Compagnie d'assurances Missisquoi c. Constructions Reliance inc. (Construction Reliance du Canada ltée) |
2018 QCCS 1049 |
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JC0BS9 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-082217-145 |
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DATE : |
19 mars 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHANTAL CHATELAIN, J.C.S. |
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LA COMPAGNIE D’ASSURANCE MISSISQUOI |
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Demanderesse |
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c. |
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LES CONSTRUCTIONS RELIANCE INC. et/ou LES CONSTRUCTIONS RELIANCE DU CANADA LTÉE |
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-et- |
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4076974 CANADA INC., faisant affaire sous la raison sociale J&K PEINTURE[1] |
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-et- |
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SOCIÉTÉ D’ASSURANCE GÉNÉRALE NORTHBRIDGE |
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Défenderesses/Demanderesses en garantie |
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c. |
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LA COMPAGNIE D’ASSURANCE TEMPLE |
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Défenderesse/Défenderesse en garantie |
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JUGEMENT |
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[1] Les Constructions Reliance du Canada Ltée[2] (Reliance) agit comme entrepreneur général pour le projet de construction des Lofts Wilson (Projet de construction des Lofts Wilson), un nouveau projet de condominiums dans le Vieux-Montréal situé au 1061, rue St-Alexandre à Montréal (l'Édifice des Lofts Wilson).
[2] Reliance fait appel à 4076974 CANADA INC. (J&K Peinture) à titre de sous-traitant pour les travaux de peinture.
[3] Le 14 novembre 2011, un employé de J&K Peinture heurte une tête de gicleur dans la cage d’escalier du 11e étage de l’Édifice des Lofts Wilson, causant un dégât d’eau important à l’immeuble.
[4] La Compagnie d’Assurance Missisquoi (Missisquoi) indemnise son assurée, le Syndicat Lofts Wilson, pour ses dommages. Étant subrogée aux droits de son assurée, Missisquoi se retourne maintenant vers les défenderesses et leur réclame solidairement la somme de 169 000,00 $[3], plus les intérêts et l’indemnité additionnelle.
[5] Les défenderesses sont Reliance, J&K Peinture et son assureur, Société d’assurance générale Northbridge (Northbridge), ainsi que La Compagnie d’assurance Temple (Temple). Le recours à l’encontre de J&K Peinture est suspendu vu sa faillite.
[6] Reliance, Northbridge et Temple nient toute responsabilité.
[7] D’abord, Reliance plaide qu’il n’y a pas de lien de droit contractuel entre elle et le Syndicat Lofts Wilson et que le recours à son encontre ne repose sur aucune assise juridique puisqu’elle n’a commis aucune faute extracontractuelle.
[8] Ensuite, Northbridge plaide qu’il y a absence de faute de la part de son assurée, J&K Peinture, de sorte que sa responsabilité ne peut être engagée.
[9] À tout événement, Reliance et Northbridge soumettent que seule Temple doit ultimement être tenue responsable des dommages causés. Elles invoquent le bénéfice de la couverture de la police d’assurance responsabilité de type « wrap up » émise par Temple (la police wrap up) visant les travaux de rénovation complétés à l’immeuble.
[10] Temple pour sa part nie sa responsabilité et plaide que le sinistre n’est pas couvert par la police wrap up puisque les travaux relatifs au projet, dont les travaux de peinture, n’étaient toujours pas complétés à la date du sinistre. À cet effet, il est admis que la police wrap up contient une exclusion quant aux dommages causés au projet assuré survenant pendant les travaux des assurés, mais prévoit une exception à cette exclusion pour couvrir un sinistre survenant lorsque les travaux sont « complétés » au sens où l’entend la police.
[11] Le Tribunal est d’avis que le recours de Missisquoi à l’encontre de Reliance et de Northbridge est bien fondé. Toutefois, le recours à l’encontre de Temple doit échouer. Les travaux de peinture ayant occasionné les dommages n’étaient pas complétés à la date du sinistre et il y a donc absence de couverture sous la police wrap. En effet, l’exception à l’exclusion n’était pas applicable à cette date.
[12] Au début de l’audition, les parties admettent les faits suivants :
a) Missisquoi assure le Syndicat Lofts Wilson pour les dommages pouvant être causés à l'Édifice des Lofts Wilson en vertu d’une police d’assurance portant le numéro 040016257[4];
b) Reliance agit comme entrepreneur général pour le Projet de construction des Lofts Wilson;
c) Reliance fait appel à J&K Peinture à titre de sous-traitant pour la fourniture de la main-d'œuvre, des produits, de l'outillage, de la machinerie et de l'équipement nécessaire à la réalisation des travaux de peinture;
d) le 14 novembre 2011, alors qu’un employé de J&K Peinture effectue des travaux de peinture au 11e étage, il heurte accidentellement une tête de gicleur, causant un dégât d’eau;
e) ayant indemnisé son assurée pour les dommages causés par le dégât d’eau, Missisquoi est subrogée dans les droits de son assurée à concurrence des indemnités versées;
f) Northbridge assure la responsabilité de J&K Peinture en vertu d’une police d’assurance portant le numéro CBC 0723639 01[5]; et
g) la valeur dépréciée de la réclamation de Missisquoi est de 169 000,00 $ en capital.
[13] La preuve révèle par ailleurs les faits additionnels qui suivent.
[14] En mars 2010, Temple émet la police wrap up portant le numéro WUT369757 qui couvre l’ensemble du Projet de construction des Lofts Wilson. Initialement, la police wrap up couvre la période du 22 mars 2010 au 22 juillet 2011. Temple prolonge la période de couverture à trois reprises aux termes des avenants n˚ 0008 du 29 juin 2011, n˚ 0011 du 13 janvier 2012 et n˚ 0012 du 1er février 2012. À la suite de ces prolongations, la période de couverture s’étend ainsi jusqu’au 1er mars 2012.
[15] Le 19 avril 2010, un contrat d’entreprise basé sur le contrat-type du CCDC (Comité canadien des documents de construction) intervient entre Reliance et 6983499 Canada Inc. (le Promoteur) relativement au Projet de construction des Lofts Wilson.
[16] Le 2 juin 2010, un contrat de sous-traitance intervient entre Reliance et J&K Peinture relativement aux travaux de peinture requis pour l’exécution du Projet de construction des Lofts Wilson.
[17] Selon ses termes, la police wrap up couvre notamment le Promoteur et Reliance à titre d’assurées désignées et J&K Peinture à titre d’assurée additionnelle.
