu apporter des précisions ou nuances dans les conclusions du professeur Coutu. L’importance du sujet en cause aurait probablement mérité une étude plus approfondie et complète. Cependant, le rapport du professeur Coutu demeure utile et probant dans son ensemble. D’ailleurs, la Procureure générale y réfère à plusieurs occasions dans le cadre de son argumentation.

Les démarches des associations de cadres au niveau international

[70]        Le 18 mars 2003, la CNCQ et trois associations de cadres, l’ACSCQ, l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux (ACSSSS) et l’ADDS/SAQ, déposent une plainte au Comité sur la liberté syndicale de l’OIT.

[71]        Elles allèguent ne pas bénéficier d’une protection législative adéquate contre les ingérences des employeurs, ne pas pouvoir négocier collectivement les conditions de travail des cadres québécois et ne pas disposer d’un mécanisme de règlement des différends du travail en remplacement du droit de grève.

[72]        En avril 2004, le gouvernement du Québec transmet ses observations au Comité sur la liberté syndicale, mais sans en envoyer copie à la CNCQ.

[73]        En novembre 2004, après avoir analysé les représentations respectives des associations et des gouvernements du Québec et du Canada, le Comité de la liberté syndicale conclut que l’exclusion des cadres du régime général du Code ne respecte pas les engagements internationaux du Canada en la matière et, plus spécifiquement, la Convention 87 et la Convention 98[46]. Il se fonde en particulier sur les éléments suivants :

462. Le comité note également que les démarches effectuées par les associations de cadres québécois en vue de la reconnaissance de leurs droits syndicaux dans le cadre du Code du travail durent depuis plus de vingt-cinq ans, sans résultats tangibles, et que le dialogue qui a pu exister est maintenant au point mort.

 

463. Au vu de tous ces éléments, le comité demande au gouvernement d’amender les dispositions pertinentes du Code du travail du Québec afin que les cadres jouissent du droit de bénéficier du régime général de droit du travail collectif et de constituer des associations jouissant des mêmes droits, prérogatives et voies de recours que les autres associations de « salariés ».

 

464. Les conclusions du comité concernant les autres aspects de la plainte découlent, mutatis mutandis, de la conclusion ci-dessus.

 

465. S’agissant de la reconnaissance des associations et de leurs droits de négociation collective, le comité note que, dans le cadre du régime actuel, les associations plaignantes jouissent d’une réelle forme de reconnaissance de leurs employeurs respectifs et participent à l’élaboration des conditions de travail de leurs membres. Ces dispositions d’ordre contractuel constituent un embryon de reconnaissance juridique, non consacrée toutefois dans un texte législatif. Les exemples donnés par les associations plaignantes démontrent que la reconnaissance est précaire, variable selon les employeurs et les établissements de travail, et que les conditions de travail ne sont pas codifiées dans de véritables conventions collectives assorties de droits et de garanties qui vont de pair. Cette précarité et l’incertitude qui en découle sur le plan des relations professionnelles sont dues à l’absence d’une véritable reconnaissance juridique des cadres comme « salariés » et de leurs associations, au sens du Code du travail, avec tous les droits afférents.

 

466. S’agissant du règlement des différends collectifs, en raison de leur exclusion du Code du travail, les cadres ne bénéficient pas de mécanismes et recours généraux établis par le Code (conciliation; arbitrage; grève). Le comité rappelle à cet égard que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir leurs intérêts économiques et sociaux. Ce droit peut être restreint, voire interdit : dans la fonction publique uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’état; dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. Il ressort des éléments de preuve soumis que les membres des associations plaignantes ne sont pas des fonctionnaires et que les fonctions des membres d’au moins deux des associations plaignantes ne sauraient entrer dans la définition restrictive des services essentiels : les chefs de table des casinos, membres de l’ACSCQ, et les directeurs de succursale de SAQ, membres de l’ADDS/SAQ. La situation des membres de l’ACSSS est différente à ce titre étant donné que certains d’entre eux exercent leurs fonctions dans les services hospitaliers, dont le comité a reconnu qu’ils pouvaient être considérés comme des services essentiels. En conséquence, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures voulues pour faire en sorte que les cadres concernés jouissent, comme les autres travailleurs, de mécanismes de négociation collective et de règlements des différends conformes aux principes de la liberté syndicale.

 

467. En ce qui concerne les mesures de protection contre les actes d’ingérence et de contrôle par l’employeur, il ressort des allégations que cette protection laisse à désirer : tentative de restreindre les facilités accordées pour s’occuper des activités des associations; demandes de libération refusées; consultation directe de cadres outrepassant leurs associations; employeurs locaux découragent des cadres d’adhérer aux associations; refus de prélever des cotisations; traitement différencié dans le choix des associations admises à participer paritairement à l’administration des régimes d’assurance. De l’avis du comité, toutes ces actions ne peuvent avoir pour effet, en dernière analyse, que d’amener les membres actuels et potentiels des associations à s’interroger sur l’utilité d’y adhérer, puisque la négociation collective et ses incidents ne sont pas encadrés par le Code et qu’il n’existe pas de véritable protection juridique contre des actes qui seraient punissables aux termes du Code s’ils étaient posés contre des salariés couverts par le régime général de relations professionnelles. Les dispositions du Code criminel mentionnées par le gouvernement à cet égard ne sont pas appliquées par une juridiction spécialisée (tel un commissaire du travail ou un tribunal du travail) et n’offrent pas le même degré de protection étant donné le fardeau et le degré de preuve nécessaires. En conséquence, le comité demande au gouvernement d’amender la législation et de prendre les mesures voulues pour faire en sorte que les cadres concernés jouissent, comme les autres travailleurs visés par le Code du travail, de recours et de mécanismes de protection contre les actes d’ingérence et de domination des employeurs, conformément aux principes de la liberté syndicale.

 

(soulignement ajouté; références omises)

 

[74]        Au terme de ces conclusions, le comité formule trois recommandations:

Recommandation du comité

 

470. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes :

 

a) Le comité demande au gouvernement d’amender le Code du travail du Québec afin que les cadres aient le droit de bénéficier du régime général de droit du travail collectif et de constituer des organisations jouissant des mêmes droits, prérogatives et voies de recours que les autres organisations de travailleurs, notamment en ce qui concerne les mécanismes de négociation collective et de règlement des différends et la protection contre les actes de domination et d’ingérence des employeurs, le tout conformément aux principes de la liberté syndicale.

 

b) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation sur tous les aspects mentionnés ci-dessus et notamment des mesures prises pour mettre la législation en conformité avec les principes de la liberté syndicale.

 

c) Le comité attire l’attention de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs du présent cas.

 

(soulignement ajouté)

 

[75]        En août 2005, le gouvernement informe le BIT de la mise sur pied, au mois de mars précédent, d’un comité interministériel afin d’étudier les recommandations du Comité de la liberté syndicale.

[76]        En juin 2006, en l’absence d’autre développement, le Comité de la liberté syndicale rappelle au gouvernement que « les principes de la liberté syndicale doivent être intégralement appliqués sur l’ensemble de son territoire ». 

[77]        En décembre 2006, l’une des trois associations plaignantes, l’ACSSSS, se retire de l’instance devant le Comité de la liberté syndicale.

[78]        En septembre 2007, à la suite de discussions entre le gouvernement et l’Interassociation des cadres du Québec, une suspension de la plainte au BIT est demandée conjointement par les parties impliquées.

[79]        Le 2 décembre 2008, l’ACSCQ écrit au BIT afin que soit repris le traitement de sa plainte, démarche qui est encore une fois appuyée par la CNCQ.

[80]        À la suite d’un suivi de la mise en œuvre de ses recommandations, le Comité de la liberté syndicale déplore l’absence de progrès et requiert des explications du gouvernement. Il le fera à plusieurs reprises par la suite, sans que la situation n’évolue.

[81]        Ainsi, dans un rapport de suivi de novembre 2010, le Comité de la liberté syndicale note que le gouvernement répond devoir réserver ses commentaires en raison du dépôt de la requête en accréditation devant la Commission[47]. Puis, un an plus tard, il rapporte que le gouvernement a fait les observations suivantes:

Le Procureur général du Québec, agissant pour et au nom du gouvernement du Québec, est également partie à ces procédures judiciaires, lesquelles sont toujours en cours. Le gouvernement ajoute que les parties maintiennent ainsi une certaine forme de dialogue, qui n’exclut pas que des négociations, des consultations ou des échanges d’informations puissent avoir lieu entre les représentants des parties[48].

 

(soulignement ajouté)

 

[82]        En octobre 2013, faisant suite à une nouvelle relance de l’ACSCQ, le Comité de la liberté syndicale demande à nouveau au gouvernement d’entreprendre les modifications législatives au Code afin de le rendre conforme aux principes de la liberté syndicale.

[83]        Au moment de la mise en délibéré du présent dossier, la situation n’avait pas changé.

Les démarches des associations de cadres auprès du gouvernement

[84]        En parallèle à la plainte au BIT, la CNCQ poursuit ses démarches au niveau national. Le 21 mars 2003, elle écrit aux chefs des trois principaux partis politiques afin qu’ils prennent un engagement formel de créer un régime de relations du travail spécifiques pour les employés cadres, équivalent à celui que reconnait le Code. Elle les avise aussi du dépôt de la plainte au BIT.

[85]        À la suite des recommandations énoncées par le Comité de la liberté syndicale, la CNCQ sollicite une rencontre avec le ministre du Travail en mars, puis en septembre 2005. En octobre 2005, on l’avise de la création d’un comité interministériel qui doit se pencher sur les recommandations du Comité de la liberté syndicale. On l’assure qu’elle sera conviée à échanger sur le sujet par la suite.

[86]        En février 2006, toujours sans nouvelle, la CNCQ écrit à nouveau au ministre du Travail afin de lui demander de pouvoir discuter avec le gouvernement sur le nouveau régime à être mis en place et lui présenter un mémoire qu’elle a préparé à cet effet. On lui répond que les travaux du comité interministériel ne sont toujours pas exécutés, mais qu’elle peut transmettre son mémoire. La CNCQ refuse de le faire en dehors du cadre d’une rencontre.

[87]        Celle-ci a finalement lieu le 21 avril 2006, rencontre au cours de laquelle la CNCQ dépose son mémoire aux représentants du ministre du Travail et du ministre des Relations internationales. Elle réclame une législation particulière pour un régime de relations du travail pour les cadres des secteurs public, parapublic et des organismes gouvernementaux.

[88]        Par la suite, les associations de personnel cadre se réunissent pour faire le point sur leur position lors d’un colloque. En décembre 2006, la CNCQ sollicite à nouveau une rencontre avec les représentants du gouvernement afin de faire le suivi sur les travaux. Sa demande n’aura pas de suite.

[89]        Le 22 février 2007, la CNCQ dénonce auprès du premier ministre le non-respect des protocoles d’entente conclus avec l’ACSCQ et notamment l’abolition d’une vingtaine de postes au Casino du Lac-Leamy, sans aucune consultation.

[90]        En 2007, les représentants de l’Interassociation et ceux du gouvernement se rencontrent à deux reprises, en mars et en septembre. Cette fois, le gouvernement est représenté par le Secrétaire associé du Conseil du trésor, Gilles Charland, et par une sous-ministre du Travail.

[91]        L’Interassociation demande une loi établissant un régime de relations du travail pour les cadres comprenant les mêmes éléments que ceux énoncés dans sa plainte au BIT : reconnaissance des associations de cadres, droit à la négociation collective, mécanisme de règlements des conflits et arbitrage en remplacement du droit de grève.

[92]        Le gouvernement refuse catégoriquement l’adoption d’une telle loi, mais propose la mise en place d’un Guide de bonne gouvernance qui encadrerait ses discussions avec les associations du secteur public (fonction publique, éducation et réseau de la santé). Bien que ce Guide ne lierait pas les sociétés d’État, gérées par des conseils d’administration autonomes, le gouvernement s’engage à user de son influence afin qu’elles l’adoptent également.

[93]        Il est convenu de demander conjointement la suspension de la plainte au BIT, afin de permettre à la Société et à la Société des alcools du Québec (la SAQ) de négocier avec leurs associations de cadres respectives l’équivalent du Guide de bonne gouvernance.

[94]        À la fin de cette deuxième rencontre, l’ACSCQ aborde avec Gilles Charland plusieurs sujets de préoccupations : uniformisation des protocoles d’entente s’appliquant au Lac-Leamy et au Casino, la reconnaissance de l’association, les mécanismes de consultation et les libérations professionnelles. L’ACSCQ veut être reconnue comme représentant les cadres de premier niveau, tous secteurs confondus et dans l’ensemble des casinos. Elle se plaint de ne pas être consultée et parfois même d’être avisée tardivement lors de modifications de conditions de travail; elle requiert un mécanisme de règlement des différends, en particulier en cas de fin d’emploi; elle sollicite une révision du nombre de libérations avec solde en se comparant aux autres associations de cadres.

[95]        Le 12 décembre 2007, faisant suite à la rencontre du 6 septembre précédent, Gilles Charland écrit à l’Interassociation: « Tel qu’énoncé lors de cette rencontre, le gouvernement du Québec n’a pas l’intention d’imposer aux employeurs externes des secteurs public et parapublic (organismes publics, municipalités, etc.) une quelconque forme de reconnaissance d’une association de cadres pour fins de relations de travail.[49]»

[96]        Le projet de Guide de bonne gouvernance sera jugé insatisfaisant par l’Interassociation, car on n’y retrouve qu’un simple régime de consultation et non de négociation collective, sans aucun mécanisme de règlement des différends. L’ACSCQ fera également part de son mécontentement à l’égard de cette mesure en 2007 et en 2008.

[97]        En janvier 2008, l’ACSCQ, l’APCPNHQ et ADDS/SAQ écrivent à Gilles Charland afin de lui confirmer qu’elles entendent poursuivent leurs discussions avec leurs directions respectives pour atteindre trois objectifs : la reconnaissance des associations de cadres existantes, l’obtention du droit à la négociation des conditions de travail et la création d’un mécanisme de résolution de différends.

[98]        Les démarches semblent prometteuses pour certains. Ainsi, Gilles Lachance, président de la CNCQ à cette époque, témoigne des progrès réalisés en ces termes :

[J]e dois dire que les mois suivants, il y a eu énormément de débouchés, pratiquement dans tous les ministères et puis dans certaines sociétés d’État, où les employeurs, les représentants des employeurs ont convenu de convoquer les associations et puis de discuter de leurs conditions de travail[50].

 

[99]        L’ADDS/SAQ obtient de la part de sa direction des résultats qui la satisfont. Notamment, la libération de son président à temps complet, la participation à des comités mixtes, dont un relatif à la rémunération, et un processus de consultation et de discussion continu, tant pour les conditions de travail des directeurs de succursales que pour les questions opérationnelles. Elle ne poursuivra donc pas son intervention au niveau international.

[100]     Cependant, tel n’est pas le cas pour l’ACSCQ qui continue ses démarches, toujours avec l’appui de l’ADDS/SAQ et la CNCQ.

[101]     En novembre 2008, l’ACSCQ écrit au premier ministre Jean Charest, ainsi qu’aux chefs des deux autres partis, Pauline Marois et Mario Dumont, afin de les sensibiliser à ses revendications et à la nécessité d’établir un régime de relations du travail spécifique aux cadres des secteurs public, parapublic et des organismes publics, en faisant état des demandes formulées en janvier précédent au gouvernement. Elle ne reçoit que des accusés de réception des trois partis.

[102]     Le 26 octobre 2009, la CNCQ écrit au BIT, afin de réitérer son appui à la plainte de l’ACSCQ. Elle souligne que les multiples démarches de l’ACSCQ auprès de son employeur n’ont rien donné.

la preuve particulière au dossier de l’APCPNHQ

Hydro-Québec

 

[103]     Hydro-Québec est une Société d’État, constituée en vertu de la Loi sur                      Hydro-Québec[51], laquelle a le pouvoir de produire, acquérir, vendre, transporter et distribuer de l’énergie. Elle est formée de quatre divisions : Production, TransÉnergie, Distribution et Équipements.

[104]     Hydro-Québec Production, comme son nom le laisse deviner, produit de l’électricité et la commercialise au Québec et hors Québec. Hydro-Québec TransÉnergie exploite le plus vaste réseau de transport d’électricité de l’Amérique du Nord pour ses clients au Québec et hors Québec. Hydro-Québec Distribution assure aux Québécois l’approvisionnement en énergie; au-delà du volume annuel d’électricité fourni par Hydro-Québec Production, elle s’approvisionne sur les marchés. Hydro-Québec Équipement et la Société d’énergie de la Baie-James, filiale d’Hydro-Québec, sont les maîtres d’œuvre des projets de construction d’Hydro-Québec Production et d’Hydro-Québec TransÉnergie.

[105]     Outre ces quatre divisions, Hydro-Québec regroupe six vice-présidences au niveau corporatif qui relèvent du président-directeur général: la vice-présidence Technologies de l’information; la vice-présidence Développement en affaires et planification stratégique; la vice-présidence Affaires corporatives et secrétariat général; la vice-présidence Ressources humaines; la vice-présidence exécutive et Chef de la direction financière et enfin la vice-présidence Financement, trésorerie et caisse de retraite.

[106]     La vice-présidence des ressources humaines s’occupe des grandes orientations, de la cohérence entre les divisions et des règles transversales qui touchent à l’ensemble de l’entreprise. La preuve n’a pas porté de façon détaillée sur l’organisation des ressources humaines au niveau des divisions. Il ressort néanmoins que des conseillers en ressources humaines y sont affectés et s’occupent  des conditions particulières, selon les réalités et les besoins propres aux divisions.

[107]     Le Protecteur de la personne, dont il sera question plus loin, est nommé par le conseil d’administration et relève directement du président-directeur général. Étant donné qu’à la période pertinente, le poste est occupé par des femmes, le titre sera utilisé au féminin dans la présente décision.

[108]     Chaque division est une entreprise en soi, chapeautée par le niveau corporatif, comme le « holding » d’un groupe, pour reprendre l’image de Patrice Périard, directeur Relations du travail et rémunération globale.

[109]     Hydro-Québec se décline en six paliers hiérarchiques de gestionnaires : le président-directeur général nommé par le conseil d’administration, le président, les           vice-présidents, les directeurs, les cadres intermédiaires et les cadres de maîtrise, qu’on appelle aussi cadres de premier niveau.

[110]     Les cadres de maîtrise, ou de premier niveau, sont ceux visés par la présente requête. Ils sont au nombre de 800 et se retrouvent dans toute l’entreprise et sur tout le territoire. Un litige subsiste entre les parties sur ceux occupant la classe 7, qui sont regroupés avec des cadres supervisant d’autres cadres.

[111]     Hydro-Québec est une entreprise à la structure organisationnelle d’autant plus complexe qu’elle s’étend sur tout le territoire de la province et qu’elle est sujette à de nombreuses réorganisations, qui donnent lieu à une révision régulière des organigrammes.

[112]     Elle compte environ 20 000 employés, dont la large majorité est syndiquée, au sein de 9 associations accréditées.

[113]     Parmi ces associations accréditées, comme déjà mentionné au chapitre du portrait des associations de cadres, le SPIHQ compte parmi ses membres des cadres de premier niveau, qui supervisent du personnel syndiqué, faisant partie de la même unité de négociation, et qui sont régis par une convention collective.

L’APCPNHQ

 

[114]     L’APCPNHQ est formée à la suite d’une importante réorganisation dans l’entreprise, qui amène, en 1985, les cadres de premier niveau à se regrouper afin d’être représentés par une association qui verrait à défendre leurs intérêts et, plus particulièrement, pour améliorer leurs conditions de travail et leur sécurité d’emploi. Rapidement, les fondateurs de l’APCPNHQ réunissent quelque 700 membres.

[115]     En octobre 1985, l’association sollicite sa première rencontre avec la direction d’Hydro-Québec. Elle y précise que son mandat vise à représenter ses membres aux fins de « négocier un contrat collectif » de travail et voir à son application. Elle veut pouvoir rencontrer Hydro-Québec afin de préparer ces « négociations collectives ».

[116]     Cette rencontre a lieu le 9 décembre 1985, mais se limite, ainsi qu’en a décidé Hydro-Québec, à discuter du caractère représentatif de l’association. L’APCPNHQ lui fait néanmoins part de sa volonté de négocier un contrat collectif, avec une procédure d’appel lui permettant de défendre ses membres.

[117]     Plusieurs autres rencontres succèdent à celles-ci. Hydro-Québec est ouverte à reconnaitre l’APCPNHQ, mais évite tout vocable qui renvoie à un syndicat et à la négociation collective.

[118]     Le 11 juin 1986, Hydro-Québec et l’APCPNHQ signent une première entente, qui porte sur la reconnaissance de cette dernière. L’article 2 prévoit :

2. Reconnaissance de l’Association

L’entreprise, dans son esprit de collaboration et de concertation, reconnaît l’Association comme :

a) le seul organisme représentatif et, par conséquent, habilité à discuter, rechercher et convenir avec l’entreprise d’ententes relatives aux conditions de travail des cadres de premier niveau;

 

b) le seul organisme représentatif habilité à représenter les cadres de premier niveau membres de l’Association auprès d’Hydro-Québec sur l’application de leurs conditions de travail.

 

[119]     Cette reconnaissance est sujette à ce que l’APCPNHQ ait l’adhésion de la majorité des cadres de premier niveau. D’autres éléments sont aussi prévus, comme la fourniture d’une liste de renseignements sur les cadres de premier niveau, le prélèvement d’une cotisation et des libérations syndicales pour cinq représentants, avec solde lorsqu’ils participent à des rencontres avec l’employeur. Enfin, il est convenu que les parties formeront un comité mixte de « discussions et d’échanges dans le but de rechercher la conclusion d’ententes, d’apporter des améliorations aux ententes existantes, et d’échanger sur les préoccupations des parties, le tout dans la recherche du respect des intérêts mutuels ».

[120]     L’APCPNHQ est constituée, un peu plus tard la même année, en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels[52]. Elle adopte ses statuts et règlements, qui énoncent que son objectif vise « l’étude, la défense et le développement des intérêts économiques, sociaux et moraux de ses membres ». Son comité de direction, tel qu’il est aujourd’hui, est composé de 7 vice-présidents et 33 directeurs, élus par les membres.

[121]     Claude Grégoire, président fondateur, explique qu’il utilise la stratégie « des petits pas » afin que l’APCPNHQ devienne ultimement un véritable syndicat[53], en s’inspirant de la situation des ingénieurs-cadres, syndiqués avec le SPIHQ. Il veut pouvoir négocier d’égal à égal avec l’employeur, ce qui n’est pas le cas lorsque l’association n’est pas accréditée, explique-t-il.

[122]     Le comité de direction de l’APCPNHQ adopte une résolution en octobre 1986 dans laquelle il souligne que « les gains obtenus doivent être considérés comme une première étape sans plus. Aussi, dans un avenir prévisible, Hydro devra montrer une plus grande  ouverture afin que les préoccupations des cadres de premier niveau soient satisfaites ».

[123]     L’APCPNHQ représente aujourd’hui de 80 % à 86 % des cadres de premier niveau, lesquels sont répartis dans l’ensemble des divisions et au sein du secteur corporatif d’Hydro-Québec.

[124]     L’APCPNHQ utilise les services de trois personnes en permanence: un président, un directeur général et une secrétaire. Elle a des revenus annuels de plus de 700 000 $, constitués essentiellement des cotisations de ses membres, et elle est propriétaire d’une unité en copropriété qu’elle utilise comme bureau.

La conclusion d’une entente de partenariat

[125]     Après la signature de l’entente sur la reconnaissance de l’APCPNHQ, en 1986, les parties signent, le 20 janvier 1987, une première entente de partenariat, suivie d’une autre peu après, en mars 1988.

[126]     Dès 1987, il est prévu que l’APCPNHQ doit être « impliquée a priori » sur les programmes ou préoccupations qui ont un impact sur les conditions de travail des cadres de premier niveau.  La sécurité d’emploi leur est accordée.  De plus, les règles permettant de pourvoir des postes vacants y sont décrites. Une procédure de règlement des différends quant à l’application des conditions de travail est aussi prévue, mais, sauf pour des cas bien définis, Hydro-Québec demeure seule à trancher. Selon Claude Grégoire, le « processus interne ne valait rien »[54].

[127]     Par ailleurs, ces ententes sont muettes sur plusieurs conditions de travail : la rémunération; l’horaire de travail; les avantages sociaux et les bonis. Aucune date de terminaison n’est prévue.

[128]     Une troisième entente est signée le 25 mai 1998, une quatrième, le 1er octobre 2004, et, finalement celle actuellement en vigueur, en juin 2010. De plus entre le renouvellement de chacune d’elles, les parties ont signé des lettres d’entente.

L’entente de partenariat de 2010

[129]     Dans le cadre du renouvellement de l’entente de partenariat, les parties se rencontrent plus d’une dizaine de fois sur une période de 15 mois, entre mars 2009 et juin 2010. Leurs échanges, qui s’apparentent plus à des discussions qu’à de véritables négociations, ne durent parfois qu’une heure ou deux et n’ont rien de comparable à un « blitz » de négociation, de préciser Jacques Laberge, président de l’APCPNHQ à cette période.

[130]     À l’automne 2009, Patrice Périard, chef des conditions de travail à l’époque, et Jacques Laberge rencontrent les cadres de premier niveau pour leur faire part, conjointement, de l’avancement des travaux de renouvellement de l’entente de partenariat.

[131]     Le 10 juin 2010, les parties signent l’entente qui est encore en vigueur à ce jour (l’Entente). Elle comporte les principaux éléments suivants :

·          La reconnaissance de l’APCPNHQ et les interrelations entre les parties;

·          une liste, tenue à jour, de divers renseignements à propos des cadres de premier niveau, qui doit être remise à l’association mensuellement;

·          les modalités de libération des représentants : Hydro-Québec assume dorénavant 60 %, au lieu de 25 %, de la rémunération versée au président et au directeur général de l’APCPNHQ. Lorsque les vice-présidents et les directeurs sont libérés pour participer à une rencontre avec Hydro-Québec, cette dernière assume leur rémunération, mais les frais de déplacement sont sous la responsabilité de l’APCPNHQ; dans les autres cas, les libérations sont à la charge de l’APCPNHQ. Il peut y avoir jusqu’à cinq représentants libérés avec solde;

·          la sécurité d’emploi;

·          une clause sur les horaires de travail;

·          une disposition sur la prime de disponibilité, qui réfère aux « paramètres établis au cadre de référence de chaque unité d’affaires »;

·          le « surtemps », qui désigne le travail accompli pour des circonstances exceptionnelles en dehors de la prestation normale;

·          le remboursement des repas pris en « surtemps » ou le midi selon des conditions qui sont prévus aux « encadrements en vigueur »;

·          la façon de pourvoir les postes vacants;

·          l’affectation temporaire d’un cadre de premier niveau à un poste de cadre intermédiaire; cessation du versement des cotisations à l’APCPNHQ si l’affectation est d’une durée de quatre mois ou plus;

·          la préparation de la relève aux postes de cadres par une référence au programme de l’entreprise à ce sujet;

·          une procédure de règlement de différends ou de plaintes, détaillée plus loin, qui demeure interne, sauf exception, et en vertu de laquelle le président-directeur général décide ultimement de l’issue du différend;

·          une série de lettres d’entente portant sur des conditions de travail particulières pour certains cadres, par exemple pour ceux travaillant sur le territoire de la Baie-James.

[132]     La grande majorité des clauses de l’Entente se trouvaient déjà dans les précédentes. Quelques modifications ou ajouts y sont apportés. Tout comme celles qui l’ont précédée, elle ne comporte aucun terme. Des conditions de travail importantes n’y sont toujours pas prévues : la rémunération, les augmentations, la progression salariale, les bonis, les avantages sociaux, le régime de retraite. On réfère également à des « encadrements » de l’entreprise ou à des « règles de gestion », qui n’en font pas partie, et qui sont édictés par l’employeur[55].

