Régnier c. Revêtement RHR inc. | 2021 QCCQ 13685 | |||||||||
COUR DU QUÉBEC | ||||||||||
« Division des petites créances » | ||||||||||
CANADA | ||||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||||||
DISTRICT DE | IBERVILLE | |||||||||
LOCALITÉ DE | SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU | |||||||||
« Chambre civile » | ||||||||||
N° : | 755-32-009275-209 | |||||||||
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DATE : | 20 décembre 2021 | |||||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | LUC POIRIER, J.C.Q. | ||||||||
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JACQUES RÉGNIER | ||||||||||
Partie demanderesse | ||||||||||
c. | ||||||||||
REVÊTEMENT R.H.R. INC. IDÉAL REVÊTEMENT COMPAGNIE LIMITÉE | ||||||||||
Partie défenderesse | ||||||||||
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JUGEMENT | ||||||||||
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[1] Monsieur Jacques Régnier réclame 15 000 $ à Revêtement R.H.R. inc. (RHR) et Idéal Revêtement Compagnie Limitée (Idéal) suite à des problèmes de délaminage de la peinture de la toiture en acier installé par RHR et fabriquée par Idéal.
[2] Les défenderesses contestent la réclamation alléguant que ce délaminage résulte d’un usage abusif par monsieur Régnier.
QUESTIONS EN LITIGE
[3] La garantie de durabilité prévue à la Loi sur la protection du consommateur a-t-elle été respectée ?
[4] Quel est le montant à attribuer au demandeur en cas de réponse négative ?
CONTEXTE
[5] Monsieur Régnier est propriétaire d’un immeuble à Saint-Mathias-sur-Richelieu.
[6] À l’été 1999 il fait installer une toiture en acier peint par RHR. Le produit installé est vendu par Idéal alors que la tôle elle-même est fabriquée par la compagnie Arcelormittal Dofasco.
[7] Finalement le métal est peint par la compagnie Baycoat.
[8] Le produit est garanti par Idéal pendant 20 ans contre le délaminage (peeling).
[9] En juin 2017, monsieur Régnier constate le délaminage de la peinture. Il en informe RHR qui va voir la situation avec le représentant d’Idéal en juillet 2017.
[10] En 2018, c’est le représentant d’Arcelormittal qui se rend sur les lieux pour constater la situation.
[11] Il est admis que monsieur Régnier a fait sa réclamation à l’intérieur du délai de la garantie. Il est également admis qu’il y a eu du délaminage de la peinture. Il n’est cependant pas admis par les défenderesses que ce délaminage est de leurs responsabilités.
[12] Monsieur Régnier réclame 15 000 $ pour changer la tôle et installer du bardeau d’asphalte, ce qui règlera le problème. Selon la défenderesse, si la toiture devait être repeinte le coût serait de 3 $ le pied carré incluant les taxes soit une somme totale de 7 500 $. C’est donc dans ce contexte que le Tribunal doit décider du bien-fondé de la réclamation.
ANALYSE
La garantie de durabilité prévue à la Loi sur la protection du consommateur a-t-elle été respectée ?
[13] Le contrat intervenu entre monsieur Régnier et RHR est un contrat de consommation et soumis aux impératifs de la Loi sur la protection du consommateur. Les articles
«37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné. 38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.»
[14] La décision de Fortin c. Mazda Canada inc.[1] de la Cour d’appel constitue une décision de référence en ce domaine.
[15] Dans un premier temps, la Cour d’appel souligne qu’il appartient au consommateur de prouver le déficit d’usage sérieux ainsi que son ignorance de ce déficit au moment de la vente :
«[71] La gravité du déficit d’usage réside dans la diminution importante de l’utilité du bien au point où le consommateur ne l’aurait pas acheté ou n’aurait pas consenti à donner un si haut prix s’il avait connu l’usage réduit qu’il pouvait obtenir de ce bien. La doctrine résume ainsi les indices permettant de cerner cette notion : […] Pour décider si un vice est assez grave pour donner ouverture à la garantie, on ne considère pas seulement le coût de sa réparation par rapport à la valeur du bien : on regarde tous les aspects, dont notamment la baisse de la valeur marchande du bien, la diminution de son usage normal (déficit d’usage), les inconvénients, actuels et prévisibles, du vice pour l’acheteur, étant entendu que les attentes légitimes de l’acheteur sont plus grandes pour un bien neuf que pour un bien usagé – parfois une même lacune ne constitue pas un vice pour un bien passablement usagé alors qu’elle l’est pour un bien neuf.https://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2016/2016qcca31/2016qcca31.html?searchUrlHash=AAAAAQAMMjAxNiBRQ0NBIDMxAAAAAAE&resultIndex=1 - _ftn20 [73] Le consommateur doit également démontrer que le défaut lui était inconnu au moment de l’achat. Cette preuve n’est habituellement pas très exigeante, d’autant qu’en pratique il arrive souvent que ce soit le vendeur lui-même qui se charge de faire la démonstration contraire.»
