Décision

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Proulx et Société de l'assurance automobile du Québec

2025 QCTAT 1005

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

695506-71-1904   726636-71-2002   1280669-71-2205

Dossiers CNESST :

4279704   4297004   4345299

 

 

Montréal,

le 6 mars 2025

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Danielle Tremblay

______________________________________________________________________

 

695506

726636   1280669

 

 

Christian Proulx

Fraternité des constables du contrôle routier du Québec

Partie demanderesse

Partie demanderesse

 

 

et

et

 

 

Société de l’assurance automobile du Québec

Société de l’assurance automobile du Québec

Fraternité des constables du contrôle routier du Québec

 Partie mise en cause

Parties mises en cause

et

 

 

et

Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail

 

Procureur général du Québec

Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail

 Parties intervenantes

Procureur général du Québec

 

Parties intervenantes

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

L’APERÇU

  1.                 Un inspecteur de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail confirme en 2010 que les 13 contrôleurs routiers qui ont exercé leur droit de refus sont exposés à un danger pour leur sécurité lorsqu’ils effectuent des interceptions sur la route. Il formule à cette occasion diverses dérogations et ordonne la cessation temporaire de leurs activités[1].
  2.                 Au cours des années subséquentes, la Fraternité des constables du contrôle routier du Québec, la Fraternité, interpellera à plusieurs reprises la Commission, non seulement afin de faire le suivi de ces dérogations, mais également afin de l’inviter à se prononcer à l’égard de diverses problématiques afférentes au risque d’agression lors d’interceptions sur la route.
  3.                 Neuf années s’écoulent avant le dépôt des actuelles contestations de la Fraternité, initiées après que deux inspectrices mettent fin à leur intervention, en 2019, sans formuler cette fois de dérogation[2]. S’y joindra éventuellement une troisième, afférente à une agression cette fois survenue en novembre 2021, laquelle a mis en péril la sécurité, l’intégrité physique et psychologique, ainsi que la vie de deux contrôleurs routiers[3].
  4.                 Le contenu des rapports d’intervention contestés par la Fraternité reflète l’évolution des démarches effectuées par l’employeur pendant plus de vingt ans afin de contrôler le risque d’agression lors des interceptions sur route.
  5.                 Afin d’éviter que les parties aient à administrer la même preuve devant des décideurs différents, le Tribunal a réuni les contestations de la Fraternité, pour qu’elles fassent l’objet d’une enquête et d’une audition communes[4].
  6.                 Soulignons que la présente décision est elle-même le résultat d’un processus adjudicatif qui s’étale sur plus de cinq ans, ayant nécessité la tenue de vingt-quatre journées d’audience et plus d’une quinzaine de conférences de gestion.
  7.                 En cours de route, le Tribunal a rendu une décision[5] sur les moyens préliminaires que lui présentait l’employeur et qu’il a rejetés.
  8.                 Le Procureur général du Québec, le PGQ, est intervenu après que cette décision a été rendue, puisque le fond du litige est, selon lui, susceptible de mettre en cause les prérogatives et pouvoirs dévolus à des tiers en vertu de lois d’intérêt public, notamment ceux de la Sûreté du Québec ainsi que du ministère de la Sécurité publique[6].
  9.                 Bien qu’elle y fût conviée et qu’il aurait été utile qu’elle y participe, la Commission, partie intervenante, ne s’est jamais présentée aux auditions.
  10.            La Fraternité et la Société de l’assurance automobile du Québec, l’employeur, se présentent ainsi devant le Tribunal en poursuivant le même objectif : celui d’obtenir une conclusion définitive quant au respect des obligations de l’employeur afférentes au risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers lors des interceptions sur route. La Fraternité et l’employeur demande au Tribunal de préciser, le cas échéant, les dérogations applicables.
  11.            Tenant compte de l’étendue des questions posées au Tribunal et de toutes les considérations accessoires soulevées par les parties et le litige, le Tribunal entend répondre à l’ensemble de la manière suivante :

 

CONTEXTE

 

 

 

 

1.

Le mandat de Contrôle routier Québec

6

1.1.

Des agents de la paix

7

1.2.

Des constables spéciaux

8

 

 

 

2.

Le Modèle national d’emploi de la force (MNEF) et les principes de précaution enseignés à l’École nationale de police du Québec, l’ÉNPQ

11

2.1.

Les règles de l’art

11

2.2.

Présentation du MNEF

13

2.3.

Les principes de précaution du MNEF

17

 

 

 

3.

Le descriptif des trois contestations

18

3.1.

Dossier 695506-71-1904

18

3.2.

Dossier 726636—71-2002

21

3.3.

Dossier 1280669-71-2205

22

 

 

 

4.

Sur la preuve documentaire et testimoniale

24

 

 

 

5.

Sur la présentation de la décision

25

 

 

 

 

ANALYSE

27

 

 

 

6.

Quels sont l’objet et l’étendue du litige duquel le Tribunal est saisi ?

27

6.1.

Les larges pouvoirs dévolus au Tribunal par la législation

28

6.2.

Le rôle du Tribunal

30

6.3.

Les diverses interventions du Tribunal

35

6.3.1.

Les points communs des trois contestations

35

6.3.2.

La preuve présentée initialement par les parties

36

6.4.

L’argument sur la portée limitée du litige

39

6.5.

L’effet de la décision rendue le 1er septembre 2021 par le Tribunal

41

6.6.

L’argument sur le pouvoir discrétionnaire

42

6.7.

L’argument sur la compétence exclusive de la Commission d’émettre des dérogations

43

6.8.

La demande de la Fraternité d’élargir l’objet du litige

46

6.8.1.

Les postes de contrôle

46

6.8.2.

Les lacunes concernant la manipulation et la sécurisation des armes à feu

47

 

 

 

7.

Le risque auquel sont exposés les contrôleurs routiers lors de leurs interceptions sur route se qualifie-t-il à titre de danger?

48

7.1.

Les principes découlant de la jurisprudence pénale appliquant la LSST

48

7.2.

Le droit général applicable à la sécurité des travailleurs

52

7.3.

Les mécanismes de la LSST

55

7.4.

Les notions de risque et de danger

57

7.5.

La nature concrète du risque auquel sont exposés les contrôleurs routiers

60

7.6.

L’existence d’un danger pour les contrôleurs routiers

62

7.6.1.

Les exemples de matérialisation

63

7.6.2.

D’autres types de situations tout aussi risquées

68

7.7.

L’argument sur l’existence d’une exception

72

 

 

 

8.

L’employeur satisfait-il aux obligations que lui confère la Loi sur la santé et la sécurité du travail, la LSST ?

74

8.1.

La nature et l’étendue des obligations de l’employeur

75

8.2.

Les limites alléguées à l’obligation de moyens

80

 

 

 

8.3.

L’identification, le contrôle et l’élimination des risques  (51(5) LSST)

85

8.3.1.

Les valeurs des études passées

87

8.3.2.

L’insuffisance de données

90

8.3.3.

La nécessité de concrétiser les recommandations retenues lors de l’exercice paritaire effectué avec l’Association paritaire pour la santé et sécurité du travail, secteur Administration provinciale, l’APSSAP

92

8.3.4.

L’absence d’analyse globale des rapports d’événements afférents à la santé et sécurité du travail

93

8.3.5.

La pauvreté de l’analyse locale

98

8.3.6.

La matrice de l’APSSAP

104

8.4.

L’organisation ainsi que les méthodes et techniques de travail (51 (3) LSST)

105

8.4.1.

L’attente de l’employeur de se retirer de l’intervention dangereuse

105

8.4.2.

La compréhension du rôle et son ambiguïté

110

8.4.3.

La trop grande tolérance des contrôleurs routiers au risque d’agression

117

8.4.4.

Le manque de cohérence et l’absence de balises

120

8.4.5.

La méconnaissance du mandat des contrôleurs routiers

123

8.4.6.

La nécessité d’une meilleure coordination avec les corps policiers

124

8.4.7.

L’absence de plan de contingence

128

8.5.

L’accès aux renseignements pertinents et l’armement (51 (3) LSST)

130

8.5.1

L’accès aux renseignements pertinents

130

8.5.2

L’insuffisance de l’armement

141

8.6

L’information sur les risques et le développement des habiletés et connaissances pour accomplir le travail de manière sécuritaire (51 (9) LSST)

149

8.6.1.

La valeur de l’étalonnage effectué auprès d’organisations comparables

151

8.6.2.

Les situations à haut potentiel de risque

152

8.6.3.

La fréquence d’actualisation de la formation en intervention physique

156

8.6.4.

Les diverses demandes de formation

158

8.7

La protection des travailleurs exposés à la violence (51 (16) LSST)

160

8.8.

L’aménagement des dérogations

160

8.9

L’ordonnance de suspension des intervention non planifiées sur la route

163

8.9.1.

L’argument sur la nature des contestations et l’effet de la décision

164

8.9.2.

L’argument sur les conséquences de la suspension des activités

165

8.9.3.

La nécessité de suspendre les interventions non planifiées sur les routes

166

8.10

Des balises additionnelles

168

8.10.1.

L’effet réducteur erronément attribué à la probabilité ou fréquence de la réalisation du risque

169

8.10.2.

L’existence d’alternatives

170

8.10.3.

Sur l’arme à feu

172

8.10.4.

La nécessité d’une intervention rapide et efficace

173

 

 

 

9.

DISPOSITIF

174

 

  1.            Le Tribunal constate ultimement que l’employeur déroge bel et bien à ses obligations, celles qui lui enjoignent de :

-          s’assurer que l’organisation du travail, de même que les méthodes et techniques utilisées afin de l’accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé des travailleurs (51 (3) de la LSST) ;

-          utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité des travailleurs (51 (5) de la LSST);

-          informer adéquatement les travailleurs sur les risques reliés à leur travail et leur assurer la formation, l’entraînement et la supervision appropriés afin de faire en sorte que le travailleur ait les habiletés et les connaissances requises pour accomplir de façon sécuritaire les tâches qui leur sont confiées (51 (9) de la LSST).

  1.            Puisque cette situation met en danger la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique des contrôleurs routiers, le Tribunal ordonne également la suspension des activités des travailleurs, lors des interceptions non planifiées sur les routes.

CONTEXTE

Le mandat de Contrôle routier Québec

  1.            Contrôle routier Québec est une agence autonome de services attachée à la Société de l’assurance automobile du Québec, l’employeur.
  2.            Cet organisme veille, sur la route ainsi qu’en entreprises, à l’application de plus de 40 lois et de règlements régissant l’industrie du transport de personnes et des biens, tels :

-          le Code de sécurité routière, le Code [7];

-          la Loi concernant les services de transport par taxi[8];

-          la Loi sur les transports[9].

  1.            On le mandate également afin de faire la vérification de la conformité mécanique de divers types de véhicules.
  2.            Contrôle routier Québec a ainsi pour mission :

-          d’améliorer la sécurité des usagers de la route ;

-          de protéger le réseau routier

-          et de maintenir l’équité concurrentielle dans le domaine du transport de biens et de personnes.

  1.            Afin d’y parvenir, Contrôle routier Québec embauche plus de 300 contrôleurs routiers.
  2.            Comme l’indique leur description de fonction, le contrôleur routier est susceptible, lors d’opérations de contrôle sur route :

[…] [d’accomplir] diverses tâches d’inspection et d’enquête à caractère coercitif. Il cible des mouvements de transports qu’il intercepte sur route lors d’activité de patrouille, de surveillance et d’opérations spécifiques et assure le suivi des dénonciations et demandes d’assistance de différentes origines. Le contrôleur routier sur route signifie des constats, recommande des infractions pénales lorsqu’il constate des manquements, des irrégularités et exige la conformité, si nécessaire, selon la politique établie. Il effectue aussi des inspections mécaniques de véhicules et remet des certificats de vérification mécanique lorsqu’il constate des défectuosités. Il peut effectuer des perquisitions avec ou sans mandat, […].

 

Des agents de la paix

  1.            L’article 519.67 du Code précise que les contrôleurs routiers agissent à titre d’agent de la paix lorsqu’ils interviennent auprès d’un conducteur, d’un propriétaire ou d’un exploitant, conformément aux dispositions qui y sont énoncées.
  2.            Suivant ce même article du Code, les contrôleurs routiers peuvent même intervenir à titre d’agent de la paix auprès d’un conducteur de véhicule de promenade, lorsqu’ils constatent, par exemple, une défectuosité mécanique.
  3.            L’article 519.71 du Code accorde également aux contrôleurs routiers des pouvoirs considérables, supérieurs à certains égards à ceux confiés aux policiers, puisqu’ils peuvent notamment, même sans mandat :

-          ordonner un véhicule de s’immobiliser, afin de l’inspecter ;

-          y pénétrer ;

-          ainsi qu’ouvrir ou faire ouvrir tout habitacle, conteneur, compartiment, etc.

  1.            Les amendes qu’ils signifient sont onéreuses, allant de plusieurs centaines à plusieurs milliers de dollars.
  2.            Les contrôleurs routiers peuvent également saisir les véhicules.

Des constables spéciaux

  1.            Soulignons que s’ajoute à la fonction des contrôleurs routiers le statut de constable spécial.
  2.            Selon l’article 105 de la Loi sur la police[10], une loi d’ordre public[11], celui-ci a pour mission :

-          de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique,

-          de prévenir et de réprimer le crime et, selon la compétence qui leur est attribuée dans leur acte de nomination, les infractions aux lois et aux règlements municipaux

-          et d’en rechercher les auteurs.

  1.            L’entente intervenue entre l’employeur et le ministère de la Sécurité publique[12], celui qui les désigne à ce titre, prévoit :

 […]

ATTENDU QUE les contrôleurs routiers sont des agents de la paix au même titre que les policiers pour l’application du Code de la sécurité routière […] et d’autres lois reliées au transport routier ;

 

ATTENDU QUE dans l’exercice de leurs fonctions prévues dans le Code de la sécurité routière, les contrôleurs routières constatent à l’occasion la commission d’infractions criminelles;

 

[…]

 

ATTENDU QU’en vertu de l’article 107 de la Loi sur la police (L.R.Q., c.P-13-1), le ministre de la Sécurité publique peut nommer des constables spéciaux ayant compétence, sous son autorité ou sous toute autorité qu’il indique, pour prévenir et réprimer les infractions aux lois ;

 

LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :

 

Article 1

 

Les contrôleurs routiers peuvent intervenir à titre de constable spécial lorsqu’ils constatent, dans l’exercice de leurs fonctions, la commission d’infraction criminelle concernant :

 

-          La capacité de conduite affaiblie ;

-          La conduite dangereuse ;

-          Le délit de fuite ;

-          L’omission d’arrêter lors d’un accident et de fournir de l’aide ;

-          La possession et le trafic de stupéfiants ;

-          La possession et l’usage d’armes à feu ;

-          Les menaces ;

-          L’intimidation ;

-          Le harcèlement ;

-          Les voies de fait;

-          Le vol ;

-          Le recel ;

-          Les méfaits ;

-          Les faux ;

-          L’utilisation de faux ;

-          La fraude.

  1.            Constatons que ces deux statuts d’agent de la paix et de constable spécial leur confèrent de larges pouvoirs, très similaires à ceux des patrouilleurs policiers sur le réseau routier[13].
  2.            En effet, bien que le contrôleur routier ne soit pas autorisé à poursuivre une enquête criminelle, ni à effectuer de recherches, il doit quand même veiller, par ses actions, à faire cesser la commission de l’infraction qu’il constate, en procédant, lorsque nécessaire, à l’arrestation des individus concernés[14].
  3.            L’organisation s’attend également à ce qu’un contrôleur routier intervienne s’il est témoin d’un acte criminel menaçant l’intégrité physique d’une personne[15].
  4.            À cette fin, le contrôleur routier est par ailleurs autorisé à utiliser la force raisonnable et nécessaire pour effectuer l’arrestation et menotter l’individu. Il peut également fouiller sommairement ce dernier[16], avant qu’un corps policier ne le prenne en charge.
  5.            En raison de ce qui précède, le ministère de la Sécurité publique autorise les contrôleurs routiers, dans leur acte de nomination, à porter et à utiliser la capsaïcine oléorésineuse (vaporisateur de poivre de cayenne) et le bâton télescopique.
  6.            Le ministère de la Sécurité publique leur interdit par ailleurs formellement, dans leur acte de nomination, de porter ou d’utiliser toute autre arme, comme l’arme à feu et l’arme à impulsions électriques (AIE)[17]. Les contrôleurs routiers sont toutefois équipés d’une veste pare-balle.
  7.            En présence d’armes à feu, lorsque la situation le requiert, les contrôleurs sont également autorisés à les saisir, afin de les sécuriser[18].
  8.            Notons finalement que lorsqu’il intervient, le contrôleur routier est soumis aux règles de déontologie policière[19].
  9.            Ses interventions doivent ainsi respecter les balises du Modèle national d’emploi de la force en vigueur au Québec, lesquelles sont enseignées à l’École nationale de police du Québec.
  10.            Les contrôleurs routiers doivent d’ailleurs y réussir une formation étoffée de 21 semaines avant d’être confirmés dans la fonction.
  11.            Selon les données de l’employeur, Contrôle routier Québec a effectué entre 2016 et la mi-année 2024, plus de 785 000 interventions impliquant divers types de véhicules, le jour autant que la nuit.

Le Modèle national d’emploi de la force, (MNEF), et les principes de précaution enseignés à l’École nationale de police du Québec (ÉNPQ)

Les règles de l’art

  1.            Le MNEF et les principes de précaution que l’on enseigne à l’ÉNPQ revêtent une grande importance pour les parties, ainsi qu’incidemment, pour la présente décision.
  2.            Le MNEF s’apparente en réalité à une méthode de travail, applicable aux agents de la paix.
  3.            Il prévoit les critères permettant d’évaluer concrètement le risque d’agression susceptible de survenir lorsqu’ils accomplissent leur travail. Il propose diverses mesures permettant de reprendre le contrôle de la situation, encore une fois dans le but d’atténuer le risque.
  4.            L’organisation du travail chez l’employeur, ainsi que les méthodes et les techniques afin de l’accomplir s’articulent autour de ces assises. Plusieurs politiques, directives ou procédures de l’employeur renvoient explicitement au MNEF ainsi qu’au contenu de la formation initiale de l’ÉNPQ, qui l’enseigne aux contrôleurs routiers.
  5.            Les parties s’en sont servi d’assise pour étayer leur thèse respective et ainsi démontrer le respect ou le non-respect des exigences de la LSST de manière longitudinale, au cours de l’ensemble de l’historique, non seulement lors des interventions de la Commission, mais encore lors de l’audience. Leurs experts respectifs entendus à cette occasion possèdent une spécialisation quant au contenu du MNEF ainsi que ses applications.
  6.            Le Tribunal remarque que la Commission a d’ailleurs formulé, le 18 juin 2020, une dérogation, non contestée, justement parce qu’elle considérait que les directives de l’employeur afférentes à la manipulation des armes à feu ne s’y corrélaient pas suffisamment et que l’inspecteur les jugeait conséquemment comme non sécuritaires.
  7.            Comme l’indique la jurisprudence, ce cadre de référence ainsi que les principes enseignés aux contrôleurs routiers à l’ÉNPQ, même s’ils ne sont pas de nature réglementaire, doivent tout de même guider l’analyse du Tribunal.
  8.            Le Tribunal l’affirmait notamment dans la décision Les Professionnel(le)s en Soins de Santé Unis (PSSU-FIQP) et CHSLD Vigi Reine-Élizabeth[20] :

Dans son appréciation des avenues empruntées, gestes, actions posées ou omission des Employeurs de s’acquitter de leurs obligations en matière de prévention, de santé et de sécurité du travail auprès de leurs travailleurs, le Tribunal doit considérer les éléments suivants :

 

  • Les facteurs de risque, leurs modes de manifestation et les conséquences possibles ou probables ;
  • L’existence ou non de normes réglementaires ;
  • Les règles de l’art dans la gestion de ce risque ;

[…]

 

Les trois premiers paramètres constituent le socle sur lequel doit reposer l’analyse du Tribunal puisque la réponse à ceux-ci aura un impact dans l’appréciation des autres éléments à considérer par le Tribunal.

  1.            Le Tribunal du travail, en matière pénale expliquait de la manière suivante l’importance de ces normes non réglementaires aux fins de l’analyse des obligations de l’employeur[21] :

La [LSST] n’énonce pas les éléments devant former une organisation de travail sécuritaire et, en l’absence de réglementation spécifique en rapport avec une situation particulière, il faut se référer à ce qui constitue la prudence raisonnablement admise ou normale, eu égard aux circonstances examinées.

  1.            Le Tribunal partage l’opinion des parties quant à l’utilité du MNEF pour le dossier : ce cadre de référence reflète les règles de l’art applicables au travail des agents de la paix.
  2.            Le Tribunal s’y fie, pour le reste de l’analyse, afin de départager ce qui est sécuritaire de ce qui ne l’est pas. 
  3.            Le Tribunal considère comme nécessaire de l’étayer dès à présent, puisqu’au-delà de son influence sur les questions en litiges (à tout le moins sur le fond du dossier), le contenu du MNEF ainsi que ses incidences permettent de mieux saisir les enjeux de sécurité associés aux situations de fait décrites dans les contestations de la Fraternité.

Présentation du Modèle national de l’emploi de la force

  1.            L’agent de paix, celui à qui l’on confie un rôle ainsi que des pouvoirs coercitifs dans le but de faire respecter la loi, est susceptible d’être exposé dans le cadre de son travail au risque d’agression ou de violence. Ce risque est inhérent à leur tâche.
  2.            Tenant compte de ce risque, afin de guider sa réflexion et orienter sa stratégie d’intervention, l’on réfère l’agent de la paix du Québec au MNEF, un cadre de référence décrit comme le[22] :

[…] processus par lequel un agent évalue une situation, fait un choix parmi les options raisonnables et intervient afin d’assurer sa propre sécurité et celle du public. Il a pour objet d’aider les agents et le public à comprendre pourquoi et de quelle façon un agent peut avoir recours à la force.

 

Comme outil de formation, le Modèle favorise l’évaluation critique et l’analyse de la situation et aide l’agent à comprendre et à utiliser les différentes options dont il dispose en matière d’emploi de la force pour répondre aux situations qui présentent un risque de violence.

  1.            Le MNEF repose sur plusieurs principes fondamentaux, qui sont les suivants : 

1. La responsabilité première de l’agent consiste à préserver et à protéger la vie.

 

2. L’objectif premier de tout recours à la force est d’assurer la sécurité du public.

 

3. La sécurité de l’agent est essentielle à la sécurité publique.

 

4. Le Modèle national de l’emploi de la force ne remplace pas la loi et ne s’y ajoute pas ; la loi se suffit à elle-même.

 

5. Le Modèle national de l’emploi de la force a été élaboré en tenant compte des lois fédérales et de la jurisprudence existantes.

 

6. Le Modèle national de l’emploi de la force ne prétend pas dicter une ligne de conduite à quelque institution que ce soit.

  1.            Le MNEF invite ainsi l’agent de la paix à appliquer le processus « évaluation-planification-action », lequel consiste, comme sa description l’indique, à d’abord évaluer la situation, puis planifier l’intervention appropriée, avant de finalement concrétiser son action.
  2.            Selon le MNEF, ce processus est dynamique ainsi qu’en constante évolution au cours de l’intervention. En effet[23] :

[…] une fois que l’agent a choisi une option d’intervention, il doit à nouveau suivre le processus « évaluation-planification-action » pour déterminer si l’action est appropriée ou efficace ou s’il y a lieu d’adopter une nouvelle stratégie. Le processus tout entier doit être considéré comme dynamique et en constante évolution, et ce, jusqu’à ce que la SITUATION soit maîtrisée.

 

[Nos soulignements]

  1.            Le MNEF vise spécifiquement à sensibiliser l’agent de la paix à la réalité de son travail, puisque :

[…] un comportement (et l’option d’intervention) peut passer de la coopération à l’agression (ou de la communication à la force mortelle), et ce, en une fraction de seconde, sans nécessairement passer par d’autres comportements ou d’autres options d’emploi de la force.

  1.            Lors de l’évaluation, l’agent de la paix doit par conséquent tenir compte de divers facteurs, à savoir celui :

-          de la situation, ce qui inclut notamment :

o       l’environnement ;

o       le nombre de personnes impliquées ;

o       la capacité du sujet d’avoir accès à des armes ;

o       la connaissance du sujet, notamment ses antécédents ainsi que sa réputation ;

o       le temps et la distance ;

o       les signes d’agression éventuelle ;

-          du comportement du sujet, qui peut transiter entre la coopération jusqu’à l’agression susceptible de causer des lésions corporelles graves ou la mort ;

-          de la perception et des considérations tactiques, que l’on associe aux caractéristiques personnelles de l’agent.

  1.            Le facteur temps-distance revêt une grande importance. Selon le MNEF, il se rapporte aux conditions qui déterminent si un agent doit réagir immédiatement ou s’il peut attendre. Le MNEF énonce à ce sujet ce qui suit[24] :

[…] Ainsi, une situation qui menace la sécurité publique pourrait commander une intervention immédiate. Par contre, les conditions peuvent être telle que l’agent peut attendre pour agir. Par exemple, la possibilité de couverture, l’arrivée imminente de renfort ou tout simplement le fait de pouvoir augmenter la distance avec le sujet peuvent permettre à l’agent de réduire momentanément la menace et repousser l’intervention à un moment où les conditions seront le plus favorables. L’agent doit donc tenir compte des facteurs suivants dans le processus « évaluation-planification-action » :

 

-          Gravité de la situation ;

-          Nécessité d’intervention immédiate ;

-          Possibilité de gagner du temps et de créer une distance

-          Potentiel de fuite.

  1.            Le MNEF énumère également divers indices annonciateurs d’agression, dont l’agent de la paix doit tenir compte afin d’adapter son intervention, comme :

-          l’indifférence à la présence de l’agent ;

-          le questionnement répétitif ;

-          la verbalisation agressive ;

-          la décharge émotionnelle ;

-          le refus d’obtempérer ;

-          l’arrêt de tout mouvement ;

-          l’invasion de l’espace personnel de l’agent ;

-          l’adoption d’une posture agressive ;

-          la dissimulation.

  1.            Le MNEF précise finalement que le choix de la méthode d’intervention de l’agent doit aussi s’appuyer sur diverses considérations tactiques, notamment : 

-          le repositionnement tactique et ses conséquences ;

-          le nombre d’agents ;

-          le renfort éventuel ;

-          le potentiel de couverture ;

-          les considérations géographiques ;

-          la faisabilité des interventions en matière d’endiguement, de distance et de communication.

  1.            Le MNEF fait par ailleurs au sujet du repositionnement tactique et de ses conséquences, la mise en garde suivante :

La première tâche d’un agent est de protéger la vie et de préserver la paix. Cependant, lorsqu’une situation dégénère de façon dangereuse ou lorsque la poursuite de l’intervention peut constituer un éventuel danger pour quiconque, le repositionnement doit être considéré comme une option appropriée. Il est aussi reconnu qu’en raison d’une contrainte de temps ou de distance, ou encore en raison de la nature même de la situation, le repositionnement tactique peut être exclu. S’il le juge tactiquement approprié, l’agent peut envisager le repositionnement tactique dans le but de contenir et de réévaluer la situation, et de considérer d’autres solutions, comme rechercher la protection d’une barricade, attendre du renfort, faire appel à des escouades spécialisées.

 

  1.            Le MNEF énumère finalement les options de force qui peuvent « être utilisées seules ou de façon combinée dans le but de permettre à l’agent de la paix de maîtriser la situation »[25].
  2.            Soulignons que cette version du MNEF est enseignée à l’ÉNPQ et appliquée par la majorité des agents de la paix du Québec[26].
  3.            Lors de leur formation initiale, l’ÉNPQ procède à une évaluation certificatrice afin de s’assurer qu’ils maîtrisent ces connaissances et compétences essentielles, avant que les agents de la paix ne soient confirmés dans leur fonction[27].

Les principes de précaution découlant du MNEF

  1.            Divers principes de précaution[28], découlant du MNEF, ont été circonscrits au fil du temps, qu’on enseigne à l’ÉNPQ aux agents de la paix, lors de leur formation initiale.
  2.            L’on considère en effet que l’agresseur possède toujours une longueur d’avance, puisque lui seul sait ce qu’il envisage de faire, alors que de son côté, l’agent de la paix devra d’abord percevoir la situation, l’analyser, prendre une décision, avant de finalement y réagir.
  3.            Les principes de précaution du MNEF servent à rééquilibrer ainsi que favoriser le rapport de force de l’agent de la paix.
  4.            C’est notamment la raison pour laquelle l’on y exhorte l’agent de la paix à demeurer vigilant et alerte, afin d’avoir conscience en tout temps du risque d’agression même lorsque l’intervention se déroule sans anicroche.
  5.            L’on s’attend par conséquent de l’agent de la paix qu’il demeure attentif dans le cadre de son travail et qu’il évite les distractions, afin de ne pas être pris au dépourvu, si l’agression se produit. Il ne doit jamais totalement baisser la garde.
  6.            C’est en effet grâce à cet état de conscience et parce qu’il demeure à l’affût des signes annonciateurs d’agression, que l’agent de la paix assure sa protection ainsi que celles des autres sur le terrain.
  7.            L’on dit également qu’en cas d’agression, la distance « sécuritaire », celle qui donne le temps à l’agent de la paix de prendre une décision et d’agir en temps opportun, avant que l’agresseur ne l’atteigne, est d’environ 21 pieds.
  8.            Afin d’assurer sa sécurité en cas de difficulté, l’agent de la paix doit donc, dans la mesure du possible, respecter cette distance de 21 pieds ou encore s’efforcer de l’atteindre.
  9.            L’ÉNPQ propose toutefois à l’agent de la paix divers scénarios afin de le préparer à réagir adéquatement lors de l’intervention et ainsi le protéger[29].
  10.            Soulignons qu’afin d’assurer sa survie, l’agent de la paix doit finalement endosser une mentalité ou attitude dite de gagnant, puisque cette approche, selon le MNEF, en est la condition essentielle[30].
  11.            L’agent de la paix doit par ainsi toujours se préoccuper des circonstances susceptibles de favoriser son rapport de force comparativement à celui de l’individu, dans le but soit de garder ou encore de reprendre la maîtrise de l’intervention. L’incertitude ou l’insécurité à propos de l’intervention sont des indices desquels il lui faut tenir compte afin d’assurer son succès.

Le descriptif des trois contestations

Dossier 695506-71-1904

  1.            Monsieur Proulx, délégué syndical, dépose une plainte à l’automne 2018 auprès de la Commission.
  2.            Il dénonce le fait que plusieurs des recommandations formulées afin de corriger certaines des dérogations émises par un inspecteur, il y a de cela huit ans, dans le rapport du 11 novembre 2010, après l’exercice du droit de refus, ne soient pas encore mises en œuvre.
  3.            Notons qu’à cette occasion, 13 travailleurs interpellent la Commission en raison de la survenance d’un événement, considéré comme à haut risque d’agression[31], impliquant la présence d’armes blanches et d’une arme à feu, alors que les individus interceptés, ainsi que d’autres présents sur les lieux, manifestent des comportements d’agressivité à leur encontre.
  4.            L’inspecteur décrit cet événement, dans le rapport du 11 novembre 2010, de la manière suivante :

La situation devient hors de contrôle tandis que :

 

       Les travailleurs tentent de contrôler physiquement [l’individu] ;

       Il n’est pas possible d’asseoir [l’individu] dans le véhicule, ce dernier n’étant pas conçu pour accueillir ce type de passager ;

       [L’individu intercepté] est très agressif et il est situé très près des travailleurs ;

       [L’individu intercepté] invite les travailleurs à la bagarre tout en crachant sur leurs bottes ;

       [Une troisième personne] rôde autour des travailleurs ;

       Le service technique tente d’entrer en contact avec les contrôleurs routiers. Il y a beaucoup de fritures mais on entend des bribes de communication portant sur les difficultés de localiser les travailleurs. Ces informations sont entendues par les trois agresseurs […] ;

       Plusieurs habitants arrêtent leurs camionnettes, hurlent leur appui à [l’individu intercepté] et l’invitent « à ne pas se laisser faire! ».

  1.            Les motifs alors évoqués par les travailleurs pour étayer leur droit de refus reposent sur :

-          un support inadéquat en situation à haut risque d’agression, tant du Service de soutien technique interne, que de la Sûreté du Québec ou du Centre de renseignements policiers du Québec, le CRPQ[32];

-          le mauvais fonctionnement des ondes radio ;

-          l’insuffisance des armes de protection mis à leur disposition, alors que le suspect agressif était en possession d’armes blanches ainsi que d’une arme à feu volée.

  1.            Tenant compte de cet événement ainsi que de l’historique des diverses démarches effectuées conjointement par les parties, l’inspecteur conclut qu’il existe un danger pour les contrôleurs routiers :

Et après analyse de la situation, je détermine qu’il existe un danger justifiant ces travailleurs à refuser d’exécuter leurs tâches de constables spéciaux […].

 

Afin d’éliminer ce danger, les mesures suivantes […] doivent être mise en application avant que le travail de constable spécial ne reprenne :

 

       S’assurer que les contrôleurs routiers lorsqu’ils agissent à titre de constables spéciaux, aient un accès complet au [Centre de renseignements policiers du Québec];

 

       Fournir des véhicules permettant d’accueillir sécuritairement les personnes arrêtées ;

 

       Compléter l’étude des tâches des contrôleurs routiers de manière à mettre à jour le rapport Ouimet qui date de 2003 […].

 

En ce qui concerne les interceptions régulières de véhicules à des fins de vérifications mécaniques, je demande :

 

       Aux contrôleurs routiers de reprendre le travail en s’assurant que les communications respectent la procédure en vigueur [ondes fonctionnelles et cellulaire]. Lors de constatations d’irrégularité au Code criminel, l’intervention prend fin, les contrôleurs se retirent dans leur véhicule.

 

       À l’employeur, de me déposer d’ici 10 jours, un protocole contre les agressions qui permettra de formaliser les actions prévues à titre préventif [formation du personnel – comment reconnaître, comment réagir, etc.], les engagements de la direction, les procédures d’appels à l’aide en cas d’agression, etc. […]

 

[Nos soulignements]

  1.            Aucune des parties n’a contesté ce rapport d’intervention.
  2.            Afin de répondre à certaines des dérogations émises, les parties conviennent de confier au chercheur Dupont le mandat d’actualiser l’étude auparavant menée en 2003 par un autre expert sur le même thème (Rapport Ouimet).
  3.            Le rapport Dupont, réalisé en 2011, contient 17 recommandations, certaines requérant toutefois l’aval, l’implication ainsi que la collaboration d’autres ministères et organismes, comme la Sûreté du Québec.
  4.            Comme mentionné plus haut, l’inspectrice à la fin de l’année 2018, intervient auprès de l’employeur, afin qu’il l’informe sur l’avancée de ces correctifs.
  5.            Elle conclut par la suite qu’il n’est pas nécessaire de formuler de dérogation dans son rapport d’intervention du 1er février 2019, une position que la Commission à la suite d’une révision administrative entérine également et avec laquelle la Fraternité est en désaccord.

Dossier 726636-71-2002  

  1.            La Fraternité interpelle la Commission à l’automne 2019, puisqu’elle est d’avis que la santé et la sécurité de deux contrôleurs routiers ont été mises à risque, à la suite de l’interception du véhicule d’un individu, lequel est notamment en possession d’armes à feu non sécurisées, y compris une arme d’assaut MP 15 de calibre .223 semi-automatique, à autorisation restreinte.
  2.            Dans la déclaration d’événement du 1er octobre 2019, référant à cet événement, les contrôleurs routiers soulignent :

-          le délai d’assistance de la Sûreté du Québec, qui s’est présentée 27 minutes après l’envoi de la demande;

-          leur manque de familiarité lorsque la situation requiert de manipuler les armes à feu dans le but de les sécuriser ainsi que leur besoin de formation à cet égard ;

-          le manque de clarté ou l’incohérence des directives et des procédures d’intervention applicables ;

-          l’insuffisance de leur équipement, qui ne leur permet pas, selon eux, de faire face à ce type de situation.

  1.            L’inspectrice, dans son rapport du 25 novembre 2019, rappelle que l’employeur a l’obligation de s’assurer que la procédure d’interception des véhicules, les outils ainsi que la formation des contrôleurs routiers leur permettent d’accomplir le travail de manière sécuritaire.
  2.            Constatant toutefois que des discussions paritaires sont en cours, notamment afin d’actualiser les conclusions du rapport Dupont, l’inspectrice encourage les parties à poursuivre le processus.
  3.            Elle met ainsi fin à l’intervention, sans émettre de dérogations[33].
  4.            Une position, comme on l’a vu précédemment, que la Fraternité a ensuite contesté devant le Tribunal.

Dossier 1280669-71-2205

  1.            Un inspecteur intervient finalement auprès de l’employeur, 12 avril 2022, après qu’un autre événement eut mis à nouveau la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique de deux contrôleurs routiers à risque.
  2.            En effet, les contrôleurs routiers, lors de l’événement du 10 novembre 2021, tentent d’intercepter un tracteur qui circule sur la voie publique sans plaque d’immatriculation et le suivent jusqu’à ce qu’il s’immobilise, au milieu d’un champ.
  3.            Le conducteur du tracteur, plutôt que de collaborer, actionne la pelle et fonce avec son véhicule sur celui des contrôleurs routiers, lesquels doivent effectuer pendant plusieurs minutes[34] diverses manœuvres afin d’éviter la collision, parce qu’ils ne retrouvent plus la sortie.
  4.            La situation prend fin lorsque le tracteur se renverse dans un fossé et que le conducteur se sauve à travers le champ.
  5.            Dans son rapport d’intervention, l’inspecteur confirme le bien-fondé de plusieurs des préoccupations énoncées par les parties, comme :

-          les problématiques au niveau de la géolocalisation des véhicules ainsi que la visibilité à l’intérieur des véhicules, à cause des reflets des lumières d’urgence, la nuit ;

-          le constat que l’intervention dans les endroits isolés, comme les champs, ou la poursuite sont à proscrire ;

-          le constat que la formation initiale offerte par l’ÉNPQ, à elle seule, ne permet pas à l’employeur de satisfaire aux obligations de la LSST, puisqu’il est nécessaire de maintenir à jour les compétences des contrôleurs routiers, particulièrement quant aux méthodes ou procédures permettant d’effectuer un interception d’un véhicule de manière sécuritaire ;

-          le constat que la formation initiale offerte à l’ÉNPQ ne couvre que les interceptions à faibles risques, lesquelles nécessitent très peu ou pas d’effectuer de repli stratégique ;

-          le constat que les méthode et techniques afférentes au repli stratégique ainsi que sur les lieux d’intervention à risque ne sont pas suffisamment abordées dans les procédures et les politiques de l’employeur.

  1.            L’inspecteur, au terme de la démarche, formule les dérogations suivantes :

-          l’organisation du travail et les méthodes et techniques pour l’accomplir ne sont pas sécuritaires et peuvent porter atteinte à la santé du travailleur en ce que la procédure sur l’interception sécuritaire d’un véhicule, notamment sur le repli stratégique et les lieux à risque, n’est pas détaillée et mise à jour, ce qui peut causer un danger d’agression lors d’une intervention réalisée par un travailleur.

-          l’employeur n’informe pas adéquatement les travailleurs sur les risques liés à leur travail et ne leur assure pas la formation, l’entraînement et la supervision appropriés afin de faire en sorte que les travailleurs aient l’habileté et les connaissances requises pour accomplir de façon sécuritaire le travail qui leur est confiés. En effet, lors de l’interception d’un véhicule, il y a risque d’agression pour un travailleur.

  1.            L’employeur n’a pas contesté ce rapport d’intervention.
  2.       Seule la Fraternité l’a fait, car elle est notamment d’avis que l’inspecteur aurait également dû se prononcer, comme elle le lui demandait explicitement, à l’égard de l’armement, puisqu’il ne leur permet pas, selon elle, de faire face à ce type de situation de manière sécuritaire[35].

Sur la preuve documentaire et testimoniale

  1.       Précisons que les faits de l’affaire ne sont pas contestés.
  2.       Cette preuve factuelle est rapportée en grande partie dans les divers rapports rédigés de manière contemporaine par les contrôleurs routiers lors des interceptions faites sur les routes, que l’employeur a déposés lors de l’audience.
  3.       Le Tribunal remarque que les constats qu’y font les contrôleurs routiers sont rapportés avec beaucoup de précisions, de minutie et d’objectivité. Ils doivent d’ailleurs l’être puisque plusieurs de ces documents sont utilisés par l’organisation afin d’appuyer le dépôt d’accusations pénales ou criminelles.
  4.       Même s’ils en ont eu l’occasion, aucun des participants à l’audience n’a remis en question la véracité ou la fiabilité de leur contenu. Le Tribunal note au surplus que les préoccupations qu’on y évoque s’entrecoupent, sont similaires en nature et qu’elles se corroborent.
  5.       Le Tribunal a également noté ce souci pour la précision, la minutie et l’objectivité dans l’ensemble des témoignages entendus lors de l’audience, cela, quelle que soit la partie qui les citait. Tous les témoins ont répondu aux questions sans réticence apparente, ni chercher à en exagérer la portée. Le Tribunal considère l’ensemble de ces témoins comme crédibles.
  6.       Plusieurs contrôleurs routiers, certains des travailleurs, d’autres des représentants de l’employeur, ainsi qu’un policier, président de l’Association des policière et policiers du Québec, sont venus expliquer leurs conditions de travail ainsi que les enjeux de sécurité auxquels ils sont respectivement confrontés, lors de leurs interventions sur la route.
  7.       Avec égards pour le PGQ, le Tribunal considère que lorsque des travailleurs lui font part de leurs observations sur les réalités de leur travail, ils ne s’expriment pas comme pourrait le faire un témoin expert.
  8.       Ils se prononcent plutôt à titre de témoins de fait, en s’appuyant sur des éléments qu’ils ont eux-mêmes constatés sur le terrain, tous en l’occurrence pendant plusieurs années[36].
  9.       Le Tribunal mentionne qu’il ne retient pas non plus l’autre argument du PGQ selon lequel la preuve de la Fraternité serait incomplète, parce que d’une part, elle n’aurait pas fait témoigner suffisamment de contrôleurs routiers à l’audience et que d’autre part, les propos des témoins entendus ne seraient pas représentatifs des préoccupations de l’ensemble de leurs collègues.
  10.       Le Tribunal estime au contraire que les contrôleurs routiers se sont exprimés de manière limpide, tant dans les multiples rapports déposés par l’employeur, qu’à l’audience.
  11.       Le Tribunal rappelle que de toute façon, l’article 2844 du Code civil du Québec[37], le Code civil, énonce clairement que la preuve par témoignage peut se livrer même par un seul témoin.
  12.       C’est alors la qualité du témoignage qui compte, sa valeur probante, bien davantage que sa répétition[38].
  13.       Le Tribunal souligne, dans un autre ordre d’idées, la qualité de la preuve d’expert, tant celle de l’employeur que de la Fraternité.
  14.       La connaissance et les compétences de ces derniers, notamment à l’égard du MNEF, et incidemment sur l’armement, ont permis d’éclairer le Tribunal sur ces enjeux.
  15.       Le Tribunal souhaite toutefois faire la nuance suivante.
  16.       Aucun d’entre eux n’était familier avec la LSST et les principes que le Tribunal doit appliquer.
  17.       C’est la raison pour laquelle, le Tribunal ne tient pas compte de leur avis portant sur les aspects juridiques du dossier, puisqu’ils ne sont à ces égards ni susceptibles d’éclairer le Tribunal ni probants.

Sur la présentation de la décision

  1.       Avant d’entamer l’analyse, le Tribunal veut préciser ce qui suit.
  2.       L’on s’efforce, en temps normal, de rédiger les décisions de manière concise.
  3.       Le Tribunal est toutefois d’avis, tenant compte des particularités du litige, que le faire en l’occurrence aurait été préjudiciable pour les parties et incidemment, la sécurité des contrôleurs routiers.
  4.       Le Tribunal fait sienne la préoccupation que formulait le Tribunal du Travail, dans une situation comparable[39] :

Il eût sans doute été possible de trouver la défenderesse coupable en quelques pages mais l’objet d’un jugement – du moins tel que je le comprends dans le domaine du droit du travail en particulier – a surtout pour but de clarifier certains concepts de droit et situation de fait pour le bénéfice des parties en présence, l’employeur, les salariés, et leurs associations respectives.

 

Généralement souhaitable, la concision n’est pas nécessairement une vertu : elle a tendance à mettre l’accent sur des analyses ou des conclusions purement judiciaires, laissant trop souvent de côté la dimension d’analyse des rapports, relation et conditions de travail, susceptible d’aider les parties à mieux comprendre les données de leurs problèmes et de leurs solutions.

 

[Nos soulignements]

  1.       À l’instar de cette décision, le Tribunal estime qu’une documentation des diverses problématiques rapportées lors des interventions sur les routes par les contrôleurs routiers est susceptible d’avoir une plus grande incidence sur l’issue concrète du dossier, une fois la décision rendue.
  2.       Comme indiqué précédemment, le litige s’appuie non pas sur une seule situation de fait ponctuelle, mais sur plusieurs. L’analyse tient également compte de l’historique des démarches effectuées par l’employeur afin d’assurer la sécurité des contrôleurs routiers depuis plus de 20 ans.
  3.       Ajoutons que la thèse de l’employeur et du PGQ s’appuie chacune sur la prémisse d’un manque de données concluantes.
  4.       Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal préfère écrire la décision selon une approche archivistique plutôt que concise, puisqu’il remarque que plusieurs interventions, recommandations ou préoccupations pertinentes ont malheureusement été occultées, écartées ou oubliées au fil du temps, une situation qui contribue à la chronicité de la problématique et à laquelle le Tribunal entend remédier.
  5.       L’objectif du Tribunal est par conséquent celui de refléter la teneur de la preuve présentée à l’audience, particulièrement de la preuve documentaire, qui contient plusieurs milliers de pages.
  6.       Le Tribunal souhaite ainsi établir un portrait clair, pour l’employeur, les contrôleurs routiers, la Commission ainsi que pour tous les partenaires ou institutions impliqués de près ou de loin dans le dossier, susceptibles d’exercer une influence dans le futur sur son issue concrète.

ANALYSE

Quels sont l’objet et l’étendue du litige duquel le Tribunal est saisi ?

  1.       Le PGQ soutient que le Tribunal commettrait une erreur en se prononçant sur l’ensemble des sujets traités lors de l’audience. Il considère en effet que l’objet ainsi que la portée du litige l’en empêchent.
  2.       Le PGQ s’appuie sur plusieurs motifs.
  3.       Il allègue d’abord que la portée du litige se restreint selon lui aux :

o       seuls événements spécifiques à l’origine des contestations ;

o       seules revendications initialement présentées par la Fraternité à la Commission

o       ainsi qu’aux seuls éléments sur lesquels la Commission s’est explicitement prononcée.

  1.       Le PGQ laisse entendre qu’aller au-delà de ces considérations, en appréciant, comme le demandent les parties, le risque d’agression lors des interceptions sur route dans son ensemble, aurait pour effet de dénaturer le litige.
  2.       Le PGQ affirme que le Tribunal doit également respecter le choix de certains inspecteurs de ne pas émettre de dérogations[40] puisqu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, une compétence de surcroît dévolue de manière exclusive à la Commission.
  3.       C’est la raison pour laquelle le Tribunal, selon le PGQ, ne devrait pas se saisir de la question de l’armement, puisque la Commission, dans tous les dossiers, a choisi de ne pas se prononcer sur cette question.
  4.       L’employeur ainsi que la Fraternité sont en désaccord avec ce point de vue.
  5.       La Fraternité souligne que la position du PGQ va à l’encontre de la précédente décision du Tribunal rendue le 1er septembre 2021, sur les moyens préliminaires.
  6.       L’employeur ainsi que la Fraternité demandent tous les deux au Tribunal de se prononcer en actualisant les questions en litige ainsi que la preuve, conformément aux balises identifiées lors des conférences de gestion ou des journées d’audience et sur lesquelles ils se sont appuyés afin d’administrer leur preuve.
  7.       Le Tribunal, pour les raisons suivantes, ne retient par les arguments du PGQ.

Les larges pouvoirs dévolus au Tribunal par la législation

  1.       Il importe de bien les circonscrire, puisqu’ils sont les fondements sur lesquels le Tribunal s’appuie.
  2.       Rappelons d’abord que le Tribunal administratif du travail est une instance hautement spécialisée à qui le législateur confie la compétence exclusive d’instruire plusieurs types de contestations, comme celles fondées sur la LSST[41].
  3.       Le Tribunal et ses membres sont investis des pouvoirs dévolus au commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête[42].
  4.       Afin de découvrir la vérité, faire apparaître le droit et en assurer la sanction, les juges administratifs peuvent ainsi, par tous les moyens légaux qu’ils jugent les meilleurs, s’enquérir sur les éléments de l’investigation qu’on lui défère[43].
  5.       Le juge administratif est d’ailleurs maître de sa procédure[44].
  6.       Même s’il peut s’inspirer de celle que l’on préconise dans le Code civil ou dans le Code de procédure du Québec[45], le Code de procédure, tenant compte des principes de célérité et d’efficacité qui doivent guider l’administration de son audience, le Tribunal n’y est pas tenu.
  7.       Ajoutons qu’afin de permettre le débat loyal[46] ainsi que de donner l’occasion aux parties d’être pleinement entendues[47], le Tribunal peut, en toute impartialité, signaler aux parties une lacune dans la preuve ou la procédure afin de leur permettre d’y pallier[48].
  8.       La Loi instituant le Tribunal administratif du travail[49], la LITAT, le dote également de larges pouvoirs.
  9.       L’article 9 de la LITAT lui octroie par exemple le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence, ce qui inclut l’identification de la portée du litige ainsi que celle de son objet.
  10.       Le législateur l’autorise également : 

-          à rendre toute ordonnance qu’il estime propre à sauvegarder les droits des parties[50];

-          à confirmer, modifier ou informer la décision, l’ordre ou l’ordonnance contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu[51] ;

-          à rendre toute décision qu’il juge appropriée[52].

  1.       Bien que ces pouvoirs soient considérables, comme l’indique le PGQ, ils ne sont toutefois pas sans limites.
  2.       En effet, c’est la décision rendue en révision administrative, contestée par les parties, qui donne juridiction au Tribunal[53] et ce dernier ne peut pas se saisir d’une question totalement étrangère au litige[54], ni le dénaturer[55].
  3.       L’audience ne doit pas non plus avoir pour effet de court-circuiter le processus décisionnel prévu dans la loi applicable, ni encore porter préjudice aux droits fondamentaux des parties, comme leur droit d’être entendu[56].

Le rôle du Tribunal

  1.       Le rôle du Tribunal ne se limite pas à vérifier la conformité de la décision rendue par la Commission eu égard aux lois applicables[57], comme le PGQ l’infère en argumentaire.
  2.       Au contraire, la nécessité de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu implique la reprise en entier par le Tribunal du processus initié devant la Commission, afin que les parties puissent pleinement jouir de leur droit d’être entendues[58].
  3.       Le Tribunal ajoute que cette considération est d’une importance primordiale en matière d’inspection.
  4.       En effet, bien qu’ils partagent le même objectif ainsi que plusieurs pouvoirs, le rôle de l’inspecteur se distingue à plusieurs égards de celui du Tribunal.
  5.       Le Tribunal, dans la décision Coopérative des Paramédics du Grand-Portage et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la décision Paramédics)[59], considérait, avec raison, qu’il était essentiel de tenir compte de ces différences, puisqu’elles sont celles qui permettent la réalisation de l’objectif de la LSST :

Toutefois, les règles de procédures prévues à la Loi sur la justice administrative, et notamment à l’article 5, lequel s’applique à l’inspecteur, ne font pas de lui un Tribunal juridictionnel astreint au devoir imposé à ce dernier.