[18] Le 21 juillet 2011, le Syndicat Lofts Wilson est constitué et la déclaration de copropriété prend effet.
[19] Les 31 août 2011 et 29 septembre 2011, l’architecte Marc Rasmussen émet des certificats d’achèvement substantiel partiels pour les espaces publics du sous-sol et pour le rez-de-chaussée. Les certificats d’achèvement substantiel sont des documents requis aux termes du contrat d’entreprise relatif à la construction du projet et servent notamment à enclencher divers droits et obligations des parties.
[20] À la suite d'une inspection effectuée en date du 29 septembre 2011, l’architecte Rasmussen émet le même jour un Certificat d’achèvement substantiel relativement à l’ensemble du Projet de construction des Lofts Wilson. Le Certificat prévoit que « les travaux décrits aux documents du marché ont été exécutés et que la construction est prête pour l'usage auquel elle est destinée ».
[21] Une liste des déficiences préparée par l’architecte Rasmussen en date des 28-29 septembre 2011 est jointe au Certificat d’achèvement substantiel. Des listes additionnelles sont également dressées en date des 3 octobre 2011, 27 octobre 2011, 17 novembre 2011, 15 décembre 2011, 18 décembre 2011 et 10 janvier 2012.
[22] Le 1er novembre 2011, Missisquoi émet sa police d’assurance au bénéfice du Syndicat Lofts Wilson. À cette même date, la police d’assurance chantier de Reliance de type Builder’s Risk échoit.
[23] Comme mentionné, le bris de la tête de gicleur donnant lieu au présent litige survient le 14 novembre 2011. Il est admis qu’à cette date, l’immeuble est substantiellement occupé par les copropriétaires.
[24] Est-ce que l’action principale de Missisquoi à l’encontre de Reliance et Northbridge est bien fondée?
[25] Est-ce que l’action principale de Missisquoi et l’action en garantie de Reliance et Northbridge à l’encontre de Temple sont bien fondées?
[26] Le contrat d’assurance constitue la loi des parties. Quand vient le temps de l’interpréter, il faut appliquer les règles générales d’interprétation des contrats qui se trouvent aux articles 1425 et suivants du Code civil du Québec, tout en favorisant l’interprétation qui paraît la plus conforme aux attentes des parties.
[27] La Cour suprême résume ainsi ces principes dans Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d'assurances générales Lombard[6] :
[22] Selon le premier principe d’interprétation, lorsque le texte de la police n’est pas ambigu, le tribunal doit l’interpréter en donnant effet à son libellé non équivoque et en le considérant dans son ensemble.
[23] Lorsque le libellé de la police d’assurance est ambigu, les tribunaux s’appuient sur les règles générales d’interprétation des contrats. Par exemple, les tribunaux devraient privilégier des interprétations qui sont conformes aux attentes raisonnables des parties, tant que le libellé de la police peut étayer de telles interprétations. Les tribunaux devraient éviter les interprétations qui aboutiraient à un résultat irréaliste ou que n’auraient pas envisagé les parties au moment où la police a été contractée. Les tribunaux devraient aussi faire en sorte que les polices d’assurance semblables soient interprétées d’une manière uniforme. Ces règles d’interprétation visent à lever toute ambiguïté. Elles n’ont pas pour objet de créer d’ambiguïté lorsqu’il n’y en a pas au départ.
[24] Lorsque ces règles d’interprétation ne permettent pas de dissiper l’ambiguïté, les tribunaux interprètent la police contra proferentem — contre l’assureur. Ce principe a pour corollaire que les dispositions concernant la protection reçoivent une interprétation large, et les clauses d’exclusion, une interprétation restrictive.
(Références omises)
[28] Plus récemment, dans l’affaire Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, la Cour suprême du Canada confirme que les principes d’interprétation énoncés dans l’affaire Progressive Homes sont toujours applicables. La Cour suprême précise également l’ordre généralement recommandé pour l’interprétation des polices d’assurance en ce qui a trait respectivement aux dispositions relatives aux garanties offertes, aux exclusions puis aux exceptions à ces exclusions le cas échéant[7] :
[52] Il importe également de garder à l’esprit les indications données par notre Cour dans Progressive Homes quant à l’ordre « généralement recommandé » pour l’interprétation des polices d’assurance (par. 28). L’affaire Progressive Homes concernait des polices d’assurance de responsabilité civile des entreprises et non des polices d’assurance chantier, mais les deux types de police partagent la même structure alternative, en ce sens qu’elles prévoient le type de garantie puis des exclusions précises, et certaines exclusions comportent des exceptions. En conséquence, l’assuré a le fardeau d’établir en premier lieu que le dommage ou la perte faisant l’objet de la réclamation relevait de la garantie initiale. Les parties aux présents pourvois ont concédé que les assurées s’étaient acquittées de ce fardeau (motifs du juge de première instance, par. 9). Il y a alors déplacement du fardeau de la preuve et l’assureur doit établir que l’une des exclusions de la garantie s’applique. S’il y parvient, le fardeau de la preuve se déplace à nouveau et il incombe à l’assuré de prouver qu’une exception à l’exclusion s’applique (voir Progressive Homes, par. 26-29 et 51). Contrairement à l’affirmation de la Cour d’appel au par. 26 de ses motifs selon laquelle l’exclusion et l’exception en l’espèce doivent être interprétées [traduction] « en symbiose », je ne vois aucune raison de déroger à l’ordre d’interprétation généralement reconnu pour analyser la police et la clause d’exclusion.
[29] Il ressort de ces explications que l’assuré a le fardeau d’établir en premier lieu que le dommage ou la perte relève de la garantie initiale. Ensuite, il y a déplacement du fardeau vers l’assureur sur qui repose le fardeau d’établir que l’une des exclusions de la police s’applique. Finalement, s’il y a une exception à cette exclusion, le fardeau d’établir cette exception à l’exclusion revient à l’assuré.
[30] L’action principale de Missisquoi est dirigée à l’encontre de Reliance, de Northbridge et de Temple. Toutefois, vu que l’action en garantie vise également Temple et que Missisquoi s’en remet à cet égard à la position des demanderesses en garantie, le Tribunal aborde dans un premier temps la réclamation à l’encontre de Reliance et Northbridge.
[31] Reliance plaide qu’il n’y a pas de lien de droit contractuel entre elle et le Syndicat Lofts Wilson, l’assurée de Missisquoi, de sorte que le fondement du recours de Missisquoi ne peut être qu’extracontractuel et reposer sur le régime de la responsabilité civile générale.
