Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
CANADA

Chambre de la sécurité financière c. Lamarche

2020 QCCDCSF 62

 

comité de discipline

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

canada

province de québec

 

 

 

N°:

CD00-1313

DATE :

1er décembre 2020

le comité :

Me Claude Mageau

M. Marc Binette, Pl. Fin.

M. Stéphane Prévost, A.V.C.

Président

Membre

Membre

 

 

MARC-AURÈLE RACICOT, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

c.

PIERRE LAMARCHE, conseiller en sécurité financière et conseiller en assurances et rentes collectives (certificat numéro 118676)

 

Partie intimée

décision sur culpabilité

conformément à l’article 142 du code des professions, le comité a prononcé l’ordonnance suivante :

Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et des prénoms des consommateurs concernés ainsi que de toute information permettant de les identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas aux échanges d’information prévus à la Loi sur l’encadrement du secteur financier (RLRQ, c. E-6.1) et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2).

[1]       Les 2 et 3 octobre 2018, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « comité ») s’est réuni au siège social de la Chambre situé au 2000, avenue McGill College, 12e étage, à Montréal, pour procéder à l’audition de la plainte disciplinaire ainsi libellée portée contre l’intimé le 4 avril 2018 :

la plainte

1.         À Château-Richer, le ou vers le 3 juin 2007, l’intimé a fait défaut de connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement de A. et B., contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

 

2.         À Château-Richer, le ou vers le 3 juin 2007, l’intimé a recommandé et effectué des placements dans des contrats de fonds distincts qui ne correspondaient pas à la situation personnelle et financière de A. et B., notamment en ne s’assurant pas que les placements proposés étaient des placements présumés sûrs au sens de l’article 1339 du Code civil du Québec et/ou respectaient les obligations de I.S. en tant qu’administrateur du bien d’autrui, contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 12 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

 

3.         À Gatineau, entre les ou vers les 5 novembre 2007 et 31 mars 2009, à environ douze (12) reprises, l’intimé a effectué des transferts interfonds sans obtenir l’autorisation de I.S., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3) ;

 

F.S.

 

4.         À Gatineau, les ou vers les 29 septembre et 18 octobre 2010, l’intimé a signé, à titre de témoin, une « Lettre d’autorisation limitée » ainsi qu’un formulaire « Demandes de rachat, transferts interfonds et versements périodiques » hors la présence de F.S., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

[2]       Le plaignant était représenté par Me Julie Piché et l’intimé était représenté par Me Maurice Charbonneau.
[3]       Avant la fin de l’instruction, le comité avait réclamé les notes sténographiques des témoignages, lesquelles lui sont parvenues le 25 février 2019, date du début du délibéré du présent dossier.
PREUVE DES PARTIES
[4]       Le plaignant a fait entendre trois témoins, à savoir l’enquêteur, M. Sébastien Lévesque, I.S. et F.S., respectivement nièce et neveu de l’intimé et consommateurs dans le présent dossier.
[5]        De plus, le plaignant a produit une série de pièces identifiées P-1 à P-14.
[6]       L’intimé a été le seul témoin entendu en défense et a produit les pièces identifiées I-1 à I-12.
[7]       La trame factuelle du présent dossier est plutôt simple et peut se résumer à ce qui suit.
[8]       I.S. a été la conjointe de M.R. pendant sept ans, avec qui elle a eu deux enfants, un garçon A et une fille B.
[9]       Le 2 avril 2007, M.R. décède subitement suite à un accident d’auto.
[10]    I.S. a alors 26 ans, son garçon A est âgé de cinq ans et sa fille B est âgée d’un an.
[11]    Suite au décès de M.R., I.S. et ses deux enfants reçoivent alors des indemnités de la Société de l’assurance automobile du Québec (« SAAQ »), soit un montant de 40 000 $ pour son garçon A, 47 000 $ pour sa fille B, et plus de 80 000 $ pour I.S. personnellement.
[12]    I.S. qui n’a pratiquement aucune connaissance en matière de placement s’adresse alors à sa mère pour déterminer comment investir les indemnités reçues.
[13]     Après discussion avec celle-ci, il est entendu qu’I.S. ferait affaires avec l’intimé.
[14]    L’intimé agit déjà comme conseiller en sécurité financière pour la mère d’I.S.
[15]    Afin de discuter de l’investissement desdites indemnités, l’intimé rencontre I.S. et sa mère au domicile de celle-ci, qui demeure comme I.S. dans la région de Québec.
[16]    La rencontre entre l’intimé, I.S. et sa mère dure environ une heure et demie.
[17]    L’intimé prépare alors une analyse de besoins financiers[1] de même que des profils d’investisseur pour I.S.[2] et sa fille B[3].
[18]    Lors de cette rencontre, l’intimé suggère à I.S. que les sommes reçues par ses deux enfants soient investies dans des contrats de fonds distincts « Ecoflex » avec Industrielle Alliance (« I.A. »).
[19]    À cet effet, au nom de ses enfants, I.S. souscrit des propositions de placement dans un contrat de fonds distincts pour son garçon A au montant de 40 000 $[4], et pour sa fille B pour la somme de 49 800 $[5].
[20]    I.S., quant à elle, souscrit aussi une proposition pour un placement dans un tel contrat de fonds distincts pour la somme de 58 000 $.
[21]    Malheureusement, sur une période d’environ 18 mois, soit de juin 2007 à novembre 2008, I.S. a presque retiré entièrement le montant de 58 000 $ qu’elle avait investi dans le contrat de fonds distincts « Ecoflex »[6].
[22]    De plus, du mois de mai 2008 au mois d’octobre 2009, alors qu’elle n’avait pas d’emploi, elle aurait retiré la somme de 22 728 $ des deux comptes des enfants pour subvenir à ses besoins et aux leurs.
[23]    Aussi, suite à une intervention du Curateur public, une assemblée de parents fut tenue et un conseil de tutelle fut nommé le 31 mars 2009 par la Cour supérieure du Québec pour les deux enfants[7].
[24]    La mère d’I.S. et son frère F.S. furent nommés au conseil de tutelle avec comme secrétaire le père d’I.S., G.S.
[25]    Selon F.S., I.S. a dû rembourser à la curatelle publique une partie des montants qui avaient été retirés des comptes des enfants, soit environ 13 000 $.
[26]    À l’automne 2008, la crise financière battant son plein, l’intimé a décidé de repositionner les sommes détenues dans les comptes des enfants dans le marché monétaire afin de préserver leur capital[8].
[27]    Pour ce faire, il exécuta des transferts interfonds, lesquels selon l’intimé, il pouvait faire grâce à la lettre d’autorisation limitée signée par I.S.[9].
[28]    De plus, en octobre 2010, alors que F.S. voulait racheter son REÉR, l’intimé lui a fait signer à Québec une lettre d’autorisation limitée (pièce P-13), alors que lui était à Gatineau et qu’il eut déjà signé ledit document à titre de témoin.
[29]    Par la suite, F.S. lui a retourné par télécopieur le document dûment signé.
[30]    En 2015, F.S., qui était alors plus impliqué au conseil de tutelle des enfants A et B, demanda à l’intimé pourquoi en 2008, les enfants avaient perdu près de 20 000 $ à leur compte.
[31]    N’ayant pas eu, selon lui, de réponse satisfaisante de la part de l’intimé et d’I.A.[10], I.S. et F.S. déposèrent auprès de l’Autorité des marchés financiers (« l’AMF ») une plainte contre l’intimé[11].
[32]    La plainte (pièce I-1) reprochait à l’intimé d’avoir fait des transactions en 2008 qui avaient causé des pertes aux comptes des enfants, ce qui fut considéré non fondé par l’AMF selon le témoignage de l’enquêteur, M. Lévesque.
[33]    Toujours selon l’enquêteur, M. Lévesque, les pertes auraient plutôt été alors occasionnées à la fois par un marché défavorable et par des retraits exécutés dans les comptes des enfants, tel que mentionné à la réponse d’I.A. (pièce I-2).

