Décision

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Durocher Perreault c. Auto Direct MTL

2021 QCCQ 3094

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

« Chambre civile »

N° :

505-32-702616-187

 

DATE :

20 avril 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LUC HERVÉ THIBAUDEAU, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

FRANCE DUROCHER PERREAULT

Demanderesse

c.

AUTO DIRECT MTL

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

I-              APERÇU

[1]           France Durocher Perreault réclame 619,01 $ à Auto Direct MTL (Auto direct). Ce montant représente le prix des inspections et des réparations qu’elle fait effectuer à une automobile qu’Auto Direct lui vend. Elle prétend qu’un des roulements à billes du véhicule est non fonctionnel et qu’elle doit le changer.

[2]           Auto Direct conteste. Elle prétend que le roulement à billes peut servir à un usage normal et n’empêche pas le véhicule de fonctionner.

II-            QUESTIONS EN LITIGE

[3]           Est-ce que le roulement à billes de l’automobile de madame Durocher Perreault peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable lorsqu’Auto Direct lui vend le véhicule?

[4]           Si non, quel est le remède approprié ?

[5]           Le Tribunal conclut que madame Durocher Perreault ne fait pas la preuve du vice de fonctionnement allégué. La demande doit être rejetée.

[6]           Voici pourquoi.

III-           CONTEXTE

[7]           Le 28 mai 2016, madame Durocher Perreault achète d’Auto Direct un véhicule de marque Toyota Matrix de l’année 2010, au prix de 12 213,61 $. Le véhicule affiche 121 913 kilomètres au compteur[1].

[8]           Gilles Perreault, le conjoint de madame Durocher Perreault, est mécanicien de profession. C’est lui qui négocie l’achat pour son épouse. Le 8 juin, il se présente chez Auto Direct. Il prétend qu’un des roulements à billes d’une roue du véhicule est à changer. Il lui montre une évaluation obtenue d’un autre garagiste qui rapporte qu’il en couterait 478,00 $ plus taxes pour remplacer le roulement[2].

[9]           Monsieur Marcello Fuocco, le président d’Auto Direct, refuse de remplacer le roulement car il prétend qu’il n’est pas assez usé.

[10]        Le 9 juin 2016, monsieur Perreault écrit à monsieur Fuocco[3] et lui donne 10 jours pour réparer le roulement sans quoi il doit le faire lui-même et lui réclamer le montant de la réparation.

[11]        Auto Direct ne donne pas suite à la lettre de monsieur Perreault. Madame Durocher Perreault dépose sa demande le 5 décembre 2018. Elle demande la résolution de la vente et le remboursement du prix de vente. En octobre 2019, elle vend le véhicule pour 7 900,00 $, sans les taxes. À l’audience, elle modifie sa demande pour réclamer les frais de changement du roulement à billes[4] et des estimés de réparations[5], pour un total de 619,01 $.

IV-          ANALYSE

A-           LE FARDEAU DE PREUVE

[12]        Pour réussir dans sa demande, madame Perreault doit démontrer par preuve prépondérante le bien-fondé de ses prétentions. Il s’agit d’une règle de base en matière de preuve, énoncée aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec[6] (C.c.Q.).

[13]        Pour y arriver, sans atteindre la certitude[7], il faut produire une preuve qui convainc le Tribunal[8]. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante[9]. C’est suivant les faits les plus probables que les responsabilités sont établies[10]. Une simple démonstration de la possibilité qu’un fait puisse s’être produit, une hypothèse, n’est pas suffisante[11]. Le Tribunal ne soupèse pas les possibilités. Les faits probables sont ceux qui ont un degré de probabilité supérieur à 50 %[12]. Pour faire rejeter la demande, Auto Direct doit, à son tour, démontrer par preuve prépondérante que le droit allégué à son encontre n’existe pas. Cependant, si madame Perreault ne réussit pas dans son fardeau, sa demande est rejetée et Auto Direct n’a rien à démontrer.

[14]        Le Tribunal apprécie la force probante des témoignages[13]. Si la preuve n’est pas suffisamment convaincante ou est contradictoire au point où le juge ne peut déterminer où est la vérité, le sort se décide en fonction de la charge de la preuve[14]. Celui sur qui repose ce fardeau et qui ne s’en n’acquitte pas, voit sa demande rejetée.

B-           LA GARANTIE LÉGALE

[15]        Le contrat d’achat du véhicule est un contrat de consommation soumis à l’application des articles 37 et 38 de la Loi sur la protection du consommateur[15] (L.p.c.). Ces dispositions énoncent :

37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.

38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

[16]        Les articles 37 et 38 L.p.c. sont des applications particulières de la garantie contre les vices cachés énoncée à l’article 1726 C.c.Q. [16] :

1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.

Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

[17]        Le régime particulier de la L.p.c. allège le fardeau de preuve du consommateur[17]. La durée raisonnable de fonctionnement d’un bien est tributaire des attentes raisonnables du consommateur. Ces attentes sont évaluées en utilisant le critère du consommateur moyen[18]. À partir du moment où il est démontré que le bien vendu ne peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable et que le consommateur ignore le défaut du bien lors de la vente, on présume qu’il est affecté d’un vice[19]. On trouve une présomption similaire à l’article 1729 C.c.Q., qui énonce : « l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce ».

[18]        La jurisprudence exige aussi que le consommateur qui constate qu’un bien vendu est affecté d’un vice en informe le vendeur par voie de dénonciation écrite[20].

[19]        Ces principes étant établis, voyons ce qu’il en est dans le présent cas.

C-           APPLICATION

[20]        Conformément aux articles 2803 et 2804 C.c.Q., le fardeau de démontrer que le véhicule ne peut servir à un usage normal pendant une durée raisonnable repose sur les épaules de madame Durocher Perreault.

[21]        Pour y réussir, elle doit établir par preuve prépondérante que l’usage du bien qui lui a été livré mène à un « résultat insuffisant ou absent »[21] par rapport à ce qu’elle s’attend de recevoir, en fonction de ses attentes raisonnables. Il n’est pas nécessaire que le déficit d’usage enlève toute utilité au bien ou rende son usage impossible. Il doit cependant être tel qu’il soit susceptible de jouer un rôle déterminant sur la décision du consommateur d’acheter le bien[22].

[22]        Le véhicule affiche plus de 120 000 kilomètres au compteur lorsque madame Durocher Perreault en fait l’acquisition. Ceci signifie que le véhicule est de catégorie D et n’est pas couvert par la garantie de bon fonctionnement des articles 159 et 160 L.p.c.

[23]        Monsieur Perreault témoigne à l’audience. Il affirme qu’étant lui-même un mécanicien, il écoute toujours s’il y a des bruits anormaux lorsqu’il essaie une automobile.

[24]        Il reconnait cependant qu’il n’inspecte pas le véhicule de son épouse lorsqu’il l’achète. Il le fait inspecter par un tiers[23]. Puis, quand il l’utilise avec son épouse, la radio joue et il ne peut entendre le bruit. Ce n’est que lorsqu’il éteint la radio qu’il le remarque.

[25]        Monsieur Perreault produit un bon d’atelier préparé par le garage qu’il a consulté. Il y est inscrit « vérification bearing … changer le bearing arrière côté droit 478.00 plus taxe … vérification des bearing »[24].

[26]        Ce bon de travail est préparé par le même garage où monsieur Perreault fait inspecter le véhicule lors de l’achat. Monsieur Dany Drapeau, le gérant de ce garage, témoigne à l’audience. Il confirme que le 8 juin, il inspecte le véhicule une seconde fois, à la demande de monsieur Perreault, et qu’il lui remet le bon d’atelier.

[27]        Monsieur Drapeau affirme que le roulement à billes, lors de l’inspection, n’est pas à changer de façon urgente. Il est encore bon à quatre-vingt pour cent. Lorsqu’on lui demande de préciser sa pensée, il admet que le roulement à billes peut être changé mais qu’il n’y a rien d’urgent. Il ajoute qu’il fait un essai du véhicule et qu’il n’entend aucun bruit. Finalement, il dit à monsieur Perreault qu’il ne peut changer un morceau qui est encore fonctionnel.

[28]        Monsieur Drapeau confirme aussi que peu de temps après sa rencontre avec monsieur Perreault, monsieur Fuocco le contacte pour lui parler de son bon d’atelier, que monsieur Perreault lui a montré. Il lui demande alors de lui confirmer par écrit que le roulement à billes est encore bon à soixante-quinze pour cent.

[29]        Monsieur Drapeau est d’avis que lorsqu’il inspecte le roulement, il peut encore servir pour une période pouvant aller de une à quatre années, en fonction de l’usage qui est fait du véhicule.

[30]        Madame Durocher Perreault affirme qu’elle utilise son véhicule très peu.

[31]        Monsieur Perreault reconnait que le roulement à billes est fonctionnel. Il affirme cependant que le bruit veut dire qu’il y a un risque de perdre la roue.

[32]        Cependant, aucune preuve d’expert n’est faite à ce sujet.

[33]        Au surplus, le garagiste qui change le roulement à billes à la demande de monsieur Perrault ne témoigne pas. Le Tribunal ne bénéficie d’aucune preuve convaincante provenant d’un expert indépendant pour confirmer les prétentions de madame Durocher Perreault et de son conjoint.

[34]        Le Tribunal ne peut se fier sur la page de recherche « Google » que madame Perreault demande de mettre en preuve. Ce document ne rencontre pas les critères de fiabilité et d’authenticité requis par la loi. De plus, il ne mentionne pas qui est l’auteur des pages web auxquelles il réfère.

[35]        Madame Durocher Perreault a le fardeau de démontrer que le roulement à bille est défectueux au point où il empêche le véhicule de servir à un usage normal pendant une durée raisonnable.