[16] De plus, la Cour d’appel établit que le déficit n’a pas besoin d’enlever toute utilité au bien ou le rendre impropre à l’usage :
«[72] Il n’est cependant pas nécessaire que le déficit enlève toute utilité au bien ou rende son usage impossible. Seule la preuve d’une gravité suffisante au point de jouer un rôle déterminant sur la décision du consommateur s’avère nécessairehttps://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2016/2016qcca31/2016qcca31.html?searchUrlHash=AAAAAQAMMjAxNiBRQ0NBIDMxAAAAAAE&resultIndex=1 - _ftn21. Bref, le fabricant doit concevoir le bien en conservant à l’esprit les besoins et les objectifs de sa clientèle. Telle est la norme.»
[17] Cette citation est particulièrement importante en l’instance puisque le déficit dont se plaint monsieur Régnier est plus un déficit de nature esthétique puisque la toiture ne coule pas malgré le délaminage de la peinture. Il est cependant établit par la jurisprudence qu’un défaut esthétique peut constituer un vice comme c’est le cas en l’instance.
[18] Une fois la preuve du déficit d’usage faite et l’ignorance du consommateur de cet état, une présomption absolue de préjudice prend naissance.
[19] La Cour d’appel s’exprime ainsi quant à cette présomption établie par la Loi sur la protection du consommateur :
«[74] Une fois que le consommateur s’est déchargé de son fardeau d’établir ces deux éléments (déficit d’usage et ignorance du défaut), l’article […] La L.p.c. impose d’abord aux commerçants et aux fabricants un éventail d’obligations contractuelles de source légale. Ces obligations se retrouvent principalement au titre I de la loi. La preuve de la violation de l’une de ces règles de fond permet donc, sans exigence additionnelle, au consommateur d’obtenir l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art.
[20] La Cour du Québec dans la cause de Gaetan Poitras et Sylvie Couture c. Ford Canada Limitée[2] rappelle que le consommateur n’a pas à prouver la cause précise de la détérioration, ce fait propre appartenant au fabriquant.
«[29] Le fardeau de la preuve repose sur le fabricant en vertu de l’article
[21] En l’instance, le Tribunal considère que monsieur Régnier a prouvé le déficit d’usage sérieux de la toiture installée par RHR, soit le délaminage de la peinture et son ignorance. Dans les faits, il s’est écoulé environ 17 ans avant que monsieur Régnier ne constate la situation.
[22] Il appartient donc à partir de ce moment, au commerçant de prouver l’usage abusif par le consommateur.
[23] L’auteur Luc Thibaudeau, maintenant juge à la Cour du Québec dans son guide pratique sur la société de consommation s’exprime ainsi quant à la preuve de l’usage abusif.
«927. Exclusions – Usage abusif – Aussi, le paragraphe c) de l’article 161 reprend un principe bien connu dans le droit des garanties : l’usage abusif d’un bien n’est pas couvert par les garanties particulières de bon fonctionnement. En fait, l’usage abusif n’est pas couvert par quelque garantie que ce soit, légale ou conventionnelle. 928. Usage abusif – Fardeau – À ce titre, les principes généraux demeurent; il appartient au commerçant de démontrer l’usage abusif, par preuve prépondérante. Cette preuve pourra découler des agissements mêmes du consommateur lors de l’achat. Il n’est pas nécessaire de démontrer l’intention du consommateur pour réussir à démontrer l’abus : «[21] Pour ce qui est de l’adjectif abusif, il convient de référer au verbe abuser qui est ainsi défini dans le dictionnaire : 1- Faire mauvais usage de; 2- User de façon excessive. [22] Ainsi, il peut y avoir abus sans que la personne veuille délibérément faire un mauvais usage d’un véhicule ou en fasse un usage volontairement abusif; en ce sens, un conducteur est responsable des mauvaises manœuvres qu’il commet et qui peuvent affecter le fonctionnement d’un véhicule qui est par ailleurs en bon ordre. [23] L’abus n’est pas nécessairement le résultat d’actes délibérément mauvais ou téméraires. Un abus se mesure, pour l’application de l’exclusion, par le résultat ou l’impact d’une action humaine sur le véhicule automobile survenu suite à la manœuvre d’un conducteur et non pas en fonction de l’intention du conducteur d’endommager le véhicule quand il le conduit. Ainsi, une mauvaise manœuvre de conducteur, intentionnelle ou pas, peut constituer un usage abusif, dans le sens où cela implique une mise à l’épreuve excessive de la mécanique du véhicule automobile par le fait du conducteur, que ce soit intentionnel ou pas.» (soulignement ajoutés)
[24] La partie défenderesse prétend que monsieur Régnier aurait fait usage abusif du bien soit en grattant sa surface ou par l’usage de produit généré par la cheminée qui aurait causé une réaction avec la peinture.
