Décision

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Normand c. Ford du Canada limitée

2021 QCCQ 1725

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

ST-JÉRÔME

 

 

« Chambre civile »

N° :

700-32-702103-183

 

DATE :

3 mars 2021

 

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE JIMMY VALLÉE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

Benoit Normand

 

Demandeur

c.

 

Ford du Canada limitée

 

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Monsieur Benoît Normand réclame 12 501,22 $ à Ford du Canada limitée («Ford») pour des dommages qui lui ont été occasionnés lorsque le moteur de son camion Ford F150 a cessé de fonctionner le 19 juillet 2018.

[2]           Bien que la garantie conventionnelle offerte par Ford était à ce moment échue, il soutient que le bris du moteur est survenu de façon prématurée et qu’il doit se voir rembourser la somme de 11 372,13 $ pour l’achat et l’installation d’un nouveau moteur, en plus de 91,98 $ pour la location d’une remorque plateforme, 500,00 $ pour ses journées de travail perdues, 257,11 $ de frais de remorquage et 280,00 $ d’essence.

[3]           Ford conteste la demande et refuse de lui verser quelque montant que ce soit, arguant que la garantie conventionnelle protégeant ce véhicule avait déjà pris fin au moment du bris, par ailleurs inexpliqué.

Le contexte

[4]           Le 24 mai 2012, monsieur Normand achète un camion neuf de marque Ford F150 FX4 de l’année-modèle 2012.

[5]           Bien que ce ne soit pas chez un concessionnaire Ford, il s’occupe lui-même, et de façon jalouse, dit-il, de l’entretien [1] de son véhicule.

[6]           Alors que le véhicule a parcouru approximativement 125 000 kilomètres, un bris et une panne surviennent le 19 juillet 2018 alors que monsieur est en vacances aux États-Unis. Il est ainsi bloqué à Watertown dans l’État de New York.

[7]           Il doit revenir autrement au Québec et retourner ensuite sur place, après la location d’une plateforme, pour remorquer son véhicule.

[8]           Il amène le camion chez le concessionnaire Élite Ford de Saint-Jérôme, où des travaux importants de remplacement du moteur sont exécutés pour une somme de 11 372,13 $.

[9]           Ce n’est que par la suite qu’il transmet une mise en demeure [2] à Ford pour obtenir le remboursement des frais qu’il a encourus en raison du bris de moteur.

[10]        Il ajoute qu’il a reçu après coup, en février 2019, une lettre de Ford en ce qui a trait à un rappel pour un problème de transmission.

[11]        En défense, monsieur Gilles Barrière, analyste chez Ford, explique que monsieur Normand n’a jamais fait effectuer son entretien chez un concessionnaire Ford. Il note, au document produit par monsieur [3], que ce dernier n’aurait jamais changé le filtre à air. Pour lui, il s’agit là d’une modification qui fait en sorte que la garantie de Ford ne s’applique plus. Il ajoute qu’il est possible que le dommage ait été causé par un filtre à air obstrué.

[12]        Comme le lui rappelle le Tribunal, cette garantie conventionnelle ne s’appliquait déjà plus en raison de l’écoulement du temps.

[13]        Il invoque aussi le fait que les bougies du véhicule ont été remplacées quelque temps avant l’incident. Peut-être est-ce là la cause du problème.

 

Analyse et décision

[14]        Le Code civil du Québec («C.c.Q.») prévoit un cadre juridique spécifique concernant la responsabilité du vendeur d'un bien, afin qu'il en assure à l'acheteur la jouissance paisible. Une de ces garanties du droit de propriété est la garantie de qualité, souvent appelée la garantie contre les vices cachés.

[15]        L'article 1726 C.c.Q. précise :

1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

[16]        Pour que la garantie de qualité d’un bien s’applique, il est maintenant bien établi que cinq grandes conditions doivent être démontrées par l’acheteur, c’est-à-dire que le bien est affecté d’un vice, que ce vice est grave, qu’il est antérieur à la vente, qu’il est inconnu de l’acheteur et qu’il a été dénoncé dans un délai raisonnable au vendeur.

