Guitard et Peinture G. & R. Lachance inc. |
2011 QCCLP 2731 |
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[1] Le 27 août 2010, monsieur Gino Guitard (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 24 août 2010.
[2] Par cette décision, la CSST rejette la demande de révision du travailleur, confirme sa décision initiale et déclare que le travailleur est porteur d’une atteinte permanente à son intégrité physique de 15,10 %, ce qui lui donne droit à une indemnité pour dommages corporels de 10 938,59 $.
[3] L’audience s’est tenue à Québec, le 12 avril 2011, en présence du travailleur et de son procureur. Le représentant de Peinture G. & R. Lachance inc. (l’employeur) était présent à l’audience. Cependant, il n’est pas intervenu dans le débat.
[4] La cause a été mise en délibéré le 12 avril 2011.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’annuler la décision rendue et d’ordonner à la CSST de reprendre le processus d’évaluation médicale en obtenant un nouveau rapport d’évaluation médicale ou en référant le dossier au Bureau d’évaluation médicale.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis d’accueillir la contestation.
[7] Ils considèrent que le rapport complémentaire du docteur Lavallée doit être écarté et qu’il y a lieu d’ordonner la reprise du processus d’évaluation médicale en soumettant le dossier au Bureau d’évaluation médicale.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision rendue est bien-fondée.
[9] La CSST prend appui sur le rapport complémentaire du docteur Lavallée, chirurgien orthopédiste traitant, qui se dit en accord avec les conclusions du docteur Beaupré qui a examiné le travailleur, à la demande de la CSST.
[10] Il s’agit de décider si le rapport complémentaire est valide et s’il lie la CSST en vertu de l’article 224 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi).
[11] Selon le rapport médical final produit par le docteur Lavallée, le 18 novembre 2009, la lésion est consolidée avec persistance d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et il prévoit en faire l’évaluation.
[12] Les 1er décembre 2009 et 19 février 2010, le docteur Lavallée énonce certaines limitations fonctionnelles, sans avoir examiné le travailleur aux fins de leur évaluation, afin de répondre aux questions de la CSST qui désire entreprendre l’étude de la capacité du travailleur. Il ne donne aucune indication au sujet de l’atteinte permanente.
[13] Le docteur Lavallée devait procéder à l’évaluation des séquelles le 19 février 2010. L’évaluation n’a pas eu lieu parce que le médecin disait ne pas avoir le temps de le faire et parce que le travailleur n’avait pas le formulaire approprié en mains.
[14] Afin d’accélérer le processus, la CSST a alors demandé au docteur Beaupré de procéder à un examen du travailleur. Ce médecin a rendu un rapport portant entres autres choses sur l’évaluation de l’atteinte permanente et la description des limitations fonctionnelles dont le travailleur est porteur. Les conclusions du docteur Beaupré sur les autres questions sont semblables à celles déjà émises par le docteur Lavallée.
[15] Le docteur Lavallée a produit un rapport complémentaire le 12 mai 2010 après avoir pris connaissance du rapport du docteur Beaupré, sans avoir jamais examiné le travailleur à cette fin ni avoir discuté avec lui.
[16] Il déclare être en accord avec l’opinion du docteur Beaupré, mais il ne donne aucun motif pour étayer son opinion. Notons que son dernier examen du travailleur remonte au 18 novembre 2009, au moment de la production du rapport final.
[17] Qui plus est, le rapport complémentaire du docteur Lavallée entre en contradiction avec son propre rapport du 1er décembre 2009 au sujet de la description des limitations fonctionnelles qui résultent de la lésion professionnelle. Notons qu’aucun changement n’est pourtant rapporté dans la condition du travailleur.
[18] Les articles 204, 205.1 et 224 de la loi prévoient ce qui suit :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé.
Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .
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1997, c. 27, a. 3.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[Nos soulignements]
[19] Bien que la jurisprudence du tribunal reconnaisse que le médecin qui a charge du travailleur est parfaitement libre de modifier son opinion professionnelle et d’accepter les conclusions du médecin désigné par la CSST ou par l’employeur[1], il reste que, lorsque comme en l’espèce, le médecin contredit ses propres conclusions antérieures, il doit motiver son retournement d’opinion, ce qu’il n’a pas fait à l’égard de la description des limitations fonctionnelles[2].
