Morissette c. Gravel |
2021 QCTAL 9082 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Sept-Îles |
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No dossier : |
538449 10 20200929 G |
No demande : |
3075208 |
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Date : |
07 avril 2021 |
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Devant le juge administratif : |
Philippe Morisset |
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Pierrette Morissette |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Colette Gravel
Rock Bellefleur |
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Locateurs - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Par une procédure déposée au Tribunal le 29 septembre 2020, la locataire demande de statuer sur la validité d’un avis de résiliation de bail en vertu de l’article 1974 du Code civil du Québec, de déclarer la résiliation du bail en date du 31 octobre 2020, en plus d’ordonner l’exécution provisoire de la décision à être rendue et du remboursement des frais judiciaires.
CONTEXTE
[2] Des faits mis en preuve, le Tribunal retient les éléments suivants.
[3] Le 10 janvier 2014, les parties ont signé un bail pour la période du 1er juillet 2014 au 30 juin 2016 au loyer mensuel de 700 $[1]. Ce bail a été reconduit d’année en année jusqu’au 30 juin 2021 aux mêmes conditions.
[4] Vers le 25 août 2020, la locataire envoie aux locateurs une lettre par laquelle elle les informe qu’elle quittera son logement en date du 31 octobre 2020 en raison de son état de santé[2]. Cette lettre est accompagnée d’un billet médical de la docteure Hélène Robichaud, lequel mentionne que la locataire doit changer de logement pour raisons médicales[3].
[5] Le 15 septembre 2020, les locateurs informent la locataire qu’ils contestent l’avis de la locataire et qu’ils n’acceptent pas de la libérer avant le terme de son bail[4].
[6] Le 18 septembre 2020, la locataire répond aux locateurs qu’elle est en droit de résilier son bail en vertu de l’article 1974 du Code civil du Québec puisque sa condition s’est détériorée en cours de bail[5].
[7] Le 24 septembre 2020, les locateurs informaient la locataire qu’ils maintenaient leur position et qu’elle était responsable du bail jusqu’au 30 juin 2021, mais qu’elle pouvait trouver un nouveau locataire pour la remplacer[6].
Témoignage de la locataire
[8] Le logement de la locataire se trouve au premier étage d’un immeuble de six logements. Pour y avoir accès, la locataire doit franchir six marches.
[9] La locataire témoigne souffrir d’arthrose et qu’elle a un problème à un genou. Elle mentionne qu’elle avait de la difficulté à monter ces six marches et ce, depuis plusieurs années.
[10] Elle mentionne avoir quitté son logement puisqu’elle a trouvé un autre logement, lequel ne comprend pas d’escalier pour y avoir accès. Questionnée sur la raison pour laquelle elle avait reconduit son bail au 1er juillet 2020, en considérant sa difficulté à monter les marches, la locataire mentionne qu’elle ne trouvait pas de logement lui convenant.
[11] Elle ajoute que pour elle, l’immeuble n’est pas sécuritaire puisque toutes personnes peuvent y avoir accès.
Témoignage de la docteure Hélène Robichaud
[12] La docteure Robichaud est le médecin de famille de la locataire depuis plusieurs années.
[13] Au mois d’août 2020, la locataire vient la consulter, lui mentionnant qu’elle a de la douleur lorsqu’elle sort en raison de son arthrose.
[14] La locataire lui indique également avoir une crainte quant à la sécurité de son immeuble puisque les portes d’accès ne sont pas verrouillées.
[15] La docteure Robichaud déclare que la locataire souffre d’arthrose depuis plus de 10 ans et qu’elle a certaines limites en raison de la douleur. Elle ajoute que cette dernière n’a cependant aucune limite fonctionnelle et qu’elle n’utilise ni canne, déambulateur ou autre support pour aider à son déplacement.
[16] Elle note chez la locataire un problème d’anxiété. Afin d’éviter la prescription d’un médicament, elle lui recommande de se trouver un logement n’ayant aucun escalier ou avec ascenseurs et comportant un système de sécurité quant à l’accès.
[17] Suivant une question du Tribunal, à savoir si selon son opinion la locataire avait un handicap, la docteure Robichaud a répondu qu’elle considérait que celle-ci n’avait aucune limitation physique et qu’elle ne souffre d’aucun handicap.
Témoignages des locateurs
[18] Les locateurs témoignent que suivant la réception de l’avis de résiliation en vertu de l’article 1974 du Code civil du Québec, ils sont allés rencontrer la locataire puisqu’ils considéraient le billet médical de la locataire imprécis.
[19] Lors cette rencontre, ils l’ont informée que pour eux, elle n’avait aucun handicap.
[20] Une lettre faisant état de leur position a été envoyée à la locataire[7].
[21] Ils contestent également que l’immeuble n’est pas sécuritaire. Ils habitent dans cet immeuble et celui-ci est tranquille. Les locataires sont en majorité des personnes âgées.
[22] Pour les locateurs, la locataire a quitté parce qu’elle voulait habiter près de sa fille.
DÉCISION
L’avis transmis par la locataire en vertu de l’article 1974 du Code civil du Québec est-il valable ?
[23] Pour répondre à cette question, le Tribunal doit décider si la situation médicale de la locataire constitue un « handicap » lui permettant de mettre fin au bail.