[32] Pour avoir gain de cause, en vertu du régime de la responsabilité civile générale consacré à l’article 1457 C.c.Q., Missisquoi doit prouver que Reliance a commis une faute de même que l’existence d’un dommage et d’un lien causal.
[33] Or, Reliance soumet que la poursuite de Missisquoi à son encontre doit échouer puisqu’elle n’a commis aucune faute, la tête de gicleur ayant été heurtée par un employé de son sous-traitant, J&K Peinture.
[34] Reliance a raison de plaider que sa responsabilité ne peut être retenue aux termes de l’article 1457 C.c.Q. puisque Missisquoi n’a pas plaidé ni prouvé que Reliance avait commis une faute pouvant engendrer sa responsabilité extracontractuelle.
[35] Toutefois, Missisquoi invoque deux fondements à son recours à l’encontre de Reliance.
[36] Premièrement, elle invoque l’article 1081 C.c.Q. qui permet à un syndicat de copropriété de poursuivre pour un vice caché, un vice de conception ou de construction ou un vice du sol :
1081. Le syndicat peut intenter toute action fondée sur un vice caché, un vice de conception ou de construction de l’immeuble ou un vice du sol. Dans le cas où les vices concernent les parties privatives, le syndicat ne peut agir sans avoir obtenu l’autorisation des copropriétaires de ces parties.
Le défaut de diligence que peut opposer le défendeur à l’action fondée sur un vice caché s’apprécie, à l’égard du syndicat ou d’un copropriétaire, à compter du jour de l’élection d’un nouveau conseil d’administration, après la perte de contrôle du promoteur sur le syndicat.
[37] Cette disposition constitue une exception à la règle suivant laquelle nul ne peut plaider pour autrui ainsi qu’à la règle énoncée à l’article 1440 C.c.Q. voulant que les contrats n’aient d’effet qu’entre les parties contractantes[8]. En somme, selon l’article 1081 C.c.Q., un syndicat peut poursuivre une personne même s’il n’est pas une partie au contrat ou n’a aucun droit de propriété dans l’immeuble visé.
[38] Selon Missisquoi, le dommage subi en l’espèce s’assimile à un vice de construction au sens de l’article 1081 C.c.Q.
[39] Le Tribunal ne peut adhérer à cette proposition.
[40] Bien qu’il faille interpréter libéralement l’article 1081 C.c.Q. afin d’en assurer l’efficacité[9], encore faut-il, aux termes de cette disposition, que l’objet de l’action concerne un vice caché, un vice de conception ou de construction de l’immeuble ou un vice du sol. Or, l’incident du 14 novembre 2011 ayant causé les dommages à l’immeuble ne constitue pas un vice au sens de l’article 1081 C.c.Q., ni ne découle d’un tel vice. Cette disposition n’est d’aucun secours à Missisquoi.
[41] Deuxièmement, se fondant sur l’article 1442 C.c.Q., Missisquoi plaide que les droits du Promoteur du Projet de construction des Lofts Wilson découlant du contrat de construction signé entre le Promoteur et Reliance ont été transmis au Syndicat Lofts Wilson :
1442. Les droits des parties à un contrat sont transmis à leurs ayants cause à titre particulier s’ils constituent l’accessoire d’un bien qui leur est transmis ou s’ils lui sont intimement liés.
[42] Selon Missisquoi, même en l’absence d’un lien de droit contractuel entre Reliance et le Syndicat, le recours qu’aurait pu entreprendre le Promoteur à l’encontre de Reliance en vertu du contrat peut l’être par le Syndicat ou, vu la subrogation, par Missisquoi.
[43] La plaidoirie de Reliance sur ce point est brève. Reliance ne conteste pas qu’un syndicat de copropriété puisse reprendre les droits d’un promoteur aux termes de l’article 1442 C.c.Q., mais plaide qu’il n’y a pas eu de transmission des droits en l’espèce puisque le syndicat n’était pas formé à la date de l’incident le 14 novembre 2011 et qu’il n’y avait pas eu transmission de l’Édifice des Lofts Wilson à cette date. Premièrement, cette prémisse est inexacte puisque le Promoteur a constitué l’Édifice des Lofts Wilson en copropriété aux termes de la déclaration de copropriété qui prend effet le 21 juillet 2011[10]. Également, selon la preuve, au 28 octobre 2011, l’immeuble est déjà occupé par plus de 80% des copropriétaires.
[44] Deuxièmement, il est exact qu’en principe, les ayants cause à titre particulier à qui bénéficie la transmission des droits sont des tiers à l'égard des contrats relatifs au bien ou au droit transmis par leur auteur. Ces ayants cause ne retirent en théorie aucun droit du contrat en cause. Toutefois, comme l’expliquent les auteurs Baudouin et Jobin, l’article 1442 C.c.Q. constitue une des exceptions au principe de la relativité des contrats[11] :
460 - Effets des contrats - L'ayant cause à titre particulier est celui qui reçoit de son auteur un droit ou un bien spécifique et déterminé soit entre vifs, soit à cause de mort. Ainsi l'acheteur, le cessionnaire, le légataire à titre particulier ou le donataire d'un bien sont tous considérés comme ayants cause à titre particulier. Contrairement aux héritiers universels ou à titre universel, ils ne continuent pas la personnalité juridique de leur auteur. En principe, les ayants cause à titre particulier sont des tiers à l'égard des contrats relatifs au bien ou au droit transmis par leur auteur ; ils n'en retirent donc pas de droits en théorie. Mais cette affirmation générale est de moins en moins vraie.
D'abord, il faut rappeler que, de tout temps, si le contrat passé par l'auteur lui confère des droits réels (par exemple une servitude en faveur du terrain vendu), ce contrat profite aux ayants cause à titre particulier avec la même étendue et les mêmes limitations, puisque, de par sa nature même, le droit réel suit le bien et est opposable à tous. Ensuite, on doit admettre que le principe souffre d'exceptions de plus en plus nombreuses et profondes en matière de droits personnels.
