Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

JB-4370

 

 
Gagné c. Nepton

2015 QCCQ 10017

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D’

ALMA

LOCALITÉ D’

ALMA

 

« Chambre civile »

 

N° :

160-32-000078-159

 

DATE :

1er octobre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MONSIEUR LE JUGE

MICHEL BOUDREAULT

______________________________________________________________________

 

 

CÉLINE GAGNÉ

 

Demanderesse et défenderesse reconventionnelle

 

c.

 

JOCELYNE NEPTON

et

ALEXANDRE DUFOUR

 

Défendeurs et demandeurs reconventionnels

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 17 mai 2015, Céline Gagné est projetée au sol lorsque le chien d’Alexandre Dufour saute sur elle, ce qui lui occasionnera, notamment, une fracture du poignet.

[2]           Elle réclame 3 000 $ à Jocelyne Nepton, la gardienne du chien au moment des événements, de même qu’au propriétaire du chien, Alexandre Dufour.

[3]           En défense, Alexandre Dufour est le propriétaire du Dogue argentin de 60 livres, mais vu son absence au moment des événements, il s’en remet à la version donnée par sa mère, Jocelyne Nepton, témoin des événements.

[4]           Cette dernière plaide le comportement excessif de madame Gagné qui aurait grandement contribué à la suite des événements, notamment en donnant un coup de pied au chien.

[5]           Jocelyne Nepton et Alexandre Dufour se portent demandeurs reconventionnels pour la somme de 687 $ justifiée par les frais de déplacement à Alma, à trois reprises, en lien avec cette affaire, les frais de contestation et un montant  pour dommages-intérêts à la suite de divers mensonges, stress, etc.

Les faits

[6]           Le 17 mai 2015, vers 14 h, Céline Gagné se rend à pied chez sa sœur qui demeure sur la 2e avenue, à Desbiens.

[7]           Près de la maison portant le numéro civique […], elle aperçoit une dame, Jocelyne Nepton, qui semble détacher un gros chien pour le faire monter dans un camion. Le chien la regarde, mais elle continue son chemin. Elle l’entend aboyer. Elle se retourne et voit le chien se diriger vers elle.

[8]           C’est alors que l’animal saute sur elle. Elle tente de se protéger avec son épaule et son bras droit, mais vu le poids du chien, elle perd l’équilibre et tombe au sol violemment tout en le repoussant avec sa jambe droite.

[9]           Madame Gagné est transportée à l’hôpital par ambulance. On lui diagnostique une fracture du poignet droit et elle doit porter un plâtre durant cinq semaines. Ces événements sont demeurés un mauvais souvenir, elle qui envisageait de garder son petit-fils pendant cette période.

[10]        Son poignet est toujours engourdi et elle ressent une douleur à l’épaule droite. Elle a subi un choc nerveux.

[11]        Jean Gagnon, un voisin de Jocelyne Nepton, a entendu le chien grogner et a vu madame Gagné tomber au sol. Il ajoute que l’animal est reparti par après avec madame Nepton.

[12]        En défense, Jocelyne Nepton demeure au […], à Desbiens. Au moment des événements, elle prenait soin du chien, car son fils Alexandre jouait à l’ordinateur.

[13]        Elle dit que son fils le promène régulièrement en forêt étant donné sa grosseur et qu’il aboie fort. En plus, une école se trouve sur cette rue.

[14]        Le chien était en laisse, mais elle l’a détaché pour le faire monter dans le camion. Selon elle, Céline Gagné s’est mise à crier, expliquant la raison pour laquelle il s’est dirigé vers elle.

[15]        C’est pourquoi elle ordonne à madame Gagné de ne pas bouger, mais celle-ci le repousse avec un coup de pied. Madame Nepton lui rétorque à nouveau de ne pas agir ainsi. Le chien se projette sur madame Gagné, ce qui la fait tomber. Madame Nepton repart immédiatement chez elle avec l’animal.