PRÉTENTION du PLAIGNANT

[34]    La procureure du plaignant prétend qu’en ce qui concerne le chef d’infraction 1, l’intimé devrait être trouvé coupable étant donné que la cueillette des faits qu’il a exécutée le 3 juin 2007 pour bien connaitre la situation financière et les objectifs de placement des enfants A et B n’a pas été correctement exécutée.
[35]    À cet effet, elle explique que la rencontre avec I.S. et sa mère a été d’une courte durée, soit 1 heure et demie, que le budget établi est déficitaire, que les données financières de la mère et des enfants sont confondues et que le profil d’investisseur d’I.S. (pièce P-6) et celui de sa fille B (pièce P-7) sont identiques.
[36]    Elle mentionne qu’à part ces documents, l’intimé n’a aucune note personnelle et qu’en plus, les inscriptions faites au budget de l’analyse de besoins financiers sont inexactes (pièce P-6).
[37]    Enfin, le profil d’investisseur de la fille B est modéré, incluant une dimension croissance, ce qui, selon elle, ne correspond pas à celui qu’un enfant d’un an devrait avoir.
[38]    En ce qui concerne le chef d’infraction 2, elle prétend que la suggestion faite par l’intimé d’investir les sommes reçues par les enfants dans un contrat de fonds distincts ne respectait pas l’article 1339 du Code civil du Québec.
[39]    Elle prétend que l’intimé aurait dû informer I.S. de son obligation d’investir dans des placements présumés sûrs au sens de l’article 1339 du Code civil du Québec étant donné qu’elle était administratrice des biens des enfants et qu’elle devait respecter les articles 1304 et 1305 du Code civil du Québec, à titre d’administratrice du bien d’autrui.
[40]    De façon subsidiaire, Me Piché prétend que même si le comité arrive à la conclusion que l’intimé n’était pas obligé de faire la recommandation que les sommes soient investies dans des placements présumés sûrs au sens de l’article 1339 du Code civil du Québec, la recommandation faite par l’intimé n’était pas adéquate dans les circonstances pour les deux enfants, A et B.
[41]    Pour ce qui est du chef d’infraction 3, elle déclare que l’intimé devrait être trouvé coupable étant donné que les demandes de transfert interfonds, pièces P-11 et P-12, n’ont pas été signées par I.S. et que la lettre d’autorisation limitée (pièce P-10) signée par I.S. ne pouvait constituer une autorisation suffisante pour permettre à l’intimé d’exécuter de tels transferts sans l’approbation préalable d’I.S.
[42]    En ce qui concerne le chef d’infraction 4, elle plaide que l’intimé devrait aussi en être trouvé coupable étant donné qu’il est clair qu’il n’a pas assisté comme témoin à la signature de F.S. de la lettre d’autorisation limitée (pièce P-13), contrairement à ce qu’il a déclaré.
[43]    Par conséquent, la procureure du plaignant considère que dans les circonstances, l’intimé devrait être trouvé coupable des quatre chefs d’infraction.
[44]    Pour appuyer sa plaidoirie, elle dépose et réfère à une liste imposante d’autorités[12].
PRÉTENTION DE L’INTIMÉ
[45]    En ce qui concerne le chef d’infraction 1, le procureur de l’intimé prétend que la seule façon pour l’intimé de connaître les objectifs de placement des deux enfants, c’était en faisant, comme il a fait, une entrevue avec I.S. accompagnée de sa mère.
[46]    Il expose que la cueillette des faits pertinents pour connaitre la situation financière des deux enfants âgés de cinq ans et un an était fort simple et qu’une durée d’une heure et demie était tout à fait appropriée dans les circonstances.
[47]    Il reconnait que l’analyse de besoins financiers et le budget qui s’y trouve (pièce P-6) ne sont pas parfaits, mais il prétend qu’on ne peut reprocher à l’intimé d’avoir mal évalué la situation en ce qu’il a clairement compris que les indemnités reçues par les enfants suite au décès de leur père devaient être investies pour des fins d’étude dans des placements sécuritaires, ce qu’il a fait.
[48]    Peut-être que son évaluation n’a pas été idéale et que son dossier aurait pu comporter plus de notes personnelles, mais cette évaluation n’est pas fautive au point de constituer une infraction déontologie tel qu’établi par la jurisprudence.
[49]    Pour ce qui est du chef d’infraction 2, Me Charbonneau explique tout d’abord qu’un contrat de fonds distincts n’est pas un placement, mais bien plutôt un contrat d’assurance, lequel contient des placements.
[50]    En espèce, il prétend que le plaignant n’a présenté aucune preuve du contenu et de la nature des placements qu’on trouvait à l’intérieur de ce contrat de fonds distincts.
[51]    De plus, le procureur de l’intimé plaide que l’intimé n’avait pas cette obligation de recommander des placements présumés sûrs au sens de l’article 1339 du Code civil du Québec ou qui respecteraient les obligations d’un administrateur du bien d’autrui.
[52]    D’ailleurs, à cet effet, il réfère le comité à la décision rendue dans l’affaire Gauthier[13], où il a alors été décidé par le comité que bien qu’il soit souhaitable qu’un représentant connaisse ces règles du Code civil et qu’il puisse en informer ses clients, ces dispositions ne s’appliquent pas au représentant, mais au tuteur et que c’est à ce dernier qu’il incombe de s’assurer que les placements pour un mineur soient des placements présumés sûrs.
[53]    En ce qui concerne le chef d’infraction 3, le procureur de l’intimé prétend que la lettre d’autorisation limitée (pièce P-10) permettait à l’intimé d’exécuter les transferts interfonds dans les comptes des deux enfants et qu’il doit, par conséquent, en être acquitté.
[54]    En ce qui concerne le chef d’infraction 4, il réfère aux articles 2 et 39 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information (RLRQ, c. C-1.1).
[55]    Il prétend que l’intimé a transmis par télécopieur à l’assureur la demande de rachat, pièce P-13[14], sur laquelle il atteste avoir reçu la signature du client par télécopieur.
[56]    En fait, Me Charbonneau prétend que l’intimé pouvait déclarer à l’assureur qu’il avait reçu la signature du client par télécopieur et qu’en ce faisant, il n’a pas fait de fausse déclaration.
[57]    Le procureur de l’intimé prétend donc que le comité doit dans les circonstances déclarer l’intimé non coupable des quatre chefs d’infraction qui lui sont reprochés.