[25] Il faut plus que des théories pour que la preuve prépondérante d’usage abusif reçoive application. Une simple supposition ne permet pas de prouver la faute du demandeur.
[26] La preuve ne révèle cependant pas qu’il s’agisse d’un usage abusif de la part de monsieur Régnier.
[27] Bien que des analyses aient été faites par la compagnie Baycoat, le Tribunal doit accepter ces analyses avec beaucoup de prudence. En effet, Baycoat est une partie impliquée dans la fabrication du revêtement de toiture. En effet c’est elle qui applique la couche de peinture après qu’Accelormittal ait procédé à sa fabrication et qu’elle ait apposé la fine couche de zinc qui rend le panneau d’acier galvanisé et ainsi inoxydable.
[28] En l’absence d’une preuve concrète de l’implication de monsieur Régnier, qui soit dit en passant nie tout geste qui lui soit reproché quant à l’usage fait de sa toiture, le Tribunal doit considérer que le demandeur a fait la preuve du bien-fondé de sa réclamation et que la partie défenderesse n’a donc pas respecté sa garantie de durabilité.
Quel est le montant à attribuer au demandeur en cas de réponse négative ?
[29] Monsieur Régnier a fait inspecter sa toiture par monsieur Larry O’Shaughnessy qui a fait un rapport (pièce P-4).
[30] La conclusion de monsieur O’Shaughnessy est à l’effet que pour corriger la toiture, il faut soit remplacer les panneaux d’aciers existants ou repeindre les panneaux.
[31] L’option de remplacer la toiture par d’autres panneaux d’aciers est mise de côté par monsieur Régnier. Ce dernier, réclame 15 000 $ pour installer des bardeaux d’asphalte en remplacement des panneaux existants.
[32] Comme l’indique monsieur Larry O’Shaughnessy il en coûtera en 10 000 $ et 15 000 $ pour faire ce travail.
[33] L’architecte envisage la possibilité de repeindre la toiture mais met rapidement de côté cette option se basant sur une estimation orale qu’aurait obtenue monsieur Régnier à l’effet qu’il en coûterait 35 000 $ pour repeindre la toiture.
[34] Le Tribunal ne peut cependant admettre cette preuve puisque l’évaluation de monsieur Larry O’Shaughnessy est faite sur la base de ouï-dire obtenue par le propriétaire monsieur Régnier. Cette preuve est non admissible.
[35] Le Tribunal a cependant entendu le représentant d’Idéal, qui a une connaissance personnelle du coût pour repeindre une toiture soit à 3 $ le pied carré incluant les taxes. Cette connaissance lui vient d’autres dossiers qui ont été réglés par Idéal à ce coût. Si le Tribunal retient cette position c’est un montant de 7 500 $ auquel aurait droit monsieur Régnier.
[36] En général le Tribunal doit, lorsqu’il procède à évaluer des dommages résultants de vices, appliquer une dépréciation pour tenir compte de l’usage qui a déjà été fait. En effet, remplacer un bien usagé par un bien neuf, amènerait un changement au niveau de l’expectative de durabilité du nouveau bien alors que le bien remplacé avait déjà une partie de sa vie utile de passé.
[37] Le Tribunal retiendra l’option de la peinture au montant de 7 500 $. Aucune diminution ne sera appliquée puisque dans un premier temps, ce processus n’aura aucun effet sur la durabilité du produit. Il ne fera en sorte que de remettre la toiture dans un état comme elle aurait dû être à ce moment.
[38] Si le Tribunal avait opté pour le remplacement de la toiture par du bardeau d’asphalte la même conclusion se serait appliquée, puisque le produit de remplacement n’aurait aucun effet sur la longévité du bien.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[39] ACCUEILLE partiellement la réclamation de monsieur Jacques Régnier;
[40] CONDAMNE solidairement les défenderesses Revêtement R.H.R. inc. et Idéal Revêtement Compagnie Limitée à payer à la partie demanderesse, monsieur Jacques Régnier la somme de 7 500 avec intérêt au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[41] AVEC frais de justice contre les défenderesses.
[42] CONDAMNE Idéal Revêtement Compagnie Limitée à payer à Revêtement R.H.R. inc. toutes sommes que cette dernière serait amenée à payer à monsieur Jacques Régnier en exécution du présent jugement tant en capital, intérêt et frais.
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| __________________________________ LUC POIRIER, J.C.Q. |
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Date d’audition : 30 novembre 2021
[1] Lise Fortin c. Mazda Canada inc.,
[2] Gaetan Poitras et al c. Ford Canada Limitée,
AVIS :
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