L'article 1442 du Code civil introduit la règle de la transmission aux ayants cause à titre particulier des droits personnels, acquis par l'auteur, s'ils constituent l'accessoire du bien qui leur est transmis ou s'ils lui sont intimement liés. Un tel droit peut résulter d'une obligation contractuelle ou légale. Sur ce point, la réforme du Code civil, s'inspirant de règles du droit de la consommation, a codifié et élargi la jurisprudence antérieure. Ainsi, la garantie de qualité, due par le fabricant, premier vendeur, est transmise à un sous-acquéreur. Aujourd'hui comme hier, la garantie de qualité, légale ou conventionnelle, due par un vendeur antérieur est transmise au sous-acquéreur et éventuellement à un sous-acquéreur subséquent. À nos yeux, la règle de l'article 1442 est destinée à jouer un rôle important pour la protection des sous-acquéreurs (recours contractuel direct) et à recevoir une interprétation large, car déjà dans le droit antérieur elle avait été appliquée même au crédit-preneur, qui pourtant n'est pas vraiment un sous-acquéreur. Cela dit, tout droit ne constitue pas nécessairement un « accessoire » du bien et il sera parfois délicat de tracer la ligne. De plus, la disposition vise les droits, non les obligations, sauf si l'obligation constitue la condition ou la contrepartie de l'exercice du droit (tel le paiement du prix d'un droit à des services).
Il n'en demeure pas moins que le mécanisme de l'article 1442 crée un droit de suite et rapproche ainsi de tels droits personnels des droits réels. Cette disposition, dite « règle de Kravitz », est complétée par des mécanismes comparables en matière de vente, de crédit-bail (art. 1845 C.c.Q.), et de sous-location (art. 1875 et 1876 C.c.Q.).
Dans d'autres cas, ce sont tous les droits et les obligations résultant d'un même contrat qui passent à l'ayant cause à titre particulier : on pense ici à l'aliénation du bien loué ou l'extinction du titre du locateur (par l'effet d'une clause résolutoire, par exemple, art. 1886-1887 C.c.Q.), à l'aliénation ou la « restructuration » d'une entreprise et à la transmission d'un contrat de service ou autre, tel celui en approvisionnement d'eau pour une terre agricole, à l'acquéreur du bien auquel profite directement ce service.
Pour des raisons sociales ou économiques valables, le droit moderne comporte donc de nombreuses et importantes exceptions à l'effet relatif des contrats, qui s'amenuise rapidement. Ajoutons que de tels liens sont établis ou devraient l'être entre des contrats qu'on peut identifier comme appartenant à un groupe de contrats - une notion qui remet en cause la distinction classique entre parties contractantes et tiers ainsi que la portée de l'effet relatif du contrat, et qui sera examinée plus loin.
(Nos soulignements)
[45] Dans Honeywell ltée c. 3096-4829 Québec inc., la juge Monast explique que l’article 1442 C.c.Q. est d’interprétation large et libérale et précise qu’il s’applique également en matière immobilière[12] :
[81] La doctrine et la jurisprudence développées depuis l’introduction de cet article dans le nouveau Code civil du Québec nous enseignent qu’il faut lui donner une interprétation large et libérale de manière à ne pas en restreindre indûment la portée.
[82] Bien qu’il s’agisse au départ d’une codification des règles de droit développées par la jurisprudence, en matière de transfert de garantie portant sur des biens meubles, la Cour d’appel a reconnu que cette disposition législative pouvait également trouver application en matière immobilière.
[83] Ainsi, il a déjà été décidé que le sous-acquéreur d’une maison pouvait bénéficier de la garantie contre les vices cachés qui avait été donnée par le constructeur à l’un de ses auteurs.
[84] Dans son ouvrage intitulé Les Obligations, l’auteur Vincent Karim mentionne que l’article 1442 C.c.Q. permet à l’acheteur d’un bien meuble ou immeuble de bénéficier des droits personnels du vendeur dans un contrat lorsque ces droits sont un accessoire du bien qui lui est transmis. Il peut dès lors exercer un recours directement contre le garant même si la garantie a été émise au bénéfice de son auteur :
«Cet article est de droit nouveau. Il codifie cependant une règle reconnue par la jurisprudence qui pose comme principe la transmissibilité, à l’ayant cause à titre particulier d’une partie contractante, des droits personnels qu’elle avait à l’encontre de son cocontractant, lorsque ces droits ont un lien intime avec le bien transmis ou qu’ils en sont l’accessoire. L’article 1442 C.c.Q. n’a pas pour effet d’exclure la transmission de droits personnels qui peut résulter de mécanismes telles la cession de créance, la subrogation personnelle ou la stipulation pour autrui.
Il faut donc conclure que l’ayant cause à titre particulier, comme n’importe quel tiers, ne peut bénéficier ni acquérir des droits résultant des contrats conclus par son auteur, lorsque ces droits sont sans rapport avec le bien ou le droit transmis. L’acheteur, le donataire, le cessionnaire ou le légataire à titre particulier sont tous considérés comme des ayants cause à titre particulier. Contrairement aux héritiers à titre universel, ces derniers ne continuent pas la personnalité juridique de leur auteur. Ils sont donc considérés comme des tiers à l’égard des contrats relatifs au bien transmis par leur auteur. Par contre lorsque ces droits personnels ont un lien intime avec le bien ou constituent un accessoire de celui-ci, l’ayant cause à titre particulier les reçoit aussi lors de la transmission du bien. Ainsi, le principe de transmission introduit par cet article permet à l’ayant cause de bénéficier des droits personnels de son auteur si ces droits constituent l’accessoire du bien qui leur est transmis ou qui lui sont intimement liés. Il faut donc se référer aux notions d’«accessoire» et de «lien intime» pour déterminer si l’ayant cause à titre particulier recevra les droits de son auteur […] [27]
[85] En l’espèce, Honeywell s’est portée garante de la qualité de ses services d’entretien et du bon fonctionnement des systèmes qui étaient couverts par le contrat de service D-3. Or, ces systèmes constituaient des accessoires du bien immeuble vendu à 3096 Québec et lui étaient intimement liés.
[46] Le Tribunal estime que le même raisonnement s’applique ici.
[47] Compte tenu des termes de la déclaration de copropriété prenant effet le 21 juillet 2011, l’article 1442 C.c.Q. permet au Syndicat de reprendre les droits du Promoteur relativement au contrat intervenu entre le Promoteur et Reliance et, plus particulièrement, de poursuivre Reliance quant aux manquements de son sous-traitant, J&K Peinture, pour les dommages découlant de l’incident du 14 novembre 2011. Il s’agit de droits intimement liés et indispensables à l’usage de l’Édifice des Lofts Wilson.
[48] Missisquoi poursuit Northbridge en vertu des articles 2501 et 2502 C.c.Q., vu la police d’assurance émise par Northbridge pour le compte de son assurée J&K Peinture.