 

En outre, les règles de procédures doivent être adaptés au contexte dans lequel l’inspecteur intervient : l’application de la LSST, une loi d’ordre publique visant la protection d’un droit garanti par la Chartes des droits et libertés de la personne67.

 

[…]

 

Faut-il rappeler que l’intervention de l’inspecteur se situe au cœur de ce régime administratif? L’inspecteur doit s’assurer du respect d’un ensemble de normes contenues dans la LSST et les nombreux règlements adoptés sous son autorité.

 

En outre, plusieurs des articles encadrant son intervention sont conçus pour répondre à des situations exigeant régulièrement des remèdes immédiats. Qu’on songe à cet égard au droit de refus, à la suspension du travail ou la fermeture d’un lieu de travail, à différentes ordonnances qu’il peut prendre pour faire cesser un comportement dérogatoire à la loi68.

 

[…] Toutefois, en sa qualité d’agent administratif de première ligne, son mode décisionnel est plus interactif et diffère de celui du tribunal de dernière instance soumis au contrôle judiciaire. D’ailleurs, à cet égard, tel que vu précédemment, la Loi sur la justice administrative fait clairement les distinctions appropriées.

 

 

[Notes omises et nos soulignements]

  1.       Le Tribunal constatait ainsi, dans la décision Paramédics, l’importance pour l’inspecteur en première ligne d’agir avec célérité afin de remédier à la situation dangereuse et ainsi réaliser l’objectif de la LSST, cela, même si le portrait de la situation effectué par les parties peut encore s’avérer incomplet.
  2.       Le Tribunal dans la décision Paramédics précisait que ces limites ou impacts sur la preuve et l’équité procédurale étaient par ailleurs compensées par l’intervention du forum placé en dernière ligne, en l’occurrence le Tribunal administratif du travail, lequel permet ultimement aux parties d’être pleinement entendues, dans le cadre d’un débat formel et loyal :

De plus, le Tribunal qui entend les recours en dernière instance possède les pleins pouvoirs pour réviser les décisions portées devant lui et prendre les mesures nécessaires, en substituant son opinion à celle de l’inspecteur ou du réviseur de la CSST. La LITAT prévoit en effet ce qui suit : [Article 9 de la LITAT].

 

Conséquemment, de l’avis du Tribunal, l’inspecteur a agi conformément à la loi lors de son intervention et a respecté les devoirs d’équité procédurale qui lui étaient dévolus.

 

Quoiqu’il en soit, même si tel n’avait pas été le cas, l’employeur a pu faire valoir pleinement ses moyens au cours des 23 jours d’audience devant le Tribunal.

 

Or, les tribunaux judiciaires ont clairement reconnu qu’un Tribunal d’appel de dernière instance, comme celui en l’espèce, a le pouvoir de remédier à toutes les irrégularités ou illégalités ayant pu être commises, au stade antérieur, et ayant affecté le processus décisionnel, y compris même celles relatives aux règles de justice naturelle71.

 

[Note omise]

  1.       Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal est d’avis qu’avaliser l’argument du PGQ et limiter l’exercice qu’il doit faire à la seule évaluation de l’information limitée consignée ou rapportée par la Commission et en ne tenant compte que des demandes ou des arguments initiaux, empêcherait tout simplement le Tribunal de s’acquitter de son devoir[60].
  2.       C’est au contraire agir de la sorte, selon la Cour supérieure[61], qui constitue une erreur révisable :

Enfin, et surtout, le champ de compétence dévolu [au Tribunal], en sa qualité de gardienne de l’application d’une loi [d’ordre public] à caractère social, fait en sorte que ses membres ne sont pas liés par les prétentions des [parties], non plus d’ailleurs que par les prétentions de la [Commission] elle-même […]. Ainsi, non seulement [le Tribunal peut-il] se saisir des questions qui ne lui auraient pas été soumises, [..] mais encore a-t-[il] le devoir de le faire, sous peine de se le faire reprocher par les tribunaux de droit commun d’avoir refusé d’exercer sa compétence.

 

[…] Contrairement à ce que suggère à l’audience le procureur […], toutes ces questions sont en litige […], cela en dépit des décisions administratives rendues par la [Commission] […]. […] les formulaires et documents déposés devant le [Tribunal] par la [Commission] ne limitaient pas le débat en aucune manière. Mais surtout, comme nous l’avons vu plus haut, il était du devoir du [Tribunal] d’ouvrir tout grand le dossier, de l’actualiser si nécessaire et de rendre la décision, qui à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu.

  1.       Les conséquences concrètes de tous ces principes sont les suivantes.
  2.       Notons d’abord que le pouvoir de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu affecte nécessairement l’identification de l’objet du litige et la détermination de sa portée.
  3.       C’est la raison pour laquelle le Tribunal qui procède de novo ne fonde pas son appréciation sur le seul dossier constitué par les instances inférieures, ou encore par le contenu explicite de la décision rendue par la Commission en révision administrative[62].
  4.       Au contraire, devant lui, les parties peuvent lui soumettre de nouveaux moyens de droit et de fait.
  5.       Comme l’énonce explicitement l’article 9(4) de la LITAT, le Tribunal a par conséquent non seulement la compétence, mais également le pouvoir, voire le devoir, de réexaminer tous les aspects de la décision initiale, même s’ils sont implicites.
  6.       La Cour supérieure confirme d’ailleurs dans la décision Fortin c. La Commission des lésions professionnelles[63], que le pouvoir d’actualisation du Tribunal n’est pas de nature discrétionnaire :

De ces deux arrêts, comme d’autres, portés à notre attention6 qui reconnaissent non seulement le pouvoir, mais également l’obligation pour un organisme d’appel de se prononcer sur un sujet qui n’a pas été traité par l’instance inférieure lorsque cet organisme possède les éléments nécessaires pour décider.

 

[Note omise]

  1.       Cela signifie qu’afin de circonscrire l’objet du litige et sa portée, le Tribunal doit impérativement tenir compte non seulement des conclusions explicites de la Commission mais également de celles omises, en raison par exemple d’un oubli, d’une erreur ou même d’un geste volontaire de sa part[64].
  2.       Indiquons que ces mêmes principes, développés lors de l’adjudication de litiges fondés sur la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[65] s’appliquent tout autant aux litiges fondés sur la LSST[66] :

Selon [l’article 9(4) de la LITAT], le Tribunal puise sa compétence dans les recours formés à l’encontre d’une décision, d’un ordre ou d’une ordonnance dont l’existence doit d’abord être établie. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit. Pour en décider, le Tribunal n’est pas limité par le dossier administratif de la Commission[67]. Il peut recevoir toute preuve qu’il estime pertinente et procéder à la revue complète des circonstances ayant conduit à l’intervention de l’inspecteur[68]. Le Tribunal se livre à sa propre analyse des faits lors d’une audience de novo[69]. Il retient les conclusions qui s’imposent et dispose des droits respectifs des parties en fonction des dispositions de la LSST[70]. Il peut ainsi substituer sa propre décision à celle rendue en premier lieu.

  1.       Le Tribunal ne dénature pas le litige en procédant de la sorte.
  2.       Il y est au contraire tenu.
  3.       Selon le Tribunal, l’incidence de cette considération est encore plus grande lors de l’adjudication des dossiers d’inspection fondés sur la LSST.
  4.       En effet, ne pas tenir compte de nouvelles informations, révélant par ailleurs l’existence de dangers pour la santé et la sécurité de travailleur, irait à l’encontre de l’objet même de cette loi d’ordre public.
  5.       Le Tribunal ne saurait se résoudre à ignorer la présence de danger et des moyens de les contrôler, voire de les éliminer, simplement parce que ces éléments n’ont pas été constatés initialement par la Commission, alors qu’elle en était saisie et qu’ils existaient néanmoins.
  6.       Ajoutons que cette façon de faire permet de tenir compte des correctifs entre-temps mis en œuvre par l’employeur et évite ainsi au Tribunal d’avoir à se prononcer sur des questions désormais théoriques[71].
  7.       Soulignons que la réserve qu’énonçait récemment la Cour d’appel quant au pouvoir d’actualisation, dans la décision Piché c. Les entreprises Y. Bouchard & Fils inc.[72], lorsque les connaissances scientifiques sont de nature évolutive, ne s’applique pas à la situation présentement à l’étude.
  8.       Le Tribunal constate finalement que le PGQ donne une portée trop grande à la décision[73] qu’il cite à l’appui de sa prétention.
  9.       En effet, dans cette décision, la partie demanderesse pose une question inédite au Tribunal, sans avoir au préalable interpellé la Commission sur le sujet. Aucune décision de la Commission, de près ou de loin, ne la visait donc.
  10.       Puisqu’il s’agit d’une situation qui se distingue de l’actuelle, il n’est pas nécessaire de s’y attarder davantage.

Les diverses interventions du Tribunal

  1.       Avant de répondre aux prochains arguments du PGQ, le Tribunal considère comme nécessaire de faire l’inventaire des interventions faites afin d’aménager le litige depuis le tout début de l’audience, puisque cet élément conditionne les motifs du Tribunal.
  2.       La jonction des trois contestations décrites précédemment, parce que présentant des circonstances de fait distinctes, a rapidement obligé le Tribunal à se pencher sur l’objet du litige, sa portée ainsi que ses limites.
  3.       Rappelons qu’il s’agit d’un pouvoir que lui confère l’article 9 de la LITAT, celui de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.
  4.       Voici les facteurs qui ont influencé sa réflexion.

Les points communs des trois contestations

  1.       Après de multiples discussions à ce sujet avec les parties, le Tribunal a dégagé de ces trois contestations leurs points communs, comme le fait :

-          qu’elles traitent toutes les trois de la sécurité des contrôleurs routiers lors de leurs interceptions sur route[74] ;

-          qu’elles sont toutes afférentes au risque d’agression auquel sont exposés à cette occasion les contrôleurs routiers;

-          qu’elles mettent toutes les trois en cause le respect des obligations de l’employeur, comme celles énoncées aux troisième, cinquième et neuvième alinéas l’article 51 de la LSST ;

-          que les prétentions des parties et l’analyse de la Commission tiennent compte :

o       de l’ensemble des conditions de travail des contrôleurs routiers lors de leurs interceptions sur route, plutôt que d’un élément en particulier ;

o       de l’historique des incidents rapportés comme ayant mis à risque la santé et la sécurité des travailleurs plutôt que de la seule situation de fait à l’origine de la contestation ;

o       de l’étendue des démarches entreprises par l’employeur et la Fraternité au cours des deux dernières décennies afin de corriger la situation :

         des éléments que l’on retrouve consignés par exemple dans les rapports Ouimet (2003) et Dupont (2011) ;

-          que la Fraternité dénonce, lors de chacune de ces occasions, un armement insuffisant de même que l’accès limité au CRPQ, lesquels selon elle leur permettraient, si on y remédiait, de contrôler plus efficacement le risque d’agression lors des interceptions sur les routes.

La preuve présentée initialement par les parties

  1.       Considérant :

-          la décision de deux des inspecteurs de mettre fin à leur intervention sans émettre de dérogation

-          ainsi que de la demande de l’employeur et de la Fraternité d’actualiser le dossier, afin de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, en évitant de retourner le dossier à la Commission,

le Tribunal devait dans une large mesure se substituer aux inspecteurs, afin d’identifier, le cas échéant, les manquements.

  1.       Soucieux de répondre à cette préoccupation, le Tribunal a informé les parties de la distinction qu’il faisait entre les véritables questions en litige, fondées sur les dispositions de la LSST et l’étendue des revendications de la Fraternité.
  2.       En effet, l’on ne peut envisager de correctif que si l’on constate d’abord un manquement aux obligations de l’employeur[75].
  3.       Bien que la preuve de l’employeur et de la Fraternité (particulièrement celle provenant des experts) étayât leurs positions respectives sur l’armement et l’accès élargi au CRPQ, le Tribunal leur faisait remarquer qu’elle ne répondait que de manière partielle ou encore imparfaite à la question afférente aux obligations de l’employeur
  4.       C’est ce qui a mené en cours de route à une volumineuse actualisation de la preuve.
  5.       Le Tribunal résumait toutes ces considérations de la manière suivante dans le procès-verbal du 16 mars 2023 :

Le dossier est particulier pour plusieurs raisons. 

 

Il réunit trois contestations présentant des faits et circonstances différentes (par exemple : présence d’armes à feu dans le véhicule intercepté vs. conducteur d’un tracteur volé qui fonce sur les contrôleurs routiers plutôt que de s’immobiliser) mais découlant toutes d’interceptions sur la route. Comme souligné à plusieurs reprises, l’objet de l’actuel litige est par conséquent plus étendu qu’à l’habitude.

 

D’autant plus que depuis le dépôt des contestations (2019), la Commission est intervenue à l’égard d’autres circonstances, non contestées, mais découlant [aussi d’] interceptions sur la route, à la suite desquelles les inspecteurs ont cette fois identifié des risques. Le dossier a été actualisé afin de tenir compte de l’état de ces démarches, lesquelles sont reliées à l’objet du litige.

 

Rappelons que le litige fait également suite à des décisions d’inspecteurs de ne pas émettre de recommandation particulière. À l’inverse des dossiers habituellement soumis au Tribunal, les risques ou les dangers n’y sont pas identifiés et c’est aux parties, et incidemment au Tribunal, de le faire, ce qui ajoute un niveau de complexité additionnel.

 

L’historique est également particulier, puisque le sujet de la sécurité des contrôleurs routiers lors des interceptions sur route a été discuté entre les parties à plusieurs reprises au cours des années, sur lequel plusieurs experts se sont d’ailleurs prononcés.

 

L’ensemble de ces éléments est déposé au dossier du Tribunal.

 

[…]

 

Le Tribunal le précise, puisqu’il a tenu, avec les parties, une conférence de gestion durant l’audience, afin de mieux cerner le litige et s’assurer que les enjeux soient bien compris par tous les intervenants, y compris le procureur général.

 

En effet, lors d’une conférence de gestion tenue le 14 mars 2022, en présence de toutes les parties ainsi que du procureur général, mais avant l’administration de la preuve, les questions principales en litige ont été précisées de la manière suivante : 

 

L’employeur a-t-il pris les moyens pour assurer la santé et la sécurité des contrôleurs routiers sur la route ? Dans la négative, quelle est la décision qui aurait dû être rendue ?

 

Par ailleurs, l’étendue de la preuve administrée jusqu’à présent, depuis près d’un an, ratisse plus large. C’est la raison pour laquelle le Tribunal a demandé aux parties de bien circonscrire la nature de la problématique. La Fraternité s’engage à y réfléchir et à informer l’employeur, s’il devait y avoir des nuances, afin que celui-ci puisse y répondre adéquatement, lorsqu’il administrera sa preuve. 

 

En effet, le Tribunal [devra d’abord] déterminer s’il est en présence d’un risque ou d’un danger. Cette qualification est importante puisqu’elle déterminera ensuite les obligations de l’employeur ainsi que l’étendue des pouvoirs du Tribunal. 

 

Le Tribunal a sensibilisé les parties quant aux issues possibles de ce dossier, particulièrement s’il advenait que les contrôleurs routiers soient exposés à un danger et non à un risque.

 

Le Tribunal a indiqué aux parties qu’il [s’attardera] notamment à vérifier la réalisation des obligations de l’employeur, lesquelles sont notamment définies à l’article 51 de la LSST. À cet égard, la Fraternité a annoncé qu’elle entendait soulever des manquements à l’égard des alinéas 3,5,7,9 et 11 de l’article 51 de la LSST. 

 

Le Tribunal a [alors] précisé aux intervenants qu’il n’était pas lié par les prétentions ou demandes des parties, puisqu’il doit rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, afin que l’objectif de la LSST se réalise.

 

Le Tribunal a attiré l’attention des parties : 

 

  • sur l’article 2 de la LSST (objectif d’élimination des dangers à la source), 

 

  • de l’article 4 de la LSST (loi d’ordre public – toute convention qui y déroge est nulle de nullité absolue), 

 

  • de l’article 6 de la LSST (la Loi lie le gouvernement, ses ministères et ses organismes mandataires), 

 

  • de l’article 51 de la LSST (certaines obligations de l’employeur) 

 

  • et de l’article 186 de la LSST (le pouvoir d’un inspecteur d’ordonner la suspension ou la fermeture d’un lieu de travail et ou des travaux en présence d’un danger). 

 

Le Tribunal a souligné tous ces éléments aux parties notamment parce qu’il était d’avis, sans présumer du résultat, que la décision pourrait affecter les intérêts du ministère de la Sécurité publique, indépendamment de son pouvoir discrétionnaire, par exemple […] si le Tribunal ordonnait que les contrôleurs routiers cessent d’effectuer les interceptions sur route, parce qu’en présence d’un danger. 

 

Le Tribunal souhaitait préciser ces éléments afin que la preuve et les argumentaires en traitent spécifiquement, ainsi qu’afin d’éliminer tout élément de surprise, que ce soit au cours de la procédure ou pire encore, à la lecture de la décision.

 

  1.       Conformément à l’article 28 de la LITAT, l’audience a ensuite été aménagée autour de ces balises, sans que le PGQ soulève de préoccupations particulières à ces égards.

L’argument sur la portée limitée du litige

  1.       En dépit de ce qui précède, le PGQ soutient, à la fin de l’audience, à l’automne 2024, lors de son argumentaire, que le Tribunal devrait finalement limiter son exercice aux seules situations de fait à l’origine des contestations.
  2.       Le Tribunal constate toutefois que les circonstances afférentes aux décisions rendues par la Commission s’y opposent.
  3.       En effet, :

-          l’étendue des vérifications effectuées par les inspecteurs,

-          l’étendue des arguments qu’on leur présente à ces occasions,

-          l’historique sur lequel leurs rapports d’interventions s’appuient

-          et ce qu’en consigne ensuite la Commission en révision administrative dans les décisions contestées

vont bien au-delà des seules situations de fait à l’origine des contestations.

  1.       Il suffit de rappeler que l’on interpelle la Commission en 2018 parce qu’on lui demande d’effectuer un suivi de la correction des dérogations émises par un autre inspecteur, en 2010, à la suite de l’exercice d’un droit de refus.
  2.       Rappelons que l’inspecteur à cette époque confirmait l’existence d’un danger et ordonnait aux contrôleurs routiers, pour cette raison, de cesser de faire des interceptions sur route.
  3.       La solution à laquelle les parties agréent à ce moment, et qui permet d’autoriser la reprise des activités, est celle d’actualiser le rapport Ouimet de 2003.
  4.       Or, lors de son évaluation, l’expert Ouimet, professeur titulaire spécialisé en criminologie :

-          évalue les conditions de travail des contrôleurs routiers dans leur ensemble,

-          identifie plusieurs facteurs de risques reliés aux agressions lors des interceptions sur la route

-          et y fait diverses recommandations pour mieux les contrôler.

  1.       Le chercheur Dupont, mandaté de manière paritaire, procède de la même manière dans son rapport de 2011, celui qui se veut la mise à jour du rapport Ouimet : il y discute lui aussi des conditions de travail des contrôleurs routiers lors des interceptions sur la route et des facteurs de risques qu’il note. Il fait lui aussi plusieurs suggestions afin de corriger la situation qu’il constate.
  2.       Ajoutons que cette circonstance est également prise en compte dans le dossier 726363, puisque l’inspectrice met fin à son intervention après avoir constaté l’intention des parties d’actualiser le rapport Dupont de 2011.
  3.       Les rapports de l’expert Boivin et de l’expert Berniqué, mandaté respectivement par l’employeur ainsi que la Fraternité, cette fois en vue de l’audience, s’appuient sur ces mêmes assises.
  4.       Les experts Berniqué et Boivin ont même accompagné des contrôleurs routiers lors de leurs interceptions sur route, afin de les observer, dans leur environnement de travail.
  5.       Or, dans le dossier 1280669, l’employeur remet justement à l’inspecteur le rapport de son expert Boivin, afin de démontrer qu’il respecte ses obligations.
  6.       Notons également que l’employeur, lors de la première (dossier 695506) ainsi que lors de la dernière intervention (dossier 1280669), informe l’inspecteur :

-          sur l’étendue des pouvoirs dévolus aux contrôleurs routiers,

-          les procédures, les directives et les politiques en vigueur, celles qui encadrent leurs conditions de travail

-          ainsi que sur l’étendue de la formation qu’ils reçoivent au préalable afin de remplir leur mandat.

  1.       Le processus d’identification des risques tout autant que la procédure d’intervention, de déclaration, d’enquête et d’analyse d’événement en santé et sécurité du travail sont également passés sous la loupe de l’inspecteur dans le dossier 1280669.
  2.       Le Tribunal est d’avis que tous ces éléments composent l’essence ainsi que la substance principale du litige.
  3.       Ils sont en effet le reflet de l’entièreté des démarches entreprises par l’employeur depuis plusieurs années afin de contrôler le risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers, la question principale sur laquelle la Fraternité interpellait à l’époque la Commission, et incidemment le Tribunal.
  4.       Au contraire de ce qu’affirme le PGQ, le Tribunal estime devoir tenir compte de l’ensemble des circonstances afin justement d’éviter de tronquer indûment le litige et de le résoudre, espérons-le, de manière définitive.

L’effet de la décision rendue le 1er septembre 2021

Sur l’argument de l’omission de la Commission de se prononcer sur l’armement

  1.       Le PGQ considère que le Tribunal ne devrait pas se prononcer sur les obligations de l’employeur concernant l’armement, puisque la Commission n’aborde en profondeur cet aspect dans aucun des rapports d’intervention contestés.
  2.       Cet argument a cependant déjà été tranché par le Tribunal, dans la décision qu’il a rendue le 1er septembre 2021 sur les moyens préliminaires soulevés par l’employeur.
  3.       Le Tribunal y écrivait à ce sujet :

Afin d’éviter toute ambiguïté, le Tribunal considère comme nécessaire de préciser que l’omission des inspectrices de discuter de l’armement ou du modèle d’emploi de la force découle elle aussi d’une décision.

 

Cet élément peut ainsi, tout autant que les trois autres préoccupations discutées explicitement aux rapports d’intervention contestés être soumis à l’appréciation du Tribunal.

 

Notons qu’au contraire de la situation décrite dans la décision […], les parties demanderesses invitent ici spécifiquement les inspectrices à se positionner à l’égard de ces enjeux.

 

De plus, la preuve révèle que l’opportunité de se prononcer à l’égard de l’armement ou du modèle d’emploi de la force a été pondérée par les inspectrices.

 

[…] le Tribunal considère qu’il ne s’agit pas d’un oubli fortuit.

 

[…], le Tribunal doit parfois aller au-delà des mots afin de circonscrire l’intention des inspectrices. En l’occurrence, bien que leurs motifs ne sont pas explicites, le contexte permet de déterminer que les inspectrices ont préféré, au terme d’un processus décisionnel, ne pas se saisir de la question.

  1.       Comme personne n’a contesté cette décision, le Tribunal doit par conséquent la considérer comme finale et irrévocable[76].
  2.       Le Tribunal souligne avoir attiré l’attention du PGQ sur l’existence ainsi que sur le contenu de cette décision, sans que ce dernier ne module ni ne formule de commentaires additionnels.
  3.       Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal étant valablement saisi de la question de l’armement, il conclut que le PGQ ne pouvait donc pas ou plus remettre cet élément en question lors de son argumentaire.

L’argument sur le pouvoir discrétionnaire

  1.       Notons que l’employeur avait déjà présenté, lors de l’audience sur le moyen préliminaire, le même argument que le PGQ, selon lequel la décision de ne pas émettre de dérogation se trouve à l’abri de l’appréciation du Tribunal, puisqu’il s’agit de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.
  2.       Le Tribunal a cependant rejeté cet argument de l’employeur, dans cette décision du 1er septembre 2021, de la manière suivante :

Même si l’on retrouve encore ponctuellement dans de rares décision des vestiges de cette logique, le Tribunal constate qu’à compter de 2011, la jurisprudence amplement majoritaire du Tribunal s’en écarte afin d’endosser plutôt la position énoncée dans la décision SAPSCQ et ministère de la Sécurité publique, qui est la suivante :

 

[…] la discrétion de l’inspecteur n’est pas totale et conformément au pouvoir dévolu par la Loi, [le Tribunal] peut en contrôler l’exercice en vue de s’assurer que l’inspecteur n’a pas commis d’erreur en omettant d’émettre un avis de correction ou un ordre alors que la situation le justifiait […] C’est ainsi que si la preuve révèle que les conditions dans lesquelles les travailleurs effectuent leur travail contreviennent à la loi ou à un de ses règlements, elle a la compétence pour rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu et émettre un avis de correction.

 

[…]

 

Dans ce contexte, considérant l’objectif défini à l’article 2 de la LSST, qui est celui d’éliminer à la source les dangers pour la sécurité, la santé et l’intégrité des travailleurs, il tombe sous le sens que le législateur ne voulait pas empêcher les parties lésées de contester une décision de l’inspecteur fondée sur une appréciation déraisonnable de la problématique ou encore motivée par des raisons étrangères aux principes de la LSST.

 

  1.       Le PGQ n’a pas modulé ses commentaires ou sa position lorsque le Tribunal a attiré son attention sur cet élément.
  2.       Cette décision non contestée du Tribunal, par conséquent devenue finale et irrévocable, règle ainsi le sort de cet autre argument du PGQ.

L’argument sur la compétence exclusive de la Commission d’émettre des dérogations

  1.       Bien qu’il convienne que le Tribunal possède en théorie le pouvoir, suivant l’article 9(4) de la LITAT, de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, le PGQ soutient que ce pouvoir ne va pas jusqu’à lui permettre d’émettre des dérogations, en lieu et place des inspecteurs, puisque ce pouvoir appartient exclusivement à la Commission[77].
  2.       Le faire, selon le PGQ, équivaudrait à court-circuiter le processus prévu par la LSST et constituerait selon lui une erreur révisable.
  3.       Le Tribunal ne fait toutefois pas la même lecture de l’arrêt Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson[78] de la Cour Suprême, que le PGQ cite à l’appui de son argument.
  4.       Rappelons que dans ce litige, la partie demanderesse avait préféré interpeller directement la Cour supérieure, plutôt que de s’adresser au Tribunal administratif du Québec, comme le prévoyait la loi.
  5.       La présente situation se distingue de celle décrite dans cet arrêt, puisque le processus décisionnel prévu par le législateur dans la LSST est en l’occurrence entièrement respecté :

-          la Fraternité a demandé la révision des rapports d’inspection ;

-          elle a ensuite valablement contesté les décisions rendues à la suite d’une révision administrative devant le Tribunal.

  1.       Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal a ainsi toute la latitude pour rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, conformément au pouvoir que lui confère l’article 9(4) de la LITAT, ce qui inclut le pouvoir d’émettre des dérogations, si la situation le requiert.
  2.       En effet, selon la Cour d’appel[79], le Tribunal saisi du dossier possède les mêmes pouvoirs que le décideur initial.
  3.       Réitérons qu’afin de satisfaire les objectifs de qualité, de célérité et d’accessibilité auxquels il est astreint, la décision du Tribunal doit porter sur tous les éléments qui font l’objet de la contestation, dans la mesure où les questions soulevées lors de l’audience, auraient dû être traitées par l’organisme.
  4.       En dépit de la réserve du PGQ, le Tribunal considère qu’il n’est pas approprié de retourner le dossier à la Commission, afin qu’elle précise les dérogations, alors que les parties ont par ailleurs valablement saisi le Tribunal de cette question.
  5.       D’autant plus que l’employeur, tout autant que la Fraternité, tenant compte du contexte afférent au litige, s’y opposent avec vigueur.
  6.       Le Tribunal est d’avis que l’employeur et la Fraternité ont raison de s’objecter à cette demande du PGQ.
  7.       En effet, lorsqu’il statue sur un litige, le Tribunal doit veiller à ce que sa solution ne conduise pas à un va-et-vient stérile entre les divers paliers de décision ainsi qu’à un allongement néfaste des délais.
  8.       Cette mise en garde s’applique d’autant plus lorsqu’il s’agit d’instruire un litige visant à s’assurer que la santé et la sécurité de travailleurs soient protégées, conformément aux obligations de la LSST, une loi d’ordre public.
  9.       Cette position est également conforme aux enseignements de la Cour d’appel dans la décision Société canadienne des postes c. Morency[80] :

S’il fallait restreindre la partie des pouvoirs des bureaux de révision ou [du Tribunal] comme le suggère l’appelante, on restreindrait en même temps les pouvoirs de ces instances à un rôle purement théorique. En effet, le fonctionnaire initial pourrait à volonté éterniser la situation de l’accidenté par des décisions hebdomadaires qui toutes se rendrait devant [le Tribunal] pour revenir à chaque fois devant le fonctionnaire. Cette situation n’est certes pas celle que voulait favoriser la Loi. En effet, si la Législature a voulu ainsi charger les tribunaux administratifs créés par la Loi […] des litiges […] c’était dans un effort d’éviter aux travailleurs la plaie sociale des délais de la cour. C’est donc, à mon avis, dans cet esprit qu’il faut interpréter ces lois. […]

 

À cette fin, l’un ou l’autre de ces tribunaux administratifs avait le pouvoir de s’enquérir par tous les moyens légaux jugés les meilleurs des matières qui lui sont attribuées […]. Ce tribunal avait cette compétence même si le dossier à l’origine ne faisait pas mention de cet aspect […] et si le fonctionnaire initialement chargé de son dossier ne s’était pas prononcé sur l’aspect […].

  1.       Soulignons finalement que la présente situation n’est pas inédite.
  2.       Il existe plusieurs exemples jurisprudentiels dans lesquels le Tribunal a décidé de substituer son opinion à celle de l’inspecteur, afin d’émettre ou de modifier le libellé des dérogations, plutôt que de lui retourner le dossier[81].
  3.       Tenant compte :

-          de tous les motifs qui précèdent,

-          de la décision rendue précédemment sur les moyens préliminaires, non contestée par les parties,

-          des orientations prises et convenues lors des conférences de gestion ainsi que lors des audiences

-          et conformément aux pouvoirs qu’on lui accorde :

o        de procéder de novo,

o       en actualisant le litige, 

o       de manière à remédier aux irrégularités,

o       afin de rendre la décision qui aurait dû être rendue,

le Tribunal se considère comme valablement saisi de tous les aspects afférents aux décisions rendues par la Commission à la suite de révision administrative.

La demande de la Fraternité d’élargir l’objet du litige

  1.       La Fraternité a demandé au Tribunal de tenir compte dans son analyse du risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers, non seulement lors des interceptions sur route, mais également lorsque des vérifications sont effectuées aux postes de contrôle.
  2.       La Fraternité a également invité le Tribunal à se prononcer sur les lacunes afférentes à la sécurisation des armes à feu[82], même si aucune des parties n’a contesté les divers rapports d’intervention de la Commission, rédigés entre 2020 et 2021, relatifs à cette revendication, y compris celui confirmant que les dérogations avaient bel et bien été corrigées par l’employeur.
  3.       Le Tribunal toutefois considère qu’il n’est pas approprié de le faire pour les raisons suivantes.

Les postes de contrôle

  1.       Les parties n’attirent pas l’attention de la Commission sur les situations afférentes aux postes de contrôle lors des interventions contestées.
  2.       Il s’agit par conséquent d’une question inédite. S’en saisir serait susceptible de court-circuiter le processus de révision prévue par la LSST, comme l’illustre cette décision[83] soumise par le PGQ.
  3.       Ajoutons qu’en dépit de certaines similitudes, les conditions de travail et incidemment, les facteurs de risques associés aux tâches dans les postes de contrôle, sont différents de ceux prévalant lors des interceptions sur route.
  4.       Il suffit de nommer, comme l’indiquent de manière prépondérante l’expert Berniqué, dans son rapport du 26 novembre 2019, l’expert Boivin, dans le sien du 9 septembre 2020, ainsi que monsieur Daignault, président de la Fraternité, lors de son témoignage, le fait que les contrôleurs routiers sont davantage en contrôle de leur environnement, lorsqu’ils font des interventions auprès d’individus, sur les aires des postes de contrôle.
  5.       Ainsi, si la preuve administrée par les parties permet au Tribunal de se prononcer sur le risque auquel sont exposés les contrôleurs routiers lors des interceptions sur route, le Tribunal n’en a pas du tout l’assurance en ce qui concerne les vérifications effectuées aux postes de contrôle.
  6.       La Fraternité a d’ailleurs fait cette demande après que l’audition et l’administration de la preuve eurent été déjà bien entamées.
  7.       Agréer à la demande de la Fraternité aurait non seulement pour effet d’élargir jusqu’à la limite, voire de dénaturer l’objet du litige, mais également de retarder la finalisation de l’audience, en raison d’une preuve insuffisante.
  8.       Tenant compte des principes d’efficacité, de célérité et de saine administration de la justice, ainsi que des objectifs de la Loi sur la santé et la sécurité du Travail, une loi d’ordre public, ce résultat n’est pas souhaitable.
  9.       Le Tribunal souligne que de toute façon, plusieurs de ses conclusions sont susceptibles d’améliorer le contrôle du risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers dans son ensemble, y compris lorsqu’ils agissent sur les aires afférentes aux postes de contrôle.
  10.       Le Tribunal précise qu’il tient néanmoins compte, dans son analyse, de l’ensemble de la preuve administrée, même lorsque celle-ci décrit des événements survenus dans les aires de poste de contrôle ou même dans d’autres contextes, puisque cette preuve demeure pertinente à l’adjudication du litige.
  11.       En effet, cette matière fournit un éclairage utile sur certains facteurs de risques indépendants de l’environnement, concernant par exemple les délais d’assistance des corps policiers ou les difficultés afférentes au CRPQ.

Les lacunes concernant la manipulation et la sécurisation des armes à feu

  1.       Même si l’employeur ne s’y objecte pas, le Tribunal est d’avis qu’il ne peut pas non plus se saisir de cette question.
  2.       En effet, bien qu’à première vue, les préoccupations de la Fraternité apparaissent comme légitimes, le Tribunal, tenant compte de l’article 6 de la LITAT, ne peut pas se saisir de décisions de l’inspecteur, de surcroît confirmées dans plusieurs rapports d’intervention entre 2020 et 2021, pour lesquelles l’on n’a cependant pas demandé la révision[84].
  3.       Étant par ailleurs saisi des différents aspects de l’organisation du travail ainsi que du développement des habiletés et des compétences des contrôleurs routiers dans leur ensemble[85], le Tribunal estime que plusieurs des présents motifs sont tout de même susceptibles d’influencer l’éventuelle réflexion sur ces préoccupations.

Le risque auquel sont exposés les contrôleurs routiers lors de leurs interceptions sur route se qualifie-t-il à titre de danger ?

  1.       Traditionnellement, le Tribunal n’évalue l’existence du danger que dans un deuxième temps, lorsqu’il faut se prononcer par exemple, sur le bien-fondé, l’opportunité ou la nécessité de suspendre des travaux ou les activités, conformément à l’article 186 de la LSST.
  2.       Cela s’explique en raison du fait que le pouvoir d’émettre des dérogations selon l’article 182 de la LSST ne nécessite pas la présence d’un danger. Il n’est donc pas toujours nécessaire ou pertinent de trancher cette question.
  3.       Le Tribunal est par ailleurs d’avis qu’il doit en l’occurrence examiner d’emblée cette considération, puisque l’existence d’un danger ainsi que ses caractéristiques influencent l’étendue de l’obligation de moyens de l’employeur.
  4.       En effet, selon la jurisprudence, plus le danger est important, plus le devoir de l’employeur de prendre des mesures afin de le contrer est exigeant[86] :

L’obligation de diligence raisonnable dans l’exploitation d’une entreprise est d’autant plus grande que cette exploitation comporte des risques importants pour la santé et la sécurité des travailleurs au service de cette entreprise.

Les principes découlant jurisprudence pénale appliquant la LSST

  1.       Il faut reconnaître que le Tribunal se réfère aujourd’hui à cette jurisprudence beaucoup moins qu’il ne le faisait auparavant.
  2.       Cela s’explique en grande partie en raison du fardeau de preuve afférent à la considération du danger, qui diffère de celui applicable en matière civile.
  3.       Le Tribunal est d’avis que les caractéristiques du présent dossier commandent toutefois un résultat différent.
  4.       Notons d’abord que la Fraternité s’y réfère spontanément, dans son argumentaire.
  5.       La Fraternité commente, par exemple, les décisions :

-          CSST c. G.T.E. Sylvania Canada ltée

-          et Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Carrier & Bégin inc.[87],

deux décisions provenant de juridiction pénale que l’on cite encore régulièrement dans notre jurisprudence.

  1.       La doctrine étayée par la Fraternité, même celle récente, fait à profusion référence à cette jurisprudence[88].
  2.       Le Tribunal constate que la jurisprudence en matière pénale permet aussi de répondre à plusieurs des arguments de l’employeur, lequel considère avoir mis en œuvre toutes les mesures nécessaires et raisonnables, afin d’assurer la sécurité des contrôleurs routiers, sous réserve du risque inhérent, par exemple, ou encore, des contraintes organisationnelles applicables.
  3.       Or, l’étendue ou les limites de l’obligation de moyens de l’employeur sont des sujets peu abordés en matière civile dans notre jurisprudence[89], alors qu’ils le sont régulièrement en matière pénale.
  4.       Ainsi, même s’il faut faire preuve de prudence lorsqu’on s’en inspire, et faire les nuances appropriées, la comparaison demeure possible entre les deux, une fois la faute établie, puisque :

-          la défense, de prudence et de diligence raisonnable en matière pénale

-          et l’obligation de moyens que lui impose l’article 51 de la LSST,

possèdent des assises communes.

  1.       Le fardeau de preuve applicable afin d’évaluer ces deux concepts est également le même.
  2.       La Cour suprême l’étaye d’ailleurs d’entrée de jeu dans la décision R. c. Sault Ste. Marie[90] :

Dans le présent pourvoi, la Cour doit examiner des infractions diversement appelées infraction « statutaires », « réglementaires », « contre le bien-être public », «de responsabilité absolue » ou de « responsabilité stricte ». Ces infractions ne sont pas criminelles au plein sens du terme, mais sont prohibées dans l’intérêt du public. […], ces infractions sont essentiellement de nature civile et pourraient fort bien être considérée comme une branche du droit administratif à laquelle les principes traditionnels du droit criminel ne s’appliquent que de façon limitée.

 

Alors que la poursuite doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que le défendeur a commis l’acte prohibé, le défendeur doit seulement établir, selon la balance des probabilités, la défense de diligence raisonnable.

 

[…]

 

Les infractions dans lesquelles il n’est pas nécessaire que la poursuite prouve l’existence de la mens rea ; l’accomplissement de l’acte comporte une présomption d’infraction, laissant à l’accusé la possibilité d’écarter sa responsabilité en prouvant qu’il a pris toutes les précautions nécessaires. Ceci comporte l’examen de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances. La défense sera recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistants qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent [erreur de fait raisonnable], ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question.

 

[Nos soulignements]

 

  1.       Constatons également que selon le Dictionnaire de droit québécois et canadien Reid[91] l’obligation de diligence et l’obligation de moyens sont synonymes.
  2.       L’on remarque d’ailleurs dans l’ouvrage Éléments de responsabilité civile médicale que les principes discutés dans la décision R. c. Sault Ste. Marie, afférents au devoir de diligence et de prudence raisonnable ainsi qu’à l’obligation de moyens, sont essentiellement les mêmes en droit civil[92] :

L’obligation de moyens ou de diligence

 

Dans bon nombre de situations cependant, il serait inéquitable d’exiger du débiteur un résultat précis, et encore moins une garantie, en raison de l’existence d’impondérables qui échappent à sa volonté et à son contrôle. L’obligation dont la réalisation est soumise à des aléas, et c’est ce critère qui permet de la distinguer de l’obligation de résultat, se qualifie donc comme une obligation de moyens ou encore obligation de diligence. Ici, le débiteur est seulement tenu de faire tout ce qui est en son pouvoir pour tenter d’obtenir le résultat souhaité : l’absence de celui-ci ne peut lui être reprochée s’il s’est conduit avec prudence, diligence, habileté, a utilisé les méthodes reconnues dans les circonstances, a démontré qu’il avait les connaissances attendues de lui.

 

[Nos soulignements]

  1.       Une autre raison incite le Tribunal à tenir compte de toutes ces nuances.
  2.       En effet, d’autres organismes juridictionnels dans d’autres provinces se sont déjà prononcés sur des situations ainsi que des revendications comparables à celles de la Fraternité, en vertu toutefois du Code canadien du travail[93], comme on le constate dans les décisions :

-          Agence Parcs Canada et Douglas Martin et Alliance de la fonction publique, Tribunal de santé et de sécurité du travail Canada, du 8 mai 2007, en matière civile :

-          Sa Majesté la Reine et Gendarmerie Royale du Canada, du 29 septembre 2017, en matière pénale.

  1.       Connaître les ressemblances ainsi que les différences entre l’application de la LSST en matière pénale et civile, permet de cerner dans toutes ces décisions les considérations transposables dans le présent dossier[94],

Le droit général applicable à la sécurité des travailleurs.

  1.       Le législateur n’entend pas rire avec la sécurité des travailleurs.
  2.       La Charte canadienne des droits et libertés[95] consacre, à son article 7, le droit à la vie ainsi qu’à la sécurité de tout être humain.
  3.       La Charte québécoise des droits et libertés de la personne[96] réitère cette garantie fondamentale dans son préambule, ainsi qu’à son article premier.
  4.       Le Code criminel[97] fait écho à ces principes.
  5.       En effet, l’article 217 du Code criminel interdit à quiconque de mettre la vie humaine en danger, que ce soit par action ou encore par omission.
  6.       L’article 217.1 du Code criminel impose plus spécifiquement à la personne qui dirige l’accomplissement du travail ou qui coordonne l’exécution d’une tâche de prendre les mesures voulues afin d’éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle.
  7.       L’article 2087 reprend ce principe dans le Code : « L’employeur […] doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié ».
  8.       Notons qu’en contexte professionnel, l’on parvient à ce résultat, en se référant aux balises ainsi qu’aux mécanismes décrits dans Loi sur la santé et sécurité du travail, une loi d’ordre public[98].
  9.       Comme l’indique l’article 2 de cette loi d’ordre public, la LSST ne vise qu’une seule chose, soit l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs[99].
  10.       Ainsi que l’affirme le Tribunal dans la décision Hydro-Québec (Gestion acc. Trav) et SCFP 1500[100], ce principe ambitieux traduit l’intention ferme du législateur de ne pas tolérer de situation, de contexte ou de milieu de travail susceptible d’atteindre à la sécurité ou l’intégrité d’un travailleur.
  11.       L’intention est celle, comme l’indique l’article 9 de la LSST, d’octroyer aux travailleurs des conditions de travail sécuritaires.
  12.       L’article 2 de la LSST énonce par ailleurs que cet objectif doit se réaliser de manière paritaire, avec la participation des travailleurs, de leurs associations ainsi que des employeurs[101].
  13.       C’est la raison pour laquelle la LSST prévoit plusieurs droits et obligations, lesquels visent non seulement les intervenants internes de l’organisation, mais également d’autres, comme[102] :

-          les associations sectorielles (articles 98 et suivants de la LSST) ;

-          les associations syndicales ainsi que les d’employeurs (articles 104 et suivants de la LSST) ;

-          le réseau de la santé (par exemple, articles 33, 62.20 (2) ainsi que  117 et suivants de la LSST) ;

-          les inspecteurs ainsi que la Commission en général (articles 177 et suivants de la LSST) ;

-          les maîtres d’œuvre sur les chantiers de construction (articles 196 et suivants de la LSST) ;

-          le fournisseur (articles 63 et suivants de la LSST)

-          et même, dans certains cas, le gestionnaire d’immeuble (article 56 de la LSST).

  1.       Soulignons que le législateur prend le soin d’énoncer explicitement à l’article 6 que la LSST lie le gouvernement, ses ministères ainsi que les organismes mandataires.
  2.       L’on doit en comprendre que l’application de la LSST transcende le contrat de travail prévu à l’article 2085 du Code. Le Tribunal en faisait d’ailleurs aussi le constat dans la décision Cégep Bois de Boulogne et Éco Centre L’Acadie et Ville de Montréal[103].
  3.       Cette loi d’ordre publique met ainsi à contribution tous les acteurs impliqués de près ou de loin dans le milieu de travail : l’ensemble doit participer et collaborer à la réalisation de cet objectif, afin d’assurer la sécurité des travailleurs[104].
  4.       Notons par ailleurs que ces acteurs ne sont pas tous d’égale importance, puisque c’est sur l’employeur que la LSST fait reposer la première responsabilité de veiller à la sécurité et à la santé des travailleurs[105]. Le Tribunal le rappelait, dans la décision Ciment Québec inc. et Ciment Québec inc (repres.trav.)[106] :

En effet, selon la jurisprudence solidement établie sur la question, l’obligation qui incombe à un travailleur de veiller à sa propre santé et sécurité ne fait pas disparaître les obligations de même nature qui incombent à l’employeur5.

 

[Note omise]

  1.       L’employeur a en effet le contrôle sur les activités de son organisation, sur les conditions de travail dans lesquelles elles doivent s’accomplir ainsi que possède un droit de direction sur les travailleurs[107].
  2.       La Cour supérieure indiquait à ce sujet, dans la décision Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec c. Marc Filiatreault Couvreur inc.[108] :

En effet, l’objectif de la Loi sur la santé et la sécurité du travail est de prévenir les accidents de travail en protégeant les travailleurs qui peuvent potentiellement être victimes d'accidents [...]. Et celui qui détient ce pouvoir de protection, c'est l'employeur. C’est ce dernier qui contrôle la gestion et l’encadrement des employés ainsi que l’équipement et les méthodes de travail. Il a alors l’obligation de prendre tous les moyens raisonnables afin de s’assurer que ses employés travaillent en sécurité.

Les mécanismes de la LSST

  1.       La LSST prévoit plusieurs mécanismes afin de s’assurer que l’employeur respecte ses obligations et qu’en définitive, l’objectif de cette loi se réalise.
  2.       L’apport de l’inspecteur est à cet égard primordial[109] :

Ainsi, quoique la loi implique d’abord et avant tout une prise de conscience et une prise en charge en amont par les acteurs du milieu que sont l’employeur et le travailleur, l’inspecteur n’en constitue pas moins un acteur de premier plan, une forme de rempart et un rouage indispensable, permettant d’assurer non seulement l’élimination des dangers à la source, mais aussi, et plus largement, la préservation et la protection de la santé, de la sécurité et de l’intégrité physique [et psychologique] des travailleurs.

 

[Nos soulignements]

  1.       Ses interventions, qui se fondent sur des impératifs de prévention, sont centrées sur la gestion des risques présents dans le milieu de travail, afin de faire en sorte que l’objectif de préservation de la santé, de la sécurité et de l’intégrité physique et psychologique des travailleurs se matérialise[110].
  2.       L’inspecteur bénéficie, afin d’y parvenir, de pouvoirs considérables, qu’il exercera, s’il l’estime opportun, selon que la situation se qualifie ou non à titre de danger.
  3.       L’inspecteur possède d’abord le pouvoir d’émettre un avis de dérogation ou de correction afin d’enjoindre une personne, s’il est opportun de le faire, de se conformer à la présente loi[111].
  4.       La jurisprudence précise que l’inspecteur peut formuler un avis de correction ou une dérogation même en l’absence de danger[112], puisqu’il lui suffit de constater une contravention à la LSST.
  5.       Par ailleurs, lorsque le risque se qualifie à titre de danger, l’inspecteur dispose de pouvoirs supplémentaires, afin de remédier de manière immédiate[113] à la situation périlleuse, comme celui d’ordonner la suspension des travaux ou des activités ainsi que la fermeture en tout ou en partie d’un lieu de travail[114], lesquels ne pourront pas reprendre ou être réouverts avant que l’inspecteur ne l’autorise[115].
  6.       Comme indiqué dans la section précédente, le Tribunal, en raison de son pouvoir de procéder de novo, afin de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, dispose des mêmes pouvoirs que ceux dévolus à l’inspecteur, puisque lui aussi doit agir en tant qu’organisme sentinelle de l’objectif de la LSST.
  7.       Remarquons finalement qu’afin de s’assurer de la réalisation de son objectif, la LSST prévoit un autre mécanisme.
  8.       En effet, comme étayé précédemment, l’employeur engage sa responsabilité pénale lorsqu’il ne respecte pas les décisions, les ordres ou les ordonnances de l’inspecteur.
  9.       Il engage aussi sa responsabilité pénale lorsque par action ou encore par omission, il agit de manière à compromette directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l’intégrité physique ou psychique d’un travailleur[116].

Les notions de risque ou de danger

  1.       Bien que plusieurs dispositions y réfèrent, la LSST ne précise cependant pas ce qui constitue le risque ou le danger, « probablement parce [que ces notions] recoupent une variété de situation et qu’il eut été difficile de proposer un texte qui couvre toutes les éventualités »[117].
  2.       Afin de pallier le silence de la LSST, le Tribunal s’inspire depuis plusieurs années des balises identifiées dans la décision Centre hospitalier de St. Mary et Iracani[118].
  3.       Notons que le Tribunal, dans cette décision, positionne les notions :

-          de simple appréhension ou de crainte,

-          de risque

-          et de danger

sur un continuum, dont l’intensité varie en fonction de leur potentiel de réalisation[119].

  1.       Ces notions ne sont ni mutuellement exclusives ni dichotomiques ; elles ne s’opposent pas. Elles sont plutôt de nature transformative, puisque l’une inclut l’autre.
  2.       L’on place ainsi la simple crainte ou la vague inquiétude au début de ce continuum. La jurisprudence indique que le pouvoir d’émettre des avis de correction ou de dérogation ne peut pas se fonder sur cette seule circonstance[120].
  3.       Cette simple crainte devient un risque, plus loin sur ce continuum, lorsque l’on considère comme possible que l’événement appréhendé se réalise éventuellement, sans par ailleurs présenter d’échéance véritablement concrète ou précise. La réalisation du risque demeure à cette étape un événement incertain.
  4.       Le risque devient par ailleurs danger lorsqu’il s’accompagne d’une probabilité de matérialisation que l’on dit « non-négligeable ».
  5.       Le danger fait ainsi référence à une menace réelle, qui persiste en dépit des efforts pour le contrôler et l’éliminer[121].
  6.       Bien qu’ils soient pertinents pour la suite de l’analyse, notamment lorsqu’il faudra évaluer l’étendue de l’obligation de l’employeur, l’on accorde en général à cette étape, à tout le moins en matière civile, peu de poids aux critères de la probabilité de la matérialisation du risque ainsi qu’à celui de la gravité de ses conséquences potentielles[122].
  7.       En effet, selon la jurisprudence du Tribunal, le risque n’a pas à être imminent (probabilité de réalisation) afin de se qualifier à titre de danger[123] :

[…] Le fait que le danger appréhendé ne se soit pas encore matérialisé n’est pas pertinent. Il serait d’ailleurs pour le moins particulier [de l’] exiger (…) puisque l’objet même de la LSST, tel qu’inscrit en son article 2, est l’élimination à la source même des dangers, soit avant leur survenance.

 

Un danger est ce qui menace ou compromet la santé ou la sécurité d’un travailleur.

