Décision

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Breault c. R.

2021 QCCA 505

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-10-003742-207

(200-36-002866-192) (CM 17CC011136)

 

 

DATE :

 26 MARS 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

SIMON RUEL, J.C.A.

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

 

PASCAL BREAULT

APPELANT - défendeur

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - poursuivante

et

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

INTERVENANT

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure rendu le 21 février 2020, district de Québec (l’honorable Raymond W. Pronovost), qui a rejeté son appel à l’encontre de la décision de la Cour municipale de la Ville de Québec du 26 juin 2019 (l’honorable Patrice Simard) le déclarant coupable de l’infraction prévue au paragr. 254(5) C.cr., alors en vigueur.

[2]           Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Vauclair, Hogue, Ruel et Rancourt, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel;

[4]           INFIRME le jugement de la Cour supérieure du 21 février 2020, de même que celui de la Cour municipale de la Ville de Québec du 26 juin 2019;

[5]           ORDONNE l’inscription d’un jugement d’acquittement;

[6]           DÉCLARE que l’arrêt Petit c. R., 2005 QCCA 687, n’a plus valeur de précédent.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

 

 

 

SIMON RUEL, J.C.A.

 

 

 

 

 

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

Me Félix Antoine T. Doyon

LABRECQUE, DOYON AVOCATS

Pour l’appelant

 

Me Isabelle Cardinal

GIASSON & ASSOCIÉS

Pour l’intimée

 

Me Gabriel Bervin

Me Justin Tremblay

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intervenant

 

Date d’audience :

22 octobre 2020



 

 

 

MOTIFS DU JUGE DOYON

 

 

[7]           « Immédiatement » signifie « immédiatement » lorsqu’il est question d’échantillons d’haleine.

[8]           L’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure rendu le 21 février 2020, district de Québec (l’honorable Raymond W. Pronovost), qui a rejeté son appel à l’encontre de la décision de la Cour municipale de la Ville de Québec du 26 juin 2019. La Cour municipale l’avait déclaré coupable de l’infraction prévue au paragr. 254(5) C.cr., alors en vigueur, après avoir jugé que l’ordre de fournir un échantillon d’haleine à l’aide d’un appareil de détection approuvé (« ADA ») était valide.

Le contexte

[9]           Le 2 avril 2017, vers 13 h 30, les agents de police Atkins et Côté-Lemieux reçoivent un appel de patrouilleurs de sentiers forestiers les informant qu’un individu conduit un véhicule tout-terrain (« VTT ») en état d’ébriété. En se dirigeant vers l’endroit de l’infraction, ils sont informés que le conducteur s’apprête à quitter les lieux, à pied. Il porte un manteau noir et a abandonné le VTT dans un stationnement.

[10]        À 13 h 35, les policiers arrivent sur les lieux et l’agent Atkins interpelle l’appelant qui s’éloigne des patrouilleurs en marchant. M. Breault s’identifie à l’aide de son permis de conduire et déclare qu’il ne conduisait pas le VTT. C’est plutôt une dame qui s’éloigne elle aussi qui le conduisait, dit-il. Le policier perçoit une forte odeur d’alcool et constate que ses yeux sont injectés de sang.

[11]        De son côté, l’agent Côté-Lemieux va à la rencontre des patrouilleurs qui lui confirment que c’est bien l’individu interpellé par l’agent Atkins qui conduisait le VTT. Ils ont remarqué une odeur d’alcool. L’agent Côté-Lemieux rejoint l’agent Atkins et lui signifie que c’est bien l’appelant qui conduisait le VTT. L’agent Atkins demande à l’appelant s’il a consommé de l’alcool. Il lui répond avoir consommé une bière, mais réitère qu’il ne conduisait pas le VTT.

[12]        Étant donné que les agents Atkins et Côté-Lemieux n’ont pas un ADA en leur possession, l’agent Atkins en demande un sur les ondes radio. Il est 13 h 41. Un agent en patrouille dans un autre secteur lui répond qu’il en a un et qu’il le lui apportera. L’agent Atkins estime que le délai pour obtenir l’ADA aurait été approximativement de 10 minutes, quoiqu’un délai d’une quinzaine de minutes fût aussi envisageable. De son côté, l’agent Côté-Lemieux mentionne que l’ADA aurait été livré « en dedans de 10 minutes, là, je ne peux pas croire qu’il ne serait pas rendu, là, c’est pratiquement impossible ». Pourtant, il n’y était toujours pas 20 minutes plus tard, lorsque la demande d’apporter l’ADA a été annulée en raison des événements qui suivront.

[13]        L’agent Atkins poursuit son témoignage : « Pour ne pas perdre de temps et ayant à ce moment-là les soupçons raisonnables de croire que monsieur Breault a conduit le VTT avec les capacités affaiblies par l’alcool, je lui ordonne de me fournir un échantillon d’haleine à l’aide de l’appareil de détection approuvé », même s’il n’avait pas encore l’appareil en sa possession. Il est toujours 13 h 41. L’agent Atkins explique à l’appelant les conséquences d’un refus. Celui-ci demande à parler à son avocat, ce que l’agent lui refuse étant donné qu’il n’est pas en état d’arrestation. À compter de 13 h 45, l’appelant refuse à trois reprises de fournir un échantillon d’haleine à l’aide d’un ADA en réitérant, chaque fois, qu’il ne conduisait pas le VTT. Le dernier refus a lieu à 13 h 53, toujours avant l’arrivée de l’ADA.

