Université de Montréal c. Ménard | 2025 QCCS 3261 |
COUR SUPÉRIEURE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL
Nº : 500-17-124015-234
DATE : 11 septembre 2025
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE IAN DEMERS, J.C.S.
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL
Demanderesse
c.
Me jean-guy MÉNARD, ès qualité d’arbitre de griefs
Défendeur
et
SYNDICAT GÉNÉRAL DES PROFESSEURS ET PROFESSEURES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL (S.G.P.U.M.)
Mis en cause
JUGEMENT
SURVOL
- Pendant près de 20 ans, les professeurs de la Faculté de droit de l’Université de Montréal ont bénéficié d’une prime représentant 25 % de leur salaire de base. La prime avait pour objectif de recruter et retenir les meilleurs enseignants et chercheurs. Bien que le corps professoral en ait été le seul instigateur, l’Université en a autorisé le versement sans exception au moment de l’embauche et tous les cinq ans par la suite.
- À des fins d’uniformité et d’équité, l’Université a annulé la prime, l’a remplacée par une prime pour contribution exceptionnelle et une prime d’attraction encadrées par une directive. Comme l’indique le titre des nouvelles primes, seuls certains professeurs y ont droit, un changement substantiel pour les professeurs de la Faculté de droit.
- Le Syndicat général des professeurs et professeurs de l’Université de Montréal a contesté l’application de la directive aux professeurs de la Faculté de droit via deux griefs collectifs et 34 griefs individuels. Au terme de 10 jours d’audience, l’arbitre a conclu qu’il avait compétence à l’égard du litige, l’Université avait illégalement annulé la prime de la Faculté de droit et les professeurs avaient droit à son versement rétroactif.
- Essentiellement, l’Université reproche à l’arbitre d’avoir instruit un litige ne relevant pas de la convention collective et excédé son rôle en créant une condition de travail. Elle estime que l’abolition de la prime de la Faculté de droit relève de son pouvoir de direction uniquement.
- Une lecture attentive des motifs de la décision de l’arbitre révèle qu’au contraire, il s’est concentré sur la convention collective. Il a conclu que le litige portait sur le droit des professeurs à une prime individuelle, un des deux éléments du traitement annuel tel que le définit l’art. RE1.01 de la convention, puis que le versement systématique de la prime avait créé un droit à une prime individuelle dont la modification devait être négociée.
- L’analyse exhaustive de l’arbitre repose sur la convention collective et la preuve; elle ne révèle aucune erreur de droit. L’Université la désapprouve, mais n’a pu démontrer en quoi elle ne se tient pas. Le pourvoi en contrôle judiciaire qu’elle a interjeté contre la décision de l’arbitre sera rejeté.
- Le pourvoi de l’Université soulève les questions en litige suivantes :
- La compétence de l’arbitre et le rattachement de la prime à la convention collective sont-ils contrôlés selon la norme de la raisonnabilité?
- L’arbitre a-t-il conclu déraisonnablement que la prime de la Faculté de droit a un lien avec la convention collective?
- L’arbitre a-t-il conclu déraisonnablement que l’Université ne peut abolir la prime de la Faculté de droit unilatéralement?
1. La compétence de l’arbitre et le rattachement de la prime à la convention collective sont-ils contrôlés selon la norme de la raisonnabilité?
- Avec raison, les parties soutiennent que la décision de l’arbitre doit être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité.
- La norme de contrôle marque le degré de déférence qu’un tribunal doit observer à l’égard du jugement ou de la décision d’un tribunal ou un décideur subordonné, qu’il soit judiciaire ou administratif, et des motifs qu’il a rendus.
- La norme de la raisonnabilité s’applique à moins que le législateur ait imposé une autre norme ou la norme de la décision correcte soit exigée par la primauté du droit[1].
- Le contrôle de la raisonnabilité comporte deux caractéristiques essentielles. Il est empreint de déférence envers la décision ou les motifs du décideur à qui la loi a confié la responsabilité de trancher une affaire[2] tout en préservant la primauté du droit[3]. Le tribunal doit s’assurer que « [l’]exercice de l’autorité publique procède de la loi » et respecte « la loi habilitante, la common law, le droit civil ou la Constitution »[4].
