R. c. Marchand | 2024 QCCQ 6449 | ||||||
COUR DU QUÉBEC | |||||||
| |||||||
CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | LAVAL | ||||||
LOCALITÉ DE | LAVAL | ||||||
« Chambre criminelle et pénale » | |||||||
N° : | 540-01-106864-229 | ||||||
| |||||||
DATE : | 1er octobre 2024 | ||||||
______________________________________________________________________ | |||||||
| |||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MICHEL BELLEHUMEUR, J.C.Q. | |||||
______________________________________________________________________ | |||||||
| |||||||
| |||||||
SA MAJESTÉ LE ROI | |||||||
Poursuivant | |||||||
c. | |||||||
ANDREW MARCHAND | |||||||
Accusé | |||||||
| |||||||
______________________________________________________________________ | |||||||
| |||||||
J U G E M E N T SUR LA PEINE | |||||||
______________________________________________________________________ | |||||||
| |||||||
[1] Le 25 janvier 2024 l’accusé Andrew Marchand (ci-après appelé l’accusé) a plaidé coupable d’avoir, le 2 octobre 2022, à Laval, district de Laval, conduit un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire était affectée par l’alcool et d’avoir causé la mort d’André Grant (ci-après appelé la victime).
LES FAITS
[2] Le 2 octobre 2022, l’accusé passe une partie de la journée au Pub La Chienne à Jacques. Au cours de la journée, il consomme de l'alcool. Il quitte par la suite l'établissement au volant d'un Range Rover blanc, accompagné d'un ami qui prend place du côté passager.
[3] Il est observé par des témoins, circuler rapidement sur la rue Lisbonne en direction sud. Un autre véhicule, une Honda Civic grise circulant direction nord sur cette même rue, fait une manœuvre pour tourner à gauche dans un stationnement. La Honda Civic est conduite par monsieur André Grant.
[4] À 16 h 13, le Range Rover blanc entre en collision avec la Honda Civic grise alors que celle-ci tourne à gauche. Sous la force de l’impact, la Honda Civic fait un tonneau avant de s'immobiliser. Le Range Rover continue sur une courte distance afin de s'immobiliser sur un bloc de béton.
[5] Suite à la collision, l'accusé sort du véhicule et accompagné de son ami, se rend voir le conducteur de la Honda Civic. Un témoin, déjà sur les lieux, indique que le conducteur est mort. L'accusé prend panique et quitte à pied. Les témoins de l'accident contactent le 911 et les secours sont déployés sur les lieux de l’impact. La victime est transportée à l'hôpital et son décès y est constaté.
[6] À 17 h 38, l’accusé contacte lui-même les policiers afin de les aviser de son rôle dans l’accident. Il mentionne aux agents qu'il a été pris de panique et c'est la raison pour laquelle il n'est pas resté sur les lieux. Les agents allant à sa rencontre constatent, des symptômes d'intoxication par l'alcool et le place en état d'arrestation.
[7] L'accusé est amené à l'hôpital puisqu'il a été impliqué dans un accident d'automobile. Un échantillon sanguin est prélevé alors qu'il se trouve encore à l'hôpital. Suite à l'analyse, il est déterminé que l’accusé avait un taux de 116 mg d'alcool/100 ml de sang lors de la collision avec le véhicule de la victime.
[8] Un rapport présentenciel fut demandé.
[9] Le Tribunal doit maintenant déterminer la peine la plus juste et la plus appropriée à imposer à l’accusé.
POSITION DES PARTIE
[10] La couronne est d’avis, pour une dissuasion générale, que le haut de la première fourchette de peine établie par la jurisprudence, soit trois ans d’incarcération serait la peine appropriée, suivi d’une interdiction de conduire tout véhicule à moteur pour une durée de quatre à cinq ans;
[11] Quant à la défense, elle suggère, compte tenu des facteurs atténuants et aggravants de cette affaire, une peine de deux moins un jour à être purgé dans la collectivité avec 240 heures de travaux communautaires ou, si l’incarcération est envisagée par le Tribunal, à 18 mois, soit au bas de la même fourchette de peine plaidé par la couronne, en plus d’une interdiction de conduire tout véhicule à moteur pour une durée de trois ans;
PROFIL DE L’ACCUSÉ
[12] L’accusé est âgé de 27 ans. Célibataire, il habite en colocation avec son frère. Il est en couple depuis l’été 2022 et sa conjointe apparait à l’agent de probation comme une source d’influence positive dans la vie de l’accusé.
[13] Au niveau de son occupation, il travaille pour l’entreprise familiale, Services Uniques J.M. Inc., depuis 2012, où il occupe le poste de directeur du département mécanique.
[14] Au niveau délictuel, le justiciable Marchand n’a pas d’antécédent judiciaire et il n’a rien de particulier dans son dossier de conduite.
[15] Bref, jusqu’au 22 octobre 2022, l’accusé a connu un parcours de vie exempt de problématique.
