Office municipal d’habitation de Sept-Îles c. Jomphe |
2018 QCRDL 21535 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Sept-Îles |
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No dossier : |
356448 10 20170918 G |
No demande : |
2332234 |
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Date : |
26 juin 2018 |
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Régisseur : |
Marc C. Forest, juge administratif |
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OFFICE MUNICIPAL D’HABITATION de Sept-Îles |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Josée Jomphe |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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La demande
[1] Le locateur demande que la Régie du logement prononce la résiliation du bail et l’expulsion de la locataire pour non-respect des obligations légales.
Questions en litige
[2] La locataire a-t-elle enfreint les dispositions légales reliées à son bail?
[3] Si oui, le comportement de la locataire a-t-il causé un grave préjudice au locateur permettant au Tribunal de procéder à la résiliation du bail?
Analyse et commentaires
[4] Les parties sont liées par un bail qui se termine en juin 2019 au loyer actuel de 294 $ mensuellement.
[5] Le locateur est un organisme sans but locatif financé en partie par le gouvernement du Québec et par la municipalité de Sept-Îles. Elle gère 422 logements.
[6] La première question est facile à répondre de façon affirmative, puisque la locataire elle-même a confirmé avoir fait de la sous-location de son logement en se servant du site Internet «airBnB », de juin à septembre 2017.
[7] Le fait que la locataire utilise son logement pour héberger d’autres personnes sur une base quotidienne constitue-t-il un préjudice grave envers le locateur?
[8] C’est à cette question que le Tribunal tentera de répondre.
[9] Il n’y a aucun doute que le logement occupé par la locataire constitue un logement à loyer modique dont les articles 1984 et suivants du Code civil font référence.
[10] Les locataires qui habitent de tels logements doivent s’engager dans un processus complexe et long, auquel ils doivent répondre à une multitude de critères étant donné que ces logements sont subventionnés et que seules les personnes ayant un faible revenu peuvent y habiter.
[11] Afin de garantir que les règles d’attribution de ces logements le sont à des personnes qui en ont réellement besoin, le locateur doit continuellement être au courant des personnes qui habitent dans ces logements et notamment, connaître leurs revenus annuels afin d’en fixer le coût du loyer.
[12] C’est sans doute pour cette raison que la loi interdit toute sous-location, puisqu’avec une sous-location, le locateur ne connaît pas toujours la situation du sous-locataire.
[13] À cet effet, le Tribunal retranscrit ci-après l’article 1995 du Code civil du Québec qui interdit la sous-location.
1995. Le locataire d'un logement à loyer modique ne peut sous-louer le logement ou céder son bail.
Il peut cependant, en tout temps, résilier le bail en donnant un avis de trois mois au locateur.
[14] Le Tribunal fait aussi référence au Règlement sur les conditions de location des logements à loyer modique, et plus particulièrement à l’article 18, reproduit ci-après :
18. Aux fins de la conclusion du bail ou de sa reconduction, le locataire doit fournir au locateur le nom des personnes qui habitent avec lui et les preuves requises pour la détermination du loyer. Ces renseignements doivent être fournis dans un délai d'un mois de la demande du locateur.
En tout temps, le locataire est tenu d'informer le locateur lorsqu'il y a ajout d'occupant, et ce, dans un délai d'un mois de l'arrivée du nouvel occupant.
S'il y a ajout d'occupant entre la date de réception des renseignements visés au premier alinéa et la date de la conclusion du bail ou de sa reconduction, selon le cas, ces nouveaux occupants sont considérés pour la détermination du loyer prévu à l'article 5.
[15] Ce règlement spécifie clairement que le locataire d’un logement situé dans un complexe de logement à loyer modique doit en tout temps aviser le locateur de tout ajout d’un locataire dans le logement concerné.
[16] Dans la situation qui nous occupe, en aucun temps la locataire qui confirme avoir procédé entre juin et septembre 2017 à 42 locations quotidiennes, n’a avisé le locateur de cette situation.
[17] Le fait de procéder à des locations quotidiennes à des personnes totalement inconnues provenant d’un site Internet comme airBnB et qui se présentent au logement une, deux ou trois nuits représente assurément des risques additionnels pour le locateur du logement concerné.
[18] Ces personnes qui n’engagent nullement leurs responsabilités envers le locateur savent très bien qu’ils sont ici, hors de la région pour visiter, découvrir et dans certains cas pour fêter.