- La compétence matérielle, qui permet de déterminer si un tribunal ou un décideur est le forum approprié pour trancher une question et si la loi lui attribue les pouvoirs qu’il a exercés, obéit à la même norme. Comme les autres questions qui lui sont soumises, la compétence exige qu’il interprète et applique sa loi habilitante[5].
- Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible et se défend, vu les règles de droit applicables (contraintes juridiques) et les faits (contraintes factuelles)[6]. Tant le dispositif que les motifs de la décision doivent être raisonnables[7]. Le demandeur doit soulever des lacunes ou des insuffisances importantes démontrant le contraire[8].
- Le contrôle se concentre d’abord sur les motifs du jugement ou la décision[9]. Les motifs sont examinés globalement[10], c.-à-d. en tenant compte du dossier et du contexte juridique et factuel de l’affaire[11]. Ils sont raisonnables s’ils exposent un raisonnement rationnel et logique[12] et abordent les éléments importants comme les règles de droit faisant partie du cadre normatif[13], les arguments invoqués par les parties et les faits prouvés qui peuvent avoir une incidence sur le dispositif du jugement ou de la décision contestée[14]. Ils ne sont pas déraisonnables parce qu’ils ne traitent pas tous les aspects d’un dossier[15].
- Les motifs déraisonnables n’expliquent pas le dispositif de la décision ou omettent d’exposer le raisonnement du décideur sur un point central, p. ex. lorsqu’ils reproduisent le libellé de la loi et résument les arguments des parties avant de formuler une conclusion péremptoire; ils comportent une faille logique décisive; ou encore ils exposent une logique irrationnelle, tautologique, fondée sur des faux dilemmes, des généralisations infondées ou une prémisse absurde[16]. Le tribunal de contrôle ne peut les réécrire pour les rendre raisonnables bien que, dans certaines circonstances, il puisse les compléter pour éclaircir un élément que le décideur n’a pu traiter, faute des parties de le lui avoir soumis[17].
- Les contraintes juridiques et factuelles sont classifiées uniquement pour permettre un contrôle mieux structuré. L’examen peut reposer sur le régime législatif, des règles de droit connexes (p. ex., common law, droit international), les principes d’interprétation des lois, la preuve administrée, les représentations des parties, les pratiques du décideur, ses décisions antérieures et l’incidence de la décision sur le demandeur. Selon le contexte, leur importance varie[18].
- Malgré sa nature déférente, le contrôle judiciaire selon la norme de la raisonnabilité demeure rigoureux[19]. Cela dit, la rigueur de l’examen ne permet pas au tribunal de rendre la décision qui aurait dû être rendue ou trancher lui-même les questions en litige à moins d’une situation exceptionnelle[20].
2. L’arbitre a-t-il conclu déraisonnablement que la prime de la Faculté de droit a un lien avec la convention collective?
- La présente affaire met seulement en cause la compétence matérielle de l’arbitre. La compétence personnelle, ou à l’égard des parties au litige, n’est pas contestée[21]. La compétence résiduelle de la Cour supérieure n’est pas invoquée non plus[22].
- L’Université avance un syllogisme en apparence imparable : seules les conditions de travail expressément prévues à la convention collective peuvent faire l’objet d’un grief; la prime de la Faculté de droit n’est pas inscrite dans la convention collective; l’annulation de la prime ne peut faire l’objet d’un grief. En vertu de son pouvoir de direction, l’Université pourrait ainsi maintenir, modifier ou abolir la prime sans l’accord du Syndicat.
- Un syllogisme présente parfois le défaut de sa qualité : d’une grande simplicité, il peut devenir simpliste quand il ne simplifie pas à outrance. Celui qu’avance l’Université ignore une jurisprudence constante depuis plus de 30 ans sur l’interprétation libérale de la compétence exclusive d’un arbitre. L’arbitre y a raisonnablement préféré l’énoncé de principe de l’arrêt St. Anne Nackawic Pulp and Paper Co. Ltd. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier[23], la démarche désormais classique élaborée dans l’arrêt Weber c. Ontario Hydro[24] et la jurisprudence subséquente, qui l’a réitérée infailliblement depuis[25].