[24] En effet, l’article 1974 du Code civil du Québec permet à un locataire de résilier son bail avant la fin, s’il ne peut plus occuper son logement en raison d’un handicap. Cet article se lit comme suit :
« 1974. Un locataire peut résilier le bail en cours, s’il lui est attribué un logement à loyer modique ou si, en raison d’une décision du tribunal, il est relogé dans un logement équivalent qui correspond à ses besoins ; il peut aussi le résilier s’il ne peut plus occuper son logement en raison d’un handicap ou s’il s’agit d’une personne âgée, s’il est admis de façon permanente dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée, dans une ressource intermédiaire, dans une résidence privée pour aînés où lui sont offerts les soins infirmiers ou les services d’assistance personnelle que nécessite son état de santé ou dans tout autre lieu d’hébergement, quelle qu’en soit l’appellation, où lui sont offerts de tels soins ou services, qu’il réside ou non dans un tel endroit au moment de son admission.
La résiliation prend effet deux mois après l’envoi d’un avis au locateur ou un mois après l’envoi d’un tel avis lorsque le bail est à durée indéterminée ou de moins de 12 mois. Elle prend toutefois effet avant l’expiration de ce délai si les parties en conviennent ou lorsque le logement, étant libéré par le locataire, est reloué par le locateur pendant ce même délai. L’avis doit être accompagné d’une attestation de l’autorité concernée, à laquelle est joint, dans le cas d’un aîné, le certificat d’une personne autorisée certifiant que les conditions nécessitant l’admission sont remplies.
[…] »
[Caractères gras ajoutés]
[25] Le but de cette disposition est de permettre à un locataire qui souffre d’un handicap de se libérer de son bail pour un logement qu’il ne peut plus occuper en raison de ce handicap.
[26] Pour s’en prévaloir, il doit donner un avis préalable de deux mois et l’accompagner d’une attestation médicale. Cette exigence est de rigueur car elle permet au locateur de vérifier le sérieux et la véracité du motif de résiliation.
[27] Le terme « handicap » n’est pas défini par la loi[8]. Cependant, si l’on se réfère à la définition de « personne handicapée » à la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale[9], celle-ci implique « une déficience entraînant une incapacité significative et persistante et qui est sujette à rencontrer des obstacles dans l’accomplissement d’activités courantes ».
[28] La notion de « handicap » réfère à une déviation ou une déficience des capacités physiques ou mentales causées par maladie ou accident par rapport à la norme biomédicale, persistante et imposante des limites dans l’accomplissement d’activités normales[10] et qui restreint sérieusement la personne dans ses déplacements dans le logement et pour y accéder[11].
[29] Selon la jurisprudence[12], le locataire doit démontrer qu’il est atteint d’un handicap et que celui-ci l’empêche d’occuper son logement.
[30] Parce qu’elle fait échec au principe de la stabilité des contrats, la notion de « handicap » doit recevoir une interprétation restrictive et faire l’objet d’une preuve probante et fiable afin que l’ouverture prévue à l’article1974 du Code civil du Québec ne puisse être détournée de son véritable objectif. Il ne suffit donc pas d’émettre un simple avis que le locataire vit un handicap[13].
[31] Aussi, il faut démontrer que celui-ci est objectivement propre à l’empêcher d’occuper le logement, soit par la nature, l’étendue et/ou la portée de ce handicap[14].
[32] De l’avis du Tribunal, la locataire n’a pas démontré de façon prépondérante qu’elle ne pouvait plus occuper son logement en raison d’un handicap.
[33] La preuve ne démontre pas que la locataire a un handicap tel que défini selon les principes énoncés précédemment. La preuve démontre que la locataire a des problèmes de santé mais le Tribunal ne peut conclure qu’il s’agit d’un handicap.
[34] D’ailleurs, la docteure Robichaud a été claire à l’effet que la locataire ne souffrait d’aucune limitation physique et qu’elle considérait que celle-ci n’avait aucun handicap physique selon elle.
[35] Dans les circonstances, le Tribunal conclut que l’avis envoyé par la locataire en vertu de l’article 1974 du Code civil du Québec n’est pas fondé.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] REJETTE la demande de la locataire;
[37] LE TOUT sans frais.
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Philippe Morisset |
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Présence(s) : |
la locataire les locateurs |
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Date de l’audience : |
26 mars 2021 |
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[1] Pièce P-1.
[2] Pièce L-3.
[3] Idem.
[4] Pièce L-4.
[5] Pièce L-2.
[6] Pièce L-5.
[7] Précitée note 4.
[8] Savard-Bellemare c. Coopérative La Rose des vents (R.D.L., 1998-09-15), SOQUIJ AZ-98061140, [1998] J.L. 326.
[9] Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, R.L.R.Q., c.E-20.1 (voir article 1g).
[11] Article 1021 du Code civil du Québec.
[12] Voir entre autres : Tutino c. Drouin (R.D.L., 2018-09-13), 2018 QCRDL 30433 (CanLII), SOQUIJ AZ-51529395, 2018EXP-2682 ; ; Marois c. Gestion R. Labonté et Fils, 2012 QCRDL 993, 21-111121-004G, 13 janvier 2012, r. Landry ; Béland c. Blais (R.D.L., 2014-05-12), 2014 QCRDL 16967, SOQUIJ AZ-51073918 ; Dispaltro c. Charbonneau (R.D.L., 2016-07-29), 2016 QCRDL 26803, SOQUIJ AZ-51312327, 2016EXP-3239 ; L’Ilot St-Pierre c. Lachance, 18-071023-011P-071122 et 18-071119-009G, r. Simard.
[13] De Blois c. Bourgeois (R.D.L., 2018-06-14), 2018 QCRDL 20286 (CanLII), SOQUIJ AZ-51504155, 2018EXP-1826.
[14] Sommeco Outremont Inc. c. Nadeau, 2016 QCRDL 4886.
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