[49] Selon ces dispositions, le tiers lésé (ici Missisquoi compte tenu de sa subrogation aux droits de son assurée) peut faire valoir son droit d’action contre l’assurée (J&K Peinture) ou l’assureur (Northbridge) :
2501. Le tiers lésé peut faire valoir son droit d’action contre l’assuré ou l’assureur ou contre l’un et l’autre.
Le choix fait par le tiers lésé à cet égard n’emporte pas renonciation à ses autres recours.
2502. L’assureur peut opposer au tiers lésé les moyens qu’il aurait pu faire valoir contre l’assuré au jour du sinistre, mais il ne peut opposer ceux qui sont relatifs à des faits survenus postérieurement au sinistre; l’assureur dispose, quant à ceux-ci, d’une action récursoire contre l’assuré.
[50] Il est admis qu’en vertu de la police d’assurance émise par Northbridge, cette dernière est solidairement responsable avec J&K Peinture des fautes commises par J&K Peinture. Il est également admis que le bris de la tête de gicleur a causé le préjudice en cause.
[51] La question qui se pose est de savoir si J&K Peinture a commis une faute en heurtant la tête du gicleur lors de l’exécution des travaux de peinture.
[52] Or, bien que Northbridge reconnaisse la survenance d’un fait accidentel, elle plaide que son assurée n’a commis aucune faute. Il ne s’agit selon Northbridge que d’un accident pour lequel personne n’est responsable.
[53] Le Tribunal ne peut accepter cet argument.
[54] Comme l’expliquent les auteurs Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, la faute correspond à la violation d’une obligation de moyens et s’apprécie en comparant la conduite de l’agent à celle d’une personne normalement prudente et diligente placée dans les mêmes conditions[13] :
1-193 - Modèle concret, modèle abstrait - Pour déterminer s'il y a faute, les tribunaux comparent la conduite de l'agent à une « conduite modèle ». L'agent commet une faute si sa conduite n'est pas conforme à ce standard ou à cet étalon de mesure.
[…]
1-195 - Critère du modèle abstrait - […] La faute civile extracontractuelle est constituée par l'écart séparant le comportement de l'agent de celui du type abstrait et objectif de la personne raisonnable, prudente et diligente, du bon citoyen (du « bon père de famille », disait-on auparavant). Ce modèle abstrait n'exige pas une infaillibilité totale de la conduite humaine et donc le comportement d'une personne douée d'une intelligence supérieure et d'une habileté exceptionnelle, capable de tout prévoir et de tout savoir et agissant bien en toutes circonstances. Ce serait, en effet, paralyser toute activité et faire peser sur chacun une responsabilité de tout instant. La personne est faillible et l'erreur est humaine. La société doit donc accepter, en principe, même si elle doit s'efforcer d'en pallier les effets économiques, la survenance d'« accidents » pour lesquels personne ne sera responsable, même si a posteriori une prudence extrême, une circonspection poussée, une habileté consommée auraient techniquement permis de les éviter. Jurisprudence et auteur sont unanimes à reconnaître que le point de comparaison doit avoir pour schème de référence une norme de conduite acceptée ou tolérée par la société. La faute, nous rappelait la Cour suprême, correspond à la violation d'une obligation de moyens. Chercher la faute revient donc à comparer la conduite de l'agent à celle d'une personne normalement prudente et diligente, douée d'une intelligence et d'un jugement ordinaires, et à se demander si elle aurait pu prévoir ou éviter l'événement qui a causé le dommage. Cette prévisibilité du préjudice n'a cependant pas à être absolue, mais relative ou raisonnable. Il ne s'agit pas d'obliger l'individu à prévoir tous les types d'accidents possibles, mais seulement ceux qui, dans les circonstances, sont raisonnablement probables. La notion de « bon père de famille », d'« honnête citoyen », de « personne prudente et diligente », de « personne raisonnable », varie selon des impératifs de temps et de lieu. Les changements sociaux, l'évolution des mœurs affectent la physionomie générale de ce modèle, constamment façonné par l'appréciation souveraine qu'en font les tribunaux, dans chaque cas particulier.
(Références omises; Nos soulignements)
[55] L’évaluation de la conduite de l’agent tient nécessairement compte de son activité propre au moment où le préjudice est causé[14] :
1-196 - Synthèse des critères - L'appréciation in abstracto ne signifie pas cependant que les tribunaux doivent complètement ignorer toute dimension concrète tenant à la personnalité de l'auteur du dommage dans l'appréciation de sa conduite. Il serait vain et injuste, par exemple, de comparer le comportement d'un enfant à celui d'un adulte. En outre, la conduite doit être évaluée en regard de l'activité propre de l'agent au moment où le préjudice a été causé. En d'autres termes, on doit replacer l'individu dans le cadre de l'emploi, de l'occupation, de la profession ou du travail qu'il exerçait alors. Ainsi, il serait vain, pour déterminer si un médecin ou un ouvrier a commis une faute, de prétendre comparer leur conduite à celle d'une personne prudente et diligente en général. Celle-ci, en effet, n'est pas nécessairement médecin ou ouvrier. La comparaison doit se faire entre la conduite du médecin et celle d'un médecin de même spécialité, prudent et diligent, de l'ouvrier et celle d'un ouvrier prudent et diligent, dans l'exercice normal de leurs activités respectives. C'est ainsi que la Cour d'appel a refusé d'évaluer le caractère fautif ou non de la décision d'une monitrice de ski de laisser des enfants redescendre la pente seuls en fonction de ce qu'aurait fait un parent raisonnable dans les mêmes circonstances, l'étalon de comparaison devant être celui de l'instructeur raisonnable.
(Références omises; Nos soulignements)
[56] Dans des circonstances normales, on s’attend d’un peintre professionnel qu’il ne heurte pas une tête de gicleur pendant l’exécution de ses travaux de peinture. Cela est d’autant plus vrai en l’espèce puisque le gicleur en cause était bien visible, ayant été recouvert d’un ruban vert afin d’éviter justement qu’il ne soit endommagé par la peinture.
[57] Par ailleurs, Northbridge n’a soulevé ou plaidé aucun fait extrinsèque pouvant expliquer le sinistre ni aucune cause d’exonération[15].
[58] Ainsi, le bris du gicleur ne peut constituer une simple erreur; il s’agit bel et bien d’une faute génératrice de responsabilité civile.