[14]        L’appelant est, en conséquence, mis en état d’arrestation pour avoir refusé de fournir un échantillon d’haleine.

[15]        Vers 14 h, les policiers annulent la demande d’ADA en raison du refus : « j’ai mentionné sur les ondes d’annuler l’appareil de détection approuvé, que ce n’était pas nécessaire puisque monsieur n’était pas enclin à souffler. Donc, l’appareil n’est jamais arrivé sur les lieux », témoigne le policier Atkins. L’appelant est ensuite libéré après avoir remis les clés du VTT aux policiers.

[16]        En somme, l’appelant a refusé de fournir un échantillon d’haleine à l’aide d’un appareil qui n’était pas en possession des policiers et qui ne l’a jamais été.

[17]        Voici le texte de l’accusation dont il a été reconnu coupable :

Le ou vers le 2 avril 2017, à Québec, district de Québec, a fait défaut d’obtempérer à un ordre que lui avait donné un agent de la paix aux termes de l’article 254 (2) du Code criminel, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire prévue aux articles 254 (5) et 255 (1) du Code criminel.

[18]        Il est nécessaire de rappeler la disposition qui, à l’époque, permettait aux policiers de donner l’ordre de fournir « immédiatement » un échantillon d’haleine à l’aide d’un ADA :

Contrôle pour vérifier la présence d’alcool ou de drogue

254(2) L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a dans son organisme de l’alcool ou de la drogue et que, dans les trois heures précé­dentes, elle a conduit un véhicule — véhicule à moteur, bateau, aéronef ou matériel ferroviaire — ou en a eu la garde ou le contrôle ou que, s’agissant d’un aéronef ou de matériel ferroviaire, elle a aidé à le conduire, le véhicule ayant été en mouvement ou non, peut lui ordonner de se soumettre aux mesures prévues à l’alinéa a), dans le cas où il soupçonne la présence de drogue, ou aux mesures prévues à l’un ou l’autre des alinéas a) et b), ou aux deux, dans le cas où il soupçonne la présence d’alcool, et, au besoin, de le suivre à cette fin :

[…]

b) fournir immédiatement l’échantillon d’haleine que celui-ci estime nécessaire à la réalisation d’une analyse convenable à l’aide d’un appareil de détection approuvé.

Testing for presence of alcohol or a drug

254(2) If a peace officer has reasonable grounds to suspect that a person has alcohol or a drug in their body and that the person has, within the preceding three hours, operated a motor vehicle or vessel, operated or assisted in the operation of an aircraft or railway equipment or had the care or control of a motor vehicle, a vessel, an aircraft or railway equipment, whether it was in motion or not, the peace officer may, by demand, require the person to comply with paragraph (a), in the case of a drug, or with either or both of paragraphs (a) and (b), in the case of alcohol:

 

 

 

 

 

[…]

(b) to provide forthwith a sample of breath that, in the peace officer’s opinion, will enable a proper analysis to be made by means of an approved screening device and, if necessary, to accompany the peace officer for that purpose.

 

Omission ou refus d’obtempérer

 

(5) Commet une infraction quiconque, sans excuse raisonnable, omet ou refuse d’obtempérer à un ordre donné en vertu du présent article.

Failure or refusal to comply with demand

(5) Everyone commits an offence who, without reasonable excuse, fails or refuses to comply with a demand made under this section.

[19]        L’appelant a remis en question la validité de la sommation, en l’absence d’un ADA, et a contesté le caractère immédiat de cet ordre vu le délai d’attente avant l’arrivée de l’appareil.

[20]        En citant Petit c. R., 2005 QCCA 687, et R. c. Piazza, 2018 QCCA 948, le juge de la Cour municipale retient qu’un délai d’attente pouvant aller jusqu’à 15 minutes peut être jugé valide, selon les circonstances. En l’espèce, il conclut que le délai de 4 minutes entre l’acquisition des soupçons (13 h 41) et la première sommation (13 h 45) respecte l’exigence d’immédiateté de l’ordre. En ce qui a trait à sa validité en l’absence d’un ADA, le juge se réfère à R. v. Degiorgio, 2011 ONCA 527, pour affirmer que « [l]a validité de l’ordre ne dépend aucunement de la présence d’un ADA sur place au moment où la demande est faite par l’agent de la paix ». Il ajoute que « l’absence d’ADA sur place constitue un prétexte, au procès, pour tenter de justifier son refus immédiat. Sur les lieux, le défendeur n’a jamais manifesté le désir de se soumettre à la demande de l’agent de la paix dès que l’ADA serait disponible ».

[21]        Avant de rejeter l’appel, le juge de la Cour supérieure note, de son côté, que le juge de la Cour municipale a rendu un jugement fondé sur le droit applicable et que « ce présent appel est uniquement un passage nécessaire pour se rendre à la Cour d’appel » dans un processus de contestation de l’arrêt Petit et, par ricochet, de l’arrêt Piazza, qui l’a appliqué dans des circonstances que j’expliquerai ci-après.

Les arguments

[22]        Voici comment l’appelant formule la question que la Cour doit trancher :

Un ordre donné par un policier de fournir immédiatement les échantillons d’haleine est-il conforme si le policier n’est pas en possession d’un appareil de détection approuvé? Est-ce que le fait qu’on puisse lui apporter un tel appareil dans un délai de 10 à 15 minutes rend l’ordre conforme?