[36]        Considérant le témoignage de monsieur Drapeau à l’effet que le roulement peut encore durer jusqu’à quatre ans et considérant aussi que monsieur Perreault reconnait que le roulement est fonctionnel, le Tribunal conclut que ce fardeau n’est pas rencontré.

[37]        Le Tribunal tient aussi compte du fait que monsieur Perreault, un garagiste de profession, n’inspecte pas le véhicule lorsque son épouse madame Durocher Perreault l’achète. Ceci pèse beaucoup dans la balance surtout si l’on considère qu’il témoigne qu’il faut toujours écouter pour les bruits suspects lorsque l’on inspecte un véhicule.

[38]        Enfin, le Tribunal tient compte du fait que le véhicule de madame Durocher Perreault est un véhicule de catégorie « D » qui n’est pas couvert par une garantie de bon fonctionnement[25].

V-           CONCLUSION

[39]        Le Tribunal n’a d’autre choix que de rejeter la demande de madame Durocher Perreault. Celle-ci ne s’acquitte pas de son fardeau.

[40]        Dans les circonstances, aucun frais de justice n’est accordé.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]        REJETTE la demande de la demanderesse.

[42]        SANS FRAIS DE JUSTICE.

 

 

__________________________________

LUC HERVÉ THIBAUDEAU, J.C.Q.

 

 

 

 

Date d’audience :

2 mars 2021.

 



[1]     Pièce P-5

[2]     Pièce P-3.

[3]     Pièce P-1.

[4]     Pièce P-2.

[5]     Pièce P-3.

[6]     RLRQ, c. CCQ-1991.

[7]     Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. Moody Industries Inc., 2006 QCCA 887, par.     57; Dubois c. Génois, [1964] B.R. 637, p. 639. (C.A.); Zerko (Avakian) c. King, 2016 QCCQ 3127,     par. 117; SSQ, société d’assurances générales inc. c. Ford du Canada ltée, 2012 QCCQ 4547, par.     28.

[8]     F.H. c. Mc Dougall, 2008 CSC 53, par. 46; Solutions Nursing LFC inc. c. Lormestoir, 2014 QCCQ     12094, par. 53; Larochelle c. Dandurand, 2011 QCCQ 3127, par. 177.

[9]     Guimond c. 2844-5195 Québec inc., 2003 CanLII 12371, par. 6 (C.Q., Div. Petites créances).

[10]    Parent c. Lapointe, [1952] 1 R.C.S. 376, p. 380.

[11]    SSQ, société d’assurances générales inc. c. Ford du Canada ltée, 2012 QCCQ 4547, par. 27; Martin      c. Terrebonne Ford inc., 2015 QCCQ 13514, par. 28 (Div. Petites créances).

[12]     Daunais c. Farrugia, [1985] R.D.J. 223, p. 228 (C.A.).

[13]    Art. 2845 C.c.Q.

[14]    Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Wilson & Lafleur, 2005, p. 62, par. 146. Pomerleau c.     Guillemette, 2019 QCCQ 5228, par. 9; Lemay c. Desjardins Sécurité financière, 2006 QCCQ 2483,      par. 19.

[15]     RLRQ, c. P-40.1.

[16]     Fortier c. Meubles Léon ltée, 2014 QCCA 195, par. 97.

[17]     Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31, par. 61-70.

[18]     Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31, par. 75-85.

[19]     Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31, par, par. 64.

[20]    Girard-Lévesque c. 9086-8951 Québec inc. (Avenir Auto), 2017 QCCQ 790, par. 36-38; Régimbald c.     Ford du Canada Ltée, 2016 QCCQ 1182, par. 34; Marcil c. Ford du Canada ltée, 2015 QCCQ 14654,     par. 14; Aubé c. Poulin (CP Auto Occasions), 2015 QCCQ 1191, par. 6-11; Tremblay c. G. Deragon     auto Canada 1986 inc., AZ-50348917, par. 7-9; Barriault c. Ford du Canada ltée, 2010 QCCQ 16296,     par. 11.

[21]    Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31, par. 63 (Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour     suprême rejetée 2016-08-11 (C.S. Can.) 36898); Renaud c. Auto Jean Yan, 2017 QCCQ 2403, pars.     34-35 & 38; Pelchat c. Gosselin, 2016 QCCQ 1566, par. 36; Bolduc c. Jean Croteau (2011) inc.     (Meubles Croteau, 2016 QCCQ 2650, par. 37; Morissette c. Autos Rive-Sud SB inc., 2016 QCCQ     1744, par. 15; Régimbald c. Ford du Canada ltée, 2016 QCCQ 1182, par. 21.

[22]    Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31, par. 72 (Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée 2016-08-11 (C.S. Can.) 36898)

[23]    Pièce D-1 : rapport d’inspection.

[24]    Pièce P-3.

[25]    Articles 159-160 L.p.c.

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