Décision

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Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec

2025 QCCA 587

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-030316-228, 500-09-030319-222, 500-09-030321-228

(500-17-111132-208) (500-17-112858-207)

 

DATE :

12 mai 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

No : 500-09-030316-228

 

COMMISSION DES NORMES, DE L’ÉQUITÉ, DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

APPELANTE/INTIMÉE INCIDENTE – intervenante

c.

 

ASSOCIATION DES ENTREPRENEURS SPÉCIALISÉS EN PROCÉDÉ INDUSTRIEL DU QUÉBEC

ASSOCIATION NATIONALE DES ENTREPRISES EN RECRUTEMENT ET PLACEMENT DE PERSONNEL

INTIMÉES/APPELANTES INCIDENTES – demanderesses

et

ASSOCIATION PROVINCIALE DES AGENCES DE SÉCURITÉ 

INTIMÉE – demanderesse

et

ASSOCIATION MINIÈRE DU QUÉBEC

ASSOCIATION DES FIRMES DE GÉNIE-CONSEIL – QUÉBEC

MISES EN CAUSE/APPELANTES INCIDENTES – intervenantes

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

MIS EN CAUSE – défendeur

et

AU BAS DE L’ÉCHELLE INC.

MISE EN CAUSE – intervenante

et

MINISTRE DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE

MIS EN CAUSE – mis en cause

______________________________________________________________________

 

No : 500-09-030319-222

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

APPELANT/INTIMÉ INCIDENT – défendeur

c.

 

ASSOCIATION DES ENTREPRENEURS SPÉCIALISÉS EN PROCÉDÉ INDUSTRIEL DU QUÉBEC

ASSOCIATION NATIONALE DES ENTREPRISES EN RECRUTEMENT ET PLACEMENT DE PERSONNEL

INTIMÉES/APPELANTES INCIDENTES – demanderesses

 

et

ASSOCIATION PROVINCIALE DES AGENCES DE SÉCURITÉ

INTIMÉE – demanderesse

et

ASSOCIATION MINIÈRE DU QUÉBEC

ASSOCIATION DES FIRMES DE GÉNIE-CONSEIL – QUÉBEC

MISES EN CAUSE/APPELANTES INCIDENTES – intervenantes

et

COMMISSION DES NORMES, DE L’ÉQUITÉ, DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

AU BAS DE L’ÉCHELLE INC.

MISES EN CAUSE – intervenantes

et

MINISTRE DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE

MIS EN CAUSE – mis en cause

______________________________________________________________________

 

No : 500-09-030321-228

 

AU BAS DE L’ÉCHELLE INC.

APPELANTE/INTIMÉE INCIDENTE – intervenante

c.

 

ASSOCIATION DES ENTREPRENEURS SPÉCIALISÉS EN PROCÉDÉ INDUSTRIEL DU QUÉBEC

ASSOCIATION NATIONALE DES ENTREPRISES EN RECRUTEMENT ET PLACEMENT DE PERSONNEL

INTIMÉES/APPELANTES INCIDENTES – demanderesses

et

ASSOCIATION PROVINCIALE DES AGENCES DE SÉCURITÉ

INTIMÉE – demanderesse

et

ASSOCIATION MINIÈRE DU QUÉBEC

ASSOCIATION DES FIRMES DE GÉNIE-CONSEIL – QUÉBEC

MISES EN CAUSE/APPELANTES INCIDENTES – intervenantes

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC  

MIS EN CAUSE – défendeur

et

COMMISSION DES NORMES, DE L’ÉQUITÉ, DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

MISE EN CAUSE – intervenante

et

MINISTRE DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE

MIS EN CAUSE – mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 Les appelants Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, procureur général du Québec ainsi qu’Au bas de l’échelle inc. se pourvoient chacun, distinctement, contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Marc StPierre), qui, en date du 26 octobre 2022, accueille partiellement les pourvois en contrôle judiciaire des intimées et déclare ultra vires et nulle la définition que l’article 1 du Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires donne à l’« agence de placement de personnel ».
  2.                 Les intimées Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec, Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel, Association minière du Québec et Association des firmes de génieconseil  Québec se pourvoient également contre le même jugement, par appels incidents.
  3.                 Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Sansfaçon et Moore, LA COUR :
  4.                 ACCUEILLE les appels, avec frais de justice contre les intimées;
  5.                 INFIRME le jugement de première instance;
  6.                 REJETTE les demandes introductives d’instance en contrôle judiciaire adressées à la Cour supérieure par les intimées (dossiers 500-17-111132-208 et 500-17-112858-207), avec frais de justice à l’encontre de ces dernières;
  7.                 REJETTE les appels incidents, avec frais de justice contre les appelantes incidentes.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

Me Julien Patrat

Me Caroline Moreau

LAROCHE AVOCATS (CNESST)

Pour la CNESST

 

Me Yves Turgeon

Me Guillaume Pelegrin

Me Janouk Charbonneau

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN

Pour Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec, Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel, Association minière du Québec et Association des firmes de génie-conseil – Québec

 

Me Éric Lallier

Me Jonathan Deschamps

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA

Pour Association provinciale des agences de sécurité

 

Me Élise Morissette

MORISSETTE & AVOCAT.E.S. INC.

Pour Au bas de l’échelle inc.

 

Me François-Alexandre Gagné

Me Bruno Deschênes

BERNARD ROY (JUSTICE – QUÉBEC)

Pour procureur général du Québec

 

Date d’audience :

1er octobre 2024


 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

Table des matiÈres

I. Aperçu...............................................................7

II.    Contexte et présentation du Règlement................................10

III.   Argumentation des parties en appel...................................22

IV.   Analyse.............................................................25

A.   Norme de contrôle judiciaire et norme dintervention en appel...........25

1.    Normes applicables............................................25

2.    Application à lespèce..........................................31

B.   Le Règlement ou certaines de ses dispositions sont-ils invalides?.......31

1.    Validité de la définition d« agence de placement de personnel » (art. 1 du Règlement)              33

a.    Imprécision de la définition.....................................33

b.    Conformité de la définition à lhabilitation législative..............54

2.    Validité des art. 10 et 11 du Règlement...........................67

a.    Conformité des art. 10 et 11 à lhabilitation législative au regard de la finalité des dispositions pertinentes de la L.n.t. et caractère déraisonnable de ces dispositions              67

i. Art. 10 et 11 du Règlement : ultra vires...........................68

ii. Art. 10 et 11 du Règlement : absurdité, abus, discrimination.........74

b.    Art. 11 : imprécision et sous-délégation..........................79

V.    Conclusion..........................................................96

 

I. Aperçu

  1.                 Par le moyen de pourvois en contrôle judiciaire de type déclaratoire (art. 529 al. 1(1°) C.p.c.), les intimées[1] contestent la validité du Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires[2], règlement adopté en vertu des art. 92.5 et 92.7 de la Loi sur les normes du travail[3]. Plus précisément, elles s’en prennent aux art. 1, 10 et 11 du Règlement et, dans les grandes lignes, font valoir que :

- l’art. 1 définirait l’« agence de placement de personnel » d’une manière excessivement large et imprécise qui, d’une part, outrepasserait les limites de l’habilitation législative, ce qui vicierait l’entièreté du Règlement, et, d’autre part, ne permettrait pas aux employeurs, au premier rang desquels les membres des intimées, d’être adéquatement informés de leurs droits et de leurs obligations;

- les art. 10 et 11 seraient euxmêmes ultra vires en ce qu’ils imposeraient des obligations étrangères aux finalités de la loi habilitante (et faisant même double emploi avec d’autres régimes d’encadrement), tout en procédant par ailleurs à une sous-délégation illégale des pouvoirs du gouvernement en faveur de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») et en imposant aux employeurs visés un traitement déraisonnable, abusif et discriminatoire au sens du droit administratif.

  1.                 Le jugement de première instance[4] fait partiellement droit aux actions des intimées et invalide la définition que l’art. 1 du Règlement donne à l’« agence de placement de personnel ». Le juge estime en effet que cette définition élargit indûment le champ d’application de la loi habilitante à un objet que celle-ci ne vise pas : le législateur entendrait en effet régir les seules agences spécialisées en placement de personnel, alors que la définition accroîtrait cette portée en ciblant sans distinction toutes les personnes qui louent du personnel à des tiers. Le juge appuie notamment cette conclusion sur un avis donné en juillet 2017 par le Comité consultatif des normes du travail : cet avis, qui porte sur l’encadrement des agences de placement de personnel, ne toucherait que les agences spécialisées et aurait « servi à mettre la table pour le projet de loi »[5].
  2.            Vu l’invalidité de la définition pour cause d’ultra vires, le juge ne statue pas sur le défaut d’imprécision dont elle serait entachée[6]. Il rejette cependant les arguments relatifs à la sous-délégation illégale qui vicierait également l’art. 11 du Règlement. Il ne se prononce pas sur les autres moyens des intimées.
  3.            Le dispositif du jugement se lit en conséquence ainsi :

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[55] ACCUEILLE partiellement les pourvois en contrôle judiciaire des demanderesses;

[56] DÉCLARE que la définition « d’agence de placement de personnel » contenue à l’article 1 du Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires est ultra vires des pouvoirs du gouvernement et est donc nulle;

[57] AVEC les frais de justice des demanderesses à charge du défendeur Procureur général du Québec.

  1.            Les appelants procureur général du Québec (« PGQ »), CNESST et Au bas de l’échelle inc. se pourvoient[7]. Les intimées Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec et Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel ainsi que les mises en cause Association minière du Québec et Association des firmes de génie-conseil du Québec forment également un appel incident[8]. L’Association provinciale des agences de sécurité, pour sa part, n’interjette ni appel ni appel incident.
  2.            Pour l’essentiel, les parties reprennent en appel le débat qu’elles ont mené devant le juge de première instance, en y ajoutant leurs arguments sur la norme d’intervention applicable[9], norme sur laquelle elles ne s’entendent pas.
  3.            À ce dernier propos, notons que, le 8 novembre 2024, alors que la présente affaire était en délibéré à la suite de l’audience d’appel, la Cour suprême du Canada a rendu deux arrêts relatifs à la norme de contrôle applicable à la contestation de la validité d’un texte législatif subordonné (Auer c. Auer[10] et TransAlta Generation Partnership c. Alberta[11]), ce qui, par ricochet, influence la norme d’intervention en appel. La Cour a invité les parties à lui faire part de leurs observations sur les arrêts en question et elle a suspendu son délibéré dans l’intervalle. Seules les intimées ont répondu à l’invitation de manière détaillée, les appelants PGQ et CNESST se contentant d’indiquer que les arrêts en question confirment l’opinion exprimée dans leurs mémoires respectifs et lors de l’audience d’appel. L’appelante Au bas de l’échelle a informé la Cour qu’elle n’offrirait pas de commentaire.

* *

  1.            Pour les raisons exposées dans les pages qui suivent, il y aura lieu d’accueillir les appels et de rejeter les appels incidents. En bref, le Règlement n’est pas ultra vires du gouvernement, la définition qu’il donne, en son art. 1, à l’« agence de placement de personnel » étant conforme à l’habilitation législative et n’étant pas imprécise au point de l’invalidité, quoiqu’elle soit sujette à interprétation (comme nombre de normes législatives ou réglementaires, du reste). Par ailleurs, le Règlement et, en particulier, ses art. 10 et 11 ne sont ni déraisonnables ni discriminatoires : ils respectent l’objet et les objectifs de la loi (qui, elle-même, n’a pas été contestée) et ne contreviennent ni à la lettre ni à l’esprit de celleci. Enfin, l’art. 11 du Règlement ne comporte pas de sous-délégation illégale.
  2.            En réalité, le contrôle judiciaire demandé par les intimées repose surtout sur des considérations d’opportunité, considérations qui ne peuvent faire partie de l’analyse de la légalité d’un texte législatif subordonné, comme le rappelle sans équivoque la Cour suprême dans Auer[12].

II. Contexte et présentation du Règlement

  1.            En 2018, après des décennies d’atermoiements (ce qui ressort à la fois de la preuve documentaire produite en première instance, des débats parlementaires et de la doctrine sur le sujet), le législateur décide de modifier la L.n.t. afin d’encadrer les « agences de placement de personnel » et de mettre de l’ordre dans une industrie critiquée pour certaines de ses pratiques. À cette fin, le législateur incorpore diverses dispositions en la matière à un projet de loi plus vaste, présenté à l’Assemblée nationale en mars 2018[13]. Seules ces dispositions sont en jeu dans le présent débat et non pas les autres modifications, lesquelles visent une variété de sujets qui ne sont pas en cause en l’espèce (dont celui des agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires).
  2.            En gros, le projet de loi propose la mise en place, par voie réglementaire, d’un régime de permis pour les agences de placement de personnel et la régulation de leurs activités et obligations. Les art. 92.5 à 92.8 seraient ajoutés à cette fin à la L.n.t., ainsi que deux dispositions supplémentaires : l’art. 41.2 interdirait dorénavant aux agences de verser à leurs salariés en mission chez autrui « un taux de salaire inférieur à celui consenti aux salariés de l’entreprise cliente qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement uniquement en raison de son statut d’emploi, notamment parce qu’il est rémunéré par une telle agence ou qu’il travaille habituellement moins d’heures par semaine »[14]; le second alinéa de l’art. 95 prévoirait la responsabilité solidaire de l’entreprise cliente et de l’agence envers le salarié placé chez la première par la seconde, en ce qui concerne les obligations pécuniaires issues de la L.n.t.
  3.            Le projet de loi, à cet égard, n’est pas très bien reçu par le patronat[15], comme l’attestent les mémoires produits par diverses associations d’employeurs ou d’entreprises auprès des parlementaires de la Commission de l’économie et du travail, et que reproduit le dossier d’appel. On considère qu’il met en péril le modèle d’affaires du secteur des agences de placement. On regrette qu’il ne définisse pas lui-même « l’agence de placement de personnel » et l’on craint que les activités de prêt de personnel, de soustraitance ou d’impartition courantes dans certains milieux ou industries ne tombent sous le coup des dispositions législatives projetées. Celles-ci sont également vues comme un vecteur puissant d’augmentation des coûts, tant par leurs exigences administratives que par la protection salariale offerte aux individus placés par les agences chez leur clientèle. Elles iraient à l’encontre des principes et besoins de flexibilité et d’adaptation caractérisant les entreprises modernes, nuiraient à la lutte contre la pénurie de personnel, pourraient freiner l’accès ou l’intégration des jeunes, des immigrants ou des chômeurs au marché du travail et risqueraient de pénaliser les salariés mêmes que le législateur souhaite protéger.
  4.            On estime en outre que le futur art. 41.2 L.n.t. (qui soulève une opposition généralisée) devrait être éliminé ou, à défaut, qu’il gagnerait à être clarifié et précisé. Il serait en effet, avance-t-on, d’application difficile, les agences n’ayant pas toujours accès aux échelles salariales en vigueur chez leurs clientes (échelles que celles-ci pourraient d’ailleurs être réticentes à dévoiler pour des raisons de concurrence). On se plaint aussi de ce que les coûts de cette mesure n’ont pas été évalués dans le cadre de l’étude d’impact réglementaire. Le futur art. 95 al. 2 L.n.t. (qui promulguerait la solidarité entre les agences et leur clientèle) ne fait pas non plus l’unanimité : certains soutiennent qu’il s’agit d’une disposition inutile, le régime de permis garantissant suffisamment la solvabilité et la fiabilité des agences de placement et donc l’exécution de leurs obligations envers les personnes salariées.
  5.            D’autres encore doutent de l’efficacité d’un régime de permis pour contrôler les agences illégales ou les réseaux de travail au noir qui, déjà, ne respectent pas la loi. Dans un autre ordre d’idées, on voit un risque de dédoublement dans l’instauration d’un tel régime qui pourrait être applicable à des personnes déjà soumises à un encadrement réglementaire strict.
  6.            Malgré cette réticence, le projet de loi est adopté et devient la Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail[16], sanctionnée le 12 juin 2018. Selon l’art. 55 de cette loi, les dispositions relatives aux agences de placement de personnel « entreront en vigueur à la date de l’entrée en vigueur du premier règlement pris en application de l’article 92.7 de la Loi sur les normes du travail ». Et, de fait, le Règlement fut adopté en 2019, avec entrée en vigueur le 1er janvier 2020[17].
  7.            Mais présentons maintenant plus avant les dispositions législatives et réglementaires pertinentes[18].

* *

  1.            Commençons par les art. 41.2 et 95 al. 2 L.n.t. (introduits originalement par les art. 5 et 38 de la Loi modificatrice de 2018) :

41.2. Une agence de placement de personnel ne peut accorder à une personne salariée un taux de salaire inférieur à celui consenti aux personnes salariées de l’entreprise cliente qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement uniquement en raison de son statut d’emploi, notamment parce qu’elle est rémunérée par une telle agence ou qu’elle travaille habituellement moins d’heures par semaine.

41.2. No personnel placement agency may remunerate an employee at a lower rate of wage than that granted to the employees of the client enterprise who perform the same tasks in the same establishment solely because of the employee’s employment status, and in particular because the employee is remunerated by such an agency or usually works fewer hours each week.

95. Un employeur qui passe un contrat avec un sous-entrepreneur ou un sous-traitant, directement ou par un intermédiaire, est solidairement res-ponsable avec ce sous-entrepreneur, ce sous-traitant et cet intermédiaire, des obligations pécuniaires fixées par la présente loi ou les règlements.

95. An employer who enters into a contract with a subcontractor, directly or through an intermediary, is solidarily liable with that subcontractor and that intermediary for the pecuniary obligations fixed by this Act or the regulations.

 L’agence de placement de personnel et l’entreprise cliente qui, dans le cadre d’un contrat avec cette agence, recourt aux services d’une personne salariée sont solidairement responsables des obligations pécu-niaires fixées par la présente loi ou par les règlements.

 A personnel placement agency and a client enterprise that, within the framework of a contract with the agency, uses an employee’s services are solidarily liable for the pecuniary obligations fixed by this Act or the regulations.

  1.            De leur côté, les art. 92.5 à 92.8 L.n.t. (introduits par l’art. 37 de la Loi modificatrice de 2018) imposent un régime de permis : nul ne peut exploiter une agence de placement de personnel sans détenir un tel permis et, corollairement, nul ne peut faire affaire avec une telle agence si celle-ci n’est pas titulaire de ce permis (art. 92.6 L.n.t.). L’art. 92.7.1 oblige toute agence désireuse d’obtenir un permis ou de le maintenir à détenir une attestation de l’Agence du revenu du Québec (« ARQ ») indiquant qu’elle n’a aucun compte en souffrance auprès du ministre du Revenu (ce qui correspond d’ailleurs, on le verra à une exigence réglementaire). L’ARQ doit du reste communiquer à la CNESST tous les renseignements nécessaires à l’application des art. 92.5 à 92.8 (art. 92.7.2 L.n.t.).
  2.            L’agence dont le permis est refusé, révoqué ou suspendu par la CNESST ou à qui cette dernière impose une sanction administrative peut s’en plaindre auprès du Tribunal administratif du travail (« TAT ») et instituer un recours à cette fin (art. 92.8 L.n.t.). Soulignons aussi l’art. 140.1 (ajouté à la L.n.t. par l’art. 47 de la Loi modificatrice de 2018) : toute personne contrevenant aux art. 92.5 ou 92.6 commet une infraction passible d’une amende de 600 $ à 6 000 $ ou, en cas de récidive, de 1 200 $ à 12 000 $.
  3.            Finalement, la Loi modificatrice de 2018 intègre à la L.n.t. une disposition, l’art. 92.7 L.n.t., habilitant le gouvernement à adopter un ou des règlements afin de compléter ou préciser les exigences législatives. Cette disposition étant au cœur du litige, je la reproduis ci-dessous intégralement :

92.7. Le gouvernement peut, par règlement :

92.7. The Government may, by regulation,

  définir ce qui constitue, pour l’application de la présente loi, une agence de placement de personnel, une agence de recrutement de travailleurs étrangers temporaires, une entreprise cliente et un travailleur étranger temporaire;

(1)  define, for the purposes of this Act, what constitutes a personnel placement agency, a recruitment agency for temporary foreign workers, a client enterprise and a temporary foreign worker;

  établir des catégories de permis et déterminer, relativement à ces catégories, les activités qui peuvent être exercées par une agence;

(2)  establish categories of licences and determine, for each category, the activities that may be carried on by an agency;

  déterminer toute condition de validité d’un permis ainsi que toute restriction ou interdiction relative à sa délivrance ou à son maintien;

(3)  determine any condition of validity of a licence and any restriction or prohibition relating to its issue or maintenance;

  prévoir les mesures administratives applicables au titulaire de permis en cas de défaut de respecter les obligations prévues par la présente loi ou par l’un de ses règlements;

(4)  prescribe the administrative measures that apply to a licence holder if the obligations under this Act or the regulations are not complied with;

  déterminer les obligations qui incombent à une agence de placement de personnel ou de recrutement de travailleurs étrangers temporaires et celles qui incombent à l’entreprise cliente lorsqu’elle retient les services d’une telle agence;

(5)  determine the obligations of a personnel placement agency or a recruitment agency for temporary foreign workers and those of a client enterprise that retains the services of such an agency; and

  prévoir toute autre mesure visant à assurer la protection des droits des personnes salariées concernées par la présente section.

(6)  prescribe any other measure to protect the rights of employees to whom this division applies.

  1.            Comme on l’a vu[19], le gouvernement a subséquemment adopté le Règlement, qui aborde l’ensemble des sujets prévus par l’art. 92.7 L.n.t.
  2.            L’art. 1 de ce règlement définit de la manière suivante l’« agence de placement de personnel » ainsi que l’« entreprise cliente » :

1. Dans le présent règlement et pour les fins de l’application de la Loi sur les normes du travail (chapitre N1.1), on entend par :

1. In this Regulation and for the purposes of the Act respecting labour standards (chapter N-1.1),

« agence de placement de personnel » : une personne, société ou autre entité dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de maind’œuvre;

“client enterprise” means a person, partnership or other entity that, to meet labour needs, retains the services of a personnel placement agency or a recruitment agency for temporary foreign workers; (entreprise cliente)

[…]

“personnel placement agency” means a person, partnership or other entity that has at least one activity consisting in offering personnel leasing services by providing employees to a client enterprise to meet its labour needs; (agence de placement de personnel)

« entreprise cliente » : une personne, société ou autre entité qui, pour combler des besoins de main-d’œuvre, a recours aux services d’une agence de placement de personnel ou d’une agence de recrutement de travailleurs étrangers temporaires;

[…]

[…]

[…]

  1.            Les définitions d’« agence de placement de personnel » et d’« entreprise cliente » sont liées, comme on le voit : l’agence de placement fournit des salariés à une entreprise cliente qui a des besoins de main-d’œuvre, alors que l’entreprise cliente est celle qui recourt à l’agence de placement en vue de combler de tels besoins. Je reviendrai sur cette interrelation entre les deux définitions.
  2.            L'art. 2 du Règlement énumère diverses personnes – entités publiques ou parapubliques – exclues de la définition d’« agence de placement de personnel ». Cette exclusion est ici sans pertinence.
  3.            Les art. 5 à 9 et 13 du Règlement énoncent les modalités de la demande de permis et le processus y afférent. L’art. 10 prévoit quant à lui les conditions mêmes de l’obtention de ce permis, conditions dont certaines – et les intimées ne manquent pas de le signaler – sont assez contraignantes (on peut rappeler tout de suite que la sévérité d’une exigence réglementaire n’est cependant pas en elle-même une cause d’invalidation, à moins que la disposition ne verse dans le déraisonnable ou ne soit entachée d’un autre vice dirimant). De son côté, l’art. 11 du Règlement permet à la CNESST de refuser la délivrance d’un permis à l’agence qui, nonobstant qu’elle réponde aux conditions fixées par l’art. 10, se trouve dans l’une ou l’autre de quatorze situations particulières. Lorsque toutes les conditions de l’art. 10 sont réunies et qu’aucune des situations qu’énumère l’art. 11 n’y fait obstacle, le permis (qui est sans terme) est alors délivré par la CNESST (art. 14)[20], moyennant le paiement de certains droits (art. 19-20).
  4.            Malgré leur longueur, je me permets de reproduire ci-dessous, intégralement, les art. 10 et 11 du Règlement (en soulignant, dans l’art. 11, les passages sur lesquels le Groupe AESPIQ attire tout particulièrement l’attention de la Cour en rapport avec l’argument de la sous-délégation dont il sera question plus loin, en détail) :

10. Pour obtenir un permis, la personne, société ou autre entité doit satisfaire aux conditions suivantes :

10. To obtain a licence, a person, partnership or other entity must meet the following conditions:

  elle a fourni à la Commission tous les renseignements et documents exigés;

(1)  has provided to the Commission all the required information and documents;

  s’agissant d’une personne physique qui demande un permis pour ellemême, elle est âgée de 18 ans ou plus;

(2)  in the case of a natural person applying for a licence for himself or herself, the person is 18 years of age or older;

  elle a payé à l’échéance les droits exigibles;

(3)  has paid the fees payable when due;

  dans le cas d’une demande de permis d’agence de placement de personnel, elle a fourni le cautionnement exigé ou la preuve de celui-ci;

(4)  in the case of a personnel placement agency licence application, has provided the required security or proof of the security;

  elle n’a pas fait cession de ses biens;

(5)  has not assigned property;

  elle n’est pas sous le coup d’une ordonnance de séquestre prononcée en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (L.R.C. 1985, c. B-3) ou d’une ordonnance de mise en liquidation pour cause d’insolvabilité au sens de la Loi sur les liquidations et les restructurations (L.R.C. 1985, c. W-11);

(6)  has not been placed under a receiving order pursuant to the Bankruptcy and Insolvency Act (R.S.C. 1985, c. B-3) or a winding-up order by reason of insolvency within the meaning of the Winding-up and Restructuring Act (R.S.C. 1985, c. W-11);

  elle n’est pas en défaut de respecter une décision ou une ordonnance rendue par un tribunal en application de l’une des dispositions prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001), à la Loi sur l’équité salariale (chapitre E-12.001), à la Loi sur la fête nationale (chapitre F-1.1), à la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1), à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) ou à l’un des règlements pris pour leur application;

(7)  has not failed to comply with a decision or order rendered by a court under any of the provisions of the Act respecting industrial accidents and occupational diseases (chapter A-3.001), the Pay Equity Act (chapter E-12.001), the National Holiday Act (chapter F-1.1), the Act respecting labour standards (chapter N-1.1), the Act respecting occupational health and safety (chapter S-2.1) or any of the regulations thereunder;

  elle n’est pas le prête-nom d’une autre personne, société ou autre entité;

(8)  is not the nominee of another person, partnership or other entity;

  elle n’a pas faussement déclaré ou dénaturé les faits relatifs à une demande de permis ou omis de fournir un renseignement dans le but d’obtenir un tel permis;

(9)  has not falsified or misrepresented the facts relating to a licence application, or failed to provide information in order to obtain such a licence;

10°  aucun de ses dirigeants n’est en défaut de respecter une décision ou une ordonnance rendue par un tribunal en application de l’une des dispositions prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, à la Loi sur l’équité salariale, à la Loi sur la fête nationale, à la Loi sur les normes du travail, à la Loi sur la santé et la sécurité du travail ou à l’un des règlements pris pour leur application;

(10)  none of its officers has failed to comply with a decision or order rendered by a court under any of the provisions of the Act respecting industrial accidents and occupational diseases, the Pay Equity Act, the National Holiday Act, the Act respecting labour standards, the Act respecting occupational health and safety or any of the regulations thereunder;

11°  aucun de ses dirigeants n’est le prête-nom d’une autre personne, société ou autre entité;

(11)  none of its officers is the nominee of another person, partnership or other entity;

12°  aucun de ses dirigeants n’a faussement déclaré ou dénaturé les faits relatifs à une demande de permis ou omis de fournir un renseignement dans le but d’obtenir un tel permis.

(12)  none of its officers has falsified or misrepresented the facts relating to a licence application, or failed to provide information in order to obtain such a licence.