[23]        L’appelant est d’avis qu’un ADA devrait être disponible en tout temps, comme « les menottes, le bâton télescopique, le poivre de Cayenne et l’arme de service », puisqu’il est nécessaire à l’accomplissement des tâches quotidiennes des policiers. Il ajoute qu’il partage l’opinion du juge Vauclair lorsqu’il écrit, au paragr. 37 de l’arrêt Piazza, que la détention préalable à l’utilisation d’un ADA « est nécessairement de courte durée » vu qu’elle suspend l’exercice du droit à l’avocat. L’appelant manifeste aussi son accord avec mon collègue lorsque celui-ci remet en cause le principe retenu dans l’arrêt Petit, selon lequel « un délai court et inévitable de 15 minutes peut se justifier » : paragr. 19. Je souligne que, dans Piazza, la Cour et mon collègue se sont ralliés à Petit uniquement en raison de la règle du stare decisis, laissant à une formation composée de cinq juges la possibilité de s’en écarter. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le présent appel a été entendu par une formation de cinq juges, à la suite d’une demande de l’appelant en ce sens, demande accueillie par la juge en chef.

[24]        À cet égard, l’appelant préconise un « critère uniforme » pour l’interprétation du terme « immédiatement », qui doit signifier « sur-le-champ », alors que Petit retient, erronément, un délai basé sur une justification elle-même fondée sur une simple commodité administrative en permettant un délai théorique de 10 minutes, ce qui sous-estime l’importance de la suspension du droit à l’avocat entre-temps.

[25]        En somme, comme dans Piazza, l’appelant plaide qu’on ne peut « accorder au mot immédiatement une durée supérieure à ce qui est nécessaire pour obtenir un test fiable si les faits indiquent au policier qu’il doit attendre afin d’éviter une mauvaise lecture de l’ADA ». Ce délai pourrait donc, selon les circonstances, être plus long ou plus court que la période théorique de 10 ou 15 minutes retenue dans Petit (en réalité, dans Petit, le délai était de 10 minutes, mais la Cour retient aussi le délai de 15 minutes évoqué dans R. c. Bernshaw, [1995] 1 R.C.S. 254).

[26]        L’intimée est d’avis que la question telle que formulée par l’appelant est purement théorique puisque l’infraction a été commise avant l’arrivée de l’ADA, dès le refus, et que l’ordre était valide. Elle rappelle que le paragr. 254(2) ne crée pas l’infraction et que c’est plutôt le paragr. 254(5) qui le fait. Elle s’appuie sur l’arrêt Degiorgio, cité par le juge de la Cour municipale, pour soutenir que la période couverte par la nécessaire « immédiateté » est celle durant laquelle la personne est tenue de se conformer à l’ordre. Un refus catégorique « cristalliserait » l’infraction dès le moment où il est exprimé, de sorte que les événements ultérieurs ne permettraient pas d’échapper à la responsabilité criminelle.

[27]        Elle ajoute que ce n’est pas le nombre de minutes qui importe, mais que le test « soit administré dès qu’il est raisonnablement possible de le faire compte tenu des circonstances ».

[28]        Pour sa part, l’intervenant concentre ses arguments sur la norme d’intervention pour renverser un précédent, en l’occurrence l’arrêt Petit. De son point de vue, les faits sont suffisamment similaires à ceux de Petit pour que la Cour puisse l’appliquer sans distinction. Il ajoute que l’arrêt Petit n’a pas été rendu par négligence, n’est pas clairement erroné, qu’il n’existe pas de conflit jurisprudentiel au sein de la Cour et qu’aucune circonstance impérieuse ne milite pour le renversement de l’arrêt ou des principes qu’il retient.

[29]        Il avance également que la disposition n’exige pas que l’agent de la paix soit en possession d’un ADA pour que l’ordre soit valide.

L’analyse

L’ordre et sa validité

[30]        Il va de soi qu’un ordre invalide ou illégal ne peut entraîner la responsabilité pénale en cas de refus : R. c. Grant, [1991] 3 R.C.S. 139, aux pages 149 et 150. L’intimée a raison de rappeler que l’infraction n’est pas prévue au paragr. 254(2) C.cr., mais bien au paragr. 254(5). Il reste toutefois que l’ordre doit être valide au sens du paragr. (2) pour que le refus du paragr. (5) puisse entraîner la responsabilité pénale. Cela est d’ailleurs souligné par le juge en chef Lamer dans Grant. Même si la numérotation des articles du Code criminel était différente à l’époque de cet arrêt, le libellé était similaire et, comme l’écrit le juge en chef, à la page 149 :

Le point crucial en l’espèce est qu’à moins que l’ordre donné par un policier soit conforme au par. 238(2), la personne à qui il est donné n’est pas tenue d’y obtempérer et elle ne commet pas l’infraction prévue au par. 238(5) si elle refuse.