ANALYSE ET MOTIFS

[58]    Pour décider du bien-fondé de la plainte contre l’intimé, le comité doit déterminer si ce dernier a bien évalué la situation financière et personnelle des enfants A et B (chef d’infraction 1), s’il a recommandé ou effectué des placements qui ne correspondaient pas à leur situation personnelle et financière en ne s’assurant pas notamment qu’ils étaient présumés sûrs au sens de l’article 1339 du Code civil du Québec ou qu’ils respectaient les obligations d’I.S. en tant qu’administrateur du bien d’autrui (chef d’infraction 2), s’il a exécuté des transferts de fonds dans les comptes des enfants A et B sans l’autorisation d’I.S. (chef d’infraction 3) et enfin, s’il a signé à titre de témoin hors la présence de F.S. la lettre d’autorisation limitée, pièce P-13 (chef d’infraction 4).
[59]    Le comité présentera son analyse et ses motifs individuellement pour chacun des chefs d’infraction.
CHEF D’INFRACTION 1
[60]    Le plaignant reproche à l’intimé par ce premier chef d’infraction d’avoir fait défaut de connaître la situation personnelle ainsi que les objectifs de placements des enfants A et B, contrevenant ainsi aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers de même qu’à l’article 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[61]    Ces dispositions de rattachement alléguées à ce chef d’infraction se lisent comme suit :

-               Articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2)

« 16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme. »

« 27. Un représentant en assurance doit s’enquérir de la situation de son client afin d’identifier ses besoins.

Il doit s’assurer de conseiller adéquatement son client, dans les matières relevant des disciplines dans lesquelles il est autorisé à agir; s’il lui est possible de le faire, il offre à son client un produit qui convient à ses besoins. »

-               Article 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3)

« 15. Avant de renseigner ou de faire une recommandation à son client ou à tout client éventuel, le représentant doit chercher à avoir une connaissance complète des faits. »

[62]    Pour décider de ce premier chef d’infraction, le comité doit déterminer si l’intimé connaissait bien ses clients, c’est-à-dire s’il a respecté la règle bien connue dans l’industrie communément identifiée sous le vocable anglais de « KYC », c’est-à-dire « Know your client ».
[63]    Voici comment l’Honorable France Dulude de la Cour supérieure du Québec décrit cette règle fondamentale de l’industrie qui s’applique en l’espèce :

« [49]   As recognized by both parties, the know-your-client rule is the cardinal rule for any investment advisor (KYC Rule)[30]. This rule requires him to inform and provide investment recommendations that are suitable to each client.  To do so, he must identify his client’s objectives, in light of his knowledge of trading and his risk tolerance.  He must be diligent in explaining the relevant details, taking into account the level of investment sophistication of the client who, for his part, must be prudent and make a minimum effort to understand the information that is provided to him. Investment advisors’ obligation is one of means and not results[31]. »[15]

 

(références omises)

[64]    Les cinq principaux facteurs pour analyser la situation d’un client sont l’âge, les revenus, les connaissances en investissement, les objectifs d’investissement et la tolérance aux risques[16].
[65]    Le plaignant a le fardeau de démontrer par prépondérance de preuve, de façon claire et convaincante, que l’intimé n’a pas respecté cette obligation s’il veut obtenir sa condamnation sur ce premier chef d’infraction.
[66]    Après avoir analysé l’ensemble de la preuve, le comité est d’opinion qu’en l’espèce, le plaignant ne s’est pas déchargé de son fardeau et que l’intimé doit être déclaré non coupable de ce premier chef d’infraction.
[67]    La procureure du plaignant considère que l’analyse faite par l’intimé de la situation personnelle et financière des jeunes enfants, alors âgés respectivement de cinq ans pour le garçon A et un an pour la fille B, était trop sommaire, superficielle et inexacte.
[68]    Plus particulièrement, elle reproche à l’intimé les éléments suivants :

-               Une courte entrevue d’une heure et demie avec I.S. et sa mère;

-               Un budget déficitaire pour la mère et les enfants (pièce P-6);

-               Inexactitudes retrouvées au budget (pièce P-6);

-               Aucun profil d’investisseur pour le garçon A;

-               Similarité évidente des profils d’investisseur préparés pour la mère et pour la fille B;

-               Inexactitudes retrouvées au profil d’investisseur de la fille B.