- Sur la question de la compétence, le texte de l’art. RE1.01, qui définit le traitement annuel comme incluant une prime individuelle, permettait à l’arbitre de conclure que le litige se rattachait suffisamment à la convention collective pour qu’il instruise les griefs.
2.1. L’arbitre a conclu que le litige était arbitrable en raison du lien de la prime avec la convention collective
- Pour les motifs suivants, l’arbitre a rejeté l’argument de l’Université selon lequel il n’avait pas compétence à l’égard de l’annulation de la prime[26] :
- La jurisprudence favorise la compétence exclusive étendue de l’arbitre;
- Un arbitre a compétence dans la mesure où le litige porte sur une condition de travail liée à une convention collective; autrement dit, si son essence « découle expressément ou implicitement de l’interprétation, l’application, l’administration ou l’exécution de la convention collective »[27];
- Les articles RC1.10, RC7.04 et RC7.11 de la convention collective peuvent donner à penser qu’un grief est arbitrable « s’il fait état d’une mésentente ‟reliée” à une condition de travail ‟prévue” à la convention collective »[28];
- La prime n’est pas expressément prévue dans la convention collective, mais plusieurs dispositions renvoient à des primes individuelles, dont la définition de « traitement annuel »; le « litige dans son essence n’est assurément pas sans lien avec le contenu de la convention collective »[29].
2.2. L’arbitre pouvait raisonnablement conclure que la prime de la Faculté de droit a un lien avec la convention collective
- Un grief, qui se définit comme « toute mésentente relative à l’interprétation ou à l’application d’une convention collective »[30], doit être soumis à l’arbitrage; il relève de la compétence exclusive de l’arbitre[31]. L’arbitrage suit la procédure inscrite à la convention collective ou, à défaut, prévue par la loi[32].
- La détermination de la compétence est régie par une démarche à deux étapes. À la première, l’arbitre doit cerner l’essence du litige, c’est-à-dire sa nature juridique et tous les faits l’entourant. À la deuxième, il détermine si le contexte factuel qu’il a décrit à l’étape précédente « entre dans le champ d’application de la convention collective », c’est-à-dire « si la convention collective vise implicitement ou explicitement les faits en litige »[33]. Cette exigence doit être interprétée et appliquée libéralement[34].
- L’Université plaidait, et plaide encore, que les art. RC1.10, RC7.04 et RC7.11 de la convention collective écartent la démarche en faveur d’une analyse littérale. Conclure autrement permettrait à l’arbitre de contrevenir d’ajouter à la convention collective, ce que l’art. RC7.13 interdit expressément :
RC1.10 Grief : désigne toute mésentente entre l’Université et le Syndicat, un professeur ou un groupe de professeurs, relative à l’interprétation ou à l’application de la convention collective.
RC7.04 La formulation du grief doit mentionner les clauses de la présente convention collective qui y sont invoquées
Dans le cas de mésententes reliées aux conditions de travail autres que celles prévues à la convention collective, le professeur dépose une plainte au Bureau du personnel enseignant.
RC7.11 Dans les cas de mésententes reliées aux conditions de travail autres que celles prévues à la convention collective, la décision de l’Université est finale et les dispositions qui suivent de la présente procédure de règlement des griefs et arbitrage ne s’appliquent pas.
- À leur face même, les art. RC1.10 et RC7.11 reprennent la définition législative du grief et l’art. 102 du C.t., qui encadre le règlement d’une mésentente qui ne peut faire l’objet d’un grief. L’arbitre pouvait les interpréter à la lumière de la démarche classique sans les dénaturer. Il n’était pas tenu de traiter l’art. RC7.13 et la liberté contractuelle qui préside à la conclusion d’une convention collective, qui relèvent de la raisonnabilité des motifs et de la décision. Ces éléments seront analysés dans la section 3.