[16] L’agente Arielle Vaval mentionne ce qui suit dans son rapport présentenciel :
« En regard de l'acte commis, monsieur Marchand reconnaît l'ensemble de son implication. En entrevue, il n'a pas tenté de se justifier ou de se déresponsabiliser face aux gestes reprochés. […] L'impact de cet acte sur sa propre vie et celle des autres a été profond et le justiciable a montré une volonté sincère de prendre la responsabilité de ses actes. Dans cette optique, il nous souligne que lors de sa participation à un demi-marathon à l'été 2023, il a amassé des dons qui ont été versés à l'organisme «Opération Nez rouge». […] Étant donné le caractère isolé de l'incident et le profil non- consommateur actuel de monsieur Andrew Marchand, le risque de récidive est estimé comme faible. Son comportement post-infraction suggère une prise de conscience et un engagement envers un changement positif. La solidité du réseau familial et social du justiciable ainsi que son engagement à faire face aux conséquences de ses actions suggèrent qu'il possède les ressources nécessaires pour apprendre de cette expérience et continuer à contribuer positivement à la société[1].[…]
[17] Autant monsieur Pascal Pilotte que monsieur Daniel Marchand décrivent l’accusé comme étant un gars généreux, un être humain serviable qui a vieilli en caractère et qui s’est pris en main depuis le malheureux évènement. Daniel Marchand mentionne que l’accusé ne boit plus, qu’il est toujours à la maison, qu’il est responsable et qu’il pense souvent à la vie qu’il a enlevé;
RÉPERCUSSION DU CRIME
[18] Dans ce genre de dossier, il y a la victime directe qui est décédée mais il y a aussi une série de victimes collatérales et deux de celles-ci ont déposé un message pour le Tribunal.
[19] André Grant était un enseignant à la retraite. Il était un papa et un grand-papa aimé et aimant. Son frère Robert et Julie la fille de la victime, le décrivent comme une bonne personne enjouée et un bon vivant. Son départ précipité est une source de chagrin. Depuis le décès de son père, […] rien n’est oublié mais en même temps la vie continue […], conclut Julie Grant dans son court message[2].
[20] Ce sont des victimes aucunement vindicatives mais tristes de la perte de leur père et frère;
ANALYSE
[21] Le prononcé d'une peine cherche à protéger la société et à contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre par l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants: a) dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité; b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions; c) isolé, aux besoins, les délinquants du reste de la société; d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants; e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes ou à la collectivité;
[22] Le législateur nous donne les objectifs et les grands principes mais il n’en demeure pas moins que la détermination d’une peine est sans doute le processus le plus délicat et le plus difficile pour un juge. Ce n'est pas une science exacte ou une procédure déjà prédéterminée. La détermination d'une peine juste et appropriée est un exercice hautement individualisé qui va au-delà d'un calcul purement mathématique. Il implique une variété de facteurs difficiles à définir avec précision[3].
[23] La peine imposée doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité de l'accusé. Le Tribunal doit tenir compte des circonstances aggravantes et atténuantes propres à l’affaire sous étude. Il doit considérer le principe de l'harmonisation des peines, soit l'inflexion des peines semblables infliger pour des crimes semblables commis dans des circonstances semblables.
[24] En matière d'infractions de conduite avec les capacités affaiblies par l'alcool et d’une alcoolémie supérieure à la limite permise causant des lésions corporelles ou la mort comme dans notre dossier, les tribunaux ont reconnu qu'il est généralement nécessaire de privilégier des objectifs de dissuasion et de dénonciation afin de communiquer la réprobation de la société.[4]
[25] Les infractions relatives à l'alcool au volant sont susceptibles d'être commises par des citoyens habituellement respectueux des lois. Ce sont ces derniers, davantage que les multirécidivistes, qui sont sensibles à des peines sévères[5]. Dans des dossiers où l’alcool est en jeu, la dénonciation et la dissuasion occupent un rôle prépondérant quand vient le temps de déterminer la sanction juste et appropriée.
[26] La gravité objective du crime commis par l’accusé est très sérieuse. Une réclusion allant jusqu’à la perpétuité peut être prononcée.
[27] Au niveau de l’harmonisation des peines, les deux parties ont fait référence aux mêmes fourchettes de peines se dégageant de la jurisprudence en matière d’alcool au volant causant la mort [6]:
[28] En revanche, nous savons tous que les fourchettes de peines demeurent des lignes directrices et non des règles absolues. La peine doit toujours être individualisée faut-il le rappeler. Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à celle-ci, à la hausse ou à la baisse, pour autant qu'elle respecte les principes et objectifs de la détermination de la peine[7].
ANALYSE
[29] En tout premier lieu, mes mots seront pour la famille de monsieur André Grant. Le Tribunal est des plus empathique avec vous. Il conçoit facilement toute la peine et la souffrance que vous pouvez ressentir. Cependant, aucune sanction aussi sévère soit-elle, ne saura apaiser votre douleur. Le Tribunal vous souhaite de trouver la sérénité et la paix en tournant cette malheureuse page de votre histoire familiale.
