Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Dabdaba et Bell Canada

2019 QCTAT 1158

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

585208-71-1509      610824-71-1607

 

Dossier CNESST :

134618347   140900929

 

 

Gaspé,

le 28 février 2019

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Louise Desbois

______________________________________________________________________

 

 

 

Ali Dabdaba

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Bell Canada

 

Partie mise en cause

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

APERÇU

[1]           Le 10 février 2009, monsieur Ali Dabdaba (le travailleur) chute sur la glace dans l’exercice de son emploi de représentant chez Bell Canada (l’employeur) et se blesse au coude droit.

[2]           Un diagnostic de luxation du coude droit est reconnu à l’époque à titre de lésion professionnelle. Le travailleur est autorisé par son médecin à retourner au travail dès le 8 avril 2009, puis il est question de travaux légers. Le travailleur cesse de se présenter à ses traitements à compter de mai 2009, puis est autorisé par son médecin à partir en voyage du 20 juin au 14 août 2009. Il est question d’un rapport final le 21 août 2009, mais que le Tribunal n’a pas retrouvé au dossier. Quoi qu’il en soit, il n’y a plus de suivi médical ou autre par la suite et la Commission ferme son dossier. Le travailleur retourne au travail en novembre après un congé parental.

[3]           Le 16 mars 2013, le travailleur tombe à nouveau dans l’exercice de son travail, cette fois dans un escalier. Des diagnostics d’entorse dorsolombaire et de contusion au coude droit sont alors reconnus à titre de lésions professionnelles. Un diagnostic de syndrome post-commotionnel est posé un peu plus tard, mais n’est pas reconnu comme résultant de l’accident du travail alors survenu[1]. Les lésions sont déclarées consolidées dès le 13 juin 2013 et il est formellement établi qu’il ne résulte ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de celles-ci. Le travailleur est dès lors considéré comme capable de reprendre son emploi, cette fois en dépit de ses protestations, le travailleur alléguant alors être à toutes fins utiles invalide[2].

[4]           Le travailleur allègue par la suite la survenance de lésions professionnelles consistant en des récidives, rechutes ou aggravations en octobre et en décembre 2014. Il est alors question tant du syndrome post-commotionnel que de l’entorse dorsolombaire et de la contusion au coude droit. Ces réclamations sont rejetées et le tout est également confirmé par la Commission des lésions professionnelles[3].

[5]           Le travailleur allègue finalement avoir subi, le 6 mai 2015 et le 18 février 2016, de nouvelles lésions professionnelles consistant en des récidives, rechutes ou aggravations des lésions subies lors de l’un ou l’autre ou des deux accidents du travail précités selon le cas. Des diagnostics de trouble de l’adaptation avec affect dépressif et de syndrome post-commotionnel sont posés à l’époque de la première récidive, rechute ou aggravation alléguée, alors que des diagnostics d’aggravation de luxation et de laxité du coude droit sont posés à l’époque de la seconde.

[6]           Les réclamations du travailleur sont rejetées par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) et ces refus sont confirmés à la suite de révisions administratives les 4 septembre 2015 et 28 juin 2016. Le travailleur conteste ces décisions devant le Tribunal administratif du travail (le Tribunal) et il s’agit des litiges dont le premier juge administratif était saisi.

[7]           Il est question au dossier du fait que le travailleur serait retourné brièvement au travail à l’automne 2016, mais aurait fait une autre chute, cette fois de sa chaise de travail, et aurait été mis en arrêt de travail par son médecin, une nouvelle réclamation ayant été soumise à ce sujet à la Commission.

[8]           Quoi qu’il en soit, une audience a lieu devant le premier juge administratif le 10 août 2017 concernant les contestations précitées du travailleur. Ce dernier et un mandataire de l’employeur y assistent tous deux et y sont représentés par leur procureur respectif. Le 10 novembre 2017, le premier juge administratif rend sa décision par laquelle il confirme les décisions de la Commission.

[9]           Le travailleur demande maintenant la révision ou la révocation de cette décision, alléguant en ses mots que celle-ci est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.

[10]        Une audience est prévue devant le Tribunal le 28 juin 2018, le travailleur ayant demandé à être entendu sur sa requête[4]. Le procureur de l’employeur en demande la remise, mais le travailleur s’y objecte et il est fait droit à son objection. Le 28 juin 2018, le procureur de l’employeur est présent à l’audience à laquelle le travailleur ne se présente cependant pas.

[11]        Le 6 septembre 2018, le travailleur demande une réouverture d’enquête, prétendant avoir consenti à la remise demandée par l’employeur et ne pas avoir été avisé que l’audience aurait lieu comme prévu le 28 juin 2018. En dépit de la preuve au dossier infirmant les allégations du travailleur, il lui est accordé la permission de soumettre ses représentations écrites à l’intérieur d’un délai d’un mois, ce qui est fait, mais avec 19 jours de retard. Le dossier est finalement mis en délibéré le 26 novembre 2018 après que l’employeur ait eu l’occasion de produire une brève réplique, sans s’être objecté au dépôt tardif des représentations du travailleur, et que le travailleur n’ait pas transmis de réplique à l’intérieur du délai qui lui avait été accordé pour ce faire (ni, par ailleurs, par la suite).

[12]        Dans sa requête en révision ou en révocation, le travailleur allègue d’abord avoir été mal représenté lors de l’audience, par une avocate venant tout juste de prendre son dossier en charge. Il reproche ensuite essentiellement au premier juge administratif d’avoir privilégié certaines opinions médicales plutôt que d’autres ou certains éléments de preuve plutôt que d’autres. Dans les représentions qu’il produit le 14 novembre 2018, il abonde essentiellement dans le même sens, outre qu’il reproche au premier juge administratif et à la médecin l’accompagnant à titre d’assesseure une trop grande familiarité avec le procureur de l’employeur, et qu’il insiste sur le fait qu’il souffre de dépression que la preuve ne permettait pas au premier juge administratif de déclarer être associé au syndrome post-commotionnel diagnostiqué chez lui.

[13]        Le procureur de l’employeur, tant lors de l’audience qu’à la suite des représentations écrites du travailleur, rappelle que la décision rendue par le premier juge administratif est finale et sans appel et que les arguments du travailleur sont soient non pertinents, non démontrés ou s’apparentent tout au plus à une demande de réappréciation de la preuve, ce que ne permet pas le recours en révision ou en révocation.

[14]        Après avoir pris connaissance du dossier et des arguments soumis, le Tribunal doit conclure que le travailleur n’a pas démontré de motif justifiant son intervention en révision ou en révocation.

CONTEXTE

[15]        Le premier juge administratif devait déterminer si le travailleur avait subi une récidive, rechute ou aggravation de nature psychique ou neurologique le 6 mai 2015 et de nature physique, plus particulièrement au niveau de son coude droit, le 18 février 2016.

[16]        Le premier juge administratif rapporte longuement l’historique du dossier et l’essentiel des opinions médicales émises au fil du temps. Il est remarquable que dans l’immense majorité de celles-ci, jusqu’à l’été 2017, il soit question d’allégations de symptômes, voire d’invalidité totale par le travailleur, qui sont déclarées être inexplicables, incohérentes ou discordantes avec les examens médicaux[5]. Deux rapports d’expertise médicale de juillet 2017, obtenus par le travailleur, font état de conclusions différentes, voire contraires. Or, il revenait au premier juge administratif d’analyser et d’apprécier le tout aux fins de sa décision.

[17]        Comme le premier juge administratif le souligne d’emblée dans le cadre de ses motifs, la notion de récidive, rechute ou aggravation n’est pas définie dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[6] (la loi). Il réfère donc comme suit à l’interprétation jurisprudentielle bien établie de cette notion, le tout n’étant pas remis en cause dans le cadre du présent recours et constituant effectivement le fondement légal des litiges dont il était saisi :

[66]      Le Tribunal est appelé à décider si le travailleur a subi des lésions professionnelles le 6 mai 2015 et le 18 février 2016 sous forme de récidives, rechutes ou aggravations.

 

[67]      Les notions « accident du travail » et « lésion professionnelle » sont définies à l’article 2 de la loi qui se lit comme suit:

 

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par:

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l’aggravation;

 

[…]  

 

[68]      La notion « récidive, rechute ou aggravation » n’est pas définie à la loi. Nous devons donc nous en remettre à la jurisprudence en la matière ainsi qu’aux différentes définitions retrouvées dans les dictionnaires de langues et médicaux, sans nécessairement nous y restreindre. Dans cette optique, nous retenons que la récidive, rechute ou aggravation constitue, entre autres, un changement ou une modification de la condition du travailleur, ou une détérioration objective de l’état de santé, soit une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes. Chacun des trois termes « récidive12 », « rechute13 », « aggravation14 » doit être analysé à la lumière de la preuve.