[69]    Tout d’abord, en ce qui concerne la rencontre ayant eu lieu le 3 juin 2007, le comité considère qu’une durée d’une heure et demie n’apparaît pas à sa face même une durée insuffisante compte tenu de la situation que l’intimé avait à analyser.
[70]    En effet, il s’agissait alors de déterminer ce qui devait être fait avec les indemnités reçues par les deux enfants de cinq ans et un an suite au décès de leur père.
[71]    Bien évidemment, la situation financière personnelle de ces deux enfants en bas âge est entièrement liée à la situation financière de la mère I.S.
[72]    Le comité considère que la démarche qui devait être faite par l’intimé pour bien connaître cette situation financière ne nécessitait pas un processus d’enquête élaboré et compliqué de sa part et il est d’opinion que cette cueillette des faits pouvait tout à fait se faire à l’intérieur d’une période d’une heure et demie.
[73]    Il est vrai que la documentation préparée par l’intimé lors de ce processus d’analyse n’est pas idéale, mais le comité considère néanmoins que l’intimé avait bien cerné et évalué la situation financière et personnelle des enfants.
[74]    En fait, les sommes reçues par les deux enfants devaient être investies et préservées pour leurs études, qui n’auraient pas lieu avant dix ou même 15 ans.
[75]    L’objectif de placement des enfants était donc à long terme et il devait être protégé avec une très faible tolérance aux risques.
[76]    De plus, au profil d’investisseur d’I.S., signé par celle-ci, et à celui de sa fille B, il était indiqué : « Nous voulons prendre un peu de risque (sic) tout en étant conservateur »[17].
[77]    La procureure du plaignant a insisté beaucoup sur le fait que pour un des enfants, soit pour le garçon A, aucun profil d’investisseur n’avait été préparé par l’intimé.
[78]    Le comité considère que ce défaut n’est pas fatal en l’espèce.
[79]    Le défaut d’avoir confectionné un profil financier pour le garçon A n’a pas empêché l’intimé de bien connaître la situation financière des enfants et d’analyser correctement leurs besoins, étant donné qu’en l’espèce, c’était le profil financier de la mère I.S., qui était essentiel, car tel que mentionné plus haut, la situation financière et personnelle des enfants était tributaire de celle de la mère I.S.
[80]    Aussi, le fait que le profil d’investisseur de la fille B semble être une copie conforme du profil d’I.S. dans les circonstances, n’est pas non plus un élément déterminant pour le comité.
[81]    Il semble assez évident pour le comité qu’en l’espèce, cet enfant d’un an pouvait difficilement se trouver dans une situation financière différente de celle de sa mère qui est responsable d’elle légalement.
[82]    Pour ce qui est des inexactitudes au budget faisant partie de l’analyse des besoins financiers d’I.S. (pièce P-6), soulevées par la procureure du plaignant, le comité est d’opinion qu’elles sont trop légères pour lui permettre de conclure que l’intimé n’a pas bien évalué la situation financière et personnelle des enfants.
[83]    Tel que mentionné plus haut, le processus exécuté par l’intimé n’est pas idéal, il n’est probablement pas souhaitable non plus, mais le comité est d’opinion qu’il n’est certainement pas inacceptable au point de constituer une faute déontologique[18].
[84]    Par conséquent, le comité considère que l’intimé doit être acquitté du chef d’infraction 1, et ce, en ce qui concerne les trois dispositions y mentionnées à savoir les articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et l’article 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
CHEF D’INFRACTION 2
[85]    La trame factuelle pour le chef d’infraction 2 est la même que pour le chef d’infraction 1.
[86]    À ce deuxième chef d’infraction, le plaignant reproche à l’intimé en cette même date du 3 juin 2007, d’avoir recommandé et effectué des placements dans des contrats de fonds distincts pour les enfants A et B, lesquels ne correspondaient pas à leur situation personnelle et financière notamment en ce qu’il ne s’était pas assuré que ces placements étaient présumés sûrs au sens de l’article 1339 du Code civil du Québec et/ou ne respectaient pas les obligations d’I.S. en tant qu’administrateur du bien d’autrui.
[87]    Le plaignant reproche donc la non-convenance de la recommandation de placements faite par l’intimé.
[88]    Les dispositions de rattachement alléguées au chef d’infraction 2 se lisent comme suit :

-               Articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2)

« 16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme. »

« 27. Un représentant en assurance doit s’enquérir de la situation de son client afin d’identifier ses besoins.

Il doit s’assurer de conseiller adéquatement son client, dans les matières relevant des disciplines dans lesquelles il est autorisé à agir; s’il lui est possible de le faire, il offre à son client un produit qui convient à ses besoins. »

-               Articles 12 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3)

« 12. Le représentant doit agir envers son client ou tout client éventuel avec probité et en conseiller consciencieux, notamment en lui donnant tous les renseignements qui pourraient être nécessaires ou utiles. Il doit accomplir les démarches raisonnables afin de bien conseiller son client. »

« 35. Le représentant ne doit pas exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente. »

[89]    Le comité considère que le plaignant ne s’est pas non plus déchargé de son fardeau de démontrer de façon prépondérante, claire et convaincante, que l’intimé est coupable du chef d’infraction 2, et ce, en ce qui concerne les quatre dispositions reprochées audit chef d’infraction et qu’en conséquence, l’intimé doit en être acquitté.
[90]    Tout d’abord, le comité doit déterminer ce qu’est un « contrat de fonds distincts » comme celui recommandé par l’intimé en l’espèce, soit le contrat de fonds distinct identifié « Ecoflex » d’I.A.
[91]    Le plaignant n’a pas présenté de preuve au comité pour lui expliquer la nature de ce genre de produit recommandé par l’intimé à I.S. pour les comptes de ses enfants.
[92]    Néanmoins, le comité à partir des pièces produites au dossier[19] et de la jurisprudence existant sur le sujet est en mesure de considérer qu’un contrat de fonds distincts « Ecoflex » est un contrat d’assurance individuelle dont les fonds sont investis dans un ou plusieurs actifs de base.
[93]    Dans une décision antérieure rendue dans l’affaire Goyette, le comité a d’ailleurs déjà commenté et décrit de la façon suivante le fonds distinct :