[30] Au niveau des facteurs aggravants, le Tribunal retient ce qui suit :
[31] Il est à noter qu’aucunes circonstances aggravantes prévues au Code criminel ne s’applique en l’espèce;
[32] Quant aux circonstances atténuantes qui sont plus nombreuses, le Tribunal retient :
[33] Depuis sa comparution en décembre 2022, il lui est interdit de conduire un véhicule à moteur, il a un couvre-feu et autres conditions. Pour un jeune de 27 ans, ce sont de sévères conditions et il les a toujours respectées.
[34] La couronne a déposé plusieurs décisions pour appuyer sa suggestion mais dans chaque cas, le Tribunal voyait des différences importantes. Dans notre dossier, il n’est pas question de vitesse excessive (circuler rapidement n’est pas suffisant comme preuve), de conduite dangereuse (aucune preuve à ce niveau), d’implication de drogue en plus d’alcool, il a une seule victime (c’est déjà trop mais différent de certaines décisions), personne ne l’a vu avoir de la difficulté à se tenir debout avant de partir, personne ne lui a déconseillé de partir contrairement à certaine jurisprudence citée;
[35] Dans notre dossier, il n’y a rien de tel mais il demeure qu’il y a une personne qui est décédé alors que l’accusé avait 116 mg d’alcool / 100 ml dans son sang;
[36] Le Tribunal ne doute aucunement que l’accusé est une bonne personne. Cependant à ce chapitre, la jurisprudence le mentionne régulièrement. Plusieurs de ces bonnes personnes qui sont non criminalisée, des « monsieur tout-le-monde », pour reprendre le terme utilisé par l’honorable Juge en Chef Lamer dans l’arrêt Proulx, précité, choisissent malgré tout de conduire leur automobile, alors que leur capacité de conduire est affaiblie par l'alcool et qui mettent par le fait même, en danger la sécurité des usagers de la route.
[37] Aujourd’hui avec les campagnes de sensibilisation, Alcofrein, Opération Nez rouge et le Tribunal en passe, tout le monde sait que conduire en état d’ébriété, c’est criminel!
[38] Le choix du législateur par les modifications législatives au cours des années est clair : Sévérité accrue afin de dénoncer le fléau que constitue l’alcool au volant et les tribunaux doivent marquer l'importance de la réprobation sociale à l'égard de ce type de comportement.
[39] Ayant en tête la jurisprudence, l’arrêt Proulx bien évidemment mais aussi toutes les autres dont celles soumises dans le tableau[8] de l’hon. Juge Johanne St-Gelais, J.C.S., le Tribunal conclut qu’il ne peut retenir la première suggestion faite par la défense relativement à un sursis accompagné d’une probation et de travaux communautaires.
[40] Cette suggestion n’est pas une sanction appropriée puisqu’une telle mesure serait incompatible avec les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale et de la responsabilité de l’accusé.
[41] Le Tribunal estime que dans notre dossier, une peine d’incarcération doit être imposée.
[42] Cependant, les facteurs atténuants étant beaucoup plus importants que les facteurs aggravants et que les facteurs personnels sont très positifs pour le délinquant, le Tribunal estime que tous ces éléments favorables à l’accusé militent pour une peine d’emprisonnement au plus bas niveau imposée en semblable matière.
[43] Quant à son interdiction de conduire, le Tribunal note que depuis le 3 octobre 2022, l’accusé ne conduit plus, soit depuis presque deux ans. Ce sera un élément retenu par la cour.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
CONDAMNE l’accusé à purger une peine d’emprisonnement de 18 mois;
INTERDIT à l’accusé de conduire tout véhicule à moteur pour une période de 12 mois, sans période absolue, à compter du terme de son incarcération;
PRONONCE la confiscation du permis de conduire de l’accusé.
LE TOUT sans suramende.
| ||
| __________________________________ MICHEL BELLEHUMEUR, J.C.Q. | |
| ||
Me Sara Henningsson | ||
Directeur des poursuites criminelles et pénales | ||
Procureure du poursuivant | ||
| ||
Me Jean-Daniel Debkoski | ||
Debkoski Giguere Avocats | ||
Procureur de l’accusé | ||
| ||
Dates d’audience : | 25 janvier 2024, 16 mai 2024, 4 juin 2024 | |
[1] Rapport présentenciel, par Arielle Vaval, agente de probation, 6 mai 2024, pages 5 et 6.
[2] Pièce SP-2.
[3] R. c. Lacasse, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 58.
[4] R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 129, R. c. Lépine, 2007 QCCA 70, par. 21.
[5] Ibid, par. 73.
[6] Paré c. R., 2011 QCCA 2047.
[7] R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, par.44.
[8] R. c. Lefebvre-Breton, 2014 QCCS 4609.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.