Décision

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Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or c. Procureur général du Québec

2025 QCCS 1767

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTREAL

 

No:

500-06-001174-214

 

DATE:

27 mai 2025

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE DONALD BