Décision

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Décision

Bigeault c. 9891200 Canada inc.

2021 QCTAL 6903

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Laval

 

No dossier :

532710 36 20200811 G

No demande :

3043009

 

 

Date :

17 mars 2021

Devant la juge administrative :

Marie-Louisa Santirosi

 

Pierre Bigeault

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

9891200 Canada Inc.

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locataire réclame une diminution de loyer de 200 $ par mois pour les périodes du 16 mars 2020 au 16 juin 2020 et du 15 novembre 2020 au 31 janvier 2021, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., ainsi que les frais de justice.

[2]      Les parties sont liées par un bail couvrant la période du 1er juin 2019 au 31 mai 2020, reconduit jusqu’au 31 mai 2021, au loyer mensuel de 1 865 $. Le locataire et sa conjointe n’habitent plus l’unité depuis le 1er février 2021.

[3]      L’immeuble abrite 202 logements locatifs.

[4]      Il s’agit d’un immeuble prestigieux incluant les services suivants : piscine intérieure avec vestiaire et douche, gymnase avec appareil et salle d’exercices, terrasse sur toit avec BBQ, salle de billard avec écran géant, salon pour invités.

[5]      Le locateur, suite aux décrets gouvernementaux et au confinement imposé par la pandémie, fut contraint de fermer l’accès à ces avantages.

[6]      Le locataire en comprend les motifs sanitaires et les raisons des décrets, mais témoigne ne pas profiter des commodités pour lesquels il verse un loyer élevé, en corrélation à ces avantages.

[7]      Le locateur déclare s’être conformé aux décrets et souligne qu’à son avis, il s’agit d’aires communes et non de services inclus au bail.

Analyse et discussion

[8]      Le locataire déclare que le prix de son loyer était fixé en fonction des commodités accessibles à la signature du bail. Le locateur n'ayant pas été en mesure de lui fournir la pleine jouissance du logement, il demande une réduction de loyer.

[9]      Le locateur mentionne qu’il s’agit d’aires communes non incluses dans le prix du loyer.


[10]   L’absence de mention au contrat ne signifie pas que des services offerts ne font pas partie du bail et qu’ils ne sont pas déterminants dans le prix du loyer[1].

[11]   Le Code civil du Québec définit le contrat de louage ou bail à l’article 1851 al. 1 comme suit :

« 1851. Le louage, aussi appelé bail, est le contrat par lequel une personne, le locateur, s'engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d'un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps.

... »

[12]   L’article 1854 C.c.Q. mentionne les obligations du locateur :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

[13]   La jouissance paisible ne limite pas le locataire à l’accès au logement. Encore faut-il que la location serve à l'usage auquel il est destiné. Dans ce contexte, la location s’étend à tout ce qui est nécessaire à l'utilisation des lieux loués.

[14]   Ajoutons que l’article 1 du Règlement sur les critères de fixation de loyer[2], donne la définition suivante du terme « loyer » :

« Loyer » : le prix mensuel de la jouissance d'un logement avec ses services, accessoires et dépendances, même s'ils font l'objet d'un contrat distinct du bail; »

[15]   Comme le soulignait la juge administrative Jodoin[3]:

« Le loyer demandé représente généralement la valeur locative attribuée au logement par le locateur. On doit penser que cette évaluation de la valeur locative du logement tient compte de l'ensemble des services et accessoires mis à la disposition du locataire, sauf preuve contraire. Ainsi, si l'immeuble possède une piscine, on pourrait raisonnablement croire que cela confère une certaine plus-value au logement. »

[16]   Les services mentionnés par le locataire font donc partie de la valeur du prix du logement même s’il s’agit d’aires communes disponibles à tous les locataires.

Diminution du loyer et force majeure

[17]   L'obligation du locateur de fournir la jouissance paisible du logement est corrélative à celle du locataire de payer le loyer.

[18]   Les auteurs Isabelle Jodoin et Pierre Gagnon[4], synthétisant la doctrine et la jurisprudence au sujet de l'article 1854 alinéa 1 du Code civil du Québec écrivent ce qui suit :

« Cet article énonce les principales responsabilités de la locatrice : fournir, au début du bail en bon état, le logement visé (délivrance) et procurer au locataire, en tout temps, une occupation confortable et conforme à l'usage auquel il est destiné (jouissance paisible). Il s'agit d'une obligation de résultat, et non seulement de moyens. Par conséquent, il ne suffit pas pour la locatrice de tenter de résoudre les problèmes relatifs à la location. Elle doit les régler, sauf dans des situations exceptionnelles relevant de la force majeure. »

[19]   L'honorable juge Beaudoin et l'auteur bien connu Pierre-Gabriel Jobin[5] expliquent la portée de cette obligation de résultat de la manière suivante:

« Au contraire, dans le cas d'une obligation de résultat, la simple constatation de l'absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l'inexécution ou la survenance du dommage démontrée par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute, c'est-à-dire démontrer que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d'absence de faute. »

[20]   En résumé, dès qu’il est démontré une perte de la valeur locative, la contrepartie ou l’obligation corrélative du locataire de payer le loyer sera réduite en proportion. Il s’agit d’une question d’équilibre du contrat.

[21]   Le locateur peut toutefois échapper à cette situation s’il démontre que l’inexécution résulte d’une force majeure.

[22]   En droit civil québécois, le concept de la force majeure est défini par l'article 1470 du Code civil du Québec comme « un événement imprévisible et irrésistible » et « y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères ».

[23]   Cette disposition se lit comme suit :

« 1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d'une force majeure, à moins qu'elle ne se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères. »

[24]   L'événement doit être à la fois insurmontable et irrésistible quant à ses effets de manière absolue pour quiconque [6] et inévitable quant à sa survenance[7].