11. La personne, société ou autre entité qui satisfait à l’ensemble des conditions prévues à l’article 10 peut toutefois se voir refuser la délivrance d’un permis, par la Commission, pour l’un des motifs suivants :

11. The person, partnership or other entity that meets all the conditions provided for in section 10 may be denied the issue of a licence by the Commission in any of the following cases:

  à moins d’avoir conclu une entente de paiement qu’elle respecte ou que le recouvrement de ses dettes ait été légalement suspendu, elle n’a pas acquitté, auprès d’un ministère ou d’un organisme du gouvernement du Québec, une somme exigible en application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001), de la Loi sur l’équité salariale (chapitre E-12.001), de la Loi sur la fête nationale (chapitre F-1.1), de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) ou de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) ou de l’un des règlements pris pour leur application;

(1)  unless the person, partnership or other entity has reached a payment agreement and has been observing it, or the collection of its debts has been legally suspended, the person, partnership or other entity has not paid to a department or body of the Gouvernement du Québec, a sum payable under the Act respecting industrial accidents and occupational diseases (chapter A-3.001), the Pay Equity Act (chapter E-12.001), the National Holiday Act (chapter F-1.1), the Act respecting labour standards (chapter N-1.1) or the Act respecting occupational health and safety (chapter S-2.1) or any of the regulations thereunder;

  au cours des 2 années précédant la demande, elle a été condamnée par une décision irrévocable d’un tribunal en matière de discrimination, de harcèlement psychologique ou de représailles, dans le cadre d’un emploi;

(2)  in the 2 years preceding the application, the person, partnership or other entity has been condemned by an irrevocable decision of a court for discrimination, psychological harassment or reprisals as part of employment;

  elle a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité dont le permis est suspendu ou a été, au cours des 2 années précédant la demande, refusé ou révoqué;

(3)  the person has been an officer of a legal person, partnership or other entity whose licence is suspended or has been denied or revoked in the 2 years preceding the application;

  au cours des 2 années précédant la demande, elle a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité sous le coup d’une ordonnance de séquestre prononcée en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (L.R.C. 1985, c. B-3) ou d’une ordonnance de mise en liquidation pour cause d’insolvabilité au sens de la Loi sur les liquidations et les restructurations (L.R.C. 1985, c. W-11);

(4)  in the 2 years preceding the application, the person has been an officer of a legal person, partnership or other entity placed under a receiving order pursuant to the Bankruptcy and Insolvency Act (R.S.C. 1985, c. B-3) or a winding-up order for insolvency within the meaning of the Winding-up and Restructuring Act (R.S.C. 1985, c. W-11);

  au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, elle a été déclarée coupable ou elle a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle qui, de l’avis de la Commission, a un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé;

(5)  in the 5 years preceding the application, unless the person, partnership or other entity has obtained a pardon, the person, partnership or other entity has been found guilty or the person has been an officer of a legal person, partnership or other entity found guilty of a penal or criminal offence that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for;

  au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, elle a fait l’objet d’une décision d’un tribunal étranger la déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale ou criminelle ayant, de l’avis de la Commission, un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé;

(6)  in the 5 years preceding the application, unless the person, partnership or other entity has obtained a pardon, has been the subject of a decision by a foreign court finding them guilty of an offence that, if committed in Canada, would have resulted in penal or criminal proceedings, that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for;

  elle a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité qui, au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, a fait l’objet d’une décision d’un tribunal étranger la déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale ou criminelle ayant, de l’avis de la Commission, un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé;

(7)  the person has been an officer of a legal person, partnership or other entity that, in the 5 years preceding the application, unless the person has obtained a pardon, has been the subject of a decision by a foreign court finding the person guilty of an offence that, if committed in Canada, would have resulted in penal or criminal proceedings, that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for;

  elle a parmi ses dirigeants une personne qui a été, au cours des 2 années précédant la demande, dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité sous le coup d’une ordonnance de séquestre prononcée en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou d’une ordonnance de mise en liquidation pour cause d’insolvabilité au sens de la Loi sur les liquidations et les restructurations;

(8)  one of its officers has been, in the 2 years preceding the application, an officer of a legal person, partnership or other entity placed under a receiving order pursuant to the Bankruptcy and Insolvency Act or a winding-up order for insolvency within the meaning of the Winding-up and Restructuring Act;

  elle a parmi ses dirigeants une personne qui a fait cession de ses biens ou qui se retrouve sous le coup d’une ordonnance de séquestre prononcée en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité;

(9)  one of its officers has assigned property or is placed under a receiving order pursuant to the Bankruptcy and Insolvency Act;

10°  elle a parmi ses dirigeants une personne qui est titulaire d’un permis suspendu ou a été, au cours des 2 années précédant la demande, titulaire d’un permis refusé ou révoqué;

(10)  one of its officers holds a suspended licence or has been holding a denied or revoked licence in the 2 years preceding the application;

11°  elle a parmi ses dirigeants une personne qui est dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité dont le permis est suspendu ou a été, au cours des 2 années précédant la demande, refusé ou révoqué;

(11)  one of its officers is an officer of a legal person, partnership or other entity whose licence is suspended or has been denied or revoked in the 2 years preceding the application;

12°  elle a parmi ses dirigeants une personne qui, au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, a été déclaré coupable ou a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle qui, de l’avis de la Commission, a un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé;

(12)  one of its officers, in the 5 years preceding the application, unless the person, partnership or other entity has obtained a pardon, has been found guilty or the person has been an officer of a legal person, partnership or other entity found guilty of a penal or criminal offence that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for;

13°  elle a parmi ses dirigeants une personne qui, au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, a fait l’objet d’une décision d’un tribunal étranger la déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale ou criminelle ayant, de l’avis de la Commission, un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé;

(13)  one of its officers, in the 5 years preceding the application, unless the officer has obtained a pardon, has been the subject of a decision by a foreign court finding them guilty of an offence that, if committed in Canada, would have resulted in penal or criminal proceedings that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for;

14°  elle a parmi ses dirigeants une personne qui a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité qui, au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, a fait l’objet d’une décision d’un tribunal étranger la déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale ou criminelle ayant, de l’avis de la Commission, un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé.

(14)  the person has been an officer of a legal person, partnership or other entity that, in the 5 years preceding the application, unless the person, partnership or other entity has obtained a pardon, the person, partnership or other entity has been the subject of a decision by a foreign court finding them guilty of an offence that, if committed in Canada, would have resulted in penal or criminal proceedings that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for.

 

[Soulignements ajoutés]

  1.            Notons que, conformément à l’art. 40 paragr. 2 du Règlement, un permis peut être suspendu ou révoqué lorsque son titulaire se retrouve dans une situation visée par l’art. 11 ci-dessus.
  2.            Enfin, conformément au paragr. 92.7(5) L.n.t., le Règlement impose également certaines obligations aux agences titulaires d’un permis.
  3.            Ainsi, en vertu de l’art. 22, une agence de placement doit remettre à la personne salariée qu’elle affecte auprès d’une entreprise cliente un document décrivant les conditions de travail qui lui seront applicables lors de cette mission (incluant le salaire offert, de même que le nom et les coordonnées de la cliente); elle doit également lui remettre les documents préparés par la CNESST, tout ceci ayant pour objectif de pallier le déficit d’information observé chez les personnes salariées. L’art. 22 impose également à l’agence diverses obligations en matière d’archivage (contrats, factures, registres des heures de travail par jour et par client, etc.). La même disposition exige aussi de l’agence qu’elle rappelle à l’entreprise cliente les devoirs incombant à celle-ci à l’endroit des personnes salariées en vertu de l’art. 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[21] (protéger la santé, la sécurité ainsi que l’intégrité physique et psychique des travailleurs).
  4.            De son côté, l’art. 23 interdit à l’agence d’exiger de la personne salariée des frais pour son affectation chez une entreprise cliente, pour la formation requise ou pour les conseils reçus en vue de la préparation à des entrevues d’embauche. Elle ne peut pas non plus, sauf dans les six premiers mois du contrat de travail qu’elle conclut avec la personne salariée, imposer à celle-ci une clause l’empêchant d’être engagée directement par l’entreprise cliente.

III. Argumentation des parties en appel

  1.            Comme on l’a vu précédemment (voir supra, paragr. [8]), les intimées (tant en première instance qu’en appel) tiennent pour invalide la définition que l’art. 1 du Règlement donne à l’agence de placement. Cette invalidité résulterait, d’une part, de l’imprécision de cette définition, qui serait, d’autre part, ultra vires.
  2.            Selon le Groupe AESPIQ, cette définition serait en effet d’une imprécision telle qu’elle ne permettrait pas à une personne raisonnable d’en cerner le sens et la portée et de savoir qui elle vise ou ne vise pas. Elle mettrait ainsi à risque les employeurs, puisque ceux-ci ne seraient pas en mesure de déterminer si la loi et le règlement s’appliquent à eux. La CNESST elle-même en serait incapable et le Groupe AESPIQ en veut pour exemple les explications contradictoires et nébuleuses qu’elle aurait fournies en réponse aux questions que certains employeurs lui ont adressées en vue de s’informer de leur assujettissement au Règlement. Or, si l’organisme chargé de l’application de la L.n.t. et du Règlement n’est pas en mesure d’indiquer aux employeurs qui est ou n’est pas une agence de placement de personnel au sens de la définition, cela trahit l’imprécision fatale de celle-ci. Selon le Groupe AESPIQ, le renvoi que la définition fait à la « location de personnel » ne serait d’aucune utilité à cet égard, ce concept n’existant pas en droit québécois[22] et ne pouvant donc guider les justiciables.
  3.            Par ailleurs, si tant est qu’on puisse lui donner un sens, la définition qu’énonce le Règlement ne correspondrait pas à la disposition législative habilitante ni à la loi ellemême (qu’il s’agisse de la Loi modificatrice de 2018 ou de la L.n.t.). Elle serait en effet beaucoup trop vaste et risquerait de transformer indûment en « agence de placement de personnel » des employeurs qui n’en sont pas, mais qui poursuivent, par exemple, des activités de soustraitance ou se livrent occasionnellement à du prêt de personnel, ce que le législateur n’aurait jamais entendu viser. Elle ne respecterait donc pas le cadre établi par la loi, élargirait indûment la portée de celle-ci et serait incompatible avec les objectifs d’un législateur qui aurait voulu réguler « les agences de placement de personnel et non l’activité de placement de personnel »[23]. L’intention du législateur, telle qu’elle ressortirait du contexte d’adoption de la Loi modificatrice de 2018, montrerait en outre clairement que le législateur aurait eu dans sa mire les seules agences spécialisées en placement de personnel, comme l’a constaté le juge de première instance.
  4.            De plus, selon les intimées, la lecture que les appelants font de la définition litigieuse se trouve à cibler des entreprises qui font déjà l’objet d’un contrôle serré, comme c’est le cas, en l’occurrence, des membres de l’intimée Association provinciale des agences de sécurité, dont les activités sont déjà régies par la Loi sur la sécurité privée[24] et, en ce qui concerne les conditions de travail des personnes salariées, tombent sous le coup d’un décret pris en vertu de la Loi sur les décrets de convention collective[25]. Il y aurait là une duplication déraisonnable, qui ne peut avoir été voulue et qui est contraire à l’intention législative.
  5.            Bref, sous tous ces rapports, la définition proposée par l’art. 1 du Règlement serait ultra vires du gouvernement, puisqu’incompatible avec l’objectif législatif poursuivi qui était « de s’attaquer à un phénomène non réglementé qu’était celui des agences [spécialisées] de placement de personnel »[26]. Le juge de première instance n’aurait donc pas erré en concluant ainsi.
  6.            Quant aux articles 10 et 11 du Règlement, ils imposeraient, selon le Groupe AESPIQ, des conditions qui « outrepassent le mandat de la loi »[27], notamment en subordonnant l’octroi des permis au respect de lois autres que la L.n.t. De façon générale, les conditions qu’énoncent les art. 10 et 11 seraient excessives et déraisonnables, allant audelà des maux auxquels la Loi modificatrice de 2018 entendait remédier et faisant fi des objectifs de celle-ci, tout en créant de manière discriminatoire un régime d’une rigueur sans pareille, auquel aucun autre type d’employeur québécois n’est soumis. Quant à l’art. 11 plus spécialement, non seulement doterait-il la CNESST du pouvoir discrétionnaire et non balisé de refuser un permis à la personne qui remplit pourtant les conditions de l’art. 10, mais, de surcroît, en ses paragraphes 5, 6, 7, 12, 13 et 14, il laisserait à cette même CNESST le soin de définir ce qui constitue « à son avis » une infraction ou une situation l’autorisant à refuser un permis. Tout ceci, en plus d’être imprécis et de ne donner aucun guide à la personne qui souhaite obtenir un permis, constitue une sousdélégation illégale, que ne permet pas l’art. 92.7 ni aucune autre disposition de la L.n.t.
  7.            Les appelants prennent le contrepied de tous ces arguments. La définition que l’art. 1 donne à l’« agence de placement de personnel » n’excéderait aucunement l’habilitation législative de l’art. 92.7 paragr. 1 L.n.t., une habilitation extrêmement large destinée justement à permettre au gouvernement de suivre le développement de l’industrie du placement de personnel, une industrie mouvante et en pleine évolution, et ce, afin d’assurer la protection des personnes salariées. La définition litigieuse correspondrait à l’intention qu’exprime le législateur à travers la disposition habilitante et elle répondrait exactement aux objectifs poursuivis tant par la Loi modificatrice de 2018 que la L.n.t. Il s’agirait là de lois sociales, qui doivent être interprétées de façon large et libérale, comme le reconnaît unanimement la jurisprudence.
  8.            Selon les appelants, la définition ne pécherait aucunement par l’imprécision qu’on lui reproche, c’est-à-dire une imprécision qui, selon le critère établi dans l’arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society[28], serait de nature à empêcher tout débat judiciaire interprétatif. Ce n’est manifestement pas le cas et, assurément, un tel débat serait tout à fait possible sur la base des règles d’interprétation usuelles, qui permettent aux tribunaux de clarifier une disposition législative et d’en fixer le sens, lorsque besoin est, ou de décider si elle s’applique à une situation de fait particulière. Or, ce débat n’a jamais eu lieu et, d’ailleurs, sauf à plaider l’imprécision de la définition, les intimées n’ont pas tenté cet exercice interprétatif dans le cadre du présent dossier (ni ailleurs).
  9.            Quant aux articles 10 et 11 du Règlement (règlement qui jouit d’une présomption de validité que n’auraient pas réfutée les intimées), ils n’auraient eux-mêmes rien d’imprécis et ils ne seraient pas non plus déraisonnables au sens des arrêts Vavilov[29], Katz Group[30] et, maintenant, Auer[31]. Ils seraient au contraire entièrement cohérents avec les objectifs poursuivis par la loi et ils en assurent la mise en œuvre, alors que le législateur, usant de termes larges et généreux, a conféré au gouvernement un vaste pouvoir réglementaire.
  10.            En ce qui concerne l’art. 11, il ne comporterait pas de sousdélégation illégale. En vertu de l’art. 92.5 L.n.t., la CNESST a pour mission d’assurer l’application du régime de permis : c’est elle qui reçoit les demandes et s’assure qu’elles remplissent les conditions prévues par le Règlement, en l’occurrence par les art. 10 et 11. Le « peut / may » de l’alinéa introductif de l’art. 11 ne donne à cet égard aucun pouvoir particulier ou additionnel à la CNESST et, comme le note le jugement de première instance, ce terme serait absent du texte réglementaire que cela ne changerait rien. Il en irait de même des mots « à son avis » (celui de la CNESST) qui figurent dans les paragr. 5, 6, 7, 12, 13 et 14 de l’art. 11 : ces mots donneraient simplement à la CNESST une certaine latitude décisionnelle, qui ne peut être confondue avec une sous-délégation illégale.

IV. Analyse

  1.            Dans un premier temps, il conviendra de préciser les normes de contrôle et d’intervention pertinentes. Dans un second temps, les questions litigieuses seront examinées à la lumière de ces normes.

A. Norme de contrôle judiciaire et norme d’intervention en appel

1. Normes applicables

  1.            Quelle norme de contrôle la Cour supérieure doit-elle appliquer lorsqu’elle est saisie, comme elle le fut en l’espèce, d’un pourvoi en contrôle judiciaire contestant la validité d’un règlement, en totalité ou en partie, parce qu’il outrepasserait la loi habilitante ou parce qu’il serait, au sens du droit administratif, déraisonnable, discriminatoire ou encore gravement imprécis? Quelle norme d’intervention une cour d’appel doit-elle ensuite appliquer à l’examen du jugement de la Cour supérieure en cette matière?
  2.            Norme applicable au contrôle judiciaire. Les parties, lors de l’audience d’appel, ont proposé des points de vue différents sur la norme applicable au contrôle judiciaire du Règlement, mais les arrêts Auer[32] et TransAlta[33] de la Cour suprême, prononcés par la suite, mettent un terme à toute controverse.
  3.            Le premier de ces arrêts statue sur la validité des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants[34] adoptées par le gouverneur en conseil en vertu du paragr. 26.1(1) de la Loi sur le divorce[35]. L’appelant Auer soutient qu’en promulguant ces lignes directrices, le gouverneur en conseil a excédé les limites de son habilitation législative. Le second arrêt porte sur la validité des 2017 Alberta Linear Property Assessment Minister’s Guidelines adoptées par le ministre des Affaires municipales de cette province en vertu de la Municipal Government Act[36]. Selon l’appelante TransAlta, ces lignes directrices « sont ultra vires du ministre pour deux raisons : (1) elles violent la règle de common law interdisant la discrimination administrative en traitant de façon discriminatoire, sans habilitation statutaire, les parties qui ont conclu des accords d’élimination du charbon avec l’Alberta; et (2) elles sont incompatibles avec les objectifs de la MGA »[37].
  4.            Dans tous ces cas de figure qui, on l’aura noté, s’apparentent d’assez près aux nôtres, la Cour suprême, sous la plume de la juge Côté, conclut à l’application de l’enseignement des juges majoritaires dans l’arrêt Vavilov[38], c’est-à-dire :

- la norme de la décision raisonnable s’applique en principe au contrôle de la validité d’un règlement ou autre texte législatif subordonné, norme dont l’application est toutefois guidée par les principes reconnus par l’arrêt Katz Group[39], sauf l’un d’entre eux;

- par exception, la norme de la décision correcte s’applique à un tel contrôle lorsque le législateur le prévoit ainsi ou lorsque la contestation affecte la primauté du droit, comme ce serait le cas, « [p]ar exemple, [d’]une contestation de la validité d’un texte législatif subordonné au motif qu’il ne respecte pas le partage des compétences entre le Parlement et les législatures provinciales »[40].

  1.            La juge Côté, dans Auer, précise ainsi le cadre analytique applicable :

[3] Je conclus que la norme de la décision raisonnable telle qu’exposée dans l’arrêt Vavilov est présumée s’appliquer lors du contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné. Je conclus également que certains des principes tirés de l’arrêt Katz Group continuent de guider un tel contrôle suivant la norme de la décision raisonnable : (1) le texte législatif subordonné doit être conforme à la fois aux dispositions pertinentes de la loi habilitante et à l’objet dominant de celleci; (2) le texte législatif subordonné bénéficie d’une présomption de validité; (3) le texte législatif subordonné contesté et la loi habilitante doivent être interprétés au moyen d’une méthode d’interprétation législative large et téléologique; (4) un contrôle de la validité ne comporte pas l’examen du bienfondé du texte législatif subordonné au regard de considérations d’intérêt général afin de déterminer s’il est nécessaire, sage et efficace dans la pratique.

[4] Toutefois, pour qu’un texte législatif subordonné soit déclaré ultra vires au motif qu’il est incompatible avec l’objet de la loi habilitante, il n’est plus nécessaire qu’il soit « sans importance », « non pertinent » ou « complètement étranger » à l’objet de la loi. Le maintien de ce seuil établi dans l’arrêt Katz Group serait incompatible avec le contrôle rigoureux selon la norme de la décision raisonnable qui est exposé en détail dans l’arrêt Vavilov et compromettrait la concrétisation de la promesse de simplicité, prévisibilité et cohérence de cet arrêt.

  1.            Toujours selon la juge Côté, mais cette fois dans TransAlta :

[14] Comme il est mentionné dans le pourvoi connexe, Auer, la norme de la décision raisonnable énoncée dans Vavilov est présumée s’appliquer lors du contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné. Aucune exception à la présomption d’assujettissement à la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce. De fait, la législature n’a pas indiqué que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire doivent être contrôlées suivant une norme différente, et la primauté du droit ne requiert pas l’application de la norme de la décision correcte. En conséquence, la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la validité des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire.

[15] Comme il est expliqué dans Auer, l’arrêt Katz Group continue de fournir des indications utiles et guide le contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En particulier, les principes suivants de Katz Group continuent de s’appliquer :

 Le texte législatif subordonné « doit être conforme à la fois aux dispositions pertinentes de la loi habilitante et à l’objet dominant de celleci » (Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, [2021] 1 R.C.S. 175 LTPGES »), par. 87; voir aussi Vavilov, par. 108 et 110; Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23, par. 283, les juges Karakatsanis et Jamal, dissidents en partie, mais non sur ce point).

 Les textes législatifs subordonnés continuent de jouir d’une présomption de validité (Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 17, par. 54).

 Le texte législatif subordonné contesté et la loi habilitante doivent être interprétés au moyen d’une méthode d’interprétation législative large et téléologique (voir Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360, par. 28; West Fraser Mills Ltd. c. ColombieBritannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 635, par. 12).

 Le contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné n’implique pas l’appréciation du bienfondé des considérations d’intérêt général. Les tribunaux doivent contrôler uniquement la légalité ou la validité du texte législatif subordonné (West Fraser Mills, par. 59, la juge Côté, dissidente, mais non sur ce point; La Rose c. Canada, 2023 CAF 241, par. 28).

[…]

[17] Le contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné constitue fondamentalement une opération d’interprétation législative qui vise à s’assurer que le délégataire a agi dans les limites du pouvoir légitime qu’il détient en vertu de la loi habilitante (Vavilov, par. 108; M. P. Mancini, « One Rule to Rule Them All : Subordinate Legislation and the Law of Judicial Review » (2024), 55 R.D. Ottawa 245, p. 274-275; voir, p. ex., West Fraser Mills, par. 23). Cette opération doit être réalisée conformément au principe moderne d’interprétation législative (Vavilov, par. 120121; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Le régime statutaire applicable, les autres règles statutaires ou de common law qui s’appliquent et les principes d’interprétation statutaire sont des contraintes particulièrement pertinentes afin de décider si le texte législatif subordonné en cause relève raisonnablement du champ d’application du pouvoir du délégataire (J. M. Keyes, Executive Legislation (3e éd. 2021), p. 175).

  1.            Autrement dit, lorsqu’est en cause la légalité d’un règlement ou autre texte législatif subordonné, il faut tenir compte de la présomption de validité dont jouissent ces instruments, user d’une méthode d’interprétation législative large et téléologique et, sauf indication législative autre, se demander « si le texte législatif subordonné en cause relève raisonnablement du champ d’application du pouvoir du délégataire »[41] ou s’il respecte raisonnablement les règles du droit administratif. Il s’agit donc de vérifier si « l’exercice du pouvoir du délégataire représente une interprétation raisonnable de la loi habilitante eu égard aux contraintes pertinentes »[42], c’est-à-dire s’il est « conforme à la raison d’être du régime mis sur pied par la législature »[43] et s’inscrit dans l’éventail des issues compatibles avec le schème législatif habilitant[44], ou s’il répond raisonnablement aux exigences de légalité du droit administratif. Pour qu’un texte législatif subordonné soit déclaré ultra vires ou déraisonnable, cependant, il n’est pas nécessaire qu’il soit étranger à l’objet de la loi ou sans rapport avec elle, seuil trop exigeant, écarté par Auer et TransAlta[45]. Enfin, le contrôle judiciaire d’un texte législatif subordonné exclut les considérations d’opportunité : c’est la légalité ou la validité du texte que l’on examine et non pas sa sagesse ou sa pertinence économique, sociale ou politique.
  2.            Compte tenu de la présomption de validité rattachée au texte législatif subordonné, c’est à celui ou celle qui en conteste la légalité que revient le fardeau de la démonstration et, comme l’explique la juge Côté dans Auer, cela signifie que :

[37] Dans l’arrêt Katz Group, notre Cour a expliqué que cette présomption comporte deux aspects : (1) « elle impose à celui qui conteste le [texte législatif subordonné] le fardeau de démontrer que celuici est invalide »; (2) « la présomption favorise une méthode d’interprétation qui concilie le [texte législatif subordonné] avec sa loi habilitante de sorte que, dans la mesure du possible, le [texte législatif subordonné] puisse être interprété d’une manière qui le rend intra vires » (par. 25 (en italique dans l’original)).

[38] Le premier aspect — à savoir que celui qui conteste le texte législatif subordonné a le fardeau d’en démontrer l’invalidité — est incontestable. En effet, dans l’arrêt Vavilov, notre Cour a expliqué que lors du contrôle de la validité d’une décision administrative en fonction de la norme de la décision raisonnable « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (par. 100).

[39] Le second aspect — à savoir que, dans la mesure du possible, le texte législatif subordonné doit être interprété d’une manière qui le rend intra vires — est lui aussi compatible avec l’arrêt Vavilov. Cet aspect n’alourdit pas le fardeau dont ceux qui contestent la validité d’un texte législatif subordonné devraient par ailleurs s’acquitter suivant l’arrêt Vavilov. Leur fardeau dépend de la norme de contrôle applicable. Si c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique, pour réfuter la présomption de validité du texte législatif subordonné, ceux qui le contestent doivent établir que celuici ne représente pas une interprétation raisonnable du pouvoir légal du délégataire. Si c’est la norme de la décision correcte qui s’applique, ceux qui contestent le texte législatif subordonné peuvent réfuter la présomption de validité en démontrant qu’il ne représente pas une interprétation correcte du pouvoir légal du délégataire.

  1.            Cet enseignement s’applique à toutes les situations dans lesquelles on s’interroge sur la validité d’un texte législatif subordonné, qu’il s’agisse de vérifier si celui-ci excède l’habilitation législative (y compris par une sous-délégation que la loi ne prévoit pas), s’il enfreint la règle de common law prohibant la discrimination administrative ou s’il est autrement déraisonnable au sens où le droit administratif entend ce terme (c’est-à-dire marqué par la mauvaise foi, l’arbitraire ou l’abus[46]).
  2.            En l’espèce, le législateur n’a pas indiqué que le Règlement doit être contrôlé autrement que selon la norme de la raisonnabilité. Par ailleurs, l’affaire ne comporte aucun aspect constitutionnel (partage des compétences, Charte canadienne des droits et libertés ou autre) et ne soulève aucune des questions qui, au nom de la primauté du droit, commandent l’application de la norme de la décision correcte[47]. Le juge de première instance devait donc statuer sur les pourvois en contrôle judiciaire institués par les intimées en fonction du seuil de la raisonnabilité, évaluée selon le cadre d’analyse établi par les arrêts Auer et TransAlta, qui reprennent, en le modifiant, celui de l’arrêt Katz Group.
  3.            Norme d’intervention en appel. Qu’en est-il maintenant de la norme d’intervention en appel? Cette norme, appliquée aux affaires de contrôle judiciaire, est désormais bien connue : saisie d’un pourvoi en cette matière, une cour d’appel doit se demander si le juge de première instance a identifié la bonne norme de contrôle et s’il l’a appliquée correctement[48]. Comme le rappelle l’arrêt Mason :

[36] […] La juridiction d’appel doit se « met[tre] à la place » de la juridiction d’instance inférieure et se concentrer sur la décision administrative qu’elle est appelée à examiner (Agraira, par. 46, citant Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, par. 247, la juge Deschamps, dissidente). Selon cette approche, la juridiction d’appel « n’accorde aucune déférence à l’application de la norme de contrôle par le juge de révision », mais « procède plutôt à un examen de novo de la décision administrative » (Horrocks, par. 10, citant D. J.M. Brown, assisté de D. Fairlie, Civil Appeals (feuilles mobiles), § 14:45). Aucun de ces principes n’a été modifié par l’arrêt de notre Cour dans l’affaire Vavilov. La question que nous devons examiner est donc celle de savoir si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement (Agraira, par. 47).[49]

2. Application à l’espèce

  1.            Le juge de première instance a-t-il identifié la bonne norme de contrôle et, le cas échéant, l’a-t-il appliquée correctement?
  2.            Constatons d’abord que, même si le juge a tranché l’affaire deux ans avant les arrêts Auer et TransAlta, qui clarifient le droit à cet égard, il a correctement renvoyé à l’arrêt Katz Group, sans tenir compte du seuil trop exigeant que la Cour suprême a désormais écarté. Bien que son jugement ne contienne pas les mots « norme de la décision raisonnable » ou autre expression dérivée, on peut conclure qu’il a, plus ou moins implicitement, correctement identifié la règle applicable.
  3.            Toutefois, son jugement montre qu’il n’a pas évalué la situation en fonction de la norme ainsi identifiée. L’analyse à laquelle il se livre indique plutôt qu’il a appliqué la norme de la décision correcte, sans tenir compte de la présomption de validité des règlements et sans user d’une approche large et téléologique dans l’examen de l’habilitation législative et de la conformité du Règlement à celle-ci, lui préférant une approche littérale et limitée. Ses conclusions sur les art. 1 (argument de l’ultra vires) et 11 (argument de la sous-délégation) du Règlement sont entachées par cette erreur, ce qui justifiera une reprise de l’exercice.
  4.            Enfin, le juge n’ayant pas abordé le sujet du caractère ultra vires, discriminatoire ou déraisonnable des art. 10 et 11 du Règlement, il faudra, là encore, procéder à l’examen en fonction de l’enseignement de la Cour suprême dans les arrêts Auer et TransAlta.

B. Le Règlement ou certaines de ses dispositions sont-ils invalides?

  1.            Je me pencherai en premier lieu sur la définition que l’art. 1 du Règlement donne à l’« agence de placement de personnel », et ce, en deux temps. J’examinerai d’abord la question de son imprécision et je vérifierai ensuite sa conformité à l’art. 92.7 L.n.t.
  2.            En second lieu, j’examinerai les art. 10 et 11 du Règlement : ces dispositions, là encore, sont-elles conformes à l’habilitation législative? Sont-elles discriminatoires ou autrement déraisonnables au sens classique du droit administratif (c’est-à-dire abusives, arbitraires ou marquées de mauvaise foi); l’art. 11, en certains de ses paragraphes, estil imprécis ou comporte-t-il une sous-délégation illégale, sujets qui sont ici étroitement liés?
  3.            Aux fins de ce double exercice, je tiendrai compte de ce que tant la L.n.t. que la Loi modificatrice de 2018 doivent être interprétées de façon généreuse, en vertu des règles ordinaires de l’interprétation législative moderne, c’est-à-dire selon une méthode contextuelle et téléologique : « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur », rappelle la Cour suprême dans La Presse inc. c. Québec[50], ainsi que dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A[51], citant les mots du professeur Driedger dans son ouvrage de 1983[52]. Il n’en va pas autrement du Règlement, qui doit lui aussi être interprété de cette façon.
  4.            Cela est particulièrement de mise lorsque l’on considère la vocation de la L.n.t., loi réparatrice à portée sociale[53] qui cherche à protéger les personnes salariées, et notamment les plus vulnérables d’entre elles. Comme le souligne la Cour suprême dans Asphalte Desjardins : « il y a lieu de l’interpréter [la L.n.t.] de manière large et libérale »[54], s’agissant d’une loi qui « vise à corriger le déséquilibre des forces entre employeur et salarié en établissant des normes minimales à l’intention des salariés au moyen de dispositions d’ordre public »[55] ainsi qu’« à protéger les salariés en tant que personnes vulnérables de la société, une réalité maintes fois reconnue »[56].
  5.            On notera aussi que, dans l’affaire Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général)[57], la juge Deschamps a déjà qualifié la L.n.t. de « chantier législatif », cette loi étant en effet fréquemment modifiée « pour mieux répondre aux besoins des employés ou encore pour corriger le libellé des dispositions en fonction de son application »[58], ce qui est tout à fait conforme à sa vocation réparatrice et protectrice. Certes, la juge Deschamps est dissidente dans cette affaire, mais ce n’est pas sur ce principe qu’elle et ses collègues ne s’entendent pas, mais sur son application à l’espèce.
  6.            La Loi modificatrice de 2018 poursuit évidemment le même objectif réparateur et social que la loi qu’elle modifie, notamment en ciblant à cette fin l’industrie du placement de personnel, et elle doit être interprétée de la même manière, largement et libéralement, reflétant l’intention d’un législateur qui intervient dans le but de protéger les personnes salariées.
  7.            Quant au Règlement, il est l’outil par lequel le gouvernement, autorisé à ce faire par l’art. 92.7 (mais aussi de l’art. 92.5), tente de poursuivre et d’atteindre cet objectif législatif. Il mérite donc lui aussi une interprétation qui permet raisonnablement de « concilie[r] le règlement avec sa loi habilitante de sorte que, dans la mesure du possible, le règlement puisse être interprété d’une manière qui le rend intra vires »[59].
  8.            Ce cadre interprétatif coiffera l’analyse qui suit.