[19] Celui-ci n’a donc pour la même intention de collaboration envers les voisins concernant les va-et-vient dans l’immeuble, ainsi que le bruit pouvant incommoder les voisins. C’est d’ailleurs l’un des problèmes majeurs vécus par tous les locateurs et les voisins des appartements occupés par des touristes provenant des sites comme air BNB.
[20] Dans le cas qui nous occupe, la locataire confirme non seulement qu’elle n’a pas avisé le locateur de cette situation, mais qu’elle n’a pas adhéré à une assurance responsabilité additionnelle pour couvrir les faits et gestes de ses clients.
[21] Dans le présent cas, il faut bien parler de client de la locataire, puisqu’en agissant comme elle le fait, elle fait des affaires avec des clients qui sont prêts à payer pour être hébergés.
[22] Or, que serait-il arrivé si ces clients avaient endommagé volontairement ou accidentellement le logement concerné. La réponse est facile à obtenir puisqu’il s’agit de logement à loyer modique. Ce sont les gouvernements qui doivent éponger ce genre de dépenses non prévues et surtout non désirées. En soi, cette responsabilité additionnelle des gouvernements constitue un grave préjudice.
[23] Le Tribunal partage les propos tenus dans la décision 9177-2541 Québec Inc. c. Li, (2016 QCRDL 8129, 2 mars 2016), laquelle analyse les impacts de cette façon de procéder à la sous-location :
« Il faut mesurer les tenants et aboutissants du phénomène nouveau, mais persistant et structurel, des locations ponctuelles via des sites spécialisés comme AIRBNB, site dont il est précisément question en l’espèce.
La location résidentielle obéit à un régime juridique strict, d’ordre public de protection et le locataire est la partie protégée, car considérée comme la plus vulnérable.
La société doit préserver, par ailleurs, la vigueur et l’équilibre du marché locatif et ceux-ci passent notamment par la santé financière des locateurs.
Lorsqu’une compagnie ou un individu choisit de devenir locateur, il est certes soumis à un ensemble d’obligations sévères et incontournables. Pour certains locateurs, la location vise à couvrir des frais récurrents ou bonifier une retraite.
D’autres locateurs sont des professionnels de la location résidentielle et ceux-ci recherchent, comme tout professionnel, une rentabilité certaine, voire optimale. Ce profil du locateur investi recherche le plus grand retour sur son investissement et cela à bon droit.
Lorsqu’un locataire pratique, sciemment et dans l’unique perspective de faire des profits, la sous-location, comme le permettent les sites spécialisés auxquels le locataire a eu recours, elle vise la même perspective que le locateur, mais sans se soumettre aux mêmes obligations que celui-ci, incluant les exemptions fiscales auxquelles il peut se soustraire ou les exigences d’assurances.
L’ordre public de protection du régime du louage résidentiel ne protège donc plus une partie vulnérable, mais une partie qui détourne cette protection et en abuse pour faire un profit personnel et parfois, très substantiel.
Le régime du louage résidentiel protège le droit au maintien dans les lieux du locataire et non ses visées financières du locataire, ni même ses difficultés financières qu’il tenterait de pallier via l’offre locative du locateur. Lorsqu’un locataire accepte de signer un bail comportant un loyer déterminé, il est présumé être apte à assumer ce paiement.
Si donc le Tribunal permettait le recours facile et systématique à cette pratique par les locataires, il y aurait débalancement de l’économie contractuelle, telle qu’entendue à l’origine par le législateur pour baliser les droits et obligations de chaque partie. Il y aurait également tentation chez les locateurs de se détourner de la voie locative résidentielle et opter pour un mode de location plus lucratif, mais exempté du contrôle voulu par le législateur.
Par ailleurs, le signal qu’envoient ces sous-locations très lucratives aux locateurs est que la valeur locative du logement ne représente pas celle du marché locatif, de sorte que son arrimage sera toujours à la hausse.
Certes, il s’agit là d’un effet pernicieux qui, cristallisé par la présente cause, n’est pas souhaitable ».
[24] Mais il y a plus que la sous-location, puisqu’en procédant à la location quotidienne à de purs inconnus provenant d’un site comme airBNB, la locataire se trouve changer la vocation du logement, ce qui est interdit en vertu de l’article 1856 du Code civil du Québec.
1856. Ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination du bien loué.
[25] La locataire qui obtient, vu sa condition financière, un logement subventionné par les gouvernements, ne peut se servir de ce logement afin de récolter des revenus additionnels qui ne lui appartiennent pas.
[26] En procédant à de la location quotidienne de chambres sur un site Internet comme airBNB, la locataire se trouve à changer la destination des lieux loués, puisque son logement ne devrait servir qu’à son usage personnel.