[25]   Cependant, si le locateur est libéré de son obligation de fournir la jouissance paisible du logement de manière partielle ou totale, le locataire peut soulever l'exception d’inexécution et se dégager de la partie corrélative de son obligation. En effet, l’article 1694 al. 1 C.c.Q. prévoit ce qui suit :

« 1694. Le débiteur ainsi libéré ne peut exiger l'exécution de l'obligation corrélative du créancier; si elle a été exécutée, il y a lieu à restitution.

Lorsque le débiteur a exécuté son obligation en partie, le créancier demeure tenu d'exécuter la sienne jusqu'à concurrence de son enrichissement. »

[26]   C’est du moins ce qui fut plaidé lors de la tempête de verglas de 1998. La jurisprudence de ce Tribunal a reconnu que la tempête était assimilable à un cas de force majeure, ce qui dégageait la responsabilité des locateurs de fournir la jouissance paisible des lieux loués. Les locateurs n’ont pas engagé leur responsabilité contractuelle, mais le Tribunal a exempté le locataire de son obligation corrélative de payer le loyer puisqu’il ne pouvait habiter le logement en raison de l’absence d’électricité[8].

[27]   La Cour d'appel a confirmé cette décision et le locataire a eu droit à la restitution du loyer payé durant la période où son logement fut inhabitable.

[28]   De ce fait, bien que les locateurs ne fussent aucunement responsables de la panne d'électricité, le Tribunal était à bon droit d'accueillir la demande en réduction de loyer des locataires.

[29]   Le locateur était libéré par l’effet de la force majeure alors que le locataire était libéré du paiement du loyer parce que le législateur a fait supporter le risque du contrat sur les épaules du locateur.

[30]   Comme autre exemple illustrant cette situation, celle d’un immeuble détruit par une force majeure. Le locateur sera libéré de ses obligations parce qu’il ne peut offrir sa prestation alors que le locataire qui n’est pas empêché de payer le prix de location sera néanmoins libéré parce que les risques du contrat sont supportés par le locateur.

[31]   Précisons que contrairement au louage commercial, le locateur ne peut déroger contractuellement à la conséquence de la force majeure et forcer le locataire à payer le loyer malgré la survenance d’une force majeure.

[32]   Dans l’affaire Hengyun International Investment Commerce inc. c. 9368-7614 Québec inc.[9], une partie du litige concernait la demande du locateur pour obtenir l'expulsion du locataire en plus d'une compensation pour perte de revenus alors que ce dernier réclamait des dommages-intérêts ainsi qu'une réduction du loyer notamment en raison du défaut du locateur de fournir un chauffage et une climatisation adéquats. Il fondait sa réclamation sur la perte de jouissance paisible du bien loué.


[33]   Le juge Peter Kalichman de la Cour supérieure reconnaît que la pandémie de Covid-19 est un événement imprévisible et irrésistible empêchant le locataire, Québec inc., de profiter de la jouissance paisible des lieux. Se fondant sur l’article 1694 C.c.Q., le locataire avait droit à une réduction de loyer pour les mois concernés.

[34]   Bien que la décision doive être distinguée de la présente puisqu’elle concerne un bail commercial, la soussignée désire souligner que le juge Kalichman mentionne qu’à son avis, le locateur n'a pu donner au locataire la jouissance paisible des lieux en raison des obligations imposées par le Décret, ce qu'il qualifie de force majeure : le locateur ne pouvait tout simplement pas s'acquitter de son obligation de fournir la jouissance paisible des lieux.

[35]   Le magistrat mentionne en note de bas de page et en obiter que le décret gouvernemental découlant de la pandémie pourrait constituer un trouble de droit au sens de l'article 1858 C.c.Q., bien que cela ne lui fut pas plaidé.

[36]   En résumé, dans la présente affaire, la pandémie doit être assimilée à un cas de force majeure. Le locateur en défaut d'exécuter ses obligations peut valablement invoquer la force majeure, mais le locataire peut, sur la base de l'article 1694 C.c.Q., obtenir une exonération de payer la portion de loyer afférente aux services qu’il n’a pu obtenir.

[37]   Le locataire a profité de l’essentiel de sa location, mais fut privé des services accessoires.

[38]   Le locateur malgré qu’il fut obligé de fermer les aires communes n’a pas réduit ses frais d’opération puisque la fermeture était temporaire.

[39]   Dans les circonstances, la perte de jouissance du locataire est limitée et sera évaluée à 150 $ par mois pour les 6 mois réclamés pour un total de 900 $.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[40]   CONDAMNE le locateur à verser au locataire la somme de 900 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 11 août 2020 sur la somme de 450 $ et sur le solde à compter du 26 janvier 2021, date de l’amendement;

[41]   CONDAMNE le locateur aux frais de justice de 102 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Louisa Santirosi

 

Présence(s) :

le locataire

le mandataire du locateur

Date de l’audience :  

12 février 2021

 

 

 


 



[1] Baudouin J.-L. et P.-G. Jobin, Motifs d'exonération dans les obligations, 6e Édition par Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 pages. Voir également les décisions Résidences Saint-Laurent c. Labelle (Succession de), Jurisprudence Logement 85-47 et Marois c. Investissements Malicorne, Jurisprudence Logement 88-16.

[2] T-15.01. r.2.

[3] DJAMEL BOUCHAREB c. HOUMAME JORIO et al 532263 31 20200806 G, décision du 06-10-2020.

[4] Louer un logement, 2e édition, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 8.

[6] Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2018, paragr. 2734 et Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2013, paragr. 846.

[7] Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2018, paragr. 2734.

[8] Lareau c. Régie du logement, SOQUIJ AZ-99021429, J.E. 99-875, REJB 1999-11799 (appel rejeté).

[9] 2020 QCCS 2251, EYB 2020-356098.

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