[31]        Dans cette affaire, le policier avait ordonné au conducteur de passer un test de détection à l’aide d’un ADA qu’il n’avait toutefois pas en sa possession. Un policier muni de l’appareil arriva finalement après un délai d’une trentaine de minutes. M. Grant avait refusé d’obtempérer et fut accusé en conséquence. Le juge Lamer ajoute, à la page 150 :

À mon avis, les gestes du policier en l’espèce ne se situent pas dans le contexte du par. 238(2). L’ordre donné n’était pas celui qui est autorisé par le par. 238(2), savoir que M. Grant fournisse "immédiatement" un échantillon d’haleine. Le policier lui a plutôt demandé de fournir un échantillon d’haleine lorsqu’il aurait reçu le dispositif en question, en l’occurrence une demi-heure plus tard. Il s’ensuit que M. Grant n’était pas tenu d’obtempérer à l’ordre du policier et qu’il n’a pas commis l’infraction prévue au par. 238(5) en ne le faisant pas. Rien dans le contexte du par. 238(2) ne permet d’attribuer au mot "immédiatement" un sens différent de celui que lui donne habituellement le dictionnaire, soit que l’échantillon d’haleine doit être fourni tout de suite. Sans analyser plus à fond le nombre exact de minutes qui peuvent s’écouler pour que l’on puisse considérer que l’échantillon d’haleine n’a pas été fourni "immédiatement", je ferais tout simplement observer que, dans le cas où, comme en l’espèce, le policier qui donne l’ordre n’a pas d’alcootest (A.L.E.R.T.) en sa possession et où le dispositif en question n’arrive qu’une demi-heure plus tard, l’ordre donné ne respecte pas les dispositions du par. 238(2).

[Je souligne]

[32]        Voilà qui constitue une bonne indication de la marche à suivre et il devient donc primordial de déterminer si l’ordre donné par l’agent Atkins respectait les exigences de la loi pour déterminer si l’appelant était coupable en refusant de s’y soumettre.

[33]        L’arrêt Piazza, sur lequel s’appuie l’argumentation de l’appelant, ne permet pas de répondre entièrement, étant donné le contexte de cet arrêt et la question qui était en cause. Comme le précise mon collègue le juge Vauclair dans cette affaire, au paragr. 6, la question était celle- ci : « Le conducteur d’un véhicule intercepté a-t-il le droit, si le temps d’attente le permet, de communiquer avec un avocat avant de fournir des échantillons d’haleine dans un appareil de détection approuvé (ci-après « ADA »)? S’il y a une violation, le juge de la Cour supérieure a-t-il erré en ne traitant pas du paragr. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, […] ». Autrement dit, le litige ne portait pas directement sur la légalité de l’ordre en fonction du délai, mais bien sur le droit du détenu de communiquer avec son avocat à la suite d’un tel ordre et la possibilité d’exclure la preuve en cas de violation de ce droit.

[34]        Cela ne signifie toutefois pas que cet arrêt n’est pas utile. Au contraire, en ces matières, les jugements portant sur le droit à l’avocat pendant le délai, sur la légalité de l’ordre, sur le concept d’« immédiateté », sur l’exclusion de la preuve et sur les raisons d’un refus portent sur des principes qui se chevauchent et les propos qui sont tenus par mon collègue dans Piazza nous sont d’une grande utilité, au moins indirectement, en raison notamment de ce qu’il ajoute au paragr. 7 : « Ces deux questions, soulevées par l’appelante, interpellent de façon plus générale la légalité de l’ordre de fournir cet échantillon lorsque l’État ne peut offrir au conducteur les moyens de s’y soumettre immédiatement. S’il n’est pas possible de répondre immédiatement, l’ordre demeure-t-il légal et le refus peut-il être générateur d’infraction? ».

[35]        Après avoir fait une revue exhaustive de la jurisprudence, mon collègue résume admirablement la situation :

[84]      En somme, je retiens de la jurisprudence de la Cour suprême que, malgré les occasions, cette dernière a refusé d’accorder au mot immédiatement une durée supérieure à ce qui est nécessaire pour obtenir un test fiable si les faits indiquent au policier qu’il doit attendre afin d’éviter une mauvaise lecture de l’ADA. Cette interprétation est justifiée parce qu’elle repose sur le libellé même du paragraphe 254(2) C.cr. Je note au passage que ce délai peut parfois être plus long, comme dans l’arrêt R. v. Anderson, 2014 SKCA 32 où, semble-t-il, un délai de 16 minutes était raisonnable pour que l’ADA se « réchauffe » et devienne opérationnel.

[85]      La Cour suprême a rejeté l’idée qu’un autre type de délai d’attente soit acceptable comme un délai théorique de 15 minutes ou un bref délai pour mettre la personne interpellée en présence de l’ADA. Je suis d’accord avec cet aspect de l’arrêt R. c. George : par. 47-50.

[36]        Il n’est pas nécessaire de reprendre tout l’exercice fait par mon collègue. Il synthétise parfaitement l’état du droit dans ces deux paragraphes, à tout le moins en ce qui concerne la Cour suprême. Je me permets néanmoins de reprendre un extrait de R. c. Woods, 2005 CSC 42, [2005] 2 R.C.S. 205, qui me semble particulièrement évocateur. Le juge Fish écrit :

43        Il est vrai, comme je l’ai déjà mentionné, que dans le contexte du par. 254(2) du Code criminel, le mot « immédiatement » peut, dans des circonstances inhabituelles, recevoir une interprétation plus souple que celle que son sens ordinaire semble strictement lui réserver. Par exemple, un délai court et inévitable de 15 minutes peut ainsi se justifier si cela est conforme aux exigences d’utilisation de l’appareil : voir Bernshaw.