[59] En vertu de la police d’assurance émise par Northbridge, cette dernière doit couvrir la réclamation de Missisquoi pour les dommages causés au Projet de Lofts Wilson par son assurée J&K Peinture.
[60] Afin de trancher la question de savoir si la police wrap up émise par Temple couvre la réclamation de Missisquoi et des demanderesses en garantie, il y a lieu de décrire de façon sommaire les principaux éléments de la police wrap up émise en l’espèce.
[61] D’abord, la police wrap up est émise à la demande du Promoteur du Projet de construction des Lofts Wilson.
[62] Les assurés désignés (Named Insured) à la police sont le Promoteur et Reliance. Par ailleurs, tous les entrepreneurs, sous-traitants, ingénieurs et consultants en architecture sont désignés comme étant des assurés supplémentaires (Additional Insured). Il est ainsi admis que J&K Peinture est également assurée aux termes de la police wrap up.
[63] Le projet assuré (Insured Project) au sens de la police est le Projet de construction des Lofts Wilson.
[64] Quant à la période de couverture (Policy Period), la Déclaration du 10 avril 2010 relative à la police stipule qu’elle s’étend du 22 mars 2010 au 22 juillet 2011. Toutefois, la période de couverture initialement prévue à la Déclaration est par la suite amendée à trois reprises aux termes des avenants n˚ 0008 du 29 juin 2011, n˚ 0011 du 13 janvier 2012 et n˚ 0012 du 1er février 2012.
[65] Suivant l’avenant n˚ 0012, la période de couverture s’étend dorénavant jusqu’au 1er mars 2012. L’avenant se lit comme suit :
Policy Period Amendment
It is agreed that the expiry date of this policy is amended to read 01 March 2012, 00:01 a.m. local time at the address of the Named Insured stated in the Declarations, or date of acceptance of the project by the owner, whichever date shall first occur.
[66] La police précise que malgré l’expiration de la période de couverture, elle continue néanmoins à s’appliquer pour une période de 24 mois suivant la fin de la police en regard du « Completed Operations Hazard ». Le document récapitulatif intitulé « Declarations » joint à la police prévoit :
Completed Operations: As respects the Completed Operations Hazard, the policy shall nevertheless continue to apply for a period of 24 months following such date of termination.
[67] De façon générale, le risque lié au « Completed Operations Hazard » vise des dommages découlant des travaux des assurés, mais seulement s’ils surviennent après l’achèvement des travaux. Nous y reviendrons.
[68] La police wrap up couvre divers types de dommages résultant des travaux des assurés (Insured’s Work), dont des dommages matériels sous la couverture B :
PART I - INSURING AGREEMENTS
To pay on behalf of the Insured all sums which the lnsured shall become legally obligated to pay, or for any liability assumed by the Insured under Contract (as defined herein), for damages arising out of the Insured's Work in connection with the Insured Project, because of:
[…]
2. Coverage B - Property Damage (as defined herein)
[…]
(Nos soulignements)
[69] Il importe par ailleurs de noter la définition de l’expression Insured’s Work :
11. Insured’s Work
(a) Means:
(i) work or operations performed by the Insured or on the Insured’s behalf, and
(ii) materials, parts or equipment furnished in connection with such work or operations.
[…]
[70] En l’espèce, il est admis que le Insured’s Work au sens de la police couvre les travaux de peinture effectués par J&K Peinture.
[71] Ainsi, sous réserve des exclusions applicables, les dommages matériels résultant des travaux de peinture effectués par J&K Peinture sont en principe couverts par la police wrap up.
[72] Toutefois, comme il est d’usage, la police contient certaines exclusions, lesquelles comportent pour leur part des exceptions.
[73] La police wrap up contient une exclusion qui vise spécifiquement les dommages causés au projet assuré lui-même, à savoir le Projet de construction des Lofts Wilson :
PART VII - EXCLUSIONS
This policy does not apply to any liability:
[…]
2. Under Coverage B for:
lnjury to, or destruction of, or loss of use of:
[…]
(d) property of every kind and description either forming part of or to form part of the lnsured Project. This exclusion does not apply during any extension beyond the expiry date of this policy with respect to the Products Hazard and Completed Operations Hazard as defined herein;
(Exclusion)
(Nos soulignements)
[74] Il faut comprendre de cette clause que l’Exclusion s’applique durant la période de couverture de la police, à savoir jusqu’au 1er mars 2012 compte tenu de l’effet des avenants qui prolongent la période de couverture de la police.
[75] Toutefois, la police contient des exceptions à cette Exclusion, faisant en sorte que la police couvrira malgré tout les dommages causés au projet assuré, mais ce, uniquement si les conditions d’ouverture de ces exceptions sont satisfaites.
[76] La question au cœur du litige en l’espèce est de savoir si l’une ou l’autre des exceptions à l’Exclusion est applicable de sorte à enclencher la couverture d’assurance pour les dommages causés au Projet de construction des Lofts Wilson découlant de l’incident du 14 novembre 2011.
[77] Les exceptions à l’Exclusion visent notamment le risque désigné sous le vocable « Completed Operations Hazard » qui est défini comme suit sous le titre VIII de la police :
PART VIII- DEFINITIONS
[…]
3. Completed Operations Hazard
As used in this policy means liability arising out of the Insured’s Work in connection with the lnsured Project because of Bodily Injury or Property Damage, but only if such Bodily Injury or Property Damage results from an Occurrence after the Insured's Work has been completed or abandoned.
The Insured's Work shall be deemed completed at the earliest of the following times:
(a) when all of the Insured's Work to be performed under the Insured's Contract is completed;
(b) when all of the Insured's Work to be performed for the lnsured Project is completed;
(c) when that portion of the Insured's Work out of which the Bodily injury or Property Damage arises has been put to its intended use by other than another Contractor or Subcontractor engaged in performing operations for the Named lnsured as part of the same lnsured Project;
(d) when the Insured's Work has been accepted by or on behalf of the owner.
(Nos soulignements)
[78] Il ressort du libellé du premier alinéa de cette clause que les exceptions s’appliquent lorsque le Insured’s Work - en l’occurrence les travaux de peinture de J&K Peinture - est complété, i.e. « after the Insured's Work has been completed ».
[79] Le sens à donner à l’expression « after the Insured's Work has been completed » est prévu à l’alinéa 2 de cette clause. En effet, plutôt que de se référer uniquement au sens courant des mots, la police nous dicte à quel moment le Insured’s Work doit être réputé comme étant complété au sens de la police.