[133]     L’APNCPNHQ sort mécontente de cet exercice de 2010, car seules 3 modifications sont apportées sur les 35 demandes qu’elles avaient présentées, dont une douzaine touchait à des sujets d’importance. Elles sont parfois même rejetées par l’employeur, sans place à la discussion.

[134]     Par ailleurs, les parties conviennent de l’instauration d’une dizaine de processus et d’outils d’aide à la gestion pour répondre à certaines préoccupations soulevées par l’APCPNHQ.

[135]     Parmi ces mesures, afin que cesse l’application inégale de l’entente de partenariat selon les unités d’affaires, Hydro-Québec et l’APCPNHQ présentent ensemble l’Entente aux responsables des ressources humaines des divisions.

La portée de la reconnaissance de l’APCPNHQ

[136]     L’APCPNHQ est reconnue pour représenter les cadres de premier niveau, définis à la clause 1.1, comme « le premier niveau de commandement qui gère majoritairement des employés ». Certaines exceptions sont spécifiées :

Sont exclus les cadres avec relevants cadres, les cadres assujettis au SPIHQ, les cadres de la fonction Ressources humaines, les cadres régis par le Répertoire des conditions de travail de chantiers (RCTC), les cadres occupant des fonctions de nature stratégique ou confidentielle, les cadres affectés à des projets spéciaux, les cadres occupant des emplois de classe 7 et plus dont les conditions de travail sont différentes.

 

(références omises)

 

[137]     On notera que les exclusions de la définition de cadre de premier niveau à l’Entente sont les mêmes que celles prévues mentionnées dans la description de l’unité de négociation demandée par la présente requête en accréditation, sauf en ce qui concerne les cadres de la classe 7. Les parties ne s’entendent en effet pas sur ce point.

[138]     Leur désaccord sur cette question prend naissance à la suite d’un nouveau plan d’évaluation des emplois, en 2007, qui reconfigurent complètement les classes d’emploi. Certains cadres de premier niveau sont alors placés dans la classe 7, dont ils composent environ 10 % des effectifs, avec des cadres supervisant d’autres cadres.

[139]     Lors du renouvellement de l’entente, l’APCPNHQ demande à pouvoir représenter les personnes de cette classe qui ne gèrent que du personnel syndiqué. Hydro-Québec refuse, car elle ne veut pas que des employés d’une même classe d’emploi puissent avoir des conditions de travail différentes. Elle met fin aux discussions sur ce point, en menaçant de cesser complètement les rencontres pour le renouvellement de l’entente, si l’APCPNHQ ne laisse pas tomber cette revendication.

[140]     L’exception dans la définition de cadre de premier niveau visant les cadres de la classe d’emploi 7 est donc introduite en 2010 dans l’Entente.

[141]     Outre la question des cadres de la classe 7, la possibilité pour l’APCPNHQ de représenter des personnes occupant temporairement un poste de cadre de premier niveau a aussi fait l’objet de discussions. L’affectation temporaire peut aller jusqu’à 12  mois, parfois plus. En 2005, Hydro-Québec, après avoir mis sur pied un comité avec les associations accréditées, auquel l’APCPNHQ n’est d’abord pas conviée à participer, décide de maintenir les conditions de travail du poste d’origine, pendant l’affectation temporaire. Ces personnes ne peuvent donc adhérer à l’APCPNHQ. 

[142]     Par ailleurs, à plusieurs occasions, Hydro-Québec a soulevé, dans le cadre de recours civils entrepris par l’APCPNHQ, l’absence d’intérêt juridique de celle-ci. Cette prétention a toutefois été rejetée par la Cour supérieure dans un dossier concernant l’application de la procédure permettant de pourvoir des postes, prévue à l’entente de partenariat. L’appel ayant été déposé par l’APCPNHQ à propos d’autres questions[56], la décision de la Cour supérieure est finale sur ce point.

[143]     Enfin, bien que depuis 1986, Hydro-Québec reconnaisse de façon formelle que l’APCPNHQ représente tous les cadres de premier niveau, il arrive régulièrement que des changements qui les affectent soient décidés par l’employeur, sans qu’elle ne soit consultée ou même informée. Les quelques situations suivantes permettent d’illustrer la problématique.

[144]     Le premier exemple concerne la révision du programme d’évaluation, en 1994. Lors d’une rencontre du comité mixte, en février 1994, Hydro-Québec informe l’APCPNHQ de la révision en cours et qu’une consultation serait tenue auprès de la « population concernée ». Lorsque l’APCPNHQ demande si elle sera également consultée, on lui répond qu’ « on ne peut affirmer si l’Association sera consultée comme organisme ou si seuls ses membres le seront à titre d’employés ».

[145]     Le deuxième exemple a trait à la fermeture de la centrale de Gentilly, en 2012. À cette occasion, la direction rencontre les associations accréditées syndicats, afin qu’ils puissent informer leurs membres des procédures de la fermeture. L’APCPNHQ ne reçoit aucune information : elle est ignorée ou oubliée par la direction, semble-t-il. Gilles Chandonnet, président de l’APCPNHQ à l’époque, explique que l’attitude de l’employeur à cette occasion à l’égard des cadres n’est pas unique et que souvent ceux-ci ont l’impression d’avoir droit à moins de considération que les employés syndiqués. Il dira qu’« ils nous considèrent comme des cadres ou bien ils nous considèrent pas comme des cadres, là ils nous considèrent pas comme des cadres puis ils nous considèrent encore moins comme des syndiqués. Ça fait qu’on est entre deux »[57].

[146]     Ce manque d’égard est également ressenti à l’occasion de l’utilisation par Hydro-Québec de la messagerie électronique des cadres de premier niveau, lors d’un processus pour pourvoir des postes. Ainsi, en 2012, l’APCPNHQ est informée par un de ses membres qu’Hydro-Québec a accédé à sa boîte de courriels pour transmettre, de sa part, mais sans qu’il ne le sache, un message à un candidat retenu aux fins d’embauche, qu’il avait reçu en entrevue. Le cadre en question l’a appris par hasard. L’APCPNHQ enquête et découvre qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais d’une pratique de l’employeur. Elle lui demande alors qu’il cesse d’utiliser la messagerie de ses membres, mais celui-ci refuse, ce qui donne lieu à un recours civil en injonction et en dommages.

[147]     Le dernier exemple est relatif aux horaires de travail. Vers 2015, l’APCPNHQ apprend que des discussions sont en cours entre la direction et les associations syndiquées afin d’étendre l’horaire du Service à la clientèle. Lorsqu’elle se plaint de ne pas être conviée à participer aux discussions, on lui répond que cela s’avère, pour l’instant, prématuré, car on ignore s’il sera nécessaire d’avoir un cadre de premier niveau affecté à cet horaire. Elle en sera informée le cas échéant. L’APCPNHQ craint d’être mise devant le fait accompli, sans avoir pu participer aux discussions, contrairement aux syndicats.

Les échanges entre les parties

1. les clauses de l’entente

[148]      L’Entente souligne la philosophie qui doit gouverner les rapports entre                      Hydro-Québec et l’APCPNHQ.

[149]      Ainsi, selon la clause 1.2 de l’Entente, Hydro-Québec, « dans son esprit de collaboration et de concertation », reconnait l’Association comme représentante des cadres de premier niveau. De plus, les parties conviennent de se rencontrer en comité mixte « pour fins de discussions ou d’échanges » dans le but de conclure des ententes ou d’apporter des modifications à l’Entente, le tout à la recherche de « solution gagnant-gagnant ».

[150]     Selon la clause 1.3, Hydro-Québec doit « [i]mpliquer, a priori, l’Association sur les projets, programmes ou préoccupations qui ont un impact sur les conditions de travail des cadres de premier niveau ».

[151]     De plus, les discussions à l’échelon local sont favorisées :

1.3 : Dans leur mode d’interrelations, les parties privilégient des relations qui respectent les principes suivants :

 

[…]

 

1.3.3. Privilégier un fonctionnement décentralisé qui assure les interventions de l’Association le plus près possible de l’action;

 

1.3.4. Les parties conviennent de rechercher les domaines d’implication des cadres de premier niveau. À cette fin, au niveau local, elles peuvent convenir de la formation d’un ou des comités, s’il y a lieu.

 

(soulignement ajouté)

 

[152]     Par ailleurs, le terme « négociations » n’apparait nulle part dans l’Entente. De même, le document ayant servi à la présentation en mai 2010 réfère à l’aboutissement des « discussions » entre les parties. Lors de rencontres avec Hydro-Québec, il arrive aussi qu’on mette en garde l’APCPNHQ de ne pas adopter une attitude de « syndicat » [58].

2. les mécanismes de consultation

[153]     Les échanges entre Hydro-Québec et l’APCPNHQ se font de différentes façons, soit plus formellement, à travers des comités structurés, ou selon les besoins, sur un mode moins encadré.

[154]     Les comités de relations du travail permettent d’aborder les dossiers individuels ou les problématiques qui concernent seulement un groupe d’employés. Leur nombre varie selon les besoins. Ils peuvent être initiés aussi bien par l’employeur que par l’association. Les représentants d’Hydro-Québec sont souvent des cadres intermédiaires ou des directeurs.

[155]     Les comités mixtes ont, quant à eux, pour but de permettre des discussions sur des problématiques de nature plus globales de l’entente de partenariat. Il y en a sept en tout, soit un par division, un pour le niveau corporatif et deux pour des services particuliers. En théorie, ils ont lieu quatre fois par année chacun, mais, en pratique, il y en a rarement plus de trois et même, dans certaines divisions, ils sont si régulièrement reportés par l’employeur, qu’il arrive qu’aucun ne soit tenu de toute l’année. 

[156]     Les rencontres se déroulent sur un mode prédéterminé et des comptes rendus sont normalement faits après chacune des rencontres.

[157]     L’APCPNHQ y est représentée, en général, par au moins une personne qui possède un pouvoir décisionnel (président, directeur général ou vice-président) et une du milieu concerné. Hydro-Québec, à l’exception de la division TransÉnergie, est représentée par un conseiller en ressources humaines, qui agit davantage comme « courroie de transmission »[59] avec le palier décisionnel ou les gestionnaires des cadres de premier niveau, ce qui occasionne des frustrations à l’APCPNHQ.

[158]     Par ailleurs, des échanges entre les représentants d’Hydro-Québec et le président ou le directeur général de l’APCPNHQ ont lieu sur une base continue et informelle et donnent parfois lieu à la conclusion de lettres d’entente.

[159]     Si la problématique concerne une situation particulière, qui prend place en région, une fois le dossier initié entre les dirigeants de l’APCPNHQ et les ressources humaines du niveau corporatif, les discussions se poursuivent localement, ce qui est favorisé par les deux parties.

[160]     L’APCPNHQ ne s’est jamais vu refuser une rencontre ou un entretien téléphonique.

[161]     Enfin, l’APCPNHQ rencontre annuellement le président-directeur général rencontre au cours de laquelle les grandes orientations de l’entreprise et les enjeux de l’association peuvent être abordés.

3. la teneur des échanges

[162]     Ces échanges, que ce soit au sein d’un comité mixte ou lors d’une rencontre ponctuelle, permettent de régler des situations problématiques. L’APCPNHQ peut amener différents sujets à discuter, dont certains ne font partie de l’Entente. Ainsi, à titre d’exemple, dans le cadre des discussions en vue de son renouvellement, l’APCPNHQ a demandé qu’un ajustement salarial soit apporté afin de réduire un trop grand écart entre deux classes d’emploi de cadres de premier niveau, écart apparu à la suite du plan d’évaluation de 2007. Elle a eu partiellement gain de cause, Hydro-Québec ayant octroyé un montant forfaitaire permettant de réduire l’écart salarial pour une année.

[163]     Toutefois, si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur une solution commune, Hydro-Québec prend la décision seule.

[164]     De plus, ces échanges ne sont pas toujours de la nature d’une discussion et se limitent à de la transmission d’informations. L’APCPNHQ est alors mise devant le fait accompli.

[165]     Enfin, il arrive que les positions arrêtées en comité mixte entre l’APCPNHQ et le palier corporatif ne produisent pas d’effets, n’étant pas suivies par les divisions. De même, les éléments convenus en comité mixte d’une division avec un conseiller en ressources humaines peuvent être ignorés par les gestionnaires des cadres de premier niveau, qui ne participent pas au comité. L’APCPNHQ doit revenir à la charge, dans certains cas de façon répétée, sans que de véritables changements ne surviennent.

[166]     Une situation similaire se produit lorsque l’APCPNHQ dénonce qu’une règle de gestion n’est pas appliquée par une division, ou reçoit une interprétation différente d’une division à l’autre, ce qui amène à développer ainsi une « culture locale[60] ». Les discussions avec le palier corporatif tournent généralement court, car celui-ci ne semble ne pas avoir de réels moyens pour faire respecter les encadrements de l’entreprise à l’égard des divisions.

[167]     Par ailleurs, lors de la rencontre annuelle avec le président-directeur général de 2012, l’APCPNHQ avait annoncé vouloir lui présenter un document de réflexion sur les difficultés qu’elle rencontre à faire respecter l’entente de partenariat. Le document, intitulé « Faire partie de la solution? », souligne notamment que l’APCPNHQ ne se sent pas traitée comme une partenaire par l’entreprise et que les cadres de premier niveau peu considérés. On l’empêche d’aborder ce document, qui demeurera sans suite, après avoir été remis au vice-président Ressources humaines.

4 les déficiences des mécanismes de consultation

[168]     Gilles Chandonnet, président de l’APCPNHQ depuis 2010, a compilé des évènements survenus entre 2010 et 2013, dans un tableau intitulé « Geste de l’entreprise démontrant un manque de partenariat », qu’il a remis, à l’époque, au président-directeur général. Plus d’une vingtaine de situations, de natures diverses, sont rapportées, allant de programmes mis en application sans que l’APCPNHQ ait été informée au préalable, à des changements de conditions de travail, au non-respect des mécanismes de consultation, et ainsi de suite.

[169]     En effet, malgré les mécanismes en place, l’APCPNHQ n’est pas toujours consultée, y compris sur des conditions de travail importantes. Déjà en 1992, elle dénonce l’absence de réelles discussions en comité mixte sur des sujets tels la procédure de règlement des différends, le régime de retraite ou la modification d’horaires de travail[61]. Elle demande également lors des dernières discussions ayant mené au renouvellement de l’Entente d’être consultée sur ces sujets.

[170]     La rémunération et les avantages sociaux ne sont pas prévus à l’Entente. Toute modification aux structures salariales ou à la détermination des augmentations relève du conseil d’administration. Le régime de retraite est le même pour tous, syndiqués et non-syndiqués et les avantages sociaux sont en général identiques également. Les demandes de l’APCPNHQ pour inclure ces conditions dans l’Entente se sont toutes soldées par un échec[62].

[171]     Ces conditions sont généralement encadrées par des règles de gestion, dont Hydro-Québec s’est dotée et qu’elle modifie unilatéralement. Il n’existe aucun mécanisme de consultation de l’APCPNHQ avant la création ou la modification d’une telle règle. Ainsi, l’APCPNHQ apprend souvent de façon incidente qu’une règle visant ses membres a été modifiée.

[172]     L’employeur se justifie par le fait qu’il n’avise pas non plus les associations accréditées avant de modifier une telle règle de gestion. L’impact n’est cependant pas le même pour les cadres de premier niveau, puisque l’Entente, contrairement aux conventions collectives, ne comporte aucune clause sur la rémunération ou les avantages sociaux. Aussi, certaines règles ne visent que les « emplois non régis » pour reprendre le vocable de l’entreprise, donc les cadres de premier niveau.

[173]     D’autres situations seront abordées dans les sections concernant les horaires de travail et les augmentations de salaire.

L’application de l’Entente

[174]     La preuve sur les difficultés d’application de l’entente de partenariat est très volumineuse et concerne plusieurs années. Elle est aussi fort documentée, que ce soit par des notes internes, des comptes rendus de comités, des documents administratifs ou encore des documents récapitulatifs préparés par l’APCPNHQ ou Hydro-Québec à différentes fins. Il serait difficile de faire état de chacun de ces éléments.

[175]     Le Tribunal abordera donc quelques sujets de désaccords significatifs, tant par leur nature que par le fait qu’ils perdurent depuis longtemps. Ainsi, seront analysés : la liste de renseignements que doit fournir l’employeur, les heures de travail et la façon de pourvoir des postes vacants. Quelques désaccords sur des conditions salariales seront ensuite résumés. La procédure de règlement des différends, qui constitue en soi un sujet de désaccord entre les parties, sera traitée dans un chapitre distinct, qui suivra.

1. Les renseignements devant être fournis par l’employeur à l’APCPNHQ

[176]     Selon la clause 1.5 de l’Entente, Hydro-Québec doit faire parvenir à l’APCPNHQ une liste mensuelle contenant un certain nombre de renseignements sur les cadres de premier niveau. Cette liste lui permet notamment de suivre les mouvements de personnel et de s’assurer de percevoir les cotisations.

[177]     Or, l’employeur fait parvenir quatre listes, au lieu d’une seule, qui doivent être traitées par l’APCPNHQ, à l’aide d’un logiciel qu’elle a développé à ses frais, afin de regrouper les renseignements mentionnés à l’article 1.5 de l’Entente. De plus, des erreurs sont présentes et des données, qui devraient y apparaitre, ne sont pas fournies.

[178]     En particulier, le statut de l’employé n’est pas une information transmise, alors qu’elle le devrait, d’autant qu’elle est essentielle afin que l’APCPNHQ puisse suivre les mouvements de personnel et s’assurer du respect de l’Entente. Ainsi, ses démarches afin de solliciter l’adhésion d’un employé nouvellement nommé cadre, et donc la perception de cotisations, peuvent être retardées. Ce délai est aussi susceptible de la faire paraitre  peu efficace et incapable de faire respecter l’Entente.

[179]     Par ailleurs, la clause 1.5  prévoit également que l’employeur déduit du traitement de chacun des cadres le montant de la cotisation professionnelle fixé par l’APCPNHQ. Or, Hydro-Québec procède à des ajustements rétroactifs des sommes qu’elle lui remet, sans l’en informer, l’obligeant chaque mois, à faire des démarches pour comprendre la situation.

[180]     Finalement, la clause 1.5 stipule que l’employeur doit fournir « les données, études et autres documents pertinents disponibles et nécessaires à la discussion et à la compréhension des divers sujets abordés de part et d’autre ». Ce n’est pas toujours le cas en pratique. Ainsi, en raison du refus d’Hydro-Québec de lui fournir les critères appliqués pour évaluer des postes, processus contesté par certains de ses membres, l’APCPNHQ a dû déposer une demande d’accès à l’information afin de les obtenir.

[181]     Cette problématique causée par le non-respect de la clause 1.5 existe depuis longtemps. Ainsi, on en trouve une trace écrite en 2004, dans un compte rendu de comité mixte. La question revient ensuite sur une base régulière, à partir des discussions pour le renouvellement de l’Entente, qui se poursuivront en en comité mixte corporatif de 2011  à 2015. L’APCPNHQ fait de nombreuses demandes et démarches, sans que le dossier n’avance véritablement. Hydro-Québec indique qu’il s’agirait d’un problème informatique, puis qu’un suivi sera fait, pour dire ensuite que cette question ne fait pas partie des priorités du Service informatique. On demande à l’association de fournir des exemples des difficultés rencontrées déjà fournis et, à la suite d’un changement de représentant de l’employeur, de reprendre ses explications du début.

2. Les horaires de travail

[182]     L’APCPNHQ soulève deux problèmes relatifs à l’application de la clause concernant les horaires de travail. Le premier concerne la charge de travail et le deuxième l’adoption d’horaires en contravention à l’Entente.

[183]     La charge de travail est décriée comme s’étant beaucoup alourdie au fil du temps. Dans les années 1980, chacun des cadres de premier niveau supervisait de 10 à 12 employés syndiqués, alors qu’en 2015, ce ratio est passé à 1 cadre pour 20 employés.

[184]     En raison de la charge de travail importante, les cadres de premier niveau sont donc appelés à dépasser régulièrement la semaine normale de travail de 35 heures. Bien que l’Entente prévoie qu’ils ont une flexibilité pour gérer leur temps, entre 7 h 00 et 18 h 00, la somme de travail est telle qu’ils ne peuvent le faire. Certaines divisions refusent également aux cadres de premier niveau la flexibilité nécessaire pour qu’ils puissent gérer leur temps.

[185]     L’APCPNHQ a interpellé Hydro-Québec à plusieurs reprises à propos de cette question, lui rappelant que l’Entente prévoit que « [l]a Direction s’engage à analyser les problématiques spécifiques à chaque unité afin de dégager, avec les cadres concernés, des moyens susceptibles de résoudre les problèmes de surcharge et d’absence de relève » (alinéa 3 de la clause 3.1).

[186]     Le problème demeure. Il est même lorsque qu’Hydro-Québec décide de centraliser les commis, ce qui oblige les cadres de premier niveau à accomplir des tâches cléricales. L’APCPNHQ déplore qu’elle n’ait pas été consultée avant, vu l’impact sur ses membres

[187]     En 2009, l’APCPNHQ commande un sondage d’une firme externe afin de documenter la problématique, telle que perçue par ses membres. Une large majorité indique dépasser 40 heures de travail par semaine et un nombre significatif rapporte travailler de 45 à 50 heures.

[188]     La surcharge de travail est abordée au comité mixte corporatif à plusieurs occasions, notamment lors des discussions aux fins du renouvellement de l’Entente. Hydro-Québec tente de sensibiliser les divisions en leur soulignant le problème lors de la présentation de l’Entente, en mai 2010. Cela ne suffit cependant pas à régler la situation.

[189]     En décembre 2011, dans le cadre d’un comité mixte corporatif, Hydro-Québec annonce à l’APCPNHQ la création d’un comité qui se penchera sur la question afin de déterminer des mesures permettant de réduire la charge administrative des cadres de premier niveau. Il n’est pas prévu d’emblée d’associer l’APCPNHQ aux travaux du comité. Lorsqu’elle en fait la demande, la conseillère en ressources humaines, qui représente Hydro-Québec, lui répond « qu’elle en prend bonne note »[63].

[190]     Par la suite, après une période où l’APCPNHQ est satisfaite de son implication et des démarches entreprises, elle désenchante : les mesures adoptées n’ont pas d’impact significatif sur la charge de travail. Au contraire, elle a augmenté dans une division.

[191]     En décembre 2012, le vice-président Ressources humaines confirme que la direction donne son aval à 12 mesures proposées par le comité, afin de diminuer la charge administrative. L’APCPNHQ reste cependant sur sa faim, car ces mesures lui semblent insuffisantes. Elle souligne à nouveau les problèmes, et en particulier auprès d’une division.

[192]     En 2013, l’APCPNHQ se plaint que seule la direction d’une division a pris des actions concrètes à la suite des recommandations du comité, entérinées par la direction. Elle demande que le Service des ressources humaines corporatif  s’assure que les autres les adoptent également.

[193]     En janvier 2014, le compte rendu de la réunion du comité mixte rapporte qu’aucune suite n’est donnée. En mai 2014, la représentante d’Hydro-Québec indique que 8 mesures sur les 12 sont réalisées et « [p]our ce qui est des nouvelles actions, ces demandes devront être faites directement avec les Divisions concernées. Dossier fermé »[64]. Aucun développement ne survient après.

[194]     Le deuxième irritant relatif à la clause portant sur l’horaire de travail concerne l’adoption, par certaines divisions, d’un horaire réparti sur quatre jours, alors que l’Entente prévoit que ce n’est qu’exceptionnellement qu’on peut déroger à la semaine régulière de travail de cinq jours. Le tout a été décidé entre la direction des divisions et les cadres de premier niveau directement, sans l’accord de l’APCPNHQ et donc, sans la conclusion d’une lettre d’entente.

[195]     L’APCPNHQ dénonce cette situation, en soulignant que son statut de représentant unique des cadres de premier niveau a été ainsi ignoré. Par ailleurs, comme cet aménagement a reçu l’assentiment de ses membres, elle est dans une position difficile pour le contester formellement.

3. Les postes vacants à pourvoir

[196]     L’Entente prévoit qu’Hydro-Québec s’engage à pourvoir le plus rapidement possible les postes vacants de cadres de premier niveau, dans un maximum de 12 mois. Une priorité doit être accordée aux employés de même niveau.

[197]     Or, l’APCPNHQ constate, et ce, depuis longtemps, qu’à plusieurs occasions, Hydro-Québec affecte temporairement un employé non cadre pour une durée supérieure à 12 mois et sans pourvoir le poste. De plus, le poste serait octroyé au sans respecter la priorité au cadre de premier niveau prévue à l’Entente. La large discrétion                 d’Hydro-Québec dans l’évaluation des critères et l’absence de mécanisme efficace pour contester sa décision rendent sans portée réelle le processus convenu par les parties.

[198]     La preuve démontre que la problématique relative à cette procédure existait déjà en 1992 et avait fait l’objet de différends. Le 17 juillet 1992, la protectrice de la personne écrit au président de l’APCPNHQ de l’époque qu’elle partage son opinion sur le caractère prioritaire de certains dossiers, dont celui relatif à la dotation : « Dans le premier cas : différend relatif au comblement de poste de cadre de 1er niveau, je vous réitère mon intention de les traiter de façon prioritaire ».

[199]     En décembre 2008, la chef des conditions et droit du travail écrit une note interne aux responsables des ressources humaines des divisions pour les sensibiliser au         non-respect de l’Entente quant à la façon de pourvoir les postes. Elle souligne que la priorité qui devrait être accordée aux cadres n’est pas respectée :

[…] Il se dégage, actuellement, un enjeu important concernant la dotation des postes de cadres de premier niveau, plus particulièrement le non-respect de la priorité qui devrait être accordée conformément à l’entente de partenariat intervenue avec l’APCPNHQ. Une validation sommaire des historiques de comblement de postes rend plausible l’existence d’une telle problématique.

 

L’Association, loin de revendiquer une priorité absolue, demande le respect de l’entente de partenariat afin que, lorsqu’un de leurs membres postule pour un poste de cadre de premier niveau, une évaluation adéquate de sa candidature soit faite et qu’il soit informé du motif de refus de sa candidature le cas échéant.

 

Après discussion, lors de la dernière table des Chefs conditions de travail, unanimement, nous avons reconnu la légitimité de cette demande […]

 

(reproduit tel quel)

 

[200]     Toutefois, les moyens entrepris demeurent de l’ordre de la sensibilisation et les divisions ne donneront pas suite à cette note émanant du niveau corporatif.

[201]     Lors de la présentation de l’Entente par les ressources humaines et l’APCPNHQ, en mai 2010, les modalités pour pourvoir des postes sont à nouveau rappelées aux différentes unités d’affaires. On leur souligne que les dispositions de l’Entente en la matière doivent être respectées et une référence particulière à la lettre de la chef des conditions et droit du travail, de décembre 2008, est faite.

[202]     En janvier 2014, l’APCPNHQ dénonce le nombre d’employés non cadres en affectation temporaire pour des postes de cadre de premier niveau. Malgré le manque d’information qu’elle a en raison du défaut de l’employeur de respecter la clause 1.5, elle identifie plusieurs cas problématiques.

[203]     En octobre 2014, Gilles Chandonnet transmet aux représentants des ressources humaines des divisions une liste comportant 141 postes de cadres de premier niveau vacants et leur demande de lui faire part de leurs intentions quant à les pourvoir. Seule la division TransÉnergie répond, un mois plus tard en expliquant la situation pour chaque poste. Pour les autres divisions, « [a]ucune nouvelle. Aucune réponse, pas d’échéancier. C’est comme si je leur avais pas écrit »[65], d’expliquer Gilles Chandonnet.