[Je souligne]

[37]        Le juge Fish retient le sens ordinaire du mot « immédiatement », soit « tout de suite », comme le faisait R. c. Grant, cité au paragr. 33 de Woods. On le voit bien : l’utilisation du terme « immédiatement » par le législateur n’est pas anodin et devrait être compris dans son sens ordinaire, sauf circonstances « inhabituelles », comme une exigence du fabricant ou encore des circonstances particulières qui permettraient au policier de conclure raisonnablement qu’un court délai s’impose pour s’assurer que le résultat du test soit fiable, que l’analyse soit « convenable », comme le prévoit l’alinéa 254(2)b) C.cr.

[38]        Sur ce dernier point, le texte même de la disposition permet de croire que le législateur envisageait cette possibilité puisque, je le répète, l’ordre consiste à obtenir l’échantillon d’haleine « nécessaire à la réalisation d’une analyse convenable / that (…) will enable a proper analysis to be made ». En d’autres termes, la sommation cherche à obtenir l’échantillon d’haleine pouvant mener à une « analyse convenable / proper analysis », ce qui pourrait justifier un court délai d’attente si le policier était témoin d’une circonstance pouvant remettre en question la valeur du test.

[39]        En somme, le mot « immédiatement » a un sens bien connu, qui ne peut être mis de côté dans un but de commodité administrative, mais qui peut l’être, pour une courte période, lorsqu’il est question de la valeur du test (vu le texte de la loi) ou lorsque ce court délai ne met en cause que l’opération de l’appareil (comme dans R. v. Anderson, 2014 SKCA 32) ou lorsqu’il est causé par une quelconque défectuosité. Si une telle défectuosité ne peut être prévue, elle entrerait dans le champ des circonstances inhabituelles évoquées dans les arrêts Woods et Bernshaw. En d’autres termes, on ne devrait pas pouvoir conclure que, devant un appareil qui s’avère défectueux, il n’y aurait rien à faire et que le conducteur doit être tout simplement libéré s’il ne manifeste pas d’autres symptômes. Peut-être devrait-on alors donner accès à un avocat, mais c’est une autre question.

[40]        Bref, des circonstances inhabituelles directement reliées à l’opération de l’appareil ou à la fiabilité du résultat peuvent justifier un court délai, mais la simple nécessité d’attendre l’arrivée d’un ADA ne doit pas être considérée comme une telle circonstance.

[41]        Dans Woods, le juge Fish entérine l’opinion de la juge Arbour, alors à la Cour d’appel de l’Ontario, qui rappelle le lien nécessaire entre le concept d’« immédiateté » et le droit à l’assistance d’un avocat :

34           Dans R. c. Cote (1992), 70 C.C.C. (3d) 280 (C.A. Ont.), l’agent de police n’avait pas non plus d’appareil de détection dans sa voiture. Il a emmené en voiture l’accusé à un poste de police à neuf minutes de là et n’a pu procéder au prélèvement de l’échantillon d’haleine que cinq minutes après leur arrivée. L’accusé a refusé d’obtempérer à l’ordre de l’agent et a été inculpé en vertu du par. 238(5) (maintenant le par. 254(5)) du Code criminel. La Cour d’appel de l’Ontario a annulé la déclaration de culpabilité et l’a remplacée par un acquittement.

35           S’exprimant au nom de la cour, la juge Arbour (plus tard juge à la Cour suprême du Canada) a cité le passage de l’arrêt Grant que j’ai reproduit et a expliqué :

 [TRADUCTION]  Si l’accusé doit être emmené à un détachement, où il est plus facile, que sur le bord de la route, de donner suite à sa demande de communiquer avec un avocat, une bonne partie de la justification donnée dans Thomsen tombe. Autrement dit, si l’agent de police n’est pas en mesure d’ordonner à l’accusé de fournir un échantillon d’haleine avant que celui-ci ait, de façon réaliste, la possibilité de consulter un avocat, l’ordre de l’agent n’est pas un ordre fait en vertu du par. 238(2).  Il ne s’agit pas strictement de calculer le nombre de minutes comprises dans le mot « immédiatement ».  En l’espèce, l’agent était prêt à prélever un échantillon d’haleine en moins de la moitié du temps qu’il a fallu à l’agent dans Grant. Toutefois, vu les circonstances, en particulier l’attente au détachement, je conclus que l’ordre n’a pas été donné au sens du par. 238(2).  Comme l’ordre n’est pas conforme au par. 238(2), l’Appelant n’était pas tenu d’obtempérer et son refus ne constitue pas une infraction.  [Je souligne; p. 285.]

36           C’est pour ces raisons qu’il nous est constitutionnellement interdit d’élargir le sens de « immédiatement » au par. 254(2) de manière à englober le retard survenu en l’espèce.

[42]        Pour que l’ordre soit valide, il faut donc que le policier soit en mesure d’ordonner à l’accusé de fournir immédiatement un échantillon d’haleine, avant même d’avoir le temps, de manière réaliste, de communiquer avec un avocat, ce qui signifie qu’il doit avoir immédiatement accès à un ADA.

[43]        À cet égard, je note que, en citant les propos suivants de Bernshaw ([1995] 1 R.C.S. 254, p. 294) : « […] En conséquence, le libellé de la disposition appuie l’argument que le terme «immédiatement» doit être interprété avec souplesse », l’intimée omet de mettre cet extrait dans son contexte.