[17]        Selon l’article 1729 C.c.Q., en cas de vente par un vendeur professionnel, ce qui est le cas ici, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce ; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur.

[18]        La preuve de cette mauvaise utilisation incombe ici à Ford.

[19]        En présence d’un contrat intervenu entre un commerçant et un consommateur, s'applique également la Loi sur la protection du consommateur («L.P.C.») qui, à ses articles 37, 38 et 53, édicte des garanties qui sont une application particulière de la notion de vice caché [4]. Ils se lisent comme suit :

37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.

 

 

38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

53. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur un vice caché du bien qui a fait l’objet du contrat, sauf si le consommateur pouvait déceler ce vice par un examen ordinaire.

Il en est ainsi pour le défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte.

Ni le commerçant, ni le fabricant ne peuvent alléguer le fait qu’ils ignoraient ce vice ou ce défaut.

Le recours contre le fabricant peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien.

[20]        Ces garanties légales sont d’ordre public et ne peuvent pas être mises à l’écart par une exclusion ou une garantie conventionnelle. Elles s’appliquent même si la garantie conventionnelle est expirée ou inexistante.

[21]        Les principes juridiques qui découlent de ces dispositions législatives et la façon de les appliquer aux faits d’un dossier ont bien été illustrés par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Fortin c. Mazda Canada inc. [5] dont il est utile de reproduire ici plusieurs passages :

[57]        […] Le défaut de respecter les garanties d’usage et de durabilité mentionnées à ces dispositions donne ouverture au recours fondé sur le défaut caché du bien, objet d’un contrat de consommation. Comme le fait remarquer l’auteur Jeffrey Edwards, l’article 53 L.p.c. incorpore par référence la notion de vice caché à laquelle renvoie le C.c.Q..

[58]        Même si on peut valablement soutenir que la L.p.c. apporte une distinction entre la notion de déficit d’usage et celle de vice caché, notre Cour s’est résolument rangée derrière la thèse doctrinale voulant que les garanties consacrées aux articles 37 et 38 de cette loi ne sont qu’une application particulière de la notion de vice caché, elle-même d’origine législative.

[…]       

 

[60]        Je crois ne pas trahir la jurisprudence en concluant qu’un défaut caché selon la L.p.c., lorsqu’il prend l’aspect d’un déficit d’usage, exige, à l’instar du C.c.Q., de satisfaire aux critères suivants : 1) avoir une cause occulte, 2) être suffisamment grave, 3) être inconnu de l’acheteur et finalement 4) être antérieur à la vente.

[61]        S’il est maintenant généralement accepté que les différentes garanties de qualité en droit de la consommation relèvent d’une source commune, il faut cependant noter que le régime de preuve qui leur est applicable se distingue souvent de celui du droit commun, notamment en raison des présomptions contenues aux articles 37, 38 et 53 de la L.p.c.

[62]        L’article 37 L.p.c. confère au consommateur la garantie d’usage, c'est-à-dire que l'usage du bien doit répondre à ses attentes légitimes. Ainsi, dès que le bien ne permet pas l’usage auquel le consommateur peut raisonnablement s’attendre, il y a alors présomption que le défaut est antérieur à la vente, ce qui laisse également présumer, en application du troisième alinéa de l'article 53 L.p.c., de la connaissance par le vendeur de son existence.

[63]        À mon avis, le consommateur bénéficie aussi de cette autre présomption, découlant de la lecture de l’article 37 L.p.c., relative à l'existence d'une cause occulte. En raison du résultat précis imposé au commerçant par cette disposition, la preuve du consommateur doit pour l’essentiel se concentrer sur ce résultat insuffisant ou absent, selon le cas, si, bien entendu, il s’est livré à un examen ordinaire du bien avant l’achat. Ces preuves le dispensent de démontrer la cause à l’origine du déficit d’usage.