- Il est vrai que l’arbitre a qualifié le litige de « mésentente ». Mais avant de conclure que le Syndicat avait déposé des « griefs », il devait d’abord conclure à une mésentente : tant l’art. 1f) du C.t. que l’art. RC1.10 définissent le « grief » ainsi.
- Une simple lecture de l’art. RE1.01 de la convention collective permet de constater qu’une prime individuelle est une condition de travail prévue par la convention collective. Il dispose :
RE1.01 Le traitement annuel du professeur se compose d’un salaire de base et, le cas échéant, d’une prime individuelle.
- Rien dans le texte de l’art. RE1.01 ne restreint la prime individuelle à celle incluse ailleurs dans la convention collective[35]. L’arbitre pouvait y inclure toute prime individuelle, mentionnée expressément ou non, sans pour autant dénaturer le texte de l’art. RE1.01.
- Le point de rattachement consiste en deux mots, mais n’en est pas moins suffisant. Les termes « prime individuelle », accolés à l’expression « salaire de base », permettent d’en déduire qu’ils s’y ajoutent pour former le traitement annuel lorsqu’ils sont accordés à chaque professeur et non à tous les professeurs indistinctement.
- C’est principalement sur ce point que la présente affaire se distingue de l’affaire Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal (SPGUM) c. Lévesque[36]. Le litige, mû entre les mêmes parties qu’en l’espèce, portait sur le droit des professeurs à un dégrèvement pour encadrement aboli entièrement par la convention collective en vigueur au moment du grief. Partant, la convention ne fournissait aucun point de rattachement permettant à l’arbitre d’exercer sa compétence à l’égard du grief portant sur le droit à un dégrèvement en vertu de la convention collective précédente.
- La conclusion de l’arbitre n’est pas désincarnée. Au contraire, il a décrit avec force détails l’attribution de la prime et l’assentiment de l’Université, ainsi que le contexte qui a précédé l’adoption de la directive[37]. Une lecture globale des motifs révèle qu’il a abordé les deux thèmes de façon encore plus approfondie dans la section portant sur la pratique créatrice de droit. Il est difficile, voire impossible de conclure que l’arbitre en a fait fi dans son analyse de la compétence.
- L’argument de l’Université selon lequel l’arbitre s’est attribué une compétence ne reposant pas sur une disposition de la convention collective est purement sophistique. La prime de la Faculté de droit n’a pas été négociée, mais les parties ont convenu d’inclure la « prime individuelle » dans la définition du traitement annuel. Il importe peu que le texte de la convention collective ne permette pas de déterminer à quelles conditions la prime de la Faculté de droit peut être attribuée. Conclure autrement reviendrait à subordonner la compétence de l’arbitre à l’exhaustivité de la convention collective alors que le litige s’y rattache explicitement ou implicitement.
- Puisque le contenu explicite de la convention collective constitue raisonnablement un point de rattachement avec la prime de la Faculté de droit, il n’est pas nécessaire de déterminer si le contenu implicite ou la matière de la convention collective peut constituer un point de rattachement également.
3. L’arbitre a-t-il conclu déraisonnablement que l’Université ne peut abolir la prime de la Faculté de droit unilatéralement?
- Essentiellement, les arguments de l’Université quant à la raisonnabilité recoupent ses arguments portant sur la compétence. L’absence de point de rattachement mis à part, elle n’identifie aucune erreur dans le raisonnement de l’arbitre qui rendrait la décision ou les motifs déraisonnables. Partant, la présente affaire se distingue des cas où un arbitre a refusé de reconnaître l’existence d’une pratique contraignante en l’absence de point de rattachement à la convention collective et conclu à l’exercice d’un pouvoir de direction[38].
3.1. L’arbitre a conclu que l’attribution systématique de la prime avait créé une condition de travail
- Sur le fond, les motifs de l’arbitre abordent trois thèmes : la prime de la Faculté de droit, la directive qui l’a abolie et la préclusion par représentation.
- À l’audition du grief, les parties ont déposé les statuts de l’Université, la convention collective 2017–2022 et fait comparaître dix témoins, dont plusieurs professeurs qui ont occupé des postes de direction.