[44]        En effet, dans Bernshaw, les policiers n’avaient pas attendu un certain temps avant de procéder au test, alors que le manuel du fabricant recommandait une période d’attente si le sujet avait récemment pris une consommation, éructé ou régurgité, pour s’assurer que toute trace d’alcool dans la bouche s’était évaporée. Bernshaw leur reprochait de ne pas avoir attendu de la sorte et ajoutait qu’il avait droit à l’avocat entre-temps, ce qui aurait dû mener à l’exclusion de la preuve. C’est donc dans une situation très particulière, où la fiabilité du test pouvait être en jeu, que le juge Sopinka s’exprimait pour la majorité. L’extrait complet, tiré de son opinion, le démontre (p. 294) :

En conséquence, il appert que les tribunaux sont disposés à donner une interprétation large au terme «immédiatement» comme notre Cour l’a reconnu dans l’arrêt Grant.  À mon avis, cette interprétation est appropriée compte tenu du libellé et du contexte du texte législatif.  Voici à cet égard le passage pertinent du par. 254(2) du Code:

L’agent de la paix […] peut lui ordonner de lui fournir, immédiatement, l’échantillon d’haleine qu’il estime nécessaire pour l’analyser à l’aide d’un appareil de détection approuvé et de le suivre, si nécessaire, pour permettre de prélever cet échantillon. [Je souligne.]

Cette disposition prévoit expressément qu’un policier a le droit d’ordonner à une personne de lui fournir l’échantillon d’haleine nécessaire à l’analyse. Dans le cas où le policier sait qu’un suspect a récemment consommé de l’alcool, il doit attendre au moins 15 minutes avant de prélever un échantillon valable. En conséquence, le libellé de la disposition appuie l’argument que le terme «immédiatement» doit être interprété avec souplesse.

[45]        En somme, l’extrait cité par l’intimée ne signifie pas que le mot « immédiatement » doit être interprété avec souplesse dans tous les cas. Le juge Sopinka s’exprimait dans le contexte précis où le caractère valable de l’échantillon aux fins d’analyse était en cause.

[46]        À mon avis, en tenant compte de la jurisprudence de la Cour suprême, un délai ne peut être justifié par une raison de commodité administrative, une raison pratique. La nécessité d’accorder un délai pour faire livrer un ADA sur les lieux de l’arrestation parce que les policiers ne l’ont pas en leur possession constitue une telle raison pratique injustifiée. Comme un tel délai n’est pas suffisamment court pour que l’on puisse affirmer que le conducteur ne pourrait, entre-temps, communiquer avec son avocat, l’exigence d’immédiateté, qui est intimement liée à ce droit, n’est pas respectée.

Le caractère immédiat et obligatoire de la réponse

[47]        La jurisprudence insiste sur le caractère immédiat de l’ordre (l’exigence d’immédiateté de l’ordre est implicite en raison du texte de la disposition : Woods, paragr. 14). On fait moins de cas toutefois de l’exigence d’immédiateté de la réponse du conducteur, exigence explicite, selon le texte même de la disposition. En effet, celle-ci énonce que l’ordre vise à « fournir immédiatement l’échantillon d’haleine / to provide forthwith a sample of breath ». Ainsi, non seulement l’ordre doit-il être donné immédiatement; encore faut-il que le conducteur fournisse un échantillon d’haleine immédiatement après avoir reçu l’ordre (c’est-à-dire « l’obéissance immédiate », selon les mots du juge Fish dans Woods, paragr. 44).

[48]        Cette exigence a son importance dans le présent dossier.

[49]        Pour obtempérer à l’ordre, l’appelant devait fournir immédiatement un échantillon d’haleine. Comment pouvait-il le faire en l’absence d’un ADA? Cela était évidemment impossible. Comment pouvait-il commettre une infraction en refusant de faire quelque chose qu’il ne pouvait pas faire? C’était tout aussi impossible.

[50]        Si le conducteur a l’obligation de fournir immédiatement un échantillon d’haleine, il me semble que le corollaire est qu’il doit être en mesure de le faire, sinon on ne peut lui imputer une responsabilité criminelle. Or, comment peut-il être en mesure de le faire si l’ADA n’est pas sur les lieux au moment de l’ordre?

[51]        Par ailleurs, il me paraît illogique de conditionner la légalité de l’ordre au délai qu’il faudra pour que l’ADA parvienne à destination. Au moment de décider s’il fournira ou non un échantillon d’haleine, le conducteur doit être en mesure de savoir si l’ordre est valide, ce qui ne sera possible que plus tard, au moment où l’ADA arrivera. Une imprécision à ce sujet est incompatible avec la perpétration d’une infraction criminelle, qui requiert ici la connaissance de la validité de l’ordre au moment du refus. En d’autres mots, le refus entraînerait la culpabilité si l’appareil arrivait durant un délai prédéterminé, théorique, acceptable, alors qu’il en serait autrement si l’appareil arrivait plus tard. Une telle incertitude est intolérable. C’est pourtant le résultat auquel nous mène l’arrêt Petit, même s’il ne s’agissait pas d’une accusation de refus.

[52]        Comme le souligne mon collègue Vauclair dans Piazza :

[110]    Autoriser un délai pour que l’appareil soit apporté sur les lieux ne permet pas non plus de déterminer à partir de quel moment l’ordre n’est plus conforme et ne respecte plus le caractère d’immédiateté; est-ce 2 minutes, 5 ou 10, pourquoi pas 30 secondes de plus ou même 11 minutes? Est-ce que plus de 15 minutes sont acceptables? Existe-t-il un délai maximum? Pourquoi? Conceptuellement, quelle différence y a-t-il entre les 30 minutes refusées dans l’arrêt Grant, le délai de 15 minutes refusé dans l’arrêt Bernshaw et le 10 minutes de l’arrêt Petit? Toutes ces questions ne trouvent aucune réponse suffisamment rationnelle pour se rattacher au texte de loi qui suspend le droit constitutionnel en cause.

