Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Breau c. Bendahmane

2022 QCTAL 19857

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

626537 31 20220413 G

No demande :

3524223

 

 

Date :

13 juillet 2022

Devant le juge administratif :

Michel Rocheleau

 

Pierre Breau

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Majid Bendahmane

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le Tribunal est saisi d’une demande de résiliation de bail et d’expulsion du locataire, ainsi que d’une demande de recouvrement d’une somme de 2 726,84 $, à la suite du paiement par le locateur de frais d’enquête imputés par le syndicat de copropriété où se trouve le logement. Il demande l’exécution provisoire et les frais.

[2]         La demande de résiliation de bail s’appuie sur l’inexécution par le locataire de son engagement formel à ne pas utiliser le logement aux fins de louer celui-ci à court terme, moins de 30 jours, tel que prévu au bail et au règlement de la copropriété.

[3]         Enfin, le locateur a formulé une demande de non-paiement de loyers, telle demande étant devenue sans objet à l’audience, vu le paiement des sommes dues par le locataire avant l’audience.

CONTEXTE FACTUEL

[4]         Les parties sont liées par un bail d’habitation entre le 1er octobre 2019 et le 1er juillet 2020, lequel fut reconduit jusqu’au 30 juin 2022. Il est à souligner que le cosignataire du bail n’a pas été poursuivi comme codéfendeur.

[5]         Au moment où le bail initial fut conclu[1], il est prévu expressément que le locataire s’engage à ne pas faire de sous-location de type Airbnb. Il s’engage aussi à respecter le règlement de la copropriété. Il s’avère que le locataire est informé de ce règlement, ainsi que des modifications survenues subséquemment au bail initial.

[6]         Au cours de l’automne 2020, le conseil d’administration du syndicat duquel faisait partie le locateur discute de la possibilité de se doter d’une politique d’enquête, visant à mandater une firme indépendante afin d’obtenir des preuves réelles sur les copropriétaires ou locataires de l’immeuble tentés de louer leur unité à court terme, de type Airbnb. Cette politique est instaurée à compter de janvier 2021 (pièce P-1, pages 61 à 63).


[7]         Plus précisément, la firme retenue se place dans le rôle d’un locataire qui effectue une location à court terme, répondant à un affichage de disponibilités sur l’unité visée de l’immeuble. C’est ainsi que la firme retenue procède à louer pour la période minimum de 12 jours affichée et exigée par le locataire, soit du 18 au 30 décembre 2021 et verse à Airbnb la somme de 2 381,92 $[2].

[8]         La firme facture ensuite, au syndicat, ladite somme en plus de 344,92 $ représentant les frais de rapport d’investigation, le tout pour un total de 2 726,84 $. Le syndicat refile ensuite cette facture au copropriétaire de l’unité, en l’occurrence le locateur, qui la paye[3].

[9]         Au cours d’un échange de courriels entre le locataire et l’avocat du locateur en mars et avril 2022, le locataire mentionne à deux reprises[4] ne pas avoir fait de sous-location Airbnb depuis qu’il loue le logement.

[10]     Le locateur estime qu’il s’agit d’un manquement grave au bail, d’un changement de destination illicite de destination. Cette sous-location est clairement interdite. Il était président du conseil d’administration du syndicat et cette situation l’a mis très mal à l’aise vis-à-vis le syndicat.

[11]     Il ne détient pas d'assurance pour la location à court-terme et cela augmente les risques quant à la sécurité. Il n'est pas non plus en mesure de connaître l'identité des personnes qui occupent le logement.

Objection préliminaire

[12]     Vu l’engagement écrit du locataire de quitter les lieux au terme du bail, son avocate soulève une objection préliminaire à deux volets.

[13]     D’une part, elle soulève qu’étant donné l’engagement du locataire de quitter le logement, il ne reste qu’une réclamation monétaire de 2 726,84 $ faisant en sorte que la représentation par avocats est devenue illégale, conformément à l’article 73 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

[14]     Deuxièmement, elle soulève que vu la nature de la réclamation du locateur, soit des dommages découlant du remboursement par le locateur au syndicat de copropriété pour des frais et honoraires d’enquête, le Tribunal n’aurait pas juridiction.

[15]     De son côté, l’avocat du locateur soulève la tardiveté de l’objection, insiste afin d’obtenir une ordonnance de résiliation du bail et d’expulsion du locataire, vu la confiance que le locateur n’a plus envers le locataire.

[16]     Pour les motifs plus amplement énoncés lors de l’audience et enregistrés mécaniquement, le Tribunal a rejeté cette objection.

QUESTIONS EN LITIGE

[17]     Le locateur est-il en droit de réclamer au locataire les frais d’enquête de 2 726,84 $ encourus par le syndicat de copropriétaires qu’il a dû rembourser?

ANALYSE

[18]     En règle générale, la situation de la location à court terme est traitée devant ce tribunal sous deux angles légaux, soit sous l’angle du changement de destination, passant d’une vocation d’habitation à une vocation commerciale, de même que sous celui de la sous-location illégale.

[19]     Au sujet du changement de destination, l’article 1856 du Code civil du Québec prévoit :

« 1856. Ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination du bien loué. »

[20]     En louant le logement pour des périodes de moins de 30 jours, le locataire change illicitement la destination des lieux, ce qui est suffisamment sérieux pour demander la résiliation du bail.


[21]     Quant à la sous-location illégale dont il est ici question, il ne s’agit pas de la sous-location prévue à l’article 1870 du Code civil du Québec, largement reconnue, il s’agit plutôt d’une sous-location à court terme qui contrevient au règlement de l’immeuble en copropriété, plus précisément à l’article 170.7 de l’Annexe B[5] lequel se lit ainsi :

« ARTICLE 170.7.

In accordance with Articles 77 and 170.7 of the Declaration of co-ownership, it is forbidden to lease or allow the occupation of a fraction, for periods of short duration (less than thirty (30) consecutive days), according to the “Airbnb” formula or any other mode of exchange or of leasing or of occupancy of an immovable similar to the “Airbnb” formula. »

[22]     Par ailleurs la preuve documentaire et testimoniale démontre que :

1-      Bien que lors d’échanges de courriels avec l’avocat du locateur et le locataire, ce dernier affirme à deux reprises ne pas avoir fait de sous-location à court terme, il avoue à l’audition le contraire, mais affirme avoir été « piégé ».

2-      La somme réclamée constitue bel et bien des frais engagés par le locateur, non pas à titre de pénalité, mais bien en remboursement de frais encourus par le syndicat découlant du non-respect des règlements de l’immeuble, contrairement à ce que plaide l’avocat du locateur.

3-      De l’aveu du locataire, la sous-location à court-terme lui a rapporté près de 2,000 $ en 12 jours.

4-      Le locataire s’est engagé à quitter le logement au plus tard, à la fin du bail, soit le 30 juin 2022, engagement auquel le Tribunal a pris acte.

[23]     Le premier alinéa de l’article 1863 du Code civil se lit ainsi :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

[…] »

[24]     Le Tribunal est donc convaincu que le locataire a manqué à ses obligations envers le locateur, non seulement découlant des règlements de la copropriété, mais également du bail.

[25]     Au sujet du préjudice sérieux dans un tel cas de figure, Me Francine Jodoin, juge administrative, s’exprimait ainsi en 2021(3) :

« Quant au préjudice sérieux, le Tribunal reprend les motifs énoncés dans la décision Habitations du Centre-Ville c. Tchatat, 2019 QCRDL 24413 :

« [44] Dans tous les cas de figure, la locatrice assume des risques; que ce soit concernant l'intégrité du logement, la qualité des occupants, la couverture d'assurance en cas de sinistre, l'application de règles à caractère pénal et tout cela va bien au-delà du contrat initial, à savoir le bail conclu pour des fins résidentielles seulement.

[45] L'on pourrait opposer que les dommages ne sont pas actuels. Rappelons-nous l'enseignement des auteurs Jean-Louis Beaudouin et Patrice Deslauriers qui écrivaient (14) au sujet des dommages futurs :

« Le caractère de certitude du dommage est cependant apprécié d'une façon relative. Les Tribunaux n'exigent pas, en effet, une certitude absolue, mais une simple probabilité. »

[46] Le Tribunal conclut que le préjudice est suffisamment certain et qu'il n'est pas opportun d'attendre la réalisation de tous ces risques. Il ne fait par ailleurs aucun doute que les préjudices invoqués sont sérieux. »

[26]     Puisque le locataire a avoué avoir contrevenu à cette obligation de ne pas sous-louer à court terme, il y a lieu de faire droit à la demande de remboursement de cette somme de 2 726,84 $ que le Tribunal accordera avec intérêts et frais avec la résiliation du bail.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[27]     RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;

[28]     ORDONNE l’exécution provisoire quant à cette conclusion le 11e jour de sa date;

[29]     CONDAMNE le locataire à payer au locateur la somme de 2 726,84 $, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 13 avril 2022, plus les frais de justice de 103 $;

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Rocheleau

 

Présence(s) :

le locateur

Me Joshua Bouzaglou, avocat du locateur

le locataire

Me Janick Tessier, avocat du locataire

Date de l’audience : 

23 juin 2022

 

 

 


 


[1] Pièce P-14.

[2] Pièce P-5.

[3] Pièce P-15.

[4] Pièces P-8 et P-9.

[5] Pièce P-2 (modifications et annexes).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.