- L’arbitre a décrit la prime de la façon suivante[39] :
- Les professeurs l’ont appliquée avec l’assentiment de l’Université pendant 18 ans; elle n’a pas été négociée entre l’Université et le Syndicat;
- L’objectif de la prime était de recruter et retenir les meilleurs professeurs et les inciter à s’impliquer activement dans la vie universitaire; elle se déclinait en prime de marché et prime d’excellence;
- La prime de marché était accordée automatiquement au professeur adjoint à son embauche; elle devenait une prime d’excellence, accessible sur demande et toujours accordée si le professeur satisfaisait aux exigences d’enseignement, de recherche, d’administration et de rayonnement; elle était également accordée au moment de l’agrégation ou du titulariat, qui est en soi une reconnaissance de l’atteinte des exigences;
- L’attribution d’une prime était recommandée au décanat par le Comité des pairs, puis le vice-recteur aux ressources humaines en autorisait le versement pour une durée de cinq ans; elle a été refusée une seule fois, puis accordée sur révision du dossier du professeur; elle n’était discrétionnaire qu’en principe;
- La prime, d’une valeur de 25 % du salaire de base, s’y ajoutait pour former le traitement annuel; elle a permis à la Faculté de droit d’atteindre ses objectifs;
- La prime ne constituait pas une condition de travail pérenne au même titre que les primes de profession d’une durée indéterminée consenties aux médecins.
- Au mois de juin 2015, l’Université a revu les primes de tous les départements. Elle a adopté la directive quatre ans plus tard. L’arbitre a brossé le portrait du processus de révision dans les termes suivants[40] :
- L’objectif de la révision était d’implanter un système de primes, transparent, équitable et uniforme, la situation actuelle étant jugée « préoccupante », d’autant que les primes n’étaient pas incluses dans le rapport transmis à la Commission de l’équité salariale; avant la révision, environ 20 % des professeurs touchaient des primes d’une durée de cinq ans ou moins;
- La prime accordée aux professeurs de la Faculté de droit et renouvelée en 2015 a été respectée jusqu’à son échéance; chaque année à compter de 2016, la durée de la prime a été réduite pour que toutes les primes prennent fin le 31 mai 2020;
- L’Université s’est opposée à l’ajout de la prime dans la convention collective 2017–2019, notamment via une clause de droits acquis;
- Le 1er juin 2020, la directive est entrée en vigueur; elle prévoyait la mise en place de deux primes — contribution exceptionnelle et attraction — et une période de transition, dite de « lissage », qui permettrait de maintenir le traitement global des professeurs jusqu’en 2025; les primes de mandat, de chaire, conventionnées ou accordées en médecine n’ont pas été modifiées; au final, seuls les professeurs de la Faculté de droit en ont subi les contrecoups;
- Le maintien des primes en médecine contrastait avec l’abolition des primes de la Faculté de droit bien que les deux visent les mêmes fins.
- Rejetant l’argument de l’Université selon lequel l’abolition de la prime de la Faculté de droit relevait de son pouvoir de direction, l’arbitre a conclu que l’attribution de la prime était une pratique créatrice de droit dont toute modification devait être négociée[41] :
- L’Université en a approuvé l’attribution pendant 18 ans et le Syndicat, bien qu’il n’y ait pas participé, en avait connaissance;
- La prime est de la nature d’une condition de travail rattachée à la convention collective même si elle n’y est pas inscrite en toutes lettres;
- Les critères de la préclusion par représentation (estoppel by representation) étaient remplis vu la durée de l’attribution de la prime, la participation et l’absence de dénonciation de l’Université et du Syndicat et l’acquiescement des professeurs.
3.2. L’arbitre pouvait raisonnablement conclure que l’Université ne peut abolir unilatéralement la prime de la Faculté de droit
- L’arbitre n’a pas contrevenu aux grands principes régissant les relations de travail en concluant que l’attribution de la prime constituait une pratique créatrice de droit.