  1.       Il n’est alors pas non plus nécessaire qu’il soit grave ou intolérable (gravité des conséquences potentielles)[124].
  2.       Notons que la jurisprudence ne suggère aucune balise mathématique permettant de faire des automatismes, afin de circonscrire la probabilité dite « non négligeable » de matérialisation, puisque chaque situation constitue un cas d’espèce, qu’il faut apprécier au cas par cas.
  3.       L’identification du seuil de qualification à titre de danger se module au contraire en tenant compte des circonstances factuelles afférentes au litige, que le Tribunal doit apprécier[125] :

En effet, une même situation peut donner ouverture au droit de refus dans un milieu de travail spécifique alors qu’elle sera considérée comme sans danger ou normale dans un autre milieu. Il importe donc, de bien tenir compte de l’ensemble des paramètres propres au cas sous étude.

  1.       Il faut d’ailleurs se garder, lorsqu’on apprécie l’existence du danger, de tomber dans le piège statistique[126], puisque les inférences mathématiques se corrèlent très mal avec ce concept juridique, en dépit de leurs ressemblances au niveau de leur sémantique.
  2.       On en explique ici les raisons de manière éloquente[127] :

Examinons d’abord le caractère plus ou moins probable de l’éventuelle réalisation du risque. S’agit-il de mesurer mathématiquement quelles sont les chances de perdre une sorte de loterie de malheur ? Une chance sur mille, sur cent, sur dix, sur deux ? Ce serait là un exercice assez artificiel et possiblement odieux que d’exiger une mesure mathématique de l’importance du risque. Il suffit que la preuve soit faite de l’existence d’un risque sérieux, qui soit plus qu’une simple possibilité, mais sans nécessairement que sa réalisation soit plus probable qu’improbable. Il s’agit d’un risque dont la réalisation pouvait raisonnablement être prévue, était suffisamment prévisible pour constituer un risque réel, non négligeable, dont la réalisation ne dépend pas du simple hasard mais peut normalement résulter des facteurs e présence : un risque tel, en définitive, qu’il entraîne l’obligation de ne pas laisser au hasard le soin d’en éviter la réalisation ; un risque tel qu’une personne raisonnable verrait normalement à s’en prémunir et auquel elle ne devrait pas exposer autrui. 

  1.       C’est la raison pour laquelle l’absence d’accident du travail, sur une période donnée, même longue, ne permet pas, à elle seule, de réfuter l’existence du danger[128] :

L’entreprise soulève qu’aucun accident ou blessure n’est survenu […] depuis 25 ans. L’entreprise ne peut se fier à ce que ses employés agissent avec prudence pour éviter une blessure. Heureusement, l’élément matériel de danger ne s’est pas concrétisé jusqu’à ce jour.

  1.       Remarquons toutefois que l’inverse n’est pas vrai, puisqu’à moins d’une aberration, la matérialisation du risque, même à une seule reprise, permet de constater que le danger existe[129].

La nature concrète du risque auquel sont exposés les contrôleurs routiers

  1.       Il est important de s’y pencher avant de poursuivre l’analyse, puisque les parties ne s’entendent pas sur sa définition.
  2.       La Fraternité considère que l’on devrait examiner le risque d’agression lors des interceptions sur route, dans son ensemble, sans faire de distinction.
  3.       L’employeur est plutôt d’avis qu’il faut seulement traiter du risque « susceptible d’entraîner des lésions corporelles graves, ou encore la mort, nécessitant absolument l’utilisation d’une arme à feu afin d’appliquer la force mortelle ». Il n’explique cependant pas sur quelles assises il s’appuie pour restreindre à ce point les risques auxquels sont exposés les contrôleurs routiers.
  4.       Le PGQ, de son côté, s’en remet à la position de l’employeur.
  5.       Le Tribunal ne retient pas la définition que propose l’employeur puisqu’il est d’avis qu’elle est contraire au droit applicable, à la preuve prépondérante, ainsi qu’aux principes de prévention que préconisent la LSST ainsi que le MNEF.
  6.       En effet, la théorie de l’employeur laisse entendre qu’il ne devrait se préoccuper de l’agression que si elle se matérialise, et encore, seulement si elle présente une gravité telle qu’elle nécessite l’usage de la force mortelle, comme l’arme à feu, afin de la faire cesser.
  7.       L’employeur diligent ne doit cependant pas attendre la lésion corporelle grave ou la mort d’un travailleur avant d’agir.
  8.       Le Tribunal est d’avis que cette formulation s’oppose à l’objectif de la LSST, qui est justement celui d’éviter que les risques se matérialisent, en éliminant les dangers à leur source.
  9.       La description de l’employeur n’est pas non plus représentative de la réalité à laquelle sont confrontés les contrôleurs routiers dans le cadre de leur travail.
  10.       Sa définition exclut par exemple les agressions verbales ou les passages à l’acte sans atteinte concrète à l’intégrité physique.
  11.       Elle ne permet donc pas, par exemple, de tenir compte de l’effet de l’intimidation ou des menaces sur l’intégrité psychologique du contrôleur routier.
  12.       L’employeur est pourtant tenu de s’en préoccuper en raison de l’obligation que lui imposent l’article 2 ainsi que l’introduction et le 16e alinéa de l’article 51 de la LSST, qui est celle d’assurer la sécurité psychique du travailleur, particulièrement s’il est exposé à une situation de violence, y compris celle de nature psychologique[130].
  13.       Le descriptif de l’employeur occulte également un autre pan de la problématique, plus spécifique aux contrôleurs routiers, mais tout aussi important, sur lequel l’employeur doit se pencher.
  14.       En effet, le MNEF, celui que l’on enseigne aux contrôleurs routiers lors de la formation initiale et qu’ils appliquent quotidiennement à titre d’agent de la paix dans leur travail, affirme que le comportement d’un individu peut passer par différentes phases, allant de la coopération à l’agression, plus ou moins rapidement, selon les situations.
  15.       L’on forme ainsi à l’ÉNPQ les contrôleurs routiers à reconnaître les indices annonciateurs de l’agression, tout cela dans le but de la prévenir, ou encore, lorsque la tension monte, afin de désamorcer la situation et éventuellement la résoudre[131].
  16.       Le contrôleur routier doit par conséquent se montrer vigilant à tout moment, même en présence de résistance passive, d’expression d’insultes ou de menaces verbales, puisqu’il s’agit de signes annonciateurs d’agression.
  17.       Le MNEF exhorte à cet égard les agents de la paix à ne pas minimiser ces situations, puisque le faire compromet leur sécurité.
  18.       En effet, selon le MNEF, de telles situations, pourtant considérées par certains lors de l’audience comme « sans impact », sont susceptibles de dégénérer rapidement :

La partie centrale du Modèle, intitulée « SITUATION », comporte les éléments « évaluation-planification-action ». Ces éléments doivent être perçus comme une composante dynamique, puisque l’évaluation d’une situation par un agent est un processus sans fin. Ce processus d’évaluation continue contribue également à expliquer la façon dont un comportement (et l’option d’intervention) peut passer de la coopération à l’agression (ou de la communication à la force mortelle), et ce, en une fraction de seconde, sans nécessairement passer par d’autres comportements ou d’autres options d’emploi de la force.

 

[…]

  1.       Afin de prévenir la matérialisation du risque d’agression, il est par conséquent essentiel de tenir compte de toutes les situations incluses dans ce modèle, qui représente les règles de l’art applicables dans le domaine, puisque les facteurs de risques que l’employeur doit contrôler découlent de ces considérations.
  2.       Or, la définition que l’employeur propose ne permet pas d’en tenir compte.
  3.       Soulignons finalement que les contrôleurs routiers, à l’heure actuelle, ne disposent pas d’arme à feu.
  4.       Il serait donc bien incongru d’évaluer le risque applicable en tenant compte d’un armement qu’ils ne sont pas autorisés à utiliser.
  5.       Ce sont les raisons pour lesquelles le Tribunal poursuit l’analyse en appréciant le risque d’agression dans son ensemble, comme le demande la Fraternité, puisqu’il s’agit de la seule approche qui permet de réaliser l’objectif de la LSST.

L’existence d’un danger pour les contrôleurs routiers

  1.       L’employeur considère que le risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers ne se qualifie pas à titre de danger.
  2.       Selon lui, le risque d’agression ne constitue pas une menace réelle pour les contrôleurs routiers, puisqu’il a pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables dans les circonstances pour assurer leur sécurité et leur intégrité physique et psychologique.
  3.       Il ne persiste pour lui qu’une crainte ou une appréhension liée au risque d’agression résiduel, selon lui inhérent aux tâches dévolues aux contrôleurs routiers, parce que rattaché à des facteurs imprévisibles ou sur lesquels l’employeur n’exerce aucun contrôle, tel le facteur humain, intrinsèque au risque d’agression.
  4.       Le PGQ abonde dans le sens de l’employeur, ajoutant que les statistiques démontrent au surplus que le passage à l’acte ainsi que les lésions sont rares.
  5.       La Fraternité est pour sa part en total désaccord avec leurs positions.
  6.       Elle donne plusieurs exemples de matérialisation du risque d’agression, certains ayant même suscité des lésions corporelles graves ou encore véritablement mis en danger l’intégrité physique ou la vie de contrôleurs routiers.
  7.       La Fraternité se fait le miroir de l’argument de l’employeur, en indiquant toutefois que le danger persiste justement parce que l’employeur ne respecte pas ses obligations.
  8.       Le Tribunal constate que le risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers se qualifie à titre de danger. Le Tribunal considère même qu’il n’existe aucune ambiguïté à cet égard.
  9.       Voici pourquoi.
  10.       Le Tribunal remarque que le PGQ est tombé dans le piège statistique ou le piège sémantique, celui à l’encontre duquel la jurisprudence unanime met pourtant le lecteur en garde.
  11.       En effet, selon la jurisprudence, à moins de n’être le fruit du hasard, le risque devient certain et se qualifie à titre de danger lorsqu’on peut en évaluer la fréquence[132].
  12.       Remarquons qu’en l’occurrence cette matérialisation du risque d’agression pour les contrôleurs routiers n’est pas le fruit du hasard.
  13.       Elle survient même régulièrement lorsque les contrôleurs routiers effectuent leurs interventions sur la route.

Les exemples de matérialisation

  1.       Selon le dernier tableau statistique de l’employeur, les contrôleurs routiers aurait fait usage de la force ou de leurs armes intermédiaires :

-          à deux reprises pour chacun des années se situant entre 2016 et 2020 ;

-          à cinq reprises en 2021 ;

-          à 10 reprises en 2022 ;

-          à 3 reprises en 2023 ;

-          ainsi qu’à au moins 9 reprises, pour la moitié de l’année 2024[133].

  1.       Puisque personne ne l’a informé qu’on avait, à l’une ou l’autre de ces occasions, usé de la force de manière abusive, le Tribunal tient pour acquis, conformément au MNEF, que les contrôleurs routiers concernés faisaient face lors de toutes ces interventions à des individus qu’il leur fallait maîtriser physiquement afin d’éviter une escalade.
  2.       Le Tribunal souligne que ces statistiques ne sont pas représentatives de toutes les situations d’agression, puisque les agressions verbales, l’intimidation et les menaces en sont également exclues.
  3.       Or, l’on note dans le tableau statistique de l’employeur jusqu’à 42 situations de ce genre rapportées entre 2016 à 2024.
  4.       Le Tribunal ne peut faire autrement que de constater que les situations d’agression envers les contrôleurs routiers se matérialisent à chaque année, certaines ayant même causé des lésions professionnelles physiques et psychologiques.
  5.       Voici le descriptif de certaines de ces situations, qu’à aucun moment, l’on ne devra considérer comme exhaustives[134] :

-          28 février 2003 : Se sentant harcelé par Contrôle routier Québec et éprouvant une haine viscérale envers les contrôleurs routiers, un camionneur fonce sur deux d’entre eux avec son véhicule lourd, avec l’intention de les tuer. L’individu est ensuite condamné, notamment pour tentative de meurtre[135].

-          18 octobre 2006 : Des contrôleurs routiers interviennent auprès d’un passager, à la suite d’un accident présumé. L’individu frappe son véhicule avec un bâton de baseball et refuse de s’en défaire même lorsque les contrôleurs routiers le lui demandent. Ce passager tente de s’approcher d’eux, poings fermés et tête baissée, d’un pas décidé, mais est retenu par le conducteur, qui le ramène vers une maison située tout près. Le passager ressort plus tard de la maison, armé cette fois d’une hache et invite les contrôleurs routiers à se battre. La situation prend fin après qu’un policier s’interpose, main sur l’arme à feu[136] ;

-          17 mars 2007 : Après la remise du constat d’infraction, un conducteur en colère quitte le lieu de l’interception avec son véhicule lourd (« loader »). Il manque de peu de frapper l’un des contrôleurs routiers. Ceux-ci interceptent plus loin le conducteur, qui est agressif. Ce dernier crie et poursuit son activité de déneigement, en dépit de la présence physique des contrôleurs routiers dans l’espace à déneiger. La situation prend fin après que les policiers, arrivés sur les lieux, font mine de sortir leur arme à feu de leur étui. L’individu était fiché comme violent au CRPQ (cote V) ;

-          9 janvier 2009 : Alors que le contrôleur routier lui demande son permis de conduire, l’individu, fâché d’avoir été intercepté, le frappe avec force. Même si le contrôleur routier l’asperge de poivre de cayenne, le conducteur fuit avec son véhicule. Le conducteur s’immobilise plus loin et sort de son véhicule en courant vers le contrôleur routier dans une posture de combat, les poings vers l’avant, en l’invectivant. L’altercation ne cesse qu’après que le contrôleur routier le frappe avec le bâton télescopique au bras et l’asperge de nouveau avec le poivre de cayenne ;

-          3 novembre 2010 : le Tribunal invite le lecteur à se référer à l’événement décrit en détail dans la section « contexte » de la décision, lors de l’exercice du droit de refus de 13 contrôleurs routiers ;

-          23 septembre 2016 : le contrôleur routier tente d’intercepter un camion tracteur, qui ne s’immobilise pas. Après un certain temps, le conducteur fait marche arrière et recule sur le véhicule du contrôleur routier, qui doit manœuvrer afin d’éviter la collision. Le contrôleur routier doit sortir le pulvérisateur de poivre de cayenne afin d’inciter le conducteur à obtempérer, pendant que sa conjointe filme la scène avec son cellulaire ;

-          27 mars 2018 : L’individu avait au préalable été intercepté dans l’après-midi en raison d’une surcharge sur sa semi-remorque. L’on interpelle à nouveau les contrôleurs routiers afin qu’ils procèdent à la remise du véhicule, laquelle remise est empêchée parce que le conducteur n’a toujours pas corrigé la problématique de surcharge. Plutôt que de collaborer, le conducteur se sauve avec la semi-remorque. Il est agité lorsqu’il s’immobilise et marche dans les voies rapides de l’autoroute. Il finit par s’enfermer dans la cabine de son véhicule en injuriant de manière véhémente les contrôleurs routiers. L’individu, ensuite placé en état d’arrestation, se débat et les frappe de ses poings et de ses pieds. Le poivre de cayenne ne permet pas de réduire sa combativité. La situation prend fin lorsque les policiers arrivent environ 30 minutes plus tard ;

-          30 juin 2018 : Les contrôleurs routiers interceptent un véhicule dans lequel prennent place trois personnes. Le conducteur refuse de s’identifier et de leur donner son permis de conduire. Il décide de reculer avec son véhicule afin de fuir les lieux et le contrôleur routier doit s’écarter vivement afin d’éviter de se faire percuter. Le véhicule ralentit plus loin pour reprendre de plus belle sa course. Le conducteur s’arrête finalement et sort du véhicule en se dirigeant vers le contrôleur routier d’un pas rapide et décidé. Il ne collabore qu’après que le contrôleur routier sorte son pulvérisateur de poivre de cayenne.

-          16 janvier 2020 : Le contrôleur routier intercepte seul une remorqueuse. Le conducteur l’injure et refuse de lui remettre son permis de conduire. Il profère également des menaces de mort. Le conducteur, qui démontre dans sa posture plusieurs signes annonciateurs de violence, s’enferme dans son véhicule. Il profite d’un moment de distraction du contrôleur routier pour lui asséner un coup de poing. Ce dernier doit l’asperger de cayenne afin de le calmer. L’interception se termine avec l’arrivée des policiers.

-          28 octobre 2020 : Le contrôleur routier demande à un conducteur de s’immobiliser, mais ce dernier refuse de le faire immédiatement. Le contrôleur l’informe ensuite d’une défectuosité majeure sur son véhicule. Le conducteur s’exprime avec hostilité et refuse de prendre la contravention qu’on lui tend. Il injure les contrôleurs routiers présents sur les lieux et manifeste des signes annonciateurs d’agression évidents. Il sort un couteau, pour ensuite le remettre dans sa poche. Le conducteur se dirige alors d’un pas décidé vers le véhicule des contrôleurs routiers en les filmant. Il se place au niveau de l’une des portières et la bloque avec son corps, tout en continuant de les invectiver. Le conducteur, même une fois aspergé de poivre de cayenne, tente d’esquiver les contrôleurs routiers et de fuir vers son véhicule.

-          10 novembre 2021 : Le Tribunal invite le lecteur à se référer à l’événement du tracteur afférent au dossier 1280669, décrit en détail dans la section « contexte » de la présente décision ; le travailleur présente une réclamation afférente afin de reconnaître l’état de stress post-traumatique à titre de lésion professionnelle.

-          1er juin 2022 : Le contrôleur routier assiste un policier qui intervient auprès d’un individu en crise. Ce dernier traverse un boulevard sans se soucier des automobiles qui y circulent. L’individu résiste activement à l’arrestation et frappe le policier ainsi que le contrôleur routier à plusieurs reprises, avec tous les membres de son corps, ainsi qu’une force qualifiée de « surhumaine ». Après ce qui leur semble une « éternité », ils réussissent à maîtriser l’individu, lequel était recherché depuis le matin et considéré comme extrêmement dangereux. Il est d’ailleurs armé d’une hache, dissimulée dans son sac à dos.

-          28 novembre 2022 : Le conducteur circule dans une zone interdite. Il refuse de collaborer et de s’identifier lorsqu’il est intercepté par le contrôleur routier qui patrouille en solo. Il le filme plutôt en le narguant. Le contrôleur routier ouvre le porte et l’invite à sortir du véhicule afin qu’il procède à son arrestation. L’individu résiste activement. Le conducteur profite d’une distraction pour s’évader. Le contrôleur routier utilise son poivre de cayenne mais le vent retourne le produit dans sa direction. L’individu court entre les voies et les voitures ; il invite le contrôleur routier à le tuer. Une remorqueuse se met éventuellement en travers du chemin afin d’entraver le flot de voitures. Le contrôleur routier réussit finalement, avec l’assistance du remorqueur, à maîtriser l’individu, qui se débat de manière hystérique. Il est impossible de menotter l’individu tant la résistance est active. Ce sont les policiers qui terminent l’intervention.

-          16 octobre 2023 : Les contrôleurs routiers suivent un véhicule qui présente des défectuosités. L’individu s’immobilise plus loin et se dissimule, en se couchant sur la banquette. Le conducteur décide ensuite de sortir du véhicule en criant et en injuriant les contrôleurs routiers. Il refuse de s’identifier et fait mine de rentrer chez lui. L’agressivité monte lorsque l’un des contrôleurs routiers l’en empêche. L’individu menace de les frapper. Il résiste également à l’arrestation en tentant d’esquiver les contrôleurs routiers. Même une fois menotté, il leur lance des coups de pied et menace encore une fois de les frapper, cette fois avec sa tête.

-          21 mars 2024 : Un conducteur klaxonne excessivement et dépasse par la gauche des voitures qui font la file. Il refuse de s’immobiliser lorsque le contrôleur routier le lui demande, lui répondant plutôt par un doigt d’honneur. Le fait que le contrôleur routier insiste augmente la frustration du conducteur, qui décide de le narguer en le mimant, tout en filmant sa réaction. Lorsque le contrôleur routier effectue une prise de contact, l’individu le projette au sol. Alors qu’il tente de reprendre le contrôle articulaire, l’individu lui donne un coup sur la rotule, qui se disloque. Le conducteur oppose encore une résistance active au collègue qui l’assiste, même après avoir été aspergé de poivre de cayenne. Le contrôleur routier blessé éprouve de la difficulté à aider ce dernier à finaliser l’arrestation de l’individu.

-          15 avril 2024 : Les contrôleurs routiers interceptent un véhicule qui présente une défectuosité majeure. Le conducteur remet toutefois la légitimité de leur interception en question et refuse de collaborer. Il recule avec son véhicule et heurte l’un des contrôleurs routiers. Il résiste au départ à son arrestation, mais finit finalement par y collaborer ;

-          17 avril 2024 : Un contrôleur routier porte assistance à un collègue. Le conducteur intercepté a un comportement bizarre : il oscille sur son siège et des tics affectent son visage. L’individu tente de retirer les clés du contact mais en est incapable. L’individu se désorganise ensuite : il hurle et se prend la tête à deux mains. Il fonce sur les contrôleurs routiers, en criant de plus en plus fort. L’individu finit par prendre la fuite à pied. Il fonce encore sur les policiers arrivés dans l’intervalle, lesquels emploient la force afin de le maîtriser.

D’autres types de situations tout aussi risquées

  1.       Le Tribunal souligne que ces événements ne représentent que la pointe de l’iceberg.
  2.       En effet, il faut aussi compter un nombre important de situations au cours desquelles, même si l’intégrité psychique et physique ainsi que la vie des contrôleurs routiers n’ont pas été compromises, par exemple en raison de la collaboration du prévenu, plusieurs facteurs de risques présents augmentaient tout de même les probabilités de matérialisation de l’agression ou encore, leur gravité potentielle.
  3.       L’on dénombre par exemple maintes découvertes de drogue, de véhicules ou de marchandises volées, représentant dans certains cas plusieurs milliers, voire plusieurs centaines de milliers ou millions de dollars.  
  4.       Des gestionnaires confirment d’ailleurs à l’inspectrice lors d’une intervention ayant justifié l’émission de dérogations en 2009, que les contrôleurs routiers sont les agents de la paix les plus susceptibles de découvrir du transport illégal de biens, de substances illicites ainsi que des matières dangereuses. L’inspectrice qualifie alors elle aussi, comme le font les policiers qui témoignent à l’audience, ces situations comme à haut risque.
  5.       L’inspecteur note pour sa part, lors de l’intervention sur l’exercice du droit de refus des contrôleurs routiers en 2010, que même si le profil des individus associés à ces méfaits est variable, il s’agit néanmoins, selon les parties, de gens côtoyant de près les milieux criminalisés.
  6.       L’on rapporte également des interventions en présence d’armes à feu, auprès d’individus fichés comme violents au CRPQ ou encore présentant un long, voir trop long délai d’assistance des policiers.
  7.       Soulignons, comme l’ont expliqué plusieurs témoins à l’audience, comme le policier Ricard, président de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec, ainsi que l’expert Berniqué de la Fraternité, lui aussi ancien policier, que ces situations sont toutes considérées par ces derniers, dans le cadre de leur travail, comme critiques.
  8.       Le Tribunal remarque que leur affirmation se corrèle aux critères énoncés dans le MNEF.
  9.       En effet, l’interception inopinée d’un véhicule sur la route par les contrôleurs routiers n’est pas planifiée. Ils ont donc peu ou pas de contrôle sur les variables environnementales.
  10.       Les contrôleurs routiers, lors de leurs interceptions sur la route, ne décident généralement pas du lieu de l’intervention.
  11.       En cas de problématique, particulièrement lorsqu’ils interviennent auprès de véhicule semi-remorque, ils ont une longue distance à parcourir avant de pouvoir se réfugier en sécurité dans leur véhicule[137].
  12.       Ajoutons que sur ce type de véhicule, la cabine dans laquelle se loge le conducteur se situe en hauteur. Il est ainsi difficile pour le contrôleur routier, placé en contrebas, de voir les gestes du conducteur, les éléments auxquels il a accès, ainsi que les passagers qui pourraient l’accompagner, dans la cabine.
  13.       De plus, contrairement aux policiers, les contrôleurs routiers interviennent principalement à l’égard de véhicules arborant une plaque d’immatriculation commerciale, lesquelles permettent d’obtenir de l’information sur le propriétaire de l’entreprise et incidemment du véhicule, mais rarement sur le conducteur.
  14.       Le contrôleur routier ne sait donc pas à qui il a affaire avant de débuter l’interception.
  15.       Le contrôleur routier effectue également son travail en solo durant la journée. L’assistance des collègues ou des policiers, en cas de difficulté, est rarement immédiate. Le contrôleur routier vulnérable doit par conséquent composer seul avec la situation problématique pendant plusieurs minutes.
  16.       Ce sont les raisons pour lesquelles les policiers entendus en témoignage qualifient les attributions habituelles des contrôleurs routiers lors de leurs interventions non planifiées sur la route, auprès de l’industrie du transport, de critique.
  17.       Selon eux, dans ces circonstances, le rapport de force de l’agent de la paix est diminué, voire inférieur à celui de la personne interpellée, en raison du peu de maîtrise qu’il possède sur la situation.
  18.       Ajoutons que selon ces mêmes témoins, l’intervention qui se déroule en présence d’une arme, quelle qu’elle soit, doit également être considérée comme critique. Cela demeure le cas même lorsque l’arme est placée dans un étui et même lorsque l’intervention se déroule lors de la période de la chasse.
  19.       En effet, selon les témoignages de ces policiers d’expérience, non contredits, l’agent de la paix, afin d’assurer sa sécurité conformément aux principes de précaution afférents au MNEF, doit toujours présumer que l’individu a l’intention de s’en servir.
  20.       L’agent de la paix n’est pas censé poursuivre l’intervention, selon ces témoins, avant que toutes les armes ne soient sécurisées. À tout le moins, eux ne le font pas.
  21.       La possession d’armes à feu en période de la chasse par les individus interceptés est d’ailleurs l’un des enjeux de sécurité principaux circonscrits dans la décision Agence Parcs Canada et Douglas Martin[138].
  22.       L’expert Berniqué a finalement affirmé lors de l’audience que la commission d’infraction en « pleine vue » doit elle aussi être considérée comme une situation critique, puisqu’une telle circonstance augmente les probabilités de matérialisation du risque d’agression et de la gravité des lésions subséquentes.
  23.       Soulignons que les contrôleurs routiers sont exposés à de telles situations. Les situations décrites dans les dossiers 726636 et 1280669 en sont de bons exemples. Il faut également y ajouter celle afférente au droit de refus de 2010, sur laquelle la Fraternité fonde sa contestation dans le dossier 695506.
  24.       L’employeur et le PGQ n’ont pas présenté de preuve susceptible de contredire le contenu des témoignages du policier Ricard et de l’ancien policier Berniqué.
  25.       Bien que le PGQ l’affirme en argumentaire, leur témoignage n’est pas biaisé en raison de leur rôle auprès des forces policières ou encore de leur armement distinct de celui des contrôleurs routiers.
  26.       Les circonstances factuelles auxquelles réfèrent les policiers entendus à l’audience sont au contraire identiques à celles que l’on retrouve dans les rapports des contrôleurs routiers déposés à l’audience.
  27.       Leurs critères d’analyse sont également ceux du MNEF, celles qui constituent les règles de l’art applicables dans le domaine et auxquelles l’on renvoie la Commission ainsi que le Tribunal.
  28.       Le Tribunal ne dispose d’aucune assise permettant d’écarter cette preuve prépondérante.
  29.       D’autant plus que leurs constats sont corroborés par la preuve prépondérante consignée au fil de l’historique.
  30.       L’expert Ouimet l’affirmait déjà à l’employeur en 2003 :

[…] il n’est pas rare que les infractions soient associées à des coûts beaucoup plus élevés [que 250$]. Or, il est compréhensible que des camionneurs stoppés sur le bord de la route puissent être inquiets et tendus dans l’éventualité de recevoir une amende pouvant se chiffre dans les mille dollars en plus de recevoir des points de démérite (ce qui peut conduire à la perte du travail pour le camionneur). La tension se créant alors peut être source d’agressivité chez les camionneurs et source de stress chez les contrôleurs.

 

[…]

 

Il saute aux yeux que le travail des contrôleurs routiers se rapproche plus de celui du policier que de l’agent correctionnel. D’une part, le travail se déroule à l’extérieur sur les routes et autoroutes et les risques d’accident semblent importants. Aussi, les contrôleurs doivent appliquer les nombreuses lois et les règlements relatifs au Code de sécurité routière et aux lois sur le transport sur le champ devant des clients réfractaires et souvent agressifs. Leur travail de patrouilleur sur route est assimilable à celui des policiers. De plus, ayant reçu des pouvoirs de constable spécial en vertu du Code criminel, leur tâche s’est complexifiée.

 

[Nos ajouts]

  1.       Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que la preuve factuelle, la preuve d’expert, ainsi que testimoniale démontrent sans ambiguïté que le risque d’agression auquel ces derniers sont exposés lors des interceptions sur route constitue une menace réelle pour leur santé, sécurité et intégrité physique et psychique.
  2.       En raison de leur fréquence, l’on ne peut pas qualifier ces événements d’anecdotiques ou de fortuits.
  3.       Bien plus qu’une probabilité non négligeable de matérialisation, ces événements s’accompagnent d’une fréquence de réalisation certaine, quantifiable.
  4.       Il s’agit d’une situation que l’on doit par conséquent qualifier de danger.
  5.       Notons que ce constat n’est pas novateur puisque plusieurs intervenants, comme :

-          l’expert Dupont, dans son rapport de 2011

-          ainsi que la Commission, dans ses rapports d’intervention

o       du 11 novembre 2010 (afférent au droit de refus) ;

o       du 15 aout 2017

o       et 12 avril 2022, afférent au dossier 1280669

le signalaient d’ailleurs eux aussi à l’employeur par le passé.

  1.       L’inspecteur écrivait notamment, dans celui du 15 aout 2017 :

Les risques d’agression verbaux et/ou physiques varie de faible à élevé en fonction des tâches effectuées par le contrôleur routier. Lorsque le contrôleur routier est en service, les risques sont élevés. Les événements déclarés démontrent objectivement la présence d’un danger pouvant causer des lésions aux travailleurs.

 

L’argument sur l’existence d’une exception

  1.       En dépit de ce qui précède, l’employeur tente de réfuter l’existence du danger en se référant à la notion de risque inhérent ou encore à celle de risque résiduel.
  2.       Lorsque le Tribunal le questionne à cet égard, l’employeur indique que ces deux notions sont pour lui similaires ou synonymes, représentant toutes deux un risque sur lequel il exercerait peu ou pas de contrôle. Il utilise l’une et l’autre indistinctement, lors de son argumentaire.
  3.       Selon ce qu’en comprend le Tribunal, dans de telles circonstances, le travailleur ne devrait plus entretenir de craintes à l’égard de sa sécurité, puisque le risque est alors contrôlé autant que faire se peut.
  4.       L’employeur ne présente pas de doctrine ou de jurisprudence permettant d’étayer les définitions de risque inhérent ou du risque résiduel auxquelles il se réfère.
  5.       Bien qu’on en discute parfois, le Tribunal n’a pas non plus trouvé leurs définitions dans la jurisprudence consultée.
  6.       Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal s’en remet par conséquent à leur sens courant ou technique, comme le proposent les dictionnaires.
  7.       Selon le Grand dictionnaire terminologique[139], le risque inhérent est celui qui existe indépendamment des mesures de contrôle, alors que le risque résiduel fait plutôt référence à celui qui persiste, une fois que de telles mesures sont mises en œuvre.
  8.       Le Tribunal constate qu’il existe une différence sémantique entre ces deux notions, qu’on ne doit pas confondre.
  9.       Remarquons par ailleurs que les fondements juridiques sur lesquels l’employeur appuie sa thèse ne sont pas évidents.
  10.       Le commentaire que fait par écrit l’inspectrice dans la décision Syndicat des agents de la paix en services correctionnels et Ministère de la Sécurité publique n’est pas une assise valable, puisque son propos n’est pas avalisé par le Tribunal[140].
  11.       Le Tribunal note que de toute façon l’argument de l’employeur va à l’encontre de la jurisprudence.
  12.       En effet, la LSST ne permet pas d’écarter de l’analyse du danger les facteurs sur lesquels on exercerait peu de contrôle ou encore les incidences associées au risque inhérent ou encore résiduel [141] :

Toutefois, dans l’affaire CSST et Carrier & Bégin inc., la Cour du Québec indique que le danger peut découler d’une multitude de facteurs relatifs à l’équipement, à ses conditions d’utilisation et aux erreurs ou aux distractions des utilisateurs. Le facteur humain n’est donc pas évacué de cette analyse. Bien au contraire, il doit être évalué […].

 

  1.       Après qu’une explosion a blessé et tué des pompiers, le Tribunal du travail, indiquait de son côté, en matière pénale[142] :

Certes, comme je le reconnaissais dans l’affaire CSST c. Ville de Montréal2, la nature même de la fonction de pompier comporte des risques inhérents dont le degré est sans doute plus important que celui qu’on retrouve dans d’autres emplois. Cependant, cela ne justifie pas que celui qui exerce ce métier, que ce soit à temps partiel ou à temps complet, soit soumis à un danger qui excède le degré normal et inhérent à cette fonction.

 

[Note omise]

  1.       Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal ne retient pas l’argument de l’employeur, selon lequel le caractère inhérent du risque d’agression au travail des agents de la paix ou des contrôleurs routiers empêche de qualifier cette situation à titre de danger.
  2.       Le Tribunal indiquait au contraire et avec raison dans la décision Fraternité des policiers et policières de Montréal et Ville de Montréal que ces circonstances sont justement celles que vise la LSST[143] :  

[L’inspecteur] a également apprécié que les risques d’agressions dans les stationnements sont inhérents au travail des policiers et policières en uniformes et, pour cette raison, il ne les adresse pas. Le Tribunal ne saisit pas le sens des propos tenus par l’inspecteur. En effet, l’objet même de la LSST est l’élimination à la source des propres au milieu de travail. […]

 

Ce sont justement les dangers qui sont inhérents à la tâche que la LSST vise à éliminer.

 

L’employeur satisfait-il aux obligations que lui confère la LSST ?

  1.       L’employeur, à l’audience, énumère l’étendue des mesures mises en œuvre au cours des dernières années afin d’assurer la santé et la sécurité des contrôleurs routiers.
  2.       Jusqu’à son argumentaire, l’employeur considérait avoir pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables afin d’assurer la santé et sécurité des travailleurs, c’est-à-dire à tout le moins celles se situant à l’intérieur de son champ direct d’intervention.
  3.       La preuve administrée à l’audience, y compris celle de son expert, se corrèle d’ailleurs à cette première orientation.
  4.       L’employeur lors de l’argumentaire nuance toutefois sa position, soutenant avoir pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables afin de contrôler le risque d’agression, sous réserve toutefois du risque inhérent ou résiduel, lequel se situe selon lui à l’extérieur de sa zone de contrôle.
  5.       Le PGQ abonde dans le même sens que l’employeur.
  6.       La Fraternité est pour sa part en profond désaccord avec cette position. Selon elle, l’employeur endosse une approche passive, plutôt que proactive.
  7.       Elle considère qu’il manque à plusieurs des obligations que prévoit spécifiquement l’article 51 de la LSST, puisqu’il :

-          n’utilise pas les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer de manière appropriée le risque d’agression ;

-          ne s’assure pas que l’organisation du travail, les méthodes ainsi que les techniques utilisées pour l’accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé et la sécurité des travailleurs ;

-          n’informe pas adéquatement les contrôleurs routiers du risque d’agression relié à leur travail, en leur donnant la formation, l’entraînement et la supervision appropriés, leur permettant de démontrer l’habileté et les connaissances requises pour accomplir de manière sécuritaire le travail qui leur est confié ;

-          ne fournit pas aux contrôleurs routiers tous les moyens et équipements de protection individuelle ;

-          ne prend pas les mesures afin d’assurer la protection des contrôleurs routiers exposés aux situation de violence physique ou psychologique sur les lieux de leur travail.

  1.       Le Tribunal, pour les raisons qui vont suivre, est dans l’ensemble lui aussi de l’avis de la Fraternité.

La nature et étendue des obligations de l’employeur

  1.       Comme l’indique l’introduction de l’article 51 de la LSST, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et psychologique des travailleurs.
  2.       L’article 51 de la LSST décline les principaux fondements de cette démarche et vise plusieurs aspects du travail comme :

-          l’organisation ainsi que les méthodes et techniques de travail (51(3) LSST) ;

-          l’identification, le contrôle et l’élimination des risques (51(5) LSST) ;

-          l’information communiquée aux travailleurs sur les risques et le développement des connaissances et habiletés afférentes (51(9) LSST) ;

-          la fourniture des moyens et équipements de protections individuels (51(11) LSST).

  1.       Précisons que les obligations que prévoit l’article 51 de la LSST ne sont pas exhaustives, puisqu’il « […] va de soi que les situations sont trop variées et variables pour que le rédacteur puisse les dénombrer à l’avance […] »[144].
  2.       La jurisprudence précise que des dérogations peuvent par ailleurs être émises dès que les conditions d’exécution de la tâche sont insuffisantes, inadéquates ou inappropriées au regard de la prévention des lésions professionnelles[145].  
  3.       Le rôle du Tribunal consiste à vérifier que les mesures, méthodes et moyens mis en place par l’employeur pour assurer la santé et la sécurité des travailleurs correspondent à ses obligations et respectent les droits prévus à la LSST[146].
  4.       L’on dit que l’obligation de l’employeur en est un de moyens, plutôt que de résultat[147], puisque la LSST ne tient pas l’employeur à l’impossible[148].
  5.       Selon l’ouvrage Éléments de responsabilité civile médicale[149], l’obligation de moyens, également appelée obligation de diligence, signifie que l’absence du résultat souhaité ne peut être reprochée au débiteur de l’obligation, en l’occurrence l’employeur,

-          s’il s’est par ailleurs conduit :

o       avec prudence,

o       diligence,

o       habileté,

-          s’il a utilisé les méthodes reconnues dans les circonstances

-          et démontré qu’il avait les connaissances attendues de lui.

  1.       La Cour provinciale du Nouveau Brunswick, qui s’est prononcée dans la décision Sa Majesté La reine et Gendarmerie royale du Canada[150], la décision Gendarmerie Royale du Canada, sur des questions de sécurité comparables aux nôtres, résumait de cette manière les critères devant guider cette évaluation :

[…] c’est maintenant la GRC qui a la charge de démontrer par prépondérance des probabilités que, en l’espèce, elle a pris toutes les mesures nécessaires raisonnables pour veiller à la sécurité de ses membres de première ligne lorsqu’ils interviennent […]. Plusieurs facteurs entrent en jeu pour trancher cette question, y compris l’activité particulière dont il s’agit, et notamment les risques inhérents, la probabilité du dommage, les normes de l’industrie, la législation pertinente, la promptitude des mesures prises face au problème et les efforts d’atténuation entrepris.

  1.       Le fait que le danger se soit matérialisé ne signifie donc pas que ce dernier ait nécessairement manqué à ses obligations.
  2.       L’on s’attend néanmoins de sa part qu’il fasse tout ce qui est logique et raisonnable de faire afin d’atteindre ce résultat[151].
  3.       Cette obligation nécessite davantage que des efforts de sa part ou la simple mise en œuvre de mesures[152].
  4.       En effet, les solutions qu’il propose ne doivent pas seulement présenter qu’une valeur théorique. 
  5.       L’employeur doit plutôt s’assurer de leurs effets concrets sur la sécurité des travailleurs, par exemple en mesurant concrètement leur efficacité sur le terrain et en s’assurant qu’on les applique[153] :

[Le Tribunal] concède que l’employeur a le choix des moyens qu’il désire déployer pour corriger les contraventions à l’article 51 LSST et les problèmes de santé et de sécurité soulevés par l’inspectrice.

 

Toutefois, il doit s’assurer que les mesures mises en place corrigent effectivement les problèmes identifiés. […]

  1.       L’on peut ainsi dire que l’obligation de l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité des travailleurs, dans le but d’éliminer à la source les dangers, est de nature continue[154].
  2.       La Cour suprême dans l’arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Bell Canada[155], indique d’ailleurs que la prévention, contrairement à l’indemnisation, est un concept essentiellement dynamique, qui ne connaît aucune limite naturelle.
  3.       Les mesures que doit mettre en place l’employeur doivent ainsi se moduler et évoluer au fil du temps, selon les circonstances et les contraintes applicables[156].
  4.       C’est la raison pour laquelle les efforts ponctuels effectués dans le passé ne sont pas suffisants pour établir aujourd’hui qu’ils le sont encore[157].
  5.       Les limites de la responsabilité de l’employeur sont par ailleurs dépendantes de la nature de ses activités, des conditions de travail dans lesquelles on les accomplit ainsi que de la nature des risques auxquels les travailleurs sont exposés[158].
  6.       L’employeur ne réussit conséquemment à satisfaire à l’ensemble de ses obligations qu’en adoptant une attitude préventive, laquelle doit se concrétiser de manière proactive[159].
  7.       Réagir lorsqu’on lui dénonce des situations ne suffit pas[160].
  8.       L’employeur ne doit pas non plus attendre qu’une lésion professionnelle se produise avant d’agir, puisque la LSST vise justement à prévenir la matérialisation du danger[161].
  9.       La Cour d’appel résume avec justesse le rôle de l’employeur, dans la décision Domtar inc. c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles[162], de la manière suivante :

La responsabilité de l’employeur n’est pas simplement une responsabilité de ne rien faire pour ne pas mettre en danger la sécurité des travailleurs, mais bien aussi de faire des choses, de rechercher, le plus possible, à mettre de côté les dangers. La loi établit plusieurs mécanismes pour s’assurer que l’employeur agira ainsi. […] On veut donc que, positivement, les employeurs cherchent à identifier les dangers potentiels et à les éliminer et non seulement se contenter, une fois le danger constaté, de l’éliminer.

  1.       Ajoutons que selon la jurisprudence, l’étendue de l’obligation de moyens de l’employeur se module en fonction de la probabilité de matérialisation et des conséquences potentielles afférentes.
  2.       En effet, plus le risque ou le danger est grand, plus le devoir de l’employeur de prendre des mesures afin de le contrer sera exigeant[163] :

L’obligation de diligence raisonnable dans l’exploitation d’une entreprise est d’autant plus grande que cette exploitation comporte des risques importants pour la santé et la sécurité des travailleurs au service de cette entreprise.

  1.       Ainsi, même s’il ne faut en aucun cas minimiser l’importance de l’action préventive, afférente au risque, l’on exige tout de même davantage de la part de l’employeur, lorsque la situation requiert une action curative immédiate.
  2.       Cette intensité doit se constater dans l’attitude de l’employeur ainsi que dans ses actions, tant au niveau de sa promptitude à régler la problématique que dans la qualité de ses efforts visant à en atténuer les effets[164].
  3.       La Cour provinciale du Nouveau-Brunswick, dans la décision Gendarmerie Royale du Canada, faisait à cet égard le constat suivant:

S’il existe un risque de blessure et de mort au travail, le fait que, heureusement, il ne se produit pas souvent ne constitue pas une mesure d’atténuation du risque. La diligence raisonnable ne peut être réduite à un calcul mathématique ou statistique qui permet à l’employeur de courir le risque en pensant que, parce qu’un événement n’est pas fréquent, il est approprié de ne rien faire, de prendre des mesures limitées ou d’agir de façon tardive. Lorsque le risque couru par l’employé est grand, la diligence raisonnable exige des mesures énergiques et rapides.

 

[Nos soulignements]

Les limites alléguées à l’obligation de moyens

  1.       Ces assises permettent de rejeter plusieurs arguments présentés par l’employeur, qui souhaite que le Tribunal évalue le caractère suffisant et raisonnable des mesures mises en œuvre, en tenant compte des limites afférentes de son obligation de moyens, comme le risque inhérent ou les contraintes organisationnelles applicables.
  2.       Par ailleurs, bien qu’un risque puisse découler directement de la nature des tâches confiées aux travailleurs, et constituer par conséquent un risque inhérent, cette circonstance ne dispense pas l’employeur de son obligation de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité des travailleurs, conformément à l’article 51 de la LSST.
  3.       Le Tribunal du travail, le confirmait d’abord en matière pénale, dans la décision Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Inspection sous-marine J.P.B. Ltée  [165] :

[…], j’en déduis qu’il s’agit d’appliquer les meilleures mesures de sécurité possibles et disponibles pour que dans l’exécution d’un travail dangereux par lui-même, demeurent assurés la sécurité et l’intégrité physique du travailleur […].

 

Tout cela est facile à écrire. Qu’en est-il dans une réalité concrète où il faut bien, au départ, admettre qu’il s’agit d’un travail essentiellement dangereux ? L’article 13 de la même loi nous rappelle au concret en mentionnant qu’on doit (…) s’en référer à la normalité des conditions de travail pour le genre de travail à exercer, c’est à-dire ce qui constitue la prudence raisonnablement admise ou connue comme normale dans les circonstances données.

  1.       Le Tribunal le constatait aussi dans la décision Morin et Sûreté du Québec[166] :

La difficulté présentée par la présente affaire réside dans le fait que le métier de policier comporte des dangers de blessures graves par agression armée inhérents à la fonction. Ceci ne signifie pas pour autant que les policiers doivent être exposés à ce danger sans que toutes les mesures possibles et raisonnables soient prises pour l’éliminer ou, dans l’impossibilité de l’éliminer, de le réduire au maximum.

  1.       L’employeur ne peut pas non plus se libérer de l’obligation que lui impose la LSST de veiller à la sécurité des travailleurs parce qu’il possède, comme il l’a allégué à quelques reprises à l’audience, en témoignage ainsi qu’en argumentaire, peu d’emprise sur l’accomplissement du travail sur le terrain par les travailleurs.
  2.       Le Tribunal, dans la décision Paramédics, précitée, le rappelait ainsi :

Dans ce contexte, qu’il soit difficile pour l’employeur d’exercer son contrôle sur les travailleurs pendant une période d’inactivité, alors qu’ils sont en disponibilité, n’a pas pour effet de le soustraire à l’obligation qui lui est imposée, au premier chef, d’assurer la sécurité dans l’organisation du travail, sur les lieux du travail ou à l’occasion du travail.

 

L’obligation partagée imposée aux travailleurs par le biais de l’article 49 de la LSST n’a pas non plus pour effet de leur transférer la gestion des risques liés à la fatigue au volant.

 

Dans l’affaire Domtar76, la Cour d’appel rappelle d’ailleurs que la LSST fait reposer sur l’employeur la responsabilité de voir à la sécurité et la santé des travailleurs et qu’il doit prendre à cet égard toutes les mesures nécessaires humainement logiques et raisonnables pour atteindre cet objectif.

 

Conséquemment, en choisissant d’imposer aux travailleurs un mode organisationnel et un horaire de travail, l’employeur ne peut faire fi des incidences et des impacts que son choix génère sur ces derniers, notamment quant à la durée de leur éveil en raison de leurs activités de la vie quotidienne.

 

[Note omise]

  1.       Le Tribunal ne retient pas non plus l’autre argument que soutenait jusqu’à tout récemment l’employeur quant aux pouvoirs limités qu’il possède sur les solutions, alors que plusieurs de celles envisagées nécessitent l’aval d’autres ministères ou entités gouvernementales, qui n’y sont actuellement pas favorables[167]. 
  2.       La Cour du Québec indiquait, à ce sujet[168] :

Cependant, la défenderesse ne peut faire porter par un tiers la responsabilité qui découle de ses propres obligations en tant qu’employeur. Les activités […] avaient lieu dans la cour de la défenderesse. Ses employés effectuaient les manœuvres, à l’aide de son équipement, selon un plan préparé par un membre de son personnel.

  1.       La Cour suprême dans l’arrêt R. c. Sault Ste. Marie rappelle cependant que l’employeur peut user de son influence sur les tiers. Le Tribunal considère que ce principe demeure applicable même s’il s’agit d’autres entités gouvernementales et même si la situation implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.
  2.       Rappelons que selon l’article 6 de la LSST, la Loi lie le gouvernement, les ministères ainsi que les organismes mandataires de l’État.
  3.       L’article 4 indique également qu’une disposition d’une convention ou d’un décret dérogeant à la LSST est nulle de nullité absolue.
  4.       Le pouvoir discrétionnaire doit également s’exercer en respectant les balises prévues par la législation, y compris celles de la LSST.
  5.       La Cour suprême, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[169], rappelle :

Même si en général, il sera accordé un grand respect aux décisions discrétionnaires, il faut que le pouvoir discrétionnaire soit exercé conformément aux limites imposées dans la loi, aux principes de la primauté du droit, aux principes de droit administratifs, aux valeurs fondamentales de la société canadienne et aux principes de la Charte.

  1.       L’employeur dispose par conséquent des assises législatives nécessaires pour inciter les autorités compétentes à collaborer à la démarche et les convaincre de la mettre en œuvre avec lui.
  2.       Et si jamais il s’avère que la mesure proposée, pour diverses raisons, n’est pas appropriée eu égards aux circonstances, l’employeur doit alors en envisager d’autres, puisque le statu quo n’est pas permis, particulièrement lorsque le danger, comme en l’occurrence, est[170] :

-          imminent, tenant compte de sa fréquente matérialisation lors des interventions sur route ;

-          grave, tenant compte des conséquences potentielles que l’agression est susceptible d’avoir sur l’intégrité physique et psychologique des travailleurs, n’excluant pas leur mort.

  1.       La Cour suprême énonce très clairement dans la décision R. c. Sault Ste. Marie, que le débiteur de l’obligation de moyens ou de diligence demeure responsable, même dans ces circonstances, puisqu’il peut encore revoir les méthodes de travail et les améliorer.
  2.       Les propos du Tribunal dans la décision Paramédics sont à cet égard très explicites :

D’ailleurs, il serait contraire aux objectifs poursuivis par le législateur de déresponsabiliser l’employeur face à des choix qu’il impose aux travailleurs dans l’organisation du travail. Son droit de gestion comporte des limites balisées par différentes lois, dont la LSST, qui prévoit l’élimination à la source des dangers pour la santé et la sécurité des travailleurs.

  1.       Rappelons que lorsque le risque n’est pas contrôlé ou encore lorsque l’employeur n’est pas en mesure de corriger les manques qu’il constate, il engage sa responsabilité civile, pénale et criminelle s’il continue d’exposer les travailleurs au danger.
  2.       Ainsi, à moins de remplir les conditions d’exceptions que prévoit l’article 13 de la LSST sur le droit de refus des travailleurs, l’employeur diligent et prudent ne devrait plus leur demander d’accomplir les tâches qu’il sait dangereuses pour leur sécurité[171].
  3.       Le pouvoir de l’article 186 de la LSST que l’on confie à la Commission et incidemment, au Tribunal, de suspendre l’accomplissement du travail, n’est en réalité que le reflet du droit de gestion dont l’employeur dispose en pareilles circonstances.
  4.       Et si un compromis doit s’opérer, tenant compte de tout le droit applicable, ce ne peut pas se faire sur le dos des travailleurs ou à leur détriment, puisque d’autres solutions peuvent et doivent être envisagées par l’employeur, qui n’auront pas cet effet.
  5.       Ce sont d’ailleurs les raisons pour lesquelles le Tribunal est d’avis qu’il n’était pas approprié que les inspectrices, dans les dossiers 695506 et 726636, mettent fin à leur intervention en avalisant les arguments que lui présentait l’employeur, comme ceux sur le risque inhérent et les complexités de mise en œuvre des solutions, nécessitant d’impliquer des tiers, comme la Sûreté du Québec et le ministère de la Sécurité publique[172].
  6.       En effet, la LSST ne prévoit pas d’exception en raison, par exemple, de l’existence de contrainte budgétaire ou encore reliées à l’organisation interne[173].
  7.       Bien que les inspecteurs de la Commission possèdent le pouvoir discrétionnaire de choisir d’intervenir ou de ne pas le faire, ils doivent s’assurer que l’exercice de leur pouvoir respecte l’objectif ainsi que les balises de la LSST, afin d’éliminer, dans la nature du possible, le danger à sa source, ce que le Tribunal, en l’occurrence, ne constate pas[174].
  8.       Le Tribunal rappelait d’ailleurs à la Commission, dans la décision T.U.A.C (local 1991-P) et Transformation B.F.L.[175], l’importance du rôle de l’inspecteur en pareilles circonstances :

L’inspecteur devrait y jouer un rôle de catalyseur, […].

 

Le Tribunal s’explique mal que, depuis ses décisions, l’inspecteur n’ait pas donné suite aux différentes dénonciations des travailleurs de l’établissement qui lui demandaient d’intervenir parce que la situation n’était pas corrigée.

 

Certes, le tribunal conçoit qu’il peut être difficile pour un inspecteur de rallier les parties […]. Le législateur lui consacre toutefois un rôle important et, le cas échéant, il ne doit pas hésiter à utiliser ses pouvoirs larges et contraignants pour l’atteinte des objectifs prévus à la loi.

  1.       La Commission, pas plus que l’employeur, ne peut baisser les bras ou demeurer passive lorsqu’il s’agit d’éliminer les dangers à leur source. Elle doit jouer son rôle, comme le lui enjoint la LSST, même lorsque les situations sont complexes[176].
  2.       Le Tribunal remarque que la Commission a d’ailleurs subséquemment modifié son approche.
  3.       En effet, dans l’un des rapports d’intervention non contestés afférents à la sécurisation des armes à feu[177] et présentant des similitudes factuelles avec le dossier 726636, l’inspecteur précise à l’employeur qu’il devra réviser son organisation du travail et les méthodes pour l’accomplir, si jamais les circonstances ne lui permettent pas d’ajuster l’actuelle procédure afin de la rendre conforme au MNEF ainsi qu’aux enseignements de l’ENPQ :

[…] De plus, la procédure demande de sécuriser l’arme le plus tôt possible. Si les travailleurs ne sont pas en mesure de le faire par eux-mêmes, des moyens de le faire doivent être prévus.

L’identification, le contrôle et l’élimination des risques (51 (5) LSST)

  1.       L’article 51 (5) de la LSST enjoint l’employeur d’utiliser des méthodes et des techniques visant en l’occurrence à identifier le risque d’agression, de manière à ensuite le contrôler, voire l’éliminer.
  2.       Soulignons que les résultats découlant de cette analyse permettent à l’employeur de décliner ce risque en facteurs de risque ou de protection, lesquels seront susceptibles de guider son action vers des cibles efficaces.
  3.       La notion de facteur de risque se définit comme l’élément caractéristique d’un phénomène qui suscite son apparition ou l’aggrave[178].
  4.       Le facteur de protection présente l’effet inverse, c’est-à-dire qu’il permet de prévenir la survenance d’un phénomène ou encore d’en réduire les incidences négatives.
  5.       Ces facteurs sont donc susceptibles, en matière de santé et de sécurité du travail, de réduire ou d’augmenter les probabilités d’occurrence de l’agression ou encore ses conséquences potentielles.
  6.       Afin de respecter son obligation, l’employeur doit par conséquent les identifier et orienter ses actions afin d’agir sur eux, en vue de contrôler le risque.
  7.       Le Tribunal du travail faisait dans cette décision[179], plusieurs précisions intéressantes, sur les notions d’identification, de contrôle et d’identification du risque :

Le Dictionnaire canadien des relations du travail du regretté Gérard Dion, Les presses de l’université Laval 1986, définit le contrôle : « vérification consistant à mesurer les déviations possibles par rapport à des objectifs déterminés ou à des normes préétablies en vue d’apporter les correctifs qui peuvent s’imposer ». […].

 

Que signifie « identifier, contrôler et éliminer un risque » ? Identifier un risque, c’est reconnaître un état de choses comme dangereux. On peut évidemment identifier un risque sans le contrôler ou l’éliminer. Contrôler un risque, c’est l’avoir sous son contrôle, le maîtriser de sorte que le danger se trouve éliminé bien que la source du danger existe toujours : ainsi par soutènement on peut empêcher une roche de tomber bien qu’elle soit toujours là, mais il n’y pas plus de risque : contrôler est une façon d’éliminer. Éliminer un risque signifie le faire disparaître.

 

Identifier et éliminer sont deux actions différentes ; mais si la première peut être faite sans la deuxième, celle-ci ne peut être faite sans la première : on ne peut contrôler ou éliminer un risque sans d’abord l’avoir identifié […].

 

Au surplus ces actions sont cumulatives et non alternatives : il faut identifier et éliminer (ou contrôler). Ne pas identifier est une façon de commettre l’infraction, mais identifier n’est pas une façon de ne pas la commettre si l’on n’a pas aussi éliminé ou contrôle le risque identifié. […] ; il s’agit d’une méthode et non d’actes isolés.

  1.       L’employeur soutient avoir rempli cette obligation de plusieurs manières.
  2.       L’employeur rappelle avoir eu recours au fil des années à plusieurs experts, comme :

-          le professeur titulaire en criminologie Ouimet, en 2003,

-          le chercheur Dupont en 2011,

-          ainsi que l’expert Boivin, , en 2020, lui aussi professeur en criminologie,

afin d’identifier le risque d’agression applicable aux interceptions sur route. Chacun d’entre eux ont ensuite formulé des recommandations quant aux mesures à mettre en œuvre afin de mieux le contrôler.

  1.       L’employeur ajoute avoir plus récemment collaboré entre 2020 et 2021 à un grand chantier avec la Fraternité, justement afin d’identifier – notamment - les risques afférents au contrôle sur route ainsi que ceux afférents à l’intervention en présence d’armes à feu. Il souligne avoir été accompagné au cours de cet exercice par l’Association paritaire pour la santé et la sécurité – secteur Administration provinciale, l’APSSAP. Il précise que les parties sont parvenues à dégager plusieurs pistes de solutions.
  2.       L’employeur indique s’être ensuite efforcé de mettre en œuvre l’ensemble des recommandations faites dans le dossier. Il mentionne par exemple avoir modifié vers 2016 l’infrastructure de Contrôle routier Québec afin de la doter d’une direction dédiée à la santé et sécurité du travail. La procédure de déclaration et de traitement des événements afférents à la santé et sécurité du travail a également été plusieurs fois révisée et améliorée.
  3.       Le PGQ partage l’avis de l’employeur. 
  4.       Ce n’est toutefois pas le cas de la Fraternité.
  5.       Sans nier les efforts effectués par l’employeur, la Fraternité maintient que ce dernier ne satisfait toujours pas à son obligation d’identification du risque.
  6.       Selon elle, l’employeur, même s’il les collige, classe les rapports d’événements relatifs à la santé et sécurité, sans véritablement les analyser. Il demeure par conséquent encore inconscient de la nature du péril auquel les contrôleurs sont exposés dans le cadre de leur travail, en raison du risque d’agression.
  7.       Le Tribunal fait le même constat.
  8.       Si les actions de l’employeur démontrent qu’il se soucie de la santé et de la sécurité des contrôleurs routiers et qu’il fournit des efforts en ce sens, l’employeur ne prouve pas de manière prépondérante satisfaire à l’obligation que prévoit l’article 51(5) de la LSST.
  9.       Voici pourquoi.

La valeur des études passées

      Les études d’experts

  1.       Les études ponctuelles d’experts réalisées par le passé, il y a de cela plus de 20 ans, en 2003, ou encore près de 15 ans, en 2011, ne permettent pas d’établir de manière prépondérante que l’employeur respecte aujourd’hui son obligation d’identification, de contrôle et d’élimination du risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers[180].
  2.       Et bien qu’il soit plus contemporain, l’avis de l’expert Boivin de 2020 n’avait pas pour objectif d’identifier le risque d’agression lors des interceptions sur route. L’expert Boivin ne dispose d’ailleurs pas de cette expertise.
  3.       Il s’agissait plutôt, comme l’expert l’indique lui-même dans l’introduction de son rapport, de situer Contrôle routier Québec quant à la nécessité de fournir un armement supplémentaire aux contrôleurs routiers.

      Les rapports d’analyse de l’APSSAP

  1.       Même si la démarche effectuée avec l’APSSAP de manière paritaire avec la Fraternité est un premier pas dans la bonne direction, elle est loin d’être suffisante.
  2.       Pour les motifs qui vont suivre, le Tribunal est en effet d’avis qu’elle ne permet pas de démontrer de manière prépondérante que l’employeur respecte l’obligation que lui impose l’article 51(5) de la LSST.
  • Les mandats confiés à l’APSSAP
  1.       L’employeur a déposé au dossier du Tribunal trois rapports rédigés par l’APSSAP, soit :

-          l’analyse de risque en matière de santé et de sécurité du travail (SST) reliés à la tâche : intervention en présence d’armes à feu, du 2 février 2021 ;

-          l’analyse de risques en matière de santé et de sécurité du travail (SST) reliés à la tâche  : enquête en entreprise, du 15 février 2021 ;

-          l’analyse de risques en matière de santé et de sécurité du travail (SST) reliés à la tâche : Contrôle sur la route, du 16 mars 2021.

  1.       Notons que l’objectif du rapport d’analyse portant sur le contrôle sur route n’est pas celui d’identifier spécifiquement le risque d’agression auquel les contrôleurs routiers sont à cette occasion exposés, afin de le décliner en facteurs.
  2.       Cet exercice vise plutôt l’évaluation des méthodes de travail des contrôleurs routiers lors :

-          de la pesée d’un véhicule ;

-          de l’ouverture et l’inspection de contenants et de conteneurs;

-          de l’inspection de véhicules pouvant présenter un risque biologique.

  1.       Le Tribunal convient que l’on retrouve dans le contenu de ce rapport, particulièrement dans la section « ouverture et inspection de chargements », des conclusions afférentes au risque d’agression, pertinentes au litige ; il ne s’agit toutefois que d’un résultat incident.
  2.       L’analyse sur l’intervention en présence d’arme à feu présente la caractéristique inverse : elle est tellement ciblée, qu’il est difficile d’en tirer des généralisations sur le risque d’agression lors des interceptions sur route, celui pertinent pour l’adjudication du litige.
  3.       L’analyse du risque lors des enquêtes en entreprise est de manière surprenante celle, de l’avis du Tribunal, qui identifie le mieux le risque d’agression.
  4.       Elle présente en effet plusieurs facteurs de risques et de protection pertinents, correspondant presque intégralement aux préoccupations de la Fraternité, lors des interventions sur route, comme :

-          l’absence de procédure formelle permettant de déterminer si la situation requiert une intervention à deux agents ou l’assistance des policiers ;

-          l’importance de l’accès aux renseignements pertinents permettant de préparer l’enquête en entreprise, 

-          l’intervention dans un endroit isolé, où la radiocommunication peut être déficiente;

-          l’enquête auprès d’une entreprise inconnue ;

-          la nécessité de formaliser la démarche d’évaluation du risque, afin que tous les enquêteurs aient la même appréciation du risque d’agression ainsi qu’une cohérence au niveau des mesures ;

-          la possibilité d’être enfermé dans un lieu fermé par le client;

-          l’absence de guide sur les bonnes pratiques qui permettraient de mieux se préparer et intervenir lors des enquêtes en entreprises ;

-          les lacunes de la formation initiale, laquelle est mal adaptée aux interventions en entreprise ainsi que les préoccupations sur la fréquence de son actualisation;

-          la nécessité d’élaborer des scénarios d’interventions physiques, afin de guider concrètement les contrôleurs routiers lors de leurs interventions.

  1.       Cependant, en dépit de sa pertinence, cette dernière analyse du risque lors des enquêtes en entreprise ne permet pas d’identifier adéquatement celui relatif aux interventions sur route ou encore les mesures nécessaires afin de le contrôler, voire de l’éliminer.

L’insuffisance de données

  1.       De toute façon, le Tribunal constate, dans chacun de ces rapports, la présence d’une observation très préoccupante, qui affecte irrémédiablement la qualité du processus, ainsi que la valeur probante des conclusions retenues.
  2.       L’APSSAP rapporte en effet la difficulté suivante dans le rapport du 2 février 2021[181]:

Lors des séances de travail du comité, il fut difficile d’avoir des statistiques d’événements accidentels de l’organisation. Les mécanismes de déclarations d’événements accidentels sont disponibles et connus dans l’organisation, mais il semble y avoir des lacunes dans la mise en application des processus, dans la comptabilisation et dans la communication de celles-ci.

 

Aussi, les statistiques des déclarations d’événements accidentels devraient être divulguées et disponibles selon une fréquence déterminée avec des statistiques catégorisées selon les risques. Ceci afin d’assurer une rigueur dans l’analyse des besoins de prévention.  

 

Les [contrôleurs routiers] et gestionnaires doivent être sensibilisés davantage sur la déclaration de tous les événements accidentels.

 

Finalement, ces informations demeurent essentielles dans l’évaluation des risques afin de pouvoir déterminer quelles mesures de prévention doivent être mises en application ou améliorées pour corriger et contrôler les risques auxquels sont exposés les agents.

  1.       De manière évidente, une telle circonstance limite, voire empêche l’employeur d’identifier correctement le risque, puisqu’il ne possède pas de portrait suffisamment clair, juste ou complet lui permettant d’analyser avec rigueur la situation.
  2.       Notons que ce manque de données a d’ailleurs été lourd de conséquences, puisqu’il a empêché les parties lors de cet exercice de s’entendre sur le niveau de risque.
  3.       L’ASSPAP écrit, toujours dans ce même rapport afférent à l’intervention en présence d’armes à feu :

Selon les résultats des analyses de risque, des mesures d’amélioration à moyen terme sont requises pour minimalement 23 risques identifiés. Ceci, si on utilise les résultats qui font consensus et les résultats de l’évaluation des représentants de l’employeur. Si on utilise les résultats qui font consensus et ceux des représentants syndicaux, 29 risques identifiés requièrent des mesures d’amélioration ou correctives.

 

Les différences quant aux résultats entre les parties se retrouvent au niveau de l’évaluation de la probabilité que l’événement accidentel survienne, ce qui a donc une incidence sur le niveau de risque. Les représentants syndicaux ont déterminé un niveau de probabilité à un niveau supérieur que celui des représentants de l’employeur pour 24 risques analysés. Les représentants de l’employeur sont en désaccord avec les représentants syndicaux en raison de l’absence de statistiques d’événement disponibles pour appuyer les niveaux de probabilité déterminés par le syndicat. […] L’écart a un impact sur les exigences des délais mis en place de mesures correctives.

 

  1.       Remarquons que ce n’était pas la première fois, en 2021, que l’on soulignait cette lacune à l’employeur.
  2.       En effet, l’inspectrice note le 12 mai 2009 dans son rapport d’intervention :

[… qu’il est difficile de circonscrire le nombre exact d’interventions ayant nécessité l’exercice de leurs pouvoirs de constables spéciaux, puisque, selon le cas (utilisation ou non d’une arme intermédiaire, agression physique, par exemple), trois rapports différents peuvent être complétés (rapport circonstancié, rapport d’événement accidentel, rapport sur l’utilisation d’une arme intermédiaire).

 

  1.       L’inspectrice conclut, au terme de sa démarche, que l’employeur déroge à son obligation d’identifier et de contrôler les risques et elle lui demande de corriger la situation en élaborant un plan d’action afin de mieux les circonscrire.
  2.       Et malgré cet avis de dérogation, l’expert Dupont remarque deux ans plus tard, dans son rapport du 2011, que les données disponibles sont encore fragmentaires :

Nous ne disposons hélas pas de statistiques longitudinales détaillées sur ces événements, même si les contrôleurs routiers doivent techniquement rédiger divers types de rapports lorsqu’ils se produisent. Les plus graves sont évidemment portés à la connaissance de la hiérarchie, mais pour ceux qui n’entraînent pas de blessures ou l’utilisation des armes, le pouvoir discrétionnaire des contrôleurs routiers s’exerce dans une certaine mesure et le choix de rédiger un rapport circonstancié demeure un choix personnel. Cette situation nous semble regrettable et la production annuelle de statistiques fiables permettrait sans doute de mieux comprendre les divers enjeux auxquels sont confrontés les contrôleurs en matière de sécurité, ainsi que leur évolution, et d’apporter des réponses adaptées dans des délai relativement court. Une base de données sécurité pourrait ainsi être constituée à l’aide des divers rapports soumis par les contrôleurs routiers à CRQ afin de mesure le nombre d’incidents dangereux vécus chaque année, leur sévérité et leurs caractéristiques, les blessures éventuellement subies, le nombre d’arrestation effectuées, les diverses facettes de leur déroulement et les circonstances dans lesquelles les armes intermédiaires ont été employées. La diffusion de ces statistiques à tous les membres de l’organisation alimenterait certainement la discussion de manière constructive, en axant le débat sur les mesures prioritaires en matière de sécurité. Elle contribuerait par ailleurs à créer un puissant incitatif afin que la majorité de ces incidents soient déclarés.

  1.       Contrairement à son affirmation, le Tribunal n’a pas constaté lors de l’audience que l’employeur avait mis en place les correctifs recommandés par ces intervenants.
  2.       Au contraire, même lors des argumentaires, en 2024, l’employeur n’avait pas encore remédié à la situation, en dépit du commentaire de l’APSSAP, qui lui enjoignait pourtant depuis 2021 à documenter suffisamment le risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers.
  3.       La preuve prépondérante révèle plus spécifiquement les lacunes suivantes, que l’employeur devra corriger.

La nécessité de concrétiser les recommandations retenues lors de l’exercice paritaire effectué avec l’APSSAP

  1.       L’employeur doit s’assurer de formaliser les recommandations dégagées lors de l’exercice effectué en 2020-2021 avec l’APSSAP, de manière paritaire, et susceptibles d’améliorer le contrôle du risque d’agression lors des interceptions sur route, en les incorporant formellement à ses directives écrites ainsi qu’en les diffusant ensuite à l’ensemble des travailleurs.
  2.       En effet, le directeur général du soutien aux opérations reconnaît lors de son témoignage que plusieurs recommandations retenues au cours de cet exercice, comme celle afférente à la capacité d’obtenir du renfort de la part de collègues à l’intérieur d’un délai maximal de 15 minutes, ne sont appliquées qu’au moyen de directives verbales données aux gestionnaires.
  3.       Ces recommandations ne sont toutefois pas encore formalisées dans les procédures écrites de l’employeur et le directeur général du soutien aux opérations ne sait pas de quelle manière on les communique aux travailleurs.
  4.       Or, une directive, comme celle de s’assurer de pouvoir obtenir du renfort de collègues à l’intérieur d’un délai maximal de 15 minutes, ne suscite d’effet sécuritaire que si elle est connue de tous et appliquée de manière cohérente par l’ensemble.
  5.       Avec égard pour l’employeur, l’existence d’une directive verbale, non écrite, ne présente pas cette garantie et n’est pas une mesure de contrôle suffisante.
  6.       L’employeur devra par conséquent y remédier.

L’absence d’analyse globale des rapports d’événements afférents à la santé et sécurité du travail

  1.       Dans la section introductive, le Tribunal a indiqué avoir bénéficié d’une importante preuve documentaire actualisée traitant des diverses interventions problématiques, survenues au fil du temps.
  2.       Le Tribunal ne peut faire autrement que de constater que même si ces éléments sont centraux au litige, l’employeur ne les commente pas véritablement, laissant plutôt leur contenu à l’appréciation du Tribunal.
  3.       Le tableau statistique provenant de l’employeur, qui contient les informations afférentes aux déclarations d’événements relatifs à la santé et sécurité du travail, auquel le Tribunal se réfère dans ses motifs, n’était d’ailleurs pas disponible au début de l’audience.
  4.       L’employeur l’a plutôt confectionné vers la fin de l’année 2023, en réponse à un argument de la Fraternité, qui alléguait que les statistiques présentées dans les rapports annuels portant sur les interventions à titre de constable spécial[182] ne reflétaient pas adéquatement le risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers lors de leurs interventions sur route.
  5.       Relevons effectivement qu’avant cette date, l’employeur s’appuyait strictement sur les statistiques afférentes à l’exercice des pouvoirs de constable spécial, des données tirées principalement des rapports circonstanciés[183] ou de ceux relatifs à l’emploi de la force[184], afin d’identifier le risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers.
  6.       Le Tribunal constate par ailleurs une grande disparité entre les statistiques provenant de ces sources d’informations et celles consignées aux rapports d’événements relatifs à la santé et sécurité du travail, même lorsqu’on se réfère à la même circonstance.
  7.       Le Tribunal note en effet que certaines situations sont sous-estimées, dépendamment de la source qui les rapporte.
  8.       En voici quelques illustrations.
  9.       L’on dénombre à titre d’exemple dans le tableau statistique de l’employeur entre 19 et 42 situations de menace ou d’intimidation entre 2016 et 2024, selon que l’on réfère respectivement aux rapports circonstanciés ou encore aux déclarations d’événements en santé et sécurité du travail.
  10.       Cette variation s’explique notamment par le fait qu’il n’y a pas de dépôt systématique d’accusation dans le cas de menace ou d’intimidation.
  11.       Ajoutons qu’il n’y aura pas non plus usage systématique de la force dans une telle situation.
  12.       Même résultat pour l’intervention en présence d’autres armes que l’arme à feu : leur fréquence est doublée si l’on tient compte de l’information provenant des déclarations d’événements en santé et sécurité du travail plutôt que de celles issues des rapports circonstanciés, probablement en raison de la collaboration de l’individu visé par l’interception.
  13.       L’on obtient par ailleurs le résultat inverse, dans le cas de la découverte de véhicules volés : 44 situations de véhicules volés dans les rapports circonstanciés, contre 10 seulement, dans les déclarations d’événement afférent à la santé et sécurité du travail.
  14.       Les informations pertinentes à l’évaluation du risque ne sont donc pas nécessairement toutes consignées dans les rapports afférents à l’exercice des pouvoirs de constable spécial, comme le rapport circonstancié ou encore celui relatif à l’emploi de la force.
  15.       Cette source d’information ne fournit par conséquent qu’un portrait partiel du risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers lors des interceptions sur route.
  16.       L’expert Boivin mettait d’ailleurs en garde l’employeur à l’encontre de cette prémisse, que les contrôleurs routiers lui avaient exprimée lors des entrevues :

Notons pourtant que la Fraternité et certains contrôleurs routiers rencontrés nous ont indiqué qu’il était probable que des situations n’apparaissent pas dans les rapports, pour plusieurs raisons. […] Il est impossible de vérifier empiriquement ces affirmations, ce qui sème un doute sur les analyses, parce que le fait de ne pas documenter systématiquement la situation empêche de faire un portrait représentatif de la réalité.

 

[…] l’idée que l’emploi de la force est mal documenté est fortement ancrée, comme le démontre le fait que toutes les personnes rencontrées lors de la recherche ont mentionné que les rapports ne représentaient que la « pointe de l’iceberg ». […] 

  1.       Tenant compte de la réalité de travail afférente à Contrôle routier Québec et de l’usage que l’on réserve aux formulaires, le Tribunal conclut que l’employeur ne peut pas identifier adéquatement le risque d’agression en se référant, comme il l’a fait par le passé, aux seules statistiques découlant de l’exercice des pouvoirs de constable spécial ou relatifs à l’emploi de la force.
  2.       Il lui faut aussi tenir compte du portrait quantitatif et qualitatif rapporté dans les rapports d’événements afférents à la santé et sécurité du travail.
  3.       Le Tribunal remarque que ce processus n’est tout simplement pas prévu dans la Politique sur la santé et la sécurité du travail[185] de l’employeur : même si l’employeur a amélioré sa procédure de déclaration et de collecte de ces rapports, les statistiques qui en découlent ainsi que leur contenu factuel ne sont pas encore analysés globalement par l’organisation.
  4.       À leur lecture, le Tribunal y remarque pourtant, comme l’ont fait avant lui les experts ainsi que la Commission à plusieurs autres reprises, la récurrence de divers facteurs susceptibles d’influencer la probabilité de matérialisation du risque ou encore la gravité de ses conséquences, sur lesquels l’employeur devrait par conséquent agir, comme :

-          les difficultés d’accès aux renseignements pertinents colligés au CRPQ ;

-          la méconnaissance du public du rôle et des pouvoirs dévolus aux contrôleurs routiers ;

-          l’importante variabilité entourant la demande de support, voire le retard du contrôleur routier à le faire, même lorsque de signes annonciateurs d’agression évidents sont pourtant présents ;

-          le constat que le recours au poivre de cayenne ne permet pas toujours de mettre fin à l’agression ;

-          les demandes provenant des policiers en patrouille, afin de les assister, alors que les contrôleurs routiers ne possèdent pas le même armement ;

-          les difficultés de communication entre le CRPQ, la centrale de Contrôle routier Québec et les contrôleurs routiers sur la route, prolongeant les délais d’intervention.

  1.       L’on remarque également dans les rapports déposés au dossier du Tribunal des circonstances identifiées d’emblée par l’expert Berniqué, spécialiste du MNEF, ancien policier et ancien instructeur à l’ÉNPQ, comme des situations critiques, notamment :

-          l’utilisation par les prévenus de leur véhicule, lors d’agression armée envers les contrôleurs routiers ;

-          le long délai d’assistance des forces policières, dépassant dans certains cas même une heure d’attente, alors que leur assistance est pourtant requise, lors d’arrestation ou encore lors de situation périlleuse ;

-          l’intervention en présence d’armes à feu non sécurisées, une situation qui va pourtant à l’encontre des enseignements dispensés par l’ÉNPQ, lors de leur formation initiale ;

-          la découverte régulière de véhicules, de marchandises volées ou d’une quantité de drogue de grande valeur.

  1.       Le Tribunal note à la lecture de ces rapports que la matérialisation de l’agression s’accompagne par ailleurs de certains facteurs plus récurrents que d’autres, comme :

-           le refus de s’immobiliser ou d’obtempérer ;

-          l’invasion par le contrôleur routier de la sphère personnelle physique de l’individu[186] ;

-          la finalisation de l’intervention sur un terrain privé, dans lequel l’individu pensait pouvoir se réfugier

-          ou encore le court intervalle séparant les interventions des contrôleurs routiers sur un même individu.

  1.       À l’inverse, :

-          l’assistance rapide des policiers,

-          la présence des contrôleurs routiers en surnombre ;

-          ou encore la possibilité de planifier l’intervention, avec de l’information appropriée

sont des facteurs de protection qui contribuent dans les rapports déposés au dossier du Tribunal au contrôle du risque d’agression.

  1.       Il ne s’agit que de quelques exemples, illustrant toute la richesse contenue dans ces rapports d’événements afférents à la santé et sécurité du travail.
  2.       La réalisation d’un examen global, portant notamment sur les aspects quantitatif et qualitatif des déclarations d’événements afférents à la santé et sécurité du travail, est essentiel à l’identification des risques, puisqu’il permet de constater, par exemple, la présence de circonstances ou de préoccupations redondantes ou récurrentes, au cours d’un intervalle déterminé ou encore, entre les régions, sur lesquelles l’employeur est tenu d’agir, afin de contrôler le risque.
  3.       C’est également cet exercice qui lui permet de dégager des indicateurs, afin d’évaluer l’efficacité des mesures mises en œuvre afin d’encadrer la situation et ensuite rectifier son plan d’actions, d’une année à l’autre.
  4.       Sans cette démarche l’employeur ne peut pas s’assurer du caractère permanent des correctifs mis en œuvre, conformément à l’obligation que lui impose l’article 51 (5) de la LSST.
  5.       Or, à l’heure actuelle, le Tribunal constate que l’employeur ne met pas en œuvre de telles méthodes ou techniques d’identification et de contrôle du risque d’agression.
  6.       L’employeur devra donc corriger cette situation.
  7.       Afin de réaliser cet exercice de manière efficace, l’employeur devra par ailleurs s’assurer que l’information qui remonte jusqu’à lui est par conséquent pertinente, juste et représentative, puisqu’il constate que cet élément est lui aussi problématique.

La pauvreté de l’analyse locale

  1.       Le Tribunal remarque que l’employeur, lors de l’audience, tient pour acquis que l’analyse faite de manière paritaire, après chaque événement, dans le bureau régional, est adéquate ainsi qu’effectuée conformément aux impératifs de prévention de la LSST.
  2.       Cependant, après lecture attentive de ces rapports d’événements, le Tribunal, lui, n’est pas de cet avis.
  3.       Le Tribunal constate en effet que l’analyse locale qu’effectue l’employeur se réduit bien souvent à vérifier, en cochant sur le formulaire, si des procédures existent, si elles ont été respectées par les contrôleurs routiers, ou encore si des outils et équipements sont mis à leur disposition.
  4.       L’article 3 de la LSST énonce pourtant expressément que la mise à la disposition des travailleurs de moyens ou d’équipements de protection individuels ou collectifs, ne doit en rien diminuer les efforts requis pour éliminer à la source même les dangers pour la sécurité des travailleurs.
  5.       Comme on l’indique également le Tribunal dans la décision Camille Fontaine & Fils inc. et CSST - Yamaska[187], que la Fraternité cite à l’appuie de sa prétention, l’existence d’une procédure, même si on la respecte, ne permet pas d’éliminer à la source les dangers auxquels sont exposés les travailleurs.
  6.       Afin d’identifier le risque et éventuellement, le contrôler efficacement, voire l’éliminer, l’employeur doit par conséquent aller au-delà de ces considérations.
  7.       Le Tribunal remarque toutefois qu’il est rare que l’on identifie, même dans le nouveau formulaire, et ce, en dépit de l’espace que l’on accorde à cette section, les causes directes de l’événement.
  8.       L’employeur n’analyse pas non plus de manière critique les contraintes organisationnelles ou les procédures administratives applicables. Il ne les remet pas en question, même lorsqu’elles sont contraires aux enseignements de l’ÉNPQ sur le MNEF.
  9.       La préoccupation pertinente, mais sur laquelle l’employeur possède peu de contrôle, est aussi rejetée du revers de la main.
  10.       Le Tribunal est d’avis que l’employeur ne devrait pas écarter les informations qu’il reçoit parce qu’il existe des contraintes organisationnelles qui complexifient son action.  Cette considération ne présente pourtant aucune pertinence au stade de l’identification du risque.
  11.       La LSST ne prévoit aucune exception de ce genre : elle favorise au contraire le résultat inverse, en spécifiant que tous les acteurs du milieu doivent collaborer à la mise en œuvre de la solution.
  12.       Le Tribunal est d’avis que ce principe s’applique lorsque la solution ou le pouvoir de la mettre en œuvre est en la possession de tiers, comme un autre ministère ou organisme gouvernemental.
  13.       Plusieurs actions ont d’ailleurs pu être mises de l’avant, par le passé, grâce à cette collaboration entre la Sûreté du Québec, le ministère de la Sécurité publique et l’employeur.
  14.       Le Tribunal souligne que retirer aujourd’hui systématiquement ces problématiques de l’analyse ne fait que les exacerber et les chroniciser.
  15.       L’employeur est au contraire tenu de documenter toutes les situations à risque, y compris celles se situant à l’extérieur de son champ direct d’intervention, non seulement afin d’avoir l’heure juste et ainsi prendre les décisions appropriées, mais également parce que c’est justement cette information qui lui permettra de sensibiliser les autorités auxquelles il défère, à l’interne autant qu’à l’externe, afin de les convaincre de faire autrement.
  16.       Sans cette information, l’employeur ne peut pas remplir son devoir de diligence et de prudence à l’égard des travailleurs et ainsi prendre les moyens nécessaires afin d’assurer leur protection.
  17.       Notons que l’employeur procède de la même manière lorsque les travailleurs expriment un besoin de formation, qu’il écarte presque systématiquement, parce que celle offerte est à leur avis déjà suffisante.
  18.       Mentionnons également que les commentaires ne font bien souvent que répondre en peu de mots aux suggestions faites par les travailleurs eux-mêmes.
  19.       L’on retrouve en effet sur la quasi-totalité des formulaires de déclaration d’événements afférents à la santé et la sécurité du travail, des réponses laconiques, dont le libellé se répète d’un gestionnaire ou d’une région à une autre, indépendamment des circonstances particulières.
  20.       Les constats précédents se reflètent dans les deux exemples suivants.
  21.       Le 24 juillet 2023, des policiers interpellent les contrôleurs routiers, parce qu’ils ont besoin de leur assistance afin de finaliser l’interception d’un véhicule commercial qu’ils ont commencée.
  22.       Lors de l’intervention, les policiers trouvent des balles de calibre 9 mm, de la drogue, notamment du Fentanyl, ainsi qu’un couteau, dans la portière.
  23.       Le conseiller à la prévention souligne ces éléments à l’employeur, tout en lui indiquant qu’aucune procédure n’encadre la saisie de Fentanyl, alors qu’il s’agit pourtant d’une substance volatile et même mortelle, si on la touche. 
  24.       Le gestionnaire répond à ces préoccupations de la manière suivante :

Comme mentionné à l’intérieur de nos procédures, notamment celle sur l’emploi de la force […] ainsi que la formation reçue à l’ENPQ, le modèle national d’emploi de la force vient encadrer la force létale. Dans la situation actuellement analysée, il est possible de constater qu’à aucun moment le contrôleur routier n’a vu sa santé et sa sécurité menacée au point qu’une force létale soit nécessaire. Il n’y a donc aucun danger réel qui peut justifier la demande.

  1.       Personne ne se questionne sur :

-          le caractère approprié de la demande d’assistance des policiers, pour une intervention qu’ils ont par ailleurs commencée, alors que les contrôleurs routiers dispose d’un armement inférieur, une circonstance que le Tribunal a pourtant déjà, par le passé, considéré comme dangereuse[188];

-          l’absence de procédure ou de directive, entourant la découverte ainsi que la manipulation de Fentanyl.

  1.       Bien que l’on indique qu’aucune mesure de contrôle n’est actuellement mise en place et que ces considérations sont pertinentes pour Contrôle routier Québec dans son ensemble, l’on ne semble pas faire remonter le dossier afin qu’il soit évalué au niveau régional ou provincial. À tout le moins, l’on ne prévoit pas de le faire dans la section des engagements.
  2.       De plus, même si la situation est critique, en raison de la présence d’armes et de la commission d’une infraction en pleine vue, le gestionnaire considère plutôt la situation comme normale, parce que la santé et sécurité des travailleurs n’a pas été menacée au point que ceux-ci doivent recourir à la force létale.
  3.       Il en est de même dans ce second exemple.
  4.       Le 3 août 2023, un contrôleur routier qui patrouille en duo intervient auprès d’un conducteur, sorti de son véhicule.
  5.       Son collègue remarque une arme à feu bien en vue dans la cabine. Il en informe le premier contrôleur routier, en lui recommandant de rester auprès du conducteur, afin de l’empêcher d’y retourner. L’on menotte ensuite ce dernier.
  6.       Un policier arrive environ 11 minutes plus tard, mais refuse de prendre en charge l’individu, puisqu’il est le seul policier sur place.
  7.       D’autres policiers arrivent 9 minutes plus tard et sécurisent l’arme à feu.
  8.       Dans sa déclaration d’événement, le contrôleur routier indique que le retrait que préconise l’employeur n’était pas une option appropriée, puisque laisser aller le conducteur impliquait qu’on lui redonnait accès à l’arme à feu, alors qu’un tel résultat va à l’encontre des enseignements de l’ÉNPQ.
  9.       Le contrôleur routier ajoute ne pas avoir reçu la formation pratique lui permettant de sécuriser l’arme à feu.
  10.       La situation à risque, selon le gestionnaire[189], se limite à une seule observation d’armes à feu dans le véhicule. Considérant toutes les mesures déjà mises en place à ce sujet, il attribue la cote faible à ce risque « résiduel ».
  11.       Il fait ensuite lui aussi cette réponse sur le formulaire :

Dans nos procédures, notamment celle sur l’emploi de la force […] ainsi que la formation reçue à l’ENPQ, le modèle national d’emploi de la force vient encadrer la force létale. Dans la situation actuellement analysée, il est possible de constater qu’à aucun moment le contrôleur routier n’a vu sa santé et sa sécurité menacée au point qu’une force létale soit nécessaire. De plus, le contrôleur routier doit toujours envisager la possibilité de se retirer pour sa sécurité.

 

  1.       Personne ne s’interroge sur :

-          la dangerosité de la situation pour les contrôleurs routiers présents sur les lieux, alors que le policier refuse pourtant d’amorcer son intervention afin de sécuriser l’arme à feu et arrêter l’individu, avant d’être lui-même accompagné d’un autre policier ;

-          la prolongation que suscite cette circonstance sur la durée de l’intervention des contrôleurs routiers ;

-          l’incohérence de la directive de l’employeur, lequel recommande au contrôleur routier de se retirer de l’intervention dangereuse, alors que le faire redonne au prévenu un accès à l’arme à feu, un résultat qui va à l’encontre des principes de précaution enseignés à l’ÉNPQ, lors de la formation initiale ;

-          le besoin de formation pratique qu’exprime le contrôleur routier.

  1.       La réponse laconique de l’employeur qualifie plutôt la situation de normale, parce que la sécurité des contrôleurs routiers n’exigeait pas d’utiliser la force létale.
  2.       L’employeur, dans chacun de ces réponses, minimise le risque, parce que le danger d’agression ne s’est pas matérialisé.
  3.       Même si chacune de ces situations présente des facteurs de risque sur lesquels il serait approprié de se pencher, afin de mieux les contrôler, ils sont écartés de l’analyse.
  4.       Une telle approche n’est pas conforme aux impératifs de prévention que préconise la LSST.
  5.       Le Tribunal reconnaît avoir trouvé quelques exemples d’analyse proactive, plus souvent en 2024, qui démontrent une écoute attentive des préoccupations des contrôleurs routiers ou encore le recours à des debriefings avec un spécialiste du MNEF, une bonne pratique que recommandent tant l’expert Berniqué que l’expert Boivin, notamment dans leurs rapports respectifs.
  6.       Malgré la valeur ajoutée de ces initiatives conformes aux impératifs de prévention de la LSST et leur effet sur la qualité des réponses de l’employeur, cette approche constitue cependant l’exception à la règle.
  7.       Le Tribunal ne constate pas, en lisant les rapports d’événements afférents à la santé et sécurité du travail, que les représentants de l’employeur comprennent l’importance de leur rôle, ni que ceux-ci l’exercent en conformité avec les principes de prévention formulés à la LSST.
  8.       La maîtrise des impératifs de prévention de LSST constitue pourtant la connaissance préalable essentielle à la réalisation de cette activité[190] :

Sans exiger de ses représentants la science d’un prix Nobel, pour reprendre les termes de l’avocat de la défense, il est normal de penser que ceux-ci devaient avoir la compétence requise pour faire face à cette nouvelle situation, en apprécier les risques et connaître les mesures appropriées pour éviter qu’il n’en résulte un danger grave pour les travailleurs de l’entreprise.

  1.       Le MNEF représentant les règles de l’art applicables dans le domaine, il est tout aussi essentiel que les personnes à qui l’employeur délègue la responsabilité d’identifier le risque, le maîtrisent également.
  2.       Les effets de cette lacune sont considérables, puisque l’on ne peut pas documenter, ni analyser adéquatement une situation mal comprise.
  3.       Une telle pratique n’incite pas non plus les travailleurs à déclarer les situations problématiques, un changement que l’expert Dupont souhaitait dans son rapport de 2011 et que la Fraternité dénonçait encore à l’inspectrice dans le dossier 726636.
  4.       L’enjeu de la sous-déclaration des événements en santé et sécurité du travail a d’ailleurs été abordé à plusieurs reprises lors de l’audience.
  5.       Et une telle pauvreté d’information ne permet pas d’éclairer l’organisation sur l’efficacité des mesures mises en place, ni ne lui permet d’élaborer et de réviser un plan d’actions utile et efficace, comme l’exige l’article 51 (5) de la LSST.
  6.       L’employeur devra rectifier la situation en s’assurant que les participants à l’enquête afférente aux événements en santé et sécurité du travail soient formés adéquatement, afin qu’ils comprennent véritablement leur rôle, les impératifs de prévention de la LSST ainsi que les principes afférents au MNEF.
  7.       L’employeur devra également s’assurer, une fois cette étape réalisée, de la permanence de ce correctif, en vérifiant, par exemple lors de son analyse globale, récurrente, que les gens responsables d’effectuer les enquêtes afférentes à la santé et sécurité du travail appliquent ces principes, en les supervisant.
  8.       En effet, comme l’indique la Cour suprême dans la décision R. c. Sault Ste. Marie, l’employeur ne satisfait pas à son obligation rien qu’en donnant à ses subordonnés de telles directives.
  9.       Afin de remplir son obligation de prudence et de diligence, celui de prendre les mesures raisonnables afin d’assurer la sécurité des travailleurs, l’employeur doit vérifier régulièrement qu’on les applique bel et bien, conformément à ses directives.  
  10.       C’est en effet ce que veut dire, selon la jurisprudence, le vocable « assurer » que l’on retrouve en introduction de l’article 51 de la LSST ainsi que par la suite, dans ses multiples autres alinéas[191] :

Le tribunal du travail et la Cour supérieure ont déclaré, à maintes reprises, qu’il ne suffit pas, pour un employeur, de fournir l’équipement approprié et de donner des directives aux employés en présumant que les instructions seront suivies. Il ne suffit pas, non plus, de se fier sur l’expérience des travailleurs ; il faut qu’un employeur prenne des mesures concrètes et positives pour assurer que la loi soit respectée.

 

La matrice de l’APSSAP

  1.       Le Tribunal constate finalement que la matrice à laquelle l’APSSAP réfère afin d’évaluer le niveau de risque et ainsi prioriser les actions afférentes, ne reflète pas entièrement les enseignements de la jurisprudence.
  2.       L’outil d’évaluation du risque confond par exemple fréquence de réalisation et probabilité de matérialisation, alors qu’il s’agit pourtant de notions distinctes.
  3.       De plus, comme indiqué précédemment, la jurisprudence ne requiert pas que le risque ou danger soit imminent ou encore intolérable, comme les exemples donnés dans la matrice le laisse entendre.
  4.       Bien que cet outil soit utile, puisqu’il permet aux parties de prioriser les actions en leur donnant un ordre d’importance, le Tribunal précise d’emblée qu’il y aurait lieu de le réviser, afin de tenir compte des enseignements de la jurisprudence et des impératifs de prévention de la LSST, et ce, afin de ne pas induire les parties en erreur.
  5.       À tout le moins, l’employeur devra s’assurer d’identifier dans le futur le risque d’agression en s’appuyant sur des outils qui reflètent l’état actuel du droit en matière de santé et sécurité du travail.

L’organisation ainsi que les méthodes et techniques de travail (51 (3) LSST) 

  1.       L’article 51 (3) de la LSST enjoint l’employeur de s’assurer que l’organisation du travail, ainsi que les méthodes et techniques pour l’accomplir sont sécuritaires pour les travailleurs et ne portent pas atteinte à leur santé.
  2.       Afin de démontrer qu’il satisfait à cette obligation, l’employeur dépose à l’audience un nombre imposant de politiques, directives et procédures qui encadrent les divers aspects du travail des contrôleurs routiers.
  3.       L’employeur soutient que la sécurité des contrôleurs routiers est assurée, puisqu’ils disposent de la faculté, voire ont l’obligation de se retirer de l’intervention, s’ils estiment que leur sécurité est compromise.
  4.       L’employeur indique également réaliser plusieurs activités afin de mieux faire connaître la mission de Contrôle routier Québec auprès de la clientèle qu’il dessert ainsi que de ses partenaires.
  5.       Le PGQ fait lui aussi ces constats. Selon lui, c’est le contrôleur routier qui met sa sécurité à risque, en confondant erronément son rôle avec celui du policier.
  6.       Il est en effet d’avis que la « mentalité de gagnant » que les contrôleurs routiers endossent, comme lorsqu’ils poursuivent l’intervention en dépit de leur conscience du risque, va tout simplement à l’encontre de la directive de l’employeur. Le PGQ ajoute que cet élément serait même la pierre angulaire du dossier.
  7.       La Fraternité souligne que la possibilité de se retirer de l’intervention ne rend pas à elle seule le travail sécuritaire.
  8.       Elle rappelle qu’il n’est pas toujours approprié ni sécuritaire pour le contrôleur routier de se retirer de l’intervention, même lorsqu’il constate que sa sécurité est compromise ou qu’elle pourrait l’être.
  9.       Le Tribunal conclut que l’employeur ne respecte pas son obligation de s’assurer que l’organisation du travail, ainsi que les méthodes et techniques pour l’accomplir sont sécuritaires.

L’attente de l’employeur de se retirer de l’intervention dangereuse

  1.       Le directeur général du soutien aux opérations affirme lors de son témoignage qu’il s’attend des contrôleurs routiers qu’ils se retirent de l’intervention, dès qu’ils estiment que leur sécurité pourrait être compromise.
  2.       Ce témoin précise qu’en cas d’enjeu de sécurité, il serait acceptable que le contrôleur routier le fasse, même en raison d’un malaise ou d’un simple doute à cet égard.
  3.       Il confirme que le contrôleur routier est ainsi autorisé à laisser partir l’individu, en dépit par exemple de la présence d’une défectuosité mécanique majeure sur le véhicule ou de la commission d’une infraction criminelle en pleine vue, sur laquelle les contrôleurs routiers, à titre de constable spécial, sont par ailleurs invités à agir.
  4.       L’employeur et le PGQ, lors de leur argumentaire respectif, assimilent cette attente à une mesure susceptible d’assurer dans la majorité des circonstances, sinon dans toutes, la sécurité des travailleurs lors de leurs interventions sur route. Cette mesure répond, par conséquent à l’ensemble des problématiques soulevées par la Fraternité.
  5.       Le Tribunal ne partage cependant pas leur avis, puisqu’il constate que l’attente de l’employeur, en plus de ne pas être formalisée par écrit, n’est pas toujours réalisable, appropriée, ni toujours bien comprise.
  6.       Elle est également susceptible de confondre le contrôleur routier, puisque sa substance se corrèle mal avec le rôle qu’on attribue dans les différentes assises au contrôleur routier.
  7.       L’ensemble ne s’assimile donc pas à une méthode de travail sécuritaire.

      Les contradictions avec le texte de l’article 5.3 de la Politique sur le contrôle et la surveillance sur route, en poste et aire de contrôle

  1.       Le Tribunal tient d’abord à préciser qu’il ne retrouve dans aucune des versions de l’article 5.3 de la Politique, les traces d’une directive enjoignant les contrôleurs routiers à nécessairement se retirer de l’intervention, dès que la situation devient périlleuse.
  2.       Le fait de ne pas obliger une personne à intervenir, advenant un risque trop important, comme on l’indiquait dans les versions antérieures à 2022, ne signifie pas qu’on l’oblige à se retirer automatiquement de l’intervention dès qu’elle s’alarme au sujet de sa sécurité.
  3.       La nouvelle version de l’article 5.3 de la Politique étaye encore plus clairement cette distinction, puisqu’on invite désormais le contrôleur routier à considérer le repositionnement tactique, lorsque l’intervention dégénère ou encore lorsqu’elle présente un danger éventuel.
  4.       Cette notion de repositionnement tactique réfère, selon l’expert Berniqué, spécialiste du MNEF et ancien instructeur à l’ÉNPQ, non pas à un retrait total, comme l’ont affirmé l’employeur et le PGQ à l’audience, mais plutôt à un désengagement ou à un retrait temporaire, dans le but de revoir son plan de match et adopter une meilleure stratégie.
  5.       Or, durant ce repositionnement, le travailleur demeure sur les lieux et reste exposé au risque d’agression.
  6.       Soulignons que l’article 5.3 de la Politique réfère à cette notion de repositionnement tactique en utilisant les termes « être considéré comme une option appropriée », ce qui signifie pour le Tribunal qu’il ne s’agit pas d’une solution exclusive. Il pourrait y en avoir d’autres.
  7.       Le Tribunal éprouve de la difficulté à faire une adéquation entre l’attente implicite de l’employeur, comme il la formule à l’audience, et l’article 5.3 de la Politique.
  8.       Ajoutons, comme le Tribunal l’expliquait dans la décision Construction Bao inc., et CPQMC[192], que les directives verbales ont une portée limitée sur la sécurité des travailleurs. Une telle mesure est rarement suffisante :

Il est vrai qu’il n’est pas obligatoire qu’une procédure de travail soit écrite. Cependant, si elle n’est que verbale, encore faut-il démontrer que celle-ci soit suffisamment précise pour couvrir toutes les situations envisageables et qu’elle soit bien comprise et appliquée par les travailleurs. Une telle méthode ne saurait être complète lorsqu’elle se limite à fournir des équipements de protection, donner des consignes et se fier à l’expérience des travailleurs.

  1.       Le Tribunal constate par ailleurs que la problématique ne se limite pas au manque d’adéquation entre l’attente de l’employeur et le libellé de ses directives.

      Le non-réalisme de l’automatisme

  1.       Bien que les témoins de l’employeur aient confirmé le réalisme de cette attente à l’audience, leur appréciation est contredite par la preuve factuelle, documentaire et testimoniale prépondérante.
  2.       L’article 5.3 de la politique énonce explicitement que le repositionnement tactique ainsi que la possibilité du retrait pur et simple de l’intervention pourraient ne pas être des options appropriées à la situation, en raison de certaines contraintes.
  3.       Une mise en garde que fait d’ailleurs le MNEF tout aussi explicitement. Le libellé de l’article 5.3 de la Politique s’en inspire d’ailleurs grandement :

La première tâche d’un agent est de protéger la vie et de préserver la paix. Cependant, lorsqu’une situation dégénère de façon dangereuse ou lorsque la poursuite de l’intervention peut constituer un éventuel danger pour quiconque, le repositionnement doit être considéré comme une option appropriée. Il est aussi reconnu qu’en raison d’une contrainte de temps ou de distance, ou encore en raison de la nature même de la situation, le repositionnement tactique peut être exclu. S’il le juge tactiquement approprié, l’agent peut envisager le repositionnement tactique dans le but de contenir et de réévaluer la situation, et de considérer d’autres solutions, comme rechercher la protection d’une barricade, attendre du renfort, faire appel à des escouades spécialisées, etc.

  1.       L’on retrouve dans le contenu de plusieurs rapports circonstanciés, relatifs à l’emploi de la force ou afférents à la santé et sécurité du travail plusieurs illustrations de ces contraintes, comme lorsque l’individu bloque le chemin du contrôleur routier ou lorsqu’un attroupement l’empêche de se mettre à l’abri, en dépit de la menace.
  2.       L’on y note également des situations dans lesquelles se retirer de l’intervention augmenterait le risque pour le contrôleur routier, par exemple en permettant à l’individu de ravoir accès à l’arme à feu présente sur les lieux, contrairement aux enseignements dispensés lors de la formation initiale.
  3.       L’expert Berniqué, spécialiste du MNEF et ancien instructeur à l’ÉNPQ, confirme, lors de son témoignage, qu’il peut être difficile, voire dangereux, de se désengager, une fois l’individu agressif passé à l’action, puisque le faire est susceptible de placer l’agent de la paix dans une position vulnérable, défavorisant ainsi son rapport de force.
  4.       Les circonstances décrites dans le rapport d’événement afférent à la santé et sécurité du travail du 1er novembre 2019 illustrent les limites reliées à cette attente :

Le répartiteur m’indique qu’il a une cote V (V pour violent) et que le CRPQ a l’information qu’il porte régulièrement une arme à feu sur lui! […].

 

Commentaire de ma part :

 

 […] J’ai beau appliquer la procédure de Contrôle routier Québec, [selon laquelle] si je perçois un danger à ma sécurité, je peux laisser le véhiculer quitter les lieux ou moi-même quitter les lieux, mais j’ai déjà intercepté le véhicule et j’ai ses documents en ma possession !! Je reste exposé.