[204]     À la même époque, l’APCPNHQ souligne, cette fois lors d’un comité mixte de la division Production, que 49 postes seraient vacants. Lors de la rencontre suivante, en décembre, la représentante d’Hydro-Québec indique avoir examiné les postes en cause et que très peu d’entre eux seraient problématiques. Elle acheminera une réponse officielle, mais précise qu’elle n’entend pas faire cet exercice régulièrement. Gilles Chandonnet lui rappelle que l’employeur ne fournit toujours pas à l’APCPNHQ l’information nécessaire afin qu’elle puisse apprécier correctement l’état de la situation.

[205]     En début 2015, Gilles Chandonnet rencontre le comité mixte corporatif avec une liste comportant 78 affectations temporaires d’employés syndiqués à des postes de cadres de premier niveau. Sur le total, 9 d’entre elles durent depuis plus de 12 mois. Encore une fois, il n'a pas l’information nécessaire pour lui permettre d’identifier les postes sont vacants sur une base permanente. Aucune suite n’est donnée par l’employeur.

[206]     De plus, à la même époque, l’APCPNHQ met en demeure certaines divisions de pourvoir des postes précis qu’elle identifie comme vacants. Sur un de ces postes, elle a noté une qu’employée non cadre est affectée temporairement depuis plus de 17 mois. La réponse sur les raisons de cette longue affectation, qu’elle obtient de la conseillère des ressources humaines, demeure vague. Celle-ci réfère aux « différentes actions d’amélioration des processus actuellement en cours de déploiement ou sur le point de l’être, dans le cadre des activités de projets et services ». Elle ajoute que, par conséquent, l’octroi du poste serait « une décision prématurée [et] ne serait bénéfique ni à l’employée ni à l’organisation[66]. » Il n’y a pas de mention quant à l’intérêt de l’association.

[207]     Le poste sera finalement pourvu quelques mois plus tard par un cadre de premier niveau « sans poste spécifique ». La personne qui y était affectée jusqu’alors a été transférée en affectation temporaire sur un autre poste de cadre, et ne peut donc joindre les rangs de l’APCPNHQ.

[208]     De plus, les cadres de premier niveau sont souvent réticents à déposer un différend pour réclamer l’octroi d’un poste, de peur de se mettre à dos leur patron, d’expliquer Gilles Chandonnet[67].

Les augmentations de salaire

[209]     Les augmentations de salaire peuvent prendre trois formes : l’augmentation économique, le boni et la progression salariale.

1. L’augmentation économique

[210]     Cette augmentation est déterminée annuellement par le conseil d’administration, qui statue à la suite d’une recommandation de l’équipe de la rémunération. Celle-ci se fonde sur des études et analyses, en tenant compte des augmentations des employés syndiqués, négociées par leurs associations dans le cadre du renouvellement des conventions collectives. 

[211]     Au terme de l’exercice, le « mandat salarial » pour l’année à venir est communiqué par note interne au « personnel non régi », dont font partie les membres de l’APCPNHQ. Tous les cadres, quel que soit leur niveau hiérarchique, reçoivent normalement le même pourcentage d’augmentation économique.

[212]     Ce n’est qu’exceptionnellement que l’APCPNHQ a été informée du mandat salarial et des paramètres pris en compte.

[213]     Déjà en 1992, l’APCPNHQ demandait à pouvoir négocier l’augmentation économique de ses membres et ne pas être à la remorque de celle des employés syndiqués. Ainsi, lors d’une rencontre d’un comité mixte, le 24 avril 1992, la direction décidait « de ne pas déposer au Conseil d’administration le mandat salarial des cadres et spécialistes avant de connaître la situation qui va prévaloir dans le domaine des ententes négociées 

2. Le boni

[214]     Le boni annuel est déterminé en fonction de l’atteinte de certains objectifs, selon qu’il est corporatif ou individuel.

[215]     Dans ce dernier cas, la règle de gestion applicable prévoit que les attentes qui sont fixées pour l’obtenir doivent viser des résultats dont l’employé est responsable et qui sont sous sa maîtrise. 

[216]     Or, Hydro-Québec impose de plus en plus d’objectifs de territoire qui ne dépendent pas de la seule performance de l’individu.  L’APCPNHQ le dénonce au comité mixte, mais en vain.

3. La progression annuelle

[217]     La progression annuelle est fondée sur le pourcentage accordé à la suite des évaluations au rendement et permet de gravir les échelons pour les employés qui n’ont pas atteint le maximum de leur classe d’emploi.

[218]     Jusqu’en 2012, lorsqu’un employé répondait aux exigences, la progression annuelle normalement accordée était le maximum, soit 4 %, selon la pratique en cours depuis des années et la compréhension des différents intervenants. 

[219]     Pour l’année 2013, Hydro-Québec décide de plafonner la progression salariale à 2 %, en raison d’un contexte budgétaire difficile. Elle transmet sa décision par note interne en novembre 2012. L’APCPNHQ n’est pas consultée et l’apprend en même temps que ses membres. Elle fait des représentations pour contester cette décision au sein du comité mixte corporatif à la fin 2012 et en 2013. Hydro-Québec rappelle qu’elle a soustrait les cadres de premier niveau à l’application de la Loi 100[68], en ne limitant pas leur augmentation économique aux taux prévus dans cette loi à partir du 1er avril 2010. Elle ne modifie donc pas sa décision concernant le taux de progression dans les échelles.

[220]     L’année suivante, Hydro-Québec informe les cadres que le conseil d’administration a approuvé l’octroi d’une progression jusqu’à 4 % selon la performance individuelle. Une nouvelle mention est ajoutée cependant et prévoit: « le niveau global d’octroi des progressions devrait correspondre à environ 3 % du maximum de l’échelle salariale. » Comme les paramètres encadrant l’évaluation de la performance sont très généraux, l’APCPNHQ se questionne sur la manière dont sera appliquée cette directive.

[221]     En février 2014, profitant de sa rencontre annuelle avec le président-directeur général, l’APCPNHQ aborde cette question. On lui explique qu’Hydro-Québec ne veut pas que le maximum de 4 % soit octroyé automatiquement, car, dans certains cas, qui sont alors exposés, ce n’est pas justifié. L’APCPNHQ comprend que hormis les situations évoquées, l’application se fera comme par le passé[69]. Elle est par ailleurs en accord avec les cas d’exceptions cités par la direction comme permettant de ne pas accorder la pleine progression salariale.

[222]     Cependant, en raison du libellé ambigu de la directive et de son imprécision, plusieurs cadres intermédiaires comprennent à tort qu’ils doivent accorder 3 % et non 4 %.

[223]     Toutes les revendications de l’APCPNHQ, afin que la direction rectifie le tir et que les supérieurs hiérarchiques des cadres de premier niveau suivent l’enlignement que le président-directeur général avait donné lors de la rencontre de février, restent vaines. Elle en informe ses membres par un bulletin, intitulé « Info-membres ».

[224]     Le 25 avril 2014, Patrice Périard, directeur Relations du travail et rémunération, écrit à l’APCPNHQ qu’il déplore que celle-ci ait incité ses membres, par un bulletin         « Info-membres » transmis les jours précédents, à déposer un différend pour contester leur progression salariale. Il joint une réponse type qu’il entend transmettre en réponse au dépôt d’un éventuel différend, laquelle fait mention que « l’évaluation de la performance individuelle et la rémunération qui en découlent ont été effectuées en respect des politiques en vigueur » (soulignement ajouté).

[225]     Le 29 avril, Gilles Chandonnet répond à Patrice Périard que lorsque celui-ci lui écrit, avec copie de la lettre type, aucun différend n’était encore déposé. Au contraire, la veille, soit le 24 avril 2014, il lui avait envoyé un courriel afin d’obtenir de l’information pour s’assurer du bien-fondé des contestations que 27 de ses membres entendaient déposer :

Je vous ai mentionné que nous étions, dans le but de nous assurer du bien-fondé de leur contestation, à recueillir leurs évaluations ainsi que les raisons mentionnées par leurs supérieurs hiérarchiques pour leurs limitations; que je vous reviendrais jeudi ou vendredi cette semaine pour connaître votre position et discuter de ces cas que nous considérons abusifs avant de procéder au dépôt de ces différends .

 

(soulignement ajouté)

 

[226]     Hydro-Québec ne reviendra pas sur sa décision et 32 différends seront déposés par des cadres de premier niveau contestant leur progression salariale. La protectrice de la personne fera des recommandations favorables pour deux d’entre eux. Hydro-Québec ne changera sa position que pour l’un des deux.

[227]     Par ailleurs, Hydro-Québec modifie ses consignes pour l’année 2015, ou plutôt, elle les clarifie, dans le sens qui avait été donné par le président-directeur général l’année précédente à l’APCPNHQ. La directive spécifie qu’un employé qui répond aux attentes ne peut se voir octroyer moins de 4 %, sans une justification particulière. L’APCPNHQ tente de faire revoir les progressions salariales accordées en 2014 en fonction de cet énoncé. Hydro-Québec ne changera pas sa position.

La procédure de règlement des différends

1. La procédure prévue à l’Entente

[228]     Le différend est défini comme « toute mésentente relative à l’application d’une condition de travail, réprimande et des politiques ou encadrements de l’Entreprise sauf les recours qui sont admissibles en vertu de lois permettant un recours devant les organismes spécialisés à caractère quasi-judiciaire » (article 11.4.1 de l’Entente). 

[229]     Les cas de suspension, congédiement licenciement et mise à la retraite non volontaire font l’objet d’un recours externe, soit devant le Tribunal, si la Loi sur les normes du travail s’applique, soit devant un arbitre, qui sera désigné par le ministère du Travail si les parties ne s’entendent pas sur sa nomination.

[230]     Avant de déposer un différend, l’employé doit d’abord tenter de résoudre le problème avec son supérieur hiérarchique. Si le problème demeure après cette étape, il peut alors déposer un différend auprès du directeur, qui doit faire enquête et le rencontrer afin de tenter la situation. Par la suite, si la cadre désire poursuivre, il doit transmettre un avis écrit à cet effet au président de la division, qui doit également le rencontrer et lui donner sa réponse écrite. Si le problème demeure irrésolu, après les délais impartis, le cadre peut alors s’adresser à la protectrice de la personne.

[231]     La protectrice de la personne a détaillé son mandat dans une directive, datée du 19 février 2013, et approuvée par le président-directeur général. Elle précise que tout employé peut recourir à ses services. Elle n’interviendra cependant pas si une plainte est liée à l’interprétation ou à l’application d’une disposition d’une convention collective, à une suspension ou à un « bris d’emploi ». La protectrice de la personne a discrétion pour choisir les mesures d’intervention qui lui semble les plus appropriées : « l’écoute, l’accompagnement, le coaching, la médiation et tout autre processus de règlement informel qu’elle juge utile pour tenter de régler un différend ».

[232]     L’Entente précise que la protectrice de la personne peut requérir l’information qu’elle juge pertinente et entendre les « intéressés », dont le cadre, selon la procédure qu’elle détermine. Dans ce cas-là, le cadre peut être accompagné de la personne de son choix. Au terme du processus, la protectrice de la personne soumet une recommandation au président du conseil d’administration, qui décide ultimement du sort du différend et qui doit fournir au cadre la décision finale et par écrit d’Hydro-Québec.

2. Les lacunes de la procédure de différends

[233]     Dès le tout début des relations entre les parties, la procédure de règlement des différends pose problème.

[234]     La procédure demeure interne et Hydro-Québec est à la fois juge et partie. L’APCPNHQ souligne que les trois premières étapes, qui cheminent par la ligne hiérarchique, aboutissent inévitablement à confirmer la position du supérieur hiérarchique, qui aura pris soin avant de répondre, de vérifier avec ses supérieurs leur opinion sur le sujet. De plus, au terme du processus, la direction d’Hydro-Québec reste seule à décider, la protectrice de la personne ne soumettant qu’une recommandation, sans force contraignante. Comme mentionné précédemment, Hydro-Québec n’a pas suivi une telle recommandation dans un dossier portant sur la progression salariale de 2014.

[235]     Qui plus est, la preuve démontre que l’application de la procédure de règlement des différends n’est pas conforme en tout point à l’Entente. Ainsi, dans les faits, le président de la division ne rencontre jamais le cadre ou l’APCPNHQ. Bien que la procédure prévoie que la protectrice de la personne tente de rapprocher les parties, il n’y a jamais eu de rencontre dans ce sens. La recommandation n’est pas transmise au conseil d’administration, mais plutôt aux cadres qui ont été impliqués dans la procédure, suivant en cela la directive de 2013 sur son mandat, plutôt que les termes de l’Entente.

[236]     À cela s’ajoute, dans certains cas, la protectrice de la personne refuse de se prononcer si elle juge que le différend concerne l’interprétation de l’Entente. En juillet 2013, alors qu’elle est saisie du différend d’un membre de l’APCPNHQ relativement à du travail effectué en dehors des heures normales, elle écrit à l’association ce qui suit :

Je suis  d’avis que ce qui est recherché dans le cadre de ces différends est non pas une résolution de dossiers individuels, mais une interprétation de l’entente de partenariat pour le bénéfice de l’ensemble des membres. L’Association a même déjà entrepris des recours devant les tribunaux à cet égard.

 

La protectrice a pour but d’aider de manière informelle les employés à résoudre les différends, mais elle ne peut se substituer à des discussions de relations de travail entre l’Association et l’employeur ou à un tribunal quant à l’interprétation de l’entente de partenariat.

 

Je ne ferai donc pas de recommandation à l’égard du différend et je suggère aux parties concernées de poursuivre leurs discussions afin d’en arriver à une entente.

 

(soulignement ajouté)

 

[237]     La protectrice de la personne applique ainsi à un différend déposé par un cadre de premier niveau les limites décrites dans la directive établissant son mandat à l’égard des employés syndiqués. Ceux-ci bénéficient cependant de la procédure d’arbitrage de griefs, contrairement aux cadres de premier niveau.

[238]     D’août 2010 à janvier 2015, Hydro-Québec et l’APCPNHQ ont traité 447  dossiers[70]. Une large proportion a fait l’objet de discussions entre les parties, sans qu’un différend soit déposé. Les différends qui se sont rendus jusqu’à la protectrice de la personne, au nombre de 50, ont fait l’objet d’une recommandation dans 88 % des cas. C’est donc dire que pour 6 d’entre eux, la protectrice de la personne n’a pas tranché. La situation évoquée précédemment en fait partie. 80 % des 447 dossiers sont fermés pour diverses raisons : règlements, abandons par le cadre ou par décision de l’APCPNHQ. Dans 9 % des cas, l’APCPNHQ a eu gain de cause, ce qui représente environ une quarantaine de dossiers sur le total de 447.

[239]     Face à l’inefficacité de la procédure interne, l’APCPNHQ a eu recours aux tribunaux civils dans plusieurs cas[71]. Hydro-Québec lui a opposé des moyens préliminaires. D’une part, elle a soulevé que l’APCPNHQ n’avait pas l’intérêt requis pour ester en justice, argument qui, comme déjà souligné précédemment, a été écarté par la Cour supérieure.

[240]      D’autre part, Hydro-Québec a allégué que l’article 17 de sa loi constitutive l’empêche d’être visée par quelque injonction[72]. Par hasard, la Cour d’appel a rendu jugement et tranché cette question le dernier jour des audiences dans l’affaire Grenier précitée[73]. La Cour statue que l’article 17 n’accorde qu’une immunité de droit public et n’empêche pas l’APCPNHQ de recourir à la procédure d’injonction dans le cadre de l’application de l’entente de partenariat. Il s’agissait plus particulièrement d’un recours portant sur l’attribution d’un poste. La Cour d’appel maintiendra cependant le jugement de la Cour supérieure quant au rejet de l’action de l’association. Elle estime que l’évaluation des compétences, dans un processus de dotation, relève du droit de gérance de l’employeur. 

3. Les tentatives de l’APCPNHQ pour faire modifier la procédure

[241]     Dès la première entente de partenariat, en 1987, la procédure de règlement de différends ne correspond pas aux demandes de l’APCPNHQ. Tout au long des années, par la suite, elle soulèvera des problèmes dans son application et les résultats insatisfaisants qu’elle donne[74].

[242]     Lors des rencontres pour renouveler l’Entente, l’APCPNHQ demande à nouveau que le processus de règlement des différends soit confié à un tiers neutre et impartial. Hydro-Québec oppose une fin de non-recevoir à cette demande. Jacques Laberge, président à l’époque, affirme que : « Tout ce qui était recommandation par la protectrice de la personne c’était de l’abstrait donc on voulait améliorer ça, puis il y a pas eu de changement. Il y a pas eu beaucoup de discussion non plus sur ce dossier-là. C’était assez clair que ce processus-là il était pour demeurer puis c’est celui-là qu’on devait prendre[75] ».

[243]     L’APCPNHQ revient à la charge en février 2012 en écrivant à Patrice Périard, directeur Relations du travail et rémunération. N’ayant eu aucune réponse, une relance est faite en juillet 2012. Quelques jours plus tard, l’APCPNHQ reçoit une réponse négative par téléphone. Patrice Périard expliquera lors de son témoignage qu’il ne voyait pas l’intérêt de rouvrir l’Entente sur un sujet d’importance, alors qu’elle avait été récemment renouvelée[76].

les prétentions des parties

[244]     Chaque partie cite les arrêts de la Cour suprême en matière de liberté d’association. Sans grande surprise, elles n’y voient cependant pas la même portée et ne partagent pas le même point de vue quant à l’application de ces principes aux faits en litige. Afin de ne pas alourdir inutilement le texte, l’analyse de la jurisprudence de la Cour suprême sera abordée dans le cadre des motifs de la présente décision. De plus, l’interprétation que font les parties  des faits particuliers en regard des principes sera aussi intégrée aux motifs. Enfin, il a été convenu que le Tribunal tiendrait compte de l’ensemble des arguments de toutes les parties, bien que les dossiers soient séparés aux fins de rendre deux décisions.

les prétentions de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ

[245]     L’ACSCQ et l’APCPNHQ plaident conjointement que l’exclusion des cadres du Code entrave substantiellement leur droit à un véritable processus de négociation collective. Elles soulèvent l’insuffisance de l’indépendance de l’association et l’impossibilité de négocier collectivement des conditions de travail. De plus, elles soulignent l’absence de mécanismes permettant d’établir un rapport de force entre les parties : l’absence de recours à un tribunal spécialisé pour sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi; la privation du droit de grève ou d’un mécanisme de substitution en cas d’impasse lors des négociations; le non-accès à un mécanisme impartial et exécutoire afin de régler les litiges découlant de l’entente pour des conditions de travail.

[246]     L’ACSCQ et l’APCPNHQ rappellent que le Canada a pris des engagements au niveau international qui doivent déterminer la portée du droit à la liberté d’association. Le Comité de la liberté syndicale s’est prononcé sur l’exclusion des cadres du régime du Code et conclut qu’elle ne respecte pas la liberté d’association garantie dans les conventions internationales. Le gouvernement du Québec a refusé de remédier à la situation par l’adoption d’une loi particulière portant sur les relations du travail des cadres.

[247]     L’atteinte à la liberté d’association n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique. Elles soulignent en particulier que les objectifs de l’exclusion n’ont fait l’objet d’aucune preuve. La déclaration d’inconstitutionnalité constitue la réparation appropriée.

[248]     En réplique aux arguments de la Procureure générale sur l’insuffisance des avis transmis en vertu de l’article 95 du Code de procédure civile (Cpc), les associations demanderesses plaident qu’ils étaient assez précis pour leur permettre de soulever que le droit de grève fait partie de la négociation collective et qu’un mécanisme d’arbitrage doit lui être substitué s’il est retiré. Elles rappellent aussi que les avis ont été transmis avant que la constitutionnalité du droit de grève ne soit établie par la jurisprudence récente de la Cour suprême. De plus, elles soulignent que la grève ne peut être exercée en dehors d’un régime législatif l’encadrant, au risque que les personnes y prenant part subissent des mesures disciplinaires, voire des congédiements.

les prétentions de la Société et d’Hydro-Québec

[249]     D’emblée, les employeurs soulignent que le droit d’association n’est pas le droit à l’accréditation. L’exclusion d’une catégorie de personnes du Code n’est pas en soi une violation de la liberté d’association. L’ACSCQ et l’APCPNHQ devaient donc démontrer que l’exclusion du Code rend à toutes fins utiles impossible la constitution d’une association et entrave substantiellement l’exercice de la liberté d’association, ce qu’elles ont échoué à faire. Elles revendiquent plutôt un modèle précis, afin d’obtenir le monopole de représentation et les autres droits qui découlent du Code, ce qui n’est pas protégé par la liberté d’association.

[250]     Les employeurs soulignent que le dialogue peut s’établir de façon différente avec les cadres qu’avec d’autres employés.

[251]     Quant à l’obligation de négocier de bonne foi, elle est implicite selon la Cour suprême, mais elle est en plus consacrée législativement au Québec tant dans le Code civil du Québec que dans la Charte québécoise. Un recours devant les tribunaux de droit commun peut être exercé pour sanctionner un éventuel manquement.

[252]     Subsidiairement, les employeurs demandent au Tribunal, s’il devait prononcer l’inopposabilité constitutionnelle de l’article 1l) 1° du Code, de suspendre les effets de sa décision afin de permettre au législateur d’intervenir dans le choix d’un régime approprié.

les prétentions de la Procureure générale du Québec

[253]     Selon la Procureure générale, le fait d’être exclu de la définition de salarié et de ne pas être visé par le Code ne restreint pas les activités associatives des cadres de premier niveau. L’exclusion du Code n’est donc pas une entrave substantielle à la liberté d’association.

[254]     Elle rappelle que si l’État doit s’abstenir d’entraver une liberté protégée par la Charte, il n’a pas, sauf rares exceptions, l’obligation de poser un acte positif afin de permettre à un groupe de bénéficier de cette liberté. Ce que l’ACSCQ et l’APCPNHQ  demandent en réalité est de pouvoir bénéficier d’une action positive de l’État, c’est-à-dire des mécanismes établis par un régime spécifique : celui du Code.

[255]     La Procureure générale procède à l’analyse suivant les critères établis par la Cour suprême dans l’arrêt Baier[77] et conclut que l’exclusion du statut de cadre ne viole pas la liberté d’association, qu’il y ait ou non nécessité d’une intervention positive de l’État.

[256]     La Procureure générale est d’avis que les effets de l’exclusion, non seulement à l’égard des deux associations demanderesses, mais aussi à l’égard de l’ADDS/SAQ et des associations de cadres de la fonction publique, démontrent que la liberté d’association a été respectée. Elle allègue que les cadres forment un groupe privilégié, tant par leur instruction, que par leurs conditions de travail. Ils se sont groupés en associations, lesquelles sont reconnues par leur employeur. Celles-ci peuvent formuler des revendications, qui sont prises en considération par l’employeur. De plus, les cadres seraient généralement satisfaits, car ils bénéficient de très bonnes conditions de travail, supérieures à celles du personnel qu’ils supervisent, en plus de récolter les efforts de négociation des groupes syndiqués.

[257]     Par la suite, la Procureure générale analyse l’objet de l’exclusion des cadres. Elle rappelle que le Code s’appuie sur un modèle de relations du travail de type Wagner, qui vise à organiser les rapports de deux groupes ayant des intérêts distincts et conflictuels : l’employeur et ses représentants d’un côté, les salariés de l’autre. Les cadres étant des représentants de l’employeur, c’est à ce titre qu’ils sont exclus. Le but est d’éviter les conflits d’intérêts et de nuire à leur obligation de loyauté, laquelle pourrait être compromise s’ils négociaient collectivement.

[258]     La Procureure générale plaide que s’il fallait permettre aux cadres de se syndiquer, cela entrainerait une situation problématique à l’égard de la protection contre l’ingérence, puisque les cadres doivent appliquer les conventions collectives. Même s’ils étaient dans une unité de négociation distincte, il pourrait y avoir un risque de conflit d’intérêts en raison de l’affiliation avec une centrale syndicale qui représente aussi les employés qu’ils supervisent. Enfin, il y aurait un problème de cohérence du groupe d’avoir des représentants de l’employeur syndiqués et d’autres pas.

[259]     De même, la syndicalisation des cadres poserait un problème lors d’arrêts de travail, en raison des dispositions anti-briseurs de grève et viendrait rompre l’équilibre délicat du rapport de force entre les parties dans ce contexte.

[260]     La Procureure générale soulève aussi l’insuffisance des avis qui lui ont été transmis en vertu de l’article 95 Cpc, qui ne mentionnent pas le droit de grève.

[261]     Par ailleurs, si entrave substantielle il y avait, le problème ne découlerait pas du processus lui-même, mais des agissements des acteurs en place, soit la Société et Hydro-Québec. L’État n’ayant pas une obligation d’intervenir positivement pour mettre en œuvre la liberté d’association, les recours devraient être dirigés contre les employeurs en cause, soit en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne, soit en vertu de l’article 49 de la Charte québécoise.

[262]     Quoi qu’il en soit, la Procureure générale plaide que si une entrave substantielle était constatée, cette mesure serait justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique. L’objectif serait de trois ordres : éviter les conflits d’intérêts; prévenir les conséquences d’un arrêt de travail et prévenir l’ingérence.

[263]     La mesure présente un lien rationnel en ce qu’elle favorise logiquement la réalisation de son objet. Quant au critère de l’atteinte minimale, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il constitue le moyen qui porte le moins atteinte, mais qu’il fait partie d’une gamme de solutions raisonnables pour atteindre efficacement l’objet visé. Il n’est pas possible de conclure que l’inclusion des cadres dans le régime du Code permettrait d’atteindre le but recherché. Enfin, il y a une proportionnalité entre les avantages et les inconvénients de la mesure législative.  

[264]     La réparation demandée ne pourrait être accordée par le Tribunal, car cela reviendrait à déterminer un régime précis, ce qui est du ressort du législateur.

[265]     Subsidiairement, la Procureure générale et les employeurs demandent au Tribunal, s’il devait conclure que l’exclusion du statut de cadre est inconstitutionnelle, qu’il suspende les effets de sa décision.

Les motifs

la pORtée de la liberté d’association

[266]     L’alinéa 2d) de la Charte canadienne, tout comme l’article 3 de la Charte québécoise, protègent la liberté d’association. Dans les deux cas, cette liberté côtoie au sein d’une même disposition celles de religion, de conscience et d’expression, ce qui témoigne de la place qu’on lui accorde. La Cour suprême du Canada la qualifie comme suit :

[49] Le droit d’association ne représente pas un droit simplement dérivé des autres droits et libertés garantis par la Constitution. Au contraire, il constitue un droit distinct doté d’un contenu autre, un droit essentiel au développement et au maintien de la société civile dynamique sur laquelle repose notre démocratie[78].

 

(soulignement ajouté)

 

[267]     La liberté d’association, appliquée dans le domaine des relations du travail, a connu une évolution notable dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, entre une première trilogie de jugements, rendue en 1987 et une deuxième, rendue en 2015.

L’évolution de jurisprudence de la Cour suprême du Canada

La trilogie de 1987

[268]     La liberté d’association, garantie à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne, a d’abord été interprétée restrictivement par la Cour suprême. Elle rend en 1987 trois jugements en droit du travail, Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.) [79], AFPC c. Canada[80], SDGMR c. Saskatchewan[81], où elle définit la portée de la liberté d’association selon les droits que possède chaque individu, sans qu’ils puissent être élargis du fait de l’association. Le droit de négocier collectivement et le droit de faire la grève en sont donc exclus.

[269]     Une dissidence étoffée du juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à l’Alberta, précité a cependant été remarquée et abondamment citée. Celui-ci est d’avis que la Charte canadienne protège certaines activités collectives, qui n’ont pas d’équivalent individuel, comme le droit de faire la grève.