1. Validité de la définition d’« agence de placement de personnel » (art. 1 du Règlement)

a. Imprécision de la définition

  1.            La L.n.t., telle que retouchée par la Loi modificatrice de 2018, ne définit pas l’« agence de placement de personnel ». Le législateur a en effet choisi, expressément, de laisser au gouvernement le soin de formuler cette définition et de délimiter ainsi le champ d’application de la loi en la matière et, partant, celui du règlement. L’art. 92.7 paragr. 1 L.n.t., que je reproduis de nouveau par commodité, prévoit ainsi que :

92.7. Le gouvernement peut, par règlement :

92.7. The Government may, by regulation,

  définir ce qui constitue, pour l’application de la présente loi, une agence de placement de personnel, une agence de recrutement de travailleurs étrangers temporaires, une entreprise cliente et un travailleur étranger temporaire;

(1)  define, for the purposes of this Act, what constitutes a personnel placement agency, a recruitment agency for temporary foreign workers, a client enterprise and a temporary foreign worker;

  1.            Comme on le constate, l’habilitation est vaste et confère une latitude considérable au gouvernement. Par ailleurs, personne n’a contesté ici la légalité de cette délégation.
  2.            Sur le fondement de cette habilitation, le gouvernement adopte donc la définition suivante, qui figure dans l’art. 1 du Règlement et dont je me permets de rappeler une seconde fois le texte :

« agence de placement de personnel » : une personne, société ou autre entité dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de main-d’œuvre;

“personnel placement agency” means a person, partnership or other entity that has at least one activity consisting in offering personnel leasing services by providing employees to a client enterprise to meet its labour needs; (agence de placement de personnel)

  1.            À mon avis, cette définition n’est pas imprécise et, même si on pouvait la trouver imparfaite, elle n’atteint pas le degré d’imprécision qui justifierait son invalidation. En fait, elle est même assez précise, bien qu’elle ne procède pas – ce qui serait du reste impossible – à l’énumération de tous les cas de figure visés. Je m’explique.

* *

  1.            Le droit administratif reconnaît depuis longtemps que les règlements peuvent être invalidés pour cause d’imprécision, lorsqu’il n’est pas raisonnablement possible d’en élucider le sens grâce aux règles d’interprétation ordinaires[60]. Cette théorie de l’imprécision, qui « repose sur la primauté du droit »[61] et sur l’idée fondamentale que les justiciables doivent être avisés de la teneur de la règle de droit afin de pouvoir se conduire en conséquence, est l’une des contraintes juridiques pertinentes au contrôle judiciaire d’un règlement. On conçoit aussi que le règlement imprécis laisse le décideur administratif dans l’incertitude, mais lui confère, paradoxalement, un pouvoir aléatoire[62], qui peut difficilement être contrôlé[63].
  2.            Le droit constitutionnel (qui n’a d’aucune façon été invoqué par les parties dans la présente affaire), en particulier au regard de l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés de même que de l’art. 1 de celle-ci, a également fait sien ce principe en ce qui concerne les lois : une loi imprécise peut enfreindre l’art. 7 ou ne pas constituer une règle de droit suffisante pour restreindre un droit fondamental au sens de l’art. 1[64].
  3.            Cela dit, quel degré d’imprécision un texte normatif doit-il atteindre afin d’être invalidé?
  4.            Comme le souligne la Cour suprême dans Nova Scotia Pharmaceutical, sous la plume du juge Gonthier, il faut être réaliste et reconnaître d’abord que les textes normatifs sont rarement d’une précision absolue :

Les règles juridiques ne fournissent qu'un cadre, un guide pour régler sa conduite, mais la certitude n'existe que dans des cas donnés, lorsque la loi est actualisée par une autorité compétente. Entre temps, la conduite est guidée par l'approximation. Le processus d'approximation aboutit parfois à un ensemble assez restreint d'options, parfois à un ensemble plus large. Les dispositions législatives délimitent donc une sphère de risque et ne peuvent pas espérer faire plus, sauf si elles visent des cas individuels.

En énonçant les limites de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas, ces normes donnent lieu à un débat judiciaire. Elles comportent une substance et permettent la discussion sur leur actualisation. Elles limitent donc le pouvoir discrétionnaire en introduisant des lignes de démarcation et elles délimitent suffisamment une sphère de risque pour que les citoyens soient prévenus quant au fond de la norme à laquelle ils sont assujettis.

On ne saurait vraiment pas exiger davantage de certitude de la loi dans notre État moderne. Les arguments sémantiques, fondés sur une conception du langage en tant que moyen d'expression sans équivoque, ne sont pas réalistes. Le langage n’est pas l’instrument exact que d'aucuns pensent qu'il est. On ne peut pas soutenir qu'un texte de loi peut et doit fournir suffisamment d'indications pour qu'il soit possible de prédire les conséquences juridiques d'une conduite donnée. Tout ce qu'il peut faire, c'est énoncer certaines limites, qui tracent le contour d'une sphère de risque. Mais c'est une caractéristique inhérente de notre système juridique que certains actes seront aux limites de la ligne de démarcation de la sphère de risque; il est alors impossible de prédire avec certitude. Guider, plutôt que diriger, la conduite est un objectif plus réaliste. La CEDH a maintes fois mis en garde contre la recherche de la certitude et adopté cette conception de la « sphère de risque » dans l'affaire Sunday Times, précitée, et surtout dans l'affaire Silver et autres, arrêt du 25 mars 1983, série A n° 61, aux pp. 33 et 34, et dans l'affaire Malone, précitée, aux pp. 32 et 33.[65]

  1.            Et la Cour de poursuivre plus loin :

La théorie de l’imprécision peut donc se résumer par la proposition suivante : une loi sera jugée d’une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. Cet énoncé de la théorie est le plus conforme aux préceptes de la primauté du droit dans l'État moderne et il reflète l'économie actuelle du système de l'administration de la justice, qui réside dans le débat contradictoire.[66]

  1.            Parlant au nom de la majorité de ses collègues, le juge Gonthier renchérit dans Ontario c. Canadien Pacifique Ltée[67] :

79 Lorsqu'un tribunal est saisi d'une prétention d'imprécision fondée sur l'art. 7, l’analyse doit porter sur les termes de la loi attaquée. Le tribunal doit déterminer si la loi fournit un fondement pour un débat judiciaire et une interprétation judiciaire cohérente. Comme je l’ai déjà dit, le tribunal a pour premier rôle de déterminer le contexte interprétatif intégral qui entoure la loi, puisque l'imprécision ne peut être établie qu'une fois que le tribunal épuise les possibilités se rattachant à sa fonction d'interprétation. S’il est possible de procéder à une interprétation judiciaire, alors la loi attaquée n'est pas imprécise. Une loi ne peut être déclarée d'une imprécision inconstitutionnelle que lorsque le tribunal, après avoir épuisé le processus, conclut qu'il est impossible d’en dégager une interprétation. […]

  1.            Le juge en chef Lamer, dans des motifs concourants auxquels souscrivent les juges Sopinka et Cory, ne dit pas autrement, illustrant d’ailleurs par son propos le fait que les divergences d’interprétation ne signifient pas l’imprécision d’une disposition :

1 J'ai lu les motifs de mon collègue le juge Gonthier et, sous réserve de certains commentaires additionnels que je ferai plus loin, je souscris essentiellement à l'analyse qu'il a faite de la prétention de l'appelante selon laquelle l'al. 13(1)a) de la Loi sur la protection de l'environnement de l'Ontario, L.R.O. 1980, ch. 141, (« LPE ») serait d'une imprécision inconstitutionnelle. En particulier, je souscris à sa conclusion que la disposition fournit un guide suffisant pour permettre un débat judiciaire et qu'elle satisfait donc au critère relatif à l'imprécision énoncé par notre Cour dans R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606. Toutefois, pour ce qui est de l'interprétation à donner à l'al. 13(1)a), j'estime que, même si nous adoptons des interprétations essentiellement semblables, mon collègue et moi fondons nos conclusions sur des principes d'interprétation différents. Par conséquent, quoique je convienne avec le juge Gonthier que ne peut être retenue la prétention subsidiaire de l'appelante voulant que cette disposition soit inconstitutionnelle pour cause de portée excessive et que le pourvoi doit donc être rejeté, j'arrive à cette conclusion par une voie quelque peu différente de la sienne.

  1.            La juge en chef McLachlin consolide cette approche dans Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général)[68] :

15 Une règle de droit est inconstitutionnellement imprécise si elle « ne constitue pas un fondement adéquat pour un débat judiciaire » et « une analyse », si elle « ne délimite pas suffisamment une sphère de risque » ou si elle « n’est pas intelligible ». La règle de droit doit donner « prise au pouvoir judiciaire » : R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 639-640. La certitude n’est pas requise. […]

17 L’exercice ponctuel d’un pouvoir décisionnel discrétionnaire diffère de l’interprétation judiciaire appropriée. Les décisions judiciaires peuvent comme il se doit préciser une loi. Le législateur ne peut jamais prévoir toutes les situations qui peuvent se présenter et, s’il le pouvait, il lui serait pratiquement impossible de toutes les énumérer. Dans notre régime juridique, il est donc naturel qu’il existe des zones d’incertitude et que les juges clarifient et étoffent de façon ponctuelle le droit.

[Soulignement ajouté]

  1.            L’imprécision n’entraînera donc la nullité d’une loi que si le texte ne peut constituer, pour reprendre les mots du juge Gonthier dans Nova Scotia Pharmaceutical, « un guide suffisant pour un débat judiciaire »[69]. Et, comme le rappelle également le juge Gonthier dans le même arrêt, résumant l’enseignement de la Cour suprême dans Butler[70], « [l]es facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si une loi est trop imprécise comprennent : a) la nécessité de la souplesse et le rôle des tribunaux en matière d'interprétation; b) l'impossibilité de la précision absolue, une norme d'intelligibilité étant préférable; c) la possibilité qu'une disposition donnée soit susceptible de nombreuses interprétations qui peuvent même coexister »[71]. Ce dernier point est capital : le fait qu’une disposition se prête à plus d’une interprétation n’est donc pas synonyme d’imprécision.
  2.            Ces propos, quoiqu’ils aient été tenus dans un contexte constitutionnel qui n’est pas en cause dans la présente affaire, sont cependant transposables au domaine du droit administratif réglementaire, avec les adaptations qui s’imposent, et pour les mêmes raisons[72]. Conséquemment, « ce n’est pas n'importe quelle imprécision qui peut ou doit emporter l'annulation d'un règlement »[73]. Ainsi, une disposition réglementaire ne pourra être déclarée nulle pour cause d’imprécision que si elle est inintelligible au point de ne pas permettre un débat judiciaire ou quasi judiciaire, c’est-à-dire un débat fondé sur les règles et principes interprétatifs usuels[74] et destiné à en fixer le sens, afin que le justiciable puisse régler sa conduite en conséquence. De même, le fait qu’une disposition réglementaire se prête à plus d’une interprétation (raisonnable, naturellement) ne signifie pas qu’elle soit entachée d’une imprécision de nature à l’invalider. Le seuil de l’imprécision et de l’inintelligibilité est donc très élevé.
  3.            Bien sûr, on tiendra compte dans cet exercice interprétatif de la nature du règlement, acte de législation délégué ou « texte législatif subordonné »[75], qui a pour vocation de compléter la loi habilitante et d’en permettre la mise en œuvre en détaillant « les grandes lignes de l’ordre juridique que le législateur veut établir »[76]. En principe, et sous réserve de l’habilitation législative, évidemment, une norme réglementaire ne doit donc pas être si imprécise qu’elle mette en péril « son application directe à des cas concrets »[77] et se trouve, par le fait même, à conférer un pouvoir discrétionnaire illimité à l’entité administrative chargée de cette application[78].
  4.            Cela est tout aussi vrai dans une situation comme celle de l’espèce, alors que le législateur a expressément confié au gouvernement le mandat de définir, en ses lieu et place, l’« agence de placement de personnel », et ce, « pour l’application de la présente loi / for the purposes of this Act » (art. 92.7 paragr. 1 L.n.t.). Une telle définition doit bien sûr être fonctionnelle et offrir un guidage minimalement suffisant, ce qui n’exclut toutefois pas que ses termes puissent requérir une interprétation.
  5.            En effet, on peut assurément souhaiter que les règlements, comme les lois, soient aussi précis et clairs que possibles, mais l’on ne peut exiger la certitude – et encore moins la certitude absolue. Inévitablement, certains textes réglementaires, comme certains textes législatifs, seront ambigus ou équivoques, abstrus, complexes ou encore très larges (c’est-à-dire de nature à viser une variété de situations factuelles dont il est impossible de faire d’emblée l’inventaire[79]) sans pour autant être frappés d’une imprécision invalidante. À vrai dire, les zones grises – ou zones d’approximation, pour emprunter à l’arrêt Nova Scotia Pharmaceutical – font partie du droit. Elles sont inévitables (« En droit, la précision absolue est rare, voire inexistante », écrivait le juge en chef Dickson dans Irwin Toy[80]) et, s’il est des dispositions législatives ou réglementaires qui ne demandent pas d’interprétation particulière et dont le sens ressort à leur lecture même, nombreuses sont celles qui requièrent le recours aux règles d’interprétation (règles qui constituent elles-mêmes un corpus aussi riche qu’abondant, nourri par une jurisprudence qui ne l’est pas moins). N’est donc pas fatalement imprécis ce qui est simplement difficile d’interprétation[81].
  6.            On peut même penser que ces zones grises sont souvent bénéfiques, dans la mesure où elles introduisent une certaine plasticité dans la norme et en facilitent l’adaptation et l’évolution à des situations factuelles diverses et changeantes. Comme l’écrivent encore Issalys et Lemieux à propos des règlements, il faut « préserver un équilibre entre l’aspiration à la sécurité juridique – source d’une exigence de précision des normes réglementaires – et la nécessité d’une certaine souplesse »[82], laquelle s’inscrit dans le champ de l’interprétation, interprétation qui a elle-même une dimension contextuelle.
  7.            Comme l’expliquent enfin Issalys et Lemieux, « le degré de précision exigible est en rapport avec la technicité de la matière. Plus la matière à réglementer est technique, plus l’exigence de précision s’élève »[83]. Même là, cependant, il faut tenir compte de la question de savoir si le texte réglementaire « est en fait essentiellement destin[é] à des spécialistes de la matière » ou s’il s’adresse au « citoyen ordinaire »[84]. Personne ne s’étonnera donc que les règlements régissant le marché des valeurs mobilières, les installations sous pression ou la certification des avions soient plus précis (mais aussi plus complexes) que les règlements adoptés en vertu de la Charte de la langue française[85], de la Loi sur les heures et les jours d’admission dans les établissements commerciaux[86] ou de la L.n.t.
  8.            Tout cela étant, la définition que l’art. 1 du Règlement donne à l’« agence de placement de personnel » atteint-elle un seuil d’imprécision qui fait obstacle à un débat judiciaire (ou quasi judiciaire) ou présente-t-elle une inintelligibilité telle qu’on ne puisse en établir le sens par le recours aux règles d’interprétation?
  9.            En l’espèce, et dans le contexte qui est le sien, la définition litigieuse est suffisamment précise pour donner prise à un tel débat interprétatif. Sans doute est-il impossible de dresser la liste de tous les types d’employeurs ou d’activités relevant potentiellement de la définition, mais ce n’est pas là ce qu’on exige : que l’on puisse donner un sens général à la définition suffit et il reviendra aux employeurs, individuellement, et à la CNESST de voir à son application à chaque situation et d’en débattre judiciairement ou quasi judiciairement, le cas échéant. Voici comment j’en viens à cette conclusion.

* *

  1.            Avant d’aller plus loin, j’ouvre ici une longue parenthèse pour signaler que le Groupe AESPIQ, qui s’est seul pourvu par appel incident sur ce point, ne se livre pas vraiment à cet exercice d’interprétation de la définition réglementaire. Il se contente de soutenir à cet égard qu’elle est si nébuleuse qu’elle ne permet pas de distinguer la location de personnel (concept, rappelonsle, dont il affirme, dans son argumentation écrite, l’inexistence en droit québécois) de la sous-traitance ou du prêt de personnel ou des autres cas de figure dans lesquels le salarié d’un employeur X se trouve à plus ou moins long terme à exercer ses fonctions chez un client Y[87]. Cette proposition, cependant, relève de la pétition de principe et non d’une démonstration fondée sur les règles d’interprétation applicables. Elle est en outre posée sans fondement factuel particulier. Les déclarations sous serment produites au soutien du pourvoi en contrôle judiciaire de l’AESPIQ évoquent bien quelques exemples, mais, comme on le constatera ci-dessous, elles le font en termes vagues, qui ne permettent pas de saisir la nature concrète de la situation ou de la revendication potentielle de chaque employeur.
  2.            Ainsi, dans sa déclaration, M. André Rainville, président-directeur général de l’Association des firmes de génie-conseil – Québec, affirme que le règlement est si imprécis qu’il ne permet pas « de comprendre raisonnablement s’ils sont assujettis au Règlement ou dans quelle mesure » (paragr. 3) et que cela « constitue une menace directement les [sic] principaux actifs des entreprises de génie-conseil, soit le développement de connaissances pratiques et empiriques de leurs professionnels respectifs auprès d’entreprises clientes » (paragr. 6). L’organisation, l’agencement ou la contexture du champ du génie-conseil ne relevant pas de la connaissance d’office, il n’est pas possible, à partir de ces affirmations, de déterminer si les activités de génie-conseil, lesquelles, on peut le supposer, viennent dans des modèles variés, sont visées ou non par la définition que l’art. 1 du Règlement donne à l’agence de placement.
  3.            La déclaration sous serment de M. David Marchand, président de l’Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec, donne un peu plus de détails sur l’activité de ses membres :

11. Les membres de l’AESPIQ exploitent des entreprises spécialisées dans les services reliés aux équipements de production des entreprises engagées dans des activités industrielles notamment par l’exploitation des richesses naturelles, la transformation des matières premières et la production de biens;

12. Contrairement à une agence de placement de personnel, une entreprise membre de l’AESPIQ a, à son emploi, des techniciens et ingénieurs à temps plein qui sont payés suivant des taux horaires (on estime une moyenne de 26 $ dans l’industrie), pour les techniciens ou sur une base salariale annuelle, pour les professionnels;

13. Le principal actif de l’entreprise prestataire de services réside dans le développement de la formation et de la qualification de cette main-d’œuvre technique hautement spécialisée pour laquelle elle consacre des ressources humaines et financières colossales;

14. Pour l’entreprise cliente, les coûts d’installation, de réparation et d’entretien des équipements de production constituent une partie importante de ses coûts de production et a un effet immédiat sur sa position concurrentielle tant à l’échelle locale qu’internationale;

15. La tendance lourde qui s’est développée depuis les dernières décennies amène l’entreprise industrielle cliente à concentrer ses ressources internes sur ce qu’elle fait de mieux soit, ses activités de production;

16. Il s’ensuit que l’entreprise cliente a graduellement transféré ou laissé les activités reliées à l’installation, la réparation et l’entretien des équipements de production, soit une activité secondaire pour elle, à des entreprises spécialisées telles celles qui sont les membres de l’AESPIQ;

[…]

23. La récurrence et la constance dans la prestation des services dédiés à une entreprise cliente a amené un partage de connaissances des équipements de production qui bénéficient autant à l’entreprise prestataire et ses salariés spécialisés qui jouissent du développement de connaissances techniques et empiriques d’une très grande valeur, que l’entreprise cliente qui bénéficient des services hautement spécialisés, adaptés et personnalisés ayant une incidence directe sur ses coûts de production;

[…]

36. Par exemple, le développement de la synergie entre les ressources respectives des entreprises prestataires et clientes se manifeste notamment dans le cadre d’arrêts de production planifiés dans le secteur industriel et plus particulièrement dans le secteur industriel lourd;

37. Ces arrêts de production planifiés sont périodiques, récurrents et continus, entraînant généralement une cessation des activités de production de l’entreprise cliente pour y consacrer, sur des périodes variant de cinq (5) à vingt-et-un (21) jours l’ensemble des ressources internes et externes visant la réfection de l’ensemble des équipements de production pour éventuellement en assurer leurs disponibilités en totalité jusqu’au prochain arrêt de production planifié;

38. Ces arrêts de production sont de véritables exploits en termes de conception, d’ingénierie, de planification et de coordination de haute technologie complexe d’une multitude de tâches techniques et hautement technologiques visant le remplacement, la réparation et la remise à neuf des équipements de production;

39. Les préparations de ce type d’intervention débutent des mois et même des années d’avance, très souvent, le lendemain de la finalisation de l’arrêt précédent, alors que l’exécution nécessite une coordination parfaite entre les ressources internes et externes de l’entreprise cliente et celles des multiples entreprises prestataires de services comme celles membres de l’AESPIQ;

  1.            On comprend de ce bref exposé que l’entrepreneur offrirait ici à ses clientes un service, lequel est dispensé par une main-d’œuvre spécialisée, l’objet du contrat étant toutefois le service et non la main-d’œuvre comme telle. Mais cela, inutile de le dire, ne suffit pas à déterminer si tel ou tel entrepreneur particulier est ou n’est pas assujetti à la définition : il faudrait une preuve complète de ses activités pour qu’on puisse le déterminer.
  2.            Quant à la déclaration sous serment de Josée Méthot, présidente-directrice générale de l’Association minière du Québec, elle n’offre aucun descriptif des activités de ses membres, sauf à dire que « [l]es membres de l’AMQ comprennent des exploitations minières, des entrepreneurs miniers et des entreprises de services techniques et de génie-conseil lesquels ne sont pas des agences de placement de personnel » (paragr. 4), ce qui, on en conviendra, ne permet pas de connaître la nature des activités de ces personnes et, partant, de savoir si l’une de ces activités consisterait à offrir des services de location de personnel, au sens de l’art. 1 du Règlement.
  3.            Les appelants, d’ailleurs, soulignent cette lacune de la proposition du Groupe AESPIQ : en l’absence de preuve, il serait hasardeux de tenter de déterminer si tel ou tel employeur œuvrant dans tel ou tel champ d’activité, selon telles ou telles modalités, relève ou non de la définition litigieuse et la Cour devrait s’en abstenir. À leur avis, l’employeur qui se demande s’il est visé par le Règlement doit s’adresser à la CNESST et, s’il n’est pas satisfait de la réponse qu’il obtient, intenter le recours approprié. La question pourrait également se soulever dans le cadre de la contestation d’un constat d’infraction ou à la suite d’une enquête civile de la CNESST. Selon les appelants, tout ce que l’on peut faire dans le cadre du présent dossier consiste à vérifier si la définition est suffisamment précise pour établir de façon générale les éléments, facteurs, conditions qui, à l’occasion de ces recours, permettront les déterminations individuelles qui s’imposeront alors, à la lumière de la preuve qui sera présentée. Évidemment, ces éléments pourront être raffinés par l’exercice d’application qui en sera fait et l’accumulation des précédents.
  4.            J’estime que les appelants, sur ce point, ont raison. Qu’on ne puisse dire ici, faute de preuve, que tel ou tel employeur ou telle ou telle activité relève de la définition d’« agence de placement de personnel » ne signifie évidemment pas que cette définition soit imprécise. La seule question à laquelle on doit répondre à ce chapitre de l’appel incident est en effet, je le répète, celle de savoir si la définition litigieuse est suffisamment précise pour donner lieu à un débat judiciaire menant à l’établissement de balises générales permettant de résoudre ultérieurement les cas individuels. Pour paraphraser le juge Gonthier dans Nova Scotia Pharmaceutical, il nous faut simplement nous demander si cette définition donne « suffisamment d'indications quant à la manière dont les décisions doivent être prises, tels les facteurs dont il faut tenir compte ou les éléments déterminants »[88] et constitue un guide minimalement convenable pour un débat judiciaire.

* *

  1.       Les appelants arguent que c’est le cas et que la définition peut être interprétée facilement dans la mesure où elle s’appuie sur un élément central, la « location de personnel » qui, au contraire de ce que prétend le Groupe AESPIQ, est une réalité connue et un objet juridique qui l’est tout autant. En tout respect pour l’opinion contraire, et comme je le mentionnais plus tôt, je partage cet avis.
  2.       La définition litigieuse est articulée autour de trois éléments principaux, qui se recoupent d’ailleurs, comme on le verra, et qui se renforcent ou se précisent mutuellement : est une agence de placement la « personne, société ou autre entité / person, partnership or other entity » dont « au moins l’une des activités / at least one activity » consiste à offrir « des services de location de personnel / personnel leasing services » à une entreprise cliente afin de combler chez celle-ci « des besoins de maind’œuvre / its labour needs ». Ce dernier point est repris, par effet miroir en quelque sorte, dans la définition que l’art. 1 du Règlement donne à l’« entreprise cliente », personne qui recourt aux services d’une agence de placement précisément « pour combler des besoins de main-d’œuvre / to meet labour needs ».
  3.       Le concept de « location de personnel » est au cœur de la définition litigieuse (car ne fait évidemment pas problème la mention de la « personne, société ou entité / person, partnership or other entity » qui se livre à cette activité). Voyons ce qu’il en est.
  4.       Précisons d’abord que la « location de personnel » (qui se décline en plusieurs variations) est non seulement un terme, mais un objet juridique connu du droit québécois et dont on trouve même un exemple dans la jurisprudence de la Cour suprême. En effet, dans Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail)[89], cette cour, afin de trancher un débat relatif à l’application du Code du travail, s’interroge sur l’identité du véritable employeur d’une salariée. Celle-ci est formellement employée par une agence de placement et affectée chez la Ville de Pointe-Claire, à la demande de celle-ci, pour y occuper temporairement un poste de réceptionniste (assignation de 6 semaines), puis un poste de commis au département des achats (assignation de 18 semaines). Le juge en chef Lamer, qui tient la plume majoritaire, décrit comme suit l’activité de l’agence en cause et n’hésite pas à employer le terme « location de personnel » ou autres termes équivalents, pour décrire sur le plan juridique la situation qui est soumise à son attention :

2 Personnel Hélène Tobin inc. (ci-après « l’agence ») est une agence qui offre, entre autres, des services de location de personnel temporaire à des entreprises qui font partie de sa clientèle. L’agence a un personnel composé de trois employés permanents et d’au moins une trentaine d’employés (« employés temporaires ») dont les services sont loués de façon temporaire à ses clients. Les employés temporaires sont recrutés et sélectionnés par l'agence qui leur fait passer des tests d'évaluation. L’agence s’occupe du développement professionnel des employés en leur confiant des assignations de plus en plus exigeantes et en leur recommandant parfois de suivre des cours. Pour la location des services de ses employés temporaires, elle convient du tarif avec le client sans égard au salaire que celui-ci paie à ses employés de même catégorie. L’agence paie ses employés temporaires sur la base d’un salaire horaire qui varie selon les assignations spécifiques. Le salaire versé par l’agence est calculé en fonction du nombre d’heures inscrit sur un formulaire rempli par l’employé et contresigné par le client. L’agence ne rémunère pas ses employés temporaires lorsqu’ils ne sont pas assignés chez un client. Le client peut procéder à une embauche formelle de l’employé, mais s’il le fait avant la fin d’une assignation de 18 semaines consécutives, l’agence exige des frais supplémentaires. Si le client n’est pas satisfait de la qualité du travail de l’employé temporaire il doit en informer l’agence et celle-ci prendra alors les mesures appropriées. L’agence peut modifier l’assignation d’un employé dans la mesure où il est sous-qualifié ou sur-qualifié. En outre, l’agence dispose d’un numéro d’employeur attribué par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») et elle fait les déductions nécessaires du salaire de l’employé pour les impôts et les charges sociales (congé annuel, contribution à l’assurance-chômage, à la CSST et au régime des rentes du Québec).

[Soulignements ajoutés]

  1.       Cette description correspond assez bien à la définition classique de l’agence de placement de personnel : il s’agit d’une personne morale ou physique qui fait de la location de personnel ou, si l’on préfère, de la location de maind’œuvre ou encore, expression équivalente, du placement de personnel[90] (on parle même parfois de « prêt de personnel »[91]). La personne qui se livre à une telle activité met à la disposition de sa clientèle, contre rétribution, les services de salariés qu’elle embauche, rémunère et supervise globalement, mais dont la prestation de travail consiste à exécuter des missions à durée variable chez autrui, sous l’autorité de celui-ci, comme s’il s’agissait de ses propres salariés. C’est un arrangement contractuel tripartite que la Convention (n° 181) sur les agences d’emploi privées, adoptée en 1997 sous l’égide de l’Organisation internationale du travail, décrit pour sa part comme la fourniture de « services consistant à employer des travailleurs dans le but de les mettre à la disposition d'une tierce personne physique ou morale (ciaprès désignée comme “l’entreprise utilisatrice”), qui fixe leurs tâches et en supervise l'exécution »[92].
  2.       En somme, l’agence de placement est couramment décrite comme la personne qui « loue » à autrui, pour usage par celui-ci, les services mêmes des salariés qu’elle recrute[93]. On trouve fréquemment ce type d’arrangement dans le domaine des emplois de bureau, celui des soins infirmiers ou encore ceux du travail manufacturier[94] ou du transport, mais la location de personnel est couramment pratiquée dans bien d’autres secteurs (comme le révèle la jurisprudence en la matière) et sous diverses formes, selon les besoins en main-d’œuvre de la clientèle.
  3.       Celle-ci peut recourir à la location de personnel pour des raisons variées. Ainsi, elle peut vouloir combler une absence (congé de maladie, congé de maternité ou congé parental, vacances, congé sabbatique, par ex.), pallier un surcroît de travail (un manufacturier décide par ex. d’augmenter sa cadence de production pour un temps ou en vue de remplir une commande plus importante que d’habitude) ou remédier à une pénurie de main-d’œuvre. Elle peut avoir besoin d'une main-d'œuvre supplémentaire afin de mettre en place la grande réforme informatique que ses propres salariés ne sont pas assez nombreux pour implanter rapidement, ou afin d’accomplir une tâche particulière, ponctuelle ou non récurrente, ou un projet spécial, etc. Le nombre des salariés qui lui seront fournis peut varier aussi : on parle parfois d’un ou deux salariés occasionnellement; dans le réseau de la santé, ce sera, de façon régulière, une proportion beaucoup plus importante du personnel infirmier[95]. Dans tous les cas, la cliente ne souhaite pas établir de lien d’emploi direct avec la personne salariée à laquelle elle recourra par le truchement de l’agence de placement, mais c’est elle, néanmoins, qui contrôlera dans l’immédiat la prestation de travail.
  4.       Essentiellement, on verra dans la relation qui s’établit entre l’agence de placement et sa cliente la juxtaposition de deux contrats donnant lieu à un rapport tripartite :

- d’une part, un contrat par lequel une personne « fournit à l’entreprise cliente un membre de son propre personnel, non pas pour exécuter un travail autonome au sein de l’entreprise cliente, mais plutôt pour s’intégrer dans cette entreprise cliente afin d’exécuter le travail selon les instructions de cette dernière »[96];

- d’autre part, un contrat entre cette personne et la personne salariée qu’elle assigne chez l’une ou l’autre de ses clientes et dont la prestation de travail consiste précisément à effectuer des missions de courte, moyenne ou longue durée chez les clientes en question.