[80] En l’espèce, Reliance, Northbridge et Missisquoi invoquent les exceptions contenues aux paragraphes (c) et (d) de l’alinéa 2 de la clause 3 pour soutenir que la réclamation en cause est couverte par la police wrap up.
[81] Reliance, Northbridge et Missisquoi plaident que les travaux de peinture de J&K Peinture sont réputés complétés, au sens des paragraphes (c) et (d) de la police, dès le 29 septembre 2011 lorsque l’architecte Rasmussen émet le Certificat d’achèvement substantiel relativement à l’ensemble du Projet de construction des Lofts Wilson.
[82] Comme le sinistre survient le 14 novembre 2011, il en découle selon Reliance, Northbridge et Missisquoi que le sinistre a nécessairement lieu après que les travaux soient réputés complétés, et ce, même s’il reste des travaux contractuels de peinture à effectuer et des déficiences à corriger à cette date.
[83] Qu’en est-il ?
[84] D’abord, le Tribunal estime que l’exception contenue au paragraphe (d) n’est pas applicable. En effet, aucune preuve prépondérante ne supporte la prétention de Reliance, Northbridge et Missisquoi voulant que les travaux de peinture de J&K Peinture aient été acceptés par ou au nom du propriétaire, à savoir le Promoteur[16].
[85] Le Certificat d’achèvement substantiel est d’ailleurs émis au nom de Reliance, l’entrepreneur général, et non pas au nom du Promoteur.
[86] De toute manière, la preuve n’est pas faite non plus que Reliance ait accepté les travaux de J&K Peinture. En effet, rien ne suppose une équivalence entre le fait d’émettre le Certificat d’achèvement substantiel et le fait d’accepter les travaux de J&K Peinture. À preuve, malgré l’émission du Certificat d’achèvement substantiel, les listes de déficiences dressées par l’architecte Rasmussen à la suite de ses visites des 28-29 septembre 2011, 3 octobre 2011, 27 octobre 2011, 17 novembre 2011, 15 décembre 2011 et 18 décembre 2011 détaillent plusieurs travaux de peinture qui demeurent à être complétés ou corrigés.
[87] Finalement, même à supposer que les travaux de J&K Peinture aient été acceptés par Reliance, rien n’explique en quoi cette acceptation par Reliance tiendrait lieu d’acceptation par ou au nom du propriétaire.
[88] Voyons maintenant l’exception contenue au paragraphe (c).
[89] Il convient de citer à nouveau le libellé du paragraphe (c) qui précise à quel moment les travaux de J&K Peinture doivent être considérés comme étant réputés complétés :
The Insured's Work shall be deemed completed at the earliest of the following times:
[…]
(c) when that portion of the Insured's Work out of which the Bodily injury or Property Damage arises has been put to its intended use by other than another Contractor or Subcontractor engaged in performing operations for the Named lnsured as part of the same lnsured Project;
[…]
(Nos soulignements)
[90] Reliance, Northbridge et Missisquoi plaident que le Certificat d’achèvement substantiel du 29 septembre 2011 émis par l’architecte Rasmussen suffit à satisfaire la condition posée au paragraphe (c) puisque l’architecte atteste que les travaux décrits aux documents du marché, incluant les travaux de J&K Peinture, ont été exécutés et que la construction est « prête pour l’usage auquel elle est destinée ». Le Certificat se lit comme suit :
A la suite d'une inspection effectuée en date du 29 septembre 2011 et compte tenu des réserves éventuellement indiquées au paragraphe suivant, nous, soussignés, certifions par la présente, qu'au meilleur de notre connaissance, les travaux décrits aux documents du marché ont été exécutés et que la construction est prête pour l'usage auquel elle est destinée.
On trouvera ci-après les listes des travaux sous réserve de l'exécution desquels la présente fin des travaux est déclarée. Cette liste n'est pas nécessairement exhaustive et son inclusion dans le certificat ne peut avoir pour effet de dégager l'entrepreneur de ses obligations contractuelles.
(Nos soulignements)
[91] Les demanderesses en garantie font ainsi une adéquation entre, d’une part, l’attestation de l’architecte voulant que les travaux « ont été exécutés et que la construction soit prête pour l’usage auquel elle est destinée » et, d’autre part, le libellé du paragraphe (c) voulant que la condition y stipulée est satisfaite dès que les travaux de J&K Peinture « has been put to its intended use ».
[92] Selon le sens courant des mots, l’expression « has been put to its intended use » au paragraphe (c) peut se traduire librement par l’une ou l’autre des expressions suivantes :
a) les travaux sont mis en service aux fins prévues;
b) les travaux servent à l’utilisation prévue; ou
c) les travaux sont utilisés aux fins prévues.
[93] Or, tant et aussi longtemps que les travaux de peinture ne sont pas terminés et que les peintres sont à peinturer, il va de soi selon le Tribunal que ces travaux ne sont pas mis au service ou utilisés aux fins prévues.
[94] La situation serait-elle différente si les travaux de peinture qui demeuraient à effectuer en date du 14 novembre 2011 ne portaient que sur la correction de déficiences ?
[95] Monsieur Di Tomasso, le superintendant de Reliance affecté au projet à cette date, témoigne que les travaux de peinture étaient substantiellement complétés à cette date et qu’il ne restait que des déficiences à corriger.
[96] Toutefois, la preuve prépondérante ne permet pas de conclure de la sorte. Il appert plutôt de la preuve que malgré son titre, la « liste des déficiences » produite de façon périodique par l’architecte Rasmussen dressait la liste non seulement des déficiences, mais également de certains travaux à compléter aux termes des contrats applicables. Le Certificat d’achèvement substantiel comporte d’ailleurs une réserve en ce sens.
[97] Plus particulièrement, les listes datées du 29 septembre 2011 et du 17 novembre 2011 détaillent non seulement des déficiences à corriger, mais également plusieurs travaux de peinture qui demeurent à être complétés, et ce, sur plusieurs des étages de l’immeuble[17]. Ainsi, il est inconcevable que les travaux de peinture puissent être considérés comme étant complétés le 14 novembre 2011 lors de l’incident.
