Larue c. Moknine |
2021 QCTAL 16884 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
555135 31 20210125 G |
No demande : |
3167546 |
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Date : |
02 juillet 2021 |
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Devant la juge administrative : |
Stella Croteau |
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André Larue |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Myriam Moknine |
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Locatrice - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une opposition à une demande d’éviction pour subdivision produite par le locataire le 25 janvier 2021.
[2] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 au loyer mensuel de 655 $.
[3] L’avis ainsi que les délais ne sont pas contestés.
CONTEXTE FACTUEL
[4] La preuve révèle que le 30 décembre 2020, la locatrice a fait parvenir au locataire un avis l'informant que son bail ne serait pas reconduit au 30 juin 2021 puisqu'elle entend subdiviser le logement.
[5] Le locataire doute de la faisabilité du projet.
[6] Il allègue que suivant l’article 135.2 du Règlement d’urbanisme de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, un logement ne peut être subdivisé.
[7] De plus, il plaide que la locatrice n’avait pas le droit de demander son éviction au moment de l’avis d’éviction, car elle n’avait pas son permis et ne l’a toujours pas.
[8] Il plaide que son éviction est abusive et improvisée. La locatrice veut l’intimider pour le décourager d’habiter le logement.
[9] Il s’agit d’un triplex qui a été converti en copropriété divise en 2008.
[10] La locatrice a acheté le condominium du 3e étage et elle y habite avec sa famille. Puis en mars 2020, elle achète celui du rez-de-chaussée.
[11] Le locataire habite le logement, qu’il qualifie comme un 8 ½, depuis 1982. Il fera part de son enracinement dans le quartier, habitant le logement depuis près de 40 ans.
[12] Il allègue que depuis l’avis d’éviction, il en subit des préjudices physiques et moraux.
[13] Il est aidant naturel pour sa mère âgée qui est malade. À cause de la présente situation, il a moins de temps pour s’occuper d’elle.
[14] Il a regardé les logements disponibles, mais il n’en a pas trouvé qui lui convient.
[15] Présentement, il a accès à la cour et possède un stationnement. De plus, son logement est situé au rez-de-chaussée et le transport en commun est situé tout près.
[16] Le locataire a soumis une estimation des frais que son déménagement lui engendre.
[17] Il présente plusieurs scénarios considérant le prix du logement qu’il paiera.
[18] Le locataire mentionne qu’il désire également avoir une quittance totale et finale de la part de la locatrice.
[19] Le projet de la locatrice est de transformer un logement de trois chambres situé au rez-de-chaussée de l’immeuble en deux logements d’une chambre. L’un des logements sera adapté pour permettre qu’une personne en fauteuil roulant puisse y vivre.
[20] C’est un projet familial afin que ses beaux-parents, âgés dans les 70 ans, occupent un logement et sa mère habite l’autre. Cette dernière vit présentement avec eux.
[21] La locatrice mentionne que sa fillette souffre du syndrome de Marshall, ce qui fait en sorte qu’elle fait de la fièvre quatre à cinq jours par mois. Considérant que la locatrice travaille dans un poste d’envergure, elle doit avoir sa famille près d’elle pour l’aider avec ses deux jeunes enfants, âgés d’un et trois ans.
[22] Elle avait mandaté des professionnels en janvier 2020 afin d’évaluer son projet, soit avant même l’achat du condominium.
[23] Le 19 mars 2020, un nouvel article, soit l’article 135.2 du Règlement d’urbanisme de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal interdisant la subdivision des logements, est adopté.
[24] Le projet de la locatrice déroge à cet article.
[25] Le projet de la locatrice a été déposé le 25 février 2021 à la ville.
[26] Le 9 mars 2021, le comité consultatif d’urbanisme a émis une recommandation favorable au projet.
[27] Le 12 avril 2021, il y a eu l’adoption du 1er projet de résolution.
[28] Une consultation écrite a été tenue du 14 au 28 avril 2021.