  1.       Ce rapport tripartite fait l’objet d’une jurisprudence abondante, particulièrement au regard du Code du travail, mais aussi de la L.n.t., et à un questionnement fréquent sur l’identité du véritable employeur : c’est qu’il est difficile, comme le notait déjà la Cour suprême dans l’arrêt Pointe-Claire, de faire entrer ce type d’arrangement dans le cadre bipartite traditionnel du contrat de travail, contrat sur lequel reposent ces deux lois. Cette difficulté ressort aussi de l’arrêt de notre cour dans FIIQ  Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal[97]. C’est d’ailleurs, et j’en reparlerai, un des problèmes auxquels tentait de remédier la Loi modificatrice de 2018.
  2.       Mais quoi qu’il en soit, il reste que la « location de personnel » (ou « le placement de personnel ») est une expression connue, qui renvoie à un arrangement dans le cadre duquel une personne ayant un lien contractuel avec un salarié met contractuellement les services de celui-ci à la disposition d’une entreprise cliente, afin qu’il exécute chez cette dernière, à plus ou moins long terme, des tâches qu’elle gérera et supervisera au quotidien (comme s’il s’agissait de ses propres salariés). Autrement dit, l’objet du contrat entre le fournisseur et la cliente est la capacité de travail du salarié du premier, dont la seconde fera usage à son profit. La location de personnel peut par ailleurs constituer l’activité principale du fournisseur ou être une activité secondaire ou même occasionnelle.
  3.       Ce genre d’arrangement contractuel est une réalité du marché du travail, mais également, et je le redis, une réalité juridique, c’est-à-dire un objet que le droit peut saisir et qu’il a d’ailleurs saisi, comme le montre la jurisprudence. L’expression et le concept juridique qui la sous-tend ont même fait leur chemin jusque dans la législation québécoise, qui renvoie elle-même explicitement à la « location de personnel » ou autre terme équivalent. Pensons ici à la Loi sur la santé et la sécurité du travail ou encore à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[98], qui énoncent respectivement ceci :

Loi sur la santé et la sécurité du travail

51.1. La personne qui, sans être un employeur, utilise les services d’un travailleur aux fins de son établissement doit respecter les obligations imposées à un employeur par la présente loi.

51.1. A person who, although not an employer, retains the services of a worker for the purposes of his establishment must fulfill the obligations imposed on an employer by this Act.

51.1.1.  Est sans effet toute clause d’un contrat ou d’une convention qui limite ou transfère les obligations qui, en vertu de la présente loi, incombent à l’employeur qui loue ou prête les services d’un travailleur à son emploi ou à la personne qui utilise ces services.

51.1.1.  Any clause in a contract or agreement that limits or transfers the obligations that, under this Act, are those of the employer who hires out or lends the services of a worker in his employ or those of the person using those services is without effect.

Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles

5. L’employeur qui loue ou prête les services d’un travailleur à son emploi demeure l’employeur de ce travailleur aux fins de la présente loi.

5. An employer who lends or hires out the services of a worker in his employ continues to be the worker’s employer for the purposes of this Act.

 La personne qui, aux fins de son établissement, utilise un travailleur dont les services lui sont loués ou prêtés est réputée être un employeur, pour l’application de l’article 316, même si elle n’a pas de travailleurs à son emploi.

 A person who, for the purposes of his establishment, uses a worker whose services are lent or hired out is deemed to be an employer for the purposes of section 316, even if the person has no workers in his employ.[99]

[Soulignements ajoutés]

  1.       Ainsi que le soulignent les appelants, on emploie aussi l’expression « location de personnel » dans les art. 13.5 al. 1(8°) et (9°) et 13.10 al. 1(2°) du chapitre XIII (« Paramètre sectoriels du crédit d’impôt pour le développement des affaires électroniques ») de l’annexe A de la Loi concernant les paramètres sectoriels de certaines mesures fiscales[100]. La même expression est également employée dans la Loi limitant le recours aux services d'une agence de placement de personnel et à de la maind'œuvre indépendante dans le secteur de la santé et des services sociaux[101], dont l’art. 5 paragr. 1 confie au gouvernement le soin de prévoir « la définition de “agence de placement de personnel”, soit une personne, une société ou une autre entité qui offre des services de location de personnel à un organisme du secteur de la santé et des services sociaux / the definition of “personnel placement agency”, meaning a person, partnership or other entity that offers personnel leasing services to a health and social services body ». On retrouve cette définition dans l’art. 2 du Règlement sur le recours aux services des agences de placement de personnel et à de la main-d’œuvre indépendante dans le domaine de la santé et des services sociaux[102], qui propose de l’« agence de placement de personnel » une définition semblable à celle de l’art. 1 du Règlement[103]. Le Règlement sur l’immigration au Québec[104] exclut pour sa part certains types d’employeurs d’un certain processus, dont la personne qui « exploite une entreprise dont les activités consistent à offrir des services de placement ou de location de personnel et l’emploi qu’il offre vise à combler les besoins temporaires de main-d’œuvre / operates an enterprise whose activities consist in offering personnel placement or leasing services and the employment offered is for providing a worker required to meet the temporary workforce needs » de diverses autres personnes (soulignements ajoutés).
  2.       Enfin, on notera aussi que cette conception de la location de personnel n’est pas étrangère au droit du travail fédéral (comme en font foi, par exemple, les décisions du Conseil canadien des relations industrielles rendues en vertu du Code canadien du travail[105]). Elle est tout aussi connue en droit ontarien, où, sur le plan sémantique, on parle plutôt de « temporary help agency / agence de placement temporaire » pour désigner celui ou celle qui « that employs persons for the purposes of assigning them to work on a temporary basis for clients of the employer / qui emploie des personnes afin de les affecter à l’exécution d’un travail à titre temporaire pour ses clients »[106]. L’on n’utilise pas le terme « location de personnel » dans la loi ontarienne, pas plus que l’on n’emploie le mot « temporaire » dans le Règlement, mais la réalité et l’arrangement contractuel sont analogues[107].
  3.       Bref, certainement en ce qui concerne l’élément « location de personnel », qui est central à la définition de l’agence de placement au sens du Règlement (et de la L.n.t.), on ne peut parler d’imprécision : il s’agit d’un terme courant, renvoyant à une situation contractuelle tout aussi courante, existant en maintes déclinaisons.
  4.       La définition est d’autant plus précise que son texte comporte un ajout : les services de location de personnel s’accomplissent « en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de main-d’œuvre / by providing employees to a client enterprise to meet its labour needs », élément qui est déjà inhérent au concept de « location de personnel », comme on vient de le voir. Cette indication supplémentaire renforce l’idée centrale que l’objet du contrat entre le fournisseur et la clientèle est bel et bien la capacité de travail de la personne salariée. Et comme si cela ne suffisait pas, la définition de l’« entreprise cliente / client enterprise » renchérit là-dessus en envisageant que celle-ci recoure aux services d’une agence de placement de personnel « pour combler des besoins de main-d’œuvre / to meet labour needs ».
  5.       À mon avis, tout cela répond aux inquiétudes qu’on a soulevées à propos de la confusion qui pourrait exister entre la location de personnel et ces techniques d’impartition que sont, par exemple, le contrat de sous-traitance ou, plus généralement, le contrat d’entreprise ou de service. Ce dernier, que régissent les art. 2098 et s. C.c.Q., a pour objet la réalisation d’un ouvrage matériel ou intellectuel ou la prestation d’un service que le client (ou donneur d’ouvrage) n’entend pas exécuter lui-même ni faire exécuter par ses salariés, mais qu’il confie à un tiers (entrepreneur ou prestataire de services), qui s’exécutera personnellement ou par le truchement de ses propres salariés, dont il contrôlera la prestation. Le tiers en question peut, selon le cas, exécuter ses obligations in situ chez le donneur d’ouvrage ou dans son propre établissement ou encore dans un lieu autre[108]. Le contrat de sous-traitance (qui n’est lui-même pas défini par la loi, mais n’en demeure pas moins bien connu en droit[109]) est une sousfigure du contrat d’entreprise ou de service.
  6.       Un exemple simple, celui de l’entretien ménager, illustrera la différence entre la location de personnel et le contrat d’entreprise ou de service. De nombreuses organisations se défont carrément de ce service qu’elles confient entièrement à des firmes spécialisées, qui exécuteront les tâches d’entretien in situ grâce à leur propre personnel. Il n’y a pas de doute qu’il ne s’agit pas là d’un contrat de location de personnel, mais bien d’un contrat de service classique (de type sous-traitance)[110]. L’objet du contrat est le service lui-même et son résultat. La cliente ne cherche pas ici à pourvoir à un besoin de maind’œuvre, elle ne cherche pas du personnel, elle cherche un service. Peu importe d’ailleurs que le service soit fourni par des humains ou des machines. La cliente, en pareil cas, supervise certes le résultat (la supervision générale qu’exerce le client n’étant nullement incompatible avec le contrat d’entreprise ou de service ou la soustraitance, bien entendu), mais pas la prestation de travail de chaque salarié comme telle, ce qui est laissé à l’employeur de celui-ci, l’entreprise d’entretien ménager[111]. Par contraste, on parlera de location de personnel dans la situation suivante : la cliente a ellemême à son emploi une équipe de personnes salariées dédiées à l’entretien ménager, mais dont l’une des membres doit s’absenter pour des vacances de trois semaines ou encore pour un congé parental de plusieurs mois; la cliente souhaite pourvoir ce poste temporairement, mais plutôt que d’embaucher ellemême un ou une remplaçante et d’encourir toutes les obligations administratives et fiscales liées à une telle embauche, elle demande plutôt à un tiers qui se livre à ce genre d’activités de lui fournir les services d’un ou d’une salariée à cette fin. En pareil cas, l’objet du contrat entre cliente et fournisseur est la capacité de travail du salarié affecté au remplacement.
  7.       Sur ce point, je ne suis donc pas ébranlée par certaines des affirmations du Groupe AESPIQ. On nous explique par exemple qu’un entrepreneur en procédé industriel s’occupera à l’occasion de la vérification et de l’entretien de certains types de machinerie dans de grosses infrastructures (barrages, usines de production d’aluminium et autres du genre). Il dépêchera à cette fin chez la cliente, en vertu du contrat qui les unit, des équipes d’employés spécialisés (employés qui sont les siens). Évidemment, cette vérification et cet entretien se feront in situ, chez la cliente, et souvent avec la collaboration indispensable des salariés de celle-ci. Il serait inadmissible, aux yeux du Groupe AESPIQ, qu’on parle alors de « location de personnel ». Mais justement, il me semble assez clair que l’objet du contrat entre l’entrepreneur en procédé et sa cliente est le service même de vérification et d’entretien, et non la capacité de travail des salariés de l’entrepreneur en question, la cliente ne cherchant pas à satisfaire ici un besoin de maind’œuvre : on aurait donc affaire à un contrat de service, mais non à un contrat de location de personnel.
  8.       On nous parle aussi du cas où, par exemple, une firme de génie-conseil dépêcherait un ingénieur sur place, chez une cliente, là où se font des travaux, pour y donner, justement, ses conseils, assurer une supervision, etc. Là encore, je serais a priori portée à penser qu’il ne s’agit pas d’un contrat de location de personnel : la prestation de travail de l’ingénieur en cause n’est en effet pas contrôlée par la cliente, mais bien par la firme de génie-conseil, quoique celle-ci puisse collaborer avec la cliente et son personnel.
  9.       Je n’épiloguerai cependant pas davantage. En l’absence de toute preuve dans le présent dossier, je préfère m’abstenir de statuer de manière définitive sur les situations factuelles susceptibles de tomber – ou non – dans le champ de la définition litigieuse, et je me contenterai de conclure que le renvoi que celleci fait à la « location de personnel », concept juridiquement bien circonscrit, n’a rien de l’imprécision invalidante.
  10.       Une dernière question demeure : la définition prévoit qu’est une agence de placement la personne « dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel / that has at least one activity consisting in offering personnel leasing services ». Or, qu’est-ce qu’une activité? Voilà qui, à mon avis, n’est pas si imprécis qu’un débat judiciaire ne puisse être envisagé. Il est vrai que le terme n’est pas défini par le Règlement, mais son acception peut certainement être fixée en fonction des règles d’interprétation usuelles. Dans le contexte qui est le sien (car l’interprétation doit toujours être contextuelle), on peut ainsi penser que l’emploi de ce mot implique une activité économique organisée, qui se manifeste avec une certaine régularité. Je doute ainsi qu’on puisse parler d’une « activité » de location de personnel dans la situation où, par exemple, la cliente d’un cabinet d’avocats envoie, une fois tous les deux ou trois ans, un ou une parajuriste en stage dans le cabinet en question, afin d’y apprendre son métier ou de s’y perfectionner. Ce placement temporaire n’a a priori rien d’une « activité » de la cliente et ne répond pas non plus à un besoin de main-d’œuvre du cabinet. Mais il n’est pas nécessaire d’aller plus loin pour illustrer le propos et, surtout, la possibilité d’un véritable débat interprétatif.
  11.       Cela dit, il est par ailleurs clair – et là-dessus les intimées ont raison – que la définition d’« agence de placement de personnel » que retient le Règlement ne vise pas que les agences de placement spécialisées, comme celle dont il était par exemple question dans l’arrêt Pointe-Claire. La définition englobe d’autres entreprises que celleslà et vise en effet toutes les personnes qui font de la location de personnel, que ce soit à titre principal ou secondaire, et même si elles poursuivent parallèlement des activités autres.
  12.       Bref, tout cela pour dire que la définition litigieuse vise toute personne qui fait, sous une forme ou sous une autre, de la location de personnel afin de répondre au besoin de main-d’œuvre de sa clientèle, qu’il s’agisse là de son activité principale ou d’une activité secondaire ou encore d’une activité menée parallèlement à d’autres. Je ne vois pas dans cette définition l’imprécision crasse qu’on lui reproche et qui justifierait de la déclarer nulle. Le concept de la « location de personnel » fait partie du droit québécois depuis longtemps et la jurisprudence a trouvé le moyen d’y faire place même quand la loi n’en disait rien et de régler les problèmes que génère, en droit comme en fait, cette réalité du marché du travail.
  13.       Je concède volontiers que la définition n’est pas d’une précision absolue en ce qu’elle emploie des termes généraux qui peuvent laisser, certainement, des zones grises (ou « zones d’incertitude »[112]) et des cas limites. Mais, comme je le soulignais plus tôt, les zones grises et les cas limites sont inhérents au droit et l’exercice qui consiste à interpréter un règlement (ou une loi) dont le sens n’est pas absolument certain ou peut être adapté à diverses situations est l’un des plus communs qui soient devant les tribunaux et les organes administratifs, tout comme est banal – et, à vrai dire, normal – l’exercice qui consiste à vérifier si une disposition réglementaire s’applique ou non à une situation factuelle donnée.
  14.       Certainement, il surviendra des cas où les intéressés ne pourront déterminer d’avance, et avec certitude, s’ils sont dans une situation de « location de personnel » destinée à combler un « besoin de main-d’œuvre » chez une cliente ou s’ils ont affaire à un autre type de contrat[113]. Il surviendra également des cas qui requerront une adaptation de la définition à des situations nouvelles ou inédites, dans un monde du travail en constante évolution. Or, voilà qui peut aisément donner prise à un débat de nature judiciaire (ou quasi judiciaire) et, d’ailleurs, le recours aux tribunaux s’impose comme la façon première de résoudre le problème et de circonscrire la zone normative.
  15.       La définition proposée par l'art. 1 du Règlement n’atteint donc pas le degré d’imprécision qui justifierait son invalidation (ou celle du Règlement, qui repose entièrement sur elle), que ce soit sur le plan constitutionnel (l’imprécision véritable d’un texte normatif enfreignant l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés) ou sur celui du droit administratif. Plus exactement, au regard de ces contraintes, la définition me paraît atteindre un degré de précision tout à fait raisonnable au sens des arrêts Auer et TransAlta, et du test modifié de l’arrêt Katz Group. De façon générale, les justiciables sont en mesure de comprendre s’ils sont visés ou non par la définition (et, partant, par la L.n.t. et le régime qu’elle met en place pour les agences de placement de personnel), définition qui guide aussi l’action de la CNESST dans l’exercice des pouvoirs que lui confère la L.n.t. La nature multiple et évolutive des pratiques en matière de location de personnel requiert une certaine souplesse définitionnelle et l’on peut difficilement penser que le gouvernement aurait dû ici, pour atteindre un seuil de précision acceptable, énumérer tous les cas de location de personnel possibles ou imaginables (avec les risques que cela comporte). Une définition générale, comme celle qu’il a formulée, est au contraire raisonnablement suffisante au vu de l’état du droit en la matière.
  16.       Il reste maintenant à savoir si, en édictant cette définition, le gouvernement a outrepassé l’habilitation législative que lui confère l’art. 92.7 paragr. 1 L.n.t.

b. Conformité de la définition à l’habilitation législative

  1.       La proposition des intimées sur ce point n’est pas parfaitement claire. Outre la prétention que fait toujours valoir le Groupe AESPIQ au sujet de l’imprécision irrémédiable de la définition réglementaire, la lecture de leurs procédures introductives d’instance et de certains passages de leurs mémoires, jumelée aux explications données lors de l’audience d’appel, laisse croire que leur crainte, en ce qui touche le caractère ultra vires de la définition, est d'abord fondée sur la possibilité que celle-ci inclue la prestation de services en général et la soustraitance (ou autres types de contrats d’entreprise). Si cela devait être le cas, font-elles valoir, cela irait au-delà de l’habilitation législative et, plus généralement, de l’objet de la loi, puisque tant la Loi modificatrice de 2018 que la L.n.t. n’entendent viser que le placement de personnel et non pas les autres contrats d’entreprise ou de service.
  2.       Or, comme on vient de le voir, cette crainte est mal fondée : la définition, qui vise la personne (dite « agence de placement de personnel ») se livrant à une activité de location de personnel en vue de répondre aux besoins de main-d’œuvre de sa clientèle, ne cible pas les autres types de contrat d’entreprise ou de service (y compris la soustraitance au sens usuel du terme ou l’aide au recrutement[114]). Certes, comme mentionné précédemment, la définition présente des zones grises, mais elles s’éclairciront, avec le temps, grâce aux débats judiciaires et quasi judiciaires. Sans doute y aura-t-il parfois une ligne fine entre ce qui tombera dans le champ de la définition et ce qui en sera exclu, mais cela n’a rien d’inhabituel ni de dirimant.
  3.       Et si cette crainte doit être écartée, on peut penser que la question de la conformité de la définition litigieuse à la loi habilitante est réglée : la première n’outrepasse pas la seconde à cet égard.
  4.       Il semble cependant qu’un second sujet de contentieux émerge alors : la définition cible, comme on l’a vu aussi (supra, paragr. [121]), toutes les personnes « dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel », et non pas seulement celles qui en font leur activité exclusive ou principale. Or, selon les intimées, dont le juge de première instance a retenu le point de vue, le législateur n’aurait visé que les agences spécialisées en placement de personnel. La définition excéderait donc l’habilitation législative sous ce rapport.
  5.       Qu’en est-il?
  6.       Comme on l’a vu plus haut, la norme de la raisonnabilité s’applique à l’examen de la conformité d’un règlement à la loi habilitante. Le règlement jouissant par ailleurs d’une présomption de validité, il s’ensuit que le fardeau incombait aux intimées de démontrer que la définition d’« agence de placement de personnel », puisque c’est là leur point d’attaque, « ne représente pas une interprétation raisonnable du pouvoir légal du délégataire »[115]. Le juge de première instance a conclu que les intimées s’étaient déchargées de ce fardeau.
  7.       En toute déférence, je ne souscris pas à cette conclusion, qui paraît s’appuyer principalement sur quelques éléments de preuve externes (débats parlementaires, analyse d’impact réglementaire de 2019, avis de 2017 du Comité consultatif sur les normes du travail – qui serait déterminant – et autres documents) dont le juge a sommairement tiré des inférences peu convaincantes et peu compatibles avec le principe selon lequel, « dans la mesure du possible, le texte législatif subordonné doit être interprété d’une manière qui le rend intra vires »[116], ce qui suggère une approche large du texte et du contexte des lois habilitantes (à savoir la Loi modificatrice de 2018 et la L.n.t.). Certes, on ne peut pas reprocher au juge de première instance de n’avoir pas anticipé les arrêts Auer et TransAlta, rendus deux ans après son propre jugement, mais on ne peut ignorer aujourd’hui leur enseignement.
  8.       Cela dit, comme le rappelait récemment la Cour suprême (qui interprète alors une disposition de la Loi sur la protection de la jeunesse[117], loi protectrice et réparatrice qui doit elle aussi, à l’instar de la L.n.t., être lue de façon libérale, afin d’assurer la réalisation de son objet) :

[23] Il est de jurisprudence constante qu’il [traduction] « faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26; La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22, par. 22).

[…]

[28] Le point de départ de toute opération d’interprétation est le texte de la disposition. En l’absence de définitions législatives, il convient de s’attarder au sens ordinaire et grammatical du texte, c’est-à-dire « le sens naturel » qui se dégage à la simple lecture de la disposition dans son ensemble (Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, p. 735, cité dans R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 3.02[1]; voir aussi R. c. Audet, [1996] 2 R.C.S. 171, par. 34). […][118]

  1.       Or, si l’on examine le texte des dispositions législatives pertinentes (art. 41.2, 92.5 à 92.8 et 95 al. 2 L.n.t.) ou celles de la Loi modificatrice de 2018 (qui les introduit dans la L.n.t.), l’on n’y lira rien qui indique que le législateur entend limiter l’encadrement législatif du placement de personnel aux seules agences spécialisées en placement de personnel, c’est-à-dire celles dont la principale activité (voire la seule) est la location de personnel. On peut légitimement supposer que si telle avait été son intention, il l’aurait précisé en parlant, dans la loi elle-même, d’« agences de placement de personnel spécialisées » ou d’« agences spécialisées en placement de personnel » (ou autre formule du genre), ce qu’il n’a pas fait.
  2.       Mais ne pourrait-on considérer que l’emploi même du terme « agence de placement de personnel » renvoie à l’idée d’une organisation spécialisée dans ce genre d’activité? Je ne le crois pas. Sans doute l’expression, dans le langage courant, inclutelle de telles agences spécialisées, mais d’affirmer qu’elle n’inclut que celles-ci ne me semble pas justifié, et rien dans la lettre de la loi ne permet d’inférer que ce serait le cas.
  3.       Ensuite, le fait que le législateur a choisi de ne pas définir lui-même l’agence de placement de personnel, mais qu’il a plutôt confié au gouvernement la tâche de « définir ce qui constitue, pour l’application de la présente loi, une agence de placement de personnel », de même que « l’entreprise cliente », est, il va sans dire, une indication capitale de sa volonté : on peut regretter ou critiquer ce choix (comme le font les intimées), mais le texte de l’habilitation très vaste que l’on trouve à l’art. 92.7 paragr. 1 L.n.t. dénote certainement l’intention du législateur de ne pas s’enserrer dans un cadre rigide, mais de permettre plutôt une certaine souplesse définitionnelle. L’on connaît maintenant, grâce au Règlement, la définition que le gouvernement, fort de cette habilitation, donne à l’agence de placement de personnel, laquelle inclut toute personne dont au moins l’une des activités consiste en de la location de personnel. À la lumière de l’objet et de l’objectif de la L.n.t., on peut difficilement affirmer que cette définition outrepasse la volonté du législateur.
  4.       Parlant d’objet et d’objectif, j’ai souligné précédemment que la L.n.t., loi d’ordre public à vocation sociale et réparatrice, a pour visée la protection des personnes salariées et l’instauration à cette fin de normes de travail minimales. Elle est intentionnellement asymétrique, en ce qu’elle restreint la latitude patronale afin de redresser le déséquilibre des forces entre employeurs et personnes salariées, celles-ci formant « un groupe vulnérable dans la société »[119]. Elle mérite en conséquence une interprétation large et généreuse[120], qui favorise l’accomplissement de son objet (comme le veut du reste l’art. 41 de la Loi d’interprétation[121]), sans en ignorer le texte.
  5.       Il n’en va pas autrement de la Loi modificatrice de 2018, qui a le même objet et qui poursuit le même objectif que la L.n.t. qu’elle modifie : elle doit, pareillement, être interprétée d’une manière libérale qui favorise la réalisation de sa mission. Comme le notait par ailleurs le juge LeBel dans Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), la L.n.t., « [r]eflet de l’évolution des attitudes sociales en ce domaine, [subit] des modifications fréquentes »[122]. La Loi modificatrice de 2018 en est l’illustration, alors qu’elle introduit dans la L.n.t. des dispositions diverses dont celles qui concernent les agences de placement et qui visent l’amélioration des conditions de travail des personnes salariées faisant affaire avec elles. À ce chapitre, et comme en témoigne abondamment l’ensemble de la preuve reproduite dans le dossier d’appel, incluant les débats parlementaires, la loi entend combler une lacune et s’adapter à une tendance grandissante du marché du travail[123], en ciblant certains problèmes particuliers rattachés à la location de personnel (au sens défini précédemment), activité qui n’était jusque-là pas spécifiquement réglementée.
  6.       L’objet de la loi (les conditions de travail et la protection des personnes salariées) et ses objectifs (l’amélioration de ces conditions et de cette protection) se reflètent nettement dans ces nouvelles normes que sont les art. 41.2 et 95 al. 2 L.n.t. (reproduites plus haut). Le premier offre une garantie salariale aux personnes qu’une agence délègue chez une entreprise cliente : le taux de salaire accordé à cette personne par l’agence pendant la durée de l’affectation ne peut, en raison de ce seul statut, être inférieur à celui que reçoivent, pour l’exécution des mêmes tâches dans le même établissement, les salariés de la cliente. À l’évidence, on poursuit ici un objectif d’équité salariale, pour remédier à une situation souvent dénoncée, comme en font foi les études déposées en preuve. La disparité et la vulnérabilité salariales affligeant les personnes œuvrant pour des agences de placement sont signalées, par exemple, dans le rapport Arthurs de 2006[124], dans l’avis du professeur Bernier en 2011[125] et dans son article de 2012[126], de même que dans d’autres documents présentés par les parties en première instance[127].
  7.       Quant à l’art. 95 al. 2 L.n.t., il impose à l’agence et à l’entreprise cliente une responsabilité solidaire envers la personne salariée en tout ce qui touche les normes édictées par la L.n.t. ou les règlements adoptés en vertu de celle-ci. Cette solidarité avantage la personne salariée, désormais créancière de deux débitrices dont chacune est tenue au paiement de l’entièreté de la créance, le cas échéant, ce qui en facilitera le recouvrement. Cette solidarité évite aussi à la personne salariée (ou à la CNESST si celle-ci exerce le recours pour son compte) le fardeau de la démonstration de l’identité du véritable employeur et coupe court à tout débat sur ce point[128].
  8.       Enfin, le régime de permis instauré par les art. 92.5, 92.6 et 92.7.1 à 92.8 L.n.t. et complété par les exigences réglementaires prévues par les paragr. 2 à 6 de l’art. 92.7 (disposition reproduite plus haut) vise lui aussi, là encore de façon manifeste, à contrôler les agences de placement de personnel et leurs activités de façon à prévenir et à remédier aux diverses problématiques identifiées dans la littérature produite en preuve.
  9.       Cela étant, on voit mal pourquoi le législateur aurait voulu réserver aux seuls salariés des agences spécialisées le bénéfice des garanties prévues par les art. 41.2 et 95 al. 2 L.n.t. ainsi que la protection réglementaire voulue par les art. 92.5 et 92.7, en excluant ceux dont les services sont fournis à une entreprise cliente par une personne qui, outre la location de personnel, se livre à d’autres types d’activités. De la même façon, dans la mesure où le législateur entend assujettir l’activité de location de personnel à un régime de permis, pourquoi n’imposer celui-ci qu’aux agences spécialisées, plutôt qu’à toutes les personnes qui font de la location de personnel, même si elles œuvrent également dans d’autres champs d’activités? Aucune explication n’a été donnée qui justifierait une telle distinction entre personnes salariées, dont certaines profiteraient d’une couverture qui ne serait pas offerte aux autres du seul fait que l’agence qui fournit leurs services à ses clientes se livre à cette activité de façon exclusive ou non. Dans la perspective protectrice et réparatrice qui est celle de la L.n.t. (et que réaffirme son art. 92.7 paragr. 7[129]), cette distinction entre les agences spécialisées et celles qui ne le sont pas devient surtout une distinction entre personnes salariées pourtant placées de la même manière chez les entreprises clientes, ce qui n’est pas raisonnable.
  10.       C’est pourquoi on ne comprend pas bien le passage suivant du jugement de première instance, qui semble avoir pour but d’étayer la conclusion selon laquelle « ce sont les agences spécialisées en placement de personnel qui sont concernées »[130] par la loi :

[42] Cette conclusion est appuyée par l’interprétation téléologique recommandée pour l’examen de la légalité d’une disposition règlementaire : l’introduction par la même loi de l’article 41.2 LNT qui force le locateur de personnel à verser au salarié prêté la même rémunération que l’entreprise cliente.

[43] Cette obligation normale pour les employés des agences qui embauchent du personnel pour le placer chez un client devient aberrante lorsqu’appliquée aux membres des demanderesses ou des membres des associations d’employeurs intervenantes qui ont leur propre régime de conditions de travail, fixées de surcroît par un décret gouvernemental dans le cas des agences de sécurité.