L’arrêt Dunmore

[270]     Un premier tournant survient en 2001 avec l’arrêt Dunmore c. Ontario (Procureur général)[82]. La Cour suprême élargit la portée de la liberté d’association à la protection d’intérêts collectifs, qui ne peuvent être exercés individuellement, et écarte ainsi la position qu’elle avait adoptée en 1987.

[271]     La Cour était saisie de la constitutionnalité de l’exclusion des travailleurs agricoles du régime général du droit du travail ontarien. La Cour décide que le caractère vulnérable du groupe en question entraine pour l’État une obligation d’intervention positive pour permettre aux travailleurs agricoles de s’associer afin de négocier de façon efficace. Elle conclut que l’exclusion du régime général d’accréditation, dans les circonstances, viole de la liberté d’association. Pour justifier cette évolution, la Cour s’appuie notamment sur le droit international et les obligations du Canada en la matière.

L’arrêt Health Services

[272]     En 2007, une nouvelle étape est franchie avec l’arrêt Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique[83], qui aborde plus spécifiquement le droit à la négociation collective.

[273]     Pour faire face à une crise dans le réseau de la santé, la Colombie-Britannique avait adopté à toute vapeur une loi modifiant les conventions collectives en vigueur, afin d’accorder une plus grande latitude de gestion aux employeurs du secteur public de la santé. Étaient notamment modifiées des clauses relatives aux affectations de travail, aux transferts et à la sous-traitance.

[274]     La Cour suprême préconise une approche contextuelle et factuelle de la liberté d’association, déjà adoptée dans l’arrêt Dunmore, précité, et souligne l’importance de la négociation collective dans le cadre des relations du travail. Elle mentionne qu’on ne peut mettre sur le même pied « un syndicat ou un club de lecture[84]».

[275]     S’appuyant sur l’historique de la négociation collective, les outils internationaux (notamment la Convention 87) et les valeurs protégées par la Charte, la Cour suprême conclut que l’alinéa 2d) de la Charte canadienne protège le droit des salariés de participer à un véritable processus de négociation collective relatif à leurs conditions de travail. Aux paragraphes 77 et 98 de sa décision, la Cour cite, avec approbation, les Principes de l’OIT sur la négociation collective et en particulier le principe H :

H. Le principe de la bonne foi dans la négociation collective implique les points suivants : reconnaître les organisations représentatives, faire des efforts pour parvenir à un accord, procéder à des négociations véritables et constructives, éviter des retards injustifiés dans la négociation et respecter réciproquement les engagements pris et les résultats obtenus grâce à des négociations de bonne foi.

 

[276]     Tous les aspects de la négociation collective ne sont cependant pas protégés par la Charte. L’accent doit être mis sur le processus et non le résultat. De plus, l’atteinte au processus doit être substantielle:

[91] Ainsi défini, le droit de négociation collective demeure un droit à portée restreinte.  Premièrement, parce qu’il concerne un processus, il ne garantit pas l’atteinte de résultats quant au fond de la négociation ou à ses effets économiques.  Deuxièmement, il confère le droit de participer à un processus général de négociation collective et non le droit de revendiquer un modèle particulier de relations du travail ou une méthode particulière de négociation […] Enfin, et plus important encore, comme nous l’enseigne l’arrêt Dunmore, l’atteinte au droit doit être substantielle, au point de constituer une entrave non seulement à la réalisation des objectifs des syndiqués (laquelle n’est pas protégée), mais aussi au processus même qui leur permet de poursuivre ces objectifs en s’engageant dans de véritables négociations avec l’employeur.

 

(soulignement ajouté)

 

[277]     Sans vouloir réduire ce jugement complexe et nuancé à quelques lignes, on peut néanmoins en dégager les balises suivantes quant au droit à la négociation collective :

·        Ce ne sont pas les objectifs poursuivis, mais le processus de négociation collective, afin de viser la réalisation de ces objectifs, qui est protégé par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne;

·        la Charte canadienne ne garantit pas un modèle particulier;

·        l’atteinte à la liberté de négociation doit être substantielle pour constituer une violation à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne;

·        cette entrave sera substantielle si elle affecte la réalisation des objectifs poursuivis et le processus lui-même;

·        l’entrave doit avoir des incidences sur la capacité de négocier collectivement et toucher des sujets d’importance pour l’activité collective;

·        la négociation collective de bonne foi implique un effort raisonnable pour arriver à un compromis acceptable.

·        La négociation collective de bonne foi implique également de respecter réciproquement les engagements et les résultats obtenus.

[278]     Évidemment, la Cour suprême établit ces principes dans le contexte précédemment évoqué, soit celui où l’État est l’employeur et qu’il est intervenu par voie législative afin de modifier des conditions de travail contenues dans une convention collective en vigueur.

L’arrêt Fraser

[279]     En 2011, dans Ontario (Procureur général) c. Fraser[85], la Cour suprême se prononce à nouveau sur le droit d’association des travailleurs agricoles en Ontario. Elle juge que la loi ontarienne, adoptée à la suite de l’arrêt Dunmore, précité, et mettant en place un régime particulier pour les travailleurs agricoles, ne viole pas l’alinéa 2d) de la Charte canadienne.

[280]     Selon la Cour, la loi en cause permet de participer à un processus de négociation collective puisque les travailleurs agricoles peuvent former une association, formuler des revendications collectives à l’employeur et les voir prises en compte par celui-ci.

[281]     La contestation du syndicat est prématurée, car il n’a pas tenté d’utiliser le mécanisme prévu par la loi, soit le recours à un tribunal spécialisé, créé pour régler les différends et qui permettrait de s’assurer du respect de l’obligation de négocier de bonne foi.

[282]     Certains propos tenus par la Cour suprême semblent restreindre l’interprétation large et libérale de la liberté d’association qu’elle préconisait depuis Dunmore. Notamment, la Cour qualifie le droit à la négociation collective de « droit dérivé » de la liberté d’association. Les trois arrêts qu’elle rendra en 2015 viendront éclaircir ces points en faveur d’une approche généreuse de la liberté d’association.

La trilogie de 2015

[283]     Au début de 2015, trois arrêts marquent un nouveau pas dans l’interprétation de la liberté d’association dans un contexte de droit du travail: Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général) (l’affaire APMO)[86], Meredith c. Canada (Procureur général)[87],  Sask. Fed. of Labour c. Saskatchewan[88].

L’arrêt APMO

[284]     Cet arrêt porte sur la constitutionnalité du régime de relations du travail s’appliquant aux membres de la GRC, qui prévoit, d’une part, leur exclusion de celui prévu par la Loi sur les relations du travail dans la fonction publique  et, d’autre part, l’imposition d’un système fondé sur le Programme de représentants des relations du travail (PRRF), principal mécanisme mis en place afin de recevoir leurs représentations.

[285]      La Cour suprême confirme que le droit à la négociation collective fait partie intégrante de la liberté d’association protégée par la Charte canadienne et n’est pas simplement un « droit dérivé », ainsi qu’il avait été qualifié dans l’arrêt Fraser précité. De plus, il n’est pas requis de démontrer que la mesure de l’État entraine une « impossibilité » effective de réaliser les objectifs relatifs au travail, mais bien une « entrave substantielle ».

[286]     La Cour souligne que la question du rapport de force dans les relations du travail entre employés et employeur est au cœur même de la liberté d’association :

[72]      […] Quelle que soit la restriction, il faut essentiellement déterminer si les mesures en question perturbent l’équilibre de rapports de force entre les employés et l’employeur que l’al. 2d) vise à établir, de telle sorte qu’elles interfèrent de façon substantielle avec un processus véritable de négociation collective (Health Services, par. 90).

 

(soulignement ajouté)

 

[287]     Aussi, la protection accordée par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne doit s’interpréter en tenant compte du déséquilibre des forces en présence :

[80]      Pour récapituler, l’al. 2d) protège contre une entrave substantielle au droit à un processus véritable de négociation collective. Historiquement, les travailleurs se sont associés pour « faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force de ceux avec qui leurs intérêts interagissaient et, peut-être même, entraient en conflit », c’est-à-dire leur employeur (Renvoi relatif à l’Alberta, p. 366). La garantie prévue à l’al. 2d) de la Charte ne peut faire abstraction du déséquilibre des forces en présence dans le contexte des relations du travail. Le permettre reviendrait à ne pas tenir compte « des origines historiques des concepts enchâssés » à l’al. 2d) (Big M Drug Mart, p. 344). Portera donc atteinte au droit à un processus véritable de négociation collective tout régime législatif qui prive les employés de protections adéquates dans leurs interactions avec l’employeur de manière à créer une entrave substantielle à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives.

 

(soulignement et caractère gras ajoutés)

 

[288]     Pour qu’il y ait un « processus véritable de négociation collective », les employés doivent pouvoir définir leurs objectifs collectifs, ce qui implique l’indépendance de leur association envers la direction :

[88]      L’objectif de la négociation collective n’est pas atteint si l’employeur domine ou influence le processus qui l’entoure. C’est pourquoi un processus véritable de négociation collective protège le droit des employés de former des associations qui sont indépendantes de la direction, et d’y adhérer (Delisle, par. 32 et 37). À l’instar de la liberté de choix, l’indépendance dans le contexte de la négociation collective n’est pas absolue. L’indépendance requise par la Charte aux fins de la négociation collective est celle qui fait correspondre les activités de l’association aux intérêts de ses membres.

 

[89]      Tout comme le choix, l’indépendance à l’égard de l’employeur garantit que les activités de l’association reflètent les intérêts des employés, ce qui respecte la nature et l’objet du processus de négociation collective et en assure le bon fonctionnement. À l’inverse, un manque d’indépendance signifie que les employés ne sont peut-être pas en mesure de faire valoir leurs propres intérêts, mais qu’ils doivent choisir parmi ceux que l’employeur les autorise à défendre. Au nombre des facteurs à considérer dans l’examen de l’indépendance, mentionnons la liberté de modifier l’acte constitutif et les règles de l’association, la liberté de choisir les représentants de celle-ci ainsi que le contrôle sur l’administration financière et sur les activités que l’association décide de mener.

 

(soulignement ajouté)

 

[289]     Divers modèles peuvent offrir aux employés une liberté de choix et une indépendance suffisante à l’égard de l’employeur : « Il ne s’agit pas de trouver le régime « idéal » de négociation collective, mais plutôt un modèle qui offre à l’employé une liberté de choix et une indépendance suffisantes pour exprimer et défendre ses intérêts dans le contexte particulier du milieu de travail en cause. » (par. 97).

[290]     En l’espèce, la Cour conclut que le PRRF, qui impose aux membres de la GRC une instance pour faire valoir leurs revendications, qu’ils n’ont pas choisies et ne contrôlent pas, viole l’alinéa 2d) de la Charte canadienne. L’objet même est de contrer la syndicalisation des membres de la GRC en empêchant la négociation collective. S’appuyant sur le rapport de force dans un contexte employeur-employés, la Cour conclut que de ce fait : « Les employés se trouvent dans une position désavantageuse et vulnérable parce que le programme n’établit pas, entre eux et l’employeur, l’équilibre essentiel à la tenue d’une véritable négociation collective. » (par. 106).

[291]     La deuxième question que la Cour tranche porte sur l’exclusion des membres de la GRC de la définition de « fonctionnaire » de l’article 2(1) de la Loi sur les relations de travail de la fonction publique. Cette loi établit pour les employés de la fonction publique fédérale, qui sont par ailleurs exclus du Code canadien, un régime complet, selon un modèle de relations du travail fondé sur la Loi Wagner.

[292]     Elle conclut qu’interprétée dans son contexte historique, cette exclusion constitue aussi une violation à la Charte, car elle a pour objet de priver les membres de la GRC de leur droit constitutionnel de s’associer[89].  Elle écarte ainsi l’arrêt Delisle[90] qu’elle avait rendu dans un même contexte en 1999. La Cour déclare donc inconstitutionnelle le régime imposant une forme de représentation ainsi que l’exclusion des membres de la GRC du régime général.

L’arrêt Meredith

[293]     Les membres de la GRC, en plus de contester la constitutionnalité du régime de relations du travail qui leur était applicable et qui a donné lieu à l’arrêt APMO précité, attaquent aussi la constitutionnalité d’une loi fédérale restreignant les augmentations salariales dans le secteur public. La Cour conclut que la loi en cause ne viole pas la liberté d’association des membres de la GRC, car elle vise tous les fonctionnaires et la loi n’interdit pas les consultations sur d’autres questions salariales.

L’arrêt Saskatchewan

[294]     L’arrêt Saskatchewan concerne plus précisément le droit de grève des employés du réseau de la santé, qui se voit restreint par l’adoption d’une loi de la province. Elle prévoit que ceux-ci ne peuvent faire la grève s’ils doivent assurer des services essentiels, lesquels peuvent être déterminés unilatéralement par l’employeur s’il ne parvient pas à s’entendre avec le syndicat. De plus, la loi limite la compétence du tribunal spécialisé en relations du travail de la Saskatchewan, le Saskatchewan Labour Relations Board, qui ne peut réviser si un service, déterminé comme essentiel par l’employeur, doit l’être ou non[91].

[295]     La Cour consacre le droit de grève au rang des droits constitutionnellement protégés par la liberté d’association prévue à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne. Étant partie intégrante du droit de négocier collectivement, si celui-ci est limité d’une manière qui entrave substantiellement le processus de négociation collective, il doit être remplacé par un mécanisme de règlement des différends:

[25]      Lorsque le législateur limite le droit de grève d’une manière qui entrave substantiellement un processus véritable de négociation collective, il doit le remplacer par l’un ou l’autre des mécanismes véritables de règlement des différends couramment employés en relations de travail. La loi qui prévoit un tel mécanisme de rechange voit sa justification accrue au regard de l’article premier de la Charte. À mon avis, l’absence d’un tel mécanisme dans la PSESA représente ce qui, en fin de compte, rend les restrictions apportées par celle-ci inadmissibles sur le plan constitutionnel.

 

 

[296]     De plus, la Cour renvoie aux engagements internationaux du Canada qui consacrent la protection du droit de grève comme un élément d’un processus véritable de négociation. Or, rappelle-t-elle, « il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en matière de droits de la personne [92] ». Elle souligne aussi ce qui suit :

[69]      Même si, à strictement parler, elles n’ont pas d’effet obligatoire, les décisions du Comité de la liberté syndicale ont une force persuasive considérable et elles ont été citées avec approbation et largement reprises à l’échelle mondiale par les cours de justice, les tribunaux administratifs et d’autres décideurs, y compris notre Cour […]. Le Comité de la liberté syndicale a vu s’accroître avec le temps la pertinence et le caractère persuasif de ses décisions dans l’usage et dans la pratique et, au sein de l’OIT, c’est à lui principalement qu’il a incombé de délimiter le droit de grève […].

 

(soulignement ajouté et références omises)

 

[297]     À la lumière de ces principes, la Cour suprême conclut que la loi provinciale restreignant le droit de grève des employés du secteur public est inconstitutionnelle en ce qu’elle viole l’alinéa 2d) et que cette atteinte n’est pas justifiée en regard de l’article 1 de la Charte canadienne :

[92] […] Définir les « services essentiels » pour l’application de la PSESA exige de faire preuve de jugement dans la détermination des situations où, par exemple, la vie, la santé, la sécurité ou le souci environnemental justifie la désignation de services essentiels. Or, la PSESA permet à l’employeur de soupeser seul ces considérations fondamentales, les salariés ne disposant d’aucun mécanisme efficace de règlement des différends qui permette la révision de désignations contestées de l’employeur.

 

[93]      La PSESA ne prévoit pas non plus d’autre moyen véritable (tel l’arbitrage) de mettre fin à l’impasse des négociations. [….]

 

(soulignement ajouté)

Le cadre d’analyse applicable

[298]     La portée de la liberté d’association semble encore appelé à évoluer. Il est certain que la Cour suprême n’a pas répondu à toutes les questions depuis ce virage vers une interprétation plus libérale de la liberté d’association. Il n’y a pas non plus de « test » qui se dégage comme tel de la trilogie de 2015 et qu’on pourrait appliquer à chaque cas. Au contraire, la Cour fait une analyse contextuelle du droit à la négociation collective en regard des situations particulières qui lui sont soumises.

[299]     Il est cependant possible d’extraire de la jurisprudence certaines balises et de cerner le cadre d’analyse qui s’applique, selon l’état du droit actuel, à la liberté d’association protégée à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne :

·        La liberté d’association doit être interprétée selon une approche généreuse et téléologique. Pour déterminer si une restriction viole l’alinéa 2d) de la Charte canadienne, il faut considérer l’activité associative dans son contexte global et en fonction de son histoire (arrêt APMO, précité, par. 47);

·        la liberté d’association n’est pas seulement un ensemble de droits individuels. Elle protège également des droits collectifs, qui sont inhérents aux associations, soit « le droit de s’unir pour faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités » (arrêt APMO, précité, par. 62 et par. 66);

·        la liberté d’association inclut le droit de négocier collectivement ses conditions de travail, qui n’est pas un simple droit dérivé de celle-ci (arrêt APMO, précité,           par. 73 et par. 79);

·        la Charte canadienne ne garantit ni l’accès à un régime particulier, ni la réalisation des objectifs fixés par les employés, non plus qu’un régime idéal (arrêt APMO, précité, par. 67 et par. 97);

·        le processus de négociation collective implique le droit de formuler des revendications et de les voir prises en considération de bonne foi par l’employeur (arrêt Fraser repris au paragraphe 45 de l’arrêt APMO, précité);

·        la négociation collective implique que les parties fassent « des efforts pour parvenir à un accord, procéder à des négociations véritables et constructives, éviter des retards injustifiés dans la négociation et respecter réciproquement les engagements pris et les résultats obtenus grâce à des négociations de bonne foi »; que les parties établissent un « véritable dialogue » dans l’objectif commun d’en arriver à un « contrat acceptable » sur les conditions de travail (arrêt Health Services, précité, respectivement aux paragraphes 76, 98 et 101);

·        cependant, la négociation « serrée » reste permise et une partie n’est pas tenue d’accepter une clause contractuelle précise. Ce ne sont pas les résultats qui sont protégés, mais le processus lui-même (arrêt Health Services, précité);

·        les parties doivent négocier de bonne foi et avoir accès à une voie de recours pour sanctionner un éventuel manquement à cette obligation (arrêts Fraser, précité, par. 109, et Saskatchewan, précité, par. 1);

·        la négociation collective de bonne foi implique de respecter les engagements pris et les résultats obtenus au terme du processus (arrêt Health Services, précité, par. 77 et par. 98);

·        pour qu’un processus véritable de négociation existe, les employés doivent avoir une liberté de choix et une indépendance suffisante pour permettre de décider de leurs intérêts collectifs et de véritablement les réaliser. La liberté de choix comprend celle de former des associations indépendantes de la direction et d’y adhérer. L’indépendance renvoie à la capacité de définir ses objectifs selon ses propres intérêts et ne pas se limiter à ceux que l’employeur permet de défendre. Il faut examiner globalement les deux critères afin de voir si les employés sont en mesure de s’associer en vue de réaliser véritablement des objectifs collectifs relatifs au travail (arrêt APMO, précité, par. 5 et par. 90);

·        les activités de l’association doivent s’exercer à l’abri de toute ingérence, domination ou entrave de l’employeur (arrêt APMO, précité, par. 88);

·        il faut déterminer si les mesures en cause altèrent l’équilibre du rapport de force entre les employés et l’employeur de telle sorte qu’elles interfèrent de façon substantielle avec un processus véritable de négociation collective (arrêt Health Services, précité, par. 90, repris dans arrêt APMO, précité, par. 72);

 

·        Afin de conclure à l’atteinte du droit d’association, il n’est pas nécessaire de démontrer l’impossibilité de poursuivre des objectifs collectifs, mais l’entrave substantielle (arrêt APMO, précité, par. 74 à 77);

·        le modèle de relations du travail qui prive les employés de protections adéquates dans leurs interactions avec l’employeur de manière à créer une entrave substantielle à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives portera atteinte au droit à un processus véritable de négociation collectif (Arrêt APMO, précité, par. 80);

·        le droit de grève est protégé constitutionnellement et fait partie du droit à une négociation véritable. S’il est limité d’une manière qui entrave substantiellement le processus de négociation, il doit être remplacé par un mécanisme de règlement des différends (arrêt Saskatchewan précité, par. 25);

·        dans certains cas, si une entrave substantielle est constatée, l’État peut avoir une obligation positive pour protéger la liberté d’association (arrêt Dunmore précité).

·        l’exclusion d’un régime d’accréditation général, dans le but de priver un groupe de sa liberté d’association, peut constituer une entrave substantielle de l’État (arrêt APMO, précité, par. 131);

·        il faut présumer que la Charte canadienne accorde au moins une protection aussi grande que les normes internationales contenues dans des conventions applicables au Canada. Les décisions du Comité de la liberté syndicale ont une force persuasive significative (arrêt Saskatchewan, précité, par. 64 et par. 69).

le régime législatif général d’accréditation au Québec

Les principes et mécanismes du Code

[300]     Le Code, inspiré du modèle de la Loi Wagner, constitue le régime général de relations du travail au Québec, tant pour le secteur privé que public, sous réserve d’exceptions, dont celles mentionnées à l’alinéa 1l) et dont il sera fait état plus loin. 

[301]     Les deux grands objectifs de la Loi Wagner, qui seront aussi à la base de l’ancêtre du Code, la Loi des relations ouvrières de 1944, et du Code de 1964, sont « de promouvoir la paix industrielle par la réduction de conflits de travail et de rétablir une égalité de principe entre le pouvoir de négociation des employeurs et ceux des ouvriers[93] ».

[302]     Pour reprendre les propos de la Commission dans une affaire portant sur la constitutionnalité de l’exclusion des travailleurs agricoles migrants du Code[94] :

[306] Le Code du travail du Québec ne constitue évidemment pas le seul modèle permettant d’assurer que la liberté d’association, incluant le droit de négocier collectivement ses conditions de travail, puisse se réaliser véritablement. Il est cependant beaucoup plus qu’un régime particulier. Malgré l’existence de certains modèles comparables, le Code constitue, pour reprendre les termes employés par la Cour suprême dans l’affaire Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada inc., 2009 CSC 54 «  l’expression concrète et le mécanisme de mise en œuvre de la liberté d’association en milieu de travail au Québec ». Comme le souligne la Cour suprême dans Health Services précitée, le Code et lois équivalentes au fédéral et dans les autres provinces, « confèrent le droit et imposent l’obligation aux employeurs et aux syndicats de négocier de bonne foi ».

 

(soulignement ajouté)

 

[303]     Le droit d’association est consacré à l’article 3 du Code en ces termes :

3. Tout salarié a droit d’appartenir à une association de salariés de son choix et de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration.

 

[304]     Le Code permet le choix d’un représentant collectif exclusif. Ainsi, une association de salariés peut requérir l’accréditation auprès du Tribunal, qui déterminera si l’unité demandée est appropriée, les personnes visées, le cas échéant, et le caractère représentatif de ladite association.

[305]      L’appartenance d’un salarié à l’association doit demeurer confidentielle et n’est donc pas connue de l’employeur. Celui-ci n’est pas considéré comme une partie intéressée aux fins de déterminer le caractère représentatif de l’association requérante. Il est donc exclu de ce débat (articles 32 et 36). L’ingérence par l’employeur dans une association de salariés est interdite (article 12) et une protection contre toute mesure de représailles est accordée au salarié qui exerce un droit prévu au Code (article 15). Il bénéficie d’une présomption s’il établit avoir exercé un tel droit et subi, de façon concomitante, une mesure de la part de l’employeur. Il appartient dès lors à celui-ci de faire la preuve d’une autre cause, qui soit juste et suffisante (article 17).

[306]     L’employeur doit retenir sur le salaire de tout salarié faisant partie de l’unité de négociation, membre ou non de l’association accréditée, la cotisation fixée par celle-ci (article 47).

[307]     Le but de l’accréditation est la négociation collective. Elle doit être conduite de bonne foi et avec diligence (article 53). Un processus de conciliation est prévu (articles 54 et 55). À certaines périodes, les parties acquièrent le droit de grève ou de lock-out (article 58). Un mécanisme d’arbitrage de différends s’applique en cas d’impasse dans la négociation d’une première convention collective (chapitre VI, section I.1).

[308]     Lorsqu’une convention collective est conclue, elle lie l’employeur et l’ensemble des salariés pour sa durée, laquelle doit être déterminée et respecter certains minimums (article 65). Les conflits relatifs à son interprétation et à son application seront tranchés par un arbitre de grief (article 100).

[309]     Le Tribunal est l’instance désignée par le législateur pour veiller à l’application du Code. Une partie peut requérir en tout temps son intervention, d’une façon simple, peu couteuse et rapide.

[310]      Ainsi, le Code établit un régime complet. Il a été à maintes reprises rappelé qu’il favorise l’accréditation. Celle-ci est donc la règle générale et les exclusions en sont les exceptions. L’auteur Robert P. Gagnon s’exprime en ces termes : « Le Code du travail […] exprime une volonté du législateur québécois de favoriser l’aménagement de rapports collectifs du travail [95]»

L’exclusion visant les cadres

[311]     Afin de bien situer le débat, il est utile de rapporter la définition de « salarié » et ses exclusions que l’on retrouve à l’article 1 du Code :

1. Dans le présent code, à moins que le contexte ne s’y oppose, les termes suivants signifient :

[…]

 

l)  «salarié» : une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération, cependant ce mot ne comprend pas:

 

1°  une personne qui, au jugement du Tribunal, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés;

 

2°  un administrateur ou un dirigeant d’une personne morale, sauf si une personne agit à ce titre à l’égard de son employeur après avoir été désignée par les salariés ou une association accréditée;

 

3°  un fonctionnaire du gouvernement dont l’emploi est d’un caractère confidentiel au jugement du Tribunal ou aux termes d’une entente liant le gouvernement et les associations accréditées conformément au chapitre IV de la Loi sur la fonction publique (chapitre F-3.1.1) qui sont parties à une convention collective qui autrement s’appliquerait à ce fonctionnaire; tel est l’emploi d’un conciliateur, d’un médiateur et d’un médiateur arbitre du ministère du Travail, d’un fonctionnaire du Conseil exécutif, du vérificateur général, de la Commission de la fonction publique, du cabinet d’un ministre ou d’un sous-ministre ou d’un fonctionnaire qui, dans un ministère ou un organisme du gouvernement, fait partie du service du personnel ou d’une direction du personnel;

 

3.1°  un fonctionnaire du ministère du Conseil exécutif sauf dans les cas que peut déterminer, par décret, le gouvernement;

 

3.2°  un fonctionnaire du Conseil du trésor sauf dans les cas que peut déterminer, par décret, le gouvernement;

 

3.3°  un fonctionnaire de l’Institut de la statistique du Québec affecté aux fonctions visées à l’article 4 de la Loi sur l’Institut de la statistique du Québec (chapitre I-13.011);

 

4°  un procureur aux poursuites criminelles et pénales;

 

5°  un membre de la Sûreté du Québec;

 

6°  un membre du personnel du directeur général des élections;

 

7°  un fonctionnaire du Tribunal affecté aux fonctions visées à l’article 86 ou à l’article 87 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail (chapitre T-15.1);

 

[312]     Certaines des personnes exclues de la définition de « salarié » sont cependant soumises à un autre régime[96], ce qui n’est pas le cas pour celles visées à l’article 1l)1°, soit les « gérant[s], surintendant[s], contremaître[s] ou représentant[s] de l’employeur dans [leurs] relations avec les salariés ».

[313]     Comme il a été souligné lors de l’historique de l’exercice du droit d’association par les cadres, ceux-ci sont déjà exclus de la Loi des relations ouvrières de 1944.