[29] Le 3 mai 2021, la dérogation au Règlement d’urbanisme de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal est autorisée, conditionnellement au respect de six conditions, notamment certaines mesures intérieures, la présence de trois arbres, un maximum de deux stationnements et la cour arrière devant avoir un revêtement de sol perméable. Lesquelles sont rencontrées par le projet.
[30] La locatrice produit une estimation des coûts de la subdivision, émis par l’entrepreneur, qui totalise la somme de 55 000 $.
[31] Elle déposera en preuve les documents qui soutiennent sa capacité financière à procéder aux travaux.
[32] La locatrice confirme qu’elle pourra procéder au projet même si le coût atteint le montant de 70 000 $, comme le mentionne l’estimation de la designer, soumise au dossier.
[33] Les travaux débuteront aussi tôt que le permis sera obtenu.
[34] Les logements seront loués au montant de 600 $ et 850 $.
[35] La locatrice reconnaît qu’elle doit payer les trois mois de loyer ainsi que les frais de déménagement du locataire si l’opposition du locataire est rejetée.
[36] La locatrice accepte le montant avancé par le locataire pour les frais de poste, d’internet ainsi que de téléphonie.
[37] Pour le déménagement, elle est d’accord avec une heure de transport, mais pas avec les 6,5 heures comme indiqué dans la soumission.
[38] La locatrice est d’accord pour reporter la date de l’éviction au 31 août 2021.
[39] L’architecte de la locatrice viendra témoigner sur le projet.
[40] Il a reçu son mandat le 11 janvier 2020.
[41] Il expliquera son plan d’aménagement et de paysagement. Il confirmera la faisabilité du projet.
[42] Le projet est présenté en vertu du Règlement sur les projets particuliers de construction, de modification ou d’occupation d’un immeuble, le Plateau Mont-Royal, Montréal.
[44] En matière de subdivision d'un logement, les articles, 1959 et 1966 du Code civil du Québec édictent ce qui suit :
« 1959. Le locateur d'un logement peut en évincer le locataire pour subdiviser le logement, l'agrandir substantiellement ou en changer l'affectation. »
« 1966. Le locataire peut, dans le mois de la réception de l'avis d'éviction, s'adresser au tribunal pour s'opposer à la subdivision, à l'agrandissement ou au changement d'affectation du logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti à quitter les lieux. »
[45] S'il y a opposition, il revient à la locatrice de démontrer qu'elle entend réellement subdiviser le logement, l'agrandir ou en changer l'affectation et que la loi le permet.
[46] Après l'analyse de la preuve, le Tribunal considère que la locatrice a démontré qu'elle a réellement l'intention de mener son projet.
[47] L'absence de permis émis par les autorités municipales le jour de l'audience ne signifie pas que le Tribunal devrait accueillir l'opposition du locataire. Certes, il serait préférable que le permis soit déjà délivré, mais il ne s'agit pas d'une condition préalable au recours.
[48] Dans la décision Ferhat c. 9380-3831 Québec inc.[1], la juge administrative mentionne :
« [38] La jurisprudence a précisé les règles applicables au degré de preuve requis en application de cette disposition. Dans l'affaire, Lewchuk c. Federico Bizzotto et als, la soussignée fait l'analyse suivante :
« Il ne faut pas oublier que l'éviction des locataires constitue une exception au principe directeur de toute la législation sur le logement résidentiel qui s'appuie sur le droit au maintien dans les lieux. La loi comporte donc des exigences précises, soit dans les formalités préalables à l'exercice du droit, soit dans les critères à rencontrer pour exercer le droit à l'éviction.