  1.       Il semble y avoir ici un malentendu : la définition que le Règlement donne à l’agence de placement vise justement le cas des personnes « qui embauchent du personnel pour le placer chez un client » et son application à toutes les entités qui se livrent à une telle activité – et non seulement à celles qui en font leur activité exclusive ou principale – n’a rien d’aberrant. L’application de l’art. 41.2 L.n.t. (qui garantit la parité salariale entre les personnes salariées placées par l’agence et celles de l’entreprise cliente) aux membres des intimées n’a rien d’aberrant non plus lorsque les membres en question font de la location de personnel (notion dont on a vu le sens dans la section précédente des présents motifs). S’ils n’en font pas, ils ne sont pas visés par l’art. 41.2 L.n.t.
  2.       En ce qui concerne le double régime applicable aux agences de sécurité, l’argument ne tient pas non plus. Il est vrai que ces agences et leurs activités sont régies par une loi particulière, la Loi sur la sécurité privée[131]. Il est vrai également que les agents de sécurité, c’est-à-dire les personnes physiques qui exercent une activité de sécurité privée, sont assujettis à un décret adopté en vertu de la Loi sur les décrets de convention collective[132], décret qui fixe leurs conditions de travail. L’art. 4.07 du Décret sur les agents de sécurité[133] impose ainsi une grille salariale minimale. Si l’agent de sécurité affecté chez la cliente dans le cadre d’une location de personnel gagne plus, en vertu de cette grille, que les agents de sécurité (s’il en est) qui sont à l’emploi de la cliente[134], l’art. 41.2 L.n.t. n’oblige évidemment pas l’agence de sécurité à payer l’agent ainsi placé moins que ne le prévoit le décret. Par contre, si les agents de sécurité qui, par hypothèse, sont les employés de la cliente, gagnent plus que les agents de sécurité dépêchés chez elle en location de personnel, l’art. 41.2 L.n.t. entre alors en jeu en faveur de ces derniers, ce qui ne contrevient pas à l’art. 4.07 du décret. On soulignera du reste que la L.n.t. contient plusieurs dispositions, notamment en matière de rémunération, destinées à assurer son arrimage avec les régimes établis en vertu de la Loi sur les décrets de convention collective[135], de sorte qu’on évite les contradictions. De toute façon, il faut considérer également les art. 93 et 94 L.n.t., qui énoncent la règle supplétive à cet égard, tout en établissant la primauté de la L.n.t. :

93. Sous réserve d’une dérogation permise par la présente loi, les normes du travail contenues dans la présente loi et les règlements sont d’ordre public.

93. Subject to any exception allowed by this Act, the labour standards contained in this Act and the regulations are of public order.

 Une disposition d’une convention ou d’un décret qui déroge à une norme du travail est nulle de nullité absolue.

 In an agreement or decree, any provision that contravenes a labour standard or that is inferior thereto is absolutely null.

94. Malgré l’article 93, une convention ou un décret peut avoir pour effet d’accorder à une personne salariée une condition de travail plus avantageuse qu’une norme prévue par la présente loi ou les règlements.

94. Notwithstanding section 93, an agreement or a decree may grant an employee a more advantageous condition of employment than required in a standard prescribed by this Act or the regulations.

  1.       Quel que soit l’angle sous lequel on approche la question, il n’y a donc rien d’anormal dans le fait d’appliquer l’art. 41.2 L.n.t. aux membres de l’intimée Association provinciale des agences de sécurité, à condition bien sûr que ces membres se trouvent dans le cadre d’une activité de placement – c’est-à-dire de location – de personnel, au sens de la définition réglementaire.
  2.       En ce qui concerne l’exigence du permis, on ne peut nier que les agences de sécurité qui sont régies par la Loi sur la sécurité privée et qui pratiquent une activité de location de personnel sont a priori assujetties à un double régime[136] : celui que prévoit, justement, la Loi sur la sécurité et celui que prévoit la L.n.t. Cela, toutefois, n’est pas le fruit du Règlement, mais bien celui de ces deux lois, qui coexistent, et que personne n’a contestées.

* *

  1.       Bref, et pour récapituler, l’on a affaire en l’espèce à une habilitation législative très large. Rien dans les dispositions législatives pertinentes ne permet de conclure que seule serait visée l’activité de la personne spécialisée en location de personnel. Ce serait même plutôt le contraire, alors que la prétention selon laquelle le bénéfice des art. 41.2 et 95 al. 2 L.n.t. ou celui du régime de permis et d’obligations devrait être réservé aux salariés placés par des agences spécialisées seulement paraît incompatible avec l’objet et l’objectif protecteur et réparateur de la loi. La définition de « l’agence de placement de personnel », telle qu’elle figure à l’art. 1 du Règlement et telle que délimitée dans la section précédente des présents motifs, est au contraire logique et raisonnable, et ce, tant au regard du texte que de l’objet et de l’objectif de la loi et des contraintes pertinentes, c’est-à-dire du régime statutaire et des règles d’interprétation. C’est certainement là faire en sorte que le Règlement soit, comme il doit l’être selon les arrêts Auer et TransAlta et dans la mesure où cela est raisonnable (ce qui est ici le cas), interprété d’une manière qui le rend intra vires.
  2.       Par ailleurs, le contexte d’adoption de la Loi modificatrice de 2018 va dans ce sens. On a vu plus haut les circonstances de l’introduction de cette loi et des dispositions qui ciblent la location de personnel et les agences de placement de personnel (voir supra, paragr. [17] à [22]). Même s’il est vrai que les études et rapports de toutes sortes qui ont réclamé une intervention législative ont parfois renvoyé aux agences spécialisées, c’est plutôt l’activité de location de personnel en elle-même qui est au cœur des revendications répétées que l’on adresse au législateur afin qu’il encadre l’industrie, élimine certaines pratiques abusives ou pallie certaines difficultés juridiques (comme celle qui touche l’identification du véritable employeur). Rien dans toute cette littérature – y compris l’abondante littérature scientifique sur le sujet – ne peut laisser croire que seules sont visées les agences spécialisées, bien que celles-ci, manifestement, soient des joueuses importantes du secteur. De même ne peut-on voir dans la réponse du législateur, qu’il donne enfin dans la Loi modificatrice de 2018, une intention de limiter l’intervention souhaitée aux seules agences spécialisées en location de personnel : au contraire, c’est l’industrie du placement de personnel (c’està-dire de la location de personnel) tout entière qui est visée.
  3.       Quant aux débats parlementaires, ils ne sont pas particulièrement révélateurs de l’intention législative à cet égard, mais on notera tout de même que les discussions n’ont pas porté sur la dichotomie agences spécialisées-agences non spécialisées. Le souci qui semble en ressortir est plutôt celui d’assurer un traitement plus équitable à toutes les personnes salariées qui font affaire avec de telles agences.
  4.       Le jugement de première instance conclut autrement, estimant que seules sont visées par la loi les agences spécialisées en placement de personnel, mais il s’appuie pour ce faire sur quelques documents qui ne fournissent en réalité pas d’assise claire à ce constat. Ainsi commente-t-il deux documents produits par les intimées, à savoir une étude effectuée en 2013 par ce qui était à l’époque la Commission des normes du travail (étude fondée sur un sondage réalisé par la firme Léger Marketing en 2012) de même qu’une analyse d’impact réglementaire effectuée en février 2019, après mise en circulation d’un projet de règlement contenant déjà la définition en cause :

[23] Les demanderesses ont également produit un sondage commandé par l’intervenante CNESST en 2012 au sujet des agences de placement du personnel qui ne porte que sur les agences spécialisées en location de personnel; il en de même d’un rapport de la même intervenante en 2013.

[24] Elles ont également produit un rapport d’ANALYSE D’IMPACT RÈGLEMENTAIRE émanant de Travail, Emploi et Solidarité sociale Québec, le ministère qui a piloté le projet de loi, du 28 février 2019 portant sur le futur règlement présentement attaqué.

[25] Ce rapport – qui ne discute pas de la définition d’agence de placement de personnel du règlement – non seulement fait référence au sondage ci-dessus mentionné [renvoi omis] mais porte à croire que le ministère lui-même considère que le règlement ne s’appliquerait qu’aux agences spécialisées en placement de personnel puisque les impacts y étudiés ne concernent manifestement que cellesci.

  1.       Soit dit respectueusement, la lecture de ces documents ne peut mener à pareille conclusion. Ainsi, le rapport produit en 2013 par ce qui était alors la Commission des normes du travail cherche à « évaluer les conditions de travail des salariés temporaires d’agences de placement de personnel »[137] et s’intéresse « par le fait même aux pratiques des agences »[138]. À cette fin, la Commission a identifié diverses agences, et ce, grâce au Registre des entreprises du Québec, au site Internet de l’Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel ainsi qu’à Emploi-Québec[139]. Si l’on comprend bien, elle souhaitait confectionner une liste qui inclurait « les agences effectuant au moins, bien que pas nécessairement de façon exclusive, du placement temporaire »[140]. On ne sait pas si elle a réussi, mais toujours est-il qu’elle a communiqué avec toutes les agences qu’elle a pu repérer afin d’obtenir d’elles les coordonnées de salariés qui ont ensuite été sondés par la firme Léger Marketing[141]. Le rapport de la Commission ne définit pas les agences de placement de personnel (pas plus du reste que celui de Léger Marketing), mais renvoie généralement à des arrangements et des pratiques conformes à la « location de personnel » définie plus haut (fourniture de personnel temporaire[142] à des clientes en vue de combler les besoins de main-d’œuvre de celles-ci). Les portions « Mise en contexte » et « Problématique » renvoient par ailleurs à une littérature scientifique qui ne vise pas que les agences spécialisées en placement de personnel (même si, je me permets de le redire, celles-ci sont certainement des actrices importantes de la scène de la location de personnel).
  2.       Quant à l’Analyse d’impact réglementaire de février 2019, elle a été produite sur la base d’un avant-projet de règlement qui contenait déjà la définition litigieuse. Elle parle des agences de placement en général, qu’elle n’identifie pas (même si elle évalue leur nombre à 1 012, soit « la moyenne annuelle du nombre d’agences de placement de personnel de 2010 à 2016 selon les données de la CNESST »[143], données que ne reproduit pas le dossier d’appel), et elle n’indique pas s’être bornée aux entreprises dont l’activité exclusive est la location de personnel, quoique cela ne soit pas impossible.
  3.       Le juge de première instance accorde cependant une grande importance à l’avis remis en juillet 2017 à la ministre du Travail par le Comité consultatif sur les normes du travail[144], avis qu’il estime décisif. Voici les paragraphes pertinents de son jugement :

[37] On comprend que c’est le document qui a servi à mettre la table pour le projet de loi; or, la lecture attentive du document permet de comprendre que ce sont les agences spécialisées en placement de personnel qui sont concernées.

[38] Plus particulièrement à la page 3, dans la section 5. Définitions, au sousparagraphe b., deuxième paragraphe, la partie qui concerne la location de personnel, se lit comme suit :

b. des services consistant à employer des travailleurs dans le but de les mettre à disposition d’une tierce personne physique ou morale (ci-après désignée comme « l’entreprise utilisatrice »), qui fixe leurs tâches et en supervise l’exécution;

[…]

[41] Cet avis du Conseil consultatif des Normes du Travail, un organisme gouvernemental dont le mandat consiste notamment à conseiller le gouvernement sur des modifications à la Loi sur les normes du travail, fait définitivement pencher la balance du côté de la thèse des associations d’employeurs demanderesses ou intervenantes.

  1.       Cependant, rien de tel ne peut raisonnablement être inféré de l’avis en question. Reprenons d’abord l’intégralité de la première partie de la section 5 de cet avis (p. 3), dont le juge ne cite qu’un extrait hors contexte :


5. Définitions

Les agences

Contrairement à d’autres sociétés dans le monde, le Québec n’a pas encore de formule d'encadrement des agences dans sa législation. On n’y retrouve aucune définition légale d’une agence et d’une relation de travail tripartite3. Jusqu'à présent, la législation québécoise est fondée sur une relation à deux parties entre un employeur et un salarié.

Une agence est une entreprise qui offre des services qui vont de la chasse de têtes, à la location de personnel, et à l’insertion en emploi. Dans ce contexte, le Comité s'en remet, aux fins de cet avis, à la définition utilisée par l'Organisation internationale du travail (OIT), qui fait référence à ces services :

  1. « des services visant à rapprocher offres et demandes d'emploi, sans que l’agence d’emploi privée ne devienne partie aux relations de travail susceptible d’en découler;
  2. des services consistant à employer des travailleurs dans le but de les mettre à disposition d’une tierce personne physique ou morale (ci-après désignée comme “l’entreprise utilisatrice”), qui fixe leurs tâches et en supervise l’exécution;
  3. d'autres services ayant trait à la recherche d'emploi, qui seront déterminés par l'autorité compétente après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs les plus représentatives, tels que la fourniture d’informations, sans pour autant viser à rapprocher une offre et une demande spécifiques ».

Comme la problématique est axée sur les services de location de personnel, cet avis vise exclusivement ce type de service offert par les agences4, qui correspond au paragraphe b. ci-haut cité.

__________

3 Une relation de travail tripartite comprend : un salarié, une agence et un donneur d’ouvrage. Certains utilisent parfois l’expression relations triangulaire pour faire référence à ce concept.

4 Sans tenir compte des services de chasse de têtes, d’insertion en emploi, et de sous-traitance.

[Les deux segments suivants de la section 5 se rapportent au « donneur d’ouvrage » et au « salarié », dont on explique les raisons pour lesquelles ils pourraient recourir aux services d’une agence. Le dernier segment rappelle les démarches de recherche d’une formule d’encadrement de l’activité des agences et renvoie à certaines études en la matière].

  1.       Comme on le voit, le Comité consultatif ne traite pas des agences spécialisées en placement de personnel et ne restreint pas son avis à cette catégorie d’entreprises. Il se trouve plutôt à définir ce qu’est le placement de personnel en rappelant les trois types de services que l’OIT associe à cette expression[145], pour ensuite limiter celle-ci, aux fins de son avis, à son second élément, qui concerne l’activité de location de personnel (laquelle exclut, il faut le souligner, la sous-traitance, comme l’indique la note infrapaginale 4 cidessus, ce qui s’arrime à la définition réglementaire, comme indiqué plus haut). Il est vrai que, dans ce segment de la rubrique 5, le Comité use du mot « exclusivement », mais c’est pour dire qu’il s’intéressera exclusivement aux agences qui se livrent à une telle activité (sous-entendu : qu’elles en aient d’autres ou non) et non pas aux agences qui se livrent de manière exclusive à cette activité.
  2.       Le reste de l’avis ne permet pas de conclure autrement. On y aborde ainsi les problématiques principales rattachées à la location de personnel, à savoir : l’incapacité à établir le portrait des agences et des salariés, l’identification du véritable employeur, la reconnaissance du service continu au sens de la L.n.t., les disparités de traitement entre les salariés d’agences et les travailleurs permanents d’un donneur d’ouvrage, les clauses de non-concurrence et l’imposition de frais aux salariés. Or, toutes ces problématiques sont communes à l’ensemble des personnes qui font de la location de personnel, qu’elles le fassent à titre exclusif ou parallèlement à d’autres activités et elles sont communes, bien sûr, aux salariés dont elles fournissent ainsi les services aux entreprises clientes. Le Comité consultatif recommande ensuite la mise sur pied d’un régime de permis de même que l’instauration d’une responsabilité solidaire de l’agence et de sa cliente envers les salariés aux fins d’application de la L.n.t. (sauf si un contrat spécifique est conclu, par écrit, entre l’agence et sa cliente). Là encore, la perspective est celle de la protection des personnes salariées et l’on ne peut déceler que ces mesures ne devraient s’appliquer qu’aux agences spécialisées.

* *

  1.       Tout compte fait, considérant le texte de l’art. 92.7 paragr. 1 L.n.t., qui habilite le gouvernement à définir l’agence de placement de personnel, considérant celui de la Loi modificatrice de 2018 ainsi que celui des dispositions pertinentes de la L.n.t., considérant le contexte de leur adoption, leur objet et leur objectif de même que leur vocation protectrice et réparatrice et considérant la problématique que le législateur cherchait à résoudre, la conclusion s’impose : au regard des contraintes applicables (régime établi par la loi habilitante, autres règles statutaires ou de common law ainsi que principes d’interprétation statutaire[146]) et autres principes, la définition que le gouvernement, par le Règlement, donne à l’agence de placement de personnel est raisonnablement conforme à la disposition législative habilitante et n’est pas ultra vires.
  2.       Il y aura donc lieu d’infirmer le jugement de première instance sur ce point.

2. Validité des art. 10 et 11 du Règlement

  1.       Le Groupe AESPIQ, par son appel incident, fait valoir les moyens suivants, également présentés à la Cour supérieure :

- Le jugement de première instance est mal fondé en droit en ce qu’il ne retient pas que les exigences prévues aux articles 10 et 11 du Règlement sont étrangères à la finalité de la LNT et outrepassent le mandat de la loi[147];

- Le juge a erré en droit dans l’analyse de la sous-délégation illégale à la CNESST[148];

  1.       Le jugement de première instance ne s’est pas prononcé sur le premier moyen (sauf sur un point) et il a rejeté le second, qui se rapporte uniquement à l’art. 11 du Règlement. Je les aborderai maintenant tour à tour.

a. Conformité des art. 10 et 11 à l’habilitation législative au regard de la finalité des dispositions pertinentes de la L.n.t. et caractère déraisonnable de ces dispositions

  1.       Si l’on s’en remet à son mémoire de même qu’à sa plaidoirie orale, le premier moyen d’appel du Groupe AESPIQ se divise en deux parties.
  2.       D’une part, les art. 10 et 11 du Règlement seraient ultra vires en ce qu’ils imposeraient aux agences de placement de personnel des obligations étrangères aux finalités de la loi habilitante, ce qui excéderait les limites de l’art. 92.7 L.n.t. En effet, ils subordonneraient au respect de lois autres que la L.n.t. la délivrance du permis que doivent se procurer les agences de placement, ce qui ne peut être fait par voie réglementaire à moins d’une habilitation législative expresse, absente en l’espèce.
  3.       D’autre part, les art. 10 et 11 du Règlement seraient foncièrement déraisonnables, arbitraires et discriminatoires au sens du droit administratif. Ainsi, les conditions d’octroi et de maintien du permis que doivent obtenir et conserver les agences de placement conféreraient à la CNESST un pouvoir discrétionnaire qu’elle pourrait exercer « sans audience pour des motifs injustes, arbitraires et de mauvaise foi »[149]. On se trouverait en outre à créer ici une nouvelle classe d’employeurs, les agences de placement, qu’on astreint à des exigences extrêmement sévères, auxquelles aucun autre employeur québécois n’est assujetti.
  4.       Ces propositions ne convainquent pas. Voici pourquoi.
i.        Art. 10 et 11 du Règlement : ultra vires
  1.       Comme on l’a vu précédemment, l’art. 92.5 L.n.t. prévoit dans un premier temps que « [n]ul ne peut exploiter une agence de placement de personnel […], s’il n’est titulaire d’un permis délivré par la Commission, conformément à un règlement du gouvernement / No one may operate a personnel placement agency […] unless they hold a licence issued by the Commission, in accordance with a regulation of the Government ». Cette habilitation très large (qui est reflétée dans l’art. 4 du Règlement) est précisée par l’art. 92.7 L.n.t., dont voici de nouveau les extraits pertinents (déjà reproduits au paragr. [27] supra) :

92.7. Le gouvernement peut, par règlement :

92.7. The Government may, by regulation,

[…]

[…]

  déterminer toute condition de validité d’un permis ainsi que toute restriction ou interdiction relative à sa délivrance ou à son maintien;

(3)  determine any condition of validity of a licence and any restriction or prohibition relating to its issue or maintenance;

  prévoir les mesures administratives applicables au titulaire de permis en cas de défaut de respecter les obligations prévues par la présente loi ou par l’un de ses règlements;

(4)  prescribe the administrative measures that apply to a licence holder if the obligations under this Act or the regulations are not complied with;

[…]

[…]

  prévoir toute autre mesure visant à assurer la protection des droits des personnes salariées concernées par la présente section.

(6)  prescribe any other measure to protect the rights of employees to whom this division applies.

  1.       L’art. 10 du Règlement, qui vient après quelques dispositions prescrivant les formalités administratives de la demande de permis, prévoit notamment ce qui suit en ses paragraphes 7 et 10, auxquels s’attaque le Groupe AESPIQ[150] :

10. Pour obtenir un permis, la personne, société ou autre entité doit satisfaire aux conditions suivantes :

10. To obtain a licence, a person, partnership or other entity must meet the following conditions:

[…]

[…]

  elle n’est pas en défaut de respecter une décision ou une ordonnance rendue par un tribunal en application de l’une des dispositions prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001), à la Loi sur l’équité salariale (chapitre E-12.001), à la Loi sur la fête nationale (chapitre F-1.1), à la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1), à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) ou à l’un des règlements pris pour leur application;

(7)  has not failed to comply with a decision or order rendered by a court under any of the provisions of the Act respecting industrial accidents and occupational diseases (chapter A-3.001), the Pay Equity Act (chapter E-12.001), the National Holiday Act (chapter F-1.1), the Act respecting labour standards (chapter N-1.1), the Act respecting occupational health and safety (chapter S-2.1) or any of the regulations thereunder;

[…]

[…]

10°  aucun de ses dirigeants n’est en défaut de respecter une décision ou une ordonnance rendue par un tribunal en application de l’une des dispositions prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, à la Loi sur l’équité salariale, à la Loi sur la fête nationale, à la Loi sur les normes du travail, à la Loi sur la santé et la sécurité du travail ou à l’un des règlements pris pour leur application;

(10)  none of its officers has failed to comply with a decision or order rendered by a court under any of the provisions of the Act respecting industrial accidents and occupational diseases, the Pay Equity Act, the National Holiday Act, the Act respecting labour standards, the Act respecting occupational health and safety or any of the regulations thereunder;

  1.       Quant à l’art. 11 du Règlement (contesté en outre pour des raisons de sousdélégation illégale qui seront abordées plus bas), ses paragr. 1, 5, 6, 7, 12, 13 et 14 conditionnent eux aussi l’octroi ou le maintien du permis au respect d’autres lois par l’agence de placement ou le dirigeant de celle-ci, incluant des lois pénales et criminelles (qui, par ailleurs, ne font pas l’objet d’une nomenclature précise, ce sur quoi il faudra revenir).
  2.       Or, selon le Groupe AESPIQ, en subordonnant l’octroi ou le maintien du permis requis au respect de lois autres que la L.n.t., le Règlement outrepasse les art. 92.5 et 92.7 L.n.t., qui n’autorisent rien de tel. Il soutient que l’habilitation législative, qu’il ramène aux paragr. 3 et 4 de l’art. 92.7 L.n.t., est « plutôt parcimonieuse »[151] et qu’« à défaut d’une autorisation législative expresse, il n’est pas possible de refuser d’octroyer un permis en raison d’une contravention à une autre loi, puisqu’un tel motif relève de la considération non pertinente à l’application du régime réglementaire en cause »[152]. Il ajoute que « [l]orsque le législateur souhaite assujettir le maintien d’un permis au respect d’une autre loi, il procède clairement par intervention législative, tel qu’il appert de plusieurs lois de juridiction provinciale en vigueur »[153]. Il en donne pour exemple quelques lois qui, en effet, prévoient elles-mêmes que le respect d’autres lois – qui sont alors désignées en toutes lettres – est une condition d’obtention ou de maintien d’un permis. Ainsi en va-t-il des lois suivantes : Loi sur le bâtiment[154], art. 60, 61 et 70; Loi sur les entreprises de services monétaires[155], art. 11 et 12; Loi sur les courses[156], art. 77 et 78; Loi sur les explosifs[157], art. 13. Il en va de même de la Loi sur les contrats des organismes publics[158], dont l’art. 21.4 déclare inadmissible aux contrats publics toute personne qui, entre autres, a été déclarée coupable d’une infraction prévue à l’annexe I, qui dresse une longue liste d’infractions précises à diverses lois ou règlements tous nommément identifiées.
  3.       Or, en l’espèce, ni l’art. 92.5 ni l’art. 92.7 L.n.t. ne contiennent pareilles précisions. Nous serions donc simplement devant des dispositions très générales habilitant le gouvernement à adopter « toute condition de validité d’un permis ainsi que toute restriction ou interdiction relative à sa délivrance ou à son maintien / determine any condition of validity of a licence and any restriction or prohibition relating to its issue or maintenance » (art. 92.7 paragr. 3), ce qui ne permettrait pas d’imposer l’obligation de respecter des lois autres que la L.n.t.
  4.       À mon avis, l’art. 10 paragr. 7 et 10 et l’art. 11 paragr. 1 du Règlement ne sont problématiques sous ce rapport. La question des infractions criminelles et pénales auxquelles renvoient les paragraphes 5, 6, 7, 12, 13 et 14 de l’art. 11 sera traitée plus loin, au point b (infra, paragr. [192] et s).
  5.       Je note d’abord que le Groupe AESPIQ ne s’en prend pas, du moins en ce qui concerne l’ultra vires, aux paragraphes des art. 10 et 11 du Règlement qui empêchent qu’un permis soit délivré à la personne qui a fait cession de ses biens ou qui est sous le coup d’une ordonnance de séquestre rendue en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[159] ou d’une ordonnance de mise en liquidation pour cause d’insolvabilité au sens de la Loi sur les liquidations et les restructurations[160] (ou permet à la CNESST de refuser un tel permis lorsque le dirigeant d’une agence a fait cession de ses biens ou a été sous le coup de telles ordonnances ou qu’il a été le dirigeant d’une autre personne visée par de telles ordonnances). Il s’attaque plutôt à l’obligation de n’être pas en défaut de respecter la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la Loi sur l’équité salariale[161], la Loi sur la fête nationale[162] et la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Le respect de la Ln.t., également prévu par l’art. 10 paragr. 7 et 10 ainsi que par l’art. 11 paragr. 1 du Règlement, s’impose comme une évidence qui ne peut être contestée et je comprends du mémoire du Groupe AESPIQ que cela ne l’est pas.
  6.       Or, à mon avis, tant le texte que le contexte d’adoption de la loi permettent au gouvernement, de manière raisonnable, d’interpréter l’art. 92.7 paragr. 3, 4 et même 6 L.n.t. comme l’habilitant à conditionner l’octroi ou le maintien d’un permis d’agence de placement de personnel au respect de ces lois d’ordre public que sont la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la Loi sur l’équité salariale, la Loi sur la fête nationale (dont il est d’ailleurs question dans la L.n.t.) et la Loi sur la santé et la sécurité du travail.
  7.       Le texte de l’art. 92.7 paragr. 3, 4 et 6 L.n.t. est en effet très généreux et ne contient aucune restriction expresse à l’habilitation du gouvernement en matière de conditions et exigences liées au permis. Il habilite en effet à celui-ci à adopter « toute condition […] ainsi que toute restriction ou interdiction / any condition […] and any restriction or prohibition » (soulignements ajoutés) relative à la délivrance ou au maintien du permis (paragr. 3), à prévoir les mesures administratives en cas de défaut de respecter la L.n.t. ou ses règlements (paragr. 4) et à imposer « toute autre mesure visant à assurer la protection des droits des personnes salariées / any other measure to protect the rights of employees » concernées par les art. 92.5 et s. L.n.t. (paragr. 6)[163]. Cette habilitation est tout à la fois spécifique, en ce qu’elle se rapporte aux permis et à tout ce qui touche leur délivrance ou leur suspension, mais elle est, en même temps, par sa teneur, très générale. Comme l’écrivent Issalys et Lemieux, « [o]n tend cependant aujourd’hui à donner plus volontiers son plein effet à l’habilitation générale, quitte à reconnaître ainsi au titulaire de cette habilitation un pouvoir législatif très étendu, dont l’exercice sera difficilement contrôlable tant qu’il ne crée pas d’incompatibilité avec les termes de la loi mère ou avec d’autres normes juridiques de rang supérieur »[164], incompatibilité qui, certainement, est une contrainte de la raisonnabilité, au sens où l’entendent les arrêts Auer et TransAlta.
  8.       Il est vrai que le texte des paragraphes 3, 4 et 6 de l’art. 92.7 L.n.t. n’autorise pas formellement le gouvernement à imposer le respect de lois autres que la L.n.t. comme condition d’octroi ou de maintien du permis, mais cela ne peut signifier, dans les circonstances, qu’il l’interdit : les mots choisis par le législateur sont très compréhensifs, sémantiquement parlant, et dotent le gouvernement, au chapitre des conditions régissant l’octroi et le maintien du permis requis, d’un pouvoir normatif vaste. Celui-ci peut adopter, rappelons-le, toute condition, restriction ou interdiction, ce qui peut assurément inclure des conditions rattachées au respect de lois autres que la loi habilitante.
  9.       Il est vrai que le législateur aurait pu procéder autrement : il aurait pu énumérer lui-même les lois dont il veut assurer le respect (en l’occurrence les lois du travail) en incorporant cette exigence dans la L.n.t.[165] (c’est ce qu’il a fait dans l’art. 92.7.1 L.n.t., disposition ajoutée en 2021, où il impose indirectement le respect des lois fiscales) ou encore il aurait pu habiliter explicitement le gouvernement à indiquer les lois dont il exigera le respect comme condition de délivrance ou de maintien du permis. Mais – et là-dessus je suis d’accord avec le jugement de première instance[166] – ces méthodes ne sont pas obligatoires : le législateur peut certainement procéder comme il l’a fait ici, par une habilitation très vaste[167], et je ne vois pas quelle règle de droit pourrait l’en empêcher. Comme l’écrivent les auteurs Dussault et Borgeat, parlant de l’habilitation législative d’une autorité réglementaire :

 Lorsqu’il agit dans le cadre du domaine législatif que lui définit la Constitution, le Parlement jouit en pratique d’une liberté complète quant au degré de délégation qu’il peut consentir. Aussi arrive-t-il que des pouvoirs réglementaires extrêmement ténus côtoient des délégations presque totales de la fonction législative du Parlement comme c’est le cas dans la Loi sur les mesures de guerre et d’autres lois d’urgence.

