Touchette c. Oppenheim |
2014 QCCS 6039 |
JT 1581 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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N° : |
705-17-003360-102 |
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DATE : |
15 DÉCEMBRE 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CAROLE THERRIEN, J.C.S. |
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LUC TOUCHETTE |
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Demandeur |
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c. |
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M.J. OPPENHEIM (Souscripteurs, membres du Lloyd's) |
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-Et-
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LES ASSURANCES BREAULT & GRÉGOIRE INC. |
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Défendeurs |
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JUGEMENT Sur requête introductive d'instance ré-amendée (32) |
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LE CONTEXTE GÉNÉRAL
Les événements
[1] En février 2007, le feu détruit un immeuble que Touchette[1] possède depuis 7 mois. Il n'est alors pas habité puisqu'il le rénove afin notamment de l'agrandir. Le coût de reconstruction de l'immeuble, que Touchette a acquis pour 435 000 $, dépasse le million de dollars.
[2] Bien que Touchette ait souscrit une police d'assurance qui prévoit une indemnité équivalente au coût total de reconstruction, sans égard à limite de couverture, l'assureur (Lloyd's) fait d'abord défaut de l'indemniser. Puis, verse un premier 100 000 $ et trois ans et demi plus tard, ajoute 400 000 $, somme qui correspond à la limite de couverture.
[3] Pourtant jusqu'en octobre 2008, Touchette répond aux innombrables demandes d'informations de divers experts en sinistre et évaluateurs mandatés par l'assureur. Pour Touchette, ces intervenants travaillent à l'élaboration d'une proposition visant à lui verser un règlement global, sous forme de Pay out, selon leurs termes.
[4] Il débute d'ailleurs au cours de l'été 2008, la reconstruction selon les plans qu'il avait prévus avant l'incendie, incluant un agrandissement.
[5] En octobre 2008, la firme qui traite avec lui depuis 20 mois se voit retirer le mandat au profit d'un avocat. Touchette reçoit donc une lettre du procureur qui l'informe que l'assureur considère nulle la police puisque lui et son courtier, n'auraient pas divulgué que l'immeuble devait être inoccupé durant plusieurs mois. Or, Touchette avait expressément fait part à son courtier de cette situation.
[6] On lui refuse donc toute indemnisation en vertu de cette police
Les procédures
[7] En janvier 2009, Touchette somme l'assureur de l'indemniser conformément à sa couverture. Il recevra six mois plus tard, 100 000 $ que l'assureur estime devoir en vertu d'une autre police qui ne devait être en vigueur que pour une courte période : soit entre l'achat en août 2006 et le départ des anciens propriétaires, en septembre suivant.
[8] En janvier 2010, il intente le présent recours et réclame 1 422 944 $ dus suivant les garanties de la police et des dommages de 100 000 $ pour indemniser le préjudice découlant de l'attitude de l'assureur.
[9] Il tient subsidiairement son courtier (Les assurances Brault et Ass. Inc.) responsable de tous les dommages, advenant que le Tribunal retienne la défense de l'assureur.
[10] L'assureur comparait tant pour lui-même que pour le courtier, puisqu'il assure ce dernier pour sa responsabilité professionnelle.
[11] En juillet suivant, l'assureur verse 400 000 $ de plus, la requête introductive est ré amendée pour en tenir compte. Touchette réclame donc 849 763,99 $ à titre d'indemnité non versée pour la reconstruction qui s'élève à 1 349 763,99 $, en plus des dommages.
LE LITIGE
A) Le contexte juridique
[12] Le contrat liant Touchette à son assureur prévoit que :
En contrepartie de cette garantie, vous devez souscrire sur votre bâtiment d’habitation et vos dépendances un montant de garantie au moins égal à leur coût probable de reconstruction ou de remplacement, déterminé selon une méthode de votre choix.[2]
[13] Par ailleurs, la police prévoit que l'assureur indemnisera son assuré dans les 60 jours de la réception des pièces justificatives ou des renseignements exigés par lui.[3]
B) La position des parties
i. Quant à l'indemnisation selon le coût réel de reconstruction
L'interprétation de la clause de garantie
[14] L'assureur estime essentiellement qu'il n'a pas à verser le coût réel de reconstruction puisque Touchette n'a pas divulgué cette valeur et souscrit un montant de garantie équivalant. Cela, bien que Touchette savait que ce coût dépassait largement 500 000 $ et qu'il avait déboursé plus que les 300 000 $ dénoncés à l'acte de vente pour acquérir l'immeuble.
[15] Touchette soutient à cet égard qu'une interprétation conforme aux règles applicables en matière de contrats d'assurance permet de conclure qu'il a respecté son obligation en souscrivant à un montant au moins égal au coût probable de reconstruction, selon les données disponibles à l'époque.
Le défaut de reconstruire : le même immeuble, sur les mêmes lieux
[16] L'assureur oppose ensuite que Touchette a fait défaut de reconstruire un immeuble identique sur les mêmes lieux et avec des matériaux comparables, contrairement à ce qu'exige la police.
[17] Il ajoute que Touchette a par ailleurs fait défaut de prouver le coût réel de reconstruction qu'il réclame.
[18] Touchette plaide que bien que le bâtiment reconstruit n'est pas identique en tous points à l'ancien, il respecte les conditions de l'application de valeur à neuf, dans les circonstances particulières de l'affaire.
[19] Il oppose que la preuve substantielle faite en l'instance établit qu'il a effectivement engagé les sommes demandées pour reconstruire sa maison.
La fin de non-recevoir
[20] Touchette demande avant tout qu'une fin de non-recevoir soit opposée à tous les moyens soulevés par l'assureur, celui-ci étant forclos de les invoquer au stade des procédures judiciaires.
ii. Quant à l'indemnisation pour la perte du contenu
[21] Les parties ont convenu du montant de la perte à ce titre, soit 50 000 $. Touchette soutient qu'aucune somme ne lui a été versée pour cette partie de sa réclamation et que rien ne justifie ce refus.
[22] L'assureur stipule que son obligation se limite à la garantie de 500 000 $.
iii. Quant à la demande de dommages
[23] Touchette demande 100 000 $ pour compenser les troubles et inconvénients qu'il a subis en raison de l'attitude de l'assureur.
[24] L'assureur rétorque que son comportement est tributaire des éléments particuliers du dossier.
iv. Quant à la responsabilité du courtier
[25] Subsidiairement, advenant que le Tribunal maintienne la défense de l'assureur, Touchette plaide que son courtier ne l'a pas adéquatement informé et représenté auprès de son assureur. Il a ainsi commis une faute engageant sa responsabilité.