- Un salarié — une personne qui travaille pour un employeur contre rémunération[42] — peut devenir membre d’une association de salariés et participer à ses activités[43].
- Une association de salariés est un groupement (syndicat, union ou fraternité) dont les objectifs sont « l’étude, la sauvegarde et le développement des intérêts économiques, sociaux et éducatifs de ses membres et particulièrement la négociation et l’application de conventions collectives »[44]. Elle peut demander d’être accréditée[45].
- Une fois accréditée, elle devient le porte-parole des salariés quant à la conclusion et la mise en œuvre de la convention collective[46]. La convention prévoit les conditions de travail[47] et peut inclure la procédure de griefs[48].
- La règle veut que la conclusion de la convention collective soit marquée au coin de la liberté contractuelle[49]. Le syndicat et l’employeur sont les mieux placés pour choisir les modalités de travail les plus appropriées. La liberté est telle qu’elle ne peut faire l’objet d’entrave à moins que la loi l’exige[50].
- L’article RC7.13 de la convention collective reflète la liberté contractuelle et trace les limites du champ d’action de l’arbitre : il ne peut créer des obligations dont les parties n’ont pas convenu. L’article RC7.13 dispose :
RC7.13 L’arbitre décide des griefs conformément aux dispositions de la présente convention collective; il ne peut ni la modifier ni y ajouter ou y soustraire quoi que ce soit.
L’arbitre peut interpréter et appliquer une loi ou un règlement dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour décider du grief (RC3.01).
[…]
- Une convention collective est un contrat écrit[51]. Elle « oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi »[52].
- En droit du travail, la jurisprudence recourt également aux notions de fin de non-recevoir, de pratique créatrice de droit et de préclusion (estoppel) par représentation pour déterminer si dans les faits, une condition de travail encadrée par ou rattachée à la convention collective s’est implantée bien que ses modalités ne soient pas expressément prévues[53]. L’arbitre peut ainsi concevoir des réparations adaptées aux circonstances[54].
- La conclusion de l’arbitre selon laquelle l’attribution systématique de la prime de la Faculté de droit constituait une pratique créatrice de droit ne déroge pas à ces principes.
- Ayant conclu qu’il avait compétence à l’égard des griefs, l’arbitre devait définir les caractéristiques de la prime et les modalités de son attribution avant de déterminer si une condition de travail en découlait.
- La preuve administrée soutient la conclusion de l’arbitre; l’Université ne le conteste pas. Pendant toute la durée de l’attribution de la prime, les parties étaient liées par une convention collective[55]. La prime individuelle fait partie du traitement annuel, lui-même une condition de travail, minimalement depuis la convention collective 2000–2003[56]. Les représentations de l’Université étaient claires : le professeur y avait droit à l’embauche et tous les cinq ans au taux de 25 %[57]. Les professeurs se sont fiés aux représentations; la prime a même convaincu certains d’accepter l’offre d’emploi de la Faculté[58]. L’Université a versé la prime chaque fois que la recommandation lui en a été faite et n’a pas changé les règles d’attribution en cours d’exercice.
- L’argument de l’Université selon lequel le silence de la convention collective quant aux modalités de la prime s’oppose à la reconnaissance d’une condition de travail revient à nier qu’une pratique puisse lier un employeur et un syndicat. Il navigue à contre-courant de la jurisprudence. Il est également contre-productif : il obligerait les parties à conclure des conventions collectives d’une exhaustivité telle que les négociations n’aboutiraient peut-être jamais. La convention qui lie les parties court déjà sur 228 pages; il est difficile d’imaginer ce qu’il faudrait y ajouter pour qu’un arbitre soit dispensé de définir les usages qui la complètent et se limite à l’appliquer.
- Certes, le résultat net de la décision de l’arbitre est de maintenir un avantage dont plusieurs professeurs membres du Syndicat ne bénéficient pas. Mais il n’est pas inusité : les professeurs des facultés de médecine de l’Université reçoivent également des primes qui demeurent inaccessibles à leurs collègues.
- L’arbitre pouvait raisonnablement conclure que la prime de la Faculté de droit est une condition de travail que l’Université ne pouvait modifier unilatéralement.