 

[69]      lI a été décidé à de nombreuses reprises qu’il n’est pas nécessaire que la récidive, rechute ou aggravation résulte d’un fait nouveau à caractère accidentel ou non. Pour que le Tribunal conclue à son existence, il faut toutefois qu’une preuve prépondérante établisse une relation entre la pathologie ou les symptômes présentés à l’occasion de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et celle survenue par le fait ou à l’occasion de la lésion professionnelle initiale15.

 

[70]      Entre autres critères reconnus pour établir cette relation, la jurisprudence a généralement retenu ceux-ci : la gravité de la lésion initiale; la continuité de la symptomatologie; l’existence ou non d’un suivi médical; le retour au travail avec ou sans limitations fonctionnelles; la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique; la présence ou l’absence de conditions personnelles; la compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale; le délai entre la récidive, rechute ou aggravation et la lésion initiale16, la similitude du site des deux lésions et la similitude des diagnostics17.

 

[Notes omises]

 

 

ANALYSE

Le cadre juridique

[18]        En vertu de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[7] (la LITAT), les décisions rendues par le Tribunal administratif du travail sont finales et sans appel, tout comme c’était également le cas des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles :

51. La décision du Tribunal est sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

 

[…]

[19]        Cette nouvelle disposition réaffirme la finalité de la décision du Tribunal, ce qui était énoncé anciennement à l’article 429.49 de la Loi. En outre, la version anglaise de cette disposition reprend textuellement le libellé de l’article 429.49 :

51. The Tribunal's decision is final and without appeal, and the persons concerned must comply with it immediately.

 

[…]

[20]        Bien qu’aucun appel d’une décision du Tribunal administratif du travail ne soit permis, une révision ou une révocation de celle-ci est possible, lorsque des conditions très strictes sont satisfaites, lesquelles sont énoncées à l’article 49 de la LITAT.

[21]        Cette nouvelle disposition, similaire à l’article 429.56 de la Loi en vigueur jusqu’au 1er janvier 2016, se lit comme suit :

49. Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'il a rendu :

 

1° lorsque est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie intéressée n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, présenter ses observations ou se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à l'invalider.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3° du premier alinéa, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le membre qui l'a rendu.

[22]        Le Tribunal constate d’abord que la requête du travailleur, produite le 1er décembre 2017 à l’encontre de la décision rendue le 10 novembre précédent, l’a été à l’intérieur du délai raisonnable prévu par la Loi[8], ce délai étant maintenant interprété comme étant de trente jours de la notification de la décision[9]. La requête est donc recevable.

Le motif de révision ou de révocation allégué en l’instance

[23]        Demeure la question du bien-fondé de cette requête. Le travailleur allègue que la décision rendue par TAT-1 doit être révisée parce qu’elle serait entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider au sens du troisième paragraphe de l’article 49 précité. 

La décision est-elle entachée d’un vice de fond?

·        La notion de vice de fond

 

[24]        Cette notion de « vice de fond ou de procédure de nature à invalider une décision » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles puis par le Tribunal administratif du travail à de multiples reprises[10], interprétation par ailleurs confirmée et précisée par la Cour d’appel du Québec à plus d’une occasion[11].

[25]        Il s’avère qu’une décision du Tribunal administratif du travail ne peut être révisée en vertu du troisième paragraphe de l’article 49 que s’il est démontré par la partie qui en demande la révision qu’elle est entachée d’une erreur grave, manifeste (évidente) et déterminante.

[26]        Il a ainsi été précisé que le recours en révision ne s’apparente d’aucune façon à un appel et ne doit pas constituer un tel appel déguisé, et que la notion de vice de fond ne doit quant à elle pas servir de prétexte à une répétition de la procédure initiale et à l’obtention d’une nouvelle appréciation des mêmes faits et arguments ni, par ailleurs, constituer une occasion pour une partie de bonifier sa preuve ou ses arguments[12].

[27]        En 2005, la Cour d’appel du Québec, sous la plume du juge Morrissette, précise son interprétation de cette notion dans l’arrêt CSST c. Fontaine[13], devenu une référence en la matière :

[50]      En ce qui concerne les caractéristiques inhérentes d’une irrégularité susceptible de constituer un vice de fond, le juge Fish note qu’il doit s’agir d’un « defect so fundamental as to render [the decision] invalid » [46], « a fatal error » [47]. Une décision présentant une telle faiblesse, note-t-on dans l’arrêt Bourassa [48], est « entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige ». […] On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire « un vice de fond de nature à invalider [une] décision ».

 

[Notes omises]

[28]        Encore en 2014, dans l’affaire Moreau et Régie de l’assurance maladie du Québec[14], la Cour d’appel du Québec réaffirme ce principe selon lequel une très grande retenue est de mise en matière de révision, rappelant notamment qu’un « vice de fond de nature à invalider une décision est une erreur fatale qui entache l’essence même de sa décision, sa validité même ».

[29]        En 2015, dans l’affaire Beaupré-Gâteau c. Commission des relations du travail[15], la Cour supérieure, référant alors à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador[16], réitérait ce principe selon lequel le Tribunal doit faire preuve d’une grande retenue lorsqu’il siège en révision :

[53]      Comme la CRT le précise elle-même au paragraphe [23] de sa décision, elle doit déterminer si la décision contestée contient « une erreur grossière, un accroc sérieux et grave à la procédure, une décision ultra vires, c’est-à-dire rendue sans que la Commission ait eu la compétence pour le faire, une décision rendue en l’absence de preuve ou en ignorant une preuve évidente. II faut aussi que soit démontrée la nécessité d’une correction à cause de ce vice sérieux. »

·        Le vice de fond allégué en l’instance

[30]        Le travailleur allègue en fait de nombreux éléments qu’il semble assimiler, individuellement ou ensemble, à un vice de fond invalidant la décision rendue par le premier juge administratif.

o   Une mauvaise qualité de préparation et de représentations de sa procureure?

[31]        Le travailleur allègue dans sa requête que l’avocate qui l’a représenté devant le premier juge administratif n’avait pas eu le temps de prendre adéquatement connaissance de son dossier, celui-ci lui ayant été transféré par une autre avocate de son bureau quelques jours avant l’audience. Il n’en reparle pas dans ses représentations.

[32]        Ce n’est en outre pas la première fois qu’il soumet de telles allégations au Tribunal dans le cadre d’une requête en révision, à l’égard d’autres représentants, celles-ci ayant alors été rejetées et ce rejet confirmé à la suite d’une seconde requête en révision du travailleur qui ne semble pas comprendre la nature exceptionnelle de ce recours[17].

[33]        À l’écoute de l’enregistrement de l’audience tenue devant le premier juge administratif, le Tribunal constate que la procureure du travailleur semble bien connaître le dossier, quoique depuis peu, mais souligne d’emblée que le travailleur était à l’extérieur du pays jusqu’à la veille et que ce n’est en outre qu’alors qu’il lui a remis les rapports d’expertise médicale du docteur Bernard Chartrand en ce qui a trait aux lésions physiques alléguées, outre le fait qu’elle a alors vu au dossier le rapport d’expertise psychiatrique du 10 juin 2017 du docteur Pierre Laberge. Le dépôt tardif, soit le matin de l’audience, et l’acceptation de ces rapports par le Tribunal font alors l’objet d’une objection véhémente par le procureur pour être finalement acceptés par le premier juge administratif.

[34]        En fait, les documents sont initialement acceptés sous réserve de l’objection à être tranchée, et le procureur de l’employeur devait en être informé si le premier juge administratif décidait de les accepter, afin qu’il ait l’occasion de décider s’il souhaitait obtenir et produire une contre-preuve. Les documents ont été acceptés, mais l’employeur n’en a été informé que dans le cadre de la décision finale. Il ne s’en est pas plaint considérant que les contestations du travailleur ont été rejetées, mais si la requête en révision ou en révocation du travailleur devait être accueillie, ce droit de l’employeur ne saurait être ignoré.

[35]        Quoi qu’il en soit, le travailleur invoque donc, sur le plan juridique, son droit d’être entendu. Il s’agit d’un droit fondamental qui découle des règles de justice naturelle[18]. Ce droit est par ailleurs codifié en ce qui concerne les litiges soumis au Tribunal administratif du travail[19].

[36]        Il est cependant bien établi que ce droit n’est pas absolu, dans la mesure où il appartient à l’administré qui peut y renoncer, de façon expresse, implicite ou par sa négligence, ou être présumé y avoir renoncé à défaut de l’avoir invoqué en temps opportun[20].

[37]        Il y a plus. En effet, il est également bien établi au sein de la jurisprudence que la faute, l’incompétence et les choix inopportuns d’un représentant ne sont pas assimilables au fait de ne pas avoir pu se faire entendre et ne constituent pas un motif de révision[21]. La preuve de circonstances exceptionnelles, dont celle de représentations mensongères ou fallacieuses d’un représentant envers la partie est requise pour que le Tribunal puisse conclure que celle-ci n’a pu se faire entendre[22]. Tout cela a déjà été mentionné au travailleur la dernière fois qu’il a invoqué, au stade de la révision, des manquements de son représentant[23].

[38]        Le Tribunal a écouté l’enregistrement de l’audience tenue devant le premier juge administratif dans le présent dossier. Jamais le travailleur n’a évoqué quelque malaise à l’endroit de son avocate, n’a révoqué le mandat de cette dernière ou n’a demandé de remise ou d’ajournement à quelque moment. Ainsi, même si ses allégations selon lesquelles il n’a pu se faire entendre du fait de l’ignorance de son dossier par sa procureure étaient le moindrement fondées, le Tribunal devrait conclure qu’il a renoncé à son droit en omettant de l’invoquer en temps opportun.

o   Une mauvaise appréciation de la preuve médicale par le premier juge administratif ou l’omission de prendre en compte certains éléments déterminants de la preuve médicale?

Dossier 585208

[39]        Le travailleur semble alléguer que le premier juge administratif aurait conclu que sa dépression était secondaire à des ennuis financiers, alors que la preuve au dossier révélait qu’il était en dépression depuis 2013, soit à une époque à laquelle il recevait de la Commission une indemnité de remplacement du revenu. Il allègue également que le juge établit erronément un lien causal entre son syndrome post-commotionnel et sa dépression.

[40]        D’abord, le Tribunal ne retrouve rien dans les motifs du premier juge administratif au sujet d’un lien causal que celui-ci établirait entre le trouble de l’adaptation avec humeur dépressive (qui est le diagnostic en cause, plutôt que dépression) et le syndrome post-commotionnel.

[41]        Le premier juge administratif évoque uniquement le diagnostic de syndrome post-commotionnel parce que le médecin du travailleur et les spécialistes qu’il mandate s’obstinent à poser ce diagnostic dans le dossier et qu’il est encore invoqué dans le cadre de la demande de récidive, rechute ou aggravation dont il est saisi. Il rappelle alors que tout lien entre celui-ci et l’accident du travail survenu le 16 mars 2013 a été définitivement écarté par la Commission des lésions professionnelles qui a déjà analysé le tout, ce sur quoi l’on ne saurait revenir.

[42]        Ensuite, en ce qui concerne en soi le diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur dépressive, le Tribunal ne retrouve pas non plus au dossier de mention de ce diagnostic avant février 2015, comme le rapporte le premier juge administratif[24]. Que le travailleur se soit auparavant senti déprimé ou ait ressenti le besoin de support psychologique, comme il l’allègue, ne signifie pas qu’il souffrait alors déjà en tant que tel d’une lésion psychique. Il faut qu’un médecin pose un tel diagnostic, ce qui n’a pas été le cas avant 2015 selon la preuve administrée devant le premier juge administratif à qui on ne peut formuler aucun reproche à ce sujet.

[43]        D’ailleurs, le premier juge administratif cite un extrait des notes du docteur Jacques Tremblay du 26 juin 2015 qui contredisent encore une fois les allégations du travailleur : « les sx [symptômes] dépressifs sont présents surtout depuis 3 mois mais sont progressivement apparus avec le stress depuis décembre 2014 ». Le docteur Tremblay n’est incidemment pas psychiatre, comme le souligne le travailleur, mais cela n’enlève rien à la force probante de ses notes contemporaines quant à ce que le travailleur lui déclare alors, outre le fait, incidemment, qu’il est par ailleurs professeur adjoint en psychiatrie et œuvre beaucoup dans ce domaine.

[44]        Quant à la docteure Marilyn Segal, psychiatre (vue par le travailleur à la demande du docteur Bernard Chartrand, médecin expert du travailleur sur le plan physique), que le travailleur reproche au premier juge administratif de ne pas avoir considérée, elle ne semble avoir rencontré le travailleur qu’une seule fois, le 8 avril 2015, n’a manifestement pas pris connaissance de l’ensemble du dossier du travailleur, tient donc pour acquis tout ce que ce dernier lui dit et, par ailleurs, n’évoque jamais la présence d’une lésion psychique depuis 2013, mentionnant en outre elle aussi le fait que la Commission aurait cessé de verser une indemnité au travailleur en octobre 2014, ce qui aurait aggravé l’état de ce dernier. Elle ne précise cependant pas ce qui en était de cet état auparavant ni s’il correspondait alors à une pathologie psychique, n’ayant vraisemblablement pas l’information requise pour le faire.

[45]        Le reproche du travailleur adressé au premier juge administratif selon lequel il aurait dû tenir compte de l’opinion de la docteure Segal pour reconnaître le caractère professionnel de son trouble psychique n’est par conséquent pas non plus fondé, cette opinion consistant en fait en des notes cliniques, étant peu étoffée, n’apportant pas d’éclairage nouveau et n’étant fondée que sur des allégations non validées du travailleur.

[46]        Il y a plus : le premier juge administratif rapporte également le fait que le psychiatre agissant comme médecin expert pour le travailleur, soit le docteur Pierre Laberge, conclut (comme la docteure Segal, d’ailleurs) que le travailleur souffre d’un trouble de l’adaptation avec humeur mixte d’intensité modérée secondaire à un trouble douloureux. Le docteur Laberge ajoute, ce qui est cependant une question juridique et non médicale, outre le fait que cela ne relève aucunement de sa spécialité, que ce syndrome douloureux serait secondaire à une chute accidentelle du travailleur.

[47]        Or, outre le fait qu’une chute accidentelle dans un contexte personnel est évoquée au dossier (bien que maintenant niée par le travailleur), il s’avère que dans la mesure où aucun réel syndrome douloureux n’a jamais été reconnu au dossier comme probant et résultant de l’un ou l’autre des accidents du travail subis par le travailleur, un trouble de l’adaptation résultant d’un tel syndrome douloureux ne peut évidemment être reconnu à titre de lésion professionnelle, comme le mentionne à bon droit le premier juge administratif.

Dossier 610824

[48]        Le travailleur reproche essentiellement au premier juge administratif de ne pas avoir retenu l’opinion de son médecin expert, le docteur Chartrand, omnipraticien, et de ne pas avoir mentionné le docteur Blanchette, chirurgien orthopédiste responsable de son suivi, ainsi que d’avoir fondé sa décision sur une affirmation fausse d’un réviseur de la Commission.

[49]        Or, ce que mentionne le premier juge administratif dans sa décision est qu’il ne nie pas que la condition objective du coude droit du travailleur soit détériorée en février 2016 par rapport à ce qu’elle était au moment de la consolidation de sa dernière lésion professionnelle à ce niveau, ce qu’attestent les rapports d’imagerie et du docteur Chartrand, et probablement aussi, du docteur Blanchette. Là n’est pas, avec raison, la question pour lui.

[50]        Le premier juge administratif rappelle plutôt que pour faire reconnaître une récidive, rechute ou aggravation de l’une ou l’autre de ses lésions antérieures au coude, le travailleur devait démontrer de façon prépondérante une détérioration de sa condition, mais également un lien causal entre cette détérioration et l’un ou l’autre de ses accidents du travail ou lésions professionnelles reconnues.

[51]        La preuve d’un tel lien causal était d’autant plus difficile dans le présent dossier qu’aucune atteinte permanente et aucune limitation fonctionnelle n’ont jamais été reconnues comme résultant de la dernière lésion professionnelle au coude droit, outre le fait que la crédibilité du travailleur est extrêmement affaiblie, pour le moins, par la majorité des avis médicaux au dossier, voire par l’ensemble du dossier.

[52]        Il revenait au premier juge administratif d’apprécier la crédibilité du travailleur, et, dans le contexte précité, d’apprécier le caractère probant de l’affirmation du réviseur de la Commission qui rapportait dans sa décision du 28 juin 2016 que le travailleur lui « mentionne que le 17 février 2016, il a glissé dans la salle de bain à son domicile et qu’il a une enflure au niveau du coude droit », aucune erreur grave, manifeste et déterminante ne pouvant lui être reprochée à ce sujet.

[53]        En outre, et au-delà de la question de crédibilité du travailleur, le premier juge administratif fonde essentiellement sa décision sur la preuve médicale, comme il se doit. Et il explique très bien l’ensemble des raisons pour lesquelles il conclut que le travailleur n’a pas démontré de façon prépondérante un lien causal entre l’état de son coude en février 2016 et l’un ou l’autre de ses accidents du travail antérieurs, aucune erreur, encore moins grave, manifeste et déterminante n’affectant encore une fois ces motifs :

[87]      lI demeure, comme l’a indiqué la Commission en révision administrative dans sa décision du 28 juin 2016, que la preuve indique effectivement que l’état de santé du travailleur s’est modifié depuis la consolidation de la lésion d’origine survenue le 10 février 2009 et consolidée le 21 août 2009 sans déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles pour le coude droit reconnus à cette date. Par contre, comme indiqué plus haut, il revient au travailleur de faire la preuve d’une relation directe entre la lésion professionnelle initiale et cette modification de son état de santé. Cette relation ne peut être présumée et la seule déclaration du travailleur ou du médecin qui a charge à ce sujet ne suffit pas pour l’établir. Cette preuve n’a pas été faite.

 

[88]      Étant donné la durée de la consolidation antérieure, l’absence d’atteinte permanente, l’absence de limitations fonctionnelles, le retour au travail depuis 2009, le long délai entre la consolidation précédente et la nouvelle récidive, rechute ou aggravation alléguée, l’absence de continuité du suivi médical, l’événement de nature personnelle survenue le 17 février 2016, le Tribunal, comme la Commission en révision, ne peut conclure à la survenance, le 18 février 2016, d’une récidive, rechute ou aggravation reliée à la lésion professionnelle du 10 février 2009 ou du 16 mars 2013.

[Nos soulignements]

 

o   Un manque d’impartialité de la part du décideur?

[54]        Le travailleur évoque ce qui suit dans ses représentations :

Le 10 août 2017 l’ambiance dans la salle d’audience étais un peu plus amicale qu’il fallait entre l’avocat de Bell Canada et le Juge […] et aussi Me le médecin présente à l’audience, durant les poses l’avocat de Bell Canada n’ose pas de cogner la porte de M le Juge et le médecin pour faire des blagues.

 

[Transcription textuelle]

 

[55]        Cette allégation tardive ne saurait constituer un motif de révision ou de révocation.

[56]        D’abord, le Tribunal a écouté l’enregistrement de l’audience et n’a pu y déceler quelque signe le moindrement sérieux de partialité en faveur de l’employeur (ou de son procureur). Le Tribunal souligne par ailleurs que la cordialité d’un juge ne permet aucunement en soi de mettre en doute son impartialité.

[57]        Ensuite, la requête en révision ou en révocation n’est de toute façon pas le véhicule approprié pour soulever une telle crainte de partialité de la part d’un décideur : une telle appréhension doit être soulevée d’emblée et non uniquement une fois une décision défavorable rendue, la partie s’en plaignant étant autrement réputée avoir renoncé à le faire[25]. Le travailleur était de surcroît représenté par une procureure, laquelle était d’autant plus outillée pour faire valoir une telle crainte, voire pour demander immédiatement la récusation du premier juge administratif[26].

[58]        Le Tribunal constate que le travailleur avait formulé des allégations similaires lors d’un précédent recours en révision, reprochant dans ce cas à son représentant d’avoir semblé être « de connivence » avec le procureur de l’employeur. Dans la décision rendue par le Tribunal, il lui avait été expliqué qu’il lui revenait d’agir immédiatement en pareille circonstance, ce qui n’avait pas été fait et ne l’a pas été plus dans le présent cas.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la requête en révision ou en révocation du travailleur, monsieur Ali Dabdaba.

 

 

 

 

Louise Desbois

 

 

 

 

Ali Dabdaba

Pour lui-même

 

Pierre G. Hébert

DHC Avocats

Pour la partie mise en cause

 

Date de l’audience :    28 juin 2018

 

 



[1]           2015 QCCLP 5647, requête en révision rejetée, 2016 QCTAT 6765, seconde requête en révision rejetée, 2017 QCTAT 4578.

[2]           Décision précitée, note 1.

[3]           Décision précitée, note 1.

[4]           Article 50 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T-15.1 : en matière de révision ou de révocation, « le Tribunal procède sur dossier, sauf si l’une des parties demande d’être entendue ou si, de sa propre initiative, il juge approprié de les entendre ».

[5]           De tels constats et conclusions, dans les rapports médicaux jusqu’à la fin de 2014, ont été jugés probants et retenus comme tels par la Commission des lésions professionnelles, décision précitée, note 2.

[6]           RLRQ, c. A-3.001.

[7]           RLRQ, c. T-15.1.

[8]           Art. 50 de la LITAT.

[9]           Voir notamment : Côté et Location Lou-X, 2016 QCTAT 3778; Entreprise Reflet Dbm inc. et Guclu, 2016 QCTAT 4062; Ladouceur et Les Planchers Bois Franc Wickam, 2016 QCTAT 4150; Bouzroud et Atelier Abaco inc., 2016 QCTAT 4340; Calisto et Montpack International inc., 2016 QCTAT 4591; Bell Canada et Laforest, 2017 QCTAT 826; Gauthier et Bar Bellevue 1998, 2017 QCTAT 2794.

[10]         Voir notamment : Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et           Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[11]         Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.); Bourassa c. CLP, [2003] C.L.P. 601 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004; Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.a.); CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P 626 (C.A.).

[12]         Voir notamment, outre les décisions précitées aux notes 10 et 11: R…B… et S.T.M. (Réseau des autobus), C.L.P. 220183-62-0311, 13 juin 2008, J. -F. Clément.

[13]         Précitée, note 11.

[14]         2014 QCCA 1067.

[15]         2015 QCCS 1430.

[16]         [2011] 3 R.C.S. 708.

[17]         2016 QCTAT 6765, révision rejetée, 2017 QCTAT 4578.

[18]         Voir notamment : Kennedy et Danesco [1998] C.L.P. 1349; Hynes et Municipalité Village de Shawville et CSST, C.L.P. 212650-07-0307, 12 juillet 2005, F. Mercure; Wener et Inst. CND D. Neuro-Intégratif,  [2007] C.L.P. 1131.

[19]         Articles 10 et 12 de la Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3 et article 35 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, précitée, note 4.

[20]         Voir notamment : Hall c. Commission des lésions professionnelles, (1998) C.L.P. 1076 (C.S.) ;      Allied inc. et Rodriguez Ortiz, 2011 QCCLP 5649; Patrice GARANT, Droit administratif, vol. 2, « Le contentieux », 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 789.

[21]         Voir notamment :  Vêtements Peerless Inc. et Doan, [2001] C.L.P. 360; Centre hospitalier régional de l’Outaouais et Pelletier, C.L.P. 90565-07-9708, 13 mars 2001, M. Zigby; Therrien et Fabrique paroissiale de la purification de la bienheureuse Vierge Marie, C.L.P. 158484-63-0104, 5 décembre 2002, L. Nadeau; Blanchette et Sofas International S.I. inc., C.L.P. 189031-71-0208, 25 juillet 2006, M. Zigby; Milton et 9171-1804 Québec inc., 2011 QCCLP 6335; Jit et Taxi Laurier Ste-Foy (1981) inc., 2015 QCCLP 1627.

[22]         Voir notamment : Roy et Industries John Lewis ltée, C.L.P. 102233-04-9807, 19 janvier 2000, M. Carignan; Cantin et La Cimenterie Genest 1995 inc., précitée, note 11; Létang et Société canadienne des postes, C.L.P. 284689-07-0603, 7 avril 2009, J.-F. Martel.

[23]         Précitée, note 17.

[24]         Paragraphe 43 de sa décision.

[25]         Voir notamment : Jobin et Commission scolaire de la Rivière-du-Nord, C.L.P. 250997-64-0412, 12 juillet 2007, S. Di Pasquale; Casavant et Rôtisseries Lanaudière, 2014 QCCLP 1271; Allard & Émond inc. et Kiriakos Karras, 2015 QCCLP 474.

[26]         Comme le prévoit d’ailleurs l’article 33 de la Loi instituant le Tribunal du travail, précitée note 4.

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