 

[Transcription textuelle]

  1.       L’expert Boivin indique d’ailleurs dans son rapport que les contrôleurs routiers rencontrés en entrevue lui ont aussi rapporté cette préoccupation :

Presque tous les contrôleurs routiers à qui nous avons parlé nous ont rapporté des situations dans lesquelles le retrait n’était pas possible, par exemple lorsque l’événement était trop inattendu et soudain ou s’est déroulé alors qu’ils n’étaient pas à proximité de leur véhicule.

 

  1.       Ajoutons, comme l’indique le témoin Babin, instructeur de l’emploi de la force pour Contrôle routier Québec et collaborateur à la formation initiale, qu’on n’enseigne pas non plus aux contrôleurs routiers, à l’ÉNPQ, la procédure sécuritaire leur permettant de se retirer de toute situation susceptible de compromettre leur sécurité.
  2.       L’employeur ne démontre pas que son attente ou directive implicite couvre toutes les situations envisageables et qu’elle assure la sécurité ainsi que l’intégrité physique et psychologique des travailleurs.
  3.       La preuve révèle plutôt qu’on se fie à leur expérience ou encore à leur jugement afin d’assurer leur protection, puisqu’on ne leur montre pas de quelle manière appliquer cette technique de manière sécuritaire.
  4.       Cette attente de l’employeur voulant que le contrôleur routier se retire automatiquement de l’intervention risquée n’est pas une mesure susceptible de protéger la santé et assurer l’intégrité physique et psychologique des contrôleurs routiers.
  5.       Le Tribunal, dans la décision Rassemblement des Employés Techniciens Ambulanciers du Québec et Services préhospitaliers Laurentides-Lanaudière ltée[193], la décision Rassemblement, constatait aussi que la directive de se retirer d’une scène jugée dangereuse n’était pas susceptible de protéger les ambulanciers:

En termes simples, la partie syndicale estime que, dans un contexte d’agression, il ne suffit pas aux techniciens ambulanciers de se retirer et d’appeler un policier à la rescousse, si la vie de l’agresseur potentiel ou réel demeure en danger. Son rôle est d’intervenir et de porter secours à cette personne, en toutes circonstances, s’il appert que la vie de l’agresseur potentiel est en danger. En fonction de ce rôle, sa formation dans l’évaluation des risques d’agression physique se devra d’être plus complète.

 

Pour l’employeur, la consigne est claire, le technicien ambulancier doit se retirer de la scène jugée dangereuse jusqu’à l’intervention d’un policier qui demeure la seule personne habilitée à effectuer une contention du client. Le technicien ambulancier n’a aucune obligation d’intervenir. Ce n’est qu’à la suite d’une intervention policière qu’un technicien ambulancier pourra intervenir. Le technicien ambulancier n’est pas obligé de mettre en péril sa propre santé et sécurité lors de l’intervention, ce que réfute la partie syndicale. Cela fait en sorte que la formation qui lui a été donnée par les employeurs en cause s’avère insatisfaisante.

 

[…]

 

Ces situations d’agression peuvent survenir sans que la force policière soit nécessairement sur les lieux. Le risque d’agression physique peut survenir à tout moment, lors de l’intervention même des techniciens ambulanciers. […]

 

Par ailleurs, le Tribunal n’est pas insensible aux particularités régionales qui font en sorte que le temps d’intervention de la force policière ne permet pas, dans certaines situations, d’être adéquat pour résoudre la situation dans un délai raisonnable. Il en résulte que les techniciens ambulanciers peuvent être appelés à faire face seuls à la situation d’agression.

 

[…] Il n’est aucunement question de techniques de dégagement du technicien ambulancier pour assurer sa propre sécurité lorsqu’il est lui-même victime d’une agression. […] Tous ont indiqué ne pas savoir que faire précisément dans de telles situations, sinon de se dégager de la meilleure façon qu’ils croient être la meilleure, […].

 

Bien que ces procédures fassent mention que le technicien ambulancier ne doit pas s’exposer à des risques pour leur santé et leur sécurité au travail, la procédure en soi et la formation l’accompagnant ne répondent pas à la situation ponctuelle, soudain et imprévisible d’une agression, si cette situation survient.

 

[…] Les procédures élaborées s’avèrent insuffisantes dans ce cadre […].

 

La compréhension du rôle et son ambiguïté

  1.       Reste un dernier facteur à évaluer, lequel, ainsi que l’indique le PGQ en argumentaire, constitue bel et bien la pierre angulaire du dossier.
  2.       En effet, les propos échangés en cours d’audience sur l’attente de l’employeur révèlent l’existence d’une véritable ambiguïté sur le rôle que doivent assumer les contrôleurs routiers, puisqu’il n’est pas compris de la même manière par toutes les parties.
  3.       Notons que les experts Ouimet, Dupont, Berniqué et Boivin, ainsi que la jurisprudence, confirment que l’ambiguïté du rôle est un facteur de risque pertinent, sur lequel l’employeur doit se pencher et clarifier, afin de contrôler le risque d’agression lors des interventions sur route[194] :

Cette question a été soumise d’emblée au tribunal lors des plaidoiries. Elle constitue la pierre angulaire de la décision que le tribunal doit rendre. En effet, en fonction de son rôle d’intervention et de sa portée, le technicien ambulancier se verra confronté à des situations totalement différentes nécessitant autant d’évaluations diverses des risques d’agression physique et, par voie de conséquence, de posséder toute la formation et l’information pertinente pour protéger sa santé et sa sécurité.

  1.       Une telle ambiguïté, lorsqu’elle existe, contribue à rendre l’organisation du travail, et incidemment les méthodes et les techniques afin de l’accomplir, comme non sécuritaires.
  2.       Ce n’est pas la première fois que l’on présente cet argument au sujet du rôle devant le Tribunal : puisqu’on l’abordait explicitement dans la décision Rassemblement précitée.
  3.       Bien qu’il considérât cette question comme centrale, le Tribunal, à cette occasion, n’a toutefois pas été en mesure de se prononcer formellement sur le manque d’adéquation entre la directive de l’employeur de se retirer de l’intervention dangereuse et le rôle des ambulanciers, puisque la preuve ne permettait pas de l’établir[195] :

Le Tribunal comprend, d’une première lecture de ce jugement, que le rôle fondamental du technicien ambulancier demeure de prodiguer des soins à toute personne qui en éprouve la nécessité, nonobstant une consigne adverse, et que refuser d’apporter de tels soins contrevient aux fondements mêmes du rôle de technicien ambulancier et au contrat social et demeure punissable de congédiement.

 

Cela fait-il en sorte que le technicien ambulancier doive en toutes circonstances apporter son aide, comme le déduit le procureur de la RETAQ ?

 

Le Tribunal estime que la lecture de ce jugement de la Cour d’appel ne permet pas de parvenir obligatoirement à cette conclusion […]

 

Le Tribunal en vient à la conclusion qu’il ne peut disposer en toute conscience de cette question, bien qu’un tel questionnement lui apparaisse fondamentale dans l’analyse qui doit l’amener à juger de la pertinence ou non [de la mesure].

  1.       La situation est par ailleurs différente en l’occurrence, puisque les parties ont présenté cette preuve à l’audience.
  2.       Le Tribunal peut donc en disposer.

      La compréhension qu’ont les contrôleurs routiers de leur rôle

  1.       Indiquons d’abord que le Tribunal ne retient pas la prétention du PGQ selon laquelle les contrôleurs routiers mettraient eux-mêmes leur sécurité en péril, parce qu’il confondrait leur rôle avec celui du policier, notamment en adoptant la mentalité de gagnant, à laquelle l’expert Berniqué fait allusion à l’audience.
  2.       Le Tribunal remarque que ce principe fait plutôt partie intégrante de la formation sur l’intervention physique que l’on dispense aux contrôleurs routiers à l’ÉNPQ[196]. On y indique même que la survie du contrôleur routier en dépend.
  3.       L’objectif de cette formation initiale dispensée par l’ÉNPQ consiste d’ailleurs en grande partie à outiller les contrôleurs routiers afin de leur permettre de garder ou encore de reprendre la maîtrise d’une situation par ailleurs périlleuse, notamment lors de la matérialisation d’une agression.
  4.       Il s’agit d’une méthode de travail qui vise précisément à assurer la protection des contrôleurs routiers, en raison du risque d’agression auquel ils sont exposés du fait de la nature de leur travail.
  5.       Notons qu’en dépit de la proximité qui existe entre le travail des policiers et celui que l’on confie au contrôleur routier, une délimitation bien nette existe entre leurs rôles respectifs.
  6.       En effet, le contrôleur routier ne peut pas enquêter ni rechercher la commission de l’infraction criminelle. Et il ne peut intervenir que s’il la constate, parce qu’en pleine vue.
  7.       Il s’agit de consignes que le contrôleur routier respecte à la lettre, puisque la légitimité de son intervention, et éventuellement des accusations que l’on pourrait déposer, en dépend. 
  8.       C’est donc l’infraction criminelle qui trouve le contrôleur routier, et non lui qui la recherche.
  9.       Le Tribunal est persuadé que s’il existait un tel manque de maîtrise, comme l’allègue le PGQ, cela se refléterait dans le contenu des rapports circonstanciés, ceux relatifs à l’emploi de la force ou encore afférents à la santé et sécurité du travail.
  10.       Le Tribunal remarque au contraire que les contrôleurs routiers possèdent une maîtrise lucide des limites de leur rôle. Ils doivent bien souvent l’expliquer aux individus, au CRPQ ou encore aux corps policiers. Notons qu’à chaque fois, les gestionnaires, a posteriori, leur donnent raison dans les rapports afférents.
  11.       Mentionnons que les contrôleurs routiers dans ces rapports attirent également fréquemment l’attention de l’employeur sur les zones d’ombres ou d’ambiguïtés avec leur rôle, lorsque de telles situations se présentent et qu’ils le font selon le Tribunal avec justesse.
  12.       Le Tribunal est d’avis qu’ils seraient incapables de faire ces nuances, si leur rôle n’était pas clair pour eux.
  13.       L’argument du PGQ n’est tout simplement pas soutenu par la preuve prépondérante.

      La compréhension qu’a l’employeur du rôle confié au contrôleur routier

  1.       Le Tribunal constate que le rôle que l’employeur décrit à l’audience et les nuances qu’il y apporte, ne se reflètent pas dans les diverses assises applicables.
  2.       Le Code criminel[197] précise à son article 2 que l’agent de la paix est notamment la personne employée à la préservation ainsi qu’au maintien de la paix publique.
  3.       L’article 519.67 du Code de sécurité routière indique que les contrôleurs routiers sont des agents de la paix compétents pour assurer la surveillance et le contrôle du transport routier des personnes et des biens ainsi que l’application de plusieurs lois et réglementations afférentes.
  4.       L’article 5.6 de la Politique sur le contrôle et la surveillance sur route, en poste et en aire de contrôle, énonce pour sa part que l’intervention sur route est de nature coercitive et par conséquent susceptible de requérir, selon le cas, l’application de sanction pénales, d’arrestations ou de mesures administratives telle la suspension de permis de conduire, la saisie ou le remisage de véhicules.
  5.       Le Tribunal constate, comme la Fraternité, qu’il est difficile de concilier le texte de toutes ces assises avec l’affirmation que fait l’employeur selon laquelle les contrôleurs routiers pourraient se retirer d’emblée de l’intervention, dès la présence d’un simple doute à l’égard de sa sécurité et même parce qu’elle serait vraisemblablement périlleuse, en raison du risque d’agression.
  6.       Ajoutons qu’aux pouvoirs coercitifs du contrôleur routier à titre d’agent de la paix, s’ajoutent aussi ceux accordés par le ministère de la Sécurité publique dans l’Entente concernant la nomination des contrôleurs routiers à titre de constable spécial en vertu de l’article 519.68 du Code de la sécurité routière conclue entre l’employeur et le ministère de la Sécurité publique[198], l’Entente.
  7.       Rappelons que selon l’article 105 de la Loi sur la police[199], les constables spéciaux ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime.
  8.       Or, plutôt que de limiter ou nuancer son rôle, lEntente énonce plutôt que les contrôleurs routiers sont des agents de la paix au même titre que les policiers pour l’application du Code de la sécurité routière et d’autres lois reliées au transport routier.
  9.       L’on décrit dans cette même entente le rôle des contrôleurs routiers comme celui de faire cesser la commission de l’infraction criminelle constatée au cours de l’accomplissement de leur travail[200] et, s’il y a lieu, de procéder à l’arrestation de personnes présentes sur les lieux de l’intervention.
  10.       Notons que la thèse de l’employeur ne se corrèle pas non au contenu du MNEF, le cadre de référence qui formalise le rôle d’agent de la paix des contrôleurs routiers, leurs méthodes de travail et sur lequel leur formation initiale s’appuie.
  11.       En effet, bien que le MNEF recommande dans certaines circonstances de se repositionner, voire de se retirer de l’intervention, il préconise l’intervention immédiate dans d’autres[201] :

La première tâche d’un agent est de protéger la vie et de préserver la paix. […]

 

[…] Ainsi, une situation qui menace la sécurité publique pourrait commander une intervention immédiate. Par contre, les conditions peuvent être telle que l’agent peut attendre pour agir. Par exemple, la possibilité de couverture, l’arrivée imminente de renfort ou tout simplement le fait de pouvoir augmenter la distance avec le sujet peuvent permettre à l’agent de réduire momentanément la menace et repousser l’intervention à un moment où les conditions seront le plus favorables. L’agent doit donc tenir compte des facteurs suivants dans le processus « évaluation-planification-action » :

 

-          Gravité de la situation ;

-          Nécessité d’intervention immédiate ;

-          Possibilité de gagner du temps et de créer une distance

-         Potentiel de fuite.

 

[Nos soulignements]

  1.       Le Tribunal constate que de toute façon, les directives écrites de l’employeur, plutôt que de nuancer ou d’aménager différemment le travail, reprennent les principes énoncés dans les assises précédentes, confirmant par le fait même leur devoir d’intervenir afin de maintenir l’ordre ou assurer la sécurité du public.
  2.       La description d’emploi des contrôleurs routiers mentionne notamment :

[Le contrôleur routier]  

 

o        agit souvent seul lors de ses inspections et enquêtes. […]

 

o        exerce son statut d’agent de la paix et de constable spécial en tout temps et est chargé, dans le cadre des Lois et règlements sous la juridiction de CRQ et dans tous les cas, d’appliquer les procédures opérationnelles en vigueur. Il peut être appelé à procéder à la mise hors service d’un conducteur et dans certains cas, à restreindre la liberté d’un individu pouvant entraîner son arrestation, sa détention et sa comparution ;

 

[…]

 

[Le contrôleur routier], dans l’exercice de ses fonctions, a un impact déterminant sur :

 

-          la sécurité des usagers de la route, la protection du réseau routier […]­ ;

 

-          le maintien de la paix, de l’ordre et de la sécurité publique, la prévention du crime ainsi qu’aux infractions aux lois et en rechercher les auteurs ;

[…].

  1.       L’article 5.10 de la Politique sur l’exercice des statuts, pouvoir et devoirs du contrôleur routier[202], indique que l’organisation s’attend à ce que le contrôleur routier intervienne s’il est témoin d’un acte criminel au cours duquel l’intégrité physique d’une personne est menacée.
  2.       L’article 5.16 de cette même politique ajoute que le pouvoir discrétionnaire du contrôleur routier doit s’exercer en tenant compte des impacts sur la sécurité routière, notamment en faisant cesser l’infraction afférente à la conformité[203].
  3.       Le Tribunal ne retrouve pas dans ces assises la confirmation que le contrôleur routier pourrait se retirer de l’intervention, par exemple, en raison d’un simple malaise au niveau de sa sécurité, en toute conformité avec le rôle qu’on lui confie.
  4.       Une telle interprétation implique qu’on ne demande au contrôleur routier d’intervenir que lorsque l’individu collabore.
  5.       Or, le Tribunal est d’avis que le contenu de toutes ces assises prévoit explicitement le contraire.
  6.       Ainsi, même s’il est vrai qu’il doit se soucier de sa sécurité lorsqu’il intervient, le contrôleur routier doit tout autant se préoccuper de celle du public ainsi que de son mandat de faire appliquer la législation et de faire cesser l’infraction, s’il peut raisonnablement y arriver.
  7.       On lui demande de concilier, en même temps, ces trois considérations, toutes aussi importantes l’une que l’autre.
  8.       C’est ce qu’on enseigne au contrôleur routier à l’ÉNPQ, conformément aux balises établies au MNEF.
  9.       L’article 51 (3) de la LSST enjoint l’employeur de s’assurer que le rôle qu’il confie aux contrôleurs routiers est conforme aux assises applicables et bien compris de tous les intervenants, les travailleurs, comme les siens.
  10.       Ce que le Tribunal, en l’occurrence, ne constate pas.
  11.       Afin de corriger ce manquement, l’employeur doit par conséquent clarifier sa position sujet du mandat qu’il souhaite confier aux contrôleurs routiers lors des interventions sur route, en tenant compte du MNEF applicable et des méthodes de travail que l’on enseigne aux contrôleurs routiers.
  12.       L’employeur devra ensuite s’assurer de concrétiser clairement ce résultat dans l’ensemble de ses directives, implicites et explicites, verbales et écrites, cela, afin de contrôler le facteur de risque associé à l’ambiguïté du rôle.
  13.       Il importe en effet qu’il se dégage de l’ensemble une compréhension commune et cohérente de l’organisation du travail ainsi que des méthodes et techniques de travail, sécuritaires pour les contrôleurs routiers, lors des interventions sur route.

La trop grande tolérance des contrôleurs routiers au risque d’agression

  1.       Le PGQ s’est interrogé lors de l’argumentaire sur la qualité des décisions prises par les témoins de la Fraternité lors des interventions qui ont servi d’assises aux contestations.
  2.       Le PGQ la jugeait fautive, puisque les contrôleurs routiers concernés n’ont réalisé l’existence du danger, que lorsqu’il était déjà trop tard.
  3.       Le PGQ considérait leurs choix comme démontrant un manque de jugement de leur part, sinon de la témérité ou encore de l’insouciance. Il soutenait que le Tribunal, dans ces circonstances, ne pouvait valablement appuyer son analyse sur de tels fondements.
  4.       Bien que le Tribunal ne qualifie pas leurs réactions de la même manière, ni ne leur en attribue les mêmes causes, le Tribunal est d’avis que le constat du PGQ demeure pertinent, pour les raisons suivantes.
  5.       Le Tribunal remarque en effet lui aussi le retard des contrôleurs routiers à réaliser le danger.
  6.       Comme le souligne le PGQ en argumentaire, la situation afférente au dossier 1280669 en constitue un bon exemple. 
  7.       Rappelons qu’à cette occasion, le conducteur du véhicule lourd ne s’immobilise pas lorsqu’on le lui demande. Les contrôleurs routiers doivent par conséquent le suivre à basse vitesse sur une certaine distance, en pleine nuit.
  8.       Lorsque le tracteur quitte la route afin de s’engager dans un champ non éclairé, les contrôleurs routiers l’y suivent.
  9.       Ces agents d’expérience ne prennent conscience du danger pour leur sécurité que lorsque l’agression se matérialise, c’est à-dire lorsque l’individu actionne la pelle et leur fonce dessus.
  10.       L’un des contrôleurs routiers impliqués rapporte dans le rapport circonstancié :

À ce moment, le tracteur étant assez gros, nous avons cru qu’il voulait simplement entrer sur sa terre afin de s’immobiliser à un endroit sécuritaire, nous ne ressentions aucun potentiel de danger à ce moment. À noter qu’en période de récoltes, ce n’est pas rare de voir des tracteurs circuler à cette heure. […] J’ai senti que l’intervention venait de basculer vers une intervention difficile car au milieu de son virage, la manœuvre du conducteur a été de relever la pelle à la hauteur des vitres de notre véhicule afin d’enligner le tracteur directement sur nous et de charger notre véhicule.

 

[…] Pendant que nous évitions les impacts et gardions le tracteur à distance, ressentant le danger, nous avons tenté d’appliquer les principes édictés par l’ÉNPQ afin de localiser la sortie afin de fuir le danger.

  1.       Le témoin Gallant, lors de son témoignage, demeure encore surpris de la tournure des événements. Il ajoute spontanément qu’encore aujourd’hui, il ne dispose pas de balises claires qui lui auraient permis de réaliser plus tôt la gravité de la situation.
  2.       Notons que le témoignage du contrôleur routier Bégin est au même effet.
  3.       Ce dernier indique, relativement à une intervention en présence d’arme à feu survenue en 2019, pour laquelle d’autres dérogations non contestées ont été émises[204], n’avoir réalisé qu’après coup la gravité de la situation, cela bien qu’il s’agisse objectivement d’une situation considérée par les policiers de critique.
  4.       Toutefois, ce comportement, on ne le retrouve pas que dans les témoignages des contrôleurs routiers, comme le PGQ le laisse entendre, lors de son argumentaire.
  5.       En effet, le Tribunal note dans les rapports déposés au dossier administratif que plusieurs de leurs collègues poursuivent eux aussi leurs interventions sans modifier leur stratégie, même lorsqu’ils sont en présence, comme dans le cas du dossier 1280669, de plusieurs signes annonciateurs d’agression ou encore, même lorsque leur rapport de force est défavorable.
  6.       Ainsi, bien qu’il arrive que certains contrôleurs routiers demandent du renfort de manière préventive, dès qu’ils notent certains signes annonciateurs d’agression, comme le refus d’obtempérer, la majorité attend de voir si elle ne pourrait pas calmer l’individu par ailleurs agité et injurieux, avant de revoir la stratégie.
  7.       Comme l’indique dans son rapport l’expert Berniqué, spécialiste de l’emploi de la force, ancien policier et formateur à l’ENPQ, cette approche n’est pas sécuritaire.
  8.       Selon lui, l’agent de la paix est en effet tenu d’appliquer le processus méthodique d’intervention préconisé par le MNEF, en établissant une stratégie sécuritaire, présentant des conditions gagnantes, dès le départ, indépendamment de son déroulement subséquent.
  9.       De plus, lorsqu’une variable change et que cet élément a pour effet de défavoriser le rapport de force du contrôleur routier, ce dernier devrait dès lors immédiatement réviser son plan d’intervention, quitte à se repositionner tactiquement et envisager les autres solutions, comme celle de se retirer de l’intervention.
  10.       Or, ce n’est pas ce que constate le Tribunal : les contrôleurs routiers effectuent cette analyse critique de manière réactive plutôt que de manière préventive, lorsque l’agression s’est déjà matérialisée, alors qu’ils ne disposent pourtant plus des mêmes moyens et qu’il est souvent bien trop tard pour réviser leur stratégie de manière efficace.
  11.       Tenant compte des enseignements du MNEF et des impératifs de prévention de la LSST, le Tribunal estime qu’on ne peut pas attendre le passage à l’acte, comme on le lit dans les rapports déposés à l’audience, avant de se repositionner tactiquement, particulièrement :

-          si l’on patrouille en solo ;

-          lorsqu’on constate la commission en pleine vue d’une infraction ;

-          si l’on note la présence d’arme à feu

-          ou encore lorsque le rapport de force est défavorable, comme lorsque l’intervention s’effectue en nombre inférieur de contrôleurs routiers par rapport aux individus interceptés.

  1.       C’est la raison pour laquelle le Tribunal est d’avis que l’employeur doit revoir l’article 5.3 de la Politique afin que le texte reflète les principes de précaution enseignés à l’ÉNPQ, afférents au MNEF.
  2.       En effet, le contrôleur routier ne devrait pas attendre que la situation « dégénère de façon dangereuse » ni qu’elle « représente un éventuel danger pour la sécurité », avant de rectifier sa stratégie, comme le libellé de cet article le laisse entendre.
  3.       L’employeur devra par conséquent réviser cet article, afin de clarifier cet aspect et s’assurer que son interprétation et incidemment, son application, se corrèlent aux impératifs de prévention de la LSST.
  4.       Le Tribunal estime que cette mesure est susceptible de sensibiliser les intervenants sur cet enjeu, non seulement les contrôleurs routiers, mais également les représentants de l’employeur, qui sont responsables de coordonner le travail, de le superviser, en conformité avec les directives applicables.

Le manque de cohérence et l’absence de balises

  1.       Plus encore, la lecture de ces rapports montre également qu’il n’existe pas non plus de véritable cohérence ou de cohésion entre les contrôleurs routiers quant à l’appréciation du risque, quant aux choix des mesures leur permettant de rectifier la situation ou quant à l’opportunité de les mettre en œuvre.
  2.       Le directeur général du soutien aux opérations, le président de la Fraternité ainsi que le contrôleur routier Babin reconnaissent lors de leur témoignage que l’évaluation que fait le contrôleur routier du risque d’agression et du choix des moyens est variable : tous n’évalueront pas la même situation de la même façon.
  3.       Le directeur général du soutien aux opérations confirme à l’audience que cette variabilité découle de la volonté de l’employeur de protéger l’autonomie décisionnelle du contrôleur routier, celle qui lui permet d’adapter son intervention au gré des circonstances, comme le MNEF le préconise.
  4.       Le Tribunal est cependant d’avis que laisser aux travailleurs l’entière discrétion d’apprécier le risque et de déterminer si l’intervention s’effectue dans des conditions sécuritaires équivaut à leur en déléguer la responsabilité ou encore à les rendre, comme on le disait erronément dans les politiques précédentes de l’employeur, les premiers responsables de leur sécurité.
  5.       Il est au contraire de la responsabilité de l’employeur de s’assurer que les méthodes et techniques d’intervention qu’utilisent les contrôleurs routiers, tant celles préconisées dans les directives, que celles appliquées sur le terrain, sont véritablement sécuritaires.
  6.       Comme l’indique la Fraternité en argumentaire, le seul fait de leur rappeler qu’ils ont la faculté de se repositionner tactiquement, n’est pas suffisant.
  7.       Une telle mesure ne sera véritablement efficace, et par conséquent sécuritaire, que si les travailleurs sont en mesure d’apprécier avec justesse le risque d’agression auquel ils sont exposés et s’ils effectuent cette évaluation en temps opportun.
  8.       Ils doivent également savoir quoi faire lorsque cette situation se présente[205].
  9.       Comme l’indique le témoin Ricard, président de l’Association des policiers et policières du Québec, même s’il n’existe pas de réponse comportementale unique à une situation donnée, il est possible de dégager de l’ensemble des options ou des solutions plus adéquates ou appropriées.
  10.       Ce qu’actuellement, la preuve prépondérante ne démontre pas.
  11.       Ce sont les raisons pour laquelle l’employeur, afin de satisfaire à l’obligation que lui impose l’article 51 (3) de la LSST, doit identifier les balises ainsi que les paramètres sécuritaires afférents à l’intervention lors du contrôle sur route.
  12.       Soulignons que ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’on incite l’employeur à le faire, puisque plusieurs intervenants le lui ont aussi explicitement recommandé, comme on le constate :

-          lors de l’intervention du 12 février 2010 de l’inspectrice portant sur le suivi de dérogations auparavant émises :

[La Fraternité] soulève le fait que les interventions à risque n’ont pas été abordées dans le document, essentiellement parce qu’aucune procédure de travail n’a été développée en lien avec ces situations.

 

J’ai contacté [l’employeur] à ce propos. Celle-ci me mentionne que le guide de prévention élaboré est évolutif. [Elle reconnaît que si] de nouvelles procédures de travail sont élaborées, pour lesquelles des aspects de santé et sécurité du travail sont en cause, le guide de prévention devrait être modifié en conséquence.

 

[…]

 

Afin de rencontrer l’obligation prévue à l’article 51.3 de la LSST, à savoir s’assurer que l’organisation et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir sont sécuritaires, l’employeur devra développer les procédures associées à chacune des interventions à risque précitées.

 

[Nos ajouts]

 

-          dans le rapport du 11 novembre 2010 de l’inspecteur, à la suite de l’exercice du droit de refus :

En ce qui concerne les interceptions régulières de véhicules à des fins de vérifications mécaniques, je demande :

 

[…]

À l’employeur de me déposer, d’ici 10 jours, un protocole contre les agressions qui permettra de formaliser les actions prévues à titre préventif [formation de personnel – comment reconnaître, comment réagir, etc.] les engagements de la direction, […]

 

-         dans le rapport d’analyse de l’APSSAP du 13 avril 2021 :

Risque d’agression verbale et physique lors de l’ouverture de la porte et de l’inspection de chargement […]

 

Recommandations / Pistes de solution

 

- Formaliser une procédure pour l’ouverture de l’espace de chargement qui comprend notamment l’évaluation du risque d’agression et d’être en retrait

- Avoir une procédure sur la disponibilité et les délais pour donner de l’assistance

- Formaliser que l’inspection à l’intérieur de l’espace de chargement doit se faire à deux agents

 

-          ainsi qu’encore dans le rapport d’intervention de l’inspectrice du 12 avril 2022, afférent au dossier 1280669 : 

Selon les informations recueillies, cette formation [initiale à l’ENPQ] couvre les interceptions à risques faible […]. Ces situations dépendent de la perception du danger et des possibilités de fuite par les travailleurs. […]

 

Selon les documents remis par l’employeur, en lien avec la formation des contrôleurs routiers et les procédures élaborées, nous ne pouvons conclure que les méthodes et techniques à appliquer sur le repli stratégique et sur les lieux à risque sont abordés.

 

Les contrôleurs impliqués dans l’événement possèdent plusieurs années d’expérience dans leur travail [mais leur] formation initiale de l’ENPQ remonte à plusieurs années. […]

 

L’employeur doit s’assurer de mettre en place des mesures permanentes afin de prévenir la survenance d’un autre événement du genre lors de l’interception d’un véhicule.

 

Nous demandons à l’employeur d’assurer la mise à jour de la procédure portant sur les interceptions sécuritaires en y détaillant notamment les notions […]. Par la suite, nous demandons à l’employeur d’informer et de former les travailleurs susceptibles de mettre en œuvre les méthodes d’interception de véhicule sécuritaires.

 

[Notre ajout]

  1.       Le faire n’empêchera pas le contrôleur routier d’exercer son jugement, mais lui permettra plutôt de s’assurer que le choix de sa stratégie fasse à tout le moins partie des options véritablement sécuritaires.
  2.       Dans une perspective de permanence, une fois ces balises identifiées, l’employeur devra non seulement s’assurer de les intégrer dans ses procédures, mais devra également, comme l’inspectrice l’indiquait dans le dossier 1280669, prendre des mesures afin de les faire connaître de tous les contrôleurs routiers et ensuite vérifier qu’on les applique sur le terrain, de manière pérenne[206].

La méconnaissance du mandat des contrôleurs routiers

  1.       Bien que les contrôleurs routiers comprennent bien les limites de leur rôle, le Tribunal note qu’il demeure confondant pour la clientèle.
  2.       Or, même si l’employeur indique avoir pris les mesures nécessaires afin de mieux le faire connaître de la population, le Tribunal, lui, n’en constate pas les effets.
  3.       Soulignons qu’il s’agit d’une problématique relevée par plusieurs experts au fil des années.
  4.       L’expert Ouimet en parlait déjà dans son rapport en 2003 :

Un des problèmes de sécurité relié au travail des contrôleurs routiers est celui des perceptions et croyances fausses que peuvent avoir les usagers de la route à leur sujet.

  1.       L’expert Dupont indiquait à ce sujet en 2011 :

Le recours à certains de ces pouvoirs peut cependant susciter chez les usagers des manifestations de résistance, d’hostilité et d’agressivité, exacerbées par le fait que les pouvoirs des contrôleurs diffèrent dans leur étendue et dans leurs conditions d’application des pouvoirs des policiers avec lesquels ils sont plus familiers.

  1.       Des contrôleurs routiers ont aussi rapporté cette difficulté à l’expert Boivin en 2020.
  2.       En effet, lors de sa cueillette d’information, plusieurs lui ont spontanément indiqué que les interventions auprès de citoyens étaient souvent plus ardues que celles effectuées auprès des chauffeurs-salariés d’entreprises.
  3.       Le contenu des rapports déposés au dossier du Tribunal le confirme également.
  4.       L’ensemble démontre de manière prépondérante que les contrôleurs routiers doivent encore fréquemment composer avec la réaction acrimonieuse suscitée par la méconnaissance de leur rôle lors des interceptions sur route, comme on le constate dans les exemples contemporains suivants :

-          5 juillet 2023 : […] je sors de mon autopatrouille identifiée et informe l’individu […] qui se dirige vers mois de manière agressive. Je l’informe qu’il est en état d’arrestation pour menace et intimidation. Ce dernier se décharge émotivement, me dit que je vais le regretter, que je n’ai pas le droit de faire ça.

-          28 août 2023 : […] visage rouge, transpiration, mouvements répétitifs, agitation agressive, poings fermés, regard furieux. Il est agressif envers nous, nous dit à plusieurs reprises que l’on n’a pas à faire à lui. Mon collègue tente de lui dire le pourquoi de l’intervention (longueur hors norme) ce dernier ne veut rien comprendre.

-          16 octobre 2023 : […] Le conducteur est sorti de sa camionnette et criait déjà après nous. Mon collègue a tenté de faire une approche mais ce dernier ne voulait rien entendre. […] Il fait des va-et-vient du véhicule vers nous. Il nous dit qu’il n’a pas à s’identifier parce qu’on n’est pas des « bœufs ». […] Il répond : « pour qui tu te prends, [sacre], vous n’êtes pas des bœufs.

  1.       Comme l’indique l’expert Berniqué, lui-même ancien instructeur à l’ÉNPQ, la légitimité du rôle est un facteur pertinent, qui participe au contrôle du risque d’agression.
  2.       Le Tribunal constate, dans les rapports déposés à l’audience, que cet élément précède même bien souvent le passage à l’acte.
  3.       Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que l’employeur doit prendre des mesures additionnelles afin de s’assurer que la clientèle desservie sur les routes comprenne mieux le rôle des contrôleurs routiers, afin que ces derniers puissent intervenir de manière plus sécuritaire auprès d’elle.
  4.       Conformément aux impératifs de prévention de la LSST, le Tribunal rappelle à l’employeur qu’il devra également s’assurer de la permanence de ce correctif, en vérifiant l’efficacité de ses campagnes, quitte à les répéter et les renouveler, selon le besoin, à une fréquence raisonnable.

La nécessité d’une meilleure coordination avec les corps policiers

  1.       Le Tribunal précise que la preuve de l’employeur, à cet égard, est loin d’être convaincante.
  2.       En effet, les rapports déposés au dossier du Tribunal démontrent en certaines circonstances une coordination déficiente avec les corps policiers, un facteur qui prolonge les délais d’assistance et contribue à l’aggravation du risque auquel les contrôleurs routiers sont exposés.
  3.       Même si l’employeur indique que des canaux de communication existent entre Contrôle routier Québec, les corps policiers municipaux et provinciaux, il ne présente pas de preuve permettant de constater l’efficacité de cette mesure sur le contrôle de ce facteur de risque.
  4.       Le Tribunal constate au contraire que ces difficultés demeurent encore trop souvent présentes.
  5.       À titre d’illustrations :

-          22 août 2017 : […], j’ai constaté que le véhicule est considéré comme volé. […] Je suggère […], une collaboration plus rapide des corps policiers. Une procédure qu’en cas de longue attente (de 11 :05 l’appel à la police de Longueuil et arrivée à 13 :28), on puisse remiser le véhicule pour ensuite leur transmettre le dossier.

-          3 septembre 2017 : […] nous avons reçu une assignation à une opération avec la police […]. L’opération visait, pour notre part, la vérification des autobus, taxis et limousines (possibilité de transport illégal) qui entrait au […]. Tel que demandé, nous nous sommes présentés au briefing qui avait lieu […] au poste de police […]. Lors de ce briefing, le responsable de l’opération a assigné les policiers […] en duo et prétendait que la clientèle visée […] cette journée-là, était les motards et les «gangs de rue». À notre grand étonnement, le responsable a assigné des «12» (en parlant des fusils de calibre 12) à trois duos et il a mentionné que les policiers sur le quart de soir (qui entraient plus tard) étaient pour aller les rejoindre (avant la fin de l’événement) avec des «carabines». Bien que l’opération fît partie de notre mandat, nous avons été étonnés de nous voir assigner une telle opération sachant que nous ne sommes pas armés alors que les policiers prévoyaient un armement supérieur à leur arme de service, pour des motifs de sécurité.

-          4 octobre 2018 :  […] Constatant le comportement suspect, j’ai fait une vérification CRPQ pour le conducteur. Il y eut un long délai avant d’avoir un retour. Par la suite, elle m’a posé plusieurs questions sur l’individu. […] ils m’ont demandé d’appeler le service de police le plus près. […] Elle m’a transféré à la SQ. La personne ne connaissait pas Contrôle routier. J’ai dû réexpliquer la situation à la répartitrice. L’appel a duré 16 minutes. J’ai senti que ma sécurité pouvait être en danger sans savoir pourquoi les policiers étaient demandés. […] Le processus est très long.

-          11 juin 2019 : […] avons placé un appel au CRPQ […] puisque celui-ci avait un permis de conduire sanctionné […] il était un peu agité […]. […] il ne nous a pas donné d’information sur l’individu autre qu’il était recherché. Il a reconfirmé notre position en nous disant qu’il était pour nous transférer au service de police […]. Nous attendons en ligne plusieurs minutes (plus de cinq minutes) et finalement une personne de la police […] prend notre appel. Elle semble confuse et ne sait pas pourquoi l’appel est arrivé jusqu’à elle. […] durant l’appel avec le service de police […], nous avons été placés en attente plusieurs fois. La durée de l’appel au CRPQ incluant les communications avec la police […] est de 20 minutes. Par la suite, deux voitures de police […] se sont présentées sur place. La policière avec qui nous avons eu le premier contact ne savait pas pourquoi elle devait se présenter à nous. […] La situation s’est bien terminée par l’arrestation du conducteur fautif. Par contre, [tenant compte] de l’information sur l’individu que nous avions devant nous et qui a été en attente pendant de très longues minutes, [la situation] aurait pu s’avérer dangereu[se]. Il y a eu confusion dans les communications entre le CRPQ et le service de police. Nous avons été trop longtemps en attente sans avoir aucun renseignement et ce, avec un chauffeur qui venait fréquemment parce que c’était long ; [Nos ajouts]

-          27 novembre 2019 : […] Lors de la vérification du conducteur au CRPQ le préposé de la sûreté du Québec […] m’avise que je devrais contacter un corps policier. […] on transfère mon appel […]. En ligne avec la préposée de la SQ, on prend plusieurs minutes en posant plusieurs questions avant d’envoyer un véhicule sur l’appel. J’ai demandé à plusieurs reprises [quelle était] la nature du mandat, […] si je devais craindre pour ma sécurité. […] Vu ma crainte pour ma sécurité et étant incapable de savoir la nature du crime […], j’ai barré les portes de l’autopatrouille et j’ai attendu à l’intérieur l’arrivée des policiers [qui] expriment une surprise que le conducteur ne soit pas en état d’arrestation, menotté et fouillé avant leur arrivée. On les informe qu’on ne peut pas arrêter quelqu’un pour mandat d’arrestation vue les contraintes à nos pouvoirs de constables spéciaux et que de toute façon on ne savait toujours pas la nature du mandat.

-          14 octobre 2021 : […] 10 :48 : J’ai avisé via les ondes radio notre centre de communication opérationnelle (CCO) que nous avons procédé à une arrestation en vertu du code criminel pour un véhicule volé et que nous avons besoin de la SQ sur place […]. 11 :05 : Le sergent de la SQ a rappelé le CCO et voulait savoir le numéro de plaque […]. 11 :14 : Le sergent de la SQ a rappelé le CCO et voulait avoir plus de précisions du lieu car les agents ne nous trouvaient pas. […] Lorsqu’on fait une demande d’assistance, même si on ne donne pas la plaque […] tout de suite, ils devraient venir dans les plus brefs délais…De toute façon, les policiers vont tout revérifier une fois rendus sur place.

-          11 mars 2022 : […] 14 :11 : Je loge un appel au 911 pour assistance policière [pour un véhicule volé] […]. 14 :30 : Les policiers n’étant toujours pas sur les lieux, je contacte à nouveau le 911, qui n’est pas en mesure de me dire si les policiers sont en direction. Après l’appel, je continue la vérification […]. 15 :09 : Les policiers n’étant toujours pas sur les lieux […] 15 :28 : Les policiers arrivent sur les lieux. [Nos ajouts]

-          28 juin 2022 : […] Lorsque j’explique la situation au policier celui-ci me stipule que je dois faire une plainte sur le site internet de la SQ (comme un simple citoyen) […]. Je l’informe que l’individu a déjà été arrêté pour menace et intimidation et que selon la Loi sur la police, [..] le corps policier doit prendre en charge l’individu arrêté et que le corps policier porte plainte contre celui-ci avec notre rapport. Celui-ci me stipule qu’il ne veut pas prendre le détenu, […].  

-          12 juillet 2022 : […] La préposée du CRPQ me mentionne également qu’en aucun cas, je ne dois laisser partir l’individu du lieu de l’interception. C’est avec le peu d’information en ma possession que je communique au 911 (10 :29) pour faire appel à la police […]. Ce n’est qu’à 10 :43 que l’agent […] se présente sur les lieux. […] Il me dit qu’il attend un autre duo de policier pour procéder à l’arrestation de l’individu. […] je vais voir le policier pour lui mentionner que je vais procéder à la remise des constats au conducteur. Le duo de policiers n’est toujours pas arrivé sur les lieux et le policier refuse de procéder à l’arrestation de l’individu et ce, même s’il y a trois agents du CRQ présents avec lui.

-          30 janvier 2023 : […] 14 :23 : J’ai avisé le centre de communication opérationnelle (CCO) par le radio que nous avons besoin du service de police […] 14 : 37 : Le répartiteur du service de police […] m’appelle et me dit qu’il ne peut me donner un délai d’intervention car il n’y a pas de policier disponible et me demande de l’appeler si la situation se dégrade. 15 :47 : les policiers arrivent […].

-          16 octobre 2023 : […] J’ai immédiatement demandé l’assistance de la police. La répartitrice du CCO […] me dit que la police ne sera pas là avant un bon moment. À ce moment, plusieurs personnes s’attroupent et commencent à nous injurier aussi. La tension monte et nous ne sommes plus deux agents et un conducteur, mais deux agents, un conducteur et plus de 10 personnes. […] Après l’intervention, nous avons contacté le CCO pour les remercier de leur excellent travail et de leur efficacité (très concis et directif). À ce moment, [notre collègue] du CCO nous mentionne qu’elle a dû faire face à plusieurs problématiques. La première est l’attente entre le transfert d’appel de la répartitrice de la SQ aux agents. La deuxième est que [notre collègue] a dû justifier notre intervention et expliquer à un agent SQ les pouvoirs d’arrestation qui nous sont afférés. Ce dernier était sceptique quant à nos pouvoirs. […].

  1.       Le Tribunal attire l’attention du lecteur sur le délai qui sépare dans plusieurs de ces exemples, l’appel aux corps policiers et leur arrivée sur les lieux de l’intervention.
  2.       Il faut se rappeler qu’encore jusqu’aux argumentaires, l’employeur ne demandait pas aux contrôleurs routiers de lui dénoncer systématiquement ce genre de problématique.
  3.       Le directeur général du soutien aux opérations reconnaît d’ailleurs en témoignage qu’il n’existe pas de registre permettant de compiler ce type de difficultés.
  4.       Il était même d’avis qu’il n’existait pas de difficulté particulière concernant le délai d’assistance avec les corps policiers.
  5.       Une affirmation que la preuve prépondérante réfute toutefois.
  6.       Comme l’indique l’expert Berniqué dans son rapport, la coordination efficace entre les partenaires, notamment les corps policiers, est un facteur qui participe au contrôle du risque d’agression :

La synchronisation et les sphères de responsabilité entre les partenaires, les employeurs et les employés lors du travail en équipe sont des conditions de succès sans précédent. Le temps de réponse et le déploiement des ressources, de support, peut représenter un risque considérable dans un rapport de temps et de distance. Ces éléments peuvent alimenter une crise et augmenter l’intensité de l’intervention. Ils ont un effet direct sur l’impatience, l’insécurité, l’instabilité, l’inquiétude, la certitude dans l’intervention.

  1.       L’expert Dupont recommandait d’ailleurs lui aussi de manière explicite à l’employeur, dans son rapport de 2011, faisant suite à l’exercice du droit de refus, de s’y pencher :

Que des discussions soient engagées par Contrôle routier Québec avec les principaux acteurs du monde policier, via les mécanismes de partenariat existant, afin d’établir des initiatives formelles de communication et de coordination, dans l’objectif de renforcer la sécurité des interventions.

 

  1.       Ainsi, bien que l’employeur ait fait certaines interventions ponctuelles avec des corps policiers, par exemple en 2021, afin de coordonner ses activités en raison de fusillades dans les rues de Montréal, le Tribunal conclut au vu de la preuve prépondérante que ces mesures ne sont pas suffisantes.
  2.       Elles ne permettent pas à l’employeur de satisfaire son obligation que lui impose l’article 51 (3) de la LSST, d’assurer aux travailleurs une organisation du travail, ainsi que des méthodes et techniques afin de l’accomplir de manière sécuritaire.
  3.       L’employeur devra par conséquent s’assurer d’améliorer cette coordination avec l’ensemble des corps policiers, et incidemment contrôler le facteur de risque associé aux délais d’assistance.

L’absence de plan de contingence

  1.       Le Tribunal constate finalement qu’en dépit du besoin grandissant d’assistance policière[207] et par conséquent de la prévisibilité d’une telle occurrence, il n’existe aucune procédure, directive ou plan de contingentement précisant ce que doivent faire les contrôleurs routiers lorsque le délai d’assistance est long, voire trop long.
  2.       Soulignons qu’il s’agit d’une problématique que l’inspecteur soulevait déjà, dans son rapport d’intervention afférent au droit de refus de 2010 des 13 contrôleurs routiers.
  3.       L’inspecteur exigeait alors, en raison de celle-ci, la mise en œuvre de mesures, qui ne sont toujours pas réalisées par l’employeur :

Étant donné ce qui suit :

 

[…]

 

2. Les contrôleurs routiers possèdent les pouvoirs de constables spéciaux. Dans l’exercice de leurs fonctions, il leur est demandé de vérifier l’application de certains aspects du Code criminel notamment ceux portant sur les armes à feu. En fonction des résultats de leur vérification, les constables peuvent saisir des documents ou des armes, procéder à l’arrestation des suspects, menotter les suspects, procéder à la lecture des droits, la fouille;

 

3. Les contrôleurs routiers, lorsqu’ils appliquent leurs pouvoirs de constables spéciaux, sont face à des individus au comportement social imprévisible […] ;

 

4. Les contrôleurs routiers œuvrent sur l’ensemble du territoire. Ils sont régulièrement loin des centres urbains et ils sont dépendant de l’arrivée des policiers pour assurer leur protection. Or, le délai d’intervention des services policiers est variable d’une fois à l’autre et peut dépasser plusieurs minutes.

 

5. Des véhicules de contrôleurs routiers ne possèdent pas d’écran d’isolement et ne sont pas conçus pour accueillir les suspects menottés ou arrêtés.

 

Décision

 

En vertu des pouvoirs qui me sont conférés […] à la suite du refus de travail […], je détermine qu’il existe un danger justifiant ces travailleurs à refuser d’exécuter leurs tâches de constables spéciaux […]

 

Afin d’éliminer ce danger, les mesures suivantes ou tout autre mesure jugée équivalente par l’inspecteur doivent être mises en application avant que le travail de constable spécial ne reprenne :

 

[…]

       Fournir des véhicules permettant d’accueillir sécuritairement les personnes arrêtées.

  1.       Or, comme on le constate dans ce rapport du 30 janvier 2023, la problématique afférente à l’absence de plan de contingentement demeure encore entière :

Suivant la menace proférée par le conducteur, [le contrôleur routier] procède à l’arrestation du conducteur à 14h20 en vertu de son acte de nomination comme constable spécial. […]

 

14 :37 Le répartiteur du service de police [..] dit qu’il ne peut me donner un délai d’intervention, car il n’y a pas de policier disponible et demande de l’appeler si la situation se dégrade.

 

15 :47 : les policiers arrivent. […]

 

Entre l’appel au service de police […] et l’arrivée des policiers à 15 :47, il a eu un délai de 1 heure et 24 minutes. Il y a absence de procédure si le délai d’attente pour un service de police devient déraisonnable.

 

Dans la procédure CE-PR-034, le point 5.15.8 prévoit que le contrôleur routier doit maintenir la personne détenue jusqu’à l’arrivée des policiers. […]

 

Cependant, malgré la requête du capitaine d’avoir une prise en charge rapide, aucun véhicule n’était disponible à ce moment.

 

La procédure est donc muette lorsque le délai devient déraisonnable.

  1.       Il s’agit d’une situation que le Tribunal du travail considérait comme dangereuse, susceptibles de mettre en péril la santé, la sécurité ainsi que l’intégrité physique ou psychologique des travailleurs[208].
  2.       Tenant compte de tout ce qui précède, l’employeur devra élaborer une directive ou des procédures, précisant ce que doivent faire les contrôleurs routiers lorsque les délais d’assistance des corps policiers sont trop longs afin que l’accomplissement de leur travail demeure, même dans ces circonstances, sécuritaire.

L’accès aux renseignements pertinents et l’armement (51 (3) LSST)

  1.       Les notions afférentes aux outils de travail, aux renseignements ou encore à l’armement ne sont pas explicitement prévues à l’article 51 de la LSST.
  2.       Le Tribunal constate par ailleurs que tous ces éléments sont les accessoires ou les considérations qui permettent l’application de méthodes ou techniques de travail sécuritaires.
  3.       C’est la raison pour laquelle le Tribunal analyse ces deux revendications de la Fraternité en s’appuyant encore une fois sur le 3e alinéa de l’article 51 de la LSST, afférentes aux méthodes et techniques de travail, plutôt que sur son 11e alinéa, traitant des équipements de protection, comme elle le proposait lors de son argumentaire, puisqu’il considère cette première avenue comme étant plus appropriée.

L’accès aux renseignements pertinents

  1.       Bien qu’on ait confirmé à plusieurs reprises au fil de l’historique du dossier leur importance pour la sécurité des contrôleurs routiers, la Fraternité dénonce le fait qu’on ne leur donne toujours pas accès aux renseignements pertinents leur permettant de planifier adéquatement l’intervention, comme le prône le MNEF. La Fraternité se réfère par exemple aux antécédents criminels des individus interceptés ou encore à la nature des mandats qui les visent. 
  2.       L’employeur ne partage pas son avis.
  3.       Selon lui, les travailleurs disposent de toute l’information nécessaire leur permettant de réaliser leurs tâches de manière sécuritaire, puisqu’il leur octroie un accès partiel, mais suffisant, au CRPQ.
  4.       Le PGQ est d’accord avec l’employeur. Il ajoute que la Fraternité ne démontre pas, selon lui, l’utilité objective des informations additionnelles qu’elle revendique.
  5.       Le Tribunal, pour sa part, éprouve de la difficulté à comprendre la position de l’employeur, puisque plusieurs intervenants, au fil de l’historique du dossier, y compris la Commission, au moyen de dérogations qu’il n’a pas contestées, lui ont signifié l’impact de cette lacune sur la sécurité des travailleurs.
  6.       Une lacune qui n’est toujours pas corrigée à l’heure actuelle.