« [34]   Reprenant alors à son compte la définition contenue à une publication du ministère fédéral des Finances relative à l’industrie canadienne des assureurs de personnes (septembre 2002), elle en fit la description suivante :[7][20]

 

" Un fonds distinct, que seule une société d’assurances de personnes est autorisée à exploiter, s’apparente à un produit de fonds commun de placement proposé par d’autres institutions financières : il comprend des portions de fonds de placement dans toute une gamme de valeurs mobilières (p. ex. des actions, des obligations, des fonds équilibrés). Cependant, il diffère des produits de fonds commun de placement étant donné qu’un pourcentage minimal du placement (en général au moins 75 %) doit être remis à l’investisseur à l’échéance du placement. Le terme « distinct » est utilisé parce que les fonds doivent être conservés indépendamment des autres actifs de la société d’assurances. " »[21] (nos soulignés, référence omise)

 

[94]    Par conséquent, le contrat de fonds distincts comme « Ecoflex » d’I.A. est un contrat d’assurance qui est un véhicule financier contenant différents types de valeurs mobilières dont le titulaire détient des unités, lesquelles ont une valeur qui peut fluctuer un peu comme un produit de fonds commun de placement.
[95]    En l’espèce, le plaignant n’a présenté aucune preuve par témoin ordinaire ou témoin expert quant aux caractéristiques des placements contenus au fonds distinct dont les enfants d’I.S. détenaient des unités.
[96]    L’enquêteur, M. Lévesque, a mentionné ne pas s’être informé de la nature des placements apparaissant aux relevés des comptes des enfants[22].
[97]    Bien qu’étant un tribunal spécialisé, le comité ne peut jamais s’en remettre à l’expertise de ses membres pour combler un manque de preuve[23].
[98]    À partir des relevés de comptes des enfants, le comité est cependant en mesure de constater qu’au 31 décembre 2007, les actifs des contrats des enfants étaient dans des fonds de placement qui étaient répartis de façon équilibrée dans des fonds de revenus, des fonds d’actions canadiennes et des fonds d’actions américaines et internationales[24].
[99]    Enfin, les investissements faits par les enfants possédaient une garantie d’investissement de 100 % à la date d’échéance de la garantie[25].
[100] Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, le comité ne peut conclure que la preuve présentée démontre de façon prépondérante, claire et convaincante que la recommandation faite par l’intimé ne correspondait pas à la situation personnelle et financière des deux enfants pour qui l’objectif de placement était de constituer à long terme un capital pour financer leurs études postsecondaires.
[101] La prétention du plaignant est aussi à l’effet que la recommandation faite par l’intimé n’en était pas une qui respectait l’article 1339 du Code civil du Québec ou les obligations d’I.S. en tant qu’administrateur du bien d’autrui.
[102] L’article 1339 du Code civil du Québec se lit comme suit :
« 1339. Sont présumés sûrs les placements faits dans les biens suivants:
1°    Les titres de propriété sur un immeuble;
2°    Les obligations ou autres titres d’emprunt émis ou garantis par le Québec, le Canada ou une province canadienne, les États-Unis d’Amérique ou l’un des États membres, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, une municipalité ou une commission scolaire au Canada ou une fabrique au Québec;
3°    Les obligations ou autres titres d’emprunt émis par une personne morale exploitant un service public au Canada et investie du droit de fixer un tarif pour ce service;
4°    Les obligations ou autres titres d’emprunt garantis par l’engagement, pris envers un fiduciaire, du Québec, du Canada ou d’une province canadienne, de verser des subventions suffisantes pour acquitter les intérêts et le capital à leurs échéances respectives;
5°    Les obligations ou autres titres d’emprunt d’une société dans les cas suivants:
a)    Ils sont garantis par une hypothèque de premier rang sur un immeuble ou sur des titres présumés sûrs;
b)    Ils sont garantis par une hypothèque de premier rang sur des équipements et la société a régulièrement assuré le service des intérêts sur ses emprunts au cours des 10 derniers exercices;
c)    Ils sont émis par une société dont les actions ordinaires ou privilégiées constituent des placements présumés sûrs;
6°   Les obligations ou autres titres d’emprunt émis par une institution de dépôts autorisée en vertu de la Loi sur les institutions de dépôts et la protection des dépôts (chapitre I-13.2.2);
7°   Les créances garanties par hypothèque sur des immeubles situés au Québec:
a)    Si le paiement du capital et des intérêts est garanti ou assuré par le Québec, le Canada ou une province canadienne;
b)    Si le montant de la créance n’est pas supérieur à 80% de la valeur de l’immeuble qui en garantit le paiement, déduction faite des autres créances garanties par le même immeuble et ayant le même rang que la créance ou un rang antérieur;
c)    Si le montant de la créance qui excède 80% de la valeur de l’immeuble qui en garantit le paiement, déduction faite des autres créances garanties par le même immeuble et ayant le même rang que la créance ou un rang antérieur, est garanti ou assuré par le Québec, le Canada, une province canadienne, la Société canadienne d’hypothèques et de logements, la Société d’habitation du Québec ou par un contrat d’assurance hypothécaire souscrit par un assureur autorisé en vertu de la Loi sur les assureurs (chapitre A-32.1);
8°    Les actions privilégiées libérées, émises par une société dont les actions ordinaires constituent des placements présumés sûrs ou qui, au cours des cinq derniers exercices, a distribué le dividende stipulé sur toutes ses actions privilégiées;
9°    Les actions ordinaires, émises par une société qui satisfait depuis trois ans aux obligations d’information continue définies par la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1), dans la mesure où elles sont inscrites à la cote d’une bourse reconnue à cette fin par le gouvernement, sur recommandation de l’Autorité des marchés financiers, et où la capitalisation boursière de la société, compte non tenu des actions privilégiées et des blocs d’actions de 10% et plus, excède la somme alors fixée par le gouvernement;
10°  Les titres d’un fonds d’investissement ou d’une fiducie d’utilité privée, à la condition que 60% de leur portefeuille soit composé de placements présumés sûrs et que le fonds ou la fiducie satisfait depuis trois ans aux obligations d’information continue définies par la Loi sur les valeurs mobilières. »[26]
[103] Les infractions reprochées au chef d’infraction sont relatives au non-respect des normes et principes généralement reconnus dans la pratique et nécessitent donc une preuve d’expert[27].
[104] Le comité considère que c’est à-propos que le procureur de l’intimé réfère à une décision antérieure rendue du comité dans l’affaire Gauthier[28].
[105] Le comité avait alors décidé ce qui suit :