[64]        Plusieurs arguments militent en faveur de cette approche. […]

[65]        On trouve d’ailleurs une présomption semblable à l’article 1729 C.c.Q. pour le bien vendu par un vendeur professionnel « si le mauvais fonctionnement du bien […] survient prématurément par rapport à des biens […] de même espèce».

[66]        Il me semble que le législateur n’a pu vouloir apporter une distinction entre le bien qui s’est éteint peu de temps après l’achat (art. 38 L.p.c.) d’avec celui dont les caractéristiques, au lieu de le pousser à l’agonie, continuent à accabler son propriétaire en raison de son incapacité à accomplir sa mission (art. 37 L.p.c.). Je n’accepte pas l’idée que le second puisse être soumis à un régime de preuve plus contraignant que le premier, sans compter que cette proposition s’oppose à la conception large et libérale découlant du rôle éminemment social des législations en matière de protection du consommateur.

[…]       

[69]        J’ajoute que l’importance de la présomption d’existence d'une cause occulte tient aussi au fait qu’elle élargit la conception traditionnelle du vice caché souvent limitée qu’au seul fonctionnement défectueux du bien. Or, il est loisible d’envisager la situation d’un produit dont le mécanisme ne souffre d’aucun défaut à proprement parler, mais, en raison de sa conception, ne permet pas d’en tirer l’usage pour lequel il a été construit. Ainsi, si le déficit d’usage constitue un vice en lui-même, il ne suppose pas pour autant avoir pour cause un défaut matériel.

[70]        En définitive, je considère que les articles 37, 38 et 53 L.p.c. forment un tout cohérent en matière de défaut caché comprenant les présomptions nécessaires à l’établissement des garanties qu’ils énoncent. Le recours basé sur la garantie de l’article 37 L.p.c. exige du consommateur la preuve d’un déficit d’usage sérieux et celle de l'ignorance de cette condition au moment de la vente. Pour le reste, les présomptions contenues à la loi se chargent d’établir les autres facteurs traditionnels propres à la détermination du défaut caché.

Références omises et soulignements ajoutés

[22]        La preuve révèle de façon prépondérante que le véhicule de monsieur Normand est affecté d’un déficit d’usage intégral puisqu’en raison du bris du moteur, il ne pouvait plus fonctionner.

[23]        Ce véhicule n’a donc pas donné les résultats auxquels un consommateur peut raisonnablement s’attendre en ne fonctionnant que pendant 6 ans et 125 000 kilomètres. Il n’était plus en état de servir à un usage normal et ce, de façon prématurée. Ford ne conteste pas sérieusement le fait qu’il est anormal que ce véhicule cesse entièrement de fonctionner après seulement 125 000 kilomètres.

[24]        Finalement, monsieur Normand ignorait de toute évidence cette condition au moment de la vente. Rappelons qu’il a acheté un véhicule neuf.

[25]        Comme le dit si bien la Cour d’appel, «pour le reste, les présomptions contenues à la loi se chargent d’établir les autres facteurs traditionnels propres à la détermination du défaut caché».

[26]        Monsieur Normand n’avait donc pas à démontrer la cause exacte du bris du moteur, ni l’antériorité du vice à la vente. La présomption d’antériorité du défaut à la vente peut, par une preuve prépondérante, être repoussée par le commerçant. Telle preuve n’a pas été faite dans le présent dossier.

[27]        Il est également prouvé, par présomption, que le commerçant connaissait l’existence du vice puisqu’il ne lui est pas loisible d’alléguer qu'il l’ignorait [6].

[28]        Il doit répondre de la garantie à laquelle il est légalement tenu. Les recours prévus à l’article 271 L.P.C. s’offraient alors à monsieur Normand.

[29]        Le Tribunal note par ailleurs que les éléments de défense soumis par Ford ne sont que des hypothèses.

[30]        Il n’existe aucune obligation pour le consommateur de faire procéder à l’entretien de son véhicule directement chez un concessionnaire Ford.

[31]        Par ailleurs, le Tribunal se satisfait des explications de monsieur Normand en ce qui a trait à l’achat par ce dernier d’un filtre à air permanent qu’il nettoie lui-même à tous les six mois.