      La nécessité des renseignements

  1.       La nécessité des renseignements revendiqués par la Fraternité, aux fins de l’accomplissement sécuritaire du travail des contrôleurs routiers, à titre d’agent de la paix, dans le cadre de leurs attributions régulières, tout autant qu’à titre de constable spécial, ne fait pour le Tribunal aucun doute.
  2.       Le Tribunal est en effet d’avis que l’article 51 (3) de la LSST, tout autant que les articles 51 (5) et 51 (9) de la LSST, l’obligent à fournir aux travailleurs les renseignements leur permettant :

-          d’appliquer de manière sécuritaire les méthodes de travail préconisées par le MNEF et enseignées à l’ÉNPQ,

-          d’identifier et de contrôler efficacement les risques lors des interventions sur route;

-          de les informer sur les risques reliés à leur travail, afin de l’accomplir de manière sécuritaire.

  1.       Le Tribunal rappelle, comme rapporté dans les motifs précédents, que les contrôleurs routiers sont actuellement exposés à un risque d’agression susceptible de leur causer des lésions physiques et psychologiques graves, n’excluant pas la mort.
  2.       Le Tribunal réitère que ce risque d’agression se matérialise fréquemment dans le cadre de leur travail, chaque année, depuis plusieurs années. Cette situation constitue pour eux un danger, que la LSST enjoint d’éliminer.
  3.       Le cadre de référence applicable aux agents de la paix, le MNEF, enseigné à l’ENPQ, recommande par ailleurs de prendre connaissance au préalable des renseignements qui concernent l’individu intercepté, comme les antécédents criminels, afin d’anticiper de manière plus efficace son comportement.
  4.       Le Centre de recherche et de développement stratégique de l’ÉNPQ constatait que l’existence d’antécédents criminels se corrélait fortement avec la survenance d’événements impliquant l’usage de l’arme à feu, par les corps policiers[209].
  5.       Le savoir est donc susceptible de protéger les contrôleurs routiers, lorsqu’ils effectuent des interventions sur les routes.
  6.       À l’inverse de ce que soutient le PGQ lors de son argumentaire, le fait que le contrôleur routier doive au préalable prendre contact avec l’individu intercepté avant de pouvoir obtenir les renseignements le concernant, en raison de la réalité de l’industrie du transport[210], ne réduit ni l’utilité ni la nécessité de ces informations : le Tribunal est plutôt d’avis que ces circonstances les rendent au contraire indispensables.
  7.       Comme l’indique l’expert Berniqué dans son rapport, le fait d’en être informé, même à cette étape, lui donne l’opportunité de modifier la stratégie et par conséquent, le protège.
  8.       Ajoutons, comme le mentionne l’expert Berniqué à l’audience, que ces renseignements influencent le choix du contrôleur routier quant à l’option de force appropriée eu égard aux circonstances.
  9.       Ces renseignements participent ainsi non seulement à la sécurité des contrôleurs routiers, mais également à celle du public en général, de même qu’à celle de l’individu impliqué lors de l’interception.
  10.       Le Tribunal est d’avis que c’est cette information qui permet le recours opportun et approprié, eu égard au rôle d’agent de la paix et conformément au MNEF, au repli stratégique ou même au retrait de l’intervention, lorsque la situation le requiert.
  11.       Communiquer ces renseignements aux contrôleurs routiers s’inscrit également dans une approche préventive, conforme aux impératifs de la LSST, que l’employeur doit endosser afin de respecter ses obligations.
  12.       Notons que plusieurs intervenants ont déjà souligné à l’employeur, au fil de l‘historique du dossier, l’importance de ces informations, eu égard à l’accomplissement sécuritaire de leur travail, comme :

-          l’expert Ouimet, dans son rapport de 2003 :

Ces informations apparaissent nécessaires au travail de contrôleur routier qui doit choisir l’approche qui sera privilégiée avec la personne. Il en va de la sécurité même des contrôleurs routiers, mais aussi du public sur les routes […] ;

 

-          un avocat de la SAAQ, signataire d’une opinion juridique du 29 octobre 2005 en faveur d’un accès élargi du CRPQ :

Dans la perspective de permettre aux constables spéciaux d’assumer [leurs] devoirs, il incombe à la Société de prendre toutes les mesures nécessaires pour que leur soient donnés les meilleurs outils pour accomplir leurs fonctions adéquatement. D’ailleurs, s’il s’avérait qu’un incident survienne compromettant notamment la sécurité publique et qu’il était alors démontré qu’une information contenue au CRPQ aurait pu permettre d’éviter un tel incident, ou encore que celle-ci aurait permis une intervention plus efficace et moins risquée, il nous apparaît que la Société pourrait être blâmée […]. Il apparaît incontestable que l’information constitue un atout indispensable à la réalisation d’interventions stratégiques contribuant à assurer, pour le moins, la sécurité publique tout comme celle des contrôleurs routiers ;

 

-          l’inspectrice, dans sa dérogation non contestée du 12 mai 2009 ;

-          l’inspecteur, dans sa décision non contestée et afférente au droit de refus des travailleurs du 11 novembre 2010  :

       S’assurer que les contrôleurs routiers, lorsqu’ils agissent à titre de constables spéciaux, aient un accès complet au CRPQ.

  1.          Rappelons qu’à la suite de l’exercice de ce droit de refus, les parties avaient décidé, afin de corriger les dérogations, de confier à l’expert Dupont le mandat de réévaluer la sécurité de l’ensemble des conditions de travail des contrôleurs routiers, comme l’avait fait auparavant, en 2003, l’expert Ouimet.
  2.          Or, l’expert Dupont, dans son rapport de 2011, conclut ce qui suit au sujet des difficultés afférentes à l’accès partiel du CRPQ :

Par ailleurs, l’exigence de relier la nature des informations communiquées à l’application d’une loi fait en sorte que certains éléments déterminants en matière de sécurité sont filtrés par les préposés de la SQ. Plusieurs contrôleurs routiers nous ont ainsi décrit des situations que nous qualifierons de surréalistes, lors desquelles une demande de renseignements sur un individu intercepté produisait une consigne de contacter le service de police le plus proche dans les meilleurs délais, sans autre forme de détail, pour voir arriver quelques minutes plus tard plusieurs véhicules toutes sirènes hurlantes afin d’arrêter l’individu qui s’avérait être lourdement recherché. Les contrôleurs routiers étaient alors informés par les policiers du lourd dossier criminel de la personne concernée et des risques auxquels ils avaient été exposés du fait des limites posées au partage des données. […]

 

Nous comprenons l’origine du « mur » dressé entre le CRPQ et le CRPQ afin de protéger les informations personnelles des citoyens, mais soustraire les préoccupations relatives à la sécurité des contrôleurs des motifs d’accès aux données policières nous semble difficile à justifier. En effet, le Guide des pratiques policières, publié par le ministère de la Sécurité publique à destination des corps policiers, spécifie bien que dans certaines situations à potentiel élevé de violence, les informations tirées du CRPQ doivent être utilisées afin de planifier l’intervention, dans un souci de sécurité des agents de la paix et des membres du public.

  1.       Le Tribunal note qu’en plus du contenu des témoignages entendus lors de l’audience, les rapports déposés au dossier administratif foisonnent eux aussi d’exemples démontrant l’utilité de ces renseignements sur la stratégie d’intervention ainsi que sur la sécurité des contrôleurs routiers.
  2.       Citons notamment :

-          28 août 2017 : […] Le conducteur s’est mis à faire des cris de mort dans sa cabine […]. J’ai fait une vérification au CRPQ, le préposé m’a dit que les infractions reliées aux véhicules lourds dataient de plus de cinq ans. Le préposé me déclare : je sais que je pourrais me faire taper sur les doigts si je te dis ce que je sais, mais pour ta sécurité, je vais juste te dire qu’il est fiché pour être violent, d’être prudent, de ne pas rester seul avec lui et de ne pas hésiter à communiquer avec la police au besoin et qu’il ne peut m’en dire plus. La présence d’esprit de ce préposé m’a permis de travailler tout en étant vigilant sur les agissements du conducteur. […] Il est clair pour moi que je faisais face à un individu potentiellement dangereux et que l’information transmise par le préposé m’a permis de confirmer mes craintes. Il serait de mise que les préposés du CRPQ puissent nous transmettre ce genre d’informations sans avoir peur de se faire taper sur les doigts, il en va de notre sécurité. Dans le présent cas, les signes précurseurs d’une agression étaient perceptibles et j’avais déjà demandé de l’assistance, mais ce n’était pas toujours le cas. Je déplore que notre accès aux informations du CRPQ soit si limité, nous n'avons besoin de connaître toute l’information personnelle concernant les individus, [seulement celle] susceptible de nous aider à mieux nous protéger ;

-          27 novembre 2019 : [..] Lors de la vérification du conducteur au CRPQ, le préposé de la sûreté du Québec me demande si je suis en présence du conducteur et m’avise qu’il a un mandat d’arrestation et que je devrais contacter un corps policier. […], on transfère mon appel avant que je puisse demander la nature du mandat. En ligne avec la préposée de la SQ, on prend plusieurs minutes en posant plusieurs questions avant d’envoyer un véhicule sur l’appel. J’ai demandé à plusieurs reprises, à savoir la nature du mandat, si le suspect était recherché pour un crime violent ou non et si je devais craindre pour ma sécurité. On me demande si le conducteur est coopératif et lorsque je réponds dans l’affirmatif, on m’informe que les policiers sont en route et qu’elle ne pouvait me dire plus sur le suspect. Vu une crainte pour ma sécurité et en étant incapable de savoir si la nature du crime que le conducteur était recherché pour, en ne sachant pas s’il avait des antécédents de violence dans son passé criminel, et ne sachant pas si le conducteur était au courant de son mandat d’arrestation, j’ai barré les portes de l’autopatrouille et j’ai attendu à l’intérieur l’arrivée des policiers de la sûreté du Québec. À l’arrivée des policiers, […] ils expriment une surprise que le conducteur ne soit pas en arrêt d’arrestation, menotté et fouillé avant leur arrivée ;

-          15 mars 2021 : […] le conducteur délire […]. Le conducteur […] démontre un tempérament agressif et impatient […]. Lorsque j’ai contacté le CRPQ à 20h50, la personne m’a informé que le conducteur était seulement connu […­] pour violent. Elle m’a alors demandé si le conducteur s’endormait. Intrigué par sa demande, je lui ai répondu que non et elle ne m’a pas donné plus d’informations et a complété l’appel en me disant qu’il n’y avait rien d’autre pour moi. […] Les agents de la sûreté du Québec […] sont arrivés sur les lieux à 21h16 […]. L’agent de la sûreté du Québec […] a demandé à la mère du conducteur une confirmation sur le fait que le suspect avait l’hépatite voire le VIH, information qui aurait été reçue du CRPQ. […]. Lors de mon appel au CRPQ, il n’y a eu aucune information qui m’a été transmise concernant un risque potentiel d’une maladie infectieuse transmissible (hépatite et/ou VIH), surtout que l’individu est fiché au CRPQ comme violent. Les informations me donneraient l’opportunité d’intervenir avec une approche différente et plus rapide en cas d’une dégradation de l’intervention surtout en ce qui a trait à la prise d’une décision majeure pour ma sécurité et celle de mes partenaires ;

-          12 juillet 2022 : […] Je décide de communiquer avec le CRPQ pour valider les informations et vérifier s’il y a des antécédents relatifs à la conduite de véhicules lourds. […] C’est alors qu’elle me demande dans quelle ville je me trouve et dans quel véhicule le conducteur se trouve. Elle me fait ensuite patienter sur la ligne pour me revenir après quelques instants en me disant de communiquer immédiatement avec le corps de police […] sans vouloir me donner la raison. […] Elle me mentionne également qu’en aucun cas, je ne dois laisser partir l’individu du lieu de l’interception. C’est avec le peu d’information en ma possession que je communique au 911 […]. C’est en discutant avec le policier que j’apprends qu’il y a un mandat contre le conducteur et que celui-ci devra être arrêté. […] il attend un autre duo de policiers pour procéder à l’arrestation de l’individu. […] Dans cette situation, l’accès total au CRPQ aurait pu changer la méthode de travail utilisée ; la position du véhicule, l’appel de patrouilleurs supplémentaires plus rapidement et l’appel des policiers. La nature du mandat et les antécédents du conducteur ne m’ont pas été divulgués, or je n’aurais probablement pas eu la même approche auprès du conducteur. […] Il s’agit d’une situation à laquelle nous pouvons faire face à n’importe quelle interception que nous effectuons dans le cadre de notre travail, mais le manque d’outil rend la situation difficile d’approche et les délais engendrés peuvent nuire à l’intervention de la sorte. On nous demande de communiquer auprès du CRPQ, mais l’information reçue n’est que partielle.

      L’effet de l’accès partiel

  1.       Le Tribunal rappelle qu’en sus de l’obligation de fournir aux contrôleurs routiers les conditions leur permettant d’appliquer de manière sécuritaire leurs méthodes et techniques de travail, l’employeur, en vertu de l’article 51 (9) de la LSST, doit également prendre les mesures afin d’informer les travailleurs sur la nature des risques auxquels il les expose dans le cadre de leur travail.
  2.       Ces exigences à l’égard de l’employeur se modulent à la hausse lorsque que les travailleurs sont exposés à un danger, susceptible de compromettre leur intégrité physique et psychologique.
  3.       Il est vrai que l’employeur octroie aux contrôleurs routiers l’accès à une partie des renseignements que collige le CRPQ.
  4.       L’employeur a en effet convenu avec le ministère de la Sécurité publique d’un protocole d’entente concernant la communication de renseignements consignés par le CRPQ.
  5.       Ce protocole d’entente donne ainsi aux contrôleurs routiers accès à certaines informations contenues au CRPQ, dans la mesure où cette information est nécessaire aux fins d’une poursuite ou à l’application d’une loi.
  6.       Le préposé du CRPQ est par exemple autorisé à confirmer aux contrôleurs routiers l’existence d’un mandat visant le conducteur ainsi qu’à l’informer des mises en garde applicables, comme un historique de comportements violents, les tendances suicidaires ou les risques de contagion.
  7.       Par ailleurs, même si la preuve prépondérante démontre que ces informations sont nécessaires à l’accomplissement sécuritaire de leur travail, l’entente n’autorise pas le CRPQ à communiquer par exemple au contrôleur routier en toute circonstance l’historique complet des antécédents criminels d’un individu, ni la nature du mandat qui les vise.
  8.       Cette mesure est par conséquent loin d’être adéquate ou suffisante.
  9.       Plus encore, la preuve prépondérante démontre que cet accès partiel, même s’il est utile, contribue dans certains cas à l’aggravation du risque auquel sont exposés les travailleurs, justement parce qu’il est incomplet. 
  10.       Notons d’abord que la procédure est fastidieuse. Il a souvent été question, lors de l’audience, des irritants qu’elle suscitait pour les contrôleurs routiers.
  11.       L’expert Dupont le dénonçait déjà dans son rapport, en 2011 :

[…] Les statistiques colligées par CRQ indiquent que l’utilisation mensuelle de l’accès au CRPQ est passée de […], soit une diminution de 44% en trois ans et demi. Comment expliquer une telle désaffectation, qui nous a d’ailleurs été confirmée sur le terrain […]?

 

La réponse réside certainement dans la lourdeur des procédures requises et la pauvreté des informations obtenues. Autrement dit, de nombreux contrôleurs estiment que le rapport coûts-bénéfices est défavorable et que l’accès au CRPQ dans son mode actuel ne leur est pas d’une grande utilité opérationnelle. En effet, la durée des interceptions est rallongée par la procédure d’appel téléphonique et d’authentification du demandeur par les préposés de la SQ.

  1.       Soulignons que le respect de la procédure convenue avec le ministère de la Sécurité publique non seulement allonge les délais d’intervention, mais son application connaît également des ratés : l’on ne donne pas toujours l’information convenue dans le protocole d’entente aux contrôleurs routiers.
  2.       De plus, selon l’expert Berniqué, laisser entendre au contrôleur routier qu’il pourrait y avoir un enjeu pour sa sécurité, sans par ailleurs lui en expliquer la nature, suscite de l’incertitude chez l’intervenant.
  3.       Or, comme l’indique le MNEF, l’insécurité de l’agent de la paix diminue son rapport de force et contribue par conséquent à aggraver le risque d’agression auquel on l’expose.
  4.       L’expert Berniqué indique, plus précisément, dans son rapport :

Le fait de ne pas permettre de recueillir tous les éléments pour l’intervention via le CRPQ, ne permet pas non plus une bonne analyse et une validation complète de la situation, elle ne permet pas de se préparer physiquement et mentalement à des conséquences parfois démesurées, allant jusqu’à une mauvaise évaluation de la menace, à la gestion des émotions, de crise et peut avoir une incidence sur les actions à poser et affecter le personnel […].

 

Ces éléments peuvent alimenter une crise et augmenter l’intensité de l’intervention. Ils ont un effet direct sur l’impatience, l’insécurité, l’instabilité, l’inquiétude et l’incertitude l’intervention.

  1.       Le contrôleur routier Babin confirme cet effet délétère sur ses interventions, lors de son témoignage.
  2.       D’autres contrôleurs routiers ont aussi exprimé à plusieurs reprises, dans les rapports communiqués à l’employeur, leur malaise à l’égard de cet accès partiel, allant même jusqu’à dénoncer plusieurs situations tout aussi surréalistes que celles évoquées dans le rapport de l’expert Dupont. 
  3.       On le constate dans les exemples suivants :

-          4 avril 2016 : J’ai été appelé pour une assistance à la police de […]. À mon arrivée sur les lieux, les policiers m’informent qu’il s’agit [d’un individu], qui s’est enfui […]. Le conducteur aurait été très impoli avec le commis […]. Les policiers me demandent si la réglementation est respectée le concernant. J’ai fait mon travail sans plus d’informations, sur le dossier du conducteur. Plus tard dans l’intervention, alors que j’ai passé plusieurs minutes avec le conducteur, les policiers m’informent de manière non exhaustive que le conducteur n’est pas un enfant de cœur et est énormément relié avec des relations du monde interlope. Lorsque j’ai fait la vérification du CRPQ auprès de la SQ, la personne […] m’informe que le conducteur n’a rien en rapport avec la conduite du véhicule. Je lui dis : rien d’autre ? Il m’indique que non. Je lui dis que j’ai de l’information de la sûreté municipale qu’il ne serait pas un enfant de cœur et qu’il faut que je me méfie et il m’indique que ça ressemble à cela. Je lui dis merci et la communication fut terminée. Je crois qu’il s’agit d’une situation où j’aurais dû à tout le moins être plus informé que cela.

-          4 octobre 2018 : […] Constatant le comportement violent de l’individu, j’ai fait une vérification CRPQ pour le conducteur. Il y eut un long délai avant d’avoir un retour. Par la suite, elle m’a posé plusieurs questions sur l’individu. Elle m’a demandé s’il était avec des personnes en particulier. Après vérification, ils m’ont indiqué d’appeler le service de police le plus près. J’ai demandé pour quelle raison ? A-t-il une mention « violent »? Elle m’indique de communiquer avec le service de police le plus près, car il y aurait un problème avec ses conditions. Pourtant, elle aurait dû me donner ses conditions. Elle m’a transféré à la SQ. L’appel a duré 16 minutes. J’ai senti que ma sécurité pouvait être en danger sans savoir pourquoi les policiers étaient demandés. […] Le conducteur était en interdiction d’avoir en sa possession des armes à feu et des outils. Le CRPQ ne m’a jamais donné ces informations. […] Deux semaines plus tard, […] l’enquêteur m’a appris que la marchandise était probablement volée et qu’il s’agit d’un gros réseau criminel opérant dans le vol de nourriture.

-          11 juin 2019 : […] lors d’une interception […] avons placé un appel au CRPQ pour une vérification d’un individu […] agité […]. Lors de l’appel, nous donnons les informations de l’individu au répartiteur du CRPQ. Il fait ses recherches tout en nous demandant si nous étions sur le bord du chemin en nous demandant notre positon et notre secteur. Le répartiteur ne nous a pas donné d’information sur l’individu autre qu’il était recherché. Il a reconfirmé notre position en nous disant qu’il était pour nous transférer au service de police […]. Nous demandons si l’individu est violent ou dangereux, mais sans réponse. […] nous dit qu’elle va envoyer une voiture quand quelqu’un se libérera. Nous demandons encore une fois si l’individu est dangereux puisqu’il est toujours devant nous et qu’il attend. […] La durée de l’appel au CRPQ incluant les communications avec la police […] est de 20 minutes. Durant ces minutes, nous avons demandé à plusieurs reprises si l’individu devant nous était violent ou dangereux. Personne ne nous a répondu. […] Nous avons été trop longtemps en attente savoir avoir aucun renseignement et ce, avec un chauffeur qui venait nous voir fréquemment parce que c’était long.

-          20 novembre 2019 : […] J’ai logé un appel au CRPQ à 13 :47. Le répartiteur m’informe que le conducteur est recherché/mandat. Il me transfère donc aux autorités locales de la SQ. Les patrouilleurs se mettent en direction. Nous continuons notre travail car il y a plusieurs infractions au Code de la sécurité routière. Le conducteur trouve que c’est long et me dit ‘’ de toute façon, vous ne pouvez rien faire pour mon mandat’’. […]  Après vérification au plumitif, le conducteur avait plusieurs sentences au code criminel, pour entre autres, usage de fausse arme à feu lors de la perpétration d’une infraction, omission de se conformer à un engagement ou à une promesse, vol de moins de 5000$, vol qualifié, possession d’outils de cambriolage et fraude. Notez qu’en aucun cas le CRPQ m’a mentionné pourquoi le conducteur était mandat. Il s’est écoulé 18 minutes entre mon appel et l’arrivée des policiers.

-          7 août 2020 : […] J’ai téléphoné au CRPQ […].  Concernant le conducteur, le préposé m’a informé que la dernière inscription était du mois d’août 2016. Cependant, rien ne concernant la conduite du véhicule. Le préposé semblait toutefois inquiet pour ma sécurité […]. Il m’a questionné sur l’individu, le véhicule conduit, son apparence physique, sa provenance et sa destination et plusieurs autres questions. Il m’a proposé de faire rapprocher une auto-patrouille en prévention puisque malgré le fait que rien ne concernait la conduite du véhicule, plusieurs autres inscriptions étaient présentes à son dossier. Il m’a informé qu’il était connu comme violent et qu’il pouvait être armé. […] Le préposé m’a confirmé […] qu’il est un membre actif des Hell’s Angels. Suite à quelques recherches [personnelles] j’ai constaté qu’il s’agit effectivement d’un membre actif qui a été un criminel hautement recherché par les policiers depuis quatre ans. Selon un article du journal de Montréal, trouvé sur le web, il aurait été mis en accusation dans plus de 22 dossiers de meurtre et complot pour meurtre. […] Le fait de pouvoir consulter directement le CRPQ sur notre terminal véhiculaire permettrait de réduire le temps que l’on doit passer au téléphone avec un préposé du CRPQ afin d’obtenir les informations. Le présent rapport est rédigé de manière proactive afin d’éviter qu’une situation de ce genre puisse connaître une fin malheureuse.

-          9 février 2021 : [..] J’intercepte [seul] l’ensemble de véhicules […] Je contacte le CRPQ […] et demande de l’information sur le conducteur. La personne du CRPQ prend quelques minutes pour lire les informations que j’ai demandées sur le conducteur du camion lourd intercepté. La personne du CRPQ m’informe que le conducteur a une interdiction d’avoir des armes à feu et qu’il est identifié comme violent. Il me dit également : « Il y a plusieurs autres choses, sauf je ne peux pas vous en parler ! ». Ce qui me laisse savoir que le conducteur a un dossier criminel très garni. Pour finir, il me répond que la dernière inscription est en 2021. Ensuite, il me dit : « Je te laisse avec ton bon monsieur (sarcastiquement) ». […] Le conducteur est agressif et arrogant, de plus, il a les poings de plus en plus serrés sur son volant, tellement que ses mains sont devenues rouges. Ensuite, j’ai contacté un collègue pour assistance, car le conducteur démontre des signes d’agressivité envers ma personne et il est imprévisible (bombe à retardement). […] Il nous manque plusieurs informations importantes pour effectuer notre travail en toute sécurité et correctement. [Nos ajouts]

-          2 juin 2022 : […] Lors de cet échange avec la préposée du CRPQ, celle-ci m’a posé de multiples questions portant sur la nature du véhicule conduit, la plaque d’immatriculation du véhicule conduit, le lieu très précis de l’interception et elle voulait savoir si le conducteur était seul ou accompagné. J’ai par la suite demandé à la préposée du CRPQ si l’homme était recherché ou s’il était une personne d’intérêt pour les services policiers et elle a voulu mettre fin à la conversation en disant que le conducteur n’avait rien à son dossier concernant la conduite de véhicule lourds. J’ai posé une seconde fois la question à savoir s’il était une personne d’intérêt ou s’il était connu comme une personne violente et la préposée m’a répondu qu’elle ne pouvait pas me donner cette information, qu’elle pouvait seulement me dire que le conducteur que j’avais intercepté était une personne « pas fine ».

-         9 juin 2022 : […] Après avoir donné les informations requises au préposé du CRPQ, celui-ci nous a mentionné que le conducteur avait une mise en garde dans son dossier concernant des actes de violence perpétrés dans le passé et qu’en 2020, il avait un dossier concernant de la violence impliquant une ou des armes à feu. Nous avons questionné le préposé pour savoir si le conducteur était recherché par les policiers et après un moment de silence au téléphone, l’homme au CRPQ nous mentionne de faire appel au service de police local parce que le conducteur était une personne d’intérêt pour eux et nous mentionne qu’il ne peut nous en dire plus. Mon collègue, qui tient le cellulaire en mode main libre, demande au préposé de CRPQ si le conducteur est recherché pour délit quelconque et celui-ci nous répond qu’il ne peut nous en dire plus tout en mentionnant de nouveau de faire appel au service de police de l’endroit où nous nous trouvons. […] À noter que le conducteur était vêtu d’une veste portant les écriteaux « Support 81 ».

  1.       L’ensemble démontre de manière prépondérante, sans ambiguïté, que l’employeur, en dépit de l’octroi de l’accès partiel au CRPQ, ne remplit pas les obligations que lui imposent les article 51 (3) et 51 (9) de la LSST.
  2.       Tenant compte de tout ce qui précède, le Tribunal conclut que l’employeur devra veiller, par le moyen de son choix, à dorénavant donner accès aux travailleurs aux renseignements nécessaires à l’accomplissement sécuritaire de leur travail.
  3.       Il devra également veiller à optimiser la procédure, de manière à faciliter les échanges avec le CRPQ.
  4.       C’était d’ailleurs ce que l’expert Dupont recommandait aussi de faire dans son rapport de 2011.
  5.       Le Tribunal souligne qu’une fois le manquement aux obligations de l’employeur constaté, le statu quo n’est plus permis.
  6.       Ainsi, si l’accès aux renseignements permettant l’identification d’une stratégie d’intervention efficace, conformément au MNEF, ne peut se réaliser au moyen d’une entente avec le ministère de la Sécurité publique, l’employeur devra envisager d’autres méthodes afin de leur octroyer cet accès.
  7.       Et si jamais il n’existait pas de solutions à cette problématique, l’employeur devra se résoudre à réviser en profondeur son organisation du travail ainsi que les procédures afférentes à l’intervention sur route, puisque la situation actuelle n’est pas sécuritaire pour les contrôleurs routiers.
  8.       Comme mentionné précédemment, tenant compte de la gravité du danger en présence, ainsi que de son imminence, si un compromis doit s’opérer, cela ne peut pas se faire sur le dos des travailleurs ou à leur détriment, puisque d’autres solutions peuvent et doivent être envisagées par l’employeur, qui n’auront pas cet effet.

L’insuffisance de l’armement

  1.       La Fraternité soutient du point de vue de l’armement que l’employeur ne respecte pas davantage son obligation de donner aux contrôleurs routiers les moyens nécessaires à l’accomplissement sécuritaire de leur travail.
  2.       En effet, selon la Fraternité, les armes intermédiaires que l’employeur met à disposition des contrôleurs routiers, comme le bâton télescopique ou le vaporisateur de poivre de cayenne, ne leur permettent pas de réagir à toutes les situations d’agression auxquelles ils sont exposés lors des interceptions sur route. Bien qu’utiles, les armes intermédiaires n’assurent pas leur protection en toutes circonstances.
  3.       La Fraternité souligne que les contrôleurs routiers se retrouveraient dans une situation de totale vulnérabilité si un individu décidait, par exemple, de les agresser avec une arme à feu.
  4.       Ce serait également le cas même si l’agresseur utilisait un autre type d’arme, comme une arme blanche ou un objet contondant [211], puisqu’il est inapproprié d’employer les armes intermédiaires comme option de force létale ou option de force d’arrêt. Elle indique que les armes intermédiaires ne sont pas conçues dans cet objectif.
  5.       La Fraternité ajoute que de toute façon, certains paramètres, comme le facteur distance-temps ou ceux afférents à l’environnement, ne permettent pas toujours d’utiliser ces outils de manière efficace. Chacune présente des limites dont il faut tenir compte.
  6.       La Fraternité souligne que l’expert Boivin, mandaté par l’employeur, constate, comme l’expert Berniqué, que l’armement des contrôleurs routiers est insuffisant. C’est la raison pour laquelle l’expert Boivin recommande lui aussi de leur fournir un armement additionnel, soit une arme à impulsions électriques, communément appelée « Taser ».
  7.       L’employeur est en désaccord avec la position de la Fraternité.
  8.       Selon lui, les armes intermédiaires qu’il met à la disposition des contrôleurs routiers leur permettent de réagir de manière sécuritaire à toutes les situations d’agression, même les plus graves.
  9.       L’employeur allègue que les armes intermédiaires peuvent être employées à titre d’option de force létale, ainsi que le prévoit le MNEF, lorsqu’il existe un risque de blessures graves, n’excluant pas la mort.
  10.       Il indique par ailleurs que la recommandation de son expert n’est en réalité qu’une simple suggestion, de nature non obligatoire.
  11.       Le PGQ abonde dans le sens de l’employeur.  
  12.       Le Tribunal constate de son côté que l’armement que l’employeur met à la disposition des contrôleurs routiers ne leur permettent pas d’assurer leur protection lorsqu’ils font des interventions sur route.

      La nature, la gravité et l’imminence des situations dangereuses auxquelles les contrôleurs routiers sont exposés

  1.       Comme indiqué précédemment, l’étendue des obligations de l’employeur à l’égard de l’armement doit se corréler avec la nature, la gravité et l’imminence des situations dangereuses auxquelles l’employeur les expose, en raison du travail qu’il leur confie.
  2.       Les parties admettent que les contrôleurs routiers, en raison de la nature de leur travail d’agent de la paix et de constable spécial, sont exposés au risque d’agression, que le Tribunal qualifie à titre de danger.
  3.       Ce danger d’agression auquel on expose les travailleurs n’est pas qu’une simple hypothèse virtuelle ou une crainte, ni même seulement une possibilité. Elle va même au-delà de la notion d’événement susceptible de se matérialiser selon une probabilité non négligeable.
  4.       Cette éventualité s’est au contraire matérialisée à diverses reprises au fil de l’historique du dossier, suscitant même dans certains cas des blessures physiques et psychologiques graves.
  5.       Même si les données à cet égard demeurent actuellement incomplètes, l’on peut d’ores et déjà en parler en termes de fréquence.
  6.       Et bien que ce soit arrivé plus rarement, la vie de certains contrôleurs routiers a quand même déjà été mise en péril au cours de certaines de ces occurrences.
  7.       Rappelons en effet qu’il arrive que des individus, par exemple, agressent les contrôleurs routiers au moyen de leur véhicule. L’événement impliquant le tracteur dans le dossier 1280669 en est un exemple parmi d’autres.
  8.       L’intervention auprès de conducteurs de véhicule semi-remorque, long de 53 pieds, sans possibilité, en cas d’agression, de se mettre rapidement à l’abri, fait partie de leur quotidien.
  9.       Les contrôleurs routiers, lors de leur patrouille et de leurs tâches régulières, sont susceptibles de constater la commission d’infraction criminelle en « pleine vue ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on leur accorde, en plus de leurs pouvoirs d’agent de la paix, ceux de constable spécial.
  10.       Les contrôleurs routiers sont également appelés à intervenir auprès d’individus en possession d’armes à feu, comme dans le dossier 726636.
  11.       Il faut à cet égard aussi tenir compte de la situation décrite en 2010, sur laquelle le dossier 695506 se fonde, au cours de laquelle les contrôleurs routiers sont intervenus auprès d’individus agressifs, en surnombre et eux aussi en possession d’armes à feu non sécurisées, puisqu’à la suite de cet événement, 13 contrôleurs routiers ont exercé leur droit de refus et la Commission, en raison du danger, a ordonné la suspension temporaire des activités de patrouille des contrôleurs routiers.
  12.       Réitérons que ces situations auxquelles sont exposés les contrôleurs routiers sont considérées comme critiques par les policiers.
  13.       Deux témoins qui ont exercé ce métier, l’expert Berniqué ainsi que le policier Ricard, ont indiqué à l’audience, sans être contredits, que la commission d’une infraction criminelle en pleine vue, l’intervention sur les véhicules lourds, comme les semi-remorques, ainsi que l’intervention en présence d’armes à feu, se qualifient de cette manière.
  14.       L’employeur est par conséquent tenu de fournir aux contrôleurs l’armement qui leur permettent de protéger leur sécurité dans ces circonstances, lors des interventions sur route.

      Le consensus des experts

  1.       Or, bien que les experts de l’employeur et de la Fraternité ne recommandent pas la même solution, ils confirment néanmoins tous les deux l’insuffisance de l’armement que l’on met actuellement à la disposition des contrôleurs routiers, afin d’atténuer le risque d’agression.
  2.       Les armes intermédiaires, selon l’expert Berniqué, ne permettent pas d’appliquer intégralement la méthode de travail préconisée par le MNEF, particulièrement lorsqu’il est nécessaire d’appliquer une option de force d’arrêt afin de mettre fin à l’agression.
  3.       L’expert Berniqué étaye son opinion de la manière suivante :

Les agents assignés à ce type d’activité doivent avoir les compétences et les moyens pour désamorcer et contrôler les situations délicates […].

 

La suite logique pour faire face à des menaces extrêmes est de prévoir une force d’arrêt (arme à feu) lorsque la situation et les circonstances l’exigent ; […]

 

3. Mon opinion sur cet équipement est pour un besoin réel, contemporain pour faire face aux nouvelles prérogatives et au changement. Elle complète un cheminement logique dans l’emploi de la force, dans la protection des personnes. Le transport routier est de plus en plus présent sur les routes et comporte autant, sinon plus de risque que les véhicules de promenade.

 

[…]

 

5. L’arme à feu est une suite logique du dernier recours à la force, à la défense, à la sécurité et à la protection et au contrôle dans ce travail.

  1.       L’expert Boivin, mandaté par l’employeur, en comparant les limites des armes intermédiaires à la nature du risque afférent aux interventions sur route, en arrive à même cette conclusion : 

Cette situation les expose aussi à des agressions spontanées ou des embuscades, qui auraient lieu avant même que le contact soit établi. Dans ce cas les contrôleurs routiers ne peuvent rien faire. […]

 

[…] La possibilité de faire face à des situations inattendues est relativement grande, et les renforts ne sont parfois pas disponibles rapidement.

 

Surtout, les contrôleurs routiers ont mentionné que les outils à leur disposition ne sont pas toujours appropriés, surtout lors d’interceptions effectuées dans le cadre de la patrouille. Un des contrôleurs routiers a mentionné : « Le bâton et le [gaz] au poivre de Cayenne, ça ne fonctionne pas à l’extérieur et à distance », une affirmation qui est appuyée par la littérature sur l’emploi de la force. Il est de la responsabilité de CRQ que les outils de travail mis à la disposition de ses employés soient utilisables dans toutes les circonstances auxquelles ils pourraient avoir raisonnablement à faire face.

 

[…]

 

Le portrait qui ressort de notre démarche de recherche est que la demande d’arme supplémentaire formulée par les contrôleurs routiers nous semble justifiée pour un ensemble de raisons et dans certaines conditions, mais que l’arme à feu n’est pas l’outil adéquat.

 

[Nos soulignements]

  1.       Comme on le constate, le contenu de l’avis de l’expert Boivin documente l’existence d’une problématique réelle, dangereuse pour les contrôleurs routiers, pour laquelle l’employeur n’offre actuellement pas de solution. Bien plus qu’une réflexion ou suggestion de la part de son expert, l’employeur est tenu de s’en préoccuper.
  2.       D’autant plus que la position de ces deux experts sur l’insuffisance de l’armement est de surcroît supportée et corroborée par l’ensemble de la preuve factuelle, documentaire et testimoniale.

      Les limites du vaporisateur de poivre de cayenne

  1.       Chaque armement s’accompagne de limites.
  2.       On en fait très clairement la mise en garde dans la fiche technique afférente au vaporisateur de poivre de cayenne, destinée aux corps policiers et déposée au dossier du Tribunal :

En raison d’une mise en marché par trop rapide, bon nombre de policiers et de policières se sont créé de fausses attentes relativement au poivre de cayenne. Ce n’est pas une arme pour blesser. Certains la qualifie d’« alternative », car elle représente un outil pour diminuer les risques de blessures dans les corps à corps. La fiche technique qui suit a donc pour but de résumer les principales directives et mises en garde à observer lorsque vous faites l’utilisation du poivre de Cayenne. Car, comme pour toute arme, il faut connaître les instructions à suivre avant d’en faire l’utilisation. […]

  1.       Cette fiche technique précise que le vaporisateur de poivre de cayenne est une arme à teneur dissuasive :

À sa simple vue, un suspect agressif peut se calmer et se rendre. Mais cela ne se passe pas toujours ainsi.

 

  1.       Le Tribunal retrouve dans les rapports déposés au dossier administratif des illustrations de cet effet dissuasif, sur des sujets qui n’étaient pas encore passés à l’acte.
  2.       Il faut toutefois, selon cette fiche technique, user de cette arme intermédiaire avec discernement, puisqu’elle ne protège pas l’intervenant en toute circonstance :

Ne faites pas l’erreur de le classer au même rang que les armes d’impact. Il en va de votre sécurité. Sachez que lors des tests de simulation active (situations réelles de violence), tous les sujets ont pu atteindre leur objectif, malgré le fait qu’ils aient été aspergés de poivre de Cayenne. Dans des situations de violence, il faut donc faire preuve de jugement quant à l’arme à utiliser et ne pas écarter trop vite votre bâton ou même votre arme à feu.

 

Vous devez évaluer soigneusement la situation dans laquelle vous vous trouvez avant de décider si vous utiliserez le poivre de Cayenne ou non. L’institut de police du Québec situe le poivre de Cayenne entre l’utilisation du langage et les techniques à mains nues sur le continuum du recours à la force. […­]

 

Un jet de moins de 4 pieds de votre agresseur ne donne pas le temps au solvant de s’évaporer, ce qui rend le poivre moins efficace. De plus, le suspect étant très proche de vous, pourrait tenter de se saisir de la bonbonne.

 

[Nos soulignements]

  1.       En effet, le vaporisateur de poivre de cayenne ne permet pas toujours de mettre fin à l’agression. Son effet varie selon les individus et les conditions environnementales :

Le poivre de cayenne agit efficacement sur la plupart des individus, mais il y a des exceptions. Ses effets varient d’une personne à une autre, sans que l’on puisse prédire sur qui et dans quelle situation il n’aura pas d’effet. […]

 

Un suspect fortement intoxiqué à l’alcool ou aux drogues peut ne pas réagir au poivre de cayenne. Ce peut également être le cas des personnes très agressives, atteintes de délire aigu ou éprouvant des troubles psychologiques.

 

[…]

 

Méfiez-vous des vents et du temps froid

 

Le temps froid affecte la distance de vaporisation. Le jet est également plus étroit […] Des suspects ressentiront moins les effets de brûlure sur la peau par temps froid, […].

 

Tenez compte de la direction des vents et déplacez-vous en conséquence, si vous en avez la possibilité.

 

[Nos soulignements]

  1.       L’on trouve dans les rapports déposés au dossier du Tribunal, certains déjà rapportés dans la décision, des exemples de situations au cours desquelles l’utilisation du poivre de cayenne, comme on l’affirme dans cette fiche technique, n’a pas permis de mettre fin à l’agression.
  2.       Les contrôleurs routiers qui ont témoigné à l’audience en faveur de la Fraternité en font aussi le constat.
  3.       La preuve d’expert est au même effet : l’expert Ouimet en souligne les limites dans son rapport de 2003, tout comme le fait aussi l’expert Berniqué lors de son témoignage.
  4.       Tenant compte de cette preuve prépondérante, non contredite, le Tribunal conclut que le vaporisateur de poivre de cayenne, bien qu’utile, ne permet pas de protéger le contrôleur routier lors des situations dites critiques : en plus de sa portée limitée, de la variabilité de son efficacité à l’extérieur ou selon les individus, cette arme intermédiaire perd toute utilité lorsque l’individu réussit à s’approcher à moins de quatre pieds de l’intervenant.

      Les limites afférentes au bâton télescopique

  1.       Bien que lui aussi utile, le bâton télescopique ne permet pas de compenser les lacunes du vaporisateur de poivre de cayenne.
  2.       Notons, comme l’indiquait l’expert Ouimet dans son rapport, que le bâton télescopique n’est pas une arme de portée :

[…] est une arme défensive efficace dans des combats rapprochés, […].

  1.       Contrairement à ce qu’affirme l’employeur à l’audience, le bâton télescopique n’est pas non plus une véritable option de force létale ou d’arrêt.
  2.       En effet, même si le Tribunal convient qu’il est possible, en dernier recours, de l’utiliser à cette fin, le bâton télescopique, comme toute arme intermédiaire, n’est pas conçu dans cet objectif.
  3.       C’est écrit noir sur blanc dans le MNEF :

LES ARMES INTERMÉDIARES

 

Cette option d’emploi de la force fait appel à l’utilisation par un agent de toute arme n’étant pas destinée ou de nature à causer des lésions corporelles graves ou la mort. Cette catégorie comprend notamment les armes d’impact, les aérosols et l’arme à impulsions électriques.

 

LA FORCE MORTELLE

 

Cette option d’emploi de la force implique l’utilisation de toute arme et de toute technique destinée ou de nature à causer des lésions corporelles graves ou la mort.

 

[Nos soulignements]

  1.       L’avis de l’expert Boivin, sur lequel l’employeur ainsi que le PGQ appuient leur thèse, est à cet égard contredit de manière prépondérante par le contenu limpide du MNEF.
  2.       Le Tribunal note au surplus que l’effet protecteur du bâton télescopique, utilisé à titre d’option de force létale de dernier recours, bien qu’allégué, n’est tout simplement pas documenté par l’employeur.
  3.       Force est de constater que le bâton télescopique ne permet pas plus que le vaporisateur de poivre de cayenne de protéger les contrôleurs routiers lors des diverses situations critiques auxquelles ils sont exposés lors des interventions sur route.

      Le constat de leurs collègues policiers

  1.       Les témoins Ricard et Berniqué, qui possèdent une longue expérience de terrain à titre de policier, ont tous les deux affirmé lors de leurs témoignages qu’ils refuseraient d’exercer les tâches que l’on confie aux contrôleurs routiers, lors de la patrouille, s’ils étaient armés comme ils le sont, parce que ce serait selon eux trop dangereux.
  2.       En effet, selon ces deux témoins, exposer les contrôleurs routiers à ce type de situation en les dotant seulement d’armes intermédiaires, alors que :

-          le renfort n’est pas immédiat,

-          qu’ils n’ont pas de contrôle sur l’environnement,

-          qu’ils n’ont pas le pouvoir de planifier ou d’anticiper le comportement de l’individu

-          et qu’ils travaillent parfois en solo,

n’est pas sécuritaire.

  1.       Le Tribunal constate que leur affirmation est corroborée par toutes les lettres d’appui qu’en réponse à un argument du PGQ, la Fraternité a déposées, provenant d’associations de policiers intéressées au dossier, comme :

-          la Fraternité des policiers et policières de Montréal ;

-          l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec ;

-          la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec.

  1.       Même si leur avis n’engage qu’elles, le Tribunal ne croit pas que ces associations donneraient leur appui à la revendication de la Fraternité si elles n’étaient pas elles aussi préoccupées par la sécurité de leurs collègues contrôleurs routiers, avec qui elles collaborent. Plusieurs l’affirment d’ailleurs textuellement dans leurs lettres d’appui.
  2.       Le Tribunal, pour toutes ces raisons, conclut que la méthode ou la technique afin d’accomplir le travail n’est pas sécuritaire.
  3.       En effet, l’armement dont les contrôleurs routiers disposent ne leur permet pas de réagir et de se protéger, conformément au MNEF, lors de plusieurs situations considérées comme critiques ou à haut risque d’agression, particulièrement lorsque la situation requiert d’utiliser une force mortelle ou d’arrêt afin de mettre fin à l’agression.
  4.       L’employeur manque par conséquent à l’obligation que lui impose l’article 51 (3) de la LSST et il devra corriger la situation.

L’information sur les risques reliés au travail ainsi que le développement des habiletés et connaissances pour accomplir le travail de manière sécuritaire (51 (9) LSST)

  1.       L’article 51 (9) de la LSST exige de l’employeur :

-          qu’il informe adéquatement les travailleurs quant aux risques reliés à leur travail

-          et qu’il les forme, les entraîne et les supervise afin qu’ils acquièrent les connaissances ainsi que développent les habiletés leur permettant d’effectuer le travail de manière sécuritaire.

  1.       La Fraternité est d’avis que l’employeur ne respecte pas cette obligation pour plusieurs raisons.
  2.       La Fraternité dénonce le fait que plusieurs des situations à haut risque d’agression, auxquelles les contrôleurs routiers sont par ailleurs exposés dans le cadre de leur travail, ne soient pas couvertes lors de la formation.
  3.       La Fraternité soutient également que la fonction de contrôleur routier requiert l’acquisition ainsi que l’actualisation à intervalle régulier de certaines compétences pratiques, comme l’intervention physique. Selon la Fraternité il est nécessaire de réduire l’intervalle d’actualisation de la formation en intervention physique, comme le recommandait d’ailleurs l’expert Dupont en 2011.
  4.       L’employeur ne partage pas son avis.
  5.       L’employeur, tenant compte non seulement de l’exhaustivité du contenu de la formation initiale dispensée à l’ÉNPQ de 21 semaines, de son programme d’actualisation de la formation, ainsi que des résultats obtenus lors de son étalonnage, soutient plutôt qu’il se place en tête de file en matière de formation.
  6.       Le PGQ est d’accord avec l’employeur.
  7.       Le Tribunal, pour sa part, éprouve de la difficulté à comprendre la position de l’employeur, puisque plusieurs intervenants, au fil de l’historique du dossier, y compris la Commission, au moyen de dérogations qu’il n’a pas contestées, lui ont signifié les lacunes alléguées par la Fraternité au niveau de la formation.
  8.       Or, ces lacunes, comme les précédentes, ne sont toujours pas corrigées.
  9.       Pour les raisons suivantes, le Tribunal ne peut constater, comme l’employeur l’allègue à l’audience, qu’il respecte son obligation de veiller au développement des compétences et des habiletés permettant aux contrôleurs routiers d’accomplir le travail de manière sécuritaire.

La valeur de l’étalonnage effectué auprès d’organisations comparables

  1.       Notons que l’employeur appuie en partie sa thèse sur l’étalonnage effectué auprès d’organisations qui embauchent elles aussi des constables spéciaux.
  2.       Le Tribunal est par ailleurs d’avis que les résultats obtenus lors de cet étalonnage ne permettent pas d’établir que l’employeur respecte son obligation.
  3.       En effet, Contrôle routier Québec n’est pas à l’avant-garde du progrès parce qu’elle offre une formation initiale à l’ÉNPQ de 21 semaines : cette circonstance se justifie plutôt en raison de la nature ainsi que de l’étendue des activités qu’on demande aux contrôleurs routiers de réaliser.
  4.       Soulignons que ce sont également la nature ainsi que l’étendue des activités à accomplir qui expliquent que la formation initiale est de moindre durée ailleurs, dans d’autres organisations, comme :

-          le Canadien national,

-          le ministère du Travail, de l’emploi et de la solidarité sociale,

-          l’Université de Montréal

-          ou la Société protectrice des animaux.

  1.       D’autant plus que Contrôle routier Québec est la seule organisation de l’étalonnage qui effectue des interventions sur les routes, un travail qui expose par ailleurs les contrôleurs routiers à des situations critiques ou à haut potentiel de risque d’agression. 
  2.       L’on ne peut donc pas comparer Contrôle routier Québec à toutes ces autres organisations, seulement parce que ces organisations embauchent elles aussi des constables spéciaux, sans faire plusieurs nuances.
  3.       Pour les mêmes raisons, l’on ne peut pas non plus inférer, comme l’affirme en témoignage le directeur du service de la formation et du recrutement, que Contrôle routier Québec est proactif parce qu’il actualise la formation sur l’intervention physique selon un intervalle de cinq ans, alors que certaines organisations ne le prévoient pas du tout.
  4.       D’autant plus que cette actualisation aux cinq ans est en réalité requise aux fins de la requalification des contrôleurs routiers à titre de constables spéciaux[212].
  5.       Même si l’employeur respecte les exigences minimales à cet égard, il ne démontre que son approche est proactive, comme il l’allègue.
  6.       Le Tribunal est plutôt d’avis que la preuve prépondérante le réfute.

Les situations à haut potentiel de risque

  1.       Le Tribunal constate la présence d’une lacune de taille dans la formation initiale, à laquelle l’employeur ne pallie pas.
  2.       En effet, comme l’indique le contrôleur routier Babin, instructeur en intervention physique, la formation initiale de l’ÉNPQ est à l’origine une formation destinée aux corps policiers.
  3.       Son contenu est par ailleurs adapté par l’ÉNPQ en collaboration avec Contrôle routier Québec, afin de tenir compte de la réalité de travail des contrôleurs routiers, plus particulièrement de l’armement mis à leur disposition. 
  4.       Ainsi, bien qu’on leur présente divers scénarios afin de les préparer à intervenir auprès d’individus agressifs, armés par exemple d’armes blanches ou d’objets contondants, on met de côté ceux ne leur permettant pas de reprendre la maîtrise de la situation avec l’armement qu’il possède actuellement. 
  5.       L’intention, selon le contrôleur Babin, instructeur à l’ÉNPQ, est de ne pas placer les agents de la paix en situation d’échec.
  6.       C’est la raison pour laquelle, même s’il arrive que les contrôleurs routiers doivent intervenir en présence d’armes à feu, les scénarios impliquant les possibilités d’agression armée de la sorte, sont omis de la formation initiale.
  7.       L’on n’enseigne pas non plus aux contrôleurs routiers à faire face à une agression avec l’intention de blesser le contrôleur routier, cette fois non pas avec une arme blanche, mais plutôt avec leur véhicule.
  8.       Notons finalement que même si cette situation survient régulièrement, les scénarios pratiques ne se réalisent pas en présence d’un véhicule semi-remorque de 53 pieds: on les effectue seulement sur des camions cubes, beaucoup plus courts.
  9.       Les zones de repli situées près de la cabine sont seulement montrées aux contrôleurs routiers de manière théorique ou encore lors des sorties thématiques, sans toutefois qu’on leur donne l’occasion de pratiquer dans cet environnement les techniques de l’emploi de la force.
  10.       Le Tribunal est d’avis que les contraintes au niveau de l’armement ou financières ne justifient pas que l’on ne forme ni n’entraîne les contrôleurs routiers à réagir à des situations auxquelles ils sont par ailleurs confrontés, en raison de la nature de leur travail.
  11.       Le contrôleur routier Gallant, impliqué lors de l’événement mettant en cause le tracteur, dans le dossier 1280669, a clairement indiqué lors de son témoignage qu’il n’était pas suffisamment préparé à réagir à ce genre de circonstances. 
  12.       Le Tribunal retient à cet égard l’avis de l’expert Berniqué, qui indique en témoignage que la préparation adéquate de l’agent de la paix est essentielle dans ce type de circonstances à haut risque, puisque le stress diminue lorsque le protocole est clair.
  13.       Il s’agit par conséquent d’un facteur de protection susceptible de participer au contrôle du risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers.
  14.       Le policier Ricard ainsi que l’expert Berniqué ajoutent que les mises en contexte et les scénarios pratiques, comportant des balises claires, permettent aux contrôleurs routiers d’anticiper les problématiques ainsi que de développer leurs réflexes.
  15.       Ils rappellent chacun que les agents de la paix ne disposent que de seulement quelques secondes pour prendre une décision et qu’afin d’assurer leur protection, il faut que ce soit la bonne.
  16.       Le Tribunal constate que la teneur de leur témoignage est corroborée, puisque la Commission, dans ses rapports d’intervention non contestés du 12 mai 2009 ainsi que celui du 11 novembre 2010, de même que les experts Ouimet et Dupont l’ont également signalé à l’employeur de manière limpide.
  17.       L’expert Dupont recommandait d’ailleurs explicitement dans son rapport de 2011 :

Que Contrôle routier Québec et l’ENPQ envisagent l’acquisition ou la location de véhicules lourds reproduisant les principales conditions d’intervention des contrôleurs, afin que les simulations proposées aux étudiants soient aussi réalistes que possible.