[53]        Je partage totalement son opinion et ses préoccupations. On peut difficilement quantifier le délai acceptable de manière théorique, surtout lorsque la réponse met en jeu un droit constitutionnel comme celui du droit à l’avocat.

[54]        Et que devrait-on conclure si l’appareil n’arrivait jamais sur les lieux parce que les policiers ont annulé la demande vu le refus du conducteur, comme en l’espèce? Il serait impossible de savoir si l’ordre était, aurait été ou aurait même pu être valide, puisqu’on ne saurait jamais si le délai acceptable (par hypothèse, 15 minutes) aurait été respecté. Une telle solution est intenable. D’ailleurs, dans le présent dossier, l’ADA n’avait même pas encore été livré 20 minutes après l’ordre, au moment où les policiers ont annulé la demande. Faudrait-il en conclure que la sommation était invalide, parce que supérieure aux 10 ou 15 minutes de Petit, de sorte que le refus n’entraînait pas la culpabilité? Voilà un exercice qui ne peut être justifié.

[55]        Selon l’intimée, la poursuite n’aurait pas à démontrer que le policier était en mesure de prélever l’échantillon d’haleine avec l’ADA au moment où le conducteur refuse de se soumettre à cet ordre. L’infraction serait dès lors commise. Pourtant, il me semble bien difficile de commettre l’infraction de faire défaut ou d’omettre d’obtempérer à un ordre, si, de fait, l’on ne peut pas y obtempérer, comme c’est le cas lorsque l’ADA n’y est pas. Comment peut-on reprocher à quelqu’un de refuser ou d’omettre d’obtempérer, alors qu’il n’est même pas en mesure de le faire? Si l’ADA n’arrive pas sur les lieux immédiatement après l’ordre, l’on doit comprendre qu’il n’existait pas de possibilité pour le conducteur de s’exécuter immédiatement.

[56]        Pour contrer cet écueil, l’intimée se rabat sur R. v. Degiorgio, 2011 ONCA 527, dans lequel le juge LaForme écrit :

[42]      The conduct criminalized by s. 254(2) consists of a proper s. 254(2) demand and an unequivocal refusal to comply with that demand. The offence is completed when the refusal is given: R. v. Woods, [2005] 2 S.C.R. 205 at paras. 40-42. There is nothing in the language of s. 254(2) that would require the Crown to prove that had the driver not refused to provide the sample, the demanding police officer could have complied with his or her obligation to take the sample “forthwith”. Nor can I understand why, as a matter of criminal law policy, a driver who has unequivocally refused to forthwith provide a breath sample should escape criminal responsibility for that refusal based on events subsequent and totally unrelated to the refusal. How is the culpability of the person who refuses to comply with a demand reduced because, as events may have developed, the officer may not have been able to take the sample forthwith?

[57]        Cette solution a le mérite d’être simple. Par contre, j’éprouve beaucoup de difficultés à suivre ce raisonnement, et ce, pour trois raisons. D’abord, comment conclure de la sorte alors que le texte même de l’ordre du policier était à l’effet contraire : « I demand that you provide a suitable sample of your breath directly into an approved screening device forthwith to enable a proper analysis of your breath to be made and that you accompany me for the purpose of enabling a sample to be taken ». L’ordre était conforme à la loi et exigeait que le conducteur fournisse immédiatement un échantillon d’haleine, pas lorsque l’ADA serait livré. Je me répète, mais je ne vois pas comment la personne visée pourrait fournir immédiatement un échantillon d’haleine sans appareil.

[58]        Ensuite, au paragr. 66 de l’arrêt, la Cour d’appel de l’Ontario souligne que l’appelant évoque justement la situation qui est la nôtre, c’est-à-dire, comment juger de la validité de l’ordre si la demande de livraison de l’appareil est annulée. Or, elle ne répond pas à l’argument, si ce n’est de répéter que l’infraction est déjà consommée, de sorte que ce qui se produit ensuite n’a pas de pertinence. L’absence de réponse me laisse sur mon appétit.

[59]        Enfin, même si elle mentionne que l’appelant invoque R. v. George, 2004 CanLII 6210, 187 C.C.C. (3d) 289 (C.A. Ont.), la Cour d’appel de l’Ontario ne commente pas davantage. Pourtant, dans George, la juge Gillese rappelait ceci :

[28]      It is also accepted that if a roadside demand is made and a sample is not provided “forthwith” because the approved screening device is not readily available, the demand is not valid and does not justify a failure to provide s. 10(b) rights. See R. v. Grant (1991), 67 C.C.C. (3d) 268 (S.C.C.).

[…]

[34]      A conclusion that the demand was not made within s. 254(2) is also consonant with the Supreme Court’s admonition in Grant that a demand that a detainee provide a sample “forthwith” must be a demand that the detainee provide a sample after “a brief period of detention”, if not “immediately”. The demand in the instant case was not to provide a breath sample “forthwith” but to provide a sample when the required apparatus arrived, which was some time later.

[Je souligne]

[60]        Même si cet arrêt a été rendu dans le contexte du droit à l’avocat, cette opinion demeure pertinente. Or, l’arrêt Degiorgio n’en tient pas compte.