[32]        En ce qui a trait à une possible obstruction du filtre à air, ou encore d’un incident lors du changement des bougies, ce ne sont encore une fois que des spéculations qui ne sont, d’aucune façon, soutenues par la preuve.

[33]        La preuve ne démontre pas non plus une mauvaise utilisation ou un entretien déficient du véhicule appartenant à monsieur Normand.

[34]        Quant à l’allégation de Ford voulant qu’elle ne s’est jamais vue dénoncer le vice affectant le véhicule, rappelons que monsieur Normand s’est présenté chez un concessionnaire Ford et que ce dernier l’a informé que les réparations ne pourraient être effectuées sous garantie, qu’elles seraient à ses frais. Ce même concessionnaire a effectué toutes les réparations requises.

[35]        Or, la dénonciation du vice faite au commerçant est opposable au fabricant, débiteur solidaire de cette garantie [7].

[36]        Le fait que, selon Ford, son concessionnaire ne l’a jamais contacté ou informé du problème affectant le véhicule de monsieur Normand n’est pas opposable à ce dernier.  

* * *

 

[37]        Monsieur Normand a payé 11 372,13 $ à Élite Ford. Il a expliqué qu’il a fait remplacer au même moment les deux turbos qui, bien que toujours fonctionnels, risquaient de créer un problème. Le coût inhérent à ce remplacement non nécessaire, que le Tribunal fixe à 2 286,24 $, soit 1 749,88 $ de pièces et 230,00 $ de temps (10 % du total) plus les taxes applicables, doit être retranché de cette facture, portant ainsi son total à 9 085,89 $.

[38]        Ceci dit, comme le véhicule avait plus de 6 ans et parcouru 125 000 kilomètres au moment du bris, il y a lieu de réduire le montant octroyé pour tenir compte d’une certaine plus-value au véhicule.

[39]        Usant de la discrétion judiciaire dont il bénéficie, le Tribunal applique donc une dépréciation de 50 % du montant de 9 085,89 et octroie ainsi 4 542,95 $ à monsieur Normand.

[40]        Quant aux autres dommages qui découlent directement de ce vice, l’article 1728 C.c.Q. stipule que si le vendeur connaissait le vice caché ou, comme en l’espèce, ne pouvait l’ignorer en raison de la présomption de connaissance de ce vice, il est tenu, outre la restitution du prix, de réparer le préjudice subi par l’acheteur [8].

[41]        Les frais de location, de remorquage et d’essence, qui totalisent 629,09 $, sont octroyés intégralement.

[42]        Par contre, les 500,00 $ réclamés pour les journées de travail perdues constituent, selon l’avis du Tribunal, un dommage indirect et non prévisible. Ils ne sont pas octroyés.

 

Pour ces motifs, le Tribunal :

          Accueille en partie la demande ;

Condamne la défenderesse à payer au demandeur la somme de 5 172,04 $ avec intérêts au taux légal ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 12 octobre 2018 ;

Condamne la défenderesse aux frais de justice, soit les droits de greffe de 201 $.

 

 

 

__________________________________

Jimmy Vallée, j.c.q.

 

 

 

 

 

Date d’instruction :

2 février 2021

 



[1]     Pièce P-4

 

[2]     Pièce P-6

 

[3]     Pièce P-4

[4]     Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31 (CanLII), paragraphe 58 ; voir aussi MASSE, Claude, Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999, p. 259

[5]     Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31 (CanLII)

[6]     Article 53 L.P.C.

[7]     THIBAUDEAU, Luc, Guide pratique de la société de consommation, Tome 2 Les garanties, Éditions Yvon Blais, 2017, paragraphe 1234 page 623 ; voir aussi Régimbald c. Ford du Canada ltée, 2016 QCCQ 1182, paragraphe 42 ; Bouchard c. Ford Canada ltée, 2014 QCCQ 13280 (CanLII), paragraphe 18

[8]     THIBAUDEAU, Luc, Guide pratique de la société de consommation, Tome 2 Les garanties, Éditions Yvon Blais, 2017, paragraphe 359, page 176

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