 

Que le contenu des formations continues en intervention physique contribue à donner une large place à la simulation des situations problématiques permettant aux contrôleurs d’approfondir de manière réaliste leurs aptitudes en communication tactique et en usage de la force, tout en tenant compte des niveaux de condition physique très variables des contrôleurs.

 

[…] Il serait selon nous utile que les étudiants contrôleurs puissent développer leurs compétences en intervention sur des véhicules lourds et des camions de type semi-remorque dont la boîte est d’au moins 25 pieds. Cela permettrait aux instructeurs de travailler avec les étudiants sur les conditions particulières de sécurité à respecter lors de l’approche de type de véhicules, ainsi que lors des interactions avec leurs conducteurs.

  1.       L’expert Dupont ajoutait de manière tout aussi pertinente :

Le contenu des formations continues en intervention a récemment été bonifié, […], afin d’inclure des scénarios visant à reproduire certaines interventions problématiques. Nous pouvons qu’encourager la poursuite d’une telle démarche, qui rappelle aux contrôleurs routiers que des situations en apparence anodines peuvent rapidement dégénérer et que des situations à risques élevés peuvent être résolues par l’application de stratégies éprouvées de communication tactique et d’usage de la force. […]

 

Le rapport Ouimet préconisait l’usage de guides de formation et de cassettes afin de maintenir le niveau de connaissances à jour, dans une perspective d’efficience organisationnelle et d’économies budgétaires. Si une telle stratégie peut aisément se justifier en matière de connaissances de connaissances liées à l’application des lois et des règlements, et si les outils de formation interactifs en ligne se multiplient, les formations continues reliées à la sécurité et à l’usage de la force ne peuvent s’envisager autrement qu’en présence d’un instructeur, par la pratique de certaines gestes et l’acquisition de certains réflexes susceptibles de sauver des vies.

  1.       Notons que l’inspecteur constatait encore l’effet de toutes ces lacunes dans son rapport d’intervention du 12 avril 2022, non contesté par l’employeur et afférent au dossier 1280669[213] :

Les contrôleurs routiers reçoivent une formation initiale à l’ENPQ. Par la suite, l’employeur n’effectue aucun retour sur cette formation. Selon les informations recueillies, un maintien des compétences est en place pour les formations « intervention physique » […].

 

Les techniques et méthodes d’interception sécuritaire d’un véhicule sont notamment enseignées aux contrôleurs routiers lors de la formation initiale à l’ENPQ

 

Selon les informations recueillies, cette formation couvre les interceptions à risques faibles. […] Cependant, l’employeur nous informe qu’il existe peu de formations visant les situations où le repli stratégique doit être appliqué.

 

[…] Les contrôleurs impliqués dans l’événement possèdent plusieurs années d’expérience dans leur travail. Leur formation initiale à l’ENPQ remonte à plusieurs années. […]

  1.       Le Tribunal estime que cette façon de faire de l’employeur, qui compte en somme sur les capacités d’improvisation du contrôleur routier, n’est pas sécuritaire[214].
  2.       Le Tribunal le constatait également dans la décision Rassemblement[215], laquelle présente de grandes similitudes avec la situation à l’étude.
  3.       Cela est d’autant plus préoccupant que l’employeur est convaincu du contraire.
  4.       On le note dans les propos tenus par les témoins de l’employeur, ainsi que dans les réponses que font les gestionnaires sur les rapports d’événements déposés au dossier du Tribunal :

15 mars 2021 :

 

Piste d’amélioration suggérée : […] Avoir une formation plus approfondie sur les drogues et leurs effets.

 

Commentaires du supérieur immédiat : Le contrôleur routier a reçu l’information nécessaire du CRQ pour effectuer son travail. Le fait de recevoir l’information que l’individu est ‘’violent’’ est adéquat. Au besoin, le contrôleur avait tous les outils et la formation nécessaire. En dernier recours, il pouvait toujours se retirer de l’intervention.

  1.       Comme l’a indiqué l’expert Berniqué à l’audience, ce genre d’affirmation procure un faux sentiment de sécurité, alors que les contrôleurs routiers ne possèdent pas les habiletés et les connaissances pour intervenir adéquatement dans ces types de situation, justement parce que l’employeur ne les a pas formés à cet égard.
  2.       Or, bien qu’on l’ait souligné à plusieurs reprises à l’employeur, ces lacunes ne sont toujours pas corrigées à l’heure actuelle.
  3.       Il est de la responsabilité de l’employeur, conformément à l’article 51 (9) de la LSST de pallier ces manques, puisque ces circonstances ne sont pas abordées lors de la formation initiale.
  4.       Le Tribunal souligne qu’il faut plutôt préparer adéquatement les contrôleurs routiers à intervenir lors de ces situations toutes susceptibles de survenir dans le cadre de leur travail et le faire non seulement de manière théorique, afin qu’ils acquièrent les connaissances afférentes, mais également de manière pratique, afin qu’ils développent le savoir-faire correspondant.
  5.       C’est ainsi qu’en concluait le Tribunal, dans la décision Association des policières et policiers provinciaux du Québec et Sûreté du Québec[216], dans laquelle des lacunes similaires étaient dénoncées :

Le Tribunal est donc d’avis qu’il est essentiel que les patrouilleurs concernés reçoivent une formation spécifique et adaptées aux besoins du travail en solo. […] Il serait alors de mise que les patrouilleurs soient formés sur les méthodes de patrouille en solo, incluant l’évaluation des risques, le choix et la priorisation des modes d’intervention, les pratiques d’intervention sécuritaires, l’opportunité de procéder directement ou par enquête, les techniques d’autodéfense, […]. Le Tribunal partage l’opinion de l’instructeur-formateur […] voulant que la formation devrait être d’une durée suffisante pour que la théorie et la pratique soient maîtrisées. Elle devrait être un prérequis à l’affectation d’un policier […] et devrait être récurrente afin de maintenir à jour les connaissances et les habiletés.

La fréquence d’actualisation de la formation en intervention physique

  1.       La conclusion du coroner au sujet de la formation continue dans le dossier Magloire, sur laquelle la Fraternité a attiré l’attention du Tribunal, est à cet égard pertinente.
  2.       Le Tribunal estime qu’elle se corrèle aux présentes circonstances, même si elle visait à l’époque les policiers[217]:

Il faut que les [intervenants] soient constamment bien outillés non pas simplement en matériel d’intervention, mais aussi en matière de connaissances et d’habiletés pour bien faire le travail. Ils doivent également être au meilleur de leur forme physique et mentale pour effectuer un travail qui est parfois difficile et stressant. Seul un encadrement prévoyant une formation continue […] peut permettre à ces derniers d’être toujours au sommet de leur art.

 

La capacité de bien réagir à des situations très stressantes est directement reliée à la condition générale du policier et de son niveau de formation. Plus régulière et plus pertinente elle sera, plus les policiers seront en mesure de bien réagir.

 

Cette formation permanente doit aussi être axée sur tous les aspects du travail […] et non seulement sur le plan des notions théoriques. Autant la formation et la transmission de nouvelles connaissances sont importantes, autant les aptitudes physiques des [intervenants] doivent être maintenues à un haut niveau.

 

[Nos ajouts]

  1.       Notons que ces propos, l’expert Berniqué les a aussi tenus lors de l’audience, concernant les contrôleurs routiers.
  2.       Le Tribunal considère que ces principes sur l’actualisation des compétences s’apparentent à une norme, ou encore aux règles de l’art applicables, pertinentes afin d’évaluer la suffisance des modalités pédagogiques mises en œuvre par l’employeur.
  3.       Or, le Tribunal constate que l’actuelle fréquence d’actualisation de la formation en intervention physique ne permet pas de maintenir les aptitudes physiques et mentales des contrôleurs routiers à un niveau leur permettant d’effectuer leurs tâches de manière sécuritaire.
  4.       Comme l’indique en témoignage le contrôleur routier Babin, instructeur en intervention physique, un intervenant qui n’a pas appliqué de techniques de contrôle articulaire depuis plusieurs années, par exemple une clé de bras, ne sera pas en mesure de l’appliquer efficacement ainsi qu’en temps opportun, si la situation le requiert.
  5.       Soulignons que cette inférence est non seulement logique, mais également corroborée par l’expert Dupont dans son rapport de 2011 :

Cependant, de l’avis de nombreux contrôleurs, [l’intervalle de trois ans[218] entre les rafraîchissements des compétences en intervention physique] reste encore insuffisant et entraîne une détérioration des compétences acquises lors de la formation initiale. En effet, contrairement aux policiers qui sont exposés de manière beaucoup plus fréquente à des situations impliquant l’usage de la force, les contrôleurs routiers ont rarement l’occasion de mettre en pratique les diverses techniques d’arrestation et de défense apprises à l’ENPQ – et on ne peut que s’en réjouir. Dans ce contexte, la formation continue joue alors un rôle important qui va se refléter sur la confiance des contrôleurs routiers dans leurs compétences, et par conséquent sur la qualité de leurs interventions. 

  1.       L’objectif de l’actualisation des compétences en intervention physique selon un intervalle plus court vise justement à endiguer cet effet délétère du temps sur le savoir-faire des individus.
  2.       Soulignons que la Commission concluait elle aussi qu’il existait des lacunes au niveau de la formation afférente aux interventions, dans son rapport d’intervention du 12 mai 2009.  
  3.       Elle le faisait encore, dans le rapport d’intervention du 11 novembre 2010, relatif au droit de refus des travailleurs.
  4.       Rappelons encore une fois que les parties, après l’exercice de ce droit de refus des contrôleurs routiers en 2010 et la suspension subséquente de leurs activités, avaient demandé à l’expert Dupont de leur faire des recommandations afin de rendre le travail des contrôleurs routiers plus sécuritaire.
  5.       Or, l’expert Dupont recommande dans son rapport que l’intervalle de la formation en intervention physique soit d’au plus deux ans.
  6.       Quinze ans plus tard, cette mesure n’est toujours pas mise en œuvre, sans que l’employeur ne l’explique à l’audience.
  7.       Le Tribunal constate par ailleurs que ce besoin demeure d’actualité.
  8.       En effet, plusieurs contrôleurs routiers qui ont eu à réagir à une agression l’expriment dans les rapports déposés au dossier du Tribunal. Certaines mentionnent qu’ils ne se sentaient pas en maîtrise de la situation ou confortables lors de l’application de la technique.
  9.       Or, comme mentionné précédemment, l’insécurité du contrôleur routier et son manque de maîtrise des techniques de protection contribuent à augmenter le risque d’agression auquel on l’expose.
  10.       Le Tribunal est par conséquent d’avis que l’employeur devra y remédier, comme il s’y était engagé à l’époque, et ce, en dépit des contraintes organisationnelles évoquées à l’audience.

Les diverses demandes de formation

  1.       Il existe également d’autres problématiques au niveau de la formation, que l’employeur devra également corriger.
  2.       En effet, l’employeur écarte les besoins de formation que les travailleurs lui expriment, dans les rapports déposés au dossier du Tribunal. Il y réfute la légitimité de ces demandes, en se référant à la qualité ainsi qu’à la suffisance de la formation initiale de l’ÉNPQ.
  3.       Il ne s’agit pourtant pas d’une assise valable, si l’on tient compte du fait que la tenue de cette formation remonte dans bien des cas à plusieurs années.
  4.       De plus, comme l’indique elle-même l’ÉNPQ dans le Programme de formation initiale des contrôleurs routiers, il s’agit d’une formation de base. Son contenu, par conséquent, ne permet pas de répondre à toutes les circonstances ou encore à tous les besoins.
  5.       L’inspecteur le rappelait d’ailleurs à l’employeur lors de son intervention dans le dossier 1280669.
  6.       Or, malgré ce qui précède, encore aujourd’hui, l’employeur met systématiquement de côté les besoins légitimes, de surcroît appuyés par des situations factuelles bien documentées, dans les rapports d’événements déposés au dossier du Tribunal.
  7.       Relevons, par exemple, des demandes afin :

-          de former les patrouilleurs sur la communication tactique lors d’interventions, en incluant la nouvelle réalité des appareils photo/vidéo ;

-          de former les contrôleurs routiers en intervention auprès des personnes souffrant de problématique de santé mentale ou en situation de crise ;

-          de former de manière plus approfondie les contrôleurs routiers au sujet des drogues en circulation et la réalité actuelle du crime organisé ;

-          de rafraîchir les connaissances au sujet du recours à l’utilisation d’urgence du radio portatif ;

-          de former de manière pratique les contrôleurs routiers sur la manipulation et la sécurisation des diverses armes à feu ;

-          d’approfondir les connaissances et les compétences relatives aux interventions, particulièrement celles à haut potentiel de risque, notamment par des scénarios ou de mises en situation.

  1.       Si l’on se fie à la preuve administrée lors de l’audience, l’employeur n’a développé aucun de ces contenus, ni formé les travailleurs sur ces sujets.
  2.       Le directeur du service de la formation et du recrutement confirme d’ailleurs lors de son témoignage n’avoir traité aucune demande provenant des suggestions des travailleurs, depuis son entrée en fonction en 2020[219].
  3.       Le Tribunal conclut que l’employeur doit corriger la situation, en tenant compte des divers besoins de formation que lui expriment les travailleurs.
  4.       L’employeur devrait également élaborer un plan ainsi qu’un programme de formation complémentaire qui en tiennent compte.
  5.       L’employeur devra finalement s’assurer de la permanence de ce correctif, en effectuant cette évaluation de manière récurrente.

La protection des travailleurs exposés à la violence physique ou psychologique (51 (16) LSST)

  1.       L’article 51 (16) de la LSST enjoint l’employeur de prendre les mesures afin d’assurer la protection du travailleur exposé à de la violence physique ou psychologique sur les lieux du travail.
  2.       La Fraternité allègue, sans plus, que l’employeur ne satisfait pas à cette obligation.
  3.       L’employeur ainsi que le PGQ ne commentent pas davantage cet argument.
  4.       Le Tribunal constate de son côté que la preuve prépondérante n’appuie pas cette position de la Fraternité.
  5.       En effet, bien que la preuve confirme que l’employeur, en raison de son approche réactive, contraire aux impératifs de prévention de la LSST, n’accorde pas toute l’attention voulue à la sécurité psychologique des travailleurs, la preuve ne révèle pas que l’employeur manque à ses obligations une fois que les travailleurs sont bel et bien exposés à cette violence.
  6.       Le Tribunal ne s’attarde donc pas davantage sur cet élément, puisque de toute façon, ses motifs sont susceptibles d’avoir un effet prospectif sur cette considération.

L’aménagement des dérogations

  1.       Les dérogations que l’employeur doit corriger sont énumérées et décrites dans le dispositif.
  2.       Tenant compte de l’ampleur du chantier que devra réaliser l’employeur, le Tribunal tient par ailleurs à préciser ce qui suit.
  3.       L’audition a révélé une problématique plus fondamentale que celle relevant strictement de l’armement ou de l’accès aux renseignements nécessaires à l’exécution du travail des contrôleurs routiers.
  4.       En effet, l’employeur, lors de l’audience, reconnaît que le contrôle du risque d’agression lors des interventions sur route lui échappe, pour plusieurs raisons.
  5.       En dépit de ce qui précède, l’employeur demeure toutefois convaincu, tout au long de l’audience, qu’il a fait tout ce qui était réalisable et en son pouvoir, afin d’atténuer ce risque.
  6.       La preuve a par ailleurs démontré que les conditions de travail des contrôleurs routiers sont loin d’être normales et sécuritaires, parce que l’employeur manque tout simplement à plusieurs de ses obligations.
  7.       Le Tribunal constate que l’employeur manque d’abord et avant tout à celle que lui impose l’article 51 (5) de la LSST, qui lui enjoint d’utiliser les méthodes et techniques lui permettant d’identifier le risque d’agression lors des interventions sur route, afin de le contrôler, voire de l’éliminer.
  8.       Cette identification du risque constitue pour la LSST ainsi que le Tribunal, le socle sur lequel le respect de l’ensemble des obligations de l’employeur repose.
  9.       Le Tribunal le constatait aussi dans la décision Ville de Drummondville et Regroupement des pompières et pompiers de Drummondville[220] :

En effet, l’obligation d’organiser le travail et de s’assurer qu’il soit accompli avec des méthodes sécuritaires nécessite qu’au préalable l’employeur ait élaboré la méthode et en contrôle l’exécution par la suite.

 

De façon générale, le tribunal est d’avis que l’employeur réussira à s’acquitter de sa responsabilité visant l’organisation et l’exécution du travail en posant 4 actions prioritaires :

 

1 – L’identification des dangers et des risques liés au travail

 

2 – L’élaboration des stratégies et tactiques de travail pour faire face aux risques et dangers identifiés ;

 

3- L’information, la communication de même que la formation des travailleurs relativement à la stratégie et tactiques retenues ;

 

4- Le contrôle et l’évaluation de la méthode de travail adoptée.

 

Au regarde de la première action, l’employeur doit bien sûr identifier les dangers présents dans le milieu de travail, mais aussi identifier les risques reliés à l’exécution des tâches, de manière à prévenir les accidents et les maladies du travail qui y sont reliés. Il importe en effet de connaître les conditions qui prévalent lors de l’exécution des tâches d’un travail pour circonscrire la méthode appropriée, adaptée au travail à réaliser.

 

[…]

 

Par ailleurs, de l’avis du tribunal, l’organisation du travail et son accomplissement au moyen d’une méthode et de techniques sécuritaires passent également par une seconde action prioritaire : l’élaboration de stratégies et de tactiques [ou des balises] en fonction des risques identifiées.  

  1.       Le Tribunal est d’avis que les dérogations afférentes à l’identification du risque et de son contrôle ainsi qu’à l’organisation du travail doivent être corrigées en premier lieu, avant de se pencher sur les méthodes ainsi que les techniques permettant d’accomplir le travail de manière sécuritaire.
  2.       L’armement dépend en effet dans une large mesure du risque d’agression auquel l’on expose les contrôleurs routiers.
  3.       Or, comme l’indique l’expert Boivin dans son rapport, cette exposition dépend en grande partie du rôle d’agent de la paix, et incidemment de celui de constable spécial, qu’on leur confie :

Notons pour l’instant que les changements dans les autres provinces canadiennes ont tous été accompagnés par une réflexion sur le rôle des contrôleurs routiers et par le transfert de l’organisation de contrôle routier d’un ministère s’occupant du transport des biens et personnes, vers un ministère s’occupant plutôt de sécurité publique. Autrement dit, les provinces qui ont choisi d’équiper leurs contrôleurs routiers d’armes à feu ont aussi choisi de faire du contrôle routier un travail de sécurité publique plutôt que de conformité à des règlements. […]

 

La majorité des intervenants nous ont résumé le rôle des contrôleurs routiers en situation Contrôle routier Québec parmi les forces de l’ordre (le «law enforcement», une position que semble appuyer le site Web de l’organisme : […].  

 

Le point à retenir que le rôle de CRQ se situe à l’intersection de plusieurs missions et que l’organisation pourrait donc être de façon cohérence sous l’égide de l’un ou de l’autre de ces partenaires. […]. 

  1.       Il faut le dire clairement : un armement additionnel, ou encore un accès élargi au CRPQ ne sauraient réussir à eux seuls à compenser l’effet de tous les autres manquements de l’employeur sur la sécurité des travailleurs.
  2.       Le Tribunal considère que ce passage tiré du rapport d’expertise de l’expert Berniqué, est à cet égard juste et opportun :

L’expérience démontre qu’un agent non préparé, mal équipé, qui agit ou réagit à une menace, est nettement désavantagé et met sa propre sécurité en péril… et celle des autres.

  1.       Le Tribunal rappelle que les obligations que prévoit l’article 51 de la LSST forment un tout cohérent : chacune exerce une influence considérable et bénéfique sur la sécurité des travailleurs.
  2.       En raison de cette séquence, le Tribunal n’assortit d’une échéance précise de réalisation que les dérogations afférentes à l’article 51 (5) de la LSST.
  3.       Cette même échéance de réalisation de 120 jours n’est par ailleurs indiquée qu’à titre indicatif, puisqu’il appartiendra à la Commission de la réviser, au besoin, en tenant compte de l’avancée des travaux.
  4.       Le Tribunal lui retourne donc le dossier afin qu’elle joue auprès des parties son rôle de vigile et d’accompagnatrice, afin que l’objectif de la LSST se réalise.

L’ordonnance de suspension des activités

  1.       L’article 186 de la LSST autorise l’inspecteur, et incidemment le Tribunal, à ordonner la suspension des activités de l’employeur, en tout ou en partie, s’il estime qu’il existe un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique ou psychique des travailleurs.
  2.       Le 2e alinéa de l’article 186 prévoit que cette ordonnance doit par ailleurs être formulée de manière précise, en indiquant quelles sont les mesures à prendre afin d’éliminer le danger[221].
  3.       La Fraternité demande au Tribunal d’ordonner cette suspension des activités des contrôleurs routiers sur les routes, tenant compte du nombre, de l’ampleur, de l’impact des manquements sur l’intégrité physique et psychologique ainsi que la vie des contrôleurs routiers et de leur chronicité.
  4.       La Fraternité réclame la mise en œuvre d’une solution concrète, d’autant plus que l’employeur a souvent fait référence à son impuissance administrative afin d’expliquer son inaction. Elle souligne que le statu quo, c’est-à-dire continuer à faire exécuter aux contrôleurs routiers des tâches dangereuses, n’est plus acceptable.
  5.       L’employeur ne s’y oppose pas formellement et laisse cette décision à l’appréciation du Tribunal, se contentant plutôt de le sensibiliser quant aux impacts que pourrait par ailleurs susciter cette mesure sur la sécurité des usagers sur les routes.
  6.       Le PGQ considère de son côté que la Fraternité tente, au moyen de cette revendication, de forcer le ministre de la Sécurité publique à doter les contrôleurs routiers d’une arme à feu, alors que cette méthode entre en contradiction avec la nature discrétionnaire de ce pouvoir.
  7.       Cette demande de la Fraternité constitue en réalité, selon lui, une demande d’injonction déguisée, une compétence exclusivement dévolue à la Cour supérieure.
  8.       Le PGQ ajoute que de toute façon, le Tribunal ne devrait pas ordonner la suspension des interventions sur route, en raison des conséquences que pourraient avoir cette solution sur la sécurité des usagers sur les routes ainsi que sur l’industrie du transport.
  9.       Le Tribunal, de son côté, est d’avis qu’il est nécessaire de rendre cette ordonnance, pour les raisons suivantes.

L’argument sur la nature des contestations et l’effet de la décision

  1.       Le Tribunal constate que le PGQ dénature l’objet des contestations ainsi que la portée de la présente décision.
  2.       Le Tribunal rappelle être saisi d’abord et avant tout de contestations portant sur le respect des obligations de l’employeur, afférentes à la LSST.
  3.       Or, c’est au Tribunal à qui le législateur confie la compétence exclusive de décider de toutes ces considérations[222].
  4.       Le Tribunal ajoute que les contestations de la Fraternité s’attachent toutes à une première décision rendue par un inspecteur en 2010 ayant reconnu que l’exercice du droit de refus des travailleurs était justifié et que le danger auquel les contrôleurs routiers étaient exposés était tel qu’il requérait la suspension des interventions sur route. 
  5.       La reprise des activités n’a ensuite été autorisée par la Commission que parce que l’employeur s’engageait à corriger les dérogations émises par l’inspecteur, en mettant en œuvre les éventuelles recommandations formulées par le chercheur Dupont.
  6.       Or, les problématiques identifiées à l’époque sont encore présentes aujourd’hui.
  7.       Le Tribunal souligne également que la Fraternité ne demande plus au Tribunal de rendre une ordonnance enjoignant au ministre de la Sécurité publique de nécessairement doter les contrôleurs routiers d’arme à feu.
  8.       La Fraternité requiert plutôt du Tribunal qu’il applique le remède prévu par le législateur dans la LSST, lorsqu’en présence d’un danger.
  9.       La demande de la Fraternité, et incidemment la décision du Tribunal, n’est pas susceptible de contraindre le ministre de la Sécurité publique à armer les contrôleurs routiers d’arme à feu, si ce dernier ne considère pas ce résultat comme étant souhaitable, puisqu’il existe des alternatives.
  10.   Le PGQ n’est d’ailleurs pas sans le savoir, puisqu’il demandait lui-même au Tribunal de surseoir à l’effet de sa décision, justement en raison des diverses solutions qu’envisageaient ses mandataires et du temps qu’il faudrait afin de les mettre en œuvre.
  11.   Le Tribunal est d’avis que cette dernière demande du PGQ fait échec à son argument.

L’argument sur les conséquences de la suspension des activités

  1.   Le PGQ ajoute à l’exercice du pouvoir de suspendre les activités de l’employeur une condition que l’article 186 de la LSST ne prévoit pas.
  2.   En effet, selon la jurisprudence, l’ordonnance de suspension des activités de l’employeur, n’est pas une mesure ultime ou exceptionnelle[223] :

Le pouvoir de suspension de travail, bien que considérable, ne doit pas être interprété restrictivement et perçu comme une mesure ultime exceptionnelle.

 

Au contraire, il s’agit de l’outil que le législateur a clairement privilégié, en présence de danger, et qu’il demande à l’inspecteur [et incidemment au Tribunal] d’utiliser dans des situations ou la santé, la sécurité et l’intégrité physique d’un travailleur sont en jeu.

 

Ce choix du législateur découle des droits et intérêts qu’il vise à protéger : la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs, droits garantis par la Charte québécoise des droits et libertés15.

 

C’est donc en fonction de ces droits que la Loi doit être appliquée et interprétée, y compris l’article 186 de la LSST.

 

[Note omise]

  1.   Il suffit qu’un danger pour la sécurité, la sécurité ou l’intégrité physique ou psychique des travailleurs existe[224] et qu’il soit approprié de l’ordonner.
  2.   Bien qu’il soit opportun de tenir compte des possibles conséquences de l’ordonnance, il appartient toutefois aux parties de présenter au Tribunal en temps opportun les préoccupations qu’elles pourraient avoir à l’égard de l’application de l’article 186 de la LSST.
  3.   Selon la jurisprudence, le fardeau de preuve appartient alors à la partie qui l’invoque[225].
  4.   Ajoutons, comme le démontre le contenu des divers procès-verbaux, que cette opportunité a été offerte aux parties, y compris au PGQ.
  5.   Les parties ont également été sensibilisées à ces occasions quant à la possibilité que l’article 186 de la LSST s’applique aux présentes circonstances.
  6.   Cette preuve n’ayant pas été faite, le Tribunal fait siens à cet égard les motifs de la Cour supérieure, évoqués dans une circonstance similaire[226].

La nécessité de suspendre les interventions non planifiées sur les routes

  1.   Le Tribunal considère qu’il est nécessaire en l’occurrence d’ordonner la suspension des interventions non planifiées sur les routes.
  2.   Comme l’indique le Tribunal dans la décision Paramédics[227], l’objectif visé par cette mesure est celui de remédier de manière immédiate à des situations qui mettent en péril la santé, la sécurité ou l’intégrité physique et psychologique des travailleurs, un droit constitutionnel par ailleurs garanti par les chartes.
  3.   Or, ce danger est dans le présent cas manifeste.
  4.   Les contrôleurs routiers sont exposés à un danger d’agression lors des interventions sur les routes, qui se matérialise, compromet leur sécurité et leur intégrité physique et psychologique et que l’employeur admet ne pas contrôler.
  5.   Cette situation, rappelons-le, a de surcroît par le passé déjà nécessité une première suspension des activités de l’employeur.
  6.   Ce danger d’agression est non seulement imminent et grave, mais il est également toléré, nonobstant les mises en garde.
  7.   En effet, malgré le temps écoulé, les diverses recommandations formulées afin de régler les problématiques de sécurité ne sont toujours pas mises en œuvre par l’employeur, et ce, en dépit de ses engagements à le faire.
  8.   L’on n’est plus à l’heure des demi-mesures : il est requis de suspendre les activités d’interventions non planifiées sur les routes, afin de mettre fin immédiatement à cette situation dangereuse et que les correctifs appropriés soient mis en œuvre[228].
  9.   Comme l’indiquent la Fraternité ainsi que l’expert Berniqué, le Tribunal est lui aussi d’avis que la LSST, de même que toutes les autres garanties législatives afférentes à la sécurité des travailleurs, prohibent le statu quo.
  10.   Le Tribunal, tenant compte de tout ce qui précède, ordonne que l’employeur suspende immédiatement les activités d’interventions non planifiées sur les routes.
  11.   Le Tribunal précise toutefois que cette ordonnance de suspension n’empêche pas les contrôleurs routiers d’effectuer ces interventions dans des environnements plus sécuritaires, sur lesquels ils exercent plus de contrôle, comme aux abords des postes de contrôle.
  12.   L’expert Boivin précise, en effet, dans son rapport que le travail effectué dans les postes de contrôle est nettement plus sécuritaire que celui effectué sur les routes :

[…] dans les postes de contrôle (les « balances »), qui sont organisés de façon que les véhicules passent dans un point de pré-contrôle afin que les contrôleurs routiers fassent une inspection visuelle sommaire à partir de leur poste intérieur […]. Au besoin, les contrôleurs routiers peuvent exiger que le conducteur amène son véhicule dans l’aire extérieure de vérification approfondie, généralement située derrière le bâtiment principal. […] si le chauffeur a une réaction inappropriée, les contrôleurs routiers ont généralement la possibilité de se retirer, par exemple dans le poste de contrôle et d’appeler du renfort policier. 

 

[…] les contrôleurs routiers travaillant en postes de contrôle ou effectuant des enquêtes sont plus à même de planifier leurs interventions […].

  1.   Notons que l’expert Berniqué indique lui aussi dans le sien avoir constaté que les postes de contrôle sont plus sécuritaires. Il mentionnait à cet égard dans son rapport :

Évidemment, le risque nous semble moindre dans les postes de contrôle et les balances où les camionneurs se présentent pour l’inspection. Ils arrivent dans un terrain et un milieu plus organisé et plus sécuritaire.

  1.   Les interventions pourraient également avoir lieu sur les routes, si on les planifie adéquatement, en prévoyant notamment le lieu de l’intervention ainsi que la présence d’un nombre suffisant de travailleurs, permettant le renfort immédiat de la part des collègues ou mieux encore, l’assistance immédiate des policiers.
  2.   Le Tribunal confirme avoir lu et considéré toutes les sources et jurisprudence étayées par les parties lors de leurs argumentaires respectifs. Toutefois, il n’aborde pas davantage celles de la Fraternité afférentes à la connaissance d’office, puisqu’il n’était pas nécessaire de s’y référer afin de rendre la présente décision[229].

Balises additionnelles

  1.   Bien que l’employeur et la Fraternité l’aient demandé conjointement au Tribunal, la soussignée ne réserve pas sa compétence afin de se prononcer sur la suffisance des moyens que choisira l’employeur afin de corriger la situation.
  2.   Le Tribunal est en effet d’avis que le faire est susceptible de court-circuiter le processus de révision administrative prévu à la LSST[230].
  3.   Il appartiendra plutôt aux parties de présenter cette demande au Tribunal, en temps et lieu, après avoir respecté la séquence procédurale, si elles sont alors encore d’avis, que le principe de saine administration de la justice commande de procéder autrement que selon la procédure habituelle d’assignation des dossiers.
  4.   Par ailleurs, tenant compte de la preuve administrée, en vue de l’exercice qu’elles devront réaliser, le Tribunal souhaite attirer l’attention des parties sur les considérations suivantes.

L’effet réducteur erronément attribué à la probabilité ou fréquence de la réalisation du risque

  1.   La preuve a révélé que l’employeur comprenait mal l’étendue de son obligation d’assurer la santé et la sécurité de ses travailleurs.
  2.    Le Tribunal constate que l’employeur, tout au long de l’audience, accorde à la relative rareté des lésions un effet réducteur sur son obligation de moyens. Le directeur général du soutien aux opérations l’admet de manière transparente lors de son témoignage.
  3.   Toutefois, l’employeur diligent ne peut accorder à ce facteur un tel effet réducteur.  
  4.   La Cour provinciale du Nouveau-Brunswick écrivait à cet égard, dans la décision Gendarmerie Royale du Canada :

À mon avis, la GRC n’a pas montré qu’elle avait fait preuve de diligence raisonnable. Les agents de première ligne ont été exposés pendant des années à la possibilité de blessures graves ou de mort, lorsqu’ils interviennent […] alors que le déploiement [de l’armement] avançait à pas de tortue ; on a apparemment supposé que, la probabilité d’un tel événement étant relativement faible, une mise en œuvre rapide n’était pas nécessaire.  Comme l’a dit le juge […] dans la décision […] : 

 

Une attitude centrée sur la probabilité du danger plutôt que sur sa prévention lorsque c’est possible pourrait encourager les employeurs à faire un calcul inhumain et atroce des chances de dommages comparativement au coût de leur prévention.

 

Les témoins qui étaient membres de la direction […] ont unanimement exprimé l’avis que les membres de première ligne qui sont intervenus étaient suffisamment équipés pour faire face à la menace qui se présentait. […] Leur opinion est fondée sur les observations qu’ils ont faites dans le confort et la sécurité de leurs bureaux, toutefois, l’opinion des agents d’intervention qui ont fait face à un danger imminent ce jour-là est différente.

 

[…]

 

Presque tous les membres de la direction de la GRC qui ont témoigné au procès ont dit que la sécurité de leurs membres était pour eux une priorité. Ils ont eu beau honorer cet idéal, […] leurs paroles, leurs actes ou en l’espèce leur inaction démentent cette préoccupation.

  1.   Le Tribunal considère devoir sensibiliser à cet égard l’employeur, ainsi que ses partenaires, afin que ce critère n’affecte plus la sécurité des travailleurs, dans le futur.

L’existence d’alternatives

  1.   Les motifs du Tribunal tiennent compte des conditions de travail qui prévalent actuellement.
  2.   Le Tribunal souhaite par ailleurs préciser que la présente décision n’empêche pas l’employeur de réviser la nature du rôle qu’il confie aux contrôleurs routiers, ni encore de limiter leurs pouvoirs, s’il considère cette avenue comme appropriée.
  3.   Il s’agit non seulement de sa prérogative, mais également de l’obligation que lui impose l’article 51 (3) de la LSST d’assurer aux travailleurs une organisation du travail ainsi que des méthodes et techniques afin de l’accomplir sécuritairement.
  4.   La séquence prévue dans la section précédente tient d’ailleurs compte de cette possibilité.
  5.   Si cette avenue est celle privilégiée, l’employeur devra cependant impérativement s’assurer que ses directives, verbales et écrites, se corrèlent de manière cohérente au MNEF applicable, quelle que soit sa forme.
  6.   Le MNEF constitue en effet leur cadre de référence. Il forme l’assise principale de la formation initiale des contrôleurs routiers, celle qui permet de les confirmer dans leur fonction. Le MNEF conditionne également leurs méthodes de travail et l’accomplissement sécuritaire du travail.
  7.   Notons par ailleurs que l’expert Berniqué, lors de l’audience, a démontré qu’il est possible d’adapter le MNEF aux différentes réalités du travail.
  8.   Le témoignage de l’expert Berniqué fait écho à l’avis de l’expert Dupont, puisque ce dernier proposait lui aussi une telle avenue dans son rapport de 2011 :

[…] que le modèle d’emploi de la force qui guide leur prise de décision soit modifié afin de tenir compte des capacités d’intervention et du devoir de retrait que préconisent les procédures organisationnelles dans certaines situations. […]

 

L’une des implications directes de cette constatation est que le modèle d’emploi de la force qui sert de guide décisionnel aux contrôleurs routiers devrait être adapté afin d’en retirer l’arme à feu et d’y inclure de manière beaucoup plus explicite le devoir de se retirer lorsqu’un certain seuil de violence est atteint. […]

 

      L’option du retrait des pouvoirs de constables spéciaux

  1.   Plutôt que de revoir le MNEF applicable, le PGQ a de son côté évoqué, lors de son argumentaire, la possibilité de retirer aux contrôleurs routiers leurs pouvoirs de constable spécial, afin de rendre l’organisation de leur travail plus sécuritaire.
  2.   Le Tribunal constate toutefois que cette mesure, à elle seule, ne permettrait pas d’atteindre le résultat souhaité, puisque l’octroi du statut et des pouvoirs de constable spécial n’a pas pour effet d’augmenter le risque d’agression auquel sont exposés les contrôleurs routiers, ni de dénaturer leur rôle.
  3.   La preuve prépondérante démontre au contraire qu’il s’agit, dans les circonstances actuelles, d’un facteur de protection, qui s’arrime avec le MNEF et la réalité de travail des contrôleurs routiers lors des interventions sur route.
  4.   Notons d’abord que le contenu des rapports circonstanciés, relatifs à l’emploi de la force ou afférents à la santé et sécurité du travail, démontrent de manière prépondérante que la matérialisation de l’agression survient dans la quasi-totalité des cas lorsque le contrôleur routier effectue ses tâches habituelles afférentes au respect du Code de la sécurité routière ainsi que des lois régissant l’industrie du transport sur les routes.
  5.   Leur enlever les pouvoirs de constables spéciaux n’aurait donc aucun effet sur le contrôle du risque.
  6.   De plus, l’octroi du statut de constable spécial vise à prémunir les contrôleurs routiers contre d’éventuelles poursuites, puisqu’il leur arrive de constater dans l’accomplissement de leur travail habituel la commission d’infractions prévues au Code criminel.
  7.   Or, sans le statut et les pouvoirs de constable spécial, c’est à titre de simple citoyen qu’ils agiront dans ce type de situations.
  8.   Mentionnons que tous les témoins qui se sont prononcés sur cette question, qu’ils soient présentés par l’employeur ou la Fraternité, reconnaissent que les pouvoirs de constable spécial sont essentiels à leur travail d’agent de la paix et même qu’ils en sont indissociables.
  9.   Le Tribunal convient avec l’employeur et la Fraternité que ces pouvoirs contribuent de manière prépondérante au contrôle du risque d’agression, bien plus qu’elle ne l’augmente.
  10.   C’est en effet l’acte de nomination à titre de constable spécial qui autorise le contrôleur routier à arrêter l’individu qui commet une infraction criminelle, ce qui inclut l’agression commise à son endroit.
  11.   C’est également cet acte de nomination qui l’autorise à utiliser ses armes intermédiaires, comme le bâton télescopique ou le pulvérisateur de poivre de cayenne.
  12.   Or, le Tribunal constate à la lecture des rapports déposés à l’audience que l’utilisation de ces outils permet bien souvent de mettre fin à l’agression ou encore d’éviter une escalade, rien qu’en l’exhibant, y compris lors de l’exercice de leurs attributions habituelles à titre d’agent de la paix.
  13.   Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal est d’avis qu’enlever aux contrôleurs routiers les pouvoirs de constable spécial prévus à l’acte de nomination ne constitue pas, à elle seule, une véritable solution à la problématique dénoncée par la Fraternité, puisqu’une telle mesure, sans modulation du MNEF applicable, n’aurait pas pour effet d’accroître leur sécurité, ni de réduire leur exposition au risque d’agression.

Sur l’arme à feu

  1.   Le PGQ affirmait lors de son argumentaire, que l’arme à feu n’était pas une mesure appropriée aux circonstances.
  2.   Tenant compte de la preuve administrée, le Tribunal toutefois n’est pas en mesure de le constater. L’arme à feu fait au contraire bel et bien partie des issues et des options possibles, à tout le moins du strict point de vue de la sécurité des travailleurs.
  3.   Le Tribunal convient que plusieurs des experts qui se sont prononcés sur cette question, comme les experts Ouimet, Dupont et Boivin, ne la recommandent pas.
  4.   Le Tribunal constate toutefois que leurs avis tiennent compte d’une documentation du risque insuffisante.
  5.   Leur pondération de la balance des avantages et des inconvénients s’appuie par conséquent sur un portrait incomplet de la situation.
  6.   L’arme à feu, du strict point de vue de la sécurité des travailleurs, conformément aux dispositions de la LSST et du MNEF, est par ailleurs susceptible de répondre à plusieurs des lacunes décrites précédemment.
  7.   En effet, l’arme à feu ne présente pas les mêmes limites que les armes intermédiaires, comme le pulvérisateur de poivre de cayenne, le bâton télescopique ou même l’arme à impulsions électriques. On peut l’utiliser dehors ainsi qu’à distance. Elle est par conséquent susceptible de protéger le contrôleur routier si l’agression se produit lors d’une intervention sur route aux abords d’un véhicule semi-remorque.
  8.   L’arme à feu se qualifie également à titre de force d’arrêt ou d’option de force létale, au sens du MNEF. Sa possession permet ainsi de rééquilibrer le rapport de force en faveur du contrôleur routier, par exemple lorsque l’intervention se déroule en présence d’armes à feu ou lorsque l’individu agressif manifeste l’intention de leur causer des lésions corporelles graves.
  9.   Même si les études ne confirment pas l’effet dissuasif de l’arme à feu en toutes circonstances, l’on retrouve dans les rapports déposés au dossier du Tribunal plusieurs exemples au cours desquels les policiers ont mis fin à l’agression ou à la situation à risque, seulement après avoir fait mine de l’utiliser.
  10.   Le Tribunal rappelle que le moyen choisi n’a pas à être parfait. Il n’est pas non plus nécessaire qu’il puisse s’appliquer en toute circonstance ; il doit seulement permettre de mieux contrôler le risque ou le danger.[231]
  11.   La situation décrite dans la décision Agence Parcs Canada et Martin Douglas constitue à cet égard une illustration pertinente[232]. Le Tribunal y constate plusieurs similitudes entre les conditions de travail des gardes de parc et celles des contrôleurs routiers.
  12.   Soulignons qu’à l’issue de cette audience, le Tribunal de santé et de sécurité au travail Canada a ordonné de ne pas affecter les gardes de parc à l’application de la loi, sans d’abord les munir d’une arme de poing et d’ensuite les former ainsi que les superviser, conformément aux normes comparables applicables.

La nécessité d’une intervention rapide et efficace

  1.   Le Tribunal rappelle que l’on exige également de l’employeur diligent qu’il agisse promptement et efficacement, lorsqu’il constate le danger, afin de l’éliminer, voire de le contrôler.
  2.   Il s’agit du premier objectif que vise la LSST.
  3.   Or, cela fait toutefois maintenant près de 15 ans que les premières dérogations ont ici été émises, à la suite de l’exercice d’un droit de refus des travailleurs, sans qu’elles ne soient encore corrigées.
  4.   Il importe par conséquent de s’atteler sans retard à cette tâche[233].

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

Dossier 695506-71-1904

ACCUEILLE la contestation du 10 avril 2019 du travailleur, monsieur Christian Proulx ;

INFIRME la décision rendue le 26 mars 2019 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que l’employeur ne respecte pas les obligations prévues à l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

DÉCLARE que l’employeur ne respecte pas les obligations prévues à l’article 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

DÉCLARE que l’employeur ne respecte pas les obligations prévues à l’article 51 (9) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

ÉMET les dérogations suivantes :

Pour l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail

L’employeur n’utilise pas les méthodes et techniques lui permettant d’identifier, de contrôler voire d’éliminer le risque d’agression lors des interventions sur route. En effet, l’employeur :

-          se réfère à des méthodes ou des outils, comme la matrice de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail, secteur Administration provinciale, lesquels ne se corrèlent pas adéquatement aux impératifs de prévention de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ni à l’état actuel du droit ;

-          ne concrétise pas dans ses directives écrites ni ne communique aux travailleurs ainsi qu’aux gestionnaires qui les supervisent, les recommandations retenues lors de l’exercice effectué de manière paritaire avec l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail, secteur Administration provinciale, visant à atténuer le risque, le contrôler, voire de l’éliminer ;

-          ne sensibilise pas suffisamment ni régulièrement les travailleurs et les gestionnaires qui les supervisent, quant à la nécessité de déclarer tous les événements afférents à la santé et la sécurité du travail ;

-          ne communique pas aux travailleurs ainsi qu’aux gestionnaires qui les supervisent les statistiques et informations afférentes aux événements pertinents sur le risque ni ne les informe des correctifs qu’il met en œuvre de manière régulière, claire et rigoureuse ;

-          n’élabore pas de balises susceptibles de guider et d’améliorer la qualité de l’analyse locale afférente aux événements reliés à la santé et la sécurité du travail; 

-          n’offre pas aux individus à qui il délègue la responsabilité d’effectuer l’analyse locale, la formation, l’entraînement et la supervision régulière leur permettant de maîtriser les connaissances ou les habiletés requises à l’identification du risque, comme celles relatives aux impératifs de prévention de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, au Modèle national de l'emploi de la force ainsi qu’aux principes de précaution enseignés lors de la formation initiale ;

-          n’effectue pas d’analyse globale et régulière des éléments qualitatifs et quantitatifs rapportés dans les documents pertinents, comme les rapports relatifs aux événements liés à la santé et la sécurité ;

-          n’élabore pas de plan d’action réaliste lui permettant, de manière récurrente et régulière, d’identifier, de contrôler, voire d’éliminer le risque ;

-          n’élabore pas les indicateurs lui permettant de s’assurer de manière continue de l’efficacité des mesures qu’il met en œuvre et de l’amélioration du contrôle du risque, portant notamment sur :

o       le nombre, la qualité et l’effet des mesures de diffusion de l’information pertinente aux travailleurs ainsi qu’aux gestionnaires qui les supervisent ;

o       le taux de déclaration d’événements à la santé et la sécurité par les travailleurs ;

o       la qualité de l’appréciation du risque par les travailleurs sur le terrain et par les gestionnaires qui les supervisent et qui participent à l’analyse locale ;

o       le nombre, la qualité et l’effet des campagnes de communication ;

o       les délais d’assistance des corps policiers ;

o       la qualité des échanges avec le Centre de renseignements policiers du Québec ou avec tout autre partenaire ;

o       la qualité de toutes les autres mesures identifiées au plan d’action de l’employeur ou encore mises en œuvre par ce dernier.

L’employeur devra corriger les dérogations afférentes à l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail d’ici 120 jours.

Pour l’article 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail

L’organisation du travail, les méthodes et techniques pour l’accomplir ne sont pas sécuritaires et portent atteinte à la santé des contrôleurs routiers lors des interventions sur route. En effet :

-          l’attente de l’employeur, laquelle invite le contrôleur routier à nécessairement se retirer de l’intervention dès qu’il perçoit un risque, n’est pas sécuritaire ;

-          l’employeur ne s’assure pas que les directives et les méthodes de travail qu’il préconise sont cohérentes entre elles ainsi que conformes aux diverses assises définissant le rôle d’agent de la paix et de constable spécial, notamment au Modèle national de l'emploi de la force applicable, dans l’Entente concernant la nomination des contrôleurs routiers à titre de constable spécial en vertu de l’article 519.68 du Code de la sécurité routière conclue entre l’employeur et le ministère de la Sécurité publique, ainsi que comme enseigné à l’École nationale de police du Québec;

-          l’employeur ne s’assure pas que les contrôleurs routiers lors des interventions sur route, appliquent le principe «évaluation-planification-action» prévu au Modèle national de l'emploi de la force de manière préventive, avant que ne se matérialise l’agression ;

-          le libellé de l’article 5.3 de la Politique sur le contrôle et la surveillance sur route, en poste et aire de contrôle ne reflète pas les impératifs de prévention préconisés par le Modèle national de l'emploi de la force et la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

-          l’employeur ne précise pas dans les directives et procédures quels sont les balises ainsi que les paramètres préventifs sécuritaires au risque d’agression lors des interventions sur route ;

-          l’employeur ne prend pas les mesures nécessaires afin d’informer l’ensemble de la clientèle desservie sur le rôle et les pouvoirs des contrôleurs routiers lors des interventions sur route ;

-          l’employeur ne prend pas les mesures nécessaires afin d’améliorer la coordination avec les corps policiers et les intervenants du Centre de renseignements policiers du Québec ;

-          l’employeur ne prévoit pas dans les directives ou procédures de plan de contingence, notamment lorsque les délais d’assistance des corps policiers sont déraisonnables eu égard aux circonstances ;

-          les contrôleurs routiers n’ont pas accès aux renseignements leur permettant d’appliquer de manière sécuritaire les méthodes de travail et de mieux planifier ou aménager l’intervention ;

-          la procédure permettant l’échange de renseignements entre le Centre de renseignements policiers du Québec et les contrôleurs routiers n’est pas sécuritaire puisqu’elle n’est pas optimisée, qu’elle suscite un effet délétère, en plus de prolonger déraisonnablement la durée de l’intervention ;

-          l’employeur ne fournit pas l’armement nécessaire à l’application sécuritaire des méthodes d’intervention préconisées par le Modèle national de l'emploi de la force, particulièrement lors des situations dites critiques ou encore requérant d’user d’une option de force mortelle ou d’arrêt.

L’employeur devra corriger les dérogations relatives à l’article 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail en tenant compte du délai que lui précisera la Commission, selon le degré d’avancement des travaux portant sur les dérogations de l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

Pour l’article 51 (9) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail

L’employeur n’informe pas adéquatement les contrôleurs routiers sur les risques liés à leur travail lors des interventions sur route et ne leur assure pas la formation, l’entraînement et la supervision appropriés afin de faire en sorte qu’ils aient les habiletés et les connaissances requises pour effectuer leur travail de façon sécuritaire. En effet :

-          l’employeur ne s’assure pas que les travailleurs connaissent, maîtrisent et appliquent les balises ainsi que les paramètres préventifs sécuritaires au risque d’agression lors des interventions sur route ;

-          les techniques sécuritaires de repositionnement tactique ou de retrait ne sont pas enseignées aux contrôleurs routiers ;

-          les scénarios pratiques présentés en formation ne permettent pas aux contrôleurs routiers d’acquérir les habiletés leur permettant de réagir de manière sécuritaire lors des situations à haut potentiel de risque ou dites critiques, auxquelles ils sont par ailleurs exposés dans le cadre de leur travail ;

-          la formation ne permet pas aux contrôleurs routiers de s’exercer à appliquer les méthodes d’intervention préconisées au Modèle national de l'emploi de la force de manière réaliste, en reproduisant leurs conditions de travail usuelles, par exemple, en situation d’intervention sur des véhicules semi-remorque ;

-          la fréquence d’actualisation de la formation en intervention physique ne permet pas aux contrôleurs routiers de maintenir leurs aptitudes physiques et mentales au niveau requis pour assurer leur sécurité ;

-          le programme de formation de l’employeur ne tient pas compte des besoins que les travailleurs lui expriment, notamment dans les rapports d’événements en santé et sécurité du travail ;

-          l’employeur n’élabore pas de plan d’action lui permettant de répondre de manière régulière aux besoins de formation que lui expriment les travailleurs.