[61]        Pour résumer ma pensée, j’évoquerai une hypothèse. Une personne accepte d’obéir à l’ordre avant que l’ADA ne soit sur place. Cette personne patiente avec les policiers jusqu’à ce que l’ADA arrive. S’il n’arrive pas « immédiatement », trop tard (comme les 30 minutes de Grant ou les 10 ou 15 minutes de Petit), cette personne pourrait alors revenir sur sa décision et refuser de fournir un échantillon, sans être déclarée coupable, vu l’invalidité de l’ordre. Pourtant, en suivant la logique de l’arrêt Degiorgio, si cette même personne avait refusé ce même ordre dès le départ, elle pourrait faire face à une accusation de refus, sans même que l’ADA soit livré en temps utile. Je suis incapable de suivre un tel raisonnement selon lequel un même ordre pourrait être à la fois valide et invalide, selon le moment où le conducteur a refusé d’y obéir. Un même ordre est « immédiat » ou il ne l’est pas, et on doit pouvoir y répondre immédiatement ou pas; il doit être valide ou non, peu importe le moment où le conducteur exprime son refus.

[62]        Par ailleurs, l’arrêt R. v. Danychuk, 2004 CanLII 12975, 183 CCC (3d) 337 (C.A. Ont.), également cité par l’intimée, ne soutient pas son argument, même si l’on peut croire que Degiorgio va dans le même sens.

[63]        Dans cette affaire, le policier avait un ADA dans son véhicule. Le seul problème était qu’il ne l’avait pas « réchauffé » (« warmed up ») pour qu’il soit opérationnel avant de donner l’ordre. L’argument portait donc sur la nécessité de mettre en marche l’ADA avant de procéder à la sommation :

[19]      As I read the language of subsection 254(2) and appreciate its context, however, I see nothing in it mandating — either expressly or by implication — that before a demand may be made the approved screening device must be warmed up and tested as operational and the police officer must have explained the process and the consequences of a failure to comply.

[64]        Cette situation n’a par conséquent rien à voir avec la présente affaire.

[65]        L’arrêt Huppé c. R., 2015 QCCA 1680, auquel elle renvoie, ne l’aide pas davantage puisque la légalité de l’ordre n’était pas en cause. L’ADA était en possession du policier et la question était de savoir si le résultat obtenu résultait du comportement de Mme Huppé qui soufflait volontairement de façon « tout à fait inadéquate » dans l’appareil, et donc qu’il s’agissait d’un refus, ou si le résultat découlait plutôt du mauvais fonctionnement de l’appareil. La Cour ne se prononce donc pas sur un scénario où, comme en l’espèce, l’appareil n’est pas en possession du policier.

[66]        Là encore, cette situation n’est en rien pertinente au présent dossier.

Conclusion

[67]        Je suis bien conscient qu’il serait beaucoup plus commode de permettre un délai pour livrer l’appareil, comme dans l’arrêt Petit. Le rôle des tribunaux ne consiste toutefois pas à faciliter la tâche des policiers, ni d’ailleurs à la complexifier. Leur rôle consiste à interpréter et appliquer la loi. Or, le législateur a utilisé le mot « immediately » dans les récents amendements (tout en conservant le mot « immédiatement » en français), malgré toute la jurisprudence de la Cour suprême qui lui donne son sens ordinaire et qui ne permet un délai que pour s’assurer de la valeur du test lorsque des circonstances laissent croire à l’existence d’une préoccupation à cet égard.

[68]        Si le législateur avait voulu s’éloigner de cette interprétation, il aurait pu utiliser des termes que l’on voit dans d’autres dispositions, comme « dès que possible », « dès que raisonnablement possible » (comme l’intimée voudrait que soit interprété le mot « immédiatement »), « sans délai » (comme l’al. 10b) de la Charte, qui signifie à la première occasion raisonnable pour ce qui est de l’accès à l’avocat) ou « dans les meilleurs délais » (comme le nouvel art. 320.28 C.cr.). Il ne l’a pas fait.

[69]        Par ailleurs, les policiers ne sont pas nécessairement sans ressources en l’absence d’un ADA. Ainsi, ils peuvent s’en remettre à des épreuves de coordination (al. 320.27(1)a) C.cr.) ou, encore, recourir plus généralement aux nouvelles dispositions des articles 320.27 et 320.28 C.cr., qui, selon toute vraisemblance, confèrent plus de souplesse à leurs interventions.

[70]        En tenant compte que le droit à l’avocat est suspendu en raison du très court délai avant de fournir un échantillon d’haleine à l’aide d’un ADA (un délai tellement court qu’il n’accorde même pas le temps raisonnable pour communiquer avec un avocat, ce qui explique la suspension de ce droit), le mot « immédiatement » ne peut justifier un délai supérieur au délai nécessaire pour opérer adéquatement l’appareil ou obtenir un test fiable selon les faits constatés par le policier. Il ne permet certainement pas d’accorder un délai supplémentaire dans l’attente de l’appareil, contrairement aux enseignements de l’arrêt Petit qui ne doivent plus être suivis, parce qu’ils vont à l’encontre de ceux de la Cour suprême, en élargissant la portée de la responsabilité pénale au-delà des limites acceptables : R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, p. 1353.

[71]        Bref, l’ordre ici était invalide et le refus qui a suivi ne constituait pas une infraction criminelle, de sorte que je propose donc d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure de même que celui de la Cour municipale de la Ville de Québec, et d’ordonner l’inscription d’un jugement d’acquittement.

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

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