[314]     La notion de « cadre » regroupe un éventail de personnes, allant de celles qui exercent un simple pouvoir de surveillance et veillent à l’application de directives de l’employeur, à celles qui participent à l’élaboration des stratégies et orientations de l’entreprise. La jurisprudence et la doctrine distinguent communément trois paliers : les cadres de premier niveau, les cadres intermédiaires et les cadres supérieurs.

[315]     Dans Syndicat des professionnelles en soins infirmiers et cardio-respiratoires du CHA (FIIQ) c. Centre hospitalier affilié universitaire de Québec[97], la Commission résume ainsi les personnes visées par l’exclusion de l’article 1l) 1°:

[71]      La définition de « salarié » et, partant, l’exclusion particulière prévue au sous-paragraphe 1 l) de l'article 1 du Code, soit « une personne qui, au jugement de la Commission, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés », s’applique exclusivement pour les fins de l’aménagement des relations collectives du travail. La partie qui prétend à une exclusion doit établir les faits qui la justifient, par prépondérance de preuve.

 

[72]      Ainsi, ne sont pas des « salariés » et n’ont pas accès au régime de représentation et de négociation de leurs conditions de travail prévu au Code, les personnes qui, dans l’entreprise, détiennent une autorité hiérarchique, sans égard au palier de gestion, ce qui peut aller de la haute direction jusqu’au premier niveau de la gestion, soient les gérants, surintendants ou contremaîtres.

 

[73]      En application de la même exclusion, n’ont pas accès à ce régime, les personnes qui exercent de fait une certaine forme d’autorité patronale, par délégation de l’employeur, et dont les responsabilités correspondantes qu’elles assument font en sorte qu’elles agissent alors comme « représentants de l’employeur dans ses relations avec ses salariés ».

 

[74]      Les premières, celles qui agissent à titre de gérants, surintendants, ou contremaîtres ou équivalents, se situent normalement dans la ligne hiérarchique de l’entreprise et le font au nom de l’employeur, en regard de l’exécution et du contrôle du travail effectué par les salariés qui font partie de l’équipe qu’ils supervisent.

 

[75]      D’autre part, les personnes chargées de fournir des renseignements, une expertise particulière, des conseils ou des recommandations sur l’un ou l’autre des aspects techniques ou relevant d’une profession ou encore particuliers à une entreprise, peuvent être des représentants de l’employeur, dans le cadre de la fonction qu’elles exercent dans l’entreprise, si leur action participe à la gestion des ressources humaines dans cette entreprise .

 

[76]      Finalement, des personnes peuvent aussi être de tels représentants, en raison de leur participation à la gestion administrative de l’organisation, si elles détiennent un « pouvoir significatif, soit en engageant l’employeur à l’endroit de tiers de leur seule autorité, soit en participant à l’orientation et à la marche des activités de l’entreprise.

 

(soulignement ajouté et références omises) 

 

[316]     Ainsi, l’alinéa 1l) par. 1 du Code vise les cadres de façon large. Tous les niveaux, sans distinction, sans se limiter à ceux qui exercent des fonctions de direction, contrairement au Code canadien, sont exclus de la définition de « salarié ». De plus, il suffit qu’une portion des tâches exercées relève de la définition de l’article 1l) 1° pour que cette personne soit considérée comme un cadre[98].

[317]     Par ailleurs, on notera qu’en général, au Québec, le fait d’avoir accès à de l’information confidentielle n’est pas un motif d’exclusion à la syndicalisation, contrairement à la législation fédérale. Seuls les fonctionnaires dont le travail se rapporte à la fonction exécutive de l’État sont exclus selon l’article 1l) 3° du Code.

Les modalités particulières au sein du régime général

[318]     Certains groupes de salariés, en raison de leurs fonctions, sans être exclus du régime général, sont assujettis à des dispositions particulières qui peuvent être prévues soit au Code, soit dans d’autres lois.

[319]     Il en est ainsi des employés municipaux, qui sont visés par une loi, entrée en vigueur tout récemment, la Loi concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal[99]. Celle-ci prévoit un processus d’arbitrage de différends qui viendra déterminer les conditions de travail, selon des critères définis par la loi, en tenant compte des « attentes collectives des salariés et des impératifs d’une gestion efficace et efficiente des ressources financières destinées à la prestation des services publics[100] ». Les policiers et pompiers, qui n’ont pas le droit de grève, avaient déjà accès à un arbitrage de différends en vertu du Code. Les dispositions qui le prévoyaient sont abrogées par cette loi, qui instaure un conseil d’arbitrage, lequel doit être guidé par des critères qu’elle énonce dans l’établissement des conditions de travail[101].  

[320]     Par ailleurs, les policiers municipaux ne peuvent faire partie d’une association qui n’est pas formée exclusivement de policiers municipaux ou qui est affiliée à une autre organisation[102].

[321]     Les salariés des secteurs public, parapublic et de la fonction publique[103] voient leur droit de grève limité afin d’assurer des services essentiels à la population.

[322]     Les salariés du réseau des affaires sociales ont un régime d’accréditation particulier, qui définit et limite à quatre le nombre d’unités de négociation par établissement[104].

[323]     Les enquêteurs de la Commission de la construction du Québec doivent faire partie d’une unité distincte et l’association accréditée pour les représenter ne peut être « affiliée à une association représentative ou à une organisation à laquelle une telle association ou tout autre groupement de salariés de la construction est affilié ou autrement lié, ni conclure une entente de service avec l’un d’eux[105] ».

de CERTAINS régimes de relations du travail

[324]     Sans faire une revue exhaustive des autres régimes de relations du travail, il apparait utile d’en décrire certains, afin de situer la portée de l’exclusion visant les employés cadres. La plupart de ces régimes relèvent de la compétence du Tribunal.

Les ressources intermédiaires, les ressources de type familial et les responsables de services de garde

[325]     Les ressources intermédiaires et les ressources de type familial (RI/RTF) sont des personnes qui accueillent un certain nombre de personnes atteintes de problème de santé mentale ou en perte d’autonomie dans leur résidence, sous le contrôle d’un établissement public du réseau de la santé. Les responsables d’un service de garde en milieu familial (RSG) offrent, quant à eux, des services de garde en milieu familial, et sont rattachés à un Centre de la petite enfance (CPE), entité relevant du ministre responsable de la Famille.

[326]     Les RI/RTF et les RSG ont respectivement un régime de reconnaissance qui leur est accordé par législation et leur permet, bien que n’étant pas considérés comme des salariés, l’accès à la négociation collective ainsi qu’à divers mécanismes s’inspirant largement du Code.

[327]     L’historique de l’adoption de ces régimes particuliers met en cause plusieurs décisions relatives à la liberté d’association qu’il est utile de relater.

[328]     Après plusieurs années de discussions infructueuses avec le gouvernement relativement à leurs conditions de travail, les RI/RTF et les RSG déposent des requêtes en accréditation en vertu du Code[106]. Les instances spécialisées décident alors que les rapports entre les RI/RTF et l'établissement public sont de nature contractuelle et constituent un contrat de travail. Les RI/RTF ont ainsi vu leur statut de salarié reconnu. Le même raisonnement est tenu à l’égard des RSG et des CPE.

[329]     En réaction à l’effet de ces décisions, l’Assemblée nationale adopte deux lois qui décrètent que les RI/RTF et les RSG ne sont pas réputés être des salariés des structures dont ils relèvent. Les centrales syndicales attaquent leur constitutionnalité parce qu’en violation de la liberté d’association.

[330]     Appliquant les arrêts Dunmore et Health Services, précités, la Cour supérieure conclut que l’intervention législative touche à des aspects capitaux de la liberté d’association et constitue une entrave substantielle à la négociation collective[107]. Elle fait notamment une analyse détaillée des outils internationaux et souligne leur importance :

[314]    Bref, en faisant fi des instruments internationaux et de la décision du Comité de la liberté syndicale, en ne reconnaissant que les associations qui ne revendiquent pas le statut de salarié, en choisissant de mettre en place un système de reconnaissance purement discrétionnaire qui n'offre aucune garantie de neutralité et d'objectivité, qui ne prévoit aucune protection contre l'ingérence du gouvernement et qui n'incorpore aucune obligation pour celui-ci de négocier les conditions de travail ni ne sanctionne le refus de négocier ou les pratiques déloyales liées à la négociation, ces lois empêchent les RSG, les RI/RTF et leur syndicat d'exercer leur liberté syndicale et violent l'al. 2d) de la Charte et l'article 3 de la Charte québécoise. Ce contrôle total constitue une ingérence sur les

 

 

questions importantes de la négociation et sur l'existence même du syndicat.  Cette atteinte au droit d'association garantie par l'al. 2d) est substantielle au sens de l'arrêt Health Services, précité.

 

(soulignement ajouté)

 

[331]     Par conséquent, la Cour invalide les deux lois.

[332]     C’est alors que la  Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant[108] et la Loi sur la représentation de certaines personnes responsables d’un service de garde en milieu familial et sur le régime de négociation collective les concernant[109] sont adoptées en 2009. Elles attribuent à la Commission, maintenant au Tribunal, la compétence de la mise en œuvre des rapports collectifs de travail. Elles permettent aux RI/RTF et aux RSG de se regrouper en association reconnue aux fins des relations du travail, de négocier et de conclure une entente collective incluant une procédure de règlement des mésententes. Elles accordent aussi une protection contre l’ingérence et l’entrave et un recours pour non-respect à l’obligation de négocier de bonne foi. Elles ont un droit d’exercer une action concertée.

Les travailleurs agricoles

[333]     Le 22 octobre 2014, le Code est amendé afin d’ajouter le chapitre V.3 (articles 111.27 à 111.32). Ce nouveau chapitre constitue un régime particulier pour les travailleurs agricoles, auparavant visés par l’alinéa 21 (5) du Code, qui excluait de la définition de « salarié » ceux à l’emploi d’une ferme employant moins de trois personnes « ordinairement et continuellement ». Ceux-ci ne pouvaient donc se syndiquer.

[334]     L’adoption de ce régime fait suite à une décision rendue par la Commission en 2010, confirmée par la suite par la Cour supérieure en 2013, accréditant des travailleurs agricoles, et ce, après avoir décidé que l’exclusion de l’alinéa 21 (5) du Code violait la liberté d’association garantie aux chartes canadienne et québécoise[110].

[335]     En vertu de ce nouveau régime, l’employeur doit donner à une association de salariés de son exploitation agricole une occasion « raisonnable » de présenter des observations, verbalement ou par écrit, au sujet des conditions d’emploi de ses membres. Il est tenu de les examiner et d’échanger avec les représentants de l’association. Les parties doivent respecter l’obligation de diligence et de bonne foi. Un recours au Tribunal est prévu en cas de non-respect de ces obligations. Une protection contre l’ingérence de l’employeur dans les libertés syndicales est aussi prévue.

Les artistes

[336]     La Loi sur le statut professionnel et des conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma[111], adoptée en 1987, établit un régime de relations du travail pour les artistes, qui, bien que considérés comme des travailleurs autonomes, bénéficient d’un système de représentation collective. Elle établit un mécanisme de reconnaissance d’associations d’artistes et d’associations de producteurs ainsi qu’un régime de négociation collective entre les associations reconnues d’artistes d’une part, et les producteurs ou les associations de producteurs, d’autre part, reconnues ou non.

[337]      La définition du secteur de négociation et du caractère représentatif relève du Tribunal. La reconnaissance accorde à l’association un monopole de représentation aux fins de la négociation d’ententes collectives portant sur les conditions minimales d’engagement des artistes par les producteurs. Les mésententes sur l’interprétation de l’entente collective sont soumises à un arbitre. Une protection contre l’ingérence de l’employeur est prévue. La loi prévoit l’obligation de négocier de bonne foi et des mécanismes en cas d’impasse dans les négociations, dont le droit à l’action concertée (articles 34 et 38).

Les travailleurs de l’industrie de la construction

[338]     Les travailleurs et employeurs de l’industrie de la construction sont assujettis à un régime de relations du travail, à maints égards différents de celui du Code. La Loi sur les relations du travail, de la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[112] désigne cinq associations représentatives et prévoit quatre secteurs de négociation, chacun régi par une convention collective (secteurs commercial, génie civil et voirie, industriel et résidentiel).

[339]     La Commission de la construction du Québec (la CCQ) organise et surveille la tenue du scrutin d’adhésion syndicale et constate la représentativité de chacune des associations. Des cotisations syndicales sont prélevées à même le salaire. Les associations représentatives et les employeurs négocient la convention collective applicable au secteur, laquelle comprend un recours à l’arbitrage en cas de différends sur son application ou son interprétation. En cas de difficultés, un processus de conciliation, puis de médiation, est prévu par la loi. Un recours en cas de non-respect de l’obligation de négocier de bonne foi est prévu. Le droit de grève et de lock-out est permis, à certaines conditions. Le Tribunal a compétence pour rendre une ordonnance en cas de grève, de ralentissement de travail ou de lock-out contraires aux dispositions de la loi (article 58.1).

[340]     Les avantages sociaux sont définis par le Comité sur les avantages sociaux de l’industrie de la construction, dont les membres sont désignés par les associations représentatives et les associations d’employeurs.

[341]     Le chapitre IX (articles 94 et suivants) de la loi est consacré à la liberté syndicale. Notamment, un recours contre la domination et l’entrave est prévu auprès du Tribunal.

Les procureurs aux poursuites criminelles et pénales

[342]     Exclus par l’article 1l) 4° du Code, les procureurs aux poursuites criminelles et pénales ont accès à un régime spécifique, édicté par la Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective. Ce régime a fait l’objet de modifications importantes en 2011, à la suite de la ronde des négociations du secteur public en 2010 et des conflits qui ont eu cours à cette occasion.

[343]     Cette loi prévoit la reconnaissance de l’association regroupant la majorité absolue des procureurs, « à l’exception des procureurs en chef, des procureurs en chef adjoint et de ceux qu’il [le directeur des poursuites criminelles et pénales] estime approprié d’exclure en raison des fonctions confidentielles qui leur sont confiées et qui sont reliées aux relations du travail » (article 10). La vérification du caractère représentatif est confiée au Tribunal. Une cotisation syndicale est prélevée à même le salaire.

[344]     Les parties peuvent conclure une entente collective pour une durée de quatre ans portant sur les conditions de travail. Les parties sont tenues de négocier de bonne foi et peuvent recourir au Tribunal si nécessaire.

[345]      En cas d’impasse, outre un processus de médiation, la loi prévoit la nomination d’un arbitre qui fait des recommandations au gouvernement. Celui-ci peut les approuver, les refuser ou les modifier, en faisant part de ses motifs. Tout litige sur l’interprétation et l’application de l’entente collective peut être soumis à la Commission de la fonction publique.

[346]     Un comité sur la rémunération énonce des recommandations au gouvernement. L’Assemblée nationale peut les approuver, les rejeter ou les modifier, avec motifs.

[347]     Le droit de grève est interdit.

Les membres de la Sûreté du Québec

[348]     Tout comme les cadres et les procureurs aux poursuites criminelles et pénales, les membres de la Sûreté du Québec, corps policier provincial, sont exclus de la définition de « salarié » du Code (article 1l) 5°). Ils bénéficient toutefois d’un régime particulier établit par la Loi sur le régime syndical applicable à la Sûreté du Québec. Rappelons aussi que les conventions internationales permettent de faire une exception concernant le droit à la syndicalisation pour les corps policiers.  

[349]     L’association qui regroupe la majorité absolue des membres est reconnue par le gouvernement, qui doit avoir la liste des membres et s’assure de son caractère représentatif.

[350]     Cette loi prévoit la création d’un comité paritaire afin de négocier un « contrat de travail », selon des sujets définis par la loi, notamment les conditions à caractère financier et les horaires de travail, et de décider des griefs relatifs à son application. En cas d’impasse des négociations, un processus d’arbitrage de différends est prévu, la grève n’étant pas permise. Le résultat des négociations ou du processus d’arbitrage de différends doit cependant être approuvé par le gouvernement.

[351]     Ayant définit la portée de la liberté d’association et décrit tant le régime législatif général que les régimes particuliers, il y a lieu de déterminer si l’exclusion du statut de cadre prévue au Code porte atteinte à la liberté d’association dans le présent contexte.

L’exclusion du statut de cadre viole-t-elle la liberté d’association?

[352]     L’exclusion du statut de cadre de la définition de « salarié » du Code porte-t-elle atteinte à la liberté d’association garantit par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne et par l’article 3 de la Charte québécois des personnes visées par la requête en accréditation?

[353]     Le Tribunal conclut que c’est le cas. Il devra donc se pencher par la suite sur la justification d’une telle violation en vertu d’une société libre et démocratique.

[354]     D’abord, l’application des principes aux faits communs aux deux dossiers sera abordée, puis celle aux faits particuliers du présent dossier.

[355]     Selon la méthode d’analyse établit par la Cour suprême dans l’arrêt Big M Drug Mart [113] et suivie dans l’arrêt APMO, précité, le Tribunal examinera, en premier lieu, l’objet de l’exclusion du statut de cadre (1), puis, dans un deuxième temps, ses effets (2). Par la suite, le Tribunal analysera la responsabilité de l’État à l’égard de l’entrave substantielle (3).

L’objet de l’exclusion du statut de cadre de la définition de salarié

[356]     Soulignons, d’emblée, que n’eût été l’exclusion mentionnée à l’article 1l) 1° du Code, le cadre répond à la définition de salarié en ce sens qu’il est une personne qui travaille pour un employeur moyennant une rémunération.

[357]     Cette exclusion se trouvait déjà dans la première loi organisant les rapports collectifs au Québec, la Loi des relations ouvrières, entrée en vigueur en 1944 et établissant un régime de rapports collectifs fondé sur le modèle Wagner.

[358]     L’objet de l’exclusion des cadres de la définition de «salarié », à l’article 1l) 1° du Code vise à empêcher les représentants d’un l’employeur de négocier collectivement leurs conditions de travail, par crainte que cela ne les place en situation de conflits d’intérêts, tel que souligné en doctrine :

Le champ d’application du Code du travail trouve sa spécificité dans une série d’exclusions catégorielles parmi les personnes qui sont néanmoins des employés (article 1l), 1° à 7° C.t.). Cet aspect privatif de la définition du «  salarié » s’appuie, selon les cas, sur deux ordres de motifs. Quelques-unes des personnes exclues sont soumises à un autre régime de rapports collectifs. Le plus souvent toutefois, l’exclusion exprime une appréhension de conflits d’intérêts qui pourrait naître pour les personnes en cause de leurs fonctions et responsabilités, au service de l’employeur, d’une part et de la négociation collective de leurs conditions de travail, d’autre part.

 

(Robert P. GAGNON et LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS, Le droit du travail du Québec, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 347.)

 

Le Code du travail exclut le personnel associé d’une façon ou d’une autre à la direction ou à la gestion de l’entreprise de la définition du terme « salarié». Ces exclusions viennent limiter l’aire d’application du Code du travail (article1l), 1° à 7° C.t.) pour des personnes qui sont, par ailleurs, des employés. Cet aspect privatif de la définition du « salarié »  s’appuie, d’une part, sur l’appréhension d’un conflit d’intérêts qui pourrait naître de la responsabilité du personnel de direction à l’endroit des intérêts de l’employeur, et d’autre part, de l’éventualité que ces personnes négocient collectivement ses conditions de travail .

 

(Geneviève BEAUDIN et autres, « Le Code du travail : champ et autorités d’application », dans Collection de droit 2015-2016, École du Barreau, vol. 8, Droit du travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 93.)

 

(soulignement ajouté)

 

[359]     La Procureure générale plaide que l’exclusion des cadres du régime d’accréditation du Code ne limite pas pour autant le droit d’association. Le régime, mis en place par le législateur selon le modèle Wagner, imposerait de diviser l’entreprise en deux groupes : les représentants de l’employeur d’un côté, les salariés de l’autre. Étant des représentants de l’employeur, les cadres sont exclus à ce titre du groupe des salariés, afin d’éviter les conflits d’intérêts : « Ainsi, les cadres négociant collectivement seraient tiraillés entre leurs propres intérêts et leur rôle de représentants de l’employeur[114]. » La Procureure générale cite d’autres dispositions du Code, lesquelles seraient incompatibles avec le fait de permettre aux cadres de se syndiquer : l’interdiction pour l’employeur de s’ingérer dans les affaires syndicales et les dispositions anti-briseurs de grève.

[360]     D’une part, la Cour suprême a reconnu que le droit de pouvoir négocier collectivement ses conditions de travail fait partie de la liberté d’association.

[361]     D’autre part, l’appréhension de conflits d’intérêts ne permet pas d’occulter que l’objet de l’exclusion du statut de cadre est bel et bien de les empêcher de négocier collectivement leurs conditions de travail. Ils ne peuvent avoir des intérêts collectifs distincts de ceux de la direction, en raison de la prémisse qu’ils forment avec elle un tout unique et indivisible.

[362]     Dans l’arrêt APMO, précité, la Cour suprême a considéré que l’objet de l’exclusion des membres de la GRC de la définition de « fonctionnaire » du régime général d’accréditation visait à les empêcher d’exercer leur liberté d’association, et ce, même si l’objectif était d’éviter les conflits d’intérêts qu’aurait pu provoquer leur allégeance avec d’autres travailleurs[115]. L’objet de l’exclusion constituait une entrave substantielle à la liberté d’association.

[363]     Or, lorsque l’objet d’une mesure porte atteinte à une liberté fondamentale, il n’est normalement pas nécessaire d’en examiner les effets et seule la preuve d’une justification dans une société libre et démocratique permet de la sauvegarder[116]. Cependant, bien que l’objet de l’exclusion des cadres porte atteinte au droit de négocier collectivement, on ne se trouve pas dans un cas où il y a une négation complète de liberté d’association. Il demeure donc nécessaire d’en évaluer les effets et si ceux-ci constituent une entrave substantielle.

Les effets de l’exclusion des cadres de la définition de salarié

[364]     L’analyse portera d’abord sur l’impact de l’exclusion du statut de cadre sur l’indépendance des associations, puis sur leur capacité à négocier collectivement les conditions de travail de leurs membres. Ce dernier point amènera le Tribunal à se pencher sur l’absence de mécanismes pour sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi et en cas d’impasse dans les négociations.

1. Les atteintes à l’indépendance des associations

[365]     Dans l’arrêt APMO, précité, la Cour suprême établit qu’un processus véritable de négociation nécessite le droit pour les employés de pouvoir former une association indépendante de la direction et d’y adhérer. Parmi les facteurs à considérer, elle cite la liberté de modifier l’acte constitutif et les règles de l’association, la liberté de choisir les représentants et le contrôle sur l’administration financière et sur les activités que l’association décide de mener (par. 89).

[366]     Ces facteurs sont satisfaits, tant pour l’ACSCQ que pour l’APCPNHQ. Cela signifie-t-il pour autant, comme le voudraient les employeurs et la Procureure générale, que les deux associations jouissent de l’indépendance requise aux fins de la liberté d’association?

[367]     Il faut rappeler que la Cour suprême énonce ces principes alors qu’elle se penche sur la constitutionnalité d’un régime imposant aux membres de la GRC une instance de représentation qu’ils n’ont pas choisie. Les facteurs que la Cour énumère dans ce contexte ne sont pas limitatifs, comme il ressort de son introduction : « Au nombre des facteurs à considérer dans l’examen de l’indépendance [...][117] ». Dans l’arrêt APMO, précité, la détermination du groupe visé ou du caractère représentatif n’étaient pas en cause. C’est le cas cependant en l’espèce.

[368]     La reconnaissance de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ est faite sur une base volontaire par leur employeur respectif. Tant le caractère représentatif des deux associations en cause que la détermination du groupe pour lequel elles sont reconnues relèvent de l’entière discrétion de l’employeur. Dans les deux cas, il existe des désaccords sur les personnes pouvant être représentées par elles. Ce sont les employeurs qui seuls en décide. De surcroit, il n’existe aucune protection contre l’ingérence ou l’entrave, élément que la Cour suprême a jugé essentiel afin que l’objectif de la négociation collective puisse être atteint[118].

2. La capacité à négocier collectivement les conditions de travail

·               Le déséquilibre du rapport de force

[369]     Comme le souligne la Cour suprême dans la trilogie de 2015, on ne peut occulter le déséquilibre du rapport de force entre les employés et l’employeur. Alors que dans l’arrêt Dunmore, précité, la Cour traitait de la vulnérabilité particulière du groupe des travailleurs agricoles, dans l’arrêt APMO, précité, elle réfère plus largement à celle des employés par rapport à leur employeur.

[370]     La Procureure générale fait état de la capacité d’organisation du groupe des cadres et des moyens dont ils disposent pour faire valoir leurs droits. Cette affirmation mérite d’être nuancée, car le groupe des cadres n’est pas une réalité homogène et toujours bien définie, comme le souligne le professeur Coutu.

[371]     D’une part, la situation varie selon qu’on se situe dans le secteur privé ou dans les secteurs public ou parapublic, ainsi qu’en fonction du nombre de cadres d’une entreprise. D’autre part, la notion de cadre couvre une vaste réalité de fonctions, s’étend à plusieurs rangs hiérarchiques et peut varier selon la taille et la structure de l’organisation.

[372]     En l’espèce, les personnes en cause sont des cadres de premier niveau, dans une organisation qui comprend cinq paliers ou plus de gestion. Ils sont souvent issus eux-mêmes du groupe qu’ils supervisent. Tout en étant « les yeux et les oreilles de l’employeur sur le plancher », ils ne bénéficient pas de la relation privilégiée que peuvent entretenir les cadres de niveaux supérieurs avec l’entreprise. Ils ne participent pas aux orientations de l’entreprise. Ils ne jouent pas non plus de rôle stratégique dans les relations du travail : ils ne négocient pas les conventions collectives; ils en assurent l’application dans le quotidien des activités. En résumé, les cadres de premier niveau sont véritablement entre « l’arbre et l’écorce ».

[373]     À cela s’ajoute qu’en l’espèce, les employeurs en cause, des sociétés d’État, sont des entités puissantes, possédant d’importants moyens, et étroitement liées à l’appareil gouvernemental, dont elles bénéficient du soutien. La complexité de leur structure et le nombre d’intervenants alourdissent aussi la tâche des associations.

[374]     Enfin, la difficulté à établir un rapport de force peut découler également du facteur culturel, mentionné par le professeur Coutu comme un des éléments limitant la syndicalisation des cadres. Le statut de représentants de l’employeur est susceptible de produire un certain inconfort à revendiquer non seulement la syndicalisation, un système qui est associé au Québec aux échelons inférieurs dans l’entreprise, mais aussi à revendiquer tout court.

[375]     On peut noter que les employeurs bannissent de leur langage des termes qui renvoient trop directement au régime général du Code. On évite soigneusement celui de « négociations » en préférant plutôt employer «  consultations » ou « discussions »; on se garde de toutes références au caractère « collectif » de l’entente ou du protocole conclut avec l’association; on refuse d’y inclure les conditions de travail, qui restent dans des documents distincts, émanant de l’employeur. À plusieurs reprises, que ce soit lors des rencontres avec la direction ou avec le gouvernement, la CNCQ, l’ACSCQ ou l’APCPNHQ doivent « rassurer » la direction quant à leur volonté de collaborer et se garder d’avoir une approche de « syndicat » au lieu d’une de « partenariat .

[376]     Ces choix linguistiques vont au-delà d’une simple question sémantique. Ils traduisent un état d’esprit, soit la réticence des employeurs à ce que leurs cadres négocient collectivement leurs conditions de travail.

[377]     Sans être un groupe vulnérable au même titre que des travailleurs agricoles saisonniers, les cadres de premier niveau sont dans une position délicate dans le contexte de leur rapport de force avec la direction, qui crée un déséquilibre dans la négociation collective.