« [41]    Par ailleurs, relativement au reproche adressé à l'intimé au paragraphe b) de ce même chef, si la preuve a révélé que l'intimé a fait défaut d'informer ses clients de l'existence des règles concernant les placements présumés sûrs, aucune preuve par expert ou autrement n'a été présentée au comité relativement à l'existence d'une norme généralement reconnue dans la profession obligeant le représentant à informer une mère tutrice ou sa fille mineure des règles concernant les placements présumés sûrs prévus au Code civil. Bien qu'il aurait été souhaitable que l'intimé en connaisse les règles et puisse en informer ses clientes ou leur en souligner l'existence, celles-ci s'appliquent au tuteur et c'est à ce dernier qu'incombe l'obligation de s'assurer que les placements pour une mineure soient des placements " présumés sûrs ".[29] (nos soulignés)

[106] Le plaignant en l’espèce n’a produit aucune expertise, ni de preuve quelconque à l’effet qu’un représentant dans l’industrie doit respecter une telle norme.
[107] Par conséquent, vu ce qui précède, le comité est d’opinion que le plaignant ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver de façon prépondérante, claire et convaincante, que l’intimé a commis l’infraction reprochée au chef d’infraction 2.
[108] L’intimé sera donc aussi déclaré non coupable de ce chef d’infraction en vertu de chacune des dispositions y reprochées et il en sera donc acquitté.
CHEF D’INFRACTION 3
[109] Ce troisième chef d’infraction se rapporte aussi aux comptes détenus par les enfants d’I.S.
[110] Les dispositions de rattachement alléguées quant à ce chef d’infraction sont les suivantes :

-               Article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2)

« 16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme. »

-               Articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3)

« 11. Le représentant doit exercer ses activités avec intégrité. »

« 35. Le représentant ne doit pas exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente. »

[111] Quant à ce chef d’infraction, le comité est d’opinion que le plaignant a renversé son fardeau de preuve et que l’intimé doit en être trouvé coupable pour les raisons suivantes.
[112] Les transactions visées par le chef d’infraction 3, qui ont eu lieu entre le mois de novembre 2007 et le mois de mars 2009, dans les comptes des enfants d’I.S., ne sont pas contestées par l’intimé.
[113] Il s’agit en fait de transferts interfonds à l’intérieur desdits comptes.
[114]  En fait, l’intimé ne les nie pas à son témoignage, mais prétend qu’il pouvait effectuer de tels transferts interfonds, compte tenu de l’existence au dossier d’une lettre d’autorisation limitée signée par I.S. le 11 août 2007[30].
[115]  Il prétend aussi que cette façon de procéder était une pratique existant alors chez I.A.
[116] L’intimé avait aussi donné cette même explication à l’enquêteur du plaignant lors de l’entrevue le 2 août 2017 dont l’enregistrement et une partie de la transcription ont été déposés comme pièce P-14[31].
[117] La prétention de l’intimé est à l’effet que la partie B de cette lettre d’autorisation limitée (pièce P-10) lui permettait de faire ce genre de transferts interfonds, car selon lui, il avait alors effectué des « transferts entre fonds à l’intérieur d’un même contrat » :

« Partie B : Types des transactions et identification de la compagnie d’assurance

Par cette lettre d’autorisation limitée (ci-après " lettre d’autorisation ") relativement à des contrats de rentes différées individuelles, vous autorisez votre représentant (ci-après " le représentant ") à donner à l’Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. (ci-après " la Compagnie ") les instructions nécessaires pour procéder aux transactions financières suivantes en votre nom :

 

a)  Nouvelles primes

b)  Revalorisations des valeurs minimales garanties

c)   Transferts entre fonds à l’intérieur d’un même contrat

d)  Rachats

e)  Renouvellements des placements à taux d’intérêt garanti échus

à l’intérieur des contrats couverts par cette lettre d’autorisation.

Il est toutefois interdit au représentant d’effectuer des transactions discrétionnaires en votre nom, c’est-à-dire de donner à la Compagnie quelque instruction sans avoir obtenu au préalable une autorisation spécifique de votre part pour chacune des instructions, et rien dans le présent formulaire ne confère au représentant un tel pouvoir. Vous devez lire l’Autorisation du titulaire de la police qui paraît dans la présente lettre d’autorisation et signer la déclaration aux endroits indiqués.  Si vous omettez de signer la déclaration, cette lettre d’autorisation ne pourra être mise à exécution.

Partie C : Autorisation du titulaire de la police

1.         JE, LE TITULAIRE DE LA POLICE, AUTORISE PAR LES PRÉSENTES Pierre Lamarche (" le représentant ") à fournir par écrit des instructions à mon nom et à signer tout document pertinent se rattachant aux transactions permises listées de (a) à (e) dans la partie B de ce formulaire, conformément aux instructions spécifiques que j’aurai donnés (sic) pour chacune des transactions. » [32]

(nos soulignés)