CONCLUSION
- Pour ces motifs, le Tribunal :
- REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire interjeté contre la décision de l’arbitre Me Jean-Guy Ménard rendue le 16 janvier 2023 à l’égard des griefs collectifs 2019–280 et 2020–346 et des griefs individuels 2020–303, 2020–306, 2020–308 à 2020–329, 2020–331 à 2020–339 et 2020–341;
- AVEC FRAIS DE JUSTICE.
IAN DEMERS, J.C.S.
Me Catherine Maheu
Me Pierrick Bazinet
Me Marc-André Groulx
BCF s.e.n.c.r.l.
Avocats de la demanderesse
Me Denis Lavoie
MELANÇON MARÇEAU GRENIER COHEN
Avocats du mis en cause
Date de l’audience : 10 juin 2025
[1] Pepa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CSC 21, par. 35 (Pepa); Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29, par. 36–39 (Sharp); Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, par. 39–47 (Mason); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, 691, 693–694, 696–697, 702, 711–712, par. 10, 17, 23, 34–35, 53 (Vavilov).
[2] Mason, 2023 CSC 21, par. 57; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 697, 726, par. 24, 82.
[3] Mason, 2023 CSC 21, par. 57; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 726, par. 82; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900, 921, par. 29.
[4] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 211, par. 28.
[5] Sharp, 2023 CSC 29, par. 36–39; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 717–720, par. 65–68.
[6] Mason, 2023 CSC 21, par. 64; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 734, par. 99.
[7] Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 726–728, par. 83–87.
[8] Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 734, par. 100.
[9] Pepa, 2025 CSC 21, par. 47; Mason, 2023 CSC 21, par. 58–61; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 693, 726–728, par. 15, 81, 83, 84, 87.
[10] Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 732, par. 97.
[11] Pepa, 2025 CSC 21, par. 47; Mason, 2023 CSC 21, par. 61; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 728–733, 735–736, par. 88–91, 94, 97, 103.
[12] Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 735, par. 102.
[13] Mason, 2023 CSC 21, par. 85–86, 98, 104; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 764, par. 172.
[14] Mason, 2023 CSC 21, par. 61; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 730–734, par. 91–101.
[15] Pepa, 2025 CSC 21, par. 47; Mason, 2023 CSC 21, par. 61; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 730–732, par. 91–96.
[16] Pepa, 2025 CSC 21, par. 49–51; Mason, 2023 CSC 21, par. 60, 65; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 735–736, 750, par. 102–104, 136.
[17] Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 732–733, par. 97–98.
[18] Mason, 2023 CSC 21, par. 67–77; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 736–750, par. 106–135.
[19] Mason, 2023 CSC 21, par. 63; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 692–693, par. 12–14.
[20] Pepa, 2025 CSC 21, par. 48; Mason, 2023 CSC 21, par. 62; Vavilov, [2019] 4 R.C.S. 653, 726–727, 751–753, par. 83, 139–142.
[21] Voir Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, 684–685, par. 29 (Bisaillon).
[22] Voir Bisaillon, [2006] 1 R.C.S. 666, 690, par. 43.
[23] [1986] 1 R.C.S. 704, 720–722.
[24] [1995] 2 R.C.S. 929, 956–957, par. 52–53.
[25] Bisaillon, [2006] 1 R.C.S. 666, 685–686, par. 31–33; Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360, 373, par. 25 et la jurisprudence citée dans l’extrait jurisprudentiel reproduit au par. 153 des motifs de l’arbitre; voir également, Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, [2021] 3 R.C.S. 107, 128–132, par. 16–23 (Horrocks); Lacasse c. Université du Québec à Rimouski, 2025 QCCA 1012, par. 44–49; Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS) c. Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec — FIQ, 2025 QCCA 572, par. 59; Canada c. Hirschfield, 2025 CAF 17, par. 56–57.
[26] Motifs de l’arbitre, par. 151–157.
[27] Motifs de l’arbitre, par. 153.
[28] Motifs de l’arbitre, par. 151.
[29] Motifs de l’arbitre, par. 155–157.