·          L’incapacité à négocier des conditions de travail d’importance

[378]     Les associations avancent que la liberté d’association garantit le « droit à un véritable processus de négociation » alors que leurs opposants préfèrent référer au « droit de soumettre des représentations à l’employeur et au droit que celui-ci les prenne en considération ». Or, il faut y voir un même droit, bien qu’exprimé différemment par la Cour suprême.

[379]     Quelle que soit la façon dont on l’expose, la liberté d’association ne protège pas l’atteinte de résultats, mais le processus de négociation. Cependant, celui-ci ne doit pas se limiter à un simple exercice de façade. La Cour suprême rappelle dans l’arrêt Health Services, précité, la nécessité d’établir un véritable dialogue, afin d’arriver à un contrat acceptable. Si l’arrêt Fraser, précité, a pu sembler restreindre la portée du droit protégé par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne, la trilogie de 2015 dissipe tout doute à cet égard[119].  

[380]     De façon assez paradoxale, la Procureure générale, après avoir rappelé que seul le processus était garanti et non les résultats, souligne néanmoins les bonnes conditions de travail qu’ont les cadres, généralement supérieures à celles des employés sous leur supervision. Elle mentionne aussi que les cadres bénéficient des efforts des groupes syndiqués. Or, ce faisant, on tente de justifier le processus par le résultat, ou plutôt de combler les lacunes évidentes du processus en faisant état des acquis.

[381]     Le droit de négocier collectivement ses conditions de travail renvoie justement au « besoin fondamental des travailleurs de participer à la réglementation de leur milieu de travail » (Health Services, précité, par. 63). Il encourage «la dignité humaine, la liberté et l’autonomie des travailleurs en leur donnant l’occasion d’exercer une influence sur l’adoption des règles régissant leur milieu de travail et, de ce fait, d’exercer un certain contrôle sur un aspect d’importance majeur de leur vie, à savoir leur travail » (Health Services, précité, par. 82). Le statut des membres de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ ne doivent pas avoir pour conséquence de les priver de leur droit de les négocier ni dispenser leur employeur de participer à un véritable processus de négociation.

[382]     La preuve démontre que plusieurs sujets fondamentaux ne sont tout simplement pas ouverts à la discussion. À titre d’exemple, l’inclusion de conditions de travail pour l’ACSCQ dans le protocole ou l’ajout de conditions de travail pour l’APCPNHQ dans l’entente, la détermination du groupe qu’elles représentent, les conditions de travail à incidence salariale ou un mécanisme de règlements des différends sont autant de sujets qui ne sont pas négociables.

[383]     De plus, bien que l’ACSCQ et l’APCPNHQ doivent être consultées par leur employeur respectif avant toute modification de leurs conditions de travail, ce n’est pas toujours le cas. Les mouvements de personnel ou les conditions à incidence salariale en sont des exemples. Nous y reviendrons en examinant la preuve précise à chaque dossier.

[384]     Le non-respect du protocole ou de l’entente n’est soumis à aucun processus d’arbitrage. Il en est de même en cas de difficultés d’interprétation ou d’application des conditions de travail non contenues dans l’entente collective. Or, le respect des engagements pris et des résultats obtenus au terme du processus de négociation collective est une composante même de l’obligation de négocier de bonne foi[120], qui sera abordée à la prochaine section. Comme le précise la Cour suprême dans l’arrêt Health Services, précité, « [a]gir de mauvaise foi ou annuler de façon unilatérale des modalités négociées, sans véritables discussions et consultations peut aussi grandement saper le processus de négociation collective » (par. 92). L’absence d’un tel mécanisme rend théoriques les droits consentis.

·          L’obligation de négocier de bonne foi

[385]     Étant exclues du régime général prévu au Code et en l’absence d’un régime répondant aux exigences constitutionnelles, l’ACSCQ et l’APCPNHQ  n’ont pas accès à un mécanisme permettant d’assurer le respect des obligations de négocier de bonne foi et avec diligence.

[386]     Cette situation se distingue de celle à la base de l’arrêt Fraser, précité, où l’existence d’un tribunal spécialisé permettant de sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi a été déterminante dans la décision de la Cour suprême à maintenir le régime mis en place. Dans l’arrêt Saskatchewan, précité, la Cour suprême affirme à nouveau que le droit de faire des représentations à l’employeur et de les voir prises en considération de bonne foi « comprend l’accès à une voie de recours advenant que l’employeur ne négocie pas de bonne foi » (par. 29). Le Comité de la liberté syndicale, lui,  souligne que l’accès à une instance spécialisée est nécessaire pour que la protection contre l’ingérence de l’employeur soit efficace[121].

[387]     Les employeurs soutiennent que l’obligation de bonne foi étant incluse au Code civil Québec et à la Charte québécoise, les tribunaux de droit commun constituent une voie de recours qui permet de sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. Les exigences constitutionnelles seraient ainsi respectées.

[388]     Cette approche occulte le contexte particulier de la négociation collective.

[389]     En effet, on ne peut transposer les règles qui gouvernent les contrats en droit civil sans tenir compte des particularités des rapports collectifs de travail. Même si, en l’espèce, ces rapports ne sont pas encadrés par un régime législatif, l’entente collective qui en résulte s’appliquera à l’ensemble des membres de l’association, si ce n’est du groupe pour lequel elle est reconnue, sans que ceux-ci aient exercés individuellement leur liberté contractuelle. Dans ce contexte de relations du travail, la nécessité d’avoir accès à un tribunal souple, rapide et expert a été maintes fois soulignée par la Cour suprême dans des affaires relatives à la compétence de l’arbitre de griefs. Ainsi, dans l’arrêt Weber c. Ontario Hydro[122], elle écrit:

[15] La seconde différence tient dans l'organisation et le fonctionnement institutionnels des tribunaux administratifs par opposition à ceux des cours de justice. Les tribunaux administratifs sont censés fournir aux instances décisionnelles une connaissance spécialisée que les cours de justice sont incapables d'offrir. Leur structure permet également que les décisions soient rendues dans un plus bref délai et à un coût moindre que ne le feraient les cours de justice.

 

[390]     Dans Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15[123], elle ajoute :

[35] […] Le domaine des relations de travail est délicat et explosif.  Il est essentiel de disposer d’un moyen de pourvoir à la prise de décisions rapides, par des experts du domaine sensibles à la situation, décisions qui peuvent être considérées définitives par les deux parties.

 

[391]     Or, a fortiori, s’il est nécessaire de pouvoir accéder à une instance spécialisée pour l’application de la convention, cela l’est d’autant plus dans un contexte de négociation collective, où le rapport de force est en cause. Rappelons que la Cour suprême a insisté sur la vulnérabilité des employés face à leur employeur dans un tel contexte et sur la nécessité d’un processus de négociation collective qui permette de rétablir l’équilibre.

[392]     Par ailleurs, le recours serait exercé dans la phase précontractuelle, puisque les parties seraient à l’étape de la négociation du « contrat » collectif. Le tribunal saisi d’un recours pour violation de négocier de bonne foi doit pouvoir ordonner la reprise des négociations ou même la signature de l’entente. Or, il n’est pas certain que les tribunaux de droit commun puissent sanctionner un manquement à une obligation précontractuelle autrement que par l’octroi de dommages-intérêts[124]. Quoi qu’il en soit, une ordonnance pour forcer l’employeur à négocier de bonne foi ou à signer l’entente n’étant pas de nature provisoire, les délais, dans lesquels elle pourrait être rendue par un tribunal de droit commun, rendraient la solution bien souvent sans portée réelle.

[393]      Aussi, le recours à un tribunal de droit commun pour sanctionner une violation à l’obligation de négocier de bonne foi ne se compare pas à celui d’une instance spécialisée en raison de son accessibilité, sa rapidité et de son expertise en relations du travail.

[394]      Il ressort d’ailleurs de plusieurs régimes spécifiques que le législateur a prévu un mécanisme pour sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi et qu'il en a confié la responsabilité au Tribunal. C’est notamment le cas dans le régime des RI/RTF et RSG adopté en 2009 et dans celui des travailleurs agricoles saisonniers, adoptés encore plus récemment en 2014.

·          La suppression du droit de grève

[395]     Avant d’aborder la reconnaissance du droit de grève dans le présent contexte, il convient de disposer de l’argument de la Procureure générale selon lequel les avis d’intention en vertu de l’article 95 Cpc qui lui ont été transmis par les associations demanderesses ne font pas mention de cette question.

[396]     En premier lieu, le débat constitutionnel prend place dans le cadre de deux requêtes en accréditation. L’ACSCQ et de l’APCPNHQ demandent ainsi à pouvoir bénéficier du régime de négociation collective du Code, qui comprend le droit de grève. En deuxième lieu, les avis mentionnent que l’exclusion du Code les prive des mécanismes de négociation d’une entente collective[125]. Enfin, ce n’est qu’en 2015, que la Cour suprême a enchâssé en quelque sorte le droit de grève dans le droit à un véritable processus de négociation collective qu’octroie la liberté d’association. S’ensuit que cette question est nécessairement incluse dans le débat constitutionnel. Les avis transmis à la Procureure générale cernent avec suffisamment de précision le débat constitutionnel pour que le droit de grève puisse être soulevé, sans surprise pour l’État.

[397]     Cela étant, la Procureure générale invite le Tribunal à restreindre la portée de l’arrêt Saskatchewan, précité, en raison du contexte dans lequel les principes y ont été énoncés, soit celui du retrait du droit de grève à des salariés régis par une législation de relations du travail de type Wagner. Elle cite en particulier les paragraphes 45 et 46 du jugement qui se lisent ainsi :

[45]      Selon George W. Adams, [TRADUCTION] « [t]outes les lois consacrent l’obligation de reporter l’exercice du droit de lock-out et du droit de grève jusqu’à l’épuisement de tous les mécanismes de règlement » (¶ 1.250). Le compromis établi par le modèle de relations de travail fondé sur la Loi Wagner, qui limite l’exercice du droit de grève pour mettre l’accent sur le règlement négocié de questions liées au travail, reste au cœur des relations de travail au Canada. Ce n’est certes pas le seul modèle existant, mais c’est celui qui s’applique au pays et qui doit être examiné à la loupe au regard de l’al. 2d).

 

[46]      Il importe toutefois de souligner que la reconnaissance du droit de grève n’est pas propre au seul modèle Wagner; elle est de la plupart des modèles de relations de travail. Et lorsque l’histoire montre l’importance de la grève pour le bon fonctionnement d’un modèle de relations de travail en particulier, comme c’est le cas du modèle fondé sur la Loi Wagner, on ne doit pas s’étonner que la suppression du droit de grève légal soit considérée comme une entrave substantielle à la négociation collective véritable. En effet, on reconnaît depuis longtemps que le pouvoir des travailleurs de cesser collectivement le travail aux fins de la négociation de leurs conditions de travail - le droit de grève, en somme - constitue une composante essentielle de la poursuite, par les travailleurs, d’objectifs liés au travail. Comme l’indique le professeur H. D. Woods dans le rapport décisif qu’il a déposé en 1968, « [a]ccepter un régime de négociation collective, c’est implicitement reconnaître le droit de recours aux sanctions économiques » (Les relations du travail au Canada : Rapport de l’Équipe spécialisée en relations de travail (1969), p. 192). La grève fait “partie intégrante du régime canadien de relations du travail” et elle “est devenue partie intégrante de notre régime démocratique”» (p. 142 et 193).

 

[398]     Or, la Cour souligne justement que le droit de grève n’est pas propre au régime du modèle Wagner. De surcroit, elle réfère aux valeurs inhérentes à la Charte (par. 53) et au droit international (par. 62) afin de constitutionnaliser le droit de grève. Or, le droit international considère ce droit applicable aux cadres.

[399]     De plus, les juges dissidents de la Cour suprême dans l’arrêt Saskatchewan, précité, reprochent à ceux de la majorité qu’en faisant du droit de grève une composante « essentielle », « cruciale », « nécessaire » et « indispensable » à la protection du processus véritable de négociation collective pour l’application de l’alinéa 2d) de la Charte canadienne, celui-ci ne s’appliquera pas seulement au cas par cas, mais à toute limitation du droit de grève (par. 109). Ce faisant, ils confirment la portée du principe établie par la majorité.

[400]     Comme autre argument, la Procureure générale ajoute que le fait d’être exclus du régime d’accréditation du Code ne prive pas pour autant les cadres de pouvoir exercer leur droit de grève.

[401]     Le Tribunal ne peut adhérer à cette thèse.

[402]     En dehors de la législation qui l’encadre, un employé, seul ou de façon concertée avec d’autres, qui cesse de fournir sa prestation de travail, est passible de se voir imposer des mesures disciplinaires, voire d’être congédié. De plus, on ne peut faire fi du fait que les personnes en cause sont justement des cadres, représentants de l’employeur, qui, de par leur statut et leur culture, peuvent être réticentes à recourir à de tels moyens de pression dans l’état actuel des choses.

[403]     L’exclusion du régime général a pour effet de priver les cadres de pouvoir exercer le droit de grève. Or, c’est le moyen par excellence qui permet d’assurer une participation véritable au processus de négociation collective et d’établir un rapport de force entre les parties. Le législateur ne peut le limiter d’une manière qui entrave substantiellement le processus véritable de négocier collectivement[126]. En l’espèce, il est supprimé, sans être remplacé par un autre mécanisme.

[404]     Or, la preuve a démontré l’incapacité des deux associations demanderesses à rétablir un rapport de force et à négocier pour leurs membres sur des objets d’importance. Les employeurs en cause ont toujours le dernier mot et ne sont passibles d’aucune forme de pression.

[405]     La suppression du droit de grève, sans autre mécanisme, constitue alors une entrave substantielle au droit à la négociation collective de l’ACSCQ et de l’ASCPNHQ.

La responsabilité de l’État dans l’entrave substantielle

[406]     La Procureure générale soulève deux arguments qui touchent à la responsabilité de l’État : d’une part, si l’entrave substantielle au processus véritable de négociation collective était constatée, elle ne serait pas du fait de l’État; d’autre part, sauf exception qui ne sont pas présentes en l’espèce, l’État n’a pas une obligation d’intervention positive afin de permettre l’exercice d’une liberté garantie par les chartes, mais uniquement un devoir de non-ingérence. Le Tribunal examinera l’un et l’autre de ces arguments.

1. Est-ce que l’entrave substantielle est causée par l’État?

[407]     La Procureure générale soumet que ce n’est pas le processus en soi qui pose problème, mais l’application qu’en feraient les deux employeurs.

[408]     Soulignons d’abord que la Procureure générale ne plaide pas que les chartes ne trouvent pas application, les employeurs étant deux sociétés d’État. Cependant, elle soutient que la preuve démontrerait que les autres cadres sont satisfaits de leurs conditions de travail et ne souhaitent pas se syndiquer. Le recours approprié serait donc de demander une réparation en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne[127] ou de l’article 49 de la Charte québécoise[128] à l’égard de ces seuls employeurs afin de corriger la situation.

[409]     Le Tribunal ne fait pas la même lecture de la preuve que la Procureure générale. Toutefois, il est inutile de s’y attarder, car il n’est pas pertinent de déterminer si les cadres en général s’accommodent ou non de leur situation. Le Tribunal est saisi de deux requêtes en accréditation et doit considérer la preuve à l’égard des associations demanderesses.

[410]     Par ailleurs, accepter la proposition de la Procureure générale reviendrait également à laisser le soin à chaque employeur d’adopter un modèle qui accorde aux employés les protections adéquates dans leurs interrelations avec lui, notamment des mécanismes permettant de rétablir le rapport de force ou de sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. C’est peu probable, pour ne pas dire irréaliste.

[411]     De plus, on ne peut ignorer le non-respect des engagements internationaux en l’espèce et le comportement du gouvernement dans la plainte au BIT de plusieurs associations de cadres du Québec.

[412]     L’importance des droits reliés au travail, et en particulier de la liberté d’association, en droit international ressort de la place qu’on leur consacre dans un ensemble de documents, tels que des conventions, pactes, déclarations. Le fait d’être membre de l’OIT implique l’adhésion aux principes  fondamentaux au travail qu’elle a adoptés. La mise sur pied d’un mécanisme de contrôle, le Comité de la liberté syndicale, qui traite des plaintes, rend une décision énonçant des recommandations visant à corriger une violation et assure un suivi du respect de ses recommandations, traduit la volonté des membres de l’OIT de donner une force effective aux outils internationaux afin qu’ils ne demeurent pas lettre morte.

[413]     Rappelons que le Canada est membre de l’OIT et a ratifié plusieurs documents d’importance en la matière à savoir le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention 87 :

[71]      […] Cela signifie que ces documents dégagent non seulement le consensus international, mais aussi des principes que le Canada s’est lui-même engagé à respecter[129].

 

[414]     Depuis l’arrêt Dunmore, précité, la Cour suprême réitère l’importance des engagements internationaux en matière de droit du travail afin d’interpréter le contenu de la liberté d’association garantie par la Charte canadienne. Il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les normes internationales contenues dans les conventions qui s’appliquent au Canada.

[415]     Dans la trilogie de 2015, la Cour suprême souligne, en particulier, la force persuasive des décisions du Comité de la liberté syndicale. Elle l’avait déjà fait dans l’arrêt Health Services, précité, en qualifiant les interprétations de la Convention 87 par les instances internationales comme « la pierre angulaire du droit international en matière de liberté syndicale et de négociation collective [130] ».

[416]     Or, en 2004, le Comité de la liberté syndicale s’est justement prononcé sur les plaintes de l’ACSCQ et l’APCPNHQ, l’une déposée directement, l’autre par la CNCQ, alléguant violation à leur liberté d’association. Le Comité a formulé des recommandations précisément à l’égard de l’exclusion des cadres de la définition de « salarié » dans le Code. Il a considéré que cette exclusion portait atteinte au droit à liberté d’association, tel que protégé par la Convention 87 et ratifiée par le Canada. Il a ainsi précisé que les associations de cadres au Québec bénéficiaient d’une reconnaissance qui demeurait précaire, se voyaient nier le droit à la négociation collective et le droit de grève et n’avaient aucune protection contre l’ingérence de l’employeur.

[417]     Le Comité de la liberté syndicale a enjoint au gouvernement de modifier le Code. Il lui a adressé des rappels à plusieurs reprises, sans succès.

[418]     En effet, le gouvernement, qui  a mis un temps considérable à créer un comité interministériel en mars 2005, n’a rencontré la CNCQ qu’en 2006, et ce, malgré ses nombreuses relances. Quant au Guide de bonne gouvernance, qui est présenté en 2007, trois ans après la décision du Comité de la liberté syndicale, il ne répond pas aux recommandations de celui-ci, en plus de ne pas être contraignant à l’égard des Sociétés d’État.

[419]     Les efforts de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ avec leur employeur respectif n’ont pas porté de fruits et aucun changement notable n’est survenu depuis la décision du Comité de la liberté syndicale à leur endroit.

[420]     Plus troublant encore, le gouvernement invoque auprès du Comité de la liberté syndicale les recours pendants devant le Tribunal, d’abord, en novembre 2010, pour réserver ses commentaires, puis, en novembre 2011, afin de prétendre que la présence du Procureur général aux procédures judiciaires maintient ainsi une forme de « dialogue ».

[421]     L’exclusion des cadres pose donc problème en regard des conventions internationales applicables au Canada, ce qui a été confirmé par une  instance internationale, dont les décisions ont une force persuasive selon la Cour suprême du Canada. Or, ni le gouvernement ni les employeurs en cause n’ont adopté de mesures significatives, depuis, pour régler la situation. Le non-respect de ses engagements emporte la responsabilité de l’État dans l’entrave substantielle du processus de négociation collective des associations demanderesses.

2. Les associations demandent-elles une intervention positive de l’État?

[422]     Selon la Procureure générale, l’ACSCQ et l’APCPNHQ revendiquent l’accès à un régime précis, à savoir l’accès aux mécanismes de la négociation collective prévus au Code. Or, l’obligation de l’État consiste à ne pas intervenir pour brimer la liberté d’association. Sauf cas exceptionnel qui n’a pas été démontré par les associations demanderesses, il n’a pas une obligation d’intervention positive afin de permettre l’exercice de cette liberté.  Aussi, souligne-t-elle, l’analyse doit se faire différemment selon que la demande conteste une mesure qui entrave la liberté d’association ou plutôt si elle revendique une intervention positive de l’État.

[423]     La Procureure générale invite le Tribunal à appliquer le test élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt Baier précité, où était en cause la liberté d’expression, décrit en ces termes:

[30] Dans les cas où le gouvernement qui défend une mesure contestée sur le fondement de la Charte plaide — ou que l’auteur de la demande fondée sur la Charte concède — que les droits positifs revendiqués sont demandés en vertu de l’al. 2b), le tribunal doit procéder comme suit. Dans un premier temps, il doit se demander si l’activité pour laquelle le demandeur réclame la protection de l’al. 2b) est une forme d’expression.  Dans l’affirmative, le tribunal doit, dans un deuxième temps, décider si le demandeur revendique un droit positif à une mesure gouvernementale ou simplement le droit d’être protégé contre l’ingérence du gouvernement.  Enfin, troisièmement, s’il s’agit d’une demande d’intervention positive, les trois conditions énoncées dans Dunmore doivent être prises en considération : (1) la demande doit reposer sur des libertés fondamentales garanties par la Charte plutôt que sur l’accès à un régime légal précis; (2) le demandeur doit démontrer que l’exclusion du régime légal constitue une entrave substantielle à l’exercice de l’activité protégée par l’al. 2b) ou que l’objet de l’exclusion était de faire obstacle à une telle activité; (3) l’État doit pouvoir être tenu responsable de toute incapacité d’exercer une liberté fondamentale.  Si le demandeur ne peut satisfaire à ces critères, la demande fondée sur l’al. 2b) sera rejetée. Si les trois conditions sont remplies, l’al. 2b) a été violé et le tribunal procédera alors à l’analyse fondée sur l’article premier.

 

(soulignement ajouté)

 

[424]     La première question qui se pose est de savoir s’il est opportun de recourir au cadre d’analyse déterminé dans l’arrêt Baier, précité, ainsi que le suggère la Procureure générale.

[425]     Dans l’arrêt APMO, précité, rappelons que la Cour suprême était saisie de deux questions, celle relative à la mise en place d’un mécanisme de représentation et celle de l’exclusion des membres de la GRC du régime de négociation collective de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la LRTFP). Cette deuxième question présente des similitudes avec celle en l’espèce.

[426]     En effet, tout comme les cadres sont exclus de la définition de salarié du Code depuis son origine, les membres de la GRC étaient exclus depuis les tous débuts de la définition de « fonctionnaire » de la LRTFP.

[427]     Dans le cas des cadres du Québec, l’exclusion a pour but, ainsi qu’il a été souligné, de les empêcher de négocier collectivement leurs conditions de travail afin d’éviter des conflits d’intérêts et garantir leur loyauté à l’employeur, dont ils sont des représentants. Les membres de la GRC se voyaient privés de tout droit de s’associer pour des raisons similaires : on considérait qu’ils ne pouvaient exercer d’activités associatives par crainte d’un conflit d’intérêts qu’aurait pu provoquer leur allégeance à la cause d’autres travailleurs (arrêt APMO, précité, par. 17).

[428]     De plus, la LRTFP établit un cadre général, fondé sur le modèle Wagner, qui établit un régime de négociation collective pour les employés de la fonction publique fédérale. Le Code, comme l’a qualifié la Cour suprême dans Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada inc., est « l’expression concrète et le mécanisme de mise en œuvre de la liberté d’association en milieu de travail au Québec [131] », et inspiré lui aussi de la Loi Wagner.

[429]     Or, La Cour suprême considère que demander l’inconstitutionnalité de l’exclusion n’est pas requérir une action positive de l’État, sans référence à l’arrêt Baier, précité. Elle écrit :

[131] […] La question à trancher dans la présente affaire est donc celle de savoir si l’objet de l’exclusion d’une catégorie particulière d’employés du régime de relations de travail contrevient de façon inacceptable aux droits constitutionnels des employés touchés. Il ne s’agit pas de savoir si le législateur doit prescrire un nouveau régime de relations de travail en présence d’un vide juridique.

 

(soulignement ajouté)

 

[430]     Dans un autre arrêt portant sur la liberté d’expression et postérieur à Baier, précité la Cour a considéré que des associations étudiantes qui demandaient à pouvoir afficher des publicités politiques sur les autobus de la société d’État, ce que la politique de cette dernière prohibait, ne revendiquaient pas une intervention positive de l’État, mais simplement de pas être entravées dans l’exercice de leur liberté d’expression dans une tribune déjà existante[132].

[431]     Pour les mêmes raisons, le Tribunal considère que l’exclusion du statut de cadre de la définition de « salarié » n’intervient pas dans un vide juridique.

[432]     L’historique de cette exclusion démontre qu’elle visait à empêcher les cadres de négocier collectivement. De plus, même si cela ne date pas d’hier, le législateur a dû intervenir après l’abolition de la reconnaissance volontaire des associations en 1969 afin que les associations de cadres qui bénéficiaient de cette reconnaissance puissent continuer à représenter leurs membres aux fins de négociation collective. On était alors bien conscient que l’abolition du régime de reconnaissance volontaire entravait la capacité de ses associations de poursuivre leur représentation dans des rapports collectifs de travail.

[433]     Le modèle de relations du travail mis en place par le législateur, soit une exclusion du régime général, prive les employés de « protections adéquates dans leurs interactions avec l’employeur de manière à créer une entrave substantielle à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives », pour reprendre les termes de la Cour suprême dans l’arrêt APMO, précité au paragraphe 80. L’ACSCQ et l’APCPNHQ ne demandent donc pas à l’État d’intervenir positivement en adoptant une mesure, mais de s’abstenir de s’ingérer dans leur rapport de force par cette exclusion.

[434]     Rappelons aussi que les multiples démarches de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ auprès de différentes instances, soit directement, soit à travers la CNCQ, visaient non pas l’accès au Code, mais bien la reconnaissance d’abord par leur employeur de leur droit à un véritable processus de négociation collective, et ensuite auprès du gouvernement, d’un régime qui aurait permis de mettre en œuvre leur droit en vertu des chartes et du droit international.

[435]     Ainsi, l’inconstitutionnalité de l’article 1l) 1° qui est recherchée en l’espèce n’est que le résultat de cette incapacité à faire respecter leur droit constitutionnel à la liberté d’association. 

[436]     La Procureure générale avait soulevé le même argument selon lequel l’État n’a pas à prendre une mesure positive afin de permettre l’exercice de la liberté d’association dans deux dossiers où des personnes se trouvaient visées par une exclusion du régime d’accréditation du Code : en Cour supérieure, dans le cadre du recours relatif à la constitutionnalité des Loi 7 et 8 qui privaient les RI-RTF/RSG du statut de salarié, et devant la Commission, alors que les travailleurs agricoles saisonniers étaient exclus par une disposition du Code du droit de se syndiquer[133]. Dans les deux cas, il a été décidé que les demandes ne visaient pas une action positive de l’État[134].

[437]     Cela étant, même si l’on considère que les associations demanderesses requièrent une action positive de l’État, le Tribunal en arriverait à la même conclusion en appliquant les critères de l’arrêt Baier, précité. Pour les motifs exprimés précédemment, les associations demanderesses ont démontré qu’elles ne cherchent pas l’accès à un régime légal précis, mais plutôt à pouvoir exercer leur droit à un véritable processus de négociation collective. C’est leur incapacité à le faire en raison de leur exclusion du Code et de l’absence de tout autre régime législatif qui constitue une entrave substantielle. Enfin, l’État a une responsabilité dans l’entrave substantielle au processus de négociation collective des deux associations demanderesses.

[438]     Tous les éléments dont il a été fait mention précédemment amènent à conclure que l’État joue un rôle certain dans l’incapacité de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ à ne pouvoir jouir de leur droit à la négociation. Le modèle de relations du travail qui s’applique à ces deux associations n’établit pas « l’équilibre essentiel à la tenue d’une véritable négociation collective[135] » et constitue une entrave substantielle au droit à la négociation collective.