[20] La nécessité pour le médecin qui a charge d’étayer ses nouvelles conclusions se justifie par le fait qu’elles sont lourdes de conséquence, puisque le travailleur ne peut les contester.
[21] L’article 358 de la loi prévoit en effet ce qui suit :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision
du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[Nos soulignements]
[22] La jurisprudence exige donc que le rapport du médecin qui a charge doit être clair, qu’il ne présente pas d’ambiguïté et qu’il ne porte pas à interprétation[3]. La soussignée partage ce point de vue maintenant bien établi. La nécessité de protéger l’intégrité et la liberté de jugement du médecin qui a charge est soulignée par le tribunal dans l’affaire Multi-Marques inc. et Massé[4].
[23] L’exigence développée par la jurisprudence permet de s’assurer que le médecin qui a charge a modifié son opinion en toute connaissance de cause, en considérant toutes les données pertinentes et après avoir sérieusement réfléchi à la question. Son jugement professionnel doit être exercé de manière responsable.
[24] Dans le présent cas, il est tout à fait raisonnable de croire que les examens réalisés par le docteur Lavallée jusqu’à la consolidation de la lésion étaient orientés vers le traitement de la lésion. Jusqu’à ce moment, il n’était en effet d’aucune utilité pour le travailleur ou le médecin de connaître même sommairement l’ampleur de l’atteinte permanente et la description précise des limitations fonctionnelles.
[25] L’évaluation de l’atteinte permanente et la description des limitations fonctionnelles impliquent une revue détaillée de l’histoire, un examen complet et une certaine appréciation de la fonction. Ce genre d’examen n’est pas réalisé dans le cadre de la pratique médicale courante.
[26] Faute du moindre examen spécifiquement orienté vers la question, le tribunal ne voit pas comment le docteur Lavallée pouvait émettre une opinion éclairée sur le quantum de l’atteinte permanente et sur la description des limitations permanentes dont le travailleur en particulier est porteur. Il semble qu’il ait choisi de s’en remettre à l’évaluation faite par le docteur Beaupré.
[27] La Commission des lésions professionnelles considère que le docteur Lavallée n’a pas exercé de manière responsable le rôle très important qui est conféré au médecin qui a charge par la loi. Il serait injuste que le travailleur soit empêché de contester son opinion.
[28] La Commission des lésions professionnelles conclut que le rapport complémentaire du 12 mai 2010 ne lie pas la CSST. Le remède à apporter peut être celui prévu à l’article 221 de la loi :
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
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1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
[29] Dans le meilleur intérêt de la justice, il convient de référer le dossier au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce sur la question de la description de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, plutôt que d’ordonner au docteur Lavallée de produire un rapport d’évaluation médicale après avoir examiné le travailleur ou encore de permettre au travailleur de choisir un autre médecin pour le faire.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation de monsieur Gino Guitard, le travailleur;
ANNULE la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 24 août 2010;
DÉCLARE nul le rapport complémentaire signé le 12 mai 2010;
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce sur la description de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles qui résultent de la lésion professionnelle subie le 22 juin 2009 par monsieur Gino Guitard.
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Guylaine Tardif |
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Me Jérôme Carrier |
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Procureur de la partie requérante |
[1] Cheaumont et Ferme Bernex inc., 2010 QCCLP 2749 ; Lachance et Québecor World St-Romuald, C.L.P. 281998-31-0602, 26 février 2007, G. Tardif; Paquet et Aménagements forestiers L.F., C.L.P. 246976-08-0410, 6 juillet 2005, J.-F. Clément.
[2] Sifomios et Circul - Aire inc., 2007, QCCLP 4440; Les aliments O Sole Mio inc. et Abu-Eid, 2007 QCCLP 4317 ; Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault et C.S.S.T., C.L.P. 276152-09-0511, 31 mars 2006, R. Arsenau; Ouellet et Métallurgie Noranda inc., C.L.P. 190453-08-0209, 9 septembre 2003, M. Lamarre.
[3] Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault et C.S.S.T., précitée note 2; Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, C.L.P. 247398-71-0411, 24 février 2006, C. Racine, révision rejetée [2007] CLP 508 , requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-17-038220-0778, 7 octobre 2008, j. Marcelin.
[4] C.L.P. 296035-61-0608, 1er mars 2007, G. Morin.
AVIS :
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