[27] Selon l’office québécois de la langue française faire affaire et faire des affaires se définit comme suit :
Les sens du nom affaires sont nombreux. Employé au pluriel, affaires a entre autres le sens « activités commerciales, économiques ou financières »; c’est ce sens qu’on a dans gens d’affaires, chiffre d’affaires, voyage d’affaires, etc. On dira également faire des affaires ou faire affaire (au singulier cette fois) avec une personne physique ou morale, avec le sens « traiter, conclure un marché ». Faire des affaires s’emploie aussi sans complément; cette expression signifie alors « faire du commerce, exercer une activité commerciale ».
[28] Il n’y a aucun doute dans l’esprit du Tribunal que le comportement de la locataire faisant en sorte qu’elle faisait des affaires puisqu’elle concluait un marché avec d’autres personnes pour les héberger en échange d’argent. L’expression mentionnée précédemment ne mentionne pas un délai minimum ou un montant minimum pour faire des affaires et ne mentionne pas non plus, qu’être en affaire veut dire être profitable.
[29] Agissant ainsi, indéniablement, elle a changé la destination du logement.
[30] Il n’y a aucun doute pour le Tribunal que le comportement de la locataire, en faisant de la location quotidienne pendant quatre mois, a fait subir un grave préjudice au locateur en contrevenant aux lois et règlements en vigueur, en hébergeant des gens totalement inconnus du locateur dont l’historique n’a pu être vérifié et que ceux-ci pouvaient faire un peu n’importe quoi, sans aucune responsabilité de leur part envers le locateur ou les voisins du logement concerné.
[31] La locataire précise que depuis qu’elle a reçu la procédure demandant la résiliation de son bail, elle a cessé immédiatement toute sous-location et s’engage à ne plus en faire.
[32] Elle savait que cette sous-location était interdite, mais elle avait besoin de ces quelques revenus pour être capable d’acquitter quelques dépenses indispensables pour elle.
[33] De plus, elle dit qu’elle a cessé ses activités, dès que le locateur lui a demandé.
[34] Le Tribunal aurait préféré entendre qu’elle avait cessé ses activités avant que le locateur lui en parle.
[35] C’est facile pour une personne qui agit dans l’illégalité de dire que de toute façon je voulais cesser immédiatement. Le Tribunal pense plutôt que tant que le locateur ne lui en avait pas parlé, celle-ci aurait continué d’agir dans l’illégalité en hébergeant des personnes provenant du site Internet airBNB.
[36] Elle demande au Tribunal d’être sympathique à sa cause et elle est prête à ce qu’une ordonnance soit émise contre elle, à l’effet qu’elle ne puisse plus faire aucune sous-location.
[37] Si le Tribunal donnait suite à la suggestion de la locataire, soit de ne pas résilier le bail mais plutôt d’émettre une ordonnance, le message qui serait perçu par les autres citoyens serait un message de tentative et d’essai.
[38] En effet, les gens se diraient, on peut essayer et au pire, si on se fait prendre, la seule conséquence sera un avertissement de ne plus recommencer. Et, comme ça peut prendre des mois et même des années avant de se faire prendre, il n’y a aucun risque et c’est une bonne façon de faire de l’argent rapidement, sans risque, sans investissement et surtout avec les biens de la collectivité.
[39] Ceci serait un très mauvais message envoyé aux autres locataires.
[40] Le Tribunal préfère l’approche plutôt dissuasive en résiliant le bail pour envoyer un message clair et sans équivoque aux autres locataires qui seraient tentés d’imiter la locataire de ne pas respecter les lois et règlements.
[41] Nous ne sommes pas ici dans un cas où la loi et les règlements pourraient donner à interprétation et que la locataire a agi ainsi en interprétant la réglementation de la mauvaise façon. Nous sommes dans une situation sans équivoque où la locataire a posé un geste qu’elle savait clairement qu’elle ne pouvait faire.
[42] Le Tribunal doit procéder à la résiliation du bail et étant donné les circonstances particulières de la locataire, le bail sera résilié à compter du 30 août 2018.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[43] RÉSILIE le bail de la locataire à compter du 30 août 2018;
[44] ORDONNE l’expulsion de la locataire et de toute autre personne pouvant se trouver dans le logement.
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Marc C. Forest |
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Présence(s) : |
le mandataire du locateur Me Luc Dion, avocat du locateur la locataire Me Mathieu Tshernish-Jourdain, avocat de la locataire |
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Date de l’audience : |
4 juin 2018 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.