L’analyse des faits particuliers à la présente affaire

1. La reconnaissance de l’association

[439]     En 1985, l’APCPNHQ est rapidement reconnue pour représenter les cadres de premier niveau, sans opposition de la part d’Hydro-Québec. Elle est une association dûment constituée en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels. Elle a adopté ses règlements, déterminé sa structure et choisi ses représentants, en toute indépendance de l’employeur. Elle compte 800 membres et touche des revenus significatifs.

[440]     Tous ces éléments étayent les prétentions d’Hydro-Québec et de la Procureure générale selon lesquels l’APCPNHQ jouit d’une véritable reconnaissance.

[441]     Certes, la présente situation est loin d’être similaire à celle qui prévalait dans l’arrêt APMO, précité, où les membres de la GRC étaient représentés par une instance qu’ils n’avaient pas choisie, ou à celle des travailleurs agricoles saisonniers à l’époque de l’affaire rendue par la Commission, alors que ceux-ci constituaient un groupe défavorisé et vulnérable.

[442]     Soulignons cependant qu’Hydro-Québec a soulevé devant les tribunaux civils que l’APCPNHQ n’avait pas l’intérêt pour ester en justice, donc pour faire appliquer l’Entente ou pour représenter ses membres sur l’application de leurs conditions de travail. Cette prétention a été écartée par la Cour supérieure, mais elle traduit néanmoins un état d’esprit face à la reconnaissance de l’APCPNHQ par Hydro-Québec.

[443]     De plus, Hydro-Québec est celle qui évalue le caractère représentatif et qui détermine seule la portée de la reconnaissance qu’elle accorde à l’APCPNHQ.

[444]     Ainsi, à la suite des modifications apportées au plan d’évaluation en 2007, des cadres de premier niveau se trouvent placés avec d’autres supervisant des cadres, au sein de la même classe d’emploi, la classe 7. Lors des discussions entourant le renouvellement de l’Entente, l’employeur a non seulement opposé une fin de non-recevoir à la demande de l’APCPNHQ de représenter ceux supervisant du personnel syndiqué, mais a aussi menacé de mettre fin à toute discussion sur le renouvellement.

[445]     Les motifs données, à savoir que des employés d’une même classe d’emploi ne peuvent être régis par des conditions de travail différentes sont questionnables, puisque les ingénieurs cadres voient leurs conditions salariales prévues, pour certains, dans une disposition de la convention collective du SPIHQ, et pour d’autres, dans le Régime de rémunération du personnel non régi d’Hydro-Québec. Dans le cadre de la présente requête, c’est au Tribunal qu’il reviendra de déterminer le caractère approprié de l’unité et d’évaluer les arguments de chacun.

[446]     Enfin, ayant l’entière discrétion sur tout mouvement de personnel, Hydro-Québec détient un certain contrôle sur les revenus de l’APCPNHQ, en décidant quand pourvoir ou non un poste, sans égard à ce qui a été convenu dans l’Entente. Elle fait des ajustements sur les cotisations remises à l’APCPNHQ, sans son accord et sans lui donner d’explications. L’APCPNHQ n’a surtout aucun moyen efficace de s’en plaindre et de faire cesser la situation. Contrairement aux associations accréditées, qui bénéficient de la formule Rand, le versement d’une cotisation par un cadre est tributaire de son adhésion, qui est volontaire. Hydro-Québec a donc le pouvoir d’affecter ses sources de revenus.

[447]     Le comportement d’Hydro-Québec lors du litige sur la progression salariale de 2014 met en lumière l’absence de protection réelle contre l’ingérence ou les représailles de l’employeur. En effet, en rejetant d’emblée leur différend relatif à la progression dans les échelles salariales par une lettre type, le directeur des relations du travail           d’Hydro-Québec prive les membres de l’APCPNHQ d’une révision individuelle de leur dossier, parce qu’il est mécontent que celle-ci les ait incités à déposer un tel différend. Ajoutons à cela qu’il réagit à des propos que l’APCPNHQ tient à ses membres dans une communication qui leur est destinée, un « Info-membres ».

[448]     Par ailleurs, la reconnaissance a une portée restreinte, en ce que l’APCPNHQ est ignorée ou oubliée à plusieurs occasions, alors que ses membres sont affectés par des décisions de l’employeur ou susceptibles de l’être, comme lors de la fermeture de la centrale de Gentilly en 2012.

[449]     La négociation d’horaires de travail en marge de l’Entente, entre la direction et les cadres de premier niveau directement, est un autre exemple d’une situation qui vient miner la reconnaissance de l’APCPNHQ comme représentante des cadres de premier niveau, d’autant qu’elle n’a aucun moyen de rectifier la situation après coup sans risquer de se mettre à dos ses propres membres.

[450]     Ainsi, malgré que les relations entre Hydro-Québec et l’APCPNHQ doivent être fondées sur le partenariat et la consultation, les cadres de premier niveau demeurent souvent tenus à l’écart par la direction qui prend des décisions les affectant sans consulter leur association.

2. L’incapacité à mener de véritables négociations collectives

[451]     S’appuyant fortement sur l’arrêt Fraser, précité, Hydro-Québec souligne que l’APCPNHQ a pu présenter ses demandes et être écoutée. Elle les a parfois acceptées, à d’autres occasions refusées. Le droit à un processus de négociation n’impliquant pas l’atteinte des résultats, il a ainsi été respecté.

[452]     Certes, la preuve démontre qu’il existe plusieurs mécanismes de consultations : comités mixtes, comités relations du travail, discussions en continu, rencontre annuelle avec le président-directeur général. L’APCPNHQ, au fil des ans et à diverses occasions, a présenté des demandes et a obtenu des gains. On pourrait ainsi penser que le processus respecte le droit à une véritable négociation collective, l’obtention d’un résultat n’étant pas, lui, garanti.

[453]     Cependant, l’analyse plus approfondie de la situation permet de constater que les mécanismes de consultation sont défaillants ou insuffisants, à un point tel qu’ils ne permettent pas un processus véritable de négociation collective sur des objets importants.

[454]     Les cadres de premier niveau font face à un employeur, qui a une structure organisationnelle complexe et changeante, répartie sur l’ensemble du territoire de la province. La multiplicité des interlocuteurs aux différents paliers, corporatif et divisions, ajoute à la difficulté de l’APCPNHQ à pouvoir négocier véritablement les conditions de travail de ses membres et ensuite à les faire appliquer par toutes les composantes de l’entreprise.

[455]     Les défaillances des mécanismes de consultation sont importantes : les comités mixtes dans certaines divisions sont si régulièrement reportés par l’employeur qu’il arrive qu’aucun ne soit tenu de toute l’année; les interlocuteurs sont souvent des personnes sans pouvoir décisionnel et agissent comme courroie de transmission; les échanges se limitent parfois à de la transmission d’informations; si les parties n’arrivent pas à un accord, Hydro-Québec décide ultimement et l’APCPNHQ n’a aucun levier dans ces discussions pour faire valoir son point de vue.

[456]     Mais surtout, ces mécanismes sont incomplets et ne permettent aucune négociation collective sur des objets importants.

[457]     L’Entente conclut en 2010, tout comme celles qui l’ont précédée depuis 1987, ne portent pas sur certaines conditions de travail essentielles : la rémunération, les augmentations économiques, la progression salariale, les bonis, les avantages sociaux et le régime de retraite, etc. C’est Hydro-Québec qui détermine ce qui fait ou non partie de l’Entente.

[458]     Ces conditions de travail ne font l’objet d’aucune discussion ou consultation avec l’APCPNHQ. Elles ne relèvent que de la seule discrétion de l’employeur. De plus, les règles de gestion encadrant les questions de rémunération sont modifiées sans que l’association en soit informée. Certes, c’est aussi le cas pour les associations accréditées, mais leur situation est fondamentalement différente dans la mesure où leurs conditions de travail font l’objet d’une véritable négociation collective et sont incluses dans une convention collective.

[459]     L’Entente n’a pas de date d’échéance et son renouvellement est laissé à la discrétion de l’employeur. Ainsi, en 2012, il a refusé sans aucune discussion de considérer la proposition de l’APCPNHQ pour modifier la procédure de différends, jugeant que l’Entente avait été renouvelée récemment. Or, cette clause n’a pas évolué depuis plusieurs ententes et à chaque renouvellement, Hydro-Québec ne se montre pas disposée à reconsidérer le processus. Même si elle n’est pas d’accord, l’APCPNHQ doit signer : « c’était à prendre ou à laisser » de dire Claude Grégoire, président entre 1986 et 1990, dans son témoignage du 6 novembre 2015.

[460]     Par ailleurs, le droit à la négociation est aussi substantiellement entravé dans la mesure où l’Entente n’est pas respectée ou que son interprétation est sujette à désaccord, sans aucun mécanisme efficace et indépendant permettant de résoudre les différends.

[461]     Il n’est pas nécessaire de trancher le bien-fondé de chacune des prétentions de l’APCPNHQ sur l’application de l’Entente. Dans certains cas, le non-respect de l’Entente a été démontré, dans d’autres, des questionnements sérieux sur l’application de plusieurs clauses ont été soulevés. Certaines situations en cause durent depuis des années et ont été dénoncées à de multiples reprises, sans pour autant que des solutions soient apportées.

[462]     Lorsque l’Entente ou les règles de gestion ne sont pas respectées, l’APCPNHQ demeure sans réel recours. La protectrice de la personne ne considère pas qu’il relève de son mandat de trancher les conflits d’interprétation. Elle définit son rôle comme un processus informel, qui ne se substitue pas à celui d’un tribunal. Cela l’amène à ne pas se prononcer dans certains cas, et quoi qu’il en soit, ses recommandations ne sont pas contraignantes pour l’employeur qui demeure seul, au final, à décider.

[463]     À plusieurs reprises, l’APCPNHQ a dû s’adresser aux tribunaux de droit commun dans le but d’obtenir le respect de l’entente de partenariat. Bien que la Cour d’appel ait récemment décidé qu’Hydro-Québec pouvait être visée par une procédure en injonction en matière contractuelle, pour les motifs exposés précédemment, avec égard, un tel recours ne permet pas de rétablir l’équilibre des forces, ce qui demeure l’objectif dans le cadre de la liberté d’association.

[464]     Ce n’est pas donc pas le résultat de la négociation collective qui est en cause, mais le processus lui-même, qui se voit ainsi souvent réduit à un exercice de façade en raison de ses défaillances ou de l’inexistence de mécanismes de consultation véritable et du non-respect des engagements pris. Les faits particuliers au dossier illustrent donc que l’exclusion du statut de cadre entrave substantiellement le droit de l’APCPNHQ et de ses membres à un véritable processus de négociation collective.

Cette violation est-elle justifiée dans une société libre et démocratique?

[465]     Reste à déterminer si la violation à la liberté d’association peut être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne ou de l’article 9.1 de la Charte québécoise. C’est à la partie qui défend la validité de la disposition en cause de démontrer, par prépondérance de preuve, qu’elle est  justifiée dans une société libre et démocratique. Cette démonstration doit se faire dans un premier temps en regard de l’objet de la mesure et, dans un deuxième temps, selon ses effets. La Cour suprême énonce ainsi les critères en la matière dans l’affaire APMO précitée :

[139]    L’article premier de la Charte permet au législateur d’adopter des lois qui restreignent les droits garantis par la Charte s’il est établi que les limites imposées sont des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cette procédure de justification exige que l’objectif de la mesure soit urgent et réel et que le moyen choisi pour l’atteindre soit proportionné à cet objectif, c.-à-d. qu’il possède un lien rationnel avec l’objet de la loi, qu’il porte le moins possible atteinte au droit garanti par l’al. 2d) et qu’il soit proportionné sur le plan de ses effets (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Health Services, par. 137-139). La partie qui défend la validité de la mesure restreignant un droit protégé par la Charte doit établir qu’elle est justifiée, suivant la prépondérance des probabilités (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 137-138 (« RJR-MacDonald (1995) »). Au départ, mentionnons qu’une mesure qui porte atteinte à la Charte et qui est prise par voie de règlement est sans aucun doute « prescrite par une règle de droit », pour l’application de l’article premier (Hutterian Brethren, par. 39-40).

 

[140]    Comme nous l’avons vu précédemment, l’al. 2d) accorde au législateur une grande latitude dans l’établissement d’un régime de négociation collective qui satisfait aux exigences spéciales de la GRC. En outre, l’article premier accorde à celui-ci une marge de manœuvre additionnelle qui lui permet d’établir un régime de relations de travail pour atteindre des objectifs urgents et réels, dans la mesure, toutefois, où il peut démontrer que ces objectifs sont justifiés.

 

[466]     Citant l’arrêt Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[136], la Procureure générale rappelle que les tribunaux doivent faire preuve d’une déférence plus grande lorsque la mesure vise à remédier à un problème social. Celui en cause serait la nécessité d’organiser les rapports collectifs, selon le modèle choisi, soit celui inspiré de la Loi Wagner.

L’objet de la mesure est-il réel et urgent?

[467]     La Procureure générale décrit ainsi l’objectif législatif de l’exclusion du statut de cadre de la définition de « salarié » :

114.     Comme expliqué plus haut, l'article 1(l) Code du travail exclut le personnel associé d'une façon ou d'une autre à la direction ou à la gestion de l'entreprise de la définition du terme « salarié ». Cela s'appuie sur l'appréhension d'un conflit d'intérêts qui pourrait naître de la responsabilité du personnel de direction à l'endroit des intérêts de l'employeur notamment dans l'éventualité où ce personnel négocierait collectivement ses conditions de travail ainsi que d'éviter que les cadres qui ne partagent pas une communauté d'intérêts avec les autres salariés de l'entreprise, s'immiscent dans ces autres associations afin de les protéger d'une telle ingérence. De plus cette exclusion vise à prévenir les conséquences des arrêts de travail.[137]

 

(soulignement ajouté)

 

[468]     Il a été invoqué que cette exclusion est nécessaire afin de conserver l’unité de la direction, qui s’oppose aux employés, selon le modèle de type Wagner. Ainsi, l’exclusion des cadres viserait à préserver, selon ce modèle, leur obligation de loyauté et à éviter les conflits d’intérêts.

[469]     Le modèle de type Wagner n’oblige pas l’exclusion des cadres de premier niveau. La preuve en est que les contremaitres aux États-Unis ont pu être accrédités sous la Loi Wagner avant qu’elle ne soit modifiée pour les exclure. De plus, le Code canadien et d’autres lois encadrant les rapports collectifs de travail au Canada n’adoptent pas une exclusion aussi large et permettent la syndicalisation de cadres de premier niveau.

[470]     Bref, il n’a pas été démontré que l’exclusion des cadres de premier niveau découle nécessairement du modèle de type Wagner.

[471]      La Procureure générale allègue aussi que cette exclusion vise à prévenir l’ingérence et les conséquences d’un arrêt de travail. Aucune preuve n’a été administrée à cet égard. De plus, les dispositions du Code ne permettent pas de voir en quoi l’exclusion de la syndicalisation des cadres de premier niveau vise ces objectifs, d’autant que les dispositions anti-briseurs de grève ont été adoptées postérieurement à l’article 1l) 1° du Code.

[472]     Quoi qu’il en soit, même si un objet urgent et réel avait été établi, ce qui n’est pas le cas, il n’a pas été démontré que les moyens choisis pour atteindre l’objectif sont proportionnés.

La proportionnalité de la mesure

1. Le lien rationnel

[473]     L’obligation de loyauté est à la base de tout contrat de travail (article 2088 du Code civil du Québec). Cette obligation s’applique à tout employé qu’il soit ou non syndiqué. Certes, les exigences en la matière sont plus grandes pour un employé cadre et croissent selon sa position dans la hiérarchie de la direction. Cependant, il n’est pas établi qu’il faille priver les cadres, sans distinction de leur niveau hiérarchique, de leur droit à la négociation collective, afin d’atteindre cet objectif.

[474]     Le fait que les cadres soient à la remorque des gains faits par les associations accréditées est tout autant, sinon plus, susceptible de les placer en situation de conflits d’intérêts.

[475]     De plus, le lien rationnel entre l’exclusion des cadres et la prévention de conflits d’intérêts semble peu convaincant, dans la mesure où les employés qui détiennent de l’information confidentielle ne sont pas exclus de la définition de salarié ni des groupes dont on aurait pu penser qu’il était nécessaire de préserver une telle loyauté, comme les policiers municipaux, qui ont accès à la procédure d’accréditation du Code.

[476]     Il est toujours possible lors de la détermination de l’unité appropriée de prendre en considération une problématique liée à l’existence de conflits d’intérêts. D’ailleurs, l’APCPNHQ propose d’exclure de l’unité pour laquelle elle veut être accréditée les cadres travaillant aux ressources humaines et ceux occupant des fonctions de nature stratégique ou confidentielle.

[477]     Comme mentionné précédemment, au palier fédéral et au Québec, il existe des cadres de premier niveau syndiqués, et ce, parfois au sein de la même unité que les employés qu’ils supervisent.

[478]     Les contremaitres de l’ancienne Ville de Montréal sont syndiqués, alors qu’ils gèrent un groupe d’employés qui a été en conflit à de nombreuses reprises avec l’employeur.

[479]     Bien que l’ACSCQ et l’APCPNHQ demandent à être accréditées pour des unités distinctes de celles de salariés sous leur supervision, ce n’est pas le cas du SPIHQ, qui regroupe les ingénieurs cadres dans la même unité que celle des ingénieurs salariés chez Hydro-Québec, une des parties au dossier.

[480]      Ainsi que l’écrivait la Commission dans Syndicat des employées et employés de la Régie régionale de santé et des services sociaux - Montérégie - (CSN) c. Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux de la Montérégie[138] :

[9]        L’employeur prétend que les tâches assumées par Danielle Lemieux sont incompatibles avec la notion de salariée. Toutes ses tâches se font dans le domaine des relations du travail. Elle connaît la stratégie patronale sur les griefs et les négociations locales puisqu’elle assiste à la préparation des comités de relation du travail et éventuellement, aux réunions préparatoires sur les négociations locales.

 

[10]      Avec respect, rien ne permet de priver Danielle Lemieux de son statut de salariée. Même si ses tâches sont dans le domaine des relations du travail, elle ne prend aucune des décisions dont elle veille plutôt à ce qu’elles soient prises par un représentant de l’employeur et en transmet la teneur. Quant à son accès à des informations de nature confidentielle, il faut éviter d’opposer le devoir de loyauté au droit à la syndicalisation. Les deux peuvent et doivent cohabiter. En somme, aucune tâche ne fait d’elle une représentante de l’employeur dans ses relations avec ses employés.

 

(soulignement ajouté)

 

[481]     Dans Captains and Chiefs Association c. Algoma Central Marine, une division de Algoma Central Corporation[139], le CCRI fait une revue de sa jurisprudence sur l’exclusion des cadres de la définition d’employé, dans laquelle il écarte la justification fondée sur l’obligation de loyauté et l’absence de conflits d’intérêts, afin de permettre la syndicalisation de certains cadres:

[8] Dans Banque de Nouvelle-Écosse (succursale de Port Dover) (1977), 21 di 439; [1977] 2 Can LRBR 126; et 77 CLLC 16,090 (CCRT no 91) (demande de contrôle judiciaire rejetée dans Banque de Nouvelle-Écosse c. Conseil canadien des relations du travail [1978] 2 C.F. 807 (C.A.)), le prédécesseur du présent Conseil - le Conseil canadien des relations du travail (CCRT) - a expliqué en ces termes pourquoi le personnel de gestion se voit refuser le droit de négociation collective accordé à tous les autres employés :

 

L’exclusion de certains « gestionnaires » de l’unité de négociation a pour objet d’éviter des conflits d’intérêts entre leur loyauté envers l’employeur et le syndicat. Cette mesure protège autant les intérêts du premier que du second. Le conflit s’accroît quand une personne exerce une autorité sur les conditions de travail de ses compagnons. Il est aigu lorsque l’autorité s’étend à la continuité d’emploi et à des questions connexes (par exemple: le pouvoir de congédier un employé ou de lui imposer une sanction disciplinaire). Voilà pourquoi certaines personnes se voient refuser le droit de négociation collective accordé à d’autres. Le Code indique clairement que la simple supervision d’autres compagnons de travail ne suffit pas à prononcer l’exclusion aux termes de la Partie V [maintenant Partie I] (voir le paragraphe 125(4) [maintenant le paragraphe 27(5)]) [...]  

 

(pages 457-458; 134; et 536)

 

[9] Ainsi qu’il a été souligné à plusieurs reprises, le Code ne contient aucune définition de « fonctions de direction ». Dans sa révision de la décision rendue dans Banque de Nouvelle-Écosse (succursale de Port Dover), précitée, la Cour d’appel fédérale a déclaré ceci :

 

... le concept de « fonctions de direction » doit s’interpréter selon chaque cas d’espèce et, sauf des cas vraiment extrêmes, je suis porté à croire que sa portée exacte est une question de fait ou d’opinion du Conseil plutôt qu’une question de droit...

(page 813)

 

[10] Contrairement à certains conseils provinciaux des relations du travail, le CCRT et, par la suite, le CCRI ont interprété de manière stricte l’exclusion de personnes préposées à la gestion. L’approche du Conseil est expliquée dans Cominco Ltd. (1980), 40 di 75; [1980] 3 Can LRBR 105; et 80 CLLC 16,045 (CCRT no 240). Après avoir longuement passé en revue les engagements pris par le gouvernement canadien à l’égard de la liberté d’association, y compris ceux qui sont exposés dans le préambule du Code, le Conseil a ajouté ceci :

 

Dans ce contexte, on ne peut plus justifier l’exclusion de personnes préposées à la gestion en invoquant un conflit d’intérêts découlant d’un serment d’adhésion à un syndicat ou d’une loyauté à toute épreuve envers la fraternité des membres. Ces termes sont de toute évidence démodés. Le conflit d’intérêts possible qu’il faut considérer se situe entre les responsabilités d’emploi et le syndicat en tant qu’instrument servant à la négociation collective dans un climat où les personnes sont légalement protégées dans leur relation avec le syndicat à titre d’agent négociateur et d’organisme. Prétendre qu’il y a conflit parce qu’un employé est le seul surveillant sur place à un certain moment ou dans un lieu donné et que, de ce fait, il « représente la direction », c’est remonter au conflit d’allégeance d’une époque révolue. Dans maintes circonstances, beaucoup d’employés assument seuls certaines responsabilités. Le fait qu’ils s’occupent également de la négociation collective n’influe en rien sur leur loyauté envers l’employeur ou sur leur dévouement au travail. De par sa nature, la surveillance a toujours exigé que des personnes représentent l’autorité finale sur les lieux du travail.

 

Que des employés aient leur mot à dire au sujet des politiques d’une entreprise ou qu’ils engagent des dépenses au nom de cette entreprise, cela ne suffit pas non plus pour conclure à un conflit d’intérêts. Il s’agit là d’éléments usuels propres aux fonctions des professionnels. Le droit à la négociation collective leur a été accordé. Ces tâches font également partie des fonctions usuelles des spécialistes en général, qu’il s’agisse d’homme de métier, de techniciens ou d’autres groupes d’employés.

 

De même, le fait qu’un employé soit surveillant n’engendre pas le conflit d’intérêts réel ou appréhendé pouvant l’empêcher de jouir de la liberté syndicale, même si ses fonctions lui demandent de diriger le travail des autres, de faire des corrections et des réprimandes au besoin, de distribuer le travail, d’évaluer le rendement des nouveaux et des anciens employés, d’autoriser des heures supplémentaires au besoin, de faire appel à de la main-d’oeuvre s’il y a lieu, de former d’autres employés, de suivre lui-même des cours de formation dans le domaine de la surveillance, choisit qui peut être promu, d’autoriser les réparations, d’interrompre la production lorsqu’il y a des problèmes, d’établir le calendrier des congés et des vacances, de vérifier le nombre d’heures travaillées, d’autoriser les changements de poste et de commander le matériel nécessaire. Son adhésion à un syndicat et le fait que ce dernier le représente ne changent rien à sa loyauté ni à son intégrité...

(pages 90; 118; et 725-726; c’est nous qui soulignons)

 

[11] […]

 

« On ne met pas en doute, de l’avis du Conseil, le fait que le Parlement du Canada, tout autant que les législatures provinciales, soit lié par la politique fondamentale selon laquelle il faut favoriser la négociation collective et l’étendre à autant de personnes que possible. Le droit à la négociation collective n’est ni un privilège ni une concession ni une faveur, mais un droit fondamental dont on ne saurait priver quelque employé que ce soit, à moins de raisons très graves. » (Vancouver Wharves Ltd., supra, p. 39; p. 167, et pp. 966-7) »

(pages 92-93; 120; et 727)

 

(reproduit tel quel, à l’exception du soulignement qui est ajouté)

 

[482]     Le fait d’exclure de façon générale les cadres du régime d’accréditation n’a pas de lien rationnel avec l’objectif de maintenir la loyauté et l’absence de conflit d’intérêts. Bref, voir la syndicalisation comme un mode qui nuit nécessairement aux relations du travail est dépourvu de fondement. Pour reprendre les propos de la Cour suprême dans l’arrêt APMO, précité, « le respect de la liberté d’association peut même assurer plutôt que compromettre l’existence de bonnes relations et ainsi en renforcer la stabilité » (par. 147).

[483]     Quant à prévenir la non-ingérence, aucun lien rationnel n’a été démontré pour les motifs exposés précédemment.

[484]     L’application des dispositions anti-briseurs de grève n’a pas non plus de lien rationnel avec cette exclusion. Bien qu’il y ait des cadres syndiqués au Québec, aucun exemple n’a pu être donné. Tout au plus, des aménagements pourraient être jugés utiles et il appartiendra au législateur d’en décider.

2. L’atteinte minimale

[485]     L’exclusion des cadres du régime d’accréditation général est faite sans aucune distinction quant à leur rang dans l’entreprise, la nature de leurs fonctions, le fait qu’ils aient ou non accès à de l’information confidentielle, leur participation aux négociations avec les groupes syndiqués et ainsi de suite.

[486]     Cette exclusion ne se limite pas non plus à interdire que les cadres fassent partie de la même unité que le reste des employés. C’est pourtant un modèle possible afin de prévenir les conflits d’intérêts, modèle choisi pour les policiers municipaux et récemment pour les enquêteurs de la CCQ dans le cadre de la lutte contre la corruption dans l’industrie de la construction.

[487]     Plusieurs autres modèles, adoptés par le législateur en regard de groupes  particuliers, tel qu’il ressort de la revue des régimes spécifiques faite précédemment, permettent une atteinte moins grande à la liberté d’association.

[488]     Qui plus est, des exemples au Québec, au Canada et au niveau international démontrent la possibilité pour des cadres d’être syndiqués sans pour autant que cela ne nuise à leur rôle au sein de l’entreprise.  

la réparation appropriée

[489]     Par leur requête en accréditation, les associations demandent que l’exclusion de la définition de salarié à l’article 1l) 1° leur soit inopposable parce que contraire à la liberté d’association garantie à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne et à l’article 3 de la Charte québécoise. Par conséquent, elles demandent que le Tribunal les accrédite. Il a cependant été convenu, par la suite, que le Tribunal ne se prononcerait dans un premier temps que sur la question constitutionnelle.

[490]     La Procureure générale et les employeurs plaident qu’une décision qui rendrait inopposable l’article 1l) 1° du Code et permettrait aux associations demanderesse de poursuivre le processus d’accréditation est incompatible avec le fait que la Charte ne permette pas de revendiquer un régime en particulier. De plus, soulève-t-on, si le Tribunal invalidait cette exclusion, cela entrainerait un bouleversement du régime entier prévu au Code. Aussi, le Tribunal devrait suspendre l’effet de sa décision afin de permettre au législateur de prendre les mesures qu’il jugera appropriées.