[30] Code du travail, RLRQ, ch. C–27 (C.t.), art. 1f).
[31] C.t., art. 100 al. 1; voir Bisaillon, [2006] 1 R.C.S. 666, 685, par. 30.
[32] C.t., art. 100 al. 1; Horrocks, [2021] 3 R.C.S. 107, 128–129, par. 16.
[33] Bisaillon, [2006] 1 R.C.S. 666, 685–686, par. 31–33.
[34] Bisaillon, [2006] 1 R.C.S. 666, 686, par. 33.
[35] Voir p. ex., art. RE1.05 (prime lors du passage d’un rang à l’autre d’une échelle salariale) et lettre d’entente nº 3.
[36] 2023 QCCS, par. 28; voir également, pour un cas semblable, Syndicat des professeurs du Cégep de Saint-Jérôme (CSN) c. Collège d’enseignement général et professionnel de Saint-Jérôme, 2020 QCCA 1722, par. 25 et suiv.
[37] Motifs de l’arbitre, par. 1–138, 154–157.
[38] Voir p. ex., Canon Canada inc. c. Sylvestre, 2012 QCCS 1422, par. 50–52; Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 et Élopak Canada inc., 2022 QCTA 412, par. 57–62; Teamsters/Conférence des communications graphiques, section locale 555M et PaperlinX Canada (services partagés), 2014 QCTA 925, par. 32–36; Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 et Distilleries Schenley inc. Valleyfield (Québec), D.T.E. 2007T–441, par. 22–25 (T.A.); Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA–Canada) et Mark IV Automotive, D.T.E. 2006T–541, par. 41 (T.A.).
[39] Motifs de l’arbitre, par. 19, 29, 38, 52, 68, 79, 89, 103, 160–165.
[40] Motifs de l’arbitre, par. 79, 81–84, 93, 98, 168–173.
[41] Motifs de l’arbitre, par. 174–183.
[45] C.t., art. 21 et suiv.
[46] C.t., art. 52 et suiv.
[48] C.t., art. 100 al. 1.
[49] Voir les art. 52 et suiv. du C.t. et leurs pendants fédéral (Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L–2, art. 48 et suiv.) et ontarien (Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, ch. 1, ann. A, art. 16 suiv.); voir également Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations de travail), [1996] 1 R.C.S. 369, 379, par. 2 (juge en chef Lamer), 411–414, 417, 420–421, par. 73, 75, 80, 88, 98; SGDMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, 590–591.
[50] Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13, par. 21–37, qui reprend la jurisprudence depuis l’arrêt Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal : Éditions Wilson & Lafleur, 2010, par. IV-187; voir p. ex., Isidore Garon ltée c. Tremblay, 2006 CSC 2, [2006] 1 R.C.S. 27 (application des règles de droit commun); Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157 (incorporation implicite des lois sur les droits de la personne).
[52] Code civil du Québec, RLRQ, ch. C–1991, art. 1434; Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) c. Procureure générale du Québec, 2017 QCCA 1682, par. 31.
[53] Davies c. Air Canada, 2022 QCCA 1551, par. 25; Bell solutions techniques inc. c. Syndicat canadien des télécommunications, de l’énergie et du papier (SCEP), 2006 QCCA 1375, par. 31; Emerson Electric Canada ltée c. Foisy, 2006 QCCA 12, par. 6.
[54] Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616, 629, par. 44–45.
[55] Pièce D–27, extraits des conventions collectives de 2000 à 2022.
[56] Pièce D–27; voir l’art. RE1.01 des conventions collectives 2002–2003, 2004–2006, 2004–2008, 2008–2013, 2013–2017 et 2017–2022.
[57] Voir p. ex., pièces D–4, D–5, D–7, D–18.1, D–18.2, D–18.3, D–19.1, D–19.2, D–19.3, D–20.1, D–20.2, D–20.3, D–20.4, D–21, D–22.1, D–22.2, D–22.3, D–24.1, D–24.2, D–26.1, S–26.2,
[58] Voir p. ex., motifs de l’arbitre, par. 34, 42, 58.