[98] De plus, lors de son interrogatoire préalable du 5 octobre 2015, M. George Maniatis, le chargé de projet de J&K Peinture, confirme qu’au moment du bris de la tête de gicleur, seuls 85% des travaux de peinture prévus au contrat intervenu avec Reliance sont complétés[18]. Il confirme également que les travaux de peinture effectués dans la cage d’escalier du 11e étage le 14 novembre 2011 consistaient en des travaux contractuels et non pas en de simples retouches[19]. M. Maniatis étant décédé avant l’audience, le Tribunal n’a que le bénéfice des notes sténographiques de son interrogatoire préalable. Néanmoins, le Tribunal n’a aucune raison de douter de la fiabilité et la crédibilité de son témoignage au préalable.
[99] De toute manière, que les travaux à compléter soient qualifiés de travaux contractuels comme le plaide Temple ou de simples déficiences à corriger comme le soumettent les demanderesses en garantie, il n’en demeure pas moins que des travaux de peinture non insignifiants étaient en cours et demeuraient à être complétés le 14 novembre 2011.
[100] Le fait que l’immeuble était déjà occupé à plus de 80% au 28 octobre 2011 n’y change rien selon le Tribunal. En effet, même si les travaux de peinture dans les portions privatives des unités de condominiums étaient complétés, tel n’était pas la situation dans l’ensemble des espaces communs et, plus particulièrement, dans la cage d’escalier du 11e étage où l’incident s’est produit. En ce qui a trait à cette portion des travaux, elle ne pouvait être considérée comme étant réputée complétée au sens de la police wrap up.
[101] Compte tenu du fardeau de preuve applicable, il appartenait aux demanderesses en garantie d’établir par prépondérance de preuve que les conditions des exceptions prévues aux paragraphes (c) et (d) étaient satisfaites.
[102] Le Tribunal estime que cette preuve n’a pas été faite.
[103] Il découle des conclusions du Tribunal que la police wrap up émise par Temple ne couvre pas la réclamation de la demanderesse Missisquoi relativement à l’action principale, ni la réclamation des demanderesses en garantie relativement à l’action en garantie.
[104] Vu les conclusions du Tribunal, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les autres arguments soulevés par Temple, dont (i) la question de savoir si les prolongations de la police wrap up les 1er novembre 2011, 1er janvier 2012 et 1er février 2012 impliquent nécessairement que l’exception « Completed Operations Hasard » à l’Exclusion de la police ne s’appliquait pas pendant ces prolongations; (ii) la question de savoir si la faillite de l’assurée de Northbridge, J&K Peinture, a une incidence quant à l’intérêt juridique suffisant de Northbridge pour intenter une action en garantie à l’encontre de Temple; et (ii) la question de savoir si Temple devait assumer les frais de défense tels que réclamés par Northbridge en regard de l’action principale.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[105] ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance ré-amendée;
[106] CONDAMNE les défenderesses Les Constructions Reliance du Canada Ltée et Société d’assurance générale Northbridge à payer conjointement et solidairement, la somme de 169 000,00 $, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 14 avril 2014;
[107] DÉCLARE, pour valoir entre les défenderesses Les Constructions Reliance du Canada Ltée et Société d’assurance générale Northbridge seulement, que la part de la défenderesse Les Constructions Reliance du Canada Ltée est 0%;
[108] REJETTE la requête introductive d’instance en garantie amendée;
[109] AVEC FRAIS DE JUSTICE.
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__________________________________ CHANTAL CHATELAIN, J.C.S. |
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Me François Haché |
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Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, s.e.n.c.r.l |
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Avocat de la demanderesse |
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Me François Barré |
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bélanger, sauvé, s.e.n.c.r.l |
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Avocat des Défenderesses / Demanderesses en garantie |
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Me Jean-François Landry |
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Me Geneviève Boisvert (en partie) |
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Me Attieha Rebecca Chamaa (en partie) |
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Clyde & Cie canada, s.e.n.c.r.l |
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Avocat de la Défenderesse / Défenderesse en garantie |
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Dates d’audition : 30 et 31 janvier et 1er février 2018 |
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Argumentation additionnelle : 5 et 8 février 2018 Mise en délibéré : 8 février 2018 |
TABLE DES MATIÈRES
I. APERÇU 2
II. CONTEXTE 3
III. QUESTIONS EN LITIGE 5
IV. ANALYSE 5
A. Principes applicables en matière d’interprétation et de fardeau de preuve 5
B. Action principale de Missisquoi à l’encontre de Reliance et Northbridge 6
1. Réclamation à l’encontre de Reliance 7
2. Réclamation à l’encontre de Northbridge pour les dommages découlant de la faute de son assurée J&K Peinture 11
C. Action principale et action en garantie à l’encontre de Temple 14
1. L’exclusion relative aux dommages causés au Projet lui-même et les exceptions à cette exclusion 16
2. Exceptions à l’Exclusion permettant d’enclencher la couverture d’assurance 17
[1] Les procédures à l’encontre de 4076974 CANADA INC. sont suspendues en vertu de l’article 69 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3.
[2] Bien que la demande introductive d’instance vise également Les Constructions Reliance Inc., la preuve ne permet pas d’établir son implication ou sa responsabilité en l’espèce. Ainsi, toute référence dans le présent jugement à Reliance ne vise que Les Constructions Reliance du Canada Ltée.
[3] Il s’agit de la valeur dépréciée de la réclamation de Missisquoi, laquelle se chiffrait initialement à 175 802,26 $.
[4] Pièce P-1.
[5] Pièce DT-2.
[6] Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d'assurances générales Lombard, 2010 CSC 33, par. 21-24.
[7] Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, par. 52.
[8] Syndicat de copropriété de Villa du golf c. Leclerc, 2015 QCCA 366, par. 58.
[9] Syndicat des copropriétaires du 900-906 Croissant du Jaseur c. Excavation Robert Hutchins inc., 2018 QCCQ 994, par. 40-44.
[10] Pièce P-24.
[11] Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, n˚ 460.
[12] Honeywell ltée c. 3096-4829 Québec inc., 2006 QCCS 1076, par. 82-85. Voir également Vincent Karim, Les obligations, 4e éd., vol.1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, no 2234-2237.
[13] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoit Moore, La responsabilité civile, Volume 1 - Principes généraux, 8e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 189-199.
[14] Id.
[15] Parent c. Lapointe, [1952] 1 SCR 376, 1952 CanLII 1 (SCC), p. 381.
[16] La police wrap up ne définit pas le terme owner. Le sens courant des mots et le contenu des contrats produits en preuve laissent toutefois supposer que le terme owner réfère au Promoteur, soit le propriétaire du projet.
[17] Pièce DT-4.
[18] Pièce DT-3, p. 25.
[19] Id., p. 28.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.