 La décision que prend le Parlement d’exercer lui-même l’activité législative ou de la confier, dans une proportion plus ou moins grande, à l’Administration, est à son entière discrétion et ne peut être contestée que par les mécanismes de la démocratie parlementaire. […][168]

[Renvois omis]

  1.       Le législateur a en l’espèce choisi de déléguer de vastes pouvoirs au gouvernement, l’art. 92.7 L.n.t. permettant à celui-ci d’adopter toute condition, restriction et interdiction relative à l’octroi ou au maintien du permis ainsi que toute autre mesure visant à assurer la protection des droits des personnes salariées en cause : c’est un choix que l’on ne peut remettre en question. C’est aussi une habilitation qui signale l’attribution d’une marge de manœuvre considérable. Évidemment, le gouvernement qui se prévaut d’une telle habilitation doit agir raisonnablement : l’interprétation qu’il donne à celle-ci, en usant d’une méthode large et téléologique, doit respecter l’objet dominant de la loi et respecter les contraintes issues du régime statutaire et autres principes d’interprétation[169]. Et c’est ce qu’il a fait ici : par le Règlement, le gouvernement a choisi d’assujettir l’octroi et le maintien du permis à l’obligation de respecter diverses lois du travail, exigence qui se rattache directement à l’objet et à l’objectif de la loi (et j’entends ici tant la Loi modificatrice de 2018 que la L.n.t.), ainsi qu’à sa vocation protectrice et réparatrice. Le texte de l’art. 92.7 délègue au gouvernement un pouvoir suffisamment vaste pour qu’on y lise l’habilitation certes implicite, mais claire, d’imposer une telle exigence.
  2.       Le contexte d’adoption de la Loi modificatrice de 2018, en ce qui touche les agences de placement de personnel et les salariés dont elles louent les services à une clientèle en besoin de main-d’œuvre, confirme le caractère raisonnable de cette lecture. Encore une fois, je m’en remets aux études, rapports, articles scientifiques que l’on retrouve dans le dossier d’appel et qui tous identifient dans l’industrie du placement de personnel des problèmes liés au respect des lois du travail, particulièrement en matière de santé et de sécurité au travail (ce qui se rapporte à la loi du même nom ainsi qu’à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles), d’équité salariale (prévue par la Loi sur l’équité salariale) et de disparité dans les conditions de travail, notamment au chapitre des salaires, des vacances et des congés fériés (incluant le congé du 24 juin prescrit par la Loi sur la fête nationale). Nombre de ces problèmes sont d’ailleurs liés à la difficulté de savoir qui est le débiteur des obligations prévues par les lois en question (ce qui est une autre façon de se demander qui est le véritable employeur des personnes salariées en cause). Il n’est pas étonnant que, dans ce cadre, le législateur ait voulu (même implicitement) habiliter le gouvernement à prescrire des conditions qui rattacheraient l’octroi ou le maintien du permis d’agence au respect de ces lois, ou, à tout le moins, à lui en laisser la latitude. L’action réglementaire prise à cet égard par le gouvernement en vertu de l’art. 92.7 L.n.t., qui subordonne l’octroi et le maintien du permis au respect de certaines lois du travail, respecte et promeut l’objet dominant de la loi ainsi que sa finalité d’intérêt public, se situant certainement à l’intérieur des limites du régime statutaire et ne le contredisant visiblement pas.
  3.       Bref, on peut penser – et c’est manifestement là l’avis du Groupe AESPIQ – qu’il aurait été préférable que ces exigences figurent dans la loi, mais le législateur a fait un choix valide en décidant d’investir le gouvernement du vaste pouvoir d’élaborer lui-même ces conditions, y compris en rapport avec le respect d’autres lois. Et c’est là un pouvoir que le gouvernement a exercé d’une manière raisonnable, tenant compte du régime statutaire, des contraintes applicables et des circonstances pertinentes.
ii.      Art. 10 et 11 du Règlement : absurdité, abus, discrimination
  1.       Selon ce qu’on comprend de son mémoire ainsi que des arguments avancés lors de l’audience d’appel, le Groupe AESPIQ fait valoir de façon générale que, même s’ils étaient intra vires au sens strict, les art. 10 et 11 du Règlement seraient toutefois invalides parce qu’absurdes, abusifs et discriminatoires : ils mettraient en effet en place un régime d’une rigueur et d’une sévérité excessives, auquel aucun autre employeur québécois n’est soumis. Voici un extrait dudit mémoire :

168. De façon non limitative, à la lumière des articles 10 et 11 du Règlement, la CNESST pourrait obliger une entreprise au Québec, qui est assujettie au Règlement, à cesser ses activités si elle :

a) a été condamnée en matière de discrimination, de harcèlement psychologique ou de représailles dans les deux (2) dernières années, alors que de telles condamnations n’ont aucun lien avec la mission et les objectifs des agences de placement, soit de faciliter l’accès à l’emploi des Québécois. Les agences de placement étant des employeurs comme les autres au Québec, il est injustifiable que celles-ci aient un traitement différent des autres entreprises québécoises en cas de condamnation à de telles infractions;

b) n’a pas acquitté une somme exigible en application de la LNT alors qu’il ne s’agit pas d’une somme exigible à la suite d’une décision finale et sans appel, mais bien d’une simple réclamation;

c) a été déclarée coupable d’une infraction pénale au cours des cinq (5) dernières années, faisant en sorte que l’application d’une telle disposition puisse avoir des résultats pratiques absurdes, notamment dans le cas où une agence de placement qui serait reconnue coupable de l’infraction prévue par l’article 236 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S2.1, pourrait se voir refuser l’octroi d’un permis d’exercice, alors que plusieurs employeurs québécois commettent de telles infractions sans pour autant être menacés de devoir cesser leurs activités;

d) n’a pas remis à tous ses salariés les « documents d’information rendus disponibles par la Commission concernant les droits des salariés et les obligations des employeurs en matière de travail » (art. 23.1 b) et 40 (3) du Règlement), faisant en sorte que la « classe d’employeur » assujettie au Règlement a l’obligation de remettre à tous ses salariés les documents de la CNESST, alors qu’aucun employeur au Québec et au Canada n’a une telle obligation dans quelque secteur que ce soit;

e) Le gouvernement viole directement le principe de primauté du droit, créant par l’application du Règlement, une nouvelle « classe d’employeur » au Québec, dont l’exploitation de leur entreprise est laissée à la discrétion de la CNESST et est assujettie à des règles manifestement injustes, déraisonnables et empreintes de mauvaise foi.

  1.       Ces prétentions ne sauraient être retenues.
  2.       En réalité, le Groupe AESPIQ se plaint ici de la dureté du régime imposé aux agences de placement de personnel par les art. 10 et 11 du Règlement. Supposant que ce soit effectivement le cas, la dureté ainsi dénoncée répond cependant à une problématique que le législateur cherche à contrer et à résoudre. Compte tenu de cette finalité, le Règlement ne pourrait être invalidé que s’il n’était pas de nature à concourir à la réalisation du but ainsi poursuivi, pour paraphraser Issalys et Lemieux[170]. Or, ainsi que l’expliquent ces auteurs :

[…] Une éventuelle contestation de la légalité du règlement n’autorise pas le tribunal à se substituer au titulaire du pouvoir dans le choix des moyens appropriés à la tâche assignée par le législateur. La contestation devra plutôt démontrer que le règlement poursuit en réalité une autre fin, ou que les mesures qu’il prescrit ne sont pas logiquement rattachables à la fin visée dans l’habilitation, ou qu’il y a disproportion entre ces mesures et cette fin. […][171]

  1.       Le Groupe AESPIQ n’a pas fait cette démonstration et ce n’est pas l’emphase de son propos qui peut en tenir lieu. Il n’y a en effet rien qui, à première ou à seconde vue, paraisse de mauvaise foi, oppressif, exagéré, disproportionné (au sens étroit où l’on doit entendre ces termes[172]) ou encore étranger à l’objet de la loi dans le fait d’exiger d’une personne (l’agence de placement) œuvrant dans le domaine des ressources humaines et exploitant (à titre exclusif ou non) une entreprise de location de personnel qu’elle respecte les lois du travail, qu’elle et ses dirigeants n’aient pas fait cession de leurs biens ou ne soient pas en voie de faillite ou de liquidation (ce qui pourrait mettre en péril ses obligations pécuniaires envers les personnes salariées), qu’elle ou ses dirigeants ne soient pas des prête-noms ou aient menti dans une demande de permis, qu’elle n’ait pas été condamnée par une décision irrévocable d’un tribunal pour discrimination, harcèlement psychologique ou représailles dans le cadre d’un emploi et qu’elle ou ses dirigeants n’aient pas fait l’objet d’une condamnation criminelle ou pénale pour une infraction ayant un lien avec ses activités (dans ce dernier cas sous réserve du problème de l’imprécision/sous-délégation, qui fait l’objet de la prochaine rubrique). Ce sont là, au contraire, des exigences « logiquement rattachables à la fin visée dans l’habilitation », pour reprendre les mots ci-dessus d’Issalys et de Lemieux, et de nature à permettre la réalisation de l’objet et du but des dispositions pertinentes.
  2.       Le Règlement n’est par ailleurs pas discriminatoire au sens « droit administratif » du terme en ce qu’il créerait, comme l’affirme le Groupe AESPIQ, un régime distinct pour les agences de placement, régime auquel ne serait soumis aucun autre employeur. Certainement, un règlement ne peut pas faire de distinction là où la loi ne le prévoit pas et ce genre de discrimination administrative est cause d’invalidité[173]. Or, en l’espèce, ce n’est pas le Règlement, mais bien la L.n.t. elle-même qui impose un régime de permis aux agences de placement de personnel et qui crée cette classe particulière d’employeurs, pour reprendre les mots du Groupe AESPIQ. La loi n’ayant pas été contestée (on peut difficilement imaginer qu’elle puisse l’être, et moins encore en fonction de l’art. 10 de la Charte des droits et libertés de la personne ou de l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés), le débat s’arrête donc là.
  3.       Par ailleurs, le Groupe AESPIQ insiste sur le fait que, dans l’application des art. 10 et 11 du Règlement, la CNESST serait titulaire d’« un pouvoir totalement arbitraire de regard et de régulation »[174], les employeurs qui font du placement de personnel étant abandonnés « à la discrétion de la CNESST »[175]. La validité sous ce rapport des paragraphes 5 à 7 et 12 à 14 de l’art. 11 sera examinée dans la section suivante. Pour ce qui est du reste de cet article ainsi que de l’art. 10 du Règlement, on ne saurait parler d’un pouvoir arbitraire : la loi prévoit que c’est à la CNESST d’administrer le régime de permis prévu par règlement (art. 92.5 et 92.6 L.n.t.) et il va sans dire qu’elle doit, dans le cadre de cette administration, respecter les conditions prévues par les art. 10 et 11 du Règlement, qui (sous réserve du débat relatif aux paragr. 5 à 7 et 12 à 14 de l’art. 11) expriment des règles claires et qui doivent être appliquées de façon raisonnable (au sens de l’arrêt Vavilov). On notera aussi que l’art. 13 du Règlement, qui s’ajoute aux art. 2 et 4 à 8 de la Loi sur la justice administrative[176], entend assurer l’équité du processus auquel sont soumises les agences :

13. Avant de refuser la délivrance d’un permis, la Commission doit notifier par écrit à la personne, société ou autre entité qui en fait la demande, le préavis prescrit par l’article 5 de la Loi sur la justice administrative (chapitre J-3) et lui accorder un délai d’au moins 10 jours pour présenter ses observations.

13. Before denying the issue of a licence, the Commission must notify the prior notice prescribed by section 5 of the Act respecting administrative justice (chapter J-3) in writing to the person, partnership or other entity making the application, and give the person, partnership or other entity at least 10 days to present observations.

 Dans les 30 jours de la fin du délai accordé pour présenter ses observations, la Commission doit rendre par écrit une décision motivée.

 Within 30 days following the end of the time period given to present observations, the Commission must render a decision in writing, with reasons.

  1.       Les trois premiers alinéas de l’art. 41 du Règlement prévoient la même obligation dans les cas où la CNESST envisage la suspension ou la révocation d’un permis :

41. Avant de suspendre ou de révoquer un permis, la Commission doit notifier par écrit au titulaire du permis le préavis prescrit par l’article 5 de la Loi sur la justice administrative (chapitre J-3) et lui accorder un délai d’au moins 10 jours pour présenter ses observations.

41. Before suspending or revoking a licence, the Commission must notify the prior notice prescribed by section 5 of the Act respecting administrative justice (chapter J-3) in writing to the licence holder, and give the licence holder at least 10 days to present observations.

 Dans les 30 jours de la fin du délai accordé à ce titulaire du permis pour présenter ses observations, la Commission doit rendre par écrit une décision motivée et préciser, le cas échéant, la date à compter de laquelle le permis est suspendu ou révoqué.

 Within 30 days following the end of the time period given to the licence holder to present observations, the Commission must render a decision in writing, with reasons, and specify, where applicable, the date from which the licence is suspended or revoked.

 Dans le cas d’une décision concernant la suspension d’un permis, la Commission doit également y indiquer le délai imparti au titulaire du permis pour remédier au défaut ayant mené à cette suspension ou pour exposer à la Commission tout nouveau fait susceptible de justifier une décision différente, à défaut de quoi, à l’expiration de ce délai, la Commission procédera à la révocation du permis.

 In the case of a decision concerning the suspension of a licence, the Commission must also specify the time period granted to the licence holder to remedy the failure that resulted in the suspension or to raise, before the Commission, any new facts likely to warrant a different decision, failing which, at the expiry of the time period, the Commission will revoke the licence.

[…]

[…]

  1.       Enfin, l’art. 92.8 L.n.t. prévoit un recours en cas de refus, de suspension ou de révocation d’un permis, recours exercé auprès du Tribunal du travail, organisme juridictionnel dont le processus est entièrement respectueux des garanties d’équité procédurale et de l’art. 23 de la Charte des droits et libertés de la personne et qui rend des décisions assujetties au contrôle judiciaire :

92.8. Une agence dont le permis est refusé, suspendu ou révoqué ou qui se voit imposer une mesure administrative en vertu du paragraphe 4° de l’article 92.7 peut contester la décision de la Commission devant le Tribunal administratif du travail dans les 30 jours de sa notification.

92.8. An agency whose licence application is denied, whose licence is suspended or revoked or on which an administrative measure is imposed under paragraph 4 of section 92.7 may contest the Commission’s decision before the Administrative Labour Tribunal within 30 days of notification of the decision.

  1.       On ne saurait donc parler d’arbitraire (encore une fois sous réserve de la prochaine rubrique).
  2.       En fait, ce à quoi le Groupe AESPIQ invite ici la Cour, c’est à statuer l’opportunité, l’utilité ou la sagesse politique des exigences qu’imposent les art. 10 et 11 du Règlement. Or, cela ne fait pas partie du contrôle de la légalité d’un texte législatif subordonné, qui « n’implique pas l’appréciation du bien-fondé des considérations d’intérêt général afin de décider s’il est “nécessaire, sage et efficace dans la pratique” »[177].
  3.       En somme, et pour conclure sur ce point, les articles 10 et 11 (ce dernier sous réserve de la question de l’imprécision/sous-délégation illégale abordée ci-dessous) sont conformes à l’habilitation législative et ne sont ni absurdes, ni excessifs, ni discriminatoires. Leur mise en œuvre respecte un processus équitable. On peut trouver que les exigences qu’ils fixent sont sévères ou mal avisées ou nuisibles économiquement à l’industrie de la location de personnel, mais ce ne sont pas là des considérations qui doivent guider l’analyse de leur légalité.

b. Art. 11 : imprécision et sous-délégation

  1.       Le Groupe AESPIQ conteste également l’art. 11 du Règlement sous un autre rapport. La source de l’invalidité de cette disposition tiendrait, d’une part, à son alinéa introductif et, d’autre part, à ses paragraphes 5 à 7 et 12 à 14. Ces dispositions auraient pour effet combiné de déléguer indûment à la CNESST, en matière d’octroi des permis, un pouvoir discrétionnaire dont l’exercice n’obéit à aucune balise, transformant ainsi le pouvoir réglementaire, ordinairement normatif et impersonnel, en un exercice d’appréciation individuelle et potentiellement arbitraire. Or, la loi prévoit clairement que les conditions d’octroi du permis doivent être prévues par règlement du gouvernement, et non pas établies par la CNESST au gré de ses décisions. Il y aurait donc ici une sousdélégation illégale et un détournement du pouvoir réglementaire. L’art. 40 paragr. 2 du Règlement, qui se rapporte à la suspension ou à la révocation d’un permis et renvoie à cette fin à l’art. 11, souffrirait du même vice.
  2.       Pour bien saisir l’argument, il convient de reproduire de nouveau les passages pertinents de l’art. 11 :

11. La personne, société ou autre entité qui satisfait à l’ensemble des conditions prévues à l’article 10 peut toutefois se voir refuser la délivrance d’un permis, par la Commission, pour l’un des motifs suivants :

11. The person, partnership or other entity that meets all the conditions provided for in section 10 may be denied the issue of a licence by the Commission in any of the following cases:

[…]

[…]

  au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, elle a été déclarée coupable ou elle a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle qui, de l’avis de la Commission, a un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé;

(5)  in the 5 years preceding the application, unless the person, partnership or other entity has obtained a pardon, the person, partnership or other entity has been found guilty or the person has been an officer of a legal person, partnership or other entity found guilty of a penal or criminal offence that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for;

  au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, elle a fait l’objet d’une décision d’un tribunal étranger la déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale ou criminelle ayant, de l’avis de la Commission, un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé;

(6)  in the 5 years preceding the application, unless the person, partnership or other entity has obtained a pardon, has been the subject of a decision by a foreign court finding them guilty of an offence that, if committed in Canada, would have resulted in penal or criminal proceedings, that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for;

  elle a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité qui, au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, a fait l’objet d’une décision d’un tribunal étranger la déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale ou criminelle ayant, de l’avis de la Commission, un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé;

(7)  the person has been an officer of a legal person, partnership or other entity that, in the 5 years preceding the application, unless the person has obtained a pardon, has been the subject of a decision by a foreign court finding the person guilty of an offence that, if committed in Canada, would have resulted in penal or criminal proceedings, that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for;

[…]

[…]

12°  elle a parmi ses dirigeants une personne qui, au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, a été déclaré coupable ou a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle qui, de l’avis de la Commission, a un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé;

(12)  one of its officers, in the 5 years preceding the application, unless the person, partnership or other entity has obtained a pardon, has been found guilty or the person has been an officer of a legal person, partnership or other entity found guilty of a penal or criminal offence that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for;

13°  elle a parmi ses dirigeants une personne qui, au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, a fait l’objet d’une décision d’un tribunal étranger la déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale ou criminelle ayant, de l’avis de la Commission, un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé;

(13)  one of its officers, in the 5 years preceding the application, unless the officer has obtained a pardon, has been the subject of a decision by a foreign court finding them guilty of an offence that, if committed in Canada, would have resulted in penal or criminal proceedings that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for;

14°  elle a parmi ses dirigeants une personne qui a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité qui, au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, a fait l’objet d’une décision d’un tribunal étranger la déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale ou criminelle ayant, de l’avis de la Commission, un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé.

(14)  the person has been an officer of a legal person, partnership or other entity that, in the 5 years preceding the application, unless the person, partnership or other entity has obtained a pardon, the person, partnership or other entity has been the subject of a decision by a foreign court finding them guilty of an offence that, if committed in Canada, would have resulted in penal or criminal proceedings that, in the Commission’s opinion, is connected with the carrying on of activities for which the licence is applied for.

 

[Soulignements ajoutés]

  1.       De son côté, l’art. 40 paragr. 2 prévoit que :

40. La Commission peut suspendre ou révoquer un permis, à compter de la date qu’elle détermine, lorsque :

40. The Commission may suspend or revoke a licence, as of the date it determines, where

[…]

[…]

  le titulaire ou l’un de ses dirigeants est visé par l’un ou l’autre des motifs de refus prévus à l’article 11;

(2)  the licence holder or one of its officers is concerned by any of the reasons for refusal provided for in section 11;

 

[Soulignements ajoutés]

  1.       Selon le Groupe AESPIQ, la CNESST jouirait donc en vertu de ces dispositions d’un double pouvoir d’appréciation discrétionnaire : 1° elle pourrait, sans toutefois y être tenue, décider de refuser, suspendre ou révoquer le permis de l’agence qui se trouve dans l’une des situations décrites dans les paragraphes 5 à 7 ou 12 à 14 de l’art. 11 (c’est ce qu’indique l’alinéa introductif de cet article tout comme celui de l’art. 40); 2° c’est elle qui, de surcroît, se trouverait à décider si les infractions criminelles ou pénales dont il est question dans ces paragraphes (c’est-à-dire n’importe quelle infraction) ont un lien avec les activités de placement de personnel. La conséquence en serait la suivante, selon le mémoire du Groupe AESPIQ :

147. La combinaison des deux éléments a pour effet que la « sphère de risques » à laquelle doit se conformer l’administré est inconnue jusqu’à ce qu’un événement se manifeste, soit une condamnation à n’importe quelle infraction pénale applicable au Québec.

148. Un examen attentif de ces dispositions révèle que le gouvernement a conféré à la CNESST les pouvoirs d’apprécier au cas par cas les infractions en lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé.

149. En effet, l’expression « de l’avis de la Commission » indique que cette dernière se voir conférer un pouvoir discrétionnaire lui permettant d’apprécier la nature des infractions. Or, la disposition législative habilitante est limpide, c’est le gouvernement, et lui seul, qui a la responsabilité de définir, d’établir et de déterminer les obligations.

150. Nulle part, dans cette disposition habilitante, il n’est fait mention de la CNESST. Dès lors, il s’agit d’une sous-délégation illégale.

[…]

151. L’absence d’une liste exhaustive de ce que le gouvernement considère comme les infractions rationnellement liées à l’exercice des activités empêche les personnes visées de faire des choix rationnels, notamment négocier un plaidoyer. La formulation se distingue ainsi des autres dispositions similaires prévues dans les lois du Québec où une liste précise d’infractions est prévue [renvoi omis].

152. Ainsi, le Règlement délègue à toute personne travaillant pour la CNESST le pouvoir de déterminer elle-même, sur une base ponctuelle et non publicisée, quelle infraction pénale ou criminelle a un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé et détermine son application, contrairement aux dispositions spécifiques de l’article 92.7 de la loi habilitante qui délègue ce pouvoir au gouvernement par règlement.

153. Le pouvoir délégué par le législateur au gouvernement est de nature réglementaire, à savoir un pouvoir impersonnel et général.

154. Or, par le truchement de l’expression « de l’avis de la Commission », non seulement le gouvernement sous-délègue des pouvoirs à la CNESST, mais, plus encore, il transforme ce pouvoir réglementaire en une discrétion administrative permettant d’apprécier chaque dossier au cas par cas.

[…]

158. L’acte réglementaire à lui seul ne permet pas de connaître l’entièreté de la règle de droit, puisque la CNESST se voit conférer un pouvoir purement discrétionnaire et dont l’atteinte aux droits des entreprises assujetties peut être capitale, considérant que l’exercice de ce pouvoir peut directement entraîner la fermeture d’une entreprise.

159. L’absence d’une liste exhaustive de ce que le gouvernement considère comme des infractions rationnellement liées à l’exercice des activités empêche les personnes visées de faire des choix rationnels, notamment négocier un plaidoyer avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales.

  1.       Autrement dit, et si je résume, les paragraphes 5 à 7 et 12 à 14 de l’art. 11 seraient imprécis et ne permettraient pas aux intéressés d’être « prévenus quant au fond de la norme à laquelle ils sont assujettis »[178], c’est-à-dire de savoir ce que l’on entend par une infraction liée aux activités visées par le permis ou la demande de permis. Par une sous-délégation que la loi habilitante ne prévoit pas, ce sujet, que le gouvernement avait pour mission de réguler, serait ainsi laissé par lui au pouvoir décisionnel de la CNESST et à l’entière discrétion de celle-ci, au cas par cas, dans le cadre d’une approche ex post facto. Ces défauts conjugués devraient entraîner l’invalidité des dispositions et, de façon concordante, celle du paragraphe 2 de l’art. 40 du Règlement.
  2.       Comme on l’a vu, le juge de première instance n’a pas retenu l’argument :

[53] Par ailleurs, le gouvernement n’a pas délégué à l’intervenante CNESST la responsabilité de déterminer les critères et l’ajout des mots en cause – de l’avis de la Commission – dans les dispositions ne permet pas à l’intervenante CNESST de refuser déraisonnablement un permis à une agence pour une infraction qui n’aurait pas de lien avec les activités pour l’exercice desquelles le permis est demandé.

[54] Comme le procureur général l’a plaidé, ça n’a pas d’impact réel; il n’y a donc pas de sous-délégation illégale et la cour refusera de déclarer ultra vires les sept dispositions à l’article 11 du règlement attaquées par les associations d’employeurs.

  1.       Ma conclusion est la même : on ne peut parler ici ni d’imprécision ni de sousdélégation, deux moyens qui sont ici entrelacés.
  2.       Premièrement, en ce qui concerne le rôle de la CNESST dans l’application du Règlement et de son art. 11, on doit tenir compte des art. 92.5 et 92.6 L.n.t., qui confient nommément à cet organisme la mission de voir à l’application du régime de permis établi par le Règlement : c’est la CNESST en effet qui délivre les permis, et qui, bien sûr, peut les suspendre ou les révoquer, ainsi que le prévoit l’art. 92.8 L.n.t. L’habilitation, dans les trois cas, est peut-être indirecte ou oblique, mais elle est indiscutable :

92.5. Nul ne peut exploiter une agence de placement de personnel ou une agence de recrutement de travailleurs étrangers temporaires, s’il n’est titulaire d’un permis délivré par la Commission, conformément à un règlement du gouvernement.

92.5. No one may operate a personnel placement agency or a recruitment agency for temporary foreign workers unless they hold a licence issued by the Commission, in accordance with a regulation of the Government.

92.6. Une entreprise cliente ne peut retenir les services d’une agence de placement de personnel ou d’une agence de recrutement de travailleurs étrangers temporaires qui n’est pas titulaire d’un permis délivré par la Commission, conformément à un règlement du gouvernement.

92.6. No client enterprise may retain the services of a personnel placement agency or a recruitment agency for temporary foreign workers that does not hold a licence issued by the Commission, in accordance with a regulation of the Government.

 La Commission met à la disposition du public une liste des titulaires de ces permis qu’elle dresse et tient à jour.

 The Commission shall make available to the public a list of holders of such licences that it draws up and keeps up to date.

92.8. Une agence dont le permis est refusé, suspendu ou révoqué ou qui se voit imposer une mesure administrative en vertu du paragraphe 4° de l’article 92.7 peut contester la décision de la Commission devant le Tribunal administratif du travail dans les 30 jours de sa notification.

92.8. An agency whose licence application is denied, whose licence is suspended or revoked or on which an administrative measure is imposed under paragraph 4 of section 92.7 may contest the Commission’s decision before the Administrative Labour Tribunal within 30 days of notification of the decision.

 

[Soulignements ajoutés]

  1.       Par ailleurs, et comme le souligne à juste titre l’appelant PGQ, la CNESST est, de façon générale, l’organisme chargé de l’application des normes du travail, et donc de la L.n.t. et de ses règlements : c’est elle qui, ainsi que le veut l’art. 5 L.n.t., « surveille la mise en œuvre et l’application des normes du travail / shall supervise the implementation and application of labour standards », ce qui inclut évidemment les normes ou règles issues des art. 41.2 et 95 al. 2 ainsi que des art. 92.5 à 92.8 L.n.t., de même que les normes ou règles imposées par règlement en vertu de l’art. 92.7.
  2.       Le régime de permis instauré par le gouvernement en vertu de la L.n.t. est donc supervisé et administré par la CNESST, comme le veut la loi. Il n’est par conséquent pas étonnant que le Règlement le mentionne ici et là, par exemple en prévoyant que les demandes de permis sont adressées à la CNESST et que celle-ci voit à leur délivrance s’il y a lieu ou encore à leur suspension ou à leur révocation. D’ailleurs, le Règlement ne ferait pas allusion à la CNESST que cela ne changerait rien, comme le note le juge de première instance : la CNESST, par l’habilitation qui est sienne en vertu des art. 5, 92.5, 92.6 et 92.8 L.n.t., serait l’entité chargée d’appliquer le Règlement et, en particulier, de statuer sur les demandes de permis ou sur le maintien de ceux-ci.
  3.       Ainsi, on bifferait les mots « par la Commission / by the Commission » de l’alinéa introductif de l’art. 11 du Règlement ou « de l’avis de la Commission / in the Commission’s opinion » dans les paragraphes 5 à 7 et 12 à 14 du même article, que cela n’empêcherait pas la CNESST d’être l’organisme responsable d’appliquer ces dispositions. Pareillement, même si l’on reformulait l’art. 40 du Règlement de manière à ce que son alinéa introductif énonce simplement qu’un permis peut être suspendu ou révoqué dans les cas prévus par ses paragraphes 1 à 4, sans que soit mentionnée la CNESST, c’est toujours celle-ci qui serait chargée de son application.
  4.       Bref, le gouvernement, dans son Règlement, fait ce que lui permet l’art. 92.7 L.n.t. : il établit les catégories de permis, fixe les conditions de leur octroi de même que toute restriction ou interdiction relative à leur délivrance ou à leur maintien, prévoit les mesures applicables en cas de défaut de respecter les obligations prévues par L.n.t. ou par l’un de ses règlements, détermine les obligations incombant aux agences et prend toute autre mesure visant à assurer la protection des droits des personnes salariées concernées par les art. 92.5 et s. L.n.t. C’est ensuite à la CNESST de voir à l’application de ce régime.
  5.       Il n’y a pas de sous-délégation formelle dans ce mécanisme extrêmement commun. Le gouvernement, par son Règlement, ne confie pas ici à la CNESST le soin de fixer les normes, règles et obligations que le législateur l’autorise à prescrire en vertu de l’art. 92.7 L.n.t. Plutôt, il les édicte puis, conformément aux art. 5, 92.5, 92.6 et 92.8 L.n.t., c’est la CNESST qui se charge de leur mise en œuvre, tant globalement qu’individuellement. Elle peut ainsi prendre toutes les mesures d’information, de renseignement et de surveillance (art. 5 L.n.t.), mais aussi gérer le régime de permis élaboré par le Règlement. Elle devra donc statuer, en fonction de celui-ci, sur toutes les demandes de permis qui lui seront adressées et sur toutes les situations susceptibles de mener à la suspension ou à la révocation d’un permis, et ce, au terme d’une vérification cas par cas. Elle doit s’assurer en effet que la situation de chacun est conforme à l’exigence réglementaire. Qu’elle jouisse dans ce cadre d’une certaine marge d’appréciation n'est pas de la sousdélégation d’un pouvoir réglementaire et ne s’y apparente pas non plus. Il s’agit uniquement pour la CNESST d’appliquer le Règlement et les normes ou règles qu’il dicte aux situations individuelles qui lui seront soumises, pour en vérifier et en évaluer la conformité.
  6.       Cela dit, s’il n’y a pas de sous-délégation formelle ou expresse, y aurait-il une sorte de sous-délégation implicite, résultant de l’imprécision des paragr. 5 à 7 et 12 à 14 de l’art. 11 du Règlement? Ces dispositions seraient-elles si vagues que le gouvernement se soustrairait ici à son devoir réglementaire – celui d’établir des normes plus précises que celles de la loi – pour le transformer en pouvoir administratif, pouvoir qu’exercerait la CNESST de manière discrétionnaire, sur une base individuelle? La normativité réglementaire serait-elle remplacée ici par la discrétion administrative?
  7.       C’est la thèse que défend le Groupe AESPIQ, se fondant notamment sur l’arrêt Brant Dairy Co. c. Milk Commission of Ontario[179]. Dans cette affaire, la Cour suprême écrit que :

Les organismes créés par statut qui ont le pouvoir de faire quelque chose par règlement n’agissent pas dans les limites de leurs attributions en se contentant de reprendre, dans un règlement, les termes par lesquels ce pouvoir a été conféré. C’est là se soustraire à l’exercice de ce pouvoir et, de fait, c’est là faire d’un pouvoir législatif un pouvoir administratif. Cela équivaut à une nouvelle délégation que l’Office se fait à lui-même, dans une forme différente de celle qui a initialement été autorisée; il est évident que cela est illégal, d’après le jugement que cette Cour a rendu dans l’affaire Procureur général du Canada c. Brent [renvoi omis].