L’employeur devra corriger les dérogations concernant l’article 51 (9) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail en tenant compte du délai identifié par la Commission, selon le degré d’avancement des travaux portant sur les dérogations des articles 51 (5) et 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

ORDONNE à l’employeur de suspendre l’exécution des interventions non planifiées sur les routes;

RETOURNE le dossier à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle effectue le suivi des dérogations, en vue de la reprise éventuelle des activités de travail des contrôleurs routiers.

Dossier 726636-71-2002

ACCUEILLE la contestation du 6 février 2020 de Fraternité des constables du contrôle routier du Québec ;

INFIRME la décision rendue le 29 janvier 2020 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que l’employeur ne respecte pas les obligations prévues à l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

DÉCLARE que l’employeur ne respecte pas les obligations prévues à l’article 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

DÉCLARE que l’employeur ne respecte pas les obligations prévues à l’article 51 (9) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

ÉMET les dérogations suivantes :

Pour l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail

L’employeur n’utilise pas les méthodes et techniques lui permettant d’identifier, de contrôler voire d’éliminer le risque d’agression lors des interventions sur route. En effet, l’employeur :

-          se réfère à des méthodes ou des outils, comme la matrice de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail, secteur Administration provinciale, lesquels ne se corrèlent pas adéquatement aux impératifs de prévention de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ni à l’état actuel du droit ;

-          ne concrétise pas dans ses directives écrites ni ne communique aux travailleurs ainsi qu’aux gestionnaires qui les supervisent, les recommandations retenues lors de l’exercice effectué de manière paritaire avec l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail, secteur Administration provinciale, visant à atténuer le risque, le contrôler, voire de l’éliminer ;

-          ne sensibilise pas suffisamment ni régulièrement les travailleurs et les gestionnaires qui les supervisent, quant à la nécessité de déclarer tous les événements afférents à la santé et la sécurité du travail ;

-          ne communique pas aux travailleurs ainsi qu’aux gestionnaires qui les supervisent les statistiques et informations afférentes aux événements pertinents sur le risque ni ne les informe des correctifs qu’il met en œuvre de manière régulière, claire et rigoureuse ;

-          n’élabore pas de balises susceptibles de guider et d’améliorer la qualité de l’analyse locale afférente aux événements reliés à la santé et la sécurité du travail; 

-          n’offre pas aux individus à qui il délègue la responsabilité d’effectuer l’analyse locale, la formation, l’entraînement et la supervision régulière leur permettant de maîtriser les connaissances ou les habiletés requises à l’identification du risque, comme celles relatives aux impératifs de prévention de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, au Modèle national de l'emploi de la force ainsi qu’aux principes de précaution enseignés lors de la formation initiale ;

-          n’effectue pas d’analyse globale et régulière des éléments qualitatifs et quantitatifs rapportés dans les documents pertinents, comme les rapports relatifs aux événements liés à la santé et la sécurité ;

-          n’élabore pas de plan d’action réaliste lui permettant, de manière récurrente et régulière, d’identifier, de contrôler, voire d’éliminer le risque ;

-          n’élabore pas les indicateurs lui permettant de s’assurer de manière continue de l’efficacité des mesures qu’il met en œuvre et de l’amélioration du contrôle du risque, portant notamment sur :

o       le nombre, la qualité et l’effet des mesures de diffusion de l’information pertinente aux travailleurs ainsi qu’aux gestionnaires qui les supervisent ;

o       le taux de déclaration d’événements à la santé et la sécurité par les travailleurs ;

o       la qualité de l’appréciation du risque par les travailleurs sur le terrain et par les gestionnaires qui les supervisent et qui participent à l’analyse locale ;

o       le nombre, la qualité et l’effet des campagnes de communication ;

o       les délais d’assistance des corps policiers ;

o       la qualité des échanges avec le Centre de renseignements policiers du Québec ou avec tout autre partenaire ;

o       la qualité de toutes les autres mesures identifiées au plan d’action de l’employeur ou encore mises en œuvre par ce dernier.

L’employeur devra corriger les dérogations afférentes à l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail d’ici 120 jours.

Pour l’article 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail

L’organisation du travail, les méthodes et techniques pour l’accomplir ne sont pas sécuritaires et portent atteinte à la santé des contrôleurs routiers lors des interventions sur route. En effet :

-          l’attente de l’employeur, laquelle invite le contrôleur routier à nécessairement se retirer de l’intervention dès qu’il perçoit un risque, n’est pas sécuritaire ;

-          l’employeur ne s’assure pas que les directives et les méthodes de travail qu’il préconise sont cohérentes entre elles ainsi que conformes aux diverses assises définissant le rôle d’agent de la paix et de constable spécial, notamment au Modèle national de l'emploi de la force applicable, dans l’Entente concernant la nomination des contrôleurs routiers à titre de constable spécial en vertu de l’article 519.68 du Code de la sécurité routière conclue entre l’employeur et le ministère de la Sécurité publique, ainsi que comme enseigné à l’École nationale de police du Québec;

-          l’employeur ne s’assure pas que les contrôleurs routiers lors des interventions sur route, appliquent le principe «évaluation-planification-action» prévu au Modèle national de l'emploi de la force de manière préventive, avant que ne se matérialise l’agression ;

-          le libellé de l’article 5.3 de la Politique sur le contrôle et la surveillance sur route, en poste et aire de contrôle ne reflète pas les impératifs de prévention préconisés par le Modèle national de l'emploi de la force et la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

-          l’employeur ne précise pas dans les directives et procédures quels sont les balises ainsi que les paramètres préventifs sécuritaires au risque d’agression lors des interventions sur route ;

-          l’employeur ne prend pas les mesures nécessaires afin d’informer l’ensemble de la clientèle desservie sur le rôle et les pouvoirs des contrôleurs routiers lors des interventions sur route ;

-          l’employeur ne prend pas les mesures nécessaires afin d’améliorer la coordination avec les corps policiers et les intervenants du Centre de renseignements policiers du Québec ;

-          l’employeur ne prévoit pas dans les directives ou procédures de plan de contingence, notamment lorsque les délais d’assistance des corps policiers sont déraisonnables eu égard aux circonstances ;

-          les contrôleurs routiers n’ont pas accès aux renseignements leur permettant d’appliquer de manière sécuritaire les méthodes de travail et de mieux planifier ou aménager l’intervention ;

-          la procédure permettant l’échange de renseignements entre le Centre de renseignements policiers du Québec et les contrôleurs routiers n’est pas sécuritaire puisqu’elle n’est pas optimisée, qu’elle suscite un effet délétère, en plus de prolonger déraisonnablement la durée de l’intervention ;

-          l’employeur ne fournit pas l’armement nécessaire à l’application sécuritaire des méthodes d’intervention préconisées par le Modèle national de l'emploi de la force, particulièrement lors des situations dites critiques ou encore requérant d’user d’une option de force mortelle ou d’arrêt.

L’employeur devra corriger les dérogations relatives à l’article 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail en tenant compte du délai que lui précisera la Commission, selon le degré d’avancement des travaux portant sur les dérogations de l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

Pour l’article 51 (9) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail

L’employeur n’informe pas adéquatement les contrôleurs routiers sur les risques liés à leur travail lors des interventions sur route et ne leur assure pas la formation, l’entraînement et la supervision appropriés afin de faire en sorte qu’ils aient les habiletés et les connaissances requises pour effectuer leur travail de façon sécuritaire. En effet :

-          l’employeur ne s’assure pas que les travailleurs connaissent, maîtrisent et appliquent les balises ainsi que les paramètres préventifs sécuritaires au risque d’agression lors des interventions sur route ;

-          les techniques sécuritaires de repositionnement tactique ou de retrait ne sont pas enseignées aux contrôleurs routiers ;

-          les scénarios pratiques présentés en formation ne permettent pas aux contrôleurs routiers d’acquérir les habiletés leur permettant de réagir de manière sécuritaire lors des situations à haut potentiel de risque ou dites critiques, auxquelles ils sont par ailleurs exposés dans le cadre de leur travail ;

-          la formation ne permet pas aux contrôleurs routiers de s’exercer à appliquer les méthodes d’intervention préconisées au Modèle national de l'emploi de la force de manière réaliste, en reproduisant leurs conditions de travail usuelles, par exemple, en situation d’intervention sur des véhicules semi-remorque ;

-          la fréquence d’actualisation de la formation en intervention physique ne permet pas aux contrôleurs routiers de maintenir leurs aptitudes physiques et mentales au niveau requis pour assurer leur sécurité ;

-          le programme de formation de l’employeur ne tient pas compte des besoins que les travailleurs lui expriment, notamment dans les rapports d’événements en santé et sécurité du travail ;

-          l’employeur n’élabore pas de plan d’action lui permettant de répondre de manière régulière aux besoins de formation que lui expriment les travailleurs.

L’employeur devra corriger les dérogations concernant l’article 51 (9) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail en tenant compte du délai identifié par la Commission, selon le degré d’avancement des travaux portant sur les dérogations des articles 51 (5) et 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

ORDONNE à l’employeur de suspendre l’exécution des interventions non planifiées sur les routes ;

RETOURNE le dossier à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle effectue le suivi des dérogations, en vue de la reprise éventuelle des activités de travail des contrôleurs routiers.

Dossier 1280669-71-2205

ACCUEILLE la contestation du 19 mai 2022 de la Fraternité des constables du contrôle routier du Québec ;

MODIFIE la décision rendue le 12 mai 2022 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que l’employeur ne respecte pas les obligations prévues à l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

DÉCLARE que l’employeur ne respecte pas les obligations prévues à l’article 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

DÉCLARE que l’employeur ne respecte pas les obligations prévues à l’article 51 (9) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

ÉMET les dérogations suivantes :

Pour l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail

L’employeur n’utilise pas les méthodes et techniques lui permettant d’identifier, de contrôler voire d’éliminer le risque d’agression lors des interventions sur route. En effet, l’employeur :

-          se réfère à des méthodes ou des outils, comme la matrice de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail, secteur Administration provinciale, lesquels ne se corrèlent pas adéquatement aux impératifs de prévention de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ni à l’état actuel du droit ;

-          ne concrétise pas dans ses directives écrites ni ne communique aux travailleurs ainsi qu’aux gestionnaires qui les supervisent, les recommandations retenues lors de l’exercice effectué de manière paritaire avec l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail, secteur Administration provinciale, visant à atténuer le risque, le contrôler, voire de l’éliminer ;

-          ne sensibilise pas suffisamment ni régulièrement les travailleurs et les gestionnaires qui les supervisent, quant à la nécessité de déclarer tous les événements afférents à la santé et la sécurité du travail ;

-          ne communique pas aux travailleurs ainsi qu’aux gestionnaires qui les supervisent les statistiques et informations afférentes aux événements pertinents sur le risque ni ne les informe des correctifs qu’il met en œuvre de manière régulière, claire et rigoureuse ;

-          n’élabore pas de balises susceptibles de guider et d’améliorer la qualité de l’analyse locale afférente aux événements reliés à la santé et la sécurité du travail; 

-          n’offre pas aux individus à qui il délègue la responsabilité d’effectuer l’analyse locale, la formation, l’entraînement et la supervision régulière leur permettant de maîtriser les connaissances ou les habiletés requises à l’identification du risque, comme celles relatives aux impératifs de prévention de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, au Modèle national de l'emploi de la force ainsi qu’aux principes de précaution enseignés lors de la formation initiale ;

-          n’effectue pas d’analyse globale et régulière des éléments qualitatifs et quantitatifs rapportés dans les documents pertinents, comme les rapports relatifs aux événements liés à la santé et la sécurité ;

-          n’élabore pas de plan d’action réaliste lui permettant, de manière récurrente et régulière, d’identifier, de contrôler, voire d’éliminer le risque ;

-          n’élabore pas les indicateurs lui permettant de s’assurer de manière continue de l’efficacité des mesures qu’il met en œuvre et de l’amélioration du contrôle du risque, portant notamment sur :

o       le nombre, la qualité et l’effet des mesures de diffusion de l’information pertinente aux travailleurs ainsi qu’aux gestionnaires qui les supervisent ;

o       le taux de déclaration d’événements à la santé et la sécurité par les travailleurs ;

o       la qualité de l’appréciation du risque par les travailleurs sur le terrain et par les gestionnaires qui les supervisent et qui participent à l’analyse locale ;

o       le nombre, la qualité et l’effet des campagnes de communication ;

o       les délais d’assistance des corps policiers ;

o       la qualité des échanges avec le Centre de renseignements policiers du Québec ou avec tout autre partenaire ;

o       la qualité de toutes les autres mesures identifiées au plan d’action de l’employeur ou encore mises en œuvre par ce dernier.

L’employeur devra corriger les dérogations afférentes à l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail d’ici 120 jours.

Pour l’article 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail

L’organisation du travail, les méthodes et techniques pour l’accomplir ne sont pas sécuritaires et portent atteinte à la santé des contrôleurs routiers lors des interventions sur route. En effet :

-          l’attente de l’employeur, laquelle invite le contrôleur routier à nécessairement se retirer de l’intervention dès qu’il perçoit un risque, n’est pas sécuritaire ;

-          l’employeur ne s’assure pas que les directives et les méthodes de travail qu’il préconise sont cohérentes entre elles ainsi que conformes aux diverses assises définissant le rôle d’agent de la paix et de constable spécial, notamment au Modèle national de l'emploi de la force applicable, dans l’Entente concernant la nomination des contrôleurs routiers à titre de constable spécial en vertu de l’article 519.68 du Code de la sécurité routière conclue entre l’employeur et le ministère de la Sécurité publique, ainsi que comme enseigné à l’École nationale de police du Québec;

-          l’employeur ne s’assure pas que les contrôleurs routiers lors des interventions sur route, appliquent le principe «évaluation-planification-action» prévu au Modèle national de l'emploi de la force de manière préventive, avant que ne se matérialise l’agression ;

-          le libellé de l’article 5.3 de la Politique sur le contrôle et la surveillance sur route, en poste et aire de contrôle ne reflète pas les impératifs de prévention préconisés par le Modèle national de l'emploi de la force et la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;

-          l’employeur ne précise pas dans les directives et procédures quels sont les balises ainsi que les paramètres préventifs sécuritaires au risque d’agression lors des interventions sur route ;

-          l’employeur ne prend pas les mesures nécessaires afin d’informer l’ensemble de la clientèle desservie sur le rôle et les pouvoirs des contrôleurs routiers lors des interventions sur route ;

-          l’employeur ne prend pas les mesures nécessaires afin d’améliorer la coordination avec les corps policiers et les intervenants du Centre de renseignements policiers du Québec ;

-          l’employeur ne prévoit pas dans les directives ou procédures de plan de contingence, notamment lorsque les délais d’assistance des corps policiers sont déraisonnables eu égard aux circonstances ;

-          les contrôleurs routiers n’ont pas accès aux renseignements leur permettant d’appliquer de manière sécuritaire les méthodes de travail et de mieux planifier ou aménager l’intervention ;

-          la procédure permettant l’échange de renseignements entre le Centre de renseignements policiers du Québec et les contrôleurs routiers n’est pas sécuritaire puisqu’elle n’est pas optimisée, qu’elle suscite un effet délétère, en plus de prolonger déraisonnablement la durée de l’intervention ;

-          l’employeur ne fournit pas l’armement nécessaire à l’application sécuritaire des méthodes d’intervention préconisées par le Modèle national de l'emploi de la force, particulièrement lors des situations dites critiques ou encore requérant d’user d’une option de force mortelle ou d’arrêt.

L’employeur devra corriger les dérogations relatives à l’article 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail en tenant compte du délai que lui précisera la Commission, selon le degré d’avancement des travaux portant sur les dérogations de l’article 51 (5) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

Pour l’article 51 (9) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail

L’employeur n’informe pas adéquatement les contrôleurs routiers sur les risques liés à leur travail lors des interventions sur route et ne leur assure pas la formation, l’entraînement et la supervision appropriés afin de faire en sorte qu’ils aient les habiletés et les connaissances requises pour effectuer leur travail de façon sécuritaire. En effet :

-          l’employeur ne s’assure pas que les travailleurs connaissent, maîtrisent et appliquent les balises ainsi que les paramètres préventifs sécuritaires au risque d’agression lors des interventions sur route ;

-          les techniques sécuritaires de repositionnement tactique ou de retrait ne sont pas enseignées aux contrôleurs routiers ;

-          les scénarios pratiques présentés en formation ne permettent pas aux contrôleurs routiers d’acquérir les habiletés leur permettant de réagir de manière sécuritaire lors des situations à haut potentiel de risque ou dites critiques, auxquelles ils sont par ailleurs exposés dans le cadre de leur travail ;

-          la formation ne permet pas aux contrôleurs routiers de s’exercer à appliquer les méthodes d’intervention préconisées au Modèle national de l'emploi de la force de manière réaliste, en reproduisant leurs conditions de travail usuelles, par exemple, en situation d’intervention sur des véhicules semi-remorque ;

-          la fréquence d’actualisation de la formation en intervention physique ne permet pas aux contrôleurs routiers de maintenir leurs aptitudes physiques et mentales au niveau requis pour assurer leur sécurité ;

-          le programme de formation de l’employeur ne tient pas compte des besoins que les travailleurs lui expriment, notamment dans les rapports d’événements en santé et sécurité du travail ;

-          l’employeur n’élabore pas de plan d’action lui permettant de répondre de manière régulière aux besoins de formation que lui expriment les travailleurs.

L’employeur devra corriger les dérogations concernant l’article 51 (9) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail en tenant compte du délai identifié par la Commission, selon le degré d’avancement des travaux portant sur les dérogations des articles 51 (5) et 51 (3) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

ORDONNE à l’employeur de suspendre l’exécution des interventions non planifiées sur les routes ;

RETOURNE le dossier à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle effectue le suivi des dérogations.

 

 

 

 

 

__________________________________

 

Danielle Tremblay

 

 

 

Me Marie-Christine Dufour

POUDRIER, BRADET SOCIÉTÉ D’AVOCATS

Pour M. Christian Proulx et la Fraternité des constables du contrôle routier du Québec

 

Me Natasha LaPointe

LAPOINTE, TANGUAY (JUSTICE-QUÉBEC)

Pour la Société de l’assurance automobile du Québec

 

Me Julie Perrier

LAROCHE AVOCATS CNESST

Pour la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail

 

Me Francis Durocher

BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)

Pour le Procureur Général du Québec

 

Date de la mise en délibéré : 11 septembre 2024

 


[1]  Rapport d’intervention du 11 novembre 2010 n’a pas été contesté par les parties. Le Tribunal le considère par conséquent final et irrévocable.

[2]  Ces deux contestations portent les numéros 695506-71-1904 et 726636-71-2002.

[3]  Ce litige porte le numéro 1280669-71-2205.

[4]  Ordonnance rendue le 22 juin 2020 en vertu de l’article 19 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, la LITAT.

[5]  Proulx et Société de l’Assurance automobile du Québec, 2021 QCTAT 4248.

[6]  Avis d’intervention du 23 février 2022.

[7]  RLRQ, c. C-24.2.

[9]  RLRQ c. T-12.

[11]  St-Joseph-du-Lac (Municipalité de) c. Deux-Montagnes (Ville de), 2006 QCCS 1991 ; Voir également Pichet c. Ville de Montréal, 2022 QCCQ 5417 : le passage auquel se réfère le PGQ renvoie à Lamothe c. Ville de Montréal, 2020 QCCQ 2292.

[12]  Entente concernant la nomination des contrôleurs routiers à titre de constable spéciale en vertu de l’article 519.68 du Code de la sécurité routière (ce pouvoir se retrouve aujourd’hui à l’article 519.69 du Code).

[13]  Un constat que faisait également le professeur Ouimet, mandaté par l’employeur afin d’analyser la sécurité des conditions de travail des contrôleurs routiers, dans son étude du 29 janvier 2003.

[14]  CONTRÔLE ROUTIER QUÉBEC, Article 5.8 de la Politique sur l’exercice des statuts, pouvoirs et devoirs du contrôleur routier – CE-POL-01 ; article 5.1 de la la Politique sur l’intervention en présence d’infractions criminelles, CE-PR-033, Contrôle et Enquête -Vice-Présidence au contrôle et la sécurité des véhicules.

[15]  CONTRÔLE ROUTIER QUÉBEC, Article 5.10 de la Politique sur l’exercice des statuts, pouvoirs et devoirs du contrôleur routier, précitée note 14.

[17]  Parfois aussi appelée ‘ « taser »’.

[18]  CONTRÔLE ROUTIER QUÉBEC, Article 5.14.3 sur la Procédure d’arrestation en vertu du CC et du CPP, d’utilisation des menottes et de fouille, CE-PR-034.

[19]  Article 5.11 de la Politique sur l’exercice des statuts, pouvoirs et devoirs du contrôleur routier, précitée note 14.

[20]  2021 QCTAT 1401. Le pourvoi en contrôle judiciaire actuellement pendant ne s’attaque pas à la validité de cet énoncé. Voir également : Ciment Québec inc., et Ciment Québec inc. (Repres. Trav.), C.L.P. 265687-31-0506, 19 juillet 2007, G. Tardif; Construction Bao inc. et CPQMC, 2015 QCCLP 3565 ; Coopérative des Paramédics du Grand-Portage et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2016 QCTAT 3849 ; Association des pompiers de Montréal et Service des incendies de Montréal, 2011 QCCLP 5873 ; Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec et Ministère de la Sécurité publique, 2016 QCTAT 1963.

[21]  Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Les Mines Sigma (Québec) Ltée, 1992-05-25, J.E. 92-1397, [1992] T.T. 391. Voir également : Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Extraction R. M. Ltée, T.T., 1989-05-26), D.T.E. 89T-869.

[22]  ÉCOLE NATIONALE DE POLICE DU QUÉBEC, Le Modèle national de l’emploi de la force – Document explicatif, Centre des savoirs disciplinaires.

[23]  Id.

[24]  ibid.

[25]  Précitée, note précité 22.

[26]  Certaines particularités du MNEF et l’enseignement afférent peuvent se moduler, par exemple en fonction des contraintes organisationnelles et de l’armement mis à leur disposition. Il peut ainsi y avoir d’autres modèles.

[27]  Se référer à l’article 9 de la Politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages, ÉNPQ, ainsi qu’à son annexe 2 : Particularités des règles d’évaluation au Programme de formation initiale des contrôleurs routiers. La formation « Intervenir physiquement auprès des personnes »’ est par ailleurs adaptée à chaque organisation, en tenant compte des options de force mises à leur disposition.

[28]  Il s’agit des principes de défense et tactiques.

[31]  C’est ainsi que le qualifie l’inspecteur. Dans son rapport du 1er février 2019, l’inspecteur indique qu’un autre événement, de même nature, lui aussi considéré à haut risque, est également survenu en 2009. Sa description se retrouve dans le rapport du chercheur Dupont.

[32]  Il s’agit d’une banque de renseignements informatisés, administrée par la Sûreté du Québec, contenant des informations destinées à faciliter le travail des agents de la paix. Certains modules du CRPQ contiennent notamment des informations policières confidentielles destinées à l’identification de suspects.

[33]  Soulignons que la Commission en décide autrement, dans les rapports d’intervention du 18 juin et du 9 octobre 2020 concernant une autre situation de nature similaire, nécessitant la sécurisation d’arme à feu. Elle constate à cette occasion que la directive que doivent appliquer les contrôleurs routiers n’est pas conforme à ce que l’ÉNPQ leur enseigne lors de la formation initiale. Elle note également que l’employeur n’offre pas d’actualisation de la formation sur le maniement d’armes. Elle émet deux dérogations, lesquelles seront ensuite corrigées par l’employeur, sans contestation de sa part.

[34]  Environ quatre à cinq minutes.

[35]  La décision rendue en révision administrative ne porte que sur ce seul aspect. Les dérogations émises par l’inspecteur ne sont pas contestées par la Fraternité et ne font, par conséquent, pas partie du litige. 

[36]  Lussier Pontiac Buick GMC ltée, 2012 QCCLP 6368.

[37]  RLRQ, c. CCQ-1991.

[38]  J.H c. Malenfant, 2010 QCCS 4248. Voir également : Monique DUPUIS et Stéphane REYNOLDS, Titre II, chap. I : « Les qualités et les moyens de preuve », dans ÉCOLE DU BARREAU DU QUÉBEC, Preuve et procédure, vol. 2, coll. « Collection de droit 2017-2018 », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2017, pp. 197-314, [En ligne], <https://edoctrine.caij.qc.ca/collection-de-droit/2017/2/1580701869/>.

[39]  Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Les Mines Sigma (Québec) Ltée, précitée, note 21.

[40]  Dans les dossiers 695506-71-1904 et 726636-71-2002.

[41]  Articles 1 et 6(2) de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail.

[42]  Sauf du pouvoir d’emprisonnement, article 10 de la LITAT.

[43]  Article 6 de la Loi sur les Commissions d’enquête, RLRQ, c. C-37 et article 9(4) de la LITAT. Un principe qui s’applique également à l’étendue de son rôle dans le cadre de l’aménagement de l’instance : Lapierre et Hôtel Queen 2000, 2012 QCCLP 6303.

[44]  Article 11 de la Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3. Voir également : Brière c. Laberge, [1985] RDJ 599 (C.A.).

[45]  RLRQ, c. C-25.01.

[46]  Article 9 de la Loi sur la justice administrative.

[47]  Article 10 de la Loi sur la justice administrative.

[48]  Boulangerie Repentigny inc. et Goudime, 2016 QCTAT 792. Voir également : Technologie Labtronix inc. c. Technologie Micro contrôle inc., [1998] R.J.Q. 2312 (C.A.), en y faisant les adaptations nécessaires, tenant compte du processus inquisitoire que doit administrer le Tribunal; Rivest c. Bombardier (Centre de finition), 2007 QCCA 622.

[49]  RLRQ, c. T-15.1.

[50]  Article 9(3) de la LITAT.

[51]  Article 9(4) de la LITAT.

[52]  Article 9(5) de la LITAT.

[53]  Article 6 (2) de la LITAT.

[54]  Blouin et Lac d’Amiante du Québec ltée, C.L.P. 359108-03B-0809, 9 juillet 2009, J.A. Tremblay.

[55]  CPE Au jardin des Abeilles c. Tribunal administratif du travail, 2024 QCCS 7.

[56]  Larcher et Acoustique S. Mayer, 2017 QCTAT 1673; ; Létourneau et Hôtel Le Président, 2013 QCCLP 5608; Petit-Homme et Résidence Biermans, 2018 QCTAT 4126 ; Maurice Guillemette inc. et Lemay, 2019 QCTAT 3663 ; Bessaih et A.S.A.P. Secured inc., 2020 QCTAT 2297. Bien que la situation de fait contestée soit différente de la nôtre, ce principe figure également dans l’arrêt : Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson [2005] 1 R.C.S. 257.

[57]  Bibaud et Proslide Technology inc., [2003] C.L.P. 294, décision accueillant la requête en révision.

[58]  Société des postes canadiennes c. Morency, [1989] R.J.Q. 2300 (C.A.)

[59]  2016 QCTAT 3849.

[60]  Boudreault et Centres jeunesse de Montréal, 2012 QCCLP 1583.

[61]  Gagnon c. La Commission des lésions professionnelles, 2006 QCCS 4981.

[62]  Société Canadienne des postes c. Morency, précitée, note 58 ; Boudreau et Centre jeunesse de Montréal, 2012 QCCLP 1583 ; Fortin et Rio Tinto Alcan, 2019 QCTAT 144.

[63]  Fortin c. La Commission des lésions professionnelles, [1999] CLP 1109 (C.S). Voir également : Gagnon c. La Commission des lésions professionnelles, 2006 QCCS 4981 ; J.R. et Société de l’assurance automobile du Québec, 2011 QCCA 1595.

[64]  Composants J.V. Canada et Caron, C.L.P 186504-64-0206, 3 décembre 2002, B. Roy citant avec approbation la doctrine élaborée dans YVES OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada : preuve et procédure, Montréal, Éditions Thémis, 1997, p. 29.  Voir au même effet : Hétu et Centre hospitalier Royal Victoria, [2000] C.L.P. 365, décision sur requête en révision ; Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec et Québec (Ministère de la Sécurité publique), 2015 QCCLP 6093 ; Syndicat des Agents de la paix en Services correctionnels du Québec et Ministère de la Sécurité publique (Détention), C.L.P. 280061-04-0601-C, 29 août 2007, J.-F. Clément.

[65]  RLRQ, c. A-3.001.

[66]  Fortin et Rio Tinto Alcan, précité, note 62. Voir également : Lafarge Canada inc. et Représentant prévention Lafarge Canada inc., 2019 QCTAT 1605 ; Mines Agnico Eagle ltée et Syndicat des Métallos (local 4796), 2018 QCTAT 3096.

[67]  Major et Rock & Pauline Patry Transport, [2004] C.L.P.811.

[68]  Marché Bel-Air Inc. et Desrochers, C.L.P. 90831-63-9708, 13 mai 1999, D. Beauregard, révision rejetée, 13 décembre 1999, P. Brazeau.

[69]  Blanchard et Ville de Longueuil, 2018 QCTAT 464; Trudel et Service de transport adapté de la Capitale inc., [2008] C.L.P.388; Desruiseaux et C.L.P., [2000], C.L.P. 556 (C.S.).

[70]  Beaver Asphalt Paving Co. et Scalia, [1996] C.A.L.P. 985.

[71]  Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec et Ministère de la Sécurité publique, 2016 QCTAT 1963.

[72]  2024 QCCA 1374.

[73]  Blouin et Lac d’Amiante du Québec ltée, précitée, note 54.

[74]  Plutôt qu’en entreprises, ou encore dans les postes de contrôle.

[75]  SAPSCQ et Québec (Ministère de la Sécurité publique), 2011 QCCLP 298.

[76]  Article 51 de la LITAT.

[77]  Article 176 de la LSST.

[78]  Précitée, note 56.

[79]  J.R. et Société de l’Assurance automobile du Québec, précitée, note 63.

[80]  Précitée, note 58. Voir également : Commission d'appel en matière de lésions professionnelles c. Turbide, [1997] C.A.L.P. 1375 (C.A.).

[81]  Leprohon inc., 2017 QCTAT 4837 ; Représentant à la prévention et Glencore Canada Corporation – Fonderie Horne, 2023 QCTAT 4625 ; Fraternité des policiers et policières de Montréal, 2022 QCTAT 372 ; Ministère de la Sécurité publique et Établissement de détention (Roberval), C.L.P.

 357448-02-0809, 28 juin 2010, A. Vaillancourt ; Coopérative des Paramédics du Grand-Portage et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 59.

[82]  Ladite formation est tenue de manière virtuelle. Son contenu est théorique et ne permet pas la manipulation d’armes à feu. Bien que la Commission indique dans un premier temps que les préoccupations de la Fraternité à cet égard sont légitimes, l’inspectrice dans le dernier rapport de l’intervention du 18 mai 2021, confirme que la dérogation précédemment émise à ce sujet, tenant compte notamment du contexte associé au virus Covid-19, est corrigée.

[83]  Blouin et Lac d’Amiante du Québec ltée, précitée, note 54.

[84]  id.

[85]  La formation étant identique pour tous les contrôleurs routiers.

[86]  Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Les Mines Sigma (Québec) Ltée, précitée, note 21. Voir également : Roireau et Les produits chimiques Expro inc., (T.T.), 1984-02-06), D.T.E. 84T-306.

[87]  [1983] T.T. 75; 2008 QCCQ 6769.

[88]  Jean-Pierre VILLAGGI, « La protection des travailleurs : l'obligation générale de l'employeur », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996; Pauline LESAGE-JARJOURA et Suzanne PHILIPPS-NOOTENS, Éléments de responsabilité civile médicale : Le droit dans le quotidien de la médecine, 2e éd., Cowansville Éditions Yvon Blais, 2001, pp 40-41; Bernard CLICHE, Serge LAFONTAINE et Richard MAILHOT, Traité de droit de la santé et de la sécurité au travail : le régime juridique de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1993.

[89]  Le Tribunal, lorsqu’il analyse les litiges en matière d’inspection, doit plus souvent évaluer  l’adéquation ou la suffisance des mesures déjà identifiées et mises en place par l’employeur.

[90]  [1978] 2 R.C.S. 1299. Voir également : Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Les Mines Sigma (Québec) Ltée, précitée, note 21.

[91]  Hubert REID et Simon REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien : avec table des abréviations et lexique anglais-français,3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur 2004.

[92]  Pauline LESAGE-JARJOURA et Suzanne PHILIPPS-NOOTENS, Éléments de responsabilité civile médicale : Le droit dans le quotidien de la médecine, précitée, note 88. Voir également les termes : Diligence, Obligations de moyens, Obligations de diligence dans le Dictionnaire de droit québécois et canadien, précité note 91.

[93]  L.R.C. (1985), c. L-2; Agence Parcs Canada et Douglas Martin et Alliance de la fonction publique, TSSTC, décision no : CAO-07-015, D. Malanka; R. c. Gendarmerie Royale du Canada, 2017 NBCP 6.

[94]  Ainsi que les différences entre les législations, lorsque applicables.

[95]  Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U., c. 11)]. [En ligne] <http://www.canlii.org/fr/ca/const/const1982.html#I>.

[96]  RLRQ, c. C-12, [En ligne] <http://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/C-12>.

[97]  RLRQ, c. CCQ-1991, [En ligne] <http://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/CCQ-1991>.

[98]  Article 4 de la LSST

[99]  Article 2 de la LSST.

[100]  2015 QCCLP 2281.

[101]  Voir également : Bell Canada c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, [1988] 1 R.C.S. 749 ; Syndicat des agents de la paix des services correctionnels du Québec et Québec (Ministère de la Sécurité publique), 2011 QCCLP 4960.

[102]  Ville de Drummondville et Regroupement des pompières et pompiers de Drummondville, 2011 QCCLP 7941.

[103]  C.L.P. 155509-72-0102, 13 juin 2002, C.-A. Ducharme.

[104]  Coopérative des Paramédics du Grand-Portage et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 59.

[105]  Article 51 de la LSST et Domtar inc. c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, [1990] CALP 989 (C.A.) Voir également : Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Les Mines Sigma (Québec) Ltée, précite, note 21.

[106]  Précitée, note 20. Voir également : Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Bow Groupe de Plomberie inc., 2011 QCCQ 2925.

[107]  Ville de Drummondville et Regroupement des pompiers et pompières de Drummondville, précitée, note 102; Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat canadien de la fonction publique (local 301), 2015 QCCLP 3961. Voir également l’article 2085 du Code civil du Québec.

[108]  (T.T., 2001-05-24), D.T.E 2001T-842. Voir également : CSST et Carrier & Bégin inc., précitée, note 87, au même effet.

[109]  Les Constructions Patrick Sévigny inc. et C.P.Q.M.C international, 2016 QCTAT 4626.

[110]  Société de transport de Montréal (gestion de patrimoine) et Association accréditée de la Société de transport de Montréal, C.L.P. 377010-71-0905, 4 octobre 2010, C. Racine ; Ville de Drummondville et Regroupement des pompières et pompiers de Drummondville, précitée, note 102 ; Samuel & Fils ltée (Québec) et Les Métaux spécialisés Samuel, 2011 QCCLP 6285.

[111]  Article 182 de la LSST.

[112]  Bombardier Aéronautique inc. c. Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail et Tribunal administratif du travail, 2020 QCCA 315 ; Société de transport de Montréal (gestion de patrimoine) et Association accréditée de la Société de transport de Montréal, précitée note 110;

[113]  Coopérative des Paramédics du Grand-Portage et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 59.

[114]  Article 186 de la LSST. -

[115]  189 de la LSST.

[116]  Article 237 de la LSST.

[117]  Dollarama SEC #111 et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2014 QCCLP 6679.

[118]  2007 QCCLP 3971. Les principes développés dans cette décision relative à une demande au Programme Pour une maternité sans danger s’appliquent aux dossiers d’inspection.

[119]  Voir également : Les Professionnel(le)s en Soins de Santé Unis (PSSU-FIQP) et CHSLD Vigi Reine-Élizabeth, 2021 QCTAT 1401 ; Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Les Mines Sigma (Québec) Ltée, précitée, note 21.

[120]  Notamment dans Les constructions Patrick Sévigny inc., et C.P.Q.M.C. international, 2016 QCTAT 4626.

[121]  Institut Phillipe-Pinel de Montréal et Lebeau, C.L.P. 316751-71-0705, 10 mars 2008, A. Vaillancourt; Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Carrier & Bégin inc. précitée, note 87.

[122]  Centre hospitalier de St. Mary et Iracani, précitée, note 118 ; Construction Bao inc., et CPQMC,  précitée, note 20; Bistro Lala et CSST, 2011 QCCLP 1796; Ville de Saguenay et C.P.Q.M.C.               international, 2023 QCTAT 4889 ; Vallerex inc. et Commission des normes, de l’équité, de la               santé et de la sécurité du travail, 2024 QCTAT 3314.

[123]  Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec et Ministère de la Sécurité publique (Détention), précitée, note 64. Voir également : Institut Phillipe-Pinel de Montréal et Comtois, 2012 QCCLP 4254 ; Garoy Construction inc. et Jean Leclerc Excavation, 2013 QCCLP 1920.

[124]  Garoy Construction inc. et Jean Leclerc Excavation, précitée, note 123 ; Leblanc et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2012 QCCLP 5819 ; J. P. Binette inc. et C.P.M.C., 2013 QCCLP 6590.

[125]  Lavigne et Détention Montréal – ministère de la Sécurité publique, C.L.P. 362736-71-0811, 28 octobre 2010, C. Racine. Voir également : CSSS du Nord de Lanaudière et Chartier, 2011 QCCLP 6060 ; Morin et Sûreté du Québec, C.L.P. 193808-04-0210, 18 janvier 2006, F. Mercure.

[126]  Dollarama SEC #111 et Commission de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 117 ; Mines Agnico Eagle ltée et Syndicat des Métallos (local 4796), précitée, note 66; Garoy Construction inc. et Jean Leclerc Excavation, précitée note 123.

[127]  Roireau et Les produits chimiques Expro inc., précitée, note 86.

[128]  CSST et Carrier & Bégin inc., précitée, note 87. Voir également : Bistro Lala et CSST, précitée, note 122; Rebuts solides canadiens inc., et Syndicat canadien de la fonction publique (local 301), précitée, note 107.

[129]  Dollarama SEC #111 et Commission de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 117.

[130]  La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles confirmait déjà que les obligations de l’employeur englobent l’aspect psychologique des travailleurs : Forget-Chagnon et Marché Bel-Air inc., [2000] CLP 388. Les modifications faites plus récemment à la LSST n’ont fait qu’avaliser ce constat.

[131]  Rapport du 26 novembre 2019 de l’expert Berniqué, de la Fraternité.

[132]  Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Les Mines Sigma (Québec) Ltée, précitée, note 21.

[133]  La compilation se terminait au 12 juillet 2024.

[134]  Les incidents ne seront compilés de manière systématique par l’employeur qu’à compter de 2016. Les données précédentes, documentées par la Fraternité, sont des événements portés à sa connaissance de manière ponctuelle.

[136]  L’on indique dans un rapport d’intervention du 12 mai 2009 qu’un événement survenu vers 2007, impliquant un individu ayant poursuivi deux contrôleurs routiers avec une arme blanche (hache) aurait suscité deux lésion professionnelles indemnisées, des chocs post-traumatiques. Le Tribunal présume qu’il s’agit du même événement.

[137]  Environ 120 pieds, si l’on tient compte de la longueur de la semi-remorque et de la distance avec leur véhicule.

[139]  OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE, Vitrine linguistique, [En ligne]

 < https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/508248/risque-inherent>

 < https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8351570/risque-residuel >.

[140]  2016 QCTAT 1963.

[141]  Dollarama SEC #111 et Commission de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 117; CSST et Carrier & Bégin inc., précitée, note 87.

[143]  2019 QCTAT 2153.

[144]  Domtar, précitée note 105. Voir également : Jean-Pierre VILLAGGI, « La protection des travailleurs – L’obligation générale de l’employeur » précitée, note 88.

[145]  Ville de Drummondville et Regroupement des pompières et pompiers de Drummondville, précitée, note 102 ; SAPSCQ et ministère de la Sécurité publique, précitée, note 75; Coopérative des Paramédics du Grand-Portage et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 59.

[146]  Syndicat des technologues Hydro-Québec et Hydro-Québec (Gestion accident de travail), 2014 QCCLP 6698 ; Rebuts solides canadiens inc., et Syndicat canadien de la fonction publique (local 301), précitée, note 107; Comité paritaire SST, coprésident et Ville de Gatineau, 2017 QCTAT 3319 ; Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec et Ministère de la sécurité publique, précitée, note 20; Ciment Québec inc. et Ciment Québec inc. (repres.trav.), précitée, note 20.

[147]  Phillipe-Pinel de Montréal et Lebeau, précitée, note 121 ; Mines Agnico Eagle ltée et Syndicat des Métallos (local 4796), précitée note 66.

[148]  Institut Phillipe-Pinel de Montréal et Lebeau, précitée, note 121.

[149]  Précitée, note 88.

[151]  Couture c. Hydro-Québec, (T.T., 1982-09-30), D.T.E. T82-746. Voir également : Les Professionnel(le)s en Soins de Santé Unis (PSSU-FIQP) et CHSLD Vigi Reine-Élizabeth, 2021 QCTAT 1401.

[152]  Construction Bao inc., et CPQMC, précitée, note 20.

[153]  Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, précitée, note 107. Voir également : Ville de Drummondville et Regroupement des pompières et pompiers de Drummondville, précitée, note 102; Dollarama SEC #111 et Commission de la santé et de la sécurité du travail ; CSST et Carrier & Bégin inc., précitée, note 87.

[154]  Ville de Drummondville et Regroupement des pompiers(ières) de Drummondville, précitée, note 102.

[155]  Précitée, note 101. Voir également : Ville de Drummondville et Regroupement des pompières et pompiers de Drummondville, précitée, note 102.

[156]  Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, précitée, note 107.  

[157]  T.U.A.C. (local 1991-P) et Transformation B.F.L., C.L.P. 410665-04-1005, 2 novembre 2010, R. Napert.

[158]  CSSS du Nord de Lanaudière et Chartier, 2011 QCCLP 6060 ; Mines Agnico Eagle ltée et Syndicat des Métallos (local 4796), précitée note 66; Fraternité des policiers et policières de Montréal et Ville de Montréal, précitée, note 81.

[159]  Fraternité des policiers et policières de Montréal et Ville de Montréal, précitée, note 81; Rebuts solides canadiens inc., et Syndicat canadien de la fonction publique (local 301), précitée, note 107.

[160]  Id.

[161]  Bell Canada c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, précitée note 101 ; Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat canadien de la fonction publique (local 301), précitée, note 107.

[162]  Précitée, note 105.

[163]  Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Les Mines Sigma (Québec) Ltée, précitée, note 21. Voir également : Roireau et Les produits chimiques Expro inc., précitée, note 86.

[164]  Sa majesté la Reine c. Gendarmerie royale du Canada, précitée note 93.

[166]  Précitée, note 125.

[167]  Une circonstance que l’on retrouve souvent alléguée par ce dernier dans la preuve documentaire consignée au dossier administratif.

[168]  Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Bow Groupe de Plomberie, 2011 QCCQ 2925.

[169]  [1999] 2 R.C.S. 817.

[170]  Voir également : Sa Majesté La Reine c. Gendarmerie, précitée, note 93.

[171]  Sirois et Établissement de détention de Rimouski, 2011 QCCLP 2328.

[172]  Un constat qui s’infère du contenu implicite et explicite de leurs rapports d’intervention, des notes qu’elles ont consignées à cette occasion ainsi du témoignage du président de la Fraternité entendu lors de l’audience sur les moyens préliminaires.

[173]  Syndicat des Agents de la paix en Services correctionnels du Québec et Ministère de la Sécurité publique, précitée, note 64.

[174]  Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précitée, note 169.

[175]  Précitée, note 157.

[176]  Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Les Mines Sigma (Québec) Ltée, précitée, note 21.

[177]  Celui du 26 février 2021.

[178]  Vitrine linguistique : [En ligne] <https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26552288/facteur-de-risque> ; voir également : [En ligne] <https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/cntrng-crm/crm-prvntn/fndng-prgrms/rsk-fctrs-fr.aspx>.

[179]  Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Les Mines Sigma (Québec) Ltée, précitée, note 21.

[180]  T.U.A.C. (local 1991-P) et Transformation B.F.L., précitée note 157.

[181]  Ajoutons que ce même extrait est reproduit intégralement dans les deux autres rapports de l’APSSAP.

[182]  C’est-à-dire lors d’une arrestation à la suite de la commission d’une infraction criminelle ou encore nécessitant l’emploi l’utilisation d’armes intermédiaires.

[183]  Sur lesquels s’appuient le dépôt d’accusation ou l’arrestation.

[184]  Lesquels réfèrent à notamment à l’utilisation de techniques de contrôle physique ou d’armes intermédiaires, comme le bâton télescopique ou le pulvérisateur de poivre de cayenne.

[185]  CONTRÔLE ROUTIER QUÉBEC, Politique sur la santé et la sécurité du travail, SST-POL-01, 1er janvier 2018, Contrôle et Enquête -Vice-Présidence au contrôle et la sécurité des véhicules.

[186]  Comme lors de la saisie des clés à l’intérieur de son véhicule ou encore lors intervention faite au domicile ou encore sur le lieu de travail de l’individu.

[187]  C.L.P. 380034-62B-0906, 21 octobre 2010, R. Langlois. 

[188]  Morin et Sûreté du Québec, précitée, note 125: « […] le fait de devoir travailler avec des civils non armés dans le cadre d’une opération de perquisition policière comportant des dangers d’agression armée constitue une circonstance inhabituelle et anormale de travail pour les policiers. […] le fait que les agents de sécurité suivent une formation et portent un équipement de sécurité ne change rien au danger de blessures graves que peuvent subir les policiers du fait de devoir effectuer des opérations policières avec des civils ».

[189]  Qui n’est le même que dans le premier exemple.

[190]  Roireau et Les produits chimiques Expro inc., précitée, note 86. Voir également : Éléments de responsabilité civile médicale : le droit dans le quotidien de la médecine.

[191]  Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Carrier & Bégin inc., précitée, note 87. Voir également : Bernard CLICHE et al., Droit de la santé et de la sécurité au travail : la loi et la jurisprudence commentée,3e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2018.

[192]  Précitée, note 20. Voir également : Dollarama SEC #111 et Commission de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 117.

[193]  C.L.P. 259989-64-0503, 10 mars 2008, R. Daniel.

[194]  Id.

[195]  Ibid.

[196]  Principe que l’on enseigne aux contrôleurs routiers lors de leur formation initiale : se référer notamment au plan de cours de l’ÉCOLE NATIONALE DE POLICE DU QUÉBEC, Intervenir physiquement auprès des personnes » - Activité 4 – Entraînement de base – Mise rapide des menottes et fouille d’une personne [750-226].

[197]  L.R.C. (1985), c. C-46.

[198]  CE-POL-01, 3 novembre 2018.

[199]  Loi sur la police, LRQ, c P-13.1.

[200]  Celle identifiée dans leur acte de nomination.

[201]  ÉCOLE NATIONALE DE POLICE DU QUÉBEC, Modèle national de l'emploi de la force, précitée, note 23.

[202]  Précitée note 14.

[203]  L’article 1 de la Procédure d’arrestation en vertu du Code criminel indique encore que le contrôleur routier est le premier responsable de sa sécurité, un énoncé contraire aux principes de la LSST, lui-même pourtant retiré des politiques de l’employeur depuis 2018.

[204]  Non contestées ni par l’employeur ni par la Fraternité.

[205]  Rassemblement des Employés Techniciens Ambulanciers du Québec et Services préhospitaliers Laurentides-Lanaudières ltée, précité, note 193.

[206]  Voir à ce sujet : Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Ville d’Acton Vale, précitée, note 142.

[207]  Si l’on tient compte de l’augmentation d’année en année du nombre de situations le nécessitant, dans les statistiques provenant de l’employeur.

[208]  Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec c. Extraction R.M. Ltée, précitée note 21.

[210]  Comme indiqué précédemment, les plaques commerciales fournissent de l’information sur le propriétaire du véhicule, bien souvent une entreprise, mais rarement sur le conducteur.

[211]  Il est démontré de manière prépondérante que les camionneurs doivent régulièrement manipuler une lourde barre de fer afin de sécuriser leur chargement.

[213]  Les constats et dérogations émises ne sont pas non plus contestées par la Fraternité. Elle allègue plutôt qu’il faut en émettre d’autres en sus.

[214]  Couture c. Hydro Québec, précitée note 151.

[215]  Précité, note 193.

[216]  C.LP. 277936-08-0512, 14 décembre 2007, D. Sams.

[218]  Il a plutôt été question, lors de l’audience, d’un intervalle de cinq ans.

[219]  Le contenu de la formation sur la sécurisation des armes à feu est théorique, plutôt que pratique.

[220]  Précitée, note 102.

[221]  Bien que les exigences du 2e alinéa de l’article 186 de la LSST fassent écho aux critères afférents au pouvoir d’injonction des Cours supérieures, le Tribunal préfère s’en remettre au cadre prévu dans la LSST ainsi qu’à la jurisprudence applicable émanant du Tribunal, plutôt qu’aux décisions alléguées par le PGQ dans son argumentaire, puisqu’il existe des nuances importantes à considérer entre ces deux cadres d’analyse : Fédération autonome de l’enseignement c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 441 ; 9218-2435 Québec inc., et Ville de Laval, 2019 QCCA 797; Association des pompiers de Montréal inc. (A.P.M) c. Ville de Montréal, 2011 QCCA 631.

[222]  Article 1 de la LITAT.

[223]  Garoy Construction inc., et Jean Leclerc Excavation, précitée note 123.

[224]  Structure Lavalong inc et Commission de la santé et de la sécurité du travail Laval, C.L.P. 171513-61-0110, S. Di Pasquale, 3 avril 2002 ; Construction Bao inc., et CPQMC, précitée, note 20; Hydro-Québec (Gestion acc. Travail) et SCFP local 1500, précitée, note 100 ; Dollarama SEC #111 et Commission de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 117 ; Maçonnerie Gy inc. et C.P.Q.M.C. international, 2016 QCTAT 68.

[225]  Syndicat des Agents de la paix en Services correctionnels du Québec et Ministère de la Sécurité publique, précitée, note 64.

[226]  Chassé c. Dr. Gemme, 2017 QCCS 1903.

[227]  Précitée, note 59.

[228]  S.D. Énergie inc. et Leprohon inc., 2014 QCCLP 5770.

[229]  Catherine PICHÉ et Jean-Claude ROYER, La preuve civile,6e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020. Find c. Sa Majesté la Reine, [2001] 1 R.C.S. 863 ; R. c. Spence, [2005] 3 S.C.R. 458 ; Michaud c. Angenot, [2002] R.J.Q. 1771 (QCCQ), appel rejeté (C.A., 2003-09-10) 500-09-012337-028); M. P. c. ME. N.— 22503, 2022 QCCS 1134.

[230]  Blouin c. Lac d’amiante, précitée note 54 ; Okwuobi c. Procureur général du Québec, précitée, note 56.

[231]  Ciment Québec inc., et Ciment Québec inc. (repres.trav.), précitée, note 20.

[232]  Agence Parcs Canada c. Douglas Martin et Alliance de la fonction publique du Canada, précitée, note 93.

[233]  Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, précitée, note 107.

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