[118] La procureure du plaignant reconnait que la lettre d’autorisation limitée permet à l’intimé de « fournir par écrit des instructions à I.A. pour exécuter ce genre de transaction ».
[119] Cependant, elle est d’opinion que pour pouvoir donner de telles instructions de transactions à I.A., l’intimé doit néanmoins au préalable avoir obtenu de sa cliente une autorisation spécifique pour ce faire.
[120] En fait, selon elle, l’intimé ne peut jamais exécuter « des transactions discrétionnaires au nom du client », tel que mentionné ci-haut à la partie B de la lettre d’autorisation limitée, « c’est-à-dire de donner à la compagnie quelques instructions sans avoir obtenu au préalable une autorisation spécifique » de la part du client.
[121] Le comité partage entièrement la prétention de la procureure du plaignant et considère que l’interprétation textuelle faite par le procureur de l’intimé de l’autorisation ne peut être acceptée.
[122]  Le comité considère que cette interprétation textuelle est inacceptable, car elle ne tient pas compte de sa globalité.
[123] Comme on sait, les clauses d’un texte ou d’un contrat doivent s’interpréter « les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble du contrat »[33].
[124] En effet, il apparait évident que le but de la lettre d’autorisation limitée (pièce P-10) n’est pas de permettre à un représentant d’exécuter des transactions discrétionnaires, ce qu’un représentant ne peut jamais faire dans l’industrie, à moins d’être spécifiquement autorisé de ce faire par les autorités réglementaires.
[125] D’ailleurs, une telle interprétation a déjà été adoptée par la jurisprudence[34].
[126] Le procureur de l’intimé prétend aussi que l’intimé ne devrait pas être trouvé coupable du chef d’infraction 3, car il n’a que suivi la façon de procéder à la compagnie d’assurance I.A.
[127] Le comité ne peut accepter une telle prétention compte tenu tout d’abord du texte clair de la lettre d’autorisation limitée, tel que mentionné plus haut.
[128] De plus, aucun représentant d’I.A. n’est venu témoigner devant le comité pour établir une telle pratique ou un tel usage.
[129] De plus, le comité ajoutera que ce n’est pas parce que l’institution financière ne demande pas au représentant de produire l’autorisation préalable de la cliente avant d’effectuer la transaction demandée que celui-ci peut prétendre qu’il en est dispensé de l’obtenir, cette obligation demeurant toujours la sienne.
[130] Par conséquent, selon le comité, le fait que I.A. ait en l’espèce accepté d’effectuer les transferts interfonds demandés par l’intimé ne peut constituer pour lui une défense quant à l’infraction d’avoir manqué de professionnalisme et de compétence en vertu de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et quant à l’infraction d’avoir exercé ses activités de façon négligente au sens de l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[131] Cependant, le comité considère qu’à partir de la preuve présentée, l’intimé n’a pas manqué d’intégrité dans ses activités au sens de l’article 11 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[132] L’intimé sera donc trouvé coupable du chef d’infraction 3 pour avoir manqué de professionnalisme et de compétence au sens de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et d’avoir exercé ses activités de façon négligente au sens de l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[133] Il sera cependant acquitté d’avoir manqué d’intégrité en vertu de l’article 11 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[134] En vertu du principe prohibant les condamnations doubles ou multiples, le comité ordonnera la suspension conditionnelle des procédures en ce qui concerne l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et l’intimé devra donc être convoqué pour une audition sur sanction quant au chef d’infraction 3 uniquement quant à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, pour avoir manqué de professionnalisme et de compétence.
CHEF D’INFRACTION 4
[135] Ce chef d’infraction, contrairement aux trois premiers chefs d’infraction, ne concerne pas le compte des deux enfants A et B, mais bien celui de l’oncle F.S.
[136] Le plaignant reproche à l’intimé d’avoir, à l’automne 2010, signé à titre de témoin une « lettre d’autorisation limitée » ainsi qu’un formulaire de « Demandes de rachat, transferts interfonds et versements périodiques » hors la présence de F.S., ayant ainsi contrevenu aux dispositions suivantes :

-               Article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2)

« 16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme. »

-               Articles 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3)

« 11. Le représentant doit exercer ses activités avec intégrité. »

« 34. Le représentant doit fournir aux assureurs les renseignements qu’il est d’usage de leur fournir. »

« 35. Le représentant ne doit pas exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente. »

[137]  Le comité est d’opinion que le plaignant a démontré par prépondérance de preuve que l’intimé est coupable de ce dernier chef d’infraction pour les raisons suivantes.
[138] Encore une fois, les faits pour ce chef d’infraction ne sont pas contestés par l’intimé.
[139] En effet, son témoignage confirme le témoignage du consommateur F.S. qui a expliqué que pour pouvoir racheter son REÉR, l’intimé lui a fait parvenir une télécopie le 18 octobre 2010 contenant un formulaire de rachat et une lettre d’autorisation limitée[35].
[140] En fait, suite à la demande de F.S. qui voulait racheter son REÉR, l’intimé avait fait parvenir une demande de rachat à I.A. que lui seulement avait signée le 29 septembre 2010.
[141] Cette transaction avait été refusée le 4 octobre 2010 par I.A. vu l’absence de signature des documents par F.S.[36].
[142] C’est suite à ce refus que l’intimé a fait parvenir à F.S. par télécopie le 18 octobre 2010 les documents en question pour signature alors qu’il les avait pourtant déjà signés à titre de témoin le 29 septembre 2010 avant que F.S. ne les signe[37].
[143] F.S. a signé les documents à son tour et les a par la suite retournés à l’intimé par télécopieur le 19 octobre 2010[38].
[144] Par conséquent, l’intimé avait donc signé à titre de témoin de la signature du client F.S. avant même que ce dernier n’ait signé lesdits documents.
[145] Le procureur de l’intimé a prétendu qu’en vertu des articles 2 et 39 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information (RLRQ, c. 1.1), l’intimé pouvait déclarer à l’assureur qu’il avait reçu la signature du client par télécopie et qu’ainsi, il pouvait prétendre que le client avait signé lesdits documents devant lui.
[146] Le comité ne peut accepter un tel argument.
[147]  En effet, la preuve est à l’effet que l’intimé a bien signé les documents hors la présence de F.S. le 29 septembre 2010 avant même qu’il les signe le 18 octobre 2010 et les lui retourne par télécopieur.
[148] Par conséquent, l’intimé a faussement déclaré avoir signé comme témoin de la signature de F.S., tel que reproché au chef d’infraction 4 et l’argument technique avancé par le procureur de l’intimé ne peut constituer une défense face à cette preuve prépondérante, claire et convaincante présentée au comité par le plaignant.
[149] Le geste de la part de l’intimé démontre un manque de professionnalisme, mais en l’espèce, il ne démontre pas un manque d’honnêteté ou de loyauté compte tenu qu’il appert que le geste a été fait dans un but d’efficience et non de tromperie à l’égard du consommateur F.S.
[150] Le comité considère par conséquent que le plaignant a démontré par prépondérance de preuve que l’intimé a manqué de compétence et de professionnalisme au sens de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et qu’il a agi de façon négligente au sens de l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[151] Cependant, compte tenu de la preuve présentée et des raisons ci-haut mentionnées, le comité acquittera l’intimé de ne pas avoir exercé ses activités avec intégrité au sens de l’article 11 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[152] Il sera aussi acquitté en vertu de l’article 34 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, car le plaignant n’a pas fait la preuve d’un usage comme le requiert cet article du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[153] Enfin, en vertu du principe prohibant les condamnations doubles ou multiples, le comité ordonnera la suspension conditionnelle des procédures en ce qui concerne l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et l’intimé sera donc convoqué pour une audition sur sanction uniquement en vertu de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers pour avoir manqué de professionnalisme et de compétence en ce qui concerne le chef d’infraction 4.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