[491]     Rappelons, en premier lieu, que la Cour d’appel a confirmé, dans le présent dossier, que la Commission, devenue depuis le Tribunal, avait compétence pour disposer de la question et des conclusions recherchées :

[29]      La compétence de la CRT, en l'espèce, ne fait aucun doute et répond aux enseignements de la Cour suprême dans R. c. Conway. Au terme d'une analyse exhaustive de la question, cette cour, sous la plume de la juge Abella, confirme l'approche retenue, entre autres, dans les affaires Cuddy Chicks, Martin et Okwuobi, précitées, et, tant au regard de l’application de l’article 52 que de l’article 24 de la Loi constitutionnelle de 1982, elle conclut que :

 

[77]      Ces arrêts confirment que le tribunal administratif investi du pouvoir de trancher des questions de droit et dont la compétence pour appliquer la Charte n’est pas clairement écartée a le pouvoir - et le devoir- correspondant d’examiner et d’appliquer la Constitution, y compris la Charte, pour se prononcer sur ces questions de nature juridique. Comme le fait observer la juge McLachlin dans l’arrêt Cooper :

 

[T]out tribunal qui est appelé à trancher des questions de droit dispose des pouvoirs afférents à cette tâche. Le fait que la question de droit porte sur les effets de la Charte ne change rien. La Charte n’est pas un texte sacré que seuls les initiés des cours supérieures peuvent aborder. C’est un document qui appartient aux citoyens, et les lois ayant des effets sur les citoyens ainsi que les législateurs qui les adoptent doivent s’y conformer. Les tribunaux administratifs et les commissions qui ont pour tâche de trancher des questions juridiques ne sont pas soustraits à cette règle. Ces organismes déterminent les droits de beaucoup plus de justiciables que les cours de justice. Pour que les citoyens ordinaires voient un sens à la Charte, il faut donc que les tribunaux administratifs en tiennent compte dans leurs décisions. [par. 70]

 

[492]     En deuxième lieu, il a été décidé que le Tribunal ne se prononcerait à cette étape que sur la question constitutionnelle. La présente décision n’a donc pas pour effet de disposer des requêtes en accréditation.

[493]     Il est également bien établi par la Cour suprême qu’un tribunal administratif ne peut prononcer une déclaration d’inconstitutionnalité générale, mais uniquement une invalidité aux fins de l’affaire dont il est saisi[140]. Une déclaration formelle d’inconstitutionnalité, qui établirait l’invalidité générale de la disposition, pourrait ensuite être ordonnée par la Cour supérieure, lors d’un contrôle judiciaire de la décision du tribunal administratif[141].

[494]     Dans le cadre de la requête en irrecevabilité sur la compétence de la Commission dans la présente affaire, en réponse aux craintes de la Procureure générale sur le pouvoir de suspendre les effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité, le cas échéant, la Cour d’appel considère cet argument insuffisant pour priver la Commission de la compétence de se prononcer sur la question constitutionnelle. Elle écrit :

[37]      Enfin, la crainte de l’intimée que l’accréditation puisse résulter d’une déclaration d’inopposabilité par la CRT de l’exclusion des cadres et de l’application, le cas échéant, du régime de relations de travail établi par le Code du travail aux employés visés par la requête n’est pas rationnelle. Elle ne peut suffire à conclure que la seule procédure utile est la requête en jugement déclaratoire, laquelle peut emporter une déclaration formelle d’invalidité générale pour l’avenir de l’exclusion du statut de cadre au Code du travail, ce qui permettrait, le cas échéant, d’envisager la suspension des effets du jugement de la Cour supérieure pour permettre au législateur de modifier, s’il entend le faire, la loi.

 

[38]      Cette distinction entre les effets de l’inopposabilité et celles de l’invalidité ne permet pas d’écarter la compétence de la CRT pour décider de la réparation en cas d’atteinte à la liberté d’association. L’anticipation du résultat du débat constitutionnel est un bien mauvais guide pour décider de la compétence de la CRT à trancher une question constitutionnelle à l’occasion de l’examen d’une requête en accréditation, d’autant que la décision de ce tribunal administratif fondée sur les chartes est susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. La Cour supérieure pourra, le cas échéant, examiner toute erreur commise dans l’interprétation et l’application des chartes, l’appelante ayant même le droit de demander une déclaration formelle d’invalidité à cette étape de l’instance.

 

[39]      Bref, la CRT est compétente à l’égard des parties, de l’objet du litige, ayant été régulièrement saisie de la requête en accréditation, et de la réparation demandée. Elle est même compétente pour se prononcer sur sa compétence à ordonner la réparation recherchée.

 

(soulignement ajouté)

 

[495]     Dans l’affaire des travailleurs agricoles, précitée, la Commission, après avoir constaté la violation de la liberté d’association des travailleurs en cause, refuse de suspendre les effets de sa décision, déclare inopposable l’exclusion visant les travailleurs agricoles et accueille la requête en accréditation. Elle se fonde notamment sur la distinction à faire entre une déclaration d’invalidité générale, qui a une portée universelle, et celle qui rend inopérante une disposition, laquelle n’a d’effets qu’entre les parties au litige. Elle cite son obligation « d’assurer l’application diligente et efficace du Code », prévue à l’article 114 du Code à l’époque, et maintenant à l’article 1 de la LITAT, pour motiver également son refus de suspendre les effets de sa décision.

[496]     Saisie de la demande de contrôle judiciaire de cette décision, la Cour supérieure, sous la plume de l’honorable Thomas Davis, conclut au bien-fondé de la décision de la Commission et juge approprié de prononcer une déclaration générale d’inconstitutionnalité. Dans ce contexte, elle accorde alors une suspension des effets de son jugement afin de permettre au législateur de revoir la loi :

[153] However as the Supreme Court of Canada stated in Okwuobi a claimant can seek a formal declaration of invalidity in a subsequent judicial review proceeding before this Court. The Union asks for such a declaration and the Attorney General and L’Écuyer and Locas essentially ask for a declaration of validity.

 

[154] The Court concludes that in the present matter it is appropriate to make a declaration of invalidity, given the infringement of the impugned paragraph on the freedom of association of a significant number of farm workers. However when making such a declaration, the courts have often deemed it appropriate to suspend it for a period of time to allow the legislator to reconsider the legislation.

 

[497]     Tout comme dans l’affaire des travailleurs agricoles, précitée, le Tribunal est saisi en l’espèce d’un recours en accréditation. Son rôle, après avoir constaté la violation de la liberté d’association, est de déclarer l’exclusion de la définition de salarié prévue à l’article 1l) 1° du Code inopposable dans les deux dossiers dont il est saisi. Sa décision ne produira d’effets qu’à l’égard des parties en cause. Le Tribunal est donc loin d’être convaincu qu’il peut suspendre les effets de sa décision, comme le ferait la Cour supérieure alors qu’elle prononce une déclaration d’invalidité générale. Il a l’obligation, comme tribunal administratif, « d’assurer l’application diligente et efficace du Code ».

[498]     La Procureure générale invite le Tribunal à considérer que la Cour d’appel a confirmé qu’il avait le pouvoir de suspendre les effets de sa décision. Même s’il fallait interpréter ainsi les propos de la Cour d’appel, cités précédemment, il n’apparait pas opportun de l’ordonner dans les présentes circonstances.

[499]     Les associations demanderesses ont obtenu, en 2004, une décision du Comité de la liberté syndicale qui recommande au gouvernement de modifier le Code afin d’en soustraire l’exclusion visant la notion de cadre. Malgré des appels répétés des instances internationales et des associations de cadres, le gouvernement n’a pas agi. Les arrêts de la Cour suprême en matière de liberté d’association en relations du travail ont souligné la place du droit international et la force persuasive des décisions du comité depuis plusieurs années. Il n’apparait donc pas opportun de priver plutôt les associations demanderesses de leur droit fondamental à la liberté d’association.

[500]     De plus, si les requêtes en accréditation sont accueillies, les associations demanderesses pourront effectivement bénéficier du régime du Code. Ce faisant, le Tribunal ne leur accorde pas un régime particulier, pour les raisons déjà expliquées. S’il suspendait les effets de sa décision, c’est alors qu’il présumerait que les associations demanderesses ont droit à un tel régime particulier. Il ne lui appartient pas de décider si d’autres mesures auraient pu être choisies pour les cadres ni de présumer que le législateur le fera, d’autant qu’il n’a pas choisi cette voie après la décision du Comité de la liberté syndicale.

conclusion

[501]     Le Tribunal arrive à la conclusion que l’exclusion des cadres de la définition de salariés dans le contexte soumis porte atteinte à la liberté d’association garantie par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne et par l’article 3 de la Charte québécoise et qu’elle n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique.

[502]     En effet, bien que l’objet de l’exclusion vise à prévenir les conflits d’intérêts, il a pour but d’empêcher les cadres de négocier collectivement. Les effets de cette exclusion entravent substantiellement le processus véritable de négociation collective des associations demanderesses.

[503]     Ainsi, leur indépendance est incomplète, leur reconnaissance dépend entièrement de leur employeur respectif et il n’existe aucune protection contre l’ingérence. Cette exclusion entrave substantiellement leur capacité à négocier sur des objets importants. L’absence d’un mécanisme permettant de sanctionner l’obligation de négocier de bonne foi et la suppression du droit de grève, sans alternative, ne permettent pas rétablir le rapport de force entre les cadres de premier niveau et les employeurs, des sociétés d’État, ce qui constitue une entrave substantielle dans un tel contexte. 

[504]     L’État est responsable de cette entrave substantielle parce que cette absence de régime ne s’inscrit pas dans un vide juridique. Elle est la conséquence de l’exclusion du régime général d’accréditation qu’est le Code. De plus, les engagements internationaux du Canada en la matière, tel que l’a souligné le Comité de la liberté syndicale, n’ont pas été respectés.

[505]     Cette atteinte n’est pas justifiée en regard de l’article 1 de la Charte canadienne et de l’article 9.1 de la Charte québécoise. Le gouvernement n’a pas démontré que l’objet de l’exclusion du statut de cadre du Code, soit la prévention de conflits d’intérêts et de l’ingérence de l’employeur auprès des autres employés, ainsi que le maintien d’un équilibre lors d’un conflit de travail, était réel et urgent. De plus, il n’y a pas de lien rationnel entre l’objet de la mesure et l’atteinte aux droits. Enfin, cette atteinte n’est pas minimale. Par conséquent, cette exclusion est inopposable à la partie demanderesse et ne peut empêcher l’examen de sa requête en accréditation.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ORDONNE               la confidentialité et la non-divulgation de la pièce S-74.

DÉCLARE                que l’article 1l) 1° du Code du travail porte atteinte à la liberté d’association garantie à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne des personnes visées par la requête en accréditation de l’Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec;

DÉCLARE                inopérant l’article 1l) 1° du Code du travail dans le cadre de l’examen de la requête en accréditation de l’Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec;

AVISE                        l’Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec et Hydro-Québec qu’elles seront convoquées à une audience pour disposer de la requête en accréditation.

 

__________________________________

 

Irène Zaïkoff

 

Me Grégoire Deniger, avocat

Pour la partie demanderesse

 

Me Jean Leduc

LORANGER MARCOUX AVOCATS, S.E.N.C.R.L.

Pour la partie défenderesse

 

Mes Samuel Chayer et Michel Déom

BERNARD ROY (JUSTICE QUÉBEC)

Pour la partie intervenante de première part

 

Mes Jean-Luc Dufour et Frédéric Tremblay

POUDRIER BRADET AVOCATS, S.E.N.C.

Pour la partie intervenante de deuxième part

 

Me Jean Leduc

LORANGER MARCOUX AVOCATS, S.E.N.C.R.L.

Pour la partie intervenante de troisième part

 

Date de la mise en délibéré:          29 juillet 2016

/aml

 



[1]           RLRQ c. C-27. L’exclusion en cause est à l’art. 1l) 1°.

[2]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail est entrée en vigueur (la LITAT). Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

[3]           2015 QCCRT 0058.

[4]           Le 24 novembre 2009, la Société dépose une requête en irrecevabilité dans laquelle elle allègue principalement que la Commission n’a pas compétence pour se prononcer sur la question constitutionnelle soulevée dans la requête de l’ACSCQ. Sans nier que la Commission pourrait trancher une question constitutionnelle accessoire à un litige qui relève de sa compétence, elle prétend, qu’en l’espèce, cette question est au cœur du débat et que le statut de cadre a déjà fait l’objet d’une décision. Le 14 avril 2010, la Commission se déclare compétente pour disposer du litige (2010 QCCRT 0187). La Cour supérieure annule cette décision le 23 janvier 2012, à la suite d’une requête en révision judiciaire (2012 QCCS 112), mais, le 24 mars 2014, la Cour d’appel la rétablit (2014 QCCA 603).

[5]           Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, c. 11.

[6]           La recevabilité du rapport du professeur Coutu a fait l’objet d’une décision de la Commission: 2015 QCCRT 0102.

[7]           L’OIT est une agence tripartite de l’Organisation des Nations Unies, regroupant 187 états membres et les représentants des employeurs et des travailleurs. Ses trois principales instances sont 1) la Conférence internationale du travail, un parlement international du travail en quelque sorte, qui se réunit annuellement et où ont lieux des forums de discussion, 2) le Conseil d’administration, qui constitue l’organe exécutif, et 3) le Bureau international du travail (BIT), secrétariat permanent de l’OIT, qui agit sous l’autorité du Conseil d’administration.

[8]           68 RTNU 17.

[9]           6 IHRR 285 [1999], articles 1 et 2.

[10]         Voir le rapport de Michel Coutu, aux paragraphes 37 à 41 de son expertise, qui réfère notamment aux recommandations formulées par le Comité de la liberté syndicale, dont il sera fait état plus loin.

[11]         993 RTNU 3, al. 8d).

[12]         999 RTNU 171.

[13]         999 RTNU 171, art. 22.

[14]         Rapport de Michel Coutu, par. 9.

[15]         Rapport de Michel Coutu, par. 10 à 19.

[16]         National Labor Relations Act, 1935, c. 372, stat. 449.

[17]         Packard Co. v. Labor Board, 330 U.S. 485 (1947).

[18]         Rapport de Michel Coutu, par. 12 à 14.

[19]         Rapport de Michel Coutu, par. 15 à 20.

[20]         Le Manitoba Labour Board considère que les personnes qui occupent des fonctions de « front-line supervisors » sont généralement des employés et non visés par l’exclusion des personnes occupant un poste de direction. Voir à cet effet Manitoba Government and General Employees’ Union c. Southern Health - Santé Sud, 2015,CanLII 37991(MB LB). Le professeur Coutu mentionne aussi le cas de la Saskatchewan, par. 17.

[21]         Le Rapport Woods, rendu en 1968 par le comité responsable de faire des recommandations à ce sujet, appuie la syndicalisation des cadres de premier niveau, en autant qu’ils soient regroupés dans une unité distincte.

[22]         L.R.C. (1985) ch. L-2.

[23]         Art. 3(1) du Code canadien: « Employé » Personne travaillant pour un employeur; y sont assimilés les entrepreneurs dépendants et les agents de police privés. Sont exclus du champ d’application de la présente définition les personnes occupant un poste de direction ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail.

[24]         Art. 27(5) du Code canadien: Le Conseil peut, sous réserve du paragraphe (2), décider qu’une unité proposée par le syndicat et regroupant ou comprenant des employés dont les tâches consistent entre autres à surveiller d’autres employés est habile à négocier collectivement.

[25]         L.C. 2003, c. 22.

[26]         S.Q. 1944, c. 30. L’exclusion de la définition de « salarié » prévue à l’article 2a) 1°se lit comme suit : « les personnes employées à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés ».

[27]         Rapport de Michel Coutu, par. 24.

[28]         Rapport de Michel Coutu, par. 23.

[29]         Loi modifiant le Code du travail, L.Q. 1969, c. 47.

[30]         Loi modifiant le Code du travail, L.Q. 1970, c. 33 et Loi modifiant le Code du travail, L.Q. 1971, c. 49.

[31]         Lors de la révision du Code en 2001, il est prévu que les associations reconnues par Hydro-Québec ou la ville de Montréal, comprenant en totalité ou en partie du personnel cadre, sont réputées accréditées par la Commission (Loi modifiant le Code du travail, instituant la Commission des relations du travail et modifiant d’autres dispositions législatives, L.Q. 2001, c. 26, art. 202.)

[32]         QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 1ère sess., 29e légis., 16 juillet 1970, « Projet de loi no 36 - Loi modifiant le Code du travail ». QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 2e sess., 29e légis., 6 juillet 1971, « Projet de loi no 61 - Loi concernant le Code du travail, 2e lecture ».

[33]         Les associations visées par ce décret étaient déjà reconnues avant par des décrets antérieurs.

[34]         Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective, c. F-3.1, a.127.

[35]         Voir note 37.

[36]         L’ADDS/SAQ fait partie de la CERA.

[37]         Michel Coutu cite, à titre d’exemple, au par. 34, le cas de l’Alliance des cadres de l’État qui s’est vue imposer un gel du boni au rendement unilatéralement depuis 2012 et sans consultation au préalable. Il mentionne aussi que les cadres de l’Université McGill, représentés par MUNASA, ont subi en 2009 une coupure de salaire et d’avantages sociaux équivalents à 2 millions de dollars, qui n’a été précédée par aucune discussion.

[38]         RLRQ c. N-1.1.

[39]         Rapport de Michel Coutu, par. 42.

[40]         Québec-Téléphone c. Syndicat des agents de maîtrise de Québec-Téléphone, 1997 Can Lii 5460 (CAF), où la Cour d’appel fédérale confirme la décision du CCRT.

[41]         Rapport de Michel Coutu, par. 30.

[42]         Rapport de Michel Coutu, par. 20, p. 18.

[43]         Adam GOLDSTEIN, « Revenge of the Managers : Labor Cost-Cutting and the Paradoxical Resurgence of Managerialism in the Shareholder Value Era, 1984 to 2001 », American Sociological Review, 2012, 77: 268-294.

[44]         Arnaud SALES et Noël BÉLANGER, « Décideurs et gestionnaires, Étude sur la direction et l’encadrement des secteurs privé et public », Étude préparée pour le Conseil de la langue française, 1985.

[45]         Voir note 18.

[46]         Rapport du Comité sur la liberté syndicale, n° 335, novembre 2004.

[47]         Rapport n° 358, novembre 2010.

[48]         Rapport n° 362, novembre 2011.

[49]         Pièce R 4-7.

[50]         Notes sténographiques, 10 juin 2015, p. 61 et 62.

[51]         R.L.R.Q., c. H-5.

[52]         R.L.R.Q. c. S-40.

[53]         Notes sténographiques du 6 novembre 2015, p. 192.

[54]         Notes sténographiques du 6 novembre 2015, p. 198.

[55]         La règle de gestion vient baliser l’exercice du droit de gérance sur un sujet qui n’est pas couvert par les ententes collectives ou l’entente de partenariat.

[56]         APCPNHQ  c. Hydro-Québec, 2016 QCCA 1102, ci-après désigné comme « l’affaire » ou « l’arrêt Grenier ».

[57]         Notes sténographiques du 1er décembre 2015, p. 221. Soulignement ajouté.

[58]         Notes sténographiques du 5 novembre 2015, témoignage de Claude Paquin, directeur général de l’APCPNHQ, p.149, procès-verbal du comité mixte corporatif du 15 juin 2015, notes sténographique du 20 janvier 2016, témoignage de Patrice Périard, directeur Relations du travail et rémunération, p. 105.

[59]         Voir notes sténographiques du 20 janvier 2016, p. 150 : témoignage de Diane Bucci, conseillère et représentante d’Hydro-Québec au sein du comité mixte,.

[60]         Le problème est déjà souligné dans un compte-rendu d’une réunion du comité mixte, 24 avril 1992.          

[61]         Lettre du 17 juillet 1992, adressée au directeur de la dotation et de la rémunération.

[62]         Notamment, l’APCPNHQ a tenté de faire inlcure la prime de disponibilité, en comité mixte le 21 décembre 2005. Seul un renvoi à la règle de gestion en cause a été indiquée dans l’Entente.

[63]         Pièce S-50.

[64]         Compte rendu du comité mixte corporatif, pièce S-50.

[65]         Notes sténographiques du 1er décembre 2015, p.270.

[66]         Courriel de Claudine Bouchard à Gilles Chandonnet, 20 janvier 2015, pièce S-59.

[67]         Notes sténographiques du 1er décembre 2015, p. 284.

[68]         Loi mettant en œuvre certaines dispositions sur le budget du 30 mars 2010 et visant le retour à l’équilibre budgétaire en 2013-2014 et la réduction de la dette, 2010 L.Q., c.20. Cette loi imposait notamment aux sociétés d’État de prendre des mesures afin de permettre le retour à l’équilibre budgétaire, entre autre par une majoration plafonnée des échelles de salaire du personnel d’encadrement entre 2010 et 2015.

[69]         Voir également les notes sténographiques du 20 janvier 2016, p. 72, témoignage de Patrice Périard.

[70]         Tableau préparé par Gille Chandonnet aux fins de l’audience.

[71]         Dix-neuf recours judicaires ont été déposés devant les tribunaux civils, dont cinq d’entre eux ont également fait l’objet d’un différend entre août 2010 et le 19 janvier 2015.

[72]         Article 17 : Les membres du conseil d’administration ne peuvent être poursuivis en justice en raison d’actes officiels accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions. Aucun pourvoi en contrôle judiciaire prévu au Code de procédure civile (chapitre C-25.01) ne peut être exercé ni aucune injonction accordée contre la Société ou les membres de son conseil d’administration agissant en leur qualité officielle.

[73]         Voir note 55.

[74]         Notamment, une mention à cet effet apparait dans un compte rendu de comité mixte de 1991.

[75]         Notes sténographique du 6 novembre 2015, p. 70.

[76]         Notes sténographiques du 20 janvier 2016, p. 63.

[77]         Baier c. Alberta, [2007] 2 RCS 673.

[78]         Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 3.

[79]         [1987] 1 RCS 313.       

[80]         [1987] 1 RCS 424.

[81]         [1987] 1 RCS 460.

[82]         [2001] 3 RCS 1016.

[83]         [2007] 2 RCS 391.

[84]         Par. 30.           

[85]         [2011] 2 RCS 3. 

[86]         [2015] 1 RCS 3.

[87]         [2015] 1 RCS 125.

[88]         [2015] 1 RCS 245.

[89]         Voir par. 131.

[90]         Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 RCS 989.

[91]         Une autre loi était aussi en cause dans cet arrêt, qui redéfinissait les critères pour qu’une association soit considérée représentative. Cette loi a été jugée constitutionnelle par la Cour.

[92]         Par. 64.

[93]         Michel COUTU, Laurence Léa FONTAINE., Georges MARCEAU et Urwana COIQUAUD, Droit des rapports collectifs du travail au Québec, 2e édition, Éditions Yvon Blais, p. 90. Voir aussi par. 42 et 43 de l’arrêt Saskatchewan, précité.

[94]         Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 c. L’Écuyer, 2010 QCCRT 0191; requête en révision judiciaire rejetée, 2013 QCCS 973.

[95]         Robert P. GAGNON et LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS, Le droit du travail du Québec, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 345.

[96]         Pour les procureurs aux poursuites criminelles et pénales, visés par l’article 1 l) 4° du Code : Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective, RLRQ, c. P-27.1, section III; pour les membres de la Sûreté du Québec, visés par l’article 1 l) 5° du Code : Loi sur le régime syndical applicable à la Sûreté du Québec, RLRQ, c. R-14.

[97]         2006 QCCRT 0363.      

[98]         Syndicat canadien de la fonction publique, local 3130 c. Régie intermunicipale des bibliothèques publiques de Pierrefonds et de Dollard-des-Ormeaux, [1987] AZ-88147016 (T.T.); Société de transport de Montréal c. Commission des relations du travail, 500-17-047394-088, C.S. 2 septembre 2009.

[99]         L.Q., 2016, c. 24, entrée en vigueur le 2 novembre 2016.

[100]        Article 17.

[101]        Voir note précédente.

[102]        Article 4 du Code.

[103]        Les employés de la Fonction publique sont régis par la Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1.

[104]        Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales, RLRQ. c. U-0.1. La constitutionnalité de ces dispositions a été confirmée par la Commission (Association professionnelle des inhalothérapeutes du Québec c. L’Hôpital Sainte-Justine, 2005 QCCRT 105). La Cour supérieure a ensuite accueilli partiellement la révision judicaire (2007 QCCS 5513), mais  la Cour d’appel a rétabli la décision de la Commission (Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux (CSN), 2011 QCCA 1247).

[105]        Voir article 85 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, RLRQ c. R-20.

[106]        Syndicat des personnes responsables de milieux résidentiels d'hébergement des Laurentides (C.S.N.) c. Centre du Florès, [2001] AZ-50086950 (T.T.). Requête en révision judiciaire rejetée, [2002] AZ-50115188 (C.S.). Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A.), 500-09-012070-025. Le Tribunal agissait en appel de la décision du commissaire du travail Jacques Vignola dans Syndicat des personnes responsables de milieux résidentiels d'hébergement des Laurentides (C.S.N.) c. Centre du Florès, CM-1008-6719 (AZ-50079469).

[107]        Confédération des syndicats nationaux c. Québec (Procureur général), 2008 QCCS 5076.

[108]        RLRQ, c. R-24.0.2.

[109]        RLRQ, c. R-24.0.1.

[110]        Voir note 84.

[111]        RLRQ, c. S-32.1.

[112]        RLRQ c. R-20.

[113]        R. c. Big M Drug Mart, [1985] 1 RCS 295.

[114]        Argumentation de la Procureure générale, par. 98.

[115]        Arrêt APMO, précité, par. 17, 110 et 123 et 136.

[116]        Arrêt Big M Drug Mart, cité dans arrêt APMO, par. 111, tous deux précités.

[117]        Arrêt APMO, précité, par. 89.

[118]        Arrêt APMO, précité, par. 88.

[119]        Voir par. 77 dans l’arrêt APMO, précité.

[120]        Arrêt Health Services, précité, par. 77 et 98.

[121]        Voir, par. 467 du rapport n°335, précité, note 46.

[122]        [1995] 2 RCS 929.

[123]        [1997] 1 RCS 487.

[124]        Didier LUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 2e édition, Les éditions Thémis, p. 126.

[125]        Par. 3 de l’Avis amendé de l’ACSCQ, 16 octobre 2014, ayant complété celui donné le 26 novembre 2009; Avis d’intention de l’APCPNHQ, 7 janvier 2015.

[126]        Arrêt Saskatchewan, précité, par. 25.    

[127]        Article 24 (1) : Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[128]        Article 49 (1) : Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

[129]        Arrêt Health Services, précité.

[130]        Expression empruntée à un auteur que la Cour suprême cite avec approbation au par. 76 de sa décision.

[131]        [2009] 3 RCS 465, par. 56.

[132]        Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants-section Colombie-Britannique, [2009] 2 RCS 295, par. 34 et 35.

[133]        Deux affaires dont il a été fait mention précédemment au chapitre des régimes de relations du travail particuliers.

[134]        Voir en particulier les paragraphes 266 à 271 du jugement de la Cour supérieure sur les RI-RTF/RSG, précité, et les paragraphes 314 à 320 de la décision de la Commission sur les travailleurs agricoles, précitée.

[135]        Arrêt APMO, par. 106.  

[136]        [2009] 2 RCS 567.

[137]        Plan d’argumentation de la Procureure générale.

[138]        2006 QCCRT 0537.

[139]        2010 CCRI 531.

[140]        Cuddy Chicks Limited c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, p. 17.

[141]        Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson, [2005] 1 RCS 257, par. 44.

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