L'auteur Pierre-Gabriel Jobin, dans son ouvrage sur le louage, énonce ce qui suit :
« Le locateur démontre sa bonne foi par la preuve du caractère sérieux de son projet, plus particulièrement, il doit établir la possibilité de le réaliser et les démarches préparatoires qu'il a entreprises pour le réaliser. Au nombre de celles-ci, il y a les dispositions financières, la préparation des plans, parfois la recherche de clients. »
Selon cet auteur, l'obtention du permis ne constitue pas nécessairement une condition préalable quoique la meilleure preuve de la légalité du projet consisterait en la production du ou des permis nécessaires. »
[Références omises]
[49] Le Tribunal est d'avis que la locatrice a établi la légalité et la faisabilité du projet.
[50] Les démarches entreprises par la locatrice, qui est présentement en attente du permis, démontrent sa volonté d'aller de l'avant avec ce projet ainsi que de la nécessité de ce projet considérant sa situation personnelle.
[51] Le Tribunal ne peut souscrire à la théorie du locataire que la locatrice agit d’une façon abusive et que son projet est improvisé. La preuve démontre le contraire. La locatrice a commencé l’évaluation de ce projet en janvier 2020, soit près de 11 mois avant l’envoi de l’avis d’éviction. Elle a fait affaire avec des professionnels et a suivi la procédure requise.
[52] Rien dans la preuve ne démontre une quelconque intimidation de la part de la locatrice. Le fait de soumettre une offre valide pour une durée de 48 heures ne peut être considéré comme de l’intimidation. La locatrice fait une offre et le locataire peut l’accepter, la refuser ou la négocier. C’est le jeu de l’offre et de la demande, tout simplement.
[53] Le locataire allègue que la locatrice ne pouvait lui faire parvenir son avis d’éviction au moment où elle l’a fait, car elle n’avait pas les autorisations requises à ce moment. L’envoi d’un tel avis n’est pas soumis à des autorisations préalables de la ville. L’avis est soumis au délai et aux conditions du Code civil du Québec, ce qui a été respecté par la locatrice. Cet argument n’est pas retenu par le Tribunal.
[54] Le Tribunal est donc d'avis que la locatrice a démontré qu'elle entend réellement procéder à la subdivision proposée et que son projet est sérieux et réalisable.
[55] Quant à la date d'éviction, le Tribunal est d'avis qu'il y a lieu de fixer la date d'éviction au 31 août 2021.
[56] En ce qui a trait à
l'indemnité prévue en pareille matière, l'article
« 1965. Le locateur doit payer au locataire évincé une indemnité de trois mois de loyer et des frais raisonnables de déménagement. Si le locataire considère que le préjudice qu'il subit justifie des dommages-intérêts plus élevés, il peut s'adresser au tribunal pour en faire fixer le montant.
L'indemnité est payable à l'expiration du bail et les frais de déménagement le sont, sur présentation de pièces justificatives. »
[57] Le locataire a donc droit à une indemnité équivalente à trois mois de loyer, soit la somme de 1 965 $.
[58] En ce qui concerne les frais liés au déménagement, le Tribunal accorde la somme de 194,12 $ pour les transferts de services.
[59] Quant aux frais de déménagement, considérant que le locataire recherche dans le même quartier ou pas très loin de ce dernier, le Tribunal retient une heure pour le transport et non les 6,5 heures comme l’indique la soumission, pour un montant de 3 018, 09 $.
[60] Le montant total de l’indemnité revient donc à 5 177,21 $.
[61] En ce qui concerne la quittance totale et finale mentionnée par le locataire en audience, il n’appartient pas au Tribunal de l’imposer.
[62] Le Tribunal est d'avis
que les demandes pour troubles et inconvénients et pour perte d'enracinement
sont incluses dans l'indemnité de trois mois de loyer prévue par l'article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[63] REJETTE l'opposition du locataire;
[64] ORDONNE l'éviction du locataire au 31 août 2021;
[65] CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 5 177,21 $, au plus tard le jour du déménagement.
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Stella Croteau |
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Présence(s) : |
le locataire la locatrice Me Mélanie Chaperon, avocate de la locatrice |
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Date de l’audience : |
27 mai 2021 |
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