Dans l’affaire Brent, il était question de l’exercice du pouvoir délégué au gouverneur en conseil par la Loi sur l’immigration de faire des règlements sur des matières spécifiées. Le gouverneur en conseil avait incorporé les pouvoirs mêmes dans un règlement, confiant leur application à un enquêteur spécial. Il a été jugé que c’était là une sous-délégation invalide; était substituée à l’opinion du gouverneur en conseil, que devait refléter le règlement, l’opinion que pourrait se former à l’occasion un enquêteur spécial, sans que ce dernier ne soit soumis à des contraintes réglementaires.[180]

  1.       Évidemment, ce n’est pas ce qu’a fait ici le gouvernement en édictant les paragraphes 5 à 7 et 12 à 14 de l’art. 11 du Règlement : il ne s’est pas contenté de reprendre les termes de la loi habilitante (comme dans Brant Dairy Co.) et d’en déléguer l’application discrétionnaire à la CNESST (comme dans A.G. of Ontario v. Brent[181]). D’ailleurs, il n’aurait pas pu, à cet égard, reprendre simplement les termes du législateur, puisque la L.n.t., en son art. 92.7, ne traite pas expressément du sujet des infractions pénales ou criminelles de nature à justifier le refus, la suspension ou la révocation d’un permis. Comme on l’a vu plus haut, la loi laisse au gouvernement pleine latitude pour imposer toutes les conditions qu’il estime pertinentes ou utiles en matière de permis. Au nombre des conditions ainsi prescrites se trouve celle qu’énoncent, en différentes variations, les paragraphes litigieux de l’art. 11 : peut entraîner un refus, une suspension ou une révocation du permis le fait pour une agence ou l’un de ses dirigeants d’avoir été déclaré coupable, ici ou ailleurs, « d’une infraction pénale ou criminelle qui […] a un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé » ou détenu, ou encore d’avoir été le dirigeant d’une personne morale déclarée coupable de ce genre d’infraction.
  2.       A priori, sur le plan des principes, il paraît tout à fait raisonnable – c’est-à-dire conforme au texte, au contexte, à l’objet et à l’objectif de la L.n.t. dans le respect de sa vocation et des contraintes statutaires et interprétatives pertinentes – d’exiger d’une personne œuvrant dans le domaine du placement de personnel qu’elle et ses dirigeants n’aient pas commis d’infraction criminelle ou pénale liée à cette activité. Le Groupe AESPIQ ne le conteste pas. Là où on peut s’interroger, cependant, c’est sur la manière dont le gouvernement a procédé : devait-il lui-même identifier les infractions liées aux activités en question ou, à tout le moins, aurait-il dû être plus précis à cet égard (par exemple, en ciblant des champs d’infractions), ou pouvait-il agir comme il l’a fait?
  3.       En effet, contrairement à ce qu’on peut voir dans certaines lois ou certains règlements[182], le gouvernement, dans l’art. 11 du Règlement, n’identifie pas et n’énumère pas les infractions qui, à son avis, sont liées aux activités des agences de placement. Il décrète plutôt généralement qu’une déclaration de culpabilité à toute infraction pénale ou criminelle liée aux activités de placement de personnel peut may ») mener au refus, à la suspension ou à la révocation du permis. Il revient dès lors forcément à la CNESST, dans le cadre de la mise en œuvre de cette exigence, de statuer au cas par cas sur le lien existant (ou non) entre l’infraction (lorsqu’il en est) et les activités (paragr. 11(5) à (7) et (12) à (14)) et, s’il y a lieu, sur l’opportunité de refuser, suspendre ou révoquer le permis pour cette raison (art. 11 al. introductif). Le gouvernement pouvait-il rédiger ces dispositions ainsi? Cette façon de libeller l’exigence réglementaire fait-elle tomber celleci dans l’imprécision, le gouvernement abdiquant ainsi sa fonction pour l’attribuer à la CNESST et remplacer indûment une exigence normative par un pouvoir discrétionnaire? Même si on ne peut pas dire qu’il s’est abstenu d’exercer son pouvoir réglementaire, le gouvernement l’aurait-il néanmoins dénaturé? S’agit-il d’un simulacre d’exercice de ce pouvoir, c’est-à-dire d’un exercice non significatif de celui-ci?
  4.       Le Groupe AESPIQ répond à ces questions par l’affirmative, arguant que, dans l’exercice de sa fonction d’application de l’art. 11 du Règlement, la CNESST serait laissée sans guide ni délimitation (tout comme les administrés, du reste), ce qui contrevient aux règles régissant l’exercice d’un pouvoir réglementaire. On aurait en effet substitué un pouvoir discrétionnaire applicable sur une base individuelle (attribué à la CNESST) à l’élaboration d’une norme, dérogeant ainsi à l’obligation que l’art. 92.7 L.n.t. fait au gouvernement. En l’espèce, le Groupe AESPIQ va même jusqu’à suggérer (comme on vient de le voir) que le Règlement aurait dû contenir « une liste exhaustive de ce que le gouvernement considère comme les infractions rationnellement liées à l’exercice des activités »[183].
  5.       Je ne suis pas convaincue par cet argument.
  6.       Le problème se situe ici à l’intersection de l’imprécision et de la sous-délégation, la première étant une conséquence de la seconde. Les professeurs Issalys et Lemieux le cadrent bien :

Il s’agit donc de savoir si le contenu du règlement est suffisamment précis et déterminé pour que la décision individualisée qui se fonde sur ses dispositions soit vraiment une décision d’application de la norme – au besoin par interprétation de ses termes –, et non pas une décision comportant la création d’une norme nouvelle, particulière, par l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Il faut donc examiner si le contenu du règlement développe suffisamment celui de la loi dans le sens d’une plus grande précision : on est dès lors confronté à une question de degré, qui appelle des solutions nuancées.[184]

  1.       Et comme le soulignent aussi les auteurs Garant, Garant et Garant, l’imprécision peut être un cas de figure de la sous-délégation : « [s]i le contenu normatif est insuffisant ou déficient, le règlement attribue à toutes fins utiles un pouvoir discrétionnaire à l’autorité qui aura à appliquer ce règlement »[185].
  2.       On trouve une illustration de ces principes dans l’arrêt Vic Restaurant Inc. v. City of Montreal[186], que cite d’ailleurs le Groupe AESPIQ et qui est toujours pertinent. Dans cette affaire, la Charte de la Ville de Montréal conférait au conseil de celle-ci le soin de fixer les conditions et formalités des permis pour divers types d’entreprises, dont la restauration. Le conseil de la Ville avait adopté un règlement confiant à son directeur des finances le soin de délivrer ces permis, sur approbation du directeur du service concerné, en l’occurrence le service de police. Le directeur de ce dernier ayant refusé son approbation, le permis fut refusé à l’appelant. Le juge Locke, dans son opinion majoritaire, écrit que :

The manner in which the licences are to be issued has been fixed by the by-law by vesting the ministerial act of issuing them in the Director of Finance. The power to fix the terms upon which they are to be issued has been vested in the city council. For that body to say that before the Director of Finance may issue a licence, the Director of Police, in his discretion, may prevent its issue by refusing approval is not to fix the terms, but is rather an attempt to vest in the Chief of Police power to prescribe the terms, or some of the terms, upon which the right to a licence depends. In this case, granted the necessary power had been given to the council by the charter, the by-law might, as pointed out in the judgment of this Court in Bridge’s case, have prescribed a state of facts the existence of which should render a person ineligible to receive a permit, as by providing that none such shall be granted to persons who were guilty of repeated infractions of the city by-laws as to hours, or of the provisions of the Quebec Liquor Act or who permitted prostitutes to congregate on their premises or who were otherwise persons of ill repute. Nothing of this nature appears in this by-law but, as in the cases to which I have referred in the other provinces, it has been left without direction to the Chief of Police to decide whether the applicant should or should not be permitted to carry on a lawful calling.[187]

  1.       D’accord avec son collègue, le juge Cartwright ajoute que :

The impugned provisions of by-law no. 1862 appear to me to be fatally defective in that no standard rule or condition is prescribed for the guidance of the Director of the Police Department in deciding whether to give or to withhold his approval.[188]

  1.       À mon avis, la situation de l’espèce ne se compare toutefois pas à celle de l’arrêt Vic Restaurant, ni d’ailleurs à celles des arrêts Brant Dairy Co.[189] ou Brent[190], le Règlement balisant suffisamment l’exercice du pouvoir discrétionnaire laissé à la CNESST dans le cadre de l’administration du régime de permis que prévoit la L.n.t.
  2.       Je ne reprendrai pas l’exposé des paragraphes [76] à [92] au sujet de la notion d’imprécision et du degré d’incomplétude que doit atteindre une disposition législative ou réglementaire avant d’être déclarée nulle pour ce motif. Or, j’estime qu’en l’espèce l’exigence réglementaire telle que formulée dans les dispositions litigieuses n’est pas si imprécise qu’elle fait obstacle à tout débat judiciaire ou quasi judiciaire en la matière. Elle contient au contraire une balise suffisante pour guider l’action administrative de la CNESST dans l’application de l’art. 11 paragr. 5 à 7 et 12 à 14 du Règlement et pour faire de cet organisme non pas le sous-délégataire du pouvoir réglementaire du gouvernement, mais bien l’exécutant des volontés que celui-ci exprime dans ledit Règlement.
  3.       Cette balise est intégrée aux paragr. 5 à 7 et 12 à 14, à savoir que l’infraction pénale ou criminelle dont l’agence ou le dirigeant a été déclaré coupable doit avoir « un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé » ou détenu (« is connected with »), c’est-à-dire, en ce qui nous concerne, les activités de placement de personnel au sens de l’art. 1 du Règlement. La notion de lien ou de connexion, au sens ordinaire[191], va plus loin que les idées générales d’honnêteté, de probité et d’intégrité qui ressortent de l’entièreté de l’art. 11 et en forment le contexte interprétatif. Elle implique que l’infraction se rapporte rationnellement à l’activité de placement ou y soit rationnellement rattachée, et ce, d’une façon assez étroite, assez forte, et non pas ténue, de sorte qu’on ne puisse raisonnablement considérer l’octroi ou le maintien du permis. C’est une balise simple, qui n’est peut-être pas exhaustive ou d’une précision parfaite, mais qui suffit, car elle permet, pour emprunter de nouveau à Issalys et à Lemieux, « une décision d’application de la norme – au besoin par interprétation de ses termes –, et non pas une décision comportant la création d’une norme nouvelle, particulière ». L’interprétation requise ici doit en outre, cela va de soi, tenir compte de la loi elle-même (c’est-à-dire des objectifs poursuivis généralement par la L.n.t., mais aussi par les dispositions qu’y a introduites la Loi modificatrice de 2018).
  4.       Sans vouloir usurper ici la fonction de la CNESST, mais, vu cette balise réglementaire, on pourrait ainsi penser, pour donner un exemple élémentaire, que l’infraction commise par une personne déclarée coupable de traite de personnes au sens de l’art. 279.01 du Code criminel est une infraction liée aux activités de placement (même si l’infraction avait été perpétrée dans un autre contexte) : on imagine en effet assez mal qu’une telle personne obtienne ou conserve un permis pour faire de la location de personnel. En revanche, l’infraction commise par le dirigeant d’une société déclaré coupable de ne s’être pas arrêté à un feu rouge, contrevenant ainsi à l’art. 359 du Code de la sécurité routière[192] et commettant l’infraction prévue par l’art. 504 de ce code, n’a rien à voir avec les activités de location de personnel et ne pourrait raisonnablement justifier le refus, la suspension ou la révocation du permis.
  5.       Un administré raisonnable en viendrait vraisemblablement à la même conclusion, même sans le bénéfice de longues explications sur le sens du « lien » qui doit, aux termes du Règlement, rattacher l’infraction pénale ou criminelle à l’activité de placement de personnel. Il y a en tout cas dans ce critère matière à permettre et à trancher un débat judiciaire ou quasi judiciaire, de sorte qu’on ne peut parler d’imprécision.
  6.       Il est vrai que l’alinéa introductif de l’art. 11 attribue une certaine liberté à la CNESST, qui pourrait ne pas refuser un permis malgré la commission d’une infraction liée aux activités de placement de la personne en cause (ou malgré qu’une agence ne se conforme pas aux autres paragraphes de l’art. 11). C’est toutefois une liberté bien limitée, qui tient de la marge de manœuvre résiduelle, comme le plaide l’appelant PGQ, et qui n’a rien d’étranger à l’exécution et à l’application des normes réglementaires. Comme le rappellent les auteurs Garant, Garant et Garant :

Comme nous l’avons vu précédemment, ce qui est formellement interdit c’est l’attribution d’un pur pouvoir discrétionnaire par règlement. Il n’est toutefois pas interdit de laisser une certaine dose de pouvoir d’appréciation à celui qui aura à appliquer ce règlement pourvu que des normes suffisamment précises existent dans l’ensemble de la loi et du règlement. Il est des secteurs d’intervention de l’Administration où il est pratiquement impossible de prévoir dans les lois et règlements avec beaucoup de précision les normes qui vont s’appliquer aux administrés. Il faut s’en remettre au jugement de fonctionnaires qui, sous le contrôle de l’autorité supérieure, auront à exercer cette dose de pouvoir discrétionnaire. Les cours pourront également intervenir pour contrôles ces décisions particulières qui seraient arbitraires, déraisonnables et contraires à la finalité poursuivie par la loi ou le règlement.[193]

[Renvois omis]

  1.       Cela ne signifie évidemment pas que la CNESST jouit du pouvoir discrétionnaire d’ignorer les paragr. 5 à 7 et 12 à 14 de l’art. 11 (ou les autres paragraphes du même article). Mais à l’inverse, cette marge d’appréciation résiduelle a l’avantage d’éviter les injustices potentielles que pourrait causer une application mécanique des dispositions en question et elle permet de tenir compte, dans une certaine mesure, des circonstances de chaque espèce (incluant les faits propres à la commission ou à la survenance de l’infraction, de la contravention ou de la situation visée par l’art. 11). Elle offre ainsi une nécessaire flexibilité à l’application du régime, flexibilité qui ne doit pas être confondue avec de l’arbitraire.
  2.       Cela est d’autant plus vrai que, faut-il le rappeler, la CNESST est soumise à une obligation d’équité procédurale que consacrent les art. 13 et 40 du Règlement (reproduits aux paragr. [186] et [187] supra), dans le respect de la Loi sur la justice administrative, et notamment de l’art. 5 de celle-ci. En organisant ainsi l’exercice du pouvoir d’appréciation de la CNESST, on se trouve à le brider.
  3.       Enfin, s’ajoutent à la balise explicite du lien qui doit exister entre l’infraction et l’activité de placement de personnel les balises implicites qui régiront chacune des décisions que rendra la CNESST en application de l’art. 11 du Règlement, décisions qui peuvent être contestées devant le TAT (art. 92.8 L.n.t.). Ce tribunal dispose d’un large pouvoir d’intervention[194], dont l’exercice est lui-même assujetti au contrôle judiciaire de la Cour supérieure, selon la norme de la décision raisonnable exposée dans l’arrêt Vavilov. La jurisprudence qui en émanera précisera plus concrètement le sens à donner au lien qui doit exister entre l’infraction et l’activité et elle servira elle-même de guide à l’interprétation et à l’application des paragraphes litigieux de l’art. 11 du Règlement[195]. Tout cela garantit que les décisions administratives de la CNESST demeurent dans le domaine du raisonnable, évitent l’arbitraire ou l’excessif et ne puissent détourner la loi ou le Règlement de ses fins.
  4.       En conclusion, en adoptant l’art. 11 et notamment son alinéa introductif et ses paragraphes 5 à 7 et 12 à 14, dans leur texte actuel, le gouvernement n’a pas sousdélégué sa fonction et il a usé d’une terminologie suffisamment précise pour guider tout à la fois les administrés et la CNESST. Dans l’application de ces dispositions, la CNESST possède un certain pouvoir d’appréciation, inhérent à sa fonction d’administratrice du régime, un pouvoir cependant limité par la manière dont son exercice est organisé, en une « combinaison optimale »[196] au regard des circonstances. Ce pouvoir est toutefois celui de « décider selon des normes »[197], mais non de le transformer « en un pouvoir de décider à sa discrétion »[198].
  5.       Le gouvernement aurait-il pu être plus précis ou plus directif? Peut-être. Par exemple, le Code des professions prévoit, sans autre indication, que le Conseil d’administration de chaque ordre professionnel doit adopter un règlement précisant, entre autres choses, les critères d’éligibilité à la fonction d’administrateur élu (art. 93 paragr. b)[199]). Le Conseil d’administration du Barreau du Québec, à l’instar d’autres ordres, a ainsi adopté un règlement énonçant que :

8. Est inéligible à la fonction d’administrateur le membre qui :

  a fait l’objet, au cours des 5 années précédant la date de l’élection :

[…]

c)  d’une décision d’un tribunal canadien le déclarant coupable d’une infraction criminelle impliquant un acte de collusion, de corruption, de malversation, d’abus de confiance, de fraude, de trafic d’influence ou des gestes ou des propos abusifs à caractère sexuel;

d)  d’une décision d’un tribunal étranger le déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait pu mener à une décision d’un tribunal canadien visée au sous-paragraphe c;

[…][200]

  1.       Sur ce modèle, le gouvernement, en l’espèce, aurait pu choisir d’identifier certaines catégories d’infractions qu’il aurait considéré liées à l’activité de placement et constitutives d’un empêchement à l’octroi ou au maintien d’un permis. Qu’il ne l’ait pas fait et qu’il ait préféré une autre méthode ne peut cependant être contesté[201], la formule retenue n’étant pas source d’une imprécision qui invaliderait le texte réglementaire ni d’une sous-délégation illégale. D’une certaine manière d’ailleurs, par le moyen choisi, le gouvernement donne l’indication claire que toute infraction pénale ou criminelle est susceptible de justifier un refus, une suspension ou une révocation de permis dans la mesure où non seulement par sa nature, mais par les circonstances de sa commission, elle serait liée à l’activité de location de personnel. Vu sous cet angle, il paraît difficile d’exiger une liste exhaustive d’infractions, comme l’aurait voulu le Groupe AESPIQ.
  2.       En définitive, et pour conclure, l’art. 11 du Règlement atteint un degré de précision qui suffit et qui n’implique pas la sous-délégation d’un pouvoir réglementaire ou indûment discrétionnaire à l’autorité administrative chargée de l’appliquer. Cela est vrai, du reste, de l’ensemble du Règlement. Sur ce point, je suis d’accord avec le propos suivant de l’appelant PGQ :

63. Le Règlement fixe par une série de conditions, restrictions et interdictions, les normes à suivre par la CNESST pour la délivrance et le renouvellement des permis d’agences, et celle-ci les applique. Ainsi, à titre d’illustration, pour qu’une agence voit sa demande accordée, elle devra ainsi satisfaire une série de conditions portant notamment sur les aspects suivants :

a. La faillite et la solvabilité – art. 10 (4°), (5°), (6°), art. 11 (4°), (8°) et (9°);

b. Le défaut de respecter une décision ou une ordonnance d’un tribunal rendu en application de lois et règlements administrés par la CNESST – art. 10 (7°) et (10°);

c. Le fait d’agir comme prête-nom – art. 10 (8°) et (11°);

d. Le fait d’avoir faussement déclaré ou dénaturé les faits relatifs à une demande de permis ou omis de fournir un renseignement afin d’obtenir un tel permis – art. 10 (9°) et (12°);

e. Le fait de devoir une somme exigible en application de lois et règlements administrés par la CNESST – art. 11 (1°);

f. Le fait d’avoir été condamné par un tribunal en matière de discrimination, de harcèlement ou de représailles – art. 11 (2°);

g. La suspension, la révocation ou le non-renouvellement de permis – art. 11 (3°), (10°) et (11°);

h. Les antécédents judiciaires – art. 11 (5°), (6°), (7°), (12°), (13°) et (14°).

64. Chacune de ces conditions exige nécessairement l’exercice d’une certaine dose d’appréciation pour leur application. Toutefois, cette latitude nécessaire dans l’exécution ne transforme pas pour autant ce pouvoir d’appréciation en un pouvoir sous-délégué illégalement parce qu’il contient une « dose de pouvoir discrétionnaire ».[202]

[Soulignement ajouté]

  1.       Pour le reste, que le Règlement soit sévère ou qu’on l’estime défavorable à l’industrie du placement de personnel n’est pas une considération pertinente.

V. Conclusion

  1.       En résumé :

- En vertu des arrêts Auer et TransAlta, la norme de la décision raisonnable s’applique à l’examen de la légalité du Règlement, le législateur n’ayant pas prévu une norme de contrôle différente, que la primauté du droit, au sens des arrêts Vavilov et Société canadienne des auteurs[203], n’exige pas non plus en l’espèce, vu les motifs de contestation soulevés. Dans le cadre de cet examen, tant le Règlement que sa loi habilitante doivent être interprétés d’une façon large et téléologique, la présomption de validité dont jouit le premier favorisant en effet une méthode d’interprétation qui concilie texte législatif subordonné et loi, afin que, dans la mesure du possible, il puisse être interprété d’une manière qui le rend intra vires. L’analyse doit tenir compte du régime statutaire (texte, objet et objectifs), des principes du droit administratif et des règles d’interprétation, mais non pas de considérations liées à l’opportunité, à la nécessité, à la sagesse ou à l’efficacité du Règlement.

- Le fardeau de démontrer l’invalidité du Règlement au regard de cette norme incombe à la personne qui le conteste.

- Conformément au droit constitutionnel et administratif, un texte législatif subordonné doit être suffisamment précis, c’est-à-dire qu’il doit être raisonnablement possible d’en élucider le sens grâce aux règles d’interprétation ordinaires, dans le cadre d’un débat judiciaire ou quasi judiciaire.

- En l’espèce, la définition que le Règlement donne à l’« agence de placement de personnel » atteint largement le degré de précision requis pour un tel débat et même davantage. Cette définition repose sur la location de personnel, notion bien connue en droit québécois, qui renvoie à l’activité consistant pour une personne à mettre à la disposition de ses clientes, contre rétribution, les services de salariés qu’elle embauche, rémunère et supervise globalement, mais dont la prestation de travail consiste à exécuter des missions à durée variable chez lesdites clientes, sous l’autorité de celles-ci. L’objet du contrat entre le fournisseur de main-d’œuvre et la cliente est la capacité de travail du salarié du premier, dont la seconde fera usage à son profit, pour combler des besoins de main-d’œuvre.

- Par ailleurs, la définition litigieuse vise toute personne qui fait, sous une forme ou sous une autre, mais de manière organisée, de la location de personnel afin de répondre au besoin de main-d’œuvre de sa clientèle, qu’il s’agisse là de son activité principale ou d’une activité secondaire ou encore d’une activité menée parallèlement à d’autres.

- La définition, sous ces deux angles, est, au regard des contraintes applicables, raisonnablement compatible (et, à la vérité, entièrement compatible) avec les lois habilitantes (Loi modificatrice de 2018 et L.n.t.), dont l’objet principal et déterminant est la régulation de la location de personnel par l’encadrement serré des employeurs – les agences de placement de personnel – qui se livrent à cette activité.

- Les art. 10 et 11 du Règlement sont également valides.

- D’une part, compte tenu des textes législatifs habilitants, des règles d’interprétation statutaire et de toutes les contraintes de validité qu’impose le droit administratif, ces dispositions, qui ne souffrent pas du vice d’imprécision, sont intra vires; elles ne sont par ailleurs ni abusives, ni discriminatoires, ni autrement déraisonnables.

- D’autre part, l’art. 11, dont l’alinéa introductif et les paragr. 5 à 7 et 12 à 14 font l’objet d’une contestation particulière, ne sont pas imprécis et n’ont pas pour but ni effet de transformer le pouvoir réglementaire conféré au gouvernement en un pouvoir discrétionnaire sous-délégué à la CNESST. Le pouvoir d’appréciation dont jouit celle-ci dans l’administration du régime de permis prévu par la loi et configuré par le Règlement est un pouvoir limité, dont l’exercice est organisé d’une manière qui le circonscrit et assure l’application de la norme imposée par le gouvernement à des situations individuelles variées et diverses.

  1.       Pour ces motifs, je recommande d’accueillir les appels, de rejeter les appels incidents, d’infirmer en conséquence le jugement de première instance et de rejeter les demandes introductives d’instance des intimées-appelantes incidentes, le tout avec frais de justice.

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 


[1]  L’Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec et l’Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel entreprennent un pourvoi en contrôle judiciaire commun, sous le numéro 500-17-111132-208. L’Association provinciale des agences de sécurité entreprend son propre pourvoi, sous le numéro 500-17-112858-207. Diverses parties se joindront à ces instances comme intervenantes.

[2]  RLRQ, c. N-1.1, r. 0.1 [« Règlement »].

[3]  RLRQ, c. N-1.1 [« L.n.t. »].

[4]  Association provinciale des agences de sécurité c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3952 jugement de première instance »].

[5]  Jugement de première instance, paragr. 37.

[6]  Id., paragr. 17 (« Le tribunal en arrivera à la conclusion qu’effectivement la définition dans le règlement élargit illégalement la portée voulue par le législateur; il sera donc inutile de se prononcer sur son imprécision »).

[7]  Chacun des appelants s’est pourvu distinctement, d’où l’existence de trois dossiers d’appel visant le même jugement de première instance : 500-09-030316-228 (CNESST), 500-09-030319-222 (PGQ) et 500-09-030321-228 (Au bas de l’échelle inc., qui a par ailleurs obtenu la permission d’appeler hors délai).

[8]  Ces quatre associations ont présenté un mémoire commun aux trois appels et appels incidents, mémoire dont l’argumentation comporte deux parties : la première (au nom des intimés Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec et Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel) répond aux appels, la seconde (au nom des mêmes intimées et des mises en cause Association minière du Québec et Association des firmes de génie-conseil – Québec) présente les arguments propres aux appels incidents. Dans les présents motifs, par souci de concision et de facilité, je renverrai à ces personnes en les désignant sous la dénomination « Groupe AESPIQ », sans autre distinction, même si leur statut dans la présente affaire n'est pas exactement la même. Cela permettra par ailleurs de les différencier, au besoin, de l’Association provinciale des agents de sécurité, qui a statut d’intimée, mais présente son propre mémoire. Par ailleurs, quand je parlerai des « intimées », sans autre précision, je renverrai globalement aux intimées au sens strict et aux deux associations mises en cause.

[9]  Ce qu’exigent d’ailleurs les paragr. 48 b) et c) du Règlement de la Cour d’appel du Québec en matière civile, RLRQ, c. C-25.01, r. 0.2.01.

[10]  2024 CSC 36 Auer »].

[11]  2024 CSC 37 TransAlta »].

[12]  Préc., note 10, paragr. 33, 35 et 56, Voir aussi : TransAlta, préc., note 11, paragr. 15, quatrième point (reproduit infra, paragr. [54]).

[13]  Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, projet de loi n° 176, présenté à l’Assemblée nationale le 20 mars 2018.

[14]  Extrait de l’art. 5 du projet de loi, qui suggère l’ajout de l’art. 41.2 à la L.n.t.

[15]  Le projet de loi sera cependant mieux reçu sous d’autres rapports.

[16]  L.Q. 2018, c. 21 (« Loi modificatrice de 2018 »).

[17]  Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires, Décret 1148-2019, 13 novembre 2019, (2019) 151 G.O.Q. II, n° 48, 4790, art. 50.

[18]  Ces dispositions seront reproduites dans leur texte actuel, et non pas telles qu’elles étaient rédigées au moment où la Loi modificatrice de 2018 et le Règlement sont entrés en vigueur. En effet, elles ont été modifiées par la suite, d’une manière qui n’affecte toutefois pas le présent litige. Ainsi, en 2021, on a ajouté les art. 92.7.1 et 92.7.2 à la L.n.t. (l’art. 92.7.1 a été modifié de nouveau en 2023). En 2022, on a modifié la L.n.t. notamment pour y remplacer le terme « salarié », utilisé jusque-là, par le terme « personne salariée », avec les accords conséquents. La loi de 2023 a remplacé le paragr. 3 de l’art. 92.7 et procédé à une modification concordante de l’art. 92.7.1. Le Règlement a également été modifié par la suite, directement par le législateur. Sur le tout, voir : Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 10 mars 2020, L.Q. 2021, c. 15; Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d'état civil, L.Q. 2022, c. 22; Loi modifiant diverses dispositions principalement aux fins d'allègement du fardeau réglementaire et administratif, L.Q. 2023, c. 24.

 Dans un tout autre ordre d’idées, signalons que le régime mis en place par le législateur et le régulateur québécois présente des similitudes avec celui qu’établissent les art. 74.1 et s. de l’Employment Standards Act de l’Ontario (R.S.O. 2000, c. 41) pour les « temporary help agencies » (agences de placement temporaire). J’y reviendrai.

[19]  Voir supra, paragr. [22].

[20]  À l’origine, l’art. 14 du Règlement prévoyait que le permis avait une durée de deux ans, sujet à renouvellement. En 2023, par souci « d’alléger le fardeau réglementaire et administratif des entreprises », le législateur a modifié le texte de la disposition, qui prévoit désormais un permis sans terme (Loi modifiant diverses dispositions principalement aux fins d’allègement du fardeau réglementaire et administratif, préc., note 18, art. 179).

[21]  RLRQ., c. S-2.1.

[22]  Mémoire du Groupe AESPIQ, argumentation, paragr. 125 (« D’une part, le contrat de “location de personnel” est inexistant en droit et ne peut se distinguer d’un contrat de service »); déclaration d’appel incident, paragr. 15 (« Il s’ajoute à cette difficulté que l’expression “services de location de personnel” est inexistante en droit »). Voir également le paragr. 51 de la demande de pourvoi en contrôle judiciaire des intimées Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec et Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel, 8 janvier 2020 (« En introduisant un concept inexistant en droit, soit celui de la location de main-d’œuvre, il devient impossible d’évaluer raisonnablement la portée du champ d’application du Règlement […] »).

[23]  Mémoire du Groupe AESPIQ, argumentation, paragr. 78.

[24]  RLRQ, c. S-3.5.

[25]  RLRQ, c. D-2. Voir en outre : Décret sur les agents de sécurité, RLRQ, c. D-2, r. 1.

[26]  Mémoire de l’intimée Association provinciale des agences de sécurité, argumentation, paragr. 46.

[27]  Mémoire du Groupe AESPIQ, argumentation, p. 47, titre C.

[28]  [1992] 2 R.C.S. 606, p. 639 [« Nova Scotia Pharmaceutical »].

[29]  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 Vavilov »].

[30]  Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64 Katz Group »].

[31]  Préc., note 10.

[32]  Préc., note 10.

[33]  Préc., note 11.