[16]        Elle informe son fils de l’événement qui vient de se  produire et lui mentionne que c’est à cause de Monsieur Pico, le nom du chien.

[17]        Séance tenante, elle avoue que Céline Gagné n’est sûrement pas tombée seule au sol.

[18]        Questionnée sur les raisons pour lesquelles elle présente une demande reconventionnelle, elle répond : « oui et pourquoi pas? ». Elle prétend que madame Gagné a une responsabilité dans la présente affaire et c’est pourquoi elle lui réclame 687 $ répartis de la manière suivante :

Essence pour déplacements (3) à Alma :

60 $

Frais judiciaires de la contestation :

127 $

Troubles et inconvénients pour divers mensonges, stress, etc. :

500 $

Total :

687 $

Le droit

[19]        Le dossier met en application l’article 1466 du Code civil du Québec qui se lit comme suit :

1466. Le propriétaire d'un animal est tenu de réparer le préjudice que l'animal a causé, soit qu'il fût sous sa garde ou sous celle d'un tiers, soit qu'il fût égaré ou échappé.

La personne qui se sert de l'animal en est aussi, pendant ce temps, responsable avec le propriétaire.

[20]        Cet article ne permet pas au propriétaire ou à l’usager de l’animal de se dégager de sa responsabilité en prouvant absence de faute, c’est-à-dire en établissant avoir pris les moyens raisonnablement prudents et diligents pour prévenir la survenance du dommage causé par l’animal.

[21]        Il crée en fait une véritable présomption de responsabilité à l’endroit du propriétaire et de l’usager de l’animal, laquelle entre en jeu dès qu’il est prouvé que le dommage a été causé par le fait de l’animal et qu’il ait établi une relation de propriété et/ou de garde entre ces derniers, les défendeurs.

[22]        Rappelons que la responsabilité du propriétaire et de l’usager est cumulative et non alternative[1]. Seule la preuve d’une force majeure, une faute de la victime ou faute d’un tiers, permettra de libérer le propriétaire ou l’usager.

[23]        Plus particulièrement, quant à la faute de la victime, il suffit que celle-ci n’ait pas observé une prudence élémentaire à l’égard de l’animal, dont les réactions sont souvent imprévisibles, en le provoquant, l’effrayant ou en ne prenant pas les précautions que la situation imposait, pour que sa responsabilité soit retenue et permette soit d’éliminer complètement celle du gardien, soit de la mitiger.

L’analyse

[24]         Sur le plan de la responsabilité, Céline Gagné a prouvé que le chien qui l’a projetée au sol est la propriété d’Alexandre Dufour et qu’au moment des événements, il était sous la garde et la supervision de Jocelyne Nepton, sa mère. Ainsi, la présomption de responsabilité à l’endroit du propriétaire et de l’usager de l’animal entre dès lors en jeu.

[25]        Partant, Jocelyne Nepton et Alexandre Dufour n’ont d’autre choix que de prouver force majeure, faute de la victime ou faute d’un tiers afin d’être libérés.

[26]         Or, à la lumière de la preuve soumise, force est de conclure à l’absence de faute de la victime, Céline Gagné. La preuve est prépondérante que le chien d’Alexandre Dufour s’est dirigé immédiatement sur la personne de Céline Gagné pour sauter sur elle, sans être apeuré ou effrayé. La version de Jocelyne Nepton à l’effet que ce sont les cris de madame Gagné qui ont amené le chien à partir en sa direction n’est pas retenue.

[27]        La Cour estime plus probable la version de madame Gagné qu’en voyant le chien, elle a continué son chemin et ce n’est que par la suite qu’elle l’a vu se diriger vers elle.

[28]        Pour ces raisons, la preuve ne permet pas de conclure que le comportement de Céline Gagné a amené le chien à réagir comme il l’a fait. La Cour conclut que jamais cet animal n’a été soit apeuré ou effrayé par son comportement.

[29]        La Cour est également d’avis que Jocelyne Nepton et Alexandre Dufour n’ont fourni aucune preuve pouvant justifier de partager la responsabilité puisque Céline Gagné n’a commis aucune faute contributoire ni aucun geste ayant pu provoquer l’animal.