réitère l’ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication des noms et des prénoms des consommateurs concernés ainsi que de toute information permettant de les identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas aux échanges d’information prévus à la oi sur l’encadrement du secteur financier (RLRQ, chapitre E-6.1) et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2);

ACQUITTE l’intimé des chefs d’infraction 1 et 2 pour avoir contrevenu à toutes les dispositions mentionnées auxdits chefs d’infraction;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’infraction 3 et 4 pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et à l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant à l’article
35 du
Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3) en ce qui concerne les chefs d’infraction 3 et 4;

ACQUITTE l’intimé en vertu des articles 11 et 34 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3) quant aux chefs d’infraction 3 et 4;

CONVOQUE les parties, avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline, à une audition sur sanction quant à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3) pour lesdits chefs d’infraction 3 et 4.


 

 

 

(S) Me Claude Mageau

 

 

 

Me CLAUDE MAGEAU

Président du comité de discipline

 

 

(S) Marc Binette

 

 

M. MARC BINETTE, PL. FIN.

Membre du comité de discipline

 

 

(S) Stéphane Prévost

 

 

M. STÉPHANE PRÉVOST, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

Me Jean-Simon Britten

THERRIEN COUTURE JOLI-COEUR S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Maurice Charbonneau

TRIVIUM AVOCATS INC.

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience : 2 et 3 octobre 2018

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]      Pièce P-6, p. 000725 et 000726.

[2]      Pièce P-6, p. 00749 et 000751.

[3]      Pièce P-7.

[4]      Pièce P-5.

[5]      Pièce P-4.

[6]      Pièce P-8, p. 000154.

[7]      Pièce P-3.

[8]      Pièce P-12, p. 000176 (compte de A) et pièce P-11, p. 000185 (compte de B).

[9]      Pièce P-10.

[10]     Pièce I-2.

[11]     Pièce I-1.

[12]     Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, articles 192, 208, 1304, 1339 et 1340; Chambre de la sécurité financière c. Ringuette, 2008 CanLII 4818 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Lamadeleine, 2009 CanLII 30991 (QC CDCSF); Autorité des marchés financiers c. Dastous (Services financiers Pierre Dastous), 2013 QCBDR 128 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Goyette, 2017 QCCDCSF 11 (CanLII); Sylvie Lemay, « Commentaires sur l’article 1339 C.c.Q. », août 2004, EYB2004DCQ769; D.D. (Re) 2008 QCCS 1323; Madeleine CANTIN CUMYN et Michelle CUMYN, L’administration du bien d’autrui. L’obligation de prudence et de diligence d’un administrateur du bien d’autrui, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, EYB2014ABA32; Martel c. Thibault, 2011 QCCQ 9517 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Talbot, 2018 QCCDCSF 56 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Baillargeon, 2010 CanLII 99871 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Tchassom, 2016 CanLII 11011 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Bendezu, 2017 QCCDCSF 49 (CanLII).

[13]     Chambre de la sécurité financière c. Gauthier, 2009 CanLII 39077 (QC CDCSF).

[14]     Pièce P-13, p. 000385.

[15]     Shinoff c. BMO Nesbitt Burns Inc., 2017 QCCS 3479 (CanLII).

[16]     Mazzarolo c. BMO Nesbitts Burns ltée, 2009 QCCS 274 (CanLII), par. 127.

[17]     Pièce P-6, p. 000751, pièce P-7, p. 000755.

[18]     Chambre de la sécurité financière c. Harrisson, 2020 QCCDCSF 2 (CanLII), par. 396 à 403; Ordre des architectes du Québec c. Duval, 2003 QCTP 144 (CanLII); Malo c. Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, 2003 QCTP 132 (CanLII).

[19]     Pièces P-11 et P-12.

[20]     Canada c. Nationale du Canada, Compagnie d’assurance-vie, 2008, CAF 14 (CanLII), par. 4.

[21]     Chambre de la sécurité financière c. Goyette, préc., note 12.

[22]     Témoignage de M. Sébastien Lévesque, notes sténographiques du 2 octobre 2018, p. 129.

[23]     Lajeunesse c. Hamel, 2011 QCTP 27 (CanLII), par. 68-69.

[24]     Pièce P-11, p. 000557 et pièce P-12, p. 000638.

[25]     Pièce P-11, p. 000559 et pièce P-12, p. 000640.

[26]     Code civil du Québec, préc., note 12, art. 1339.

[27]     Médecins (Ordre professionnel des) c. Fanous, 2019 QCTP 69 (CanLII), par. 15.

[28]     Préc., note 13.

[29]     Id., par. 41.

[30]     Pièce P-10.

[31]     Pièce P-14, à 25 minutes et 42 secondes.

[32]     Pièce P-10, p. 000109

[33]     Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 1427; Régie intermunicipale de police des Seigneuries c. Santerre, 2006 QCCA 1614 (CanLII).

[34]     Martel c. Thibault, préc., note 12, par. 101 et suivants; Chambre de la sécurité financière c. Talbot, par. 122, préc., note 12.

[35]     Pièce P-13, p. 000382, 000383, 000384 et 000385.

[36]     Pièce P-13, p. 000306 et 000309.

[37]     Pièce P-13, p. 000382, 000383 et 000384.

[38]     Pièce P-13, p. 000307.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.