[34]  DORS/97175.

[35]  L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 3.

[36]  R.S.A. 2000, c. M26 (« MGA »).

[37]  TransAlta, paragr. 3.

[38]  Préc., note 29.

[39]  Préc., note 30.

[40]  Auer, paragr. 27.

[41]  TransAlta, paragr. 17 in fine (reproduit supra, paragr. [54]).

[42]  Auer, paragr. 65.

[43]  Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, paragr. 25.

[44]  Ibid.

[45]  Voir aussi, par analogie : Procureur général du Québec c. Ville de Drummondville, 2024 QCCA 5, paragr. 56-62.

[46]  Voir par ex. : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), préc., note 43, paragr. 21.

[47]  C’est-à-dire : question soumise à un mécanisme d’appel, question de droit générale d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, question liée aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs, question de droit dans une loi sur laquelle les tribunaux administratifs et les cours de justice ont une compétence concurrente (Vavilov, paragr. 17; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, paragr. 28).

[48]  Voir : Ontario (Procureur général) c. Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée), 2024 CSC 4, paragr. 15 (motifs majoritaires de la j. Karakatsanis); Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, paragr. 36 (motifs majoritaires du j. Jamal); Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, paragr. 10 (motifs majoritaires du j. Brown); Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, paragr. 4547.

[49]  Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), préc., note 48, paragr. 36.

[50]  2023 CSC 22, paragr. 22.

[51]  2024 CSC 43, paragr. 23.

[52]  E. A. Driedger, Construction of Statutes, 2e, Toronto, Butterworths, 1983, p. 87.

[53]  Voir à ce propos : Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc., [2006] 1 R.C.S. 27, 2006 CSC 2, paragr. 112 (motifs du j. LeBel, dont la dissidence ne porte toutefois pas sur la vocation sociale de la L.n.t.). La même qualification est d’ailleurs reprise dans l’arrêt Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), 2010 CSC 28, paragr. 8 (toujours sous la plume du j. LeBel, cette fois majoritaire).

[54]  Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., 2014 CSC 51, paragr. 36 (arrêt unanime, sous la plume du j. Wagner, tel qu’alors).

[55]  Id., paragr. 32.

[56]  Id., paragr. 34.

[57]  Préc., note 53, paragr. 73.

[58]  Ibid.

[59]  Katz Group, paragr. 25, repris dans Auer, paragr. 29, 37 et 39.

[60]  Voir par ex. : Montréal c. Arcade Amusements Inc., [1985] 1 R.C.S. 368, p. 399-403; Restaurants Canada c. Ville de Montréal, 2021 QCCA 1639, paragr. 50-52 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 24 mars 2022, n° 39984); Granby (Ville de) c. Martin, [1999] R.J.Q. 674, p. 678679. Voir aussi, pour un bref historique jurisprudentiel : Gilles Pépin et Yves Ouellette, Principes de contentieux administratif, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1982, p. 125.

[61]  Nova Scotia Pharmaceutical, p. 626. Dans le même sens, voir les propos de la j. L’Heureux-Dubé dans Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139, p. 210 (parlant de l’imprécision dans le contexte de la contestation d’un règlement).

[62]  Voir sur ce point : Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 2187, paragr. 79. Voir aussi : G. Pépin et Y. Ouellette, Principes de contentieux administratif, préc., note 60, p. 127.

[63]  Voir sur ce point : Nova Scotia Pharmaceutical, p. 642; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, paragr. 16 (motifs majoritaires de la j. en chef McLachlin).

[64]  Voir : Nova Scotia Pharmaceutical, Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, p. 1041 in fine (motifs concordants du j. en chef Lamer) et 1090 (motifs majoritaires du j. Gonthier).

[65]  Nova Scotia Pharmaceutical, p. 638-639.

[66]  Nova Scotia Pharmaceutical, p. 643.

[67]  Préc., note 64.

[68]  Préc., note 63.

[69]  Nova Scotia Pharmaceutical, p. 643.

[70]  R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452.

[71]  Nova Scotia Pharmaceutical, p. 627. Par analogie, voir aussi : Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), préc., note 63, paragr. 44.

[72]  Sur ce point, voir : Jean-Pierre Villaggi, L’Administration publique québécoise et le processus décisionnel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 63 et jurisprudence y citée.

[73]  Granby (Ville de) c. Martin, préc., note 60, p. 678-679.

[74]  Pour un résumé de ces règles et principes, voir par ex. : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, préc., note 51, paragr. 23-24. Tout cet arrêt, d’ailleurs, est une démonstration de l’application de ces règles d’interprétation, appliquées en l’occurrence à un texte législatif.

[75]  Expression employée dans les affaires Auer, TransAlta et Katz Group. Voir aussi : Trial Lawyers Association of British Columbia c. ColombieBritannique (Procureur général), 2014 CSC 59.

[76]  René Dussault et Louis Borgeat, Traité de droit administratif, 2e éd., t. 1, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 542.

[78]  Ibid.

[79]  Pensons ici, par ex., aux règlements municipaux en matière de nuisance. Du côté des lois, on pourrait penser à l’art. 1457 C.c.Q.

[80]  Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 983 (motifs majoritaires).

[81]  Voir par ex. : Association des chiropraticiens du Québec inc. c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, [1999] r.j.q. 2187 (C.A.), p. 2196.

[82]  Au sujet de cette souplesse, voir par ex. : P. Issalys et D. Lemieux, L’action gouvernementale : précis de droit des institutions administratives, préc., note 77, p. 682.

[83]  Id., p. 682 in fine et 683.

[84]  Id., p. 683.

[85]  RLRQ, c. C-11.

[86]  RLRQ, c. H-2.1.

[87]  Cette proposition du Groupe AESPIQ s’oppose par ailleurs à la prétention qu’il fait concomitamment et qui voudrait que la définition en question soit par ailleurs ultra vires, car elle viserait des personnes ou des activités qu’on peut donc identifier et que le législateur, dans sa Loi modificatrice de 2018, n’entendait pas cibler. Cette seconde proposition, soit dit avec égards, mine la première.

[88]  Nova Scotia Pharmaceutical, p. 642.

[89]  [1997] 1 R.C.S. 1015 Pointe-Claire »].

[90]  Voir par ex. : Global Ressources humaines inc. c. Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2022 QCCA 1760, où l’on a affaire à une société offrant divers services en matière de ressources humaines, dont le placement de personnel temporaire; 9162-4676 Québec inc. c. Agence du revenu du Québec, 2016 QCCA 962 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 24 novembre 2016, n° 37172).

[91]  C’est une expression que l’on utilise par exemple dans FIIQ – Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, 2021 QCCA 1096, notamment aux paragr. 52 et 53 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 28 avril 2022, n° 39966).

[92]  Convention (n° 181) sur les agences d’emploi privées, 1997, art. 1 paragr. (b). Cette convention n’a pas été ratifiée par le Canada, mais la description qu’elle donne de l’activité de placement de personnel correspond à la manière dont le droit québécois appréhende le phénomène.

[93]  Pour d’autres définitions ou descriptifs de la location ou du placement de personnel, voir par ex. : Jean Bernier, « La location de personnel temporaire au Québec : un état de situation », (2012) 67(2) Relations industrielles 283, p. 284-285 (pièce D-1.3); Véronique de Tonnancour et Guylaine Vallée, « Les relations de travail tripartites et l’application des normes minimales du travail au Québec », (2009) 64(3) Relations industrielles 399, p. 400-401 (pièce D-1.9).

Le droit français connaît lui aussi une définition semblable, en usant d’une terminologie légèrement différente (on parle ainsi de l’« entrepreneur de travail temporaire » plutôt que de l’« agence de placement de personnel »). Son art. L1251-2 énonce que : « Est un entrepreneur de travail temporaire, toute personne physique ou morale dont l'activité exclusive est de mettre à la disposition temporaire d'entreprises utilisatrices des salariés qu'en fonction d'une qualification convenue elle recrute et rémunère à cet effet ». Comme on le verra plus loin, l’agence de placement de personnel définie par le Règlement n’a pas à se dévouer exclusivement à la location de personnel, mais, autrement, la définition française permet elle aussi de cerner juridiquement la réalité à laquelle on a affaire.

[94]  On en trouve un intéressant exemple dans l’affaire Teamsters Québec, local 1999 c. Recochem inc., 2021 QCTAT 4879, qui explique bien la relation entre la personne qui fournit les services de ses propres salariés à une entreprise cliente afin de combler les besoins de main-d’œuvre de celle-ci.

[95]  Encore que la récente Loi limitant le recours aux services d'une agence de placement de personnel et à de la main-d'œuvre indépendante dans le secteur de la santé et des services sociaux, L.Q. 2023, c. 8, entende réduire la place de la location de personnel dans le secteur en question. Elle introduit à cette fin dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2, un titre III portant notamment sur les agences de placement de personnel (« LES AGENCES DE PLACEMENT DE PERSONNEL ET LA MAIN-D’ŒUVRE INDÉPENDANTE »), et y ajoute d’autres dispositions corrélatives.

[96]  FIIQ – Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, préc., note 91, paragr. 52.

[97]  Préc., note 91.

[98]  RLRQ, c. A3.001.

[99]  Le premier alinéa de l’art. 5 L.a.t.m.p. existe depuis l’adoption de cette loi, en 1985. Le second a été ajouté en 2006.

[100]  RLRQ, c. P-5.1.

[101]  Préc., note 95.

[102]  RLRQ, c. G-1.021, r. 2.

[103]  À savoir : « une personne ou un groupement qui est tenu d’être titulaire d’un permis d’agence de placement de personnel en vertu de l’article 92.5 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) et dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à un prestataire pour combler des besoins de main-d’œuvre / a person or group required to hold a personnel placement agency licence under section 92.5 of the Act respecting labour standards (chapter N-1.1) that has at least one activity consisting in offering personnel leasing services by providing employees to a provider to meet the provider’s labour needs » (soulignements ajoutés).

[104]  RLRQ, c. I-0.2.1, r. 3, art. 99 paragr. 5.

[105]  L.R.C. (1985), ch. L-2 [« C.c.t. »].

Voir par ex. la décision suivante qui, sans être récente, fait une certaine synthèse jurisprudentielle : Syndicat des services du grain (SIDM - Canada) et Saskatchewan Wheat Pool, décision n° 173 du Conseil canadien des relations industrielles, 9 mai 2002, SOQUIJ AZ-50235061 (qui soulève la question de l’identité du véritable employeur dans un contexte syndical). Voir également : Ma c. Banque du Canada, 2020 CF 1125, où l’on se penche sur une situation de placement de personnel dans le cadre de l’art. 240 C.c.t. Voir aussi Hôpital Santa Cabrini c. Canada, 2016 CAF 207, où l’on examine une situation de « louage de personnel » (infirmer en l’occurrence) à des fins fiscales.

[106]  Employment Standards Act, préc., note 18, art. 1.

[107]  Voir par ex. : 2517906 Ontario Inc. v. Ontario Labour Relations Board, 2023 ONSC 4890.

[108]  L’entrepreneur général en construction qui fait exécuter par un sous-traitant les travaux de plomberie nécessaire à l’érection d’un nouveau bâtiment pour le compte d’un client en est un exemple classique.

[109]  En voici la définition usuelle en droit du travail : « Pratique par laquelle une organisation confie l’exécution de certains travaux à un entrepreneur spécialisé autonome. Cet entrepreneur assume l’entière responsabilité de ces travaux qu’il exécute lui-même ou par l’entremise de son propre personnel, soit dans les locaux de celui qui lui a accordé le contrat (v.g. entretien ménager, services alimentaires, etc.), soit à l’extérieur de son propre établissement […] » (Gérard Dion, Dictionnaire canadien des relations du travail, 2e éd., Québec, Presses de l’Université Laval, 1986, p. 449).

[110]  Voir : FIIQ — Syndicat des professionnelles en soins de l'Est-de-l'Île-de-Montréal c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l'Est-de-l'Île-de-Montréal, préc., note 91, paragr. 51.

[111]  Je suis bien consciente de ce que l’on pourrait considérer que le contrat de location de personnel est un contrat de service au sens de l’art. 2098 C.c.Q., le service qui doit être accompli par le prestataire consistant à fournir du personnel à une cliente qui a besoin de main-d’œuvre et de mettre ainsi à sa disposition la capacité de travail d’une ou de plusieurs personnes salariées, pour une période plus ou moins longue. Mais s’il s’agit d’un contrat de service, il constitue cependant à lui seul une catégorie spécifique, qui se distingue des autres contrats de service ou d’entreprise.

[112]  Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), préc., note 63, paragr. 17 in fine.

[113]  L’outil d’information publié par la CNESST sur son site web (pièce P-12), et que reproduit le mémoire du Groupe AESPIQ (p. 665), sans être exhaustif ni parfait, donne quand même quelques repères utiles afin de distinguer la location de personnel de contrats autres.

[114]  Pensons ici aux entreprises de « chasseurs de têtes », qui ne sont pas visées (à moins, évidemment, qu’il ne s’agisse de recruter de travailleurs étrangers temporaires au sens de l’art. 1 du Règlement).

[115]  Auer, paragr. 39 (reproduit supra, paragr. [56]).

[116]  Ibid.

[117]  RLRQ, c. P-34.1.

[118]  Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, préc., note 51.

[119]  Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, paragr. 93 (motifs majoritaires du j. Iacobucci).

[120]  Sur le tout, voir supra, paragr. [67] et [68]. Voir aussi : Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., préc., note 54, paragr. 32, 34 et 36; Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), préc., note 53, paragr. 6-8 (motifs majoritaires du j. LeBel).

[121]  RLRQ, c. I-16.

[122]  Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), préc., note 53, paragr. 8.

[123]  Cette volonté de s’arrimer à la croissance exponentielle de la location de personnel dans le marché du travail est clairement affirmée tout au long des débats parlementaires et des travaux de la Commission de l’économie et du travail.

[124]  Harry W. Arthurs, Fairness at Work: Federal Labour Standards for the 21st Century, Gatineau, Gouvernement du Canada, 2006, p. 233 (qui soulève très précisément la problématique à laquelle tente de remédier l’art. 41.2 L.n.t.) (pièce D-1.1).

[125]  Jean Bernier, L’industrie des agences de travail temporaire. Avis sur une proposition d’encadrement, Québec, Cahiers de l’Alliance de recherche université-communauté, Collection Cahier de transfert CT2011-01, février 2011, p. 17 (notant la disparité salariale qui afflige les salariés d’agence, même « à qualification et expérience égales ou équivalentes ») (pièce D-1.2).

[126]  J. Bernier, « La location de personnel temporaire au Québec : un état de situation », préc., note 93, p. 288 (au sujet de cette même disparité).

[127]  Voir par ex.: Diane Galarneau, « L’écart salarial entre employés temporaires et permanents », (2005) 6-1 L’emploi et le revenu en perspective (Statistiques Canada) 5, notamment à la p. 8 (pièce D1.6); JeanRobert Tapin, Agences de placement temporaire, Québec, Ministère de la Main d’œuvre, de la sécurité du Revenu et de la Formation, 1993, p. 40-41 et 65-70 (pièce D-1.8); Virginie AllardGoyer, Analyse d’impact réglementaire, Québec, Travail, Emploi et Solidarité sociale, 28 février 2019 (pièce P-3.1); Cathy Belzile, avec la collab. de Jean-Nickolas Dumaine, Agences de placement de personnel : profil de leurs salariés les plus à risque d’infractions à la Loi sur les normes du travail, Québec, Commission des normes du travail, 29 octobre 2013 (pièce P-3.2).

[128]  La solidarité agence-entreprise cliente est une solution évoquée dès 1993 dans le rapport de J.R. Tapin, préc., note 127, p. 64-65 (point, 9.3.1.3).

[129]  Ce paragraphe, rappelons-le, autorise le gouvernement à « prévoir toute autre mesure visant à assurer la protection des droits des personnes salariées concernées par la présente section / prescribe any other measure to protect the rights of employees to whom this division applies », ce qui confirme la vocation protectrice des autres dispositions.

[130]  Jugement de première instance, paragr. 37.

[131]  RLRQ, c. S-3.5.

[132]  Préc., note 25. D’ailleurs, d’autres groupes de salariés sont visés par des décrets de convention collective qui doivent être conjugués à la L.n.t., ce qui pourrait, dans une circonstance de location de personnel, entraîner l’application de l’art. 41.2 L.n.t.

[133]  Préc., note 25. L’alinéa introductif de cet art. 4.07 énonce que : « Le taux horaire et les primes horaires auxquels ont droit les salariés sont au moins ceux fixés dans le tableau suivant / The hourly rates and premiums to which employees are entitled are at least those set in the following table » (soulignements ajoutés).

[134]  Ce qui n’est pas impossible puisque le décret ne s’applique pas « aux salariés qui effectuent du travail de sécurité exclusivement pour le propre service ou les propres besoins de leur employeur / employees who carry out security work exclusively for their employer’s own service or needs » (art. 2.03 paragr. 5 du décret).

[135]  Voir ainsi les art. 1 paragr. 5, 39.0.1 al. 2(3°), 39.0.2, 43, 49, 53, 55, 59.1, 63, 64, 66, 70, 71.1, 75, 79, 84.1, 87.1, 92.1, 93, 94, 97.1, 102, 121.2, 122.1, 157, 158.1 et 158.2.

[136]  Sans compter que les agents eux-mêmes doivent détenir un permis. Voir : Loi sur la sécurité privée, préc., note 131, art. 16, et Règlement d’application de la Loi sur la sécurité privée, RLRQ, c. S-3.5, r. 1, art. 10-16.

[137]  C. Belzile, avec la collab. de J.-N. Dumaine, Agences de placement de personnel : profil de leurs salariés les plus à risque d’infractions à la Loi sur les normes du travail, préc., note 127, p. 7.

[138]  Ibid.

[139]  Id., p. 24.

[140]  C. Belzile, avec la collab. de J.-N. Dumaine, Agences de placement de personnel : profil de leurs salariés les plus à risque d’infractions à la Loi sur les normes du travail, préc., note 127, p. 24.

[141]  Le rapport de cette firme a été déposé comme pièce P-3.3 (sous le titre : Sondage visant à évaluer les conditions de travail des salariés temporaires d’agences de placement de personnel et les pratiques de cellesci  Rapport d’analyse final, 2 novembre 2012). La firme a procédé à 1002 entrevues téléphoniques avec autant de salariés.

[142]  Si l’on s’en remet au sondage, chez l’ensemble des salariés, « le dernier placement a duré en moyenne 20,4 mois (1,7 an). Notons que pour 57 % des salariés temporaires, le dernier placement a duré un an ou moins » (Sondage visant à évaluer les conditions de travail des salariés temporaires d’agences de placement de personnel et les pratiques de cellesci  Rapport d’analyse final, préc., note 141, p. 21). Cette donnée relativise la notion de « salarié temporaire » ou de « placement temporaire » en cause dans le sondage et dans le rapport de la Commission des normes du travail qui a suivi.

[143]  V. Allard-Goyer, Analyse d’impact réglementaire, préc., note 127, annexe I, p. 15.

[144]  Comité consultatif sur les normes du travail, Avis à la ministre responsable du Travail sur l’encadrement des agences de placement de personnel, Québec, Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, juillet 2017 (pièce D-4).

[145]  Le Comité consultatif cite ici intégralement l’art. 1 de la Convention (n° 181) sur les agences d’emploi privées, adoptée en 1997 et dont il a été question au paragr. [104] et à la note 92 supra.

[146]  Auer, paragr. 60; TransAlta, paragr. 17.

[147]  Mémoire du Groupe AESPIQ, portion appel incident, rubrique C.

[148]  Mémoire du Groupe AESPIQ, portion appel incident, rubrique B.

[149]  Mémoire du Groupe AESPIQ, argumentation, paragr. 163.

[150]  L’art. 10 est intégralement reproduit au paragr. [33] supra.

[151]  Mémoire du Groupe AESPIQ, argumentation, paragr. 162.

[152]  Mémoire du Groupe AESPIQ, argumentation, paragr. 164.

[153]  Mémoire du Groupe AESPIQ, argumentation, paragr. 165.

[154]  RLRQ, c. B-1.1.

[155]  RLRQ, c. E-12.000001.

[156]  RLRQ, c. C-72.1.

[157]  RLRQ, c. E-22.

[158]  RLRQ, c. C-65.1.

[159]  L.R.C. 1985, ch. B-3.

[160]  L.R.C. 1985, ch. W-11.

[161]  RLRQ, c. E-12.001.

[162]  RLRQ, c. F-1.1.

[163]  Et cela sans parler du paragr. 2 de l’art. 92.7 L.n.t., qui permet au gouvernement d’« établir des catégories de permis et déterminer, relativement à ces catégories, les activités qui peuvent être exercées par une agence / establish categories of licences and determine, for each category, the activities that may be carried on by an agency ».

[165]  À celles dont le Groupe AESPIQ donne l’exemple (voir supra, paragr. [170]), on pourrait ajouter (et l’échantillon est aléatoire) les lois suivantes : Loi sur l’aquaculture commerciale, RLRQ, c. A-20.2, art. 43 al. 3; Loi sur le courtage immobilier, RLRQ, c. C-73.2, art. 37; Loi sur les explosifs, RLRQ, c. E22, art. 13-15; Loi sur les permis d’alcool, RLRQ, c. P-9.1, art. 41, 42 et 86.

[166]  Jugement de première instance, paragr. 52.

[167]  On trouve d’autres exemples de cette façon de faire dans les lois suivantes : Loi sur les laboratoires médicaux et sur la conservation des organes et des tissus, RLRQ, c. L-0.2, art. 36 et 69 paragr. c), c.1) et t), et Règlement d’application de la Loi sur les laboratoires médicaux et sur la conservation des organes et des tissus, RLRQ, c. L-0.2, r. 1, art. 110 et 111; Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ, c. D-9.2, art. 200 paragr. 5 et 203 paragr. 3, Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant, RLRQ, c. D-9.2, r. 7, art. 56, et Règlement relatif à l’inscription d’un cabinet, d’un représentant autonome et d’une société autonome, RLRQ, c. D-9.2, r. 15, art. 2, 4 et 6.

[168]  R. Dussault et L. Borgeat, Traité de droit administratif, préc., note 76, p. 461.

[169]  Voir Auer, paragr. 60; TransAlta, paragr. 17.

[170]  P. Issalys et D. Lemieux, L’action gouvernementale : précis de droit des institutions administratives, préc., note 77, p. 621.

[171]  P. Issalys et D. Lemieux, L’action gouvernementale : précis de droit des institutions administratives, préc., note 77, p. 621.

[172]  Voir par ex. : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), préc., note 43; Montréal c. Arcade Amusements Inc., préc., note 60, p. 405-406; Association des courtiers et agents immobiliers du Québec c. Huot, J.E. 2003-715, paragr. 43, 44 et 45 (C.A.). Voir également : P. Issalys et D. Lemieux, L’action gouvernementale : précis de droit des institutions administratives, préc., note 77, p. 694-695.

[173]  TransAlta, paragr. 41-43; Montréal c. Arcade Amusements Inc., préc., note 60, p. 404 et s.

[174]  Mémoire du Groupe AESPIQ, argumentation, paragr. 163.

[175]  Id., paragr. 168, point e) (reproduit ci-dessus au paragr. [181]).

[176]  RLRQ, c. J-3.

[177]  Auer, paragr. 33. Voir aussi : Katz Group, paragr. 27, repris dans Auer, paragr. 29.

[178] Phrase reprise de l’arrêt Nova Scotia Pharmaceutical, p. 639.

[179]  [1973] R.C.S. 131.

[180]  Brant Dairy Co. c. Milk Commission of Ontario, préc., note 179, p. 146-147 (motifs du j. Laskin, tel qu’alors).

[181]  [1956] S.C.R. 318.

[182]  On trouve un exemple d’une telle façon de faire dans les Règles sur les appareils de loterie vidéo, RLRQ, c. l-6, r. 3, adoptées en vertu de l’art. 200 paragr. i) de la Loi sur les loteries et les appareils d’amusement, RLRQ., c. L-6, disposition prévoyant que la Régie peut adopter des règles concernant « les conditions d’obtention des licences prescrites ainsi que les normes, restrictions ou prohibitions relatives à leur exploitation ». L’art. 30 des règles subordonne ainsi l’octroi d’une licence de manufacturier ou de réparateur d’appareils de loterie vidéo à l’absence, dans les cinq années précédant la demande, de toute condamnation pour un acte criminel ou une infraction sommaire relativement « aux dispositions des articles 46, 47, 49 à 52, 59, 61, 74 à 78, 80, 81, 85, 87 à 90, 91, 119, 127, 131 et 132, 136 à 139, 144, 145, 201, 202, 206, 209, 210, 212, 219, 220, 222 à 236, 239, 240, 244, 265 à 273, 279, 279.1, 342.1, 343, 344, 346, 348, 349, 352, 354, 362, 366, 380, 397, 427, 430, 433, 434, 435, 463, 465 du Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) » (sous-paragr. 1a)) de même qu’« aux dispositions des articles 4, 5, et 6 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, c. 19) » (sous-paragr. 1b)), le tout sauf pardon ou réhabilitation. De son côté, la personne titulaire d’un permis de bar qui souhaite obtenir une licence d’exploitant de site ne doit pas « s’être reconnue coupable ou avoir été reconnue coupable d’un acte criminel ou d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et pour laquelle elle n’a pas obtenu de pardon ou de réhabilitation relativement à l’une des dispositions des articles 201 à 209 du Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) » (paragr. 31(1)).

Du côté, législatif, l’exemple le plus frappant d’une telle énumération se trouve dans la Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 158, art. 21.4, 21.5.2, 21.26, 21.26.1, 21.28, 21.48.16 et annexe I, celle-ci répertoriant 153 infractions précises régies par autant de dispositions de lois et règlements divers, allant du Code criminel au Règlement sur les contrats des organismes publics en matière de technologies de l’information, en passant par la Loi sur le cannabis et la Loi concernant la taxe sur les carburants et autres. Ailleurs, sans procéder à une telle énumération, la loi énonce un interdit général dont l’application au cas par cas sera déléguée à un organisme désigné. Ainsi, le Code des professions, RLRQ, c. C-26, prévoit-il que le conseil d’administration d’un ordre peut refuser (art. 45), suspendre ou révoquer (art. 55.1) le permis de la personne déclarée coupable 1° « d’une infraction criminelle qui, de l’avis motivé du Conseil d’administration, a un lien avec l’exercice de la profession, sauf si elle a obtenu le pardon / of a criminal offence which, in the reasoned opinion of the board of directors, is related to the practice of the profession, unless he has obtained a pardon » (paragr. 45(1) et (2)), 2° d’une infraction au Code lui-même ou 3° d’une infraction équivalente ou d’une infraction à une loi mentionnée dans le Code de déontologie idoine (paragr. 45(5) et (6)). On peut mentionner aussi les art. 26 et 107.3 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, RLRQ, c. R-20.

[183]  Mémoire du Groupe AESPIQ, argumentation, paragr. 151, reproduit au paragr. [195] supra. Voir aussi le paragr. 159 dudit mémoire, également reproduit au paragr. [195] supra.

[184]  P. Issalys et D. Lemieux, L’action gouvernementale : précis de droit des institutions administratives, préc., note 77, p. 682.

[185]  Patrice Garant, avec la collab. de Philippe Garant et de Jérôme Garant, Droit administratif, 7e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, p. 330 in fine.

[186]  [1959] S.C.R. 58.

[187]  Vic Restaurant v. City of Montreal, préc., note 186, p. 82-83.

[188]  Id., p. 99.

[189]  Préc., note 179 et paragr. [206] supra.

[190]  Préc., note 181.

[191]  Selon le Trésor de la langue française informatisé (point A), la connexion implique une « [l]iaison étroite et enchaînement entre certaines choses, certains phénomènes, certaines idées »; le même mot (« connection »), en anglais, renvoie notamment à l’idée de « condition of being related to something else by a bond of interdependence, causality, logical sequence, coherence, or the like; relation between things one of which is bound up with, or involved in, another » (Oxford English Dictionary, en ligne, https://www.oed.com/dictionary/connection_n?tl=true#8559772). Le lien « réunit, rattache deux ou plusieurs choses entre elles, assure leur relation, les met en rapport » (Trésor de la langue française informatisé, point B et C-1).

[192]  RLRQ, c. C-24.2.

[193]  P. Garant, avec la collab. de P. Garant et de J. Garant, Droit administratif, préc., note 185, p. 329.

[194]  Outre l’art. 92.8 L.n.t., on consultera les art. 2 al. 1 et 9 al. 1 et 2(4°) et (5°) de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T-15.1. L’art. 9 al. 2(4°), notamment, énonce que le TAT, saisi d’une contestation quelconque, peut « confirmer, modifier ou infirmer la décision, l’ordre ou l’ordonnance contesté et, s’il y a lieu, rendre la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu / confirm, vary or quash the contested decision or order and, if appropriate, render or make the decision or order which, in its opinion, should have been rendered or made initially ».

[195]  Vu la mission que l’art. 5 L.n.t. lui confie d’informer et de renseigner les salariés et les employeurs, on peut s’attendre à ce que la CNESST elle-même informe les administrés de la manière dont elle applique ces dispositions et des critères ou facteurs qu’elle prend en considération.

[196]  Expression et concept que j’emprunte à William J. Atkinson, exposant une théorie développée par K. C. Davis (William. J. Atkinson, « La discrétion administrative et la mise en œuvre d'une politique », (1978) 19(1) Cahiers de droit 187-232, p. 199).

[197]  W. J. Atkinson, « La discrétion administrative et la mise en œuvre d'une politique », préc., note 196, p. 211.

[198]  Ibid., p. 211.

[199]  Cette disposition prévoit que le Conseil d’administration de l’ordre doit, par règlement :

b)  fixer la date et les modalités de l’élection, la date et le moment de l’entrée en fonction et la durée du mandat du président et des autres administrateurs élus; ce règlement peut prévoir des critères d’éligibilité à la fonction d’administrateur élu, dont celle de président, ou une limitation du nombre de mandats consécutifs qui peuvent être exercés par ces administrateurs;

(b)  fix the date of and procedure for the election of the president and the other elected directors, the date and time they are to take office and their term of office; the regulation may prescribe eligibility criteria for the office of elected director, including the office of president, and set a limit on the number of consecutive terms such directors may serve;

          [Soulignement ajouté]

[200]  Règlement sur l’organisation du Barreau du Québec et les élections à son Conseil d’administration, RLRQ, c. B-1, r. 16.1.

[201]  Là-dessus, voir par ex. : W. J. Atkinson, « La discrétion administrative et la mise en œuvre d'une politique », préc., note 196, p. 208 in fine et 209.

[202]  Mémoire de l’appelant-intimé incident PGQ, argumentation. Notons que, les permis étant désormais délivrés sans terme, ils n’ont pas à être renouvelés.

[203]  Préc., note 47.

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