[30]        Ainsi, tant le propriétaire du chien que l’usager au moment des événements doivent être tenus responsables du préjudice subi par Céline Gagné.

[31]        Cela dit, que le préjudice soit causé par la faute commune du propriétaire et de l’usager ou par deux fautes distinctes, ils sont tous deux responsables et la solidarité jouera entre eux.

[32]        Dans le premier cas, l’article 1526 du Code civil du Québec fait en sorte que la répartition de la responsabilité se fait en principe selon une base de division identique puisqu’il n’y a pas deux actes fautifs, mais un seul commis par deux personnes.

[33]        Dans le second cas, la responsabilité sera partagée en proportion de la gravité des fautes commises par chacun (article 1478 du Code civil du Québec).

[34]        La Cour estime que la responsabilité des défendeurs sera partagée dans la même proportion. Quant à Jocelyne Nepton, la gardienne du chien, je suis d’avis qu’elle n’a pas pris les précautions nécessaires pour que l’animal ne puisse s’échapper lorsqu’elle l’a fait entrer dans le camion.

[35]        Quant à Alexandre Dufour, le propriétaire, il connaissait le poids de son animal (60 lb) et savait les risques pour sa mère d’amener le chien dans le camion. D’ailleurs, lors de l’audition, il mentionne que sa mère n’était pas assez forte pour retenir le chien. Nécessairement, lui aussi n’a pas pris les précautions nécessaires pour éviter que son chien s’échappe[2].

Dommages

[36]        Céline Gagné réclame 3 000 $ que la Cour considère amplement justifiés dans les circonstances.

[37]        La preuve démontre que Céline Gagné a subi une blessure importante, c’est-à-dire une fracture du poignet droit et fut contrainte à porter un plâtre durant cinq semaines.

[38]        La preuve révèle que madame Gagné a été ébranlée psychologiquement, notamment un choc nerveux, et ressent toujours une douleur à l’épaule droite.

[39]        En conséquence, la Cour accorde un montant global de 3 000 $ à Céline Gagné en tenant compte de la fracture subie au poignet droit, les douleurs, les souffrances, les inconvénients, le choc nerveux et le préjudice psychologique.

Demande reconventionnelle

[40]        Les défendeurs réclament 687 $ à Céline Gagné représentant 60 $ d’essence pour trois déplacements à Alma, 127 $ pour les frais de la contestation et 500 $ pour les représailles à la suite de divers mensonges et stress subi.

[41]        D’une part, les défendeurs n’ont jamais établi qu’ils avaient subi des représailles.  La Cour convient qu’il peut être stressant d’avoir à se présenter devant elle, mais cela ne justifie pas d’accorder quelque somme que ce soit à ce titre.

[42]        Finalement, par les propos tenus par Jocelyne Nepton, la Cour trouve peut sérieuse cette demande et sans fondement puisque lorsque questionnée sur les raisons de la demande reconventionnelle elle dira : « pourquoi pas! ».

[43]        Pour toutes ces raisons, la Cour refuse d’accorder quelque montant que ce soit aux défendeurs.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[44]        ACCUEILLE la demande principale de Céline Gagné.

[45]        CONDAMNE Jocelyne Nepton et Alexandre Dufour solidairement à payer à Céline Gagné la somme de 3 000 $ avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la demande datée du 16 juin 2015.

[46]        REJETTE la demande reconventionnelle de Jocelyne Nepton et Alexandre Dufour.

[47]        LE TOUT avec dépens, lesquels sont établis au coût du timbre judiciaire de la demande, soit 138 $.           

 

 

__________________________________

MICHEL BOUDREAULT

Juge à la Cour du Québec

 

 

Date d’audience :

21 septembre 2015

 



[1]     Lessard c. Morrow, [2003] J.E. 299 (C.A.).

[2]     Papazian c. Blanchet, [2013] QCCS 1558.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.