[26] Grégoire est représenté par le même procureur que l'assureur et sa défense est commune. Celle-ci n'avance aucun moyen spécifique quant aux reproches qui lui sont adressés, sinon pour corriger un fait quant à la visite d'un évaluateur/inspecteur des Lloyd's à l'automne 2006.
C) Les questions soulevées
1. L'assureur est-il forclos d'invoquer ses moyens de défense?
2. Touchette s'est-il conformé à son obligation de souscrire à un montant de garantie au moins égal au coût probable de reconstruction ou de remplacement de son immeuble?
3. Touchette a-t-il respecté son obligation de reconstruire le même bâtiment, sur les mêmes lieux?
4. Le cas échéant, Touchette a-t-il fait la preuve de sa perte?
5. L'assureur doit-il indemniser Touchette pour le contenu, au-delà de la limite de couverture?
6. L'assureur doit-il compenser les dommages entrainés par son défaut d'indemniser plus tôt? Le cas échéant, quel est le montant de ces dommages?
7. Le cas échéant, le courtier a-t-il manqué à ses obligations de renseignement, de conseil et de représentation?
L'ANALYSE
1. L'assureur est-il forclos d'invoquer ses moyens de défense?
Le contexte juridique de la fin de non-recevoir
[27] La fin de non-recevoir sanctionne le comportement fautif du cocontractant qui tire, par sa mauvaise foi, un avantage causant directement un préjudice à son associé. Cette mesure exceptionnelle s'appuie sur l'obligation de bonne foi devant caractériser les rapports contractuels[4]. Selon la Cour d'appel : il s'agit avant tout d'une question de fait qui doit être analysée sous l'angle de la bonne foi et de l'équité.[5]
[28] Plus particulièrement en matière d'assurances, les tribunaux ont à l'occasion refusé à l'assureur le droit d'opposer un nouveau motif de ne pas couvrir un sinistre, une fois la question soumise aux tribunaux. [6]
[29] Ainsi, le fait de retenir certains moyens de défense durant les négociations, en toute connaissance de cause, est assimilé à un comportement de mauvaise foi. Le tribunal est alors justifié d'en inférer une renonciation tacite de l'assureur à invoquer ces autres moyens et de ne pas lui permettre de les soulever tardivement.
[30] En résumé, l'assureur sera forclos d'invoquer un moyen d'échapper à son obligation de couvrir un sinistre; s'il y a renoncé de manière implicite, mais volontairement, sans équivoque et de façon concrète.[7]
[31] Touchette invoque essentiellement que durant plus de trois ans, il a collaboré étroitement avec les représentants de son assureur sans qu'on l'informe que celui-ci refuserait de l'indemniser, en invoquant :
· Qu'il n'avait pas souscrit à un montant de garantie au moins égal au coût probable de reconstruction;
· Que sa nouvelle construction ne respectait pas son obligation de reconstruire le même immeuble sur les mêmes lieux.
[32] L'assureur oppose de plus qu'il s'est expressément réservé le droit d'invoquer d'autres moyens de défense et que compte tenu des faits particuliers en l'espèce, son comportement ne démontre pas sa mauvaise foi. Il avance finalement que ses mandataires n'avaient pas le pouvoir de le lier.
Le contexte factuel
[33] Jusqu'en octobre 2008, Touchette répond aux innombrables demandes d'informations de divers experts en sinistre et évaluateurs mandatés par l'assureur. Pour Touchette, ces intervenants travaillent à l'élaboration d'une proposition visant à lui verser un règlement global, sous forme de Pay out, selon leurs termes.
[34] Durant ce temps, il travaille (lentement) à la reconstruction de sa maison selon les plans qu'il avait prévus avant l'incendie, incluant un agrandissement. Cela, à la connaissance des divers ajusteurs et intervenants mandatés par l'assureur.
[35] En octobre 2008, la firme qui traite avec lui depuis 20 mois se voit retirer le mandat au profit d'un avocat qui lui écrit que l'assureur considère que la police est nulle ab initio. Il réfère à de fausses représentations sur la nature du risque, faites par lui et son courtier, soit le fait que l'immeuble devait être inoccupé durant plusieurs mois. Or, Touchette en avait expressément fait part à son courtier.
[36] La lettre stipule notamment que :
La présente lettre vous est transmise sans préjudice à tout autre moyen de défense que les Souscripteurs de Lloyd's pourraient avoir dans cette affaire.
[37] Pourtant, le courtier, Grégoire, avait dès le 2 mars 2007, confirmé par écrit avoir été informé de l'inoccupation de l'immeuble. Cette information était connue de Mme Savard, alors ajusteur mandaté par l'assureur.
[38] En janvier suivant, Touchette met son assureur en demeure de l'indemniser conformément à sa couverture. Il recevra six mois plus tard, 100 000 $ représentant une somme que l'assureur estime devoir en vertu d'une autre police qui devait n'être en vigueur que durant l'occupation par les anciens propriétaires.
[39] Avant la missive d'octobre, le comportement des tous les représentants de l'assureur démontre qu'un règlement est imminent et que la question de l'inoccupation de l'immeuble n'est plus pertinente.
[40] Dès l'été 2007, un premier ajusteur (Mme Savard) entreprend des discussions sur le quantum de la réclamation. Jusqu'au dernier intervenant, Lambert, qui travaille à élaborer une proposition permettant qu'un versement global soit fait. Il témoigne des discussions relativement à ce qu'il nomme un Pay out ou Cash out. Il attendait donc un retour de l'évaluateur de l'assureur suite à l'estimé fourni par Touchette, lequel s'élevait à plus de 1 300 000 $. Il écrit en juillet 2008 :
Tel que discuté ce matin nous avons contacté notre évaluateur Guy St— Amour prévoit compléter son rapport d'ici, maximum un mois, je serai de retour de vacances à partir du 21-07 et pourrons ainsi débuter les négociations pour le règlement du dossier. Je prévois à moins d'imprévu un délai total de plus ou moins 60 jours.[8]
[41] Une fois informé par son propre évaluateur que le coût oscille autour du million de dollars, l'assureur fait volte-face. Il retire aux ajusteurs le mandat de négocier et confie à un avocat le soin de traiter avec Touchette.
[42] Jusque-là, les discussions ne portent que sur le montant que doit réellement coûter la reconstruction, non pas sur la pertinence de verser l'indemnité, ou sur une quelconque raison pour l'assureur de ne pas appliquer la clause qui prévoit l'indemnisation en fonction de ce coût.
[43] Ce faisant, l'assureur a implicitement, volontairement et sans équivoque renoncé à invoquer une quelconque clause lui permettant de ne pas indemniser Touchette. Il lui représente clairement qu'il y lieu de s'entendre sur une somme globale plutôt que de procéder selon la méthode habituelle.
[44] Ce n'est qu'une fois poursuivis, trois ans et demi après le sinistre, que l'assureur dépose une défense qui nie à Touchette le droit de bénéficier du coût de reconstruction. Il invoque donc maintenant, que Touchette n'a pas prévu expressément le coût réel de reconstruction au moment de la proposition et qu'il n'a pas reconstruit le même immeuble au même endroit.
La réserve générale émise par l'assureur
[45] L'assureur plaide qu'en 2008, il a précisément informé Touchette qu'il se réserve le droit d'invoquer contre lui d'autres moyens de défense. Selon lui, cela lui permet à tout moment de soulever d'autres raisons d'échapper à son obligation.
[46] Le Tribunal ne partage pas cette interprétation des dispositions qui régissent la déclaration de sinistre et le paiement de l'indemnité[9].
[47] Ces dispositions prévoient essentiellement qu'une fois que l'assuré a déclaré son sinistre et fourni toutes les informations requises, l'assureur doit à son tour agir avec diligence pour indemniser l'assuré dans les 60 jours.
[48] Elles visent notamment à protéger l'assuré contre le comportement abusif d'un assureur qui pourrait se contenter d'ignorer sa réclamation.
[49] La plus haute bonne foi doit ici dicter la conduite des deux parties : l'assuré pour divulguer toute l'information et l'assureur pour effectuer son enquête avec diligence et célérité pour respecter son délai.
[50] Certes, certaines circonstances pourraient justifier un retard. Toutefois, ici rien ne permet de conclure que l'assureur avait besoin d'informations, que l'assuré aurait par ailleurs tardé ou omis de lui remettre.
[51] Au contraire, plus de deux ans se sont déjà écoulés. Les représentants de l'assureur se succèdent et Touchette se plie, du mieux qu'il peut, à leurs demandes.
[52] La réserve de l'assureur n'est donc émise que de manière générale, sans assise sur les faits du dossier. De plus, les raisons invoquées pour motiver le refus de couverture sont ensuite abandonnées : à juste titre puisque l'assureur sait depuis mars 2007 que Touchette a bel et bien informé son courtier de l'inoccupation de l'immeuble, et ce, en temps opportun.
[53] L'assureur ne peut faire échec aux règles édictées par la Loi que par une entente contractuelle conclue en bonne et due forme. Ce qui n'est pas en preuve en l'espèce. Ainsi, il ne peut unilatéralement stipuler qu'il a le droit de passer outre ses obligations légales et s'octroyer le droit de ne pas indemniser son assuré pour des raisons, qu'il n'a pas encore identifiées.
[54] Non seulement cette affirmation de l'assureur ne l'immunise pas contre son obligation d'enquêter et de prendre position rapidement, mais elle ajoute à la preuve de sa mauvaise foi. L'assureur tente ici d'échapper à ses obligations, sans raison valable reconnue par la Loi ou clairement prévue au contrat.
Le pouvoir des mandataires
[55] L'assureur avance que les divers représentants qui agissent auprès de Touchette n'ont que le pouvoir d'enquêter sur les circonstances du sinistre, d'évaluer la perte et de formuler des recommandations à l'assureur. Ainsi, ils n'ont pas le pouvoir de lier l'assureur par leurs gestes ou omissions, notamment pour en inférer une renonciation tacite de l'assureur à invoquer un moyen de défense.
[56] La loi prévoit toutefois que :
Celui qui a laissé croire qu'une personne était son mandataire est tenu, comme s'il y avait eu mandat, envers le tiers qui a contracté de bonne foi avec celle-ci, à moins qu'il n'ait pris des mesures appropriées pour prévenir l'erreur dans des circonstances qui la rendaient prévisible. [10]
[57] La bonne foi se présumant, l'assureur a le fardeau de prouver que Touchette connaissait la carence des pouvoirs des divers ajusteurs de Groupe South Western, ou encore, qu'il a commis une faute en ne vérifiant pas s'ils agissaient à l'encontre des volontés de l'assureur.
[58] Tous s'entendent pour dire que les Lloyd' s ne peuvent, du moins au Québec, être interpellées directement par la clientèle. Ainsi, ils mandatent à cet effet le Groupe South Western, dont font partie tous les ajusteurs qui sont intervenus auprès de Touchette. Touchette n'avait aucune raison de se douter que les intervenants n'avaient pas le mandat de régler son dossier, si tel avait été le cas.
[59] L'assureur n'a pas fait la preuve, qu'avant la lettre des procureurs, Touchette pouvait croire que les ajusteurs agissaient contrairement à leur mandat ou l'outrepassaient. Non plus qu'il n'était lui-même de mauvaise foi alors qu'il transigeait avec eux.
[60] Ainsi, à l'égard de Touchette, les ajusteurs lient l'assureur.
En conclusion quant à la fin de non-recevoir
[61] Le dialogue continu entre les divers représentants de l'assureur et Touchette ne laisse place à aucune équivoque : l'assureur agit de manière à laisser croire qu'il honorera son engagement et indemnisera Touchette selon le coût de reconstruction. Cette preuve démontre qu'il a implicitement renoncé à invoquer : tant la nullité ab initio du contrat, que tout autre motif auquel il pourrait penser plus tard.
[62] En cela, il n'est pas induit en erreur ou empêché de faire son enquête. Son action est volontaire.
[63] Le Tribunal lui refuse donc le droit d'invoquer maintenant que Touchette n'avait pas souscrit à un montant de garantie au moins égal au coût probable de reconstruction et que sa nouvelle construction ne respectait pas son obligation de reconstruire le même immeuble sur les mêmes lieux.
[64] En conséquence, le Tribunal n'a pas à trancher les questions relatives aux moyens de défense opposés par l'assureur. Toutefois, les parties demandent que le Tribunal en dispose tout de même et le Tribunal estime utile de le faire.
2. Touchette s'est-il conformé à son obligation de souscrire à un montant de garantie au moins égal au coût probable de reconstruction ou de remplacement de son immeuble?
La nature et l'étendue de l'obligation
[65] Touchette plaide premièrement que la clause sous étude est ambiguë et qu'en conséquence, son interprétation doit le favoriser.[11] L'assureur soutient qu'au contraire le texte est limpide et n'a pas à être interprété. Toutefois, tous deux plaident que la police impose une obligation différente à l'assuré.
[66] Le Code civil du Québec prévoit plusieurs dispositions en matière d'interprétation des contrats qui s'appliquent notamment en matière d'assurances.[12] L'une d'elles stipule que :
Dans le doute, le contrat s'interprète en faveur de celui qui a contracté l'obligation et contre celui qui l'a stipulée. Dans tous les cas, il s'interprète en faveur de l'adhérent ou du consommateur.[13]
(Nos soulignements)
[67] Touchette adhère ici à un contrat dont il ne peut modifier la rédaction. Le Tribunal doit en conséquence interpréter le texte sa faveur, peu importe qu'une ambigüité soit d'abord identifiée.
[68] L'assureur plaide que le contrat prévoit que Touchette devait souscrire une assurance égale ou supérieure au coût de reconstruction, soit environ 1 300 000 $.
[69] Touchette soutient qu'il a rempli son obligation de souscrire à une assurance au moins égale au coût probable de reconstruction établi par la méthode qu'il a choisie, à savoir : l'évaluation d'un professionnel, réalisée l'année précédente, majorée d'un peu plus de 12 %.
[70] Le Tribunal doit établir l'étendue et la nature des obligations créées par l'ensemble des dispositions du contrat. À cet égard, la correspondance qui accompagne la police stipule notamment que :
Pour votre assurance habitation, vous avez choisi le Programme Excellence, l'une des meilleures formules propriétaire occupant actuellement sur le marché.
La police Excellence est rédigée en langue courante plutôt qu'en termes juridiques, pour vous permettre de mieux comprendre la garantie qu'elle vous procure.
Nous vous invitons à lire les dispositions de ce contrat, qui accorde une protection plus étendue que la plupart des autres formules. Vous allez constater à quel point votre maison et vos biens sont bien couverts.[14] (…)
(Nos soulignements)
[71] Rappelons que la clause sous étude est libellée comme suit :
En contrepartie de cette garantie, vous devez souscrire sur votre bâtiment d’habitation et vos dépendances un montant de garantie au moins égal à leur coût probable de reconstruction ou de remplacement, déterminé selon une méthode de votre choix.
(Nos soulignements)
[72] Le contrat ne définit pas qu'est-ce qu'une méthode, ni ne propose de technique pour effectuer l'évaluation en question. Finalement, il ne fixe aucune balise dans le choix de cette façon de faire.
[73] L'adhérent à un tel contrat peut raisonnablement s'attendre à être indemnisé pour le coût réel de reconstruction, en souscrivant à une garantie au moins égale à ce qu'il en couterait probablement pour rebâtir le même immeuble.
[74] L'assuré a une obligation de moyens. Il doit recourir, de bonne foi, à une méthode pour déterminer le coût. En langage courant, choisir une méthode signifie : ne pas arbitrairement décider d'un montant.
[75] Toujours en langage courant, une méthode réfère à une démarche, une façon de faire, une règle, un moyen d'évaluer.
[76] De même, un coût probable ne signifie pas un coût certain et déterminé. En langage usuel, probable revêt une part d'incertitude, une certaine marge de manœuvre.
[77] En cela, la clause n'est pas ambiguë dans sa rédaction, elle est incertaine quant à l'étendue du risque qu'elle fait courir à l'assureur. Selon l'assureur, son risque est trop lourd, voire immoral. Or, ce risque l'assureur est présumé l'accepter, notamment à titre de rédacteur du contrat.
[78] Dans sa défense rédigée en anglais, l'assureur plaide que :
(…) The clause in question is clear. The plaintiff had not only a good faith obligation to state the real cost to reconstruct but also had the obligation pursuant to the policy wording to obtain a proper evaluation failing which the limit of the policy would be the limit of any claim. Plaintiff did not obtain such an evaluation;[15] (Nos soulignements)
[79] D'abord, les termes employés ici ne se retrouvent pas dans le texte de la police. On ne réfère pas au real cost to reconstruct, mais plutôt au coût probable de reconstruction. Ensuite, il n'est pas fait mention de l'obligation d'obtenir une évaluation exacte ou précise (proper), mais de se baser sur une méthode de son choix.
[80] Par ailleurs, la lecture que propose l'assureur rend inutile la protection que recherche pourtant Touchette. Rappelons que la présente police n'est pas usuelle, elle propose une protection supérieure aux produits courants. Généralement, l'assuré détermine une limite de couverture qui établit clairement le risque de l'assureur. Il ne sera pas indemnisé au-delà de cette limite, il le sait.
[81] La police Excellence offre davantage. Elle promet clairement une indemnisation au-delà de la limite de garantie, soit le coût réel de reconstruction. Or, si comme le propose l'assureur, l'obligation corolaire de l'assuré est de souscrire à une limite de garantie pour le montant, réel, voire certain, de reconstruction - rien ne la distingue des polices usuelles. La couverture supplémentaire n'aurait ainsi aucun effet.
[82] L'assureur plaide que cette lecture lui fait courir un risque démesuré, la clause serait ainsi immorale. Certes avantageuse pour l'assuré qui se voit rembourser la totalité des coûts entrainés par sa perte, la clause n'est pas immorale.
La comparaison avec la jurisprudence
[83] Bien que les procureurs conviennent que la clause sous étude n'a pas fait l'objet d'une analyse par la jurisprudence, l'assureur soumet qu'elle se compare à celle étudiée dans une autre affaire en 2002.[16] Selon eux, les vocables utilisés ont la même portée et doivent créer les mêmes obligations. Dans cette affaire, le texte se lit comme suit :
LA GARANTIE DU COÛT DE RECONSTRUCTION : c'est-à-dire le coût effectif de la réparation ou de la reconstruction, sans tenir compte du montant de garantie stipulé aux conditions particulières. Cette garantie s'exerce aux conditions suivantes :
1) le montant de garantie du bâtiment qui figure aux Conditions particulières doit correspondre à 100 % de la valeur à neuf courante calculée à l'aide d'un guide d'évaluation accepté par nous. (…)
(Nos soulignements)
[84] Ainsi, pour l'assureur les termes suivants s'équivalent :
100 % de la valeur à neuf courante |
vs |
Au moins égal à leur coût probable de reconstruction |
Calculée à l'aide d'un guide d'évaluation acceptée par nous |
Déterminé selon une méthode de votre choix |
[85] Or, on note des différences fondamentales entre les deux propositions.
[86] Si les assureurs visaient le même objectif, les rédacteurs ont traduit cette pensée par des termes qui ne signifient pas la même chose. En conséquence, les enseignements que l'assureur veut importer en l'espèce ne peuvent s'appliquer considérant les distinctions entre les deux textes.
[87] Ainsi, le Tribunal doit décider si au moment de la conclusion du contrat : Touchette a de bonne foi utilisé une méthode pour déterminer le coût probable de reconstruction ou de remplacement et ensuite, s'il a souscrit une assurance au moins égale à ce montant.
La bonne foi
[88] La bonne foi est attendue de toutes les parties au contrat.
[89] L'assureur soumet que Touchette a manqué à cette obligation, sachant que le coût de reconstruction serait éventuellement largement supérieur à 500 000 $. Ainsi, selon lui, Touchette a retenu de l'information pour économiser sur le cout de la prime.
[90] Sur cette première question, Grégoire confirme que pour Touchette: la question du montant de la prime n'était pas pertinente. À cet égard, le Tribunal retient son témoignage. D'ailleurs, l'assureur demande au Tribunal de retenir l'ensemble du témoignage de Grégoire.
La crédibilité de Touchette
[91] Globalement, l'assureur invite le Tribunal à rejeter le témoignage de Touchette, essentiellement parce que sa version est invraisemblable à maints égards.
[92] L'un d'eux tient au fait qu'il a payé 435 000 $ pour une maison qui coûte 1 300 000 $ à reconstruire, quelques mois plus tard. L'assureur s'étonne donc que le vendeur ait fait une aussi mauvaise transaction, rendant la version de Touchette douteuse.
[93] La valeur marchande d'une maison se distingue et de son coût de construction. En l'espèce, il est vraisemblable que cette maison coûte aussi chère à construire, sans qu'un acheteur soit disposé à offrir une telle somme pour l'acquérir. Une multitude de facteurs interviennent pour établir ces deux valeurs, tant objectifs que subjectifs. Sa localisation, l'état du marché au moment de la transaction et les motivations du vendeur sont autant d'éléments qui peuvent expliquer l'écart.
[94] Ici, la différence s'explique dans le contexte global et il ne rend pas la situation évoquée par Touchette inconcevable.
[95] L'assureur n'a pas convaincu le Tribunal d'imputer à Touchette un quelconque désire de tromper l'assureur ou d'induire qui que ce soit en erreur dans la conclusion du contrat.
Le versement comptant
[96] Touchette paie 435 000 $ pour la maison et il en verse une partie (135 000 $) comptant aux acheteurs. Il explique qu'il le fait pour éviter que l'entourage connaisse le véritable montant de la transaction.
[97] Les vendeurs n'ont pas témoigné en l'instance. Touchette explique qu'il n'a pas réussi à les retracer et l'assureur ne les a pas convoqués.
[98] L'assureur avance que Touchette trompe le Tribunal et qu'en réalité, il était motivé par une économie proportionnelle sur les droits de mutation.
[99] Même si telle était sa motivation, le Tribunal n'y voit pas d'incidence sur la présente situation. La proposition d'assurance ne mentionne pas que l'assureur aurait considéré le montant de la vente à aucun moment. Les formulaires font état de valeur de reconstruction et de montant de garantie, sans égard au montant de la vente.
[100] Cet élément ne permet pas de remettre en question la crédibilité ou la bonne foi de Touchette.
L'évaluation et la visite d'un représentant
[101] Lorsqu'il effectue ses recherches, Touchette a en mains une évaluation professionnelle réalisée un an plus tôt, remise par les vendeurs. Ce document établit à 510 000 $ la valeur marchande de l'immeuble et à 441 000 $ le coût de remplacement de la bâtisse.
[102] Il explique aux divers fournisseurs d'assurances que la valeur de reconstruction pourrait peut-être être plus élevée que 441 000 $, sans pouvoir l'établir avec précision. À cet égard, il témoigne que Grégoire lui parle d'une éventuelle visite d'un représentant de l'assureur pour évaluer la maison, ce qui pourrait modifier le montant de la garantie plus tard au besoin. Le montant est tout de même majoré à 500 000 $.
[103] L'assureur stipule premièrement que les Lloyd' s ne mandatent jamais d'évaluateur pour effectuer une telle visite. Peut-être. Mais il n'est pas incongru de croire que dans le cadre d'une police haut de gamme (Excellence), d'une garantie particulière et d'une couverture somme toute importante, l'assureur souhaite s'assurer de l'étendue du risque qu'il encourt. Cet élément ne permet pas de conclure que Touchette tentait d'induire l'assureur en erreur.
[104] Ensuite, il est important de se placer au moment de la conclusion du contrat. Aujourd'hui, on constate que la marge d'erreur était très importante. Toutefois, à l'époque Touchette sait, parce qu'il a déjà construit une maison et qu'il constate que les matériaux de celle-ci sont haut de gamme, que la construction est plus coûteuse. Mais son choix de référer à l'expertise et de la majorer, dans les circonstances, n'est pas déraisonnable. Particulièrement, considérant qu'il croit qu'un expert de l'assureur ajustera le montant.
L'évaluation majorée, est-elle une méthode valable?
[105] L'assureur soulève que l'évaluation à laquelle réfère Touchette est désuète, puisqu'elle date d'une année. Encore une fois, la police ne pose aucune balise quant aux qualités que doit offrir la méthode choisie.
[106] L'assureur n'a pas assigné l'évaluateur en question.
[107] Dans le contexte, le recours à cette évaluation est raisonnable et sérieux, même si la suite des événements démontre que ses conclusions, quant au coût de reconstruction, étaient erronées.
[108] Ensuite, l'assureur invoque qu'elle ne lui est pas opposable, puisqu'elle ne lui a pas été transmise au moment de conclure le contrat. La preuve révèle qu'il en a pris connaissance peu après le sinistre et qu'auparavant, Touchette en avait communiqué le contenu au courtier.
[109] Le contrat ne traite pas d'une quelconque obligation de communiquer la méthode choisie par l'assuré. L'assureur n'a jamais requis de connaître le raisonnement à la base de l'évaluation non plus.
[110] On ne saurait, après coup, reprocher à l'assuré de ne pas l'avoir remise spontanément.
[111] Finalement, l'assureur soulève que s'il avait été en possession du document au moment de conclure le contrat, son mandataire[17] n'aurait pas accepté de s'y fier; notamment, puisqu'on y réfère à une valeur marchande établie à la demande d'un propriétaire dans un contexte de vente.
[112] Bien que l'évaluation vise à établir la valeur marchande de l'immeuble en mai 2005, elle réfère, entre autres méthodes, à une estimation du coût de remplacement calculé avec les tables de taux du M.A.M..[18] Il s'agit d'une méthode parmi d'autres pour établir le coût de reconstruction. Cette méthode satisfait à l'obligation de la police, telle que libellée.
[113] Après coup, il s'avère que cette méthode, qui vise à multiplier la superficie par un certain coefficient, ne produit pas une donnée réaliste. Rien toutefois ne permet conclure qu'au moment de signer le contrat, Touchette aurait dû l'écarter complètement et qu'il était de mauvaise foi en s'y fiant.
[114] Encore une fois, la police n'exige pas que la méthode soit divulguée, ni pré- approuvée par l'assureur. Cet argument ne peut fonder un motif pour l'assureur de refuser d'honorer ses engagements.
3. Touchette a-t-il respecté son obligation de reconstruire le même bâtiment?
[115] L'assureur soumet que la maison que Touchette a reconstruite ne répond pas à son obligation, à savoir :
[116] L'assureur plaide qu'en droit, Touchette n'a pas bâti le bâtiment détruit, mais autre chose. Il réfère à la différence entre une Cadillac et une Volkswagen. Ainsi, Touchette s'enrichirait sans cause. Il ajoute que le Tribunal doit considérer qu'il ne pouvait raisonnablement pas s'attendre à devoir débourser une telle somme pour une prime annuelle d'environ 2 000 $.
[117] La maison incendiée était particulière. Elle fascinait Touchette pour cette raison. Elle dominait une presqu'île en bordure d'un cours d'eau prisé. Elle était construite de bois massif (cèdre de Colombie) avec une technique ancienne. Ses fenêtres avaient été fabriquées par un artisan.
[118] Les plans n'ont pu être retrouvés. Touchette avait fait lui-même des dessins avant l'incendie pour planifier ses rénovations. Il avait alors pris les mesures et reproduit à l'échelle les dimensions de la bâtisse. Il possède aussi des photos qui démontrent la qualité de la finition intérieure et extérieure.
[119] Au cours des 3 ans qu'ont duré les discussions et ensuite durant les procédures, il reconstruit essentiellement la même maison en ajoutant un garage et une pièce du côté du lac. Toutes ces améliorations sont exclues des estimations qu'il présente à l'assureur. La situation est dénoncée aux ajusteurs en cours de route.
[120] L'implantation de la maison est légèrement décalée. Il n'est pas question d'un changement de site que veut prévenir la clause. Touchette ne construit pas une maison sur un autre terrain, mais décale de quelques mètres le carré par rapport à l'ancienne. Ce décalage ne modifie en rien le coût de reconstruction.
[121] La preuve ne convainc pas le Tribunal que la condition énoncée au contrat n'est pas ici respectée quant au lieu où la nouvelle construction est implantée.
[122] Quant aux matériaux utilisés, l'assureur avance que certaines différences se vérifient avec l'ancienne construction. Notamment, une nouvelle technique d'isolation de la fondation permet maintenant de couler la fondation et de l'isoler en même temps. Cette méthode n'était pas disponible au moment de la construction initiale. Encore une fois, elle n'engendre aucun coût additionnel pour l'assureur.
[123] Les différences observées entre l'ancienne et la nouvelle construction, dans le contexte du présent dossier, ne permettent pas de conclure que Touchette n'a pas reconstruit le bâtiment incendié.
4. Le cas échéant, Touchette a-t-il fait la preuve de sa perte?
[124] Pour établir le montant de sa réclamation, Touchette a mandaté un expert à qui il a fourni les plans qu'il avait dessinés et les photos de la maison avant l'incendie. Cet expert (Rioux) a produit un rapport qui conclut au coût de reconstruction de l'immeuble incendié, à savoir environ 1 200 000 $.
[125] L'assureur oppose que cette façon de faire ne fait pas la preuve du coût réel de la reconstruction et qu'en conséquence, il n'a aucune obligation d'effectuer le remboursement. Selon lui, la production d'une évaluation par Rioux ne satisfait pas l'obligation de l'assuré. Il doit produire les factures de matériaux, effectivement incorporés à l'immeuble, et de la main d'œuvre ayant servi à le rebâtir.
[126] Cette question a fait l'objet d'une demande de réouverture d'enquête pour que Touchette produise une multitude de factures et témoigne quant à la construction.
[127] L'assureur continue de plaider que le Tribunal ne peut être certain que les factures produites réfèrent à des matériaux comparables, ni même qu'ils sont incorporés à ce même bâtiment.
[128] Premièrement, le fait que Touchette dépose une évaluation au lieu des factures fait-il échec à son droit d'obtenir ledit remboursement?
[129] Une situation semblable s'est présentée dans l'affaire Lefebvre c. Compagnie d'assurances Wawanesa. Le juge y confirme que l'assureur ne peut invoquer son propre manque de diligence dans le paiement de l'indemnité pour reprocher ensuite à l'assuré de ne pas suivre à la lettre la procédure de remplacement du bien. Il s'exprime ainsi :
Lorsqu'un contrat d'assurance comporte une clause de valeur à neuf limitant le remboursement aux sommes effectivement versées pour la réparation ou le remplacement des biens sinistrés, l'assureur ne saurait se plaindre du non-remplacement immédiat des objets volés, si la seule cause du défaut de l'assuré de procéder immédiatement à celui-ci est le refus injustifié de l'assureur d'honorer la preuve de perte.[19]
(Nos soulignements)
[130] Rappelons qu'en l'espèce, Touchette fournit une évaluation à la demande de l'assureur et qu'ensuite Lambert, ajusteur, lui parle de Cash out. C'est à ce moment qu'il entreprend la construction.
[131] Dans les circonstances de l'espèce, considérant le comportement de l'assureur, l'ampleur de la construction et les démarches raisonnables effectuées par Touchette, le Tribunal conclut que la production d'une expertise constitue une preuve acceptable de la perte.
La qualité de la preuve de la perte
[132] L'assureur oppose sa propre expertise à celle de Rioux, soit celle de son évaluateur, St-Amour qui évalue à environ 895 000 $ le coût de reconstruction. Il propose d'arbitrer leurs opinions, qui sont convergentes sur certains points et de retenir celle de St-Amour là où ils divergent.
[133] Le Tribunal estime que l'opinion de St-Amour ne satisfait pas les critères de fiabilité requis pour faire échec à la preuve présentée par Rioux.
[134] Premièrement, le témoignage de St-Amour est confus à l'occasion. Il sera remplacé par son fils qui le contredira lors de la réouverture d'enquête.
[135] Ensuite, il manque de rigueur, notamment alors qu'il ne s'assure pas d'avoir en mains les plans dessinés par Touchette, de contacter les firmes spécialisées au besoin, de se référer aux données exactes pour les fenêtres, malgré qu'il s'agisse d'une donnée sûre et disponible. Il ne fait pas de vérification quant au terrassement.
[136] Il affirme que le puits peut être réparé, alors que le plombier s'est rendu en hiver et ne pouvait pas le localiser et qu'aucune vérification n'est faite ensuite.
[137] Il se fie aux dires d'un collègue (St-Onge) quant à des informations qui s'avèrent inexactes.
[138] Son rapport comporte des erreurs de calcul. Il ne tient notamment pas compte de la superficie occupée par le sous-sol pour déterminer le coût au pied carré.
[139] Il ne tient pas compte de certaines données, tel le besoin de linteau aux fenêtres le vernissage de certaines poutres et pas d'autres. Lesquelles données sont essentielles.
[140] En conséquence, le Tribunal écarte le témoignage de St-Amour.
[141] Quant à la preuve faite par l'expert Rioux, le Tribunal y retrouve tous les éléments essentiels à sa fiabilité et la retient. Son rapport et son témoignage sont rigoureux et basés sur des données bien documentées et fiables. Son opinion est clairement exprimée et raisonnable.
[142] Il conclut que pour reconstruire la maison incendiée selon les normes en vigueur au moment de la reconstruction, avec des matériaux de qualité comparable, incluant les taxes, la somme de 1 299 763 $ doit être déboursée.
[143] Relativement au témoignage de Touchette, que l'assureur remet en question quant au fait qu'une maison a bel et bien été bâtie sur les lieux de l'ancienne : le Tribunal le retient. L'assureur n'a pas fait la preuve de sa prétention que Touchette n'aurait pas dépensé la somme en question pour se reconstruire une maison au même endroit.
5. L'assureur est-il en défaut d'indemniser Touchette pour le contenu?
[144] Les parties ont convenu qu'une perte de 50 000 $ est réalisée par Touchette à ce chapitre. Aucune somme n'est à ce jour versée par l'assureur à ce chapitre.
[145] Pourtant, les biens meubles font l'objet d'une garantie de 350 000 $.
[146] La preuve établit qu'aucune discussion spécifique à cet égard n'a été tenue du moins jusqu'en octobre 2008, selon ce qu'en témoigne Lambert. De même, Touchette dépose des factures qui sont récentes.
[147] Dans ce contexte, le Tribunal estime que Touchette a droit à l'indemnisation pour le remplacement de ces effets, mais le calcul des intérêts débutera à l'ouverture du procès, en juin 2013.
6. L'assureur doit-il compenser les troubles et inconvénients, le cas échéant quel est le montant de ces dommages?
[148] Touchette a été forcé d'encaisser divers placements pour financer lui-même la construction de sa maison et de travailler au chantier. Il a rencontré des difficultés à s'assurer.
[149] Il témoigne aussi d'un stress énorme, de la perte d'appétit et de sommeil, puis d'irritabilité. Il attribue, du moins en partie, sa séparation conjugale à toutes ces difficultés.
[150] Il réclame 50 000 $ à titre de perte pécuniaire et 50 000 $ pour dommages moraux.
[151] Le cocontractant sera tenu de réparer les dommages immédiats et directs engendrés par sa faute, comme la Loi le prévoit :
En matière contractuelle, le débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir au moment où l'obligation a été contractée, lorsque ce n'est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu'elle n'est point exécutée; même alors, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution. [20]
[152] En l'espèce, l'intention de l'assureur de ne pas indemniser, malgré le texte de la police, donne ouverture à l'indemnisation recherchée.
Le préjudice matériel
[153] Il est prévisible qu'un assuré doive débourser les frais de reconstruction d'un immeuble lorsque l'assureur fait défaut de remplir son obligation de l'indemniser et que le financement de tel projet engendre des coûts. Ici, même les coûts de démolition ont dû être avancés par Touchette. Des coûts pourtant inévitables pour l'assureur et importants pour l'assuré.
[154] Le droit de reconstruire se transforme en obligation à certains égards, notamment pour respecter la réglementation municipale et préserver les droits acquis. Cela non plus, l'assureur ne peut l'ignorer au moment de conclure le contrat.
[155] Pour la majorité des citoyens, il aurait été nécessaire de recourir à un prêt occasionnant des frais d'intérêts. Ici, Touchette a encaissé des placements. Il a donc été privé des gains en intérêts. Toutefois, la preuve ne précise pas de combien Touchette a été privé. Le Tribunal ne peut donc évaluer la valeur de cette perte.
[156] Par ailleurs, Touchette témoigne que toute la situation l'a empêchée d'acheter une bannière de courtier en immeuble. Cela, malgré qu'il ait investi temps et argent dans la formation requise. Encore une fois, cette perte n'est pas quantifiée.
[157] Ensuite, il a dû se départir d'un terrain où il avait l'obligation d'ériger une bâtisse dans un délai imparti. Il a vendu ce terrain 40 000 $ de moins que le prix d'achat et il estime avoir aussi perdu un profit. La perte de profit n'est pas documentée, toutefois aucune preuve contraire n'est offerte quant aux 40 000 $ perdus sur l'investissement lui-même. L'assureur n'oppose pas davantage de preuve quant au fait que cette vente soit rendue nécessaire par son retard à verser l'indemnité.
[158] Ce dommage est donc prouvé, de même son lien avec le manquement de l'assureur à ses obligations contractuelles.
Les frais de logement
[159] Finalement, Touchette s'est logé dans une maison de ses parents durant la construction et il réclame un loyer en conséquence, cette somme s'élève à 78 817,45 $, jusqu'en décembre 2013. Il n'a pas versé cette somme, il témoigne qu'il la doit à ses parents qui lui ont fait crédit jusqu'à ce jour et dépose des factures à cet effet.
[160] Premièrement, Touchette n'avait pas l'intention d'habiter la résidence incendiée pour une période relativement longue puisqu'il souhaitait la rénover. Il avait prévu y travailler lui-même en partie. Le Tribunal fixe donc cette période à une année, considérant les travaux projetés, et la manière que Touchette prévoyait les réaliser.
[161] Son besoin de se loger débute donc en février 2008 et s'échelonne jusqu'en décembre 2013. Cinq ans pour construire la maison représentent une très longue période. Ce délai est certes engendré par le refus d'indemniser de l'assureur. Toutefois, il est aussi dû aux décisions de Touchette d'agrandir la maison, d'y travailler lui-même en partie par obligation en partie par choix.
[162] Dans les circonstances très particulières en l'espèce, le Tribunal estime qu'un délai de trois ans est raisonnable. Le loyer réclamé est en moyenne de 1 000 $ par mois, ce qui est raisonnable.
[163] Par ailleurs, le fait qu'il s'agisse d'une dette plutôt que d'une facture déjà payée, n'empêche pas qu'elle soit due par l'assureur. La preuve révèle que la somme est exigible et le fait qu'elle soit due aux parents du demandeur plutôt qu'à une institution financière, ne limite pas la responsabilité de l'assureur à son égard.
[164] Le Tribunal considère donc une somme de 36 000 $ à ce titre.
Le préjudice moral
[165] Touchette a fait la preuve qu'il a été grandement affecté par toute cette situation. Depuis février 2007, une partie de son énergie y est consacrée. Homme entier et très impliqué dans son dossier, le Tribunal conclut aisément qu'il y a pensé et travaillé au moins 5 à 7 jours semaine depuis 7 ans.
[166] Quantifier la valeur de la souffrance psychologique est complexe. La Cour suprême[21]confirme qu'il y a lieu d'apprécier la situation en fonction d'approches : conceptuelle, personnelle et fonctionnelle. Dans cette affaire, la Cour suprême confirmait l'octroi de 400 000 $ à titre de dommages non pécuniaires à Robinson, victime du vol de son œuvre. Notons que les circonstances dans cette affaire représentent l'une des pires situations, ayant engendré une très grande détresse pour le demandeur.
[167] En l'espèce Touchette, a vécu une situation difficile et préoccupante. Sa santé, physique et psychologique, en a été affectée. Toutefois, il ne s'est pas vu privé d'un gagne-pain. Retraité dès l'achat de la maison, il a travaillé à sa reconstruction, certes par obligation, mais aussi par intérêt pour l'activité elle-même. Par ailleurs, le temps qu'il y a investi est comptabilisé dans les coûts de main-d'œuvre.
[168] Dans les circonstances, le Tribunal accorde une somme de 10 000 $ pour compenser les soucis, l'incertitude et le stress causé par la décision de l'assureur de ne pas indemniser, puis de le faire partiellement et tardivement.
7. Le courtier a-t-il manqué à ses obligations de renseignement, de conseil et de représentation?
[169] Dans l’éventualité où le Tribunal retient la défense de l'assureur, Touchette demande que le courtier soit tenu de l'indemniser puisqu'il aurait manqué à ses obligations professionnelles.
[170] Considérant le rejet de la défense, le Tribunal s'abstient de se prononcer sur les questions soulevées par cette demande subsidiaire et réserve les droits des parties à cet égard. Toutefois, l'assureur sera tenu aux dépens puisque la preuve pertinente à ces questions a dû être administrée.
[171] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[172] ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance ré amendée;
[173] REJETTE la défense du défendeur M.J. OPPENHEIM, ès qualité de fondé de pouvoir au Canada pour les Souscripteurs, membres du Lloyd’ s;
[174] RÉSERVE les droits des parties quant au recours subsidiaire introduit contre la défenderesse LES ASSURANCES BREAULT & GRÉGOIRE INC.;
[175] CONDAMNE le défendeur M.J. OPPENHEIM, ès qualité de fondé de pouvoir au Canada pour les Souscripteurs, membres du Lloyd’ s, à payer au demandeur la somme de 799 763,99 $, avec intérêts depuis le 4 juillet 2007, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec;
[176] CONDAMNE le défendeur M.J. OPPENHEIM, ès qualité de fondé de pouvoir au Canada pour les Souscripteurs, membres du Lloyd’ s, à payer au demandeur la somme de 50 000 $, avec intérêts depuis le 1er juin 2013, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec;
[177] CONDAMNER le défendeur M.J. OPPENHEIM, ès qualité de fondé de pouvoir au Canada pour les Souscripteurs, membres du Lloyd’s, à payer au demandeur la somme de 86 000 $, avec intérêts depuis le 4 juillet 2007, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec;
[178] LE TOUT avec les entiers dépens incluant les dépens exigibles dans le cadre du recours introduit contre la défenderesse LES ASSURANCES BREAULT & GRÉGOIRE INC., incluant les frais d’expertises ainsi que les coûts associés à la préparation du témoignage des experts et à leur présence à la Cour lors de l’audition.
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__________________________________ CAROLE THERRIEN. J.C.S. |
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Me Michel McMillan |
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DONATI MAISONNEUVE s.e.n.c.r. l. |
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Procureurs du demandeur |
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Claude-Henri Grignon |
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ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO, s.e.n.c.r.l./LLP |
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Procureurs des défendeurs |
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Dates d’audience : |
10 au 20 juin 2013 7 et 11 juillet 2014 |
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[1] L'utilisation des noms de famille vise à faciliter la lecture du texte, le Tribunal prie les personnes concernées de ne pas y voir un manque de respect.
[2] Soulignements du Tribunal
[3] Pièce P-1, article 7
[4] Richter & associé inc. c. Merrill Lynch Canada inc., 2007 QCCA 124, par. 58 et suivants
[5] Id., par. 62.
[6] Micheline Lapointe-Boucher c. La Mutuelle-vie des fonctionnaires, EYB 1987-58193 (CA); Domenico Di Capua et al. c. Barreau du Québec - et - Pierre N. Girouard, CA 500-09-010263-002; The Continental Insurance Company c. Tracy Plate Shop Inc., EYB 1987-58193.
[7] Turcotte c. Pelletier, 2012 QCCS 2462
[8] Pièce P-31
[9] Code civil du Québec, articles 2470 à 2474
[10] Code civil du Québec, article 2163
[11] Code civil du Québec, article 1432
[12] Affiliated FM Insurance Company c. Hafner Inc., 2006 QCCA 485
[13] Code civil du Québec, article 1432
[14] Pièce P-1
[15] Défense, paragraphe 21
[16] David c. Compagnie d'assurances Canadian Surety, CS 2002-01-22 700-17-000627-009;
[17] Selon Perron de Groupe South Western
[18] Ministère des Affaires municipales du Québec
[19] 2012 QCCS 2871
[20] Code civil du Québec, article 1613
[21] Cinar Corporation c. Robinson [2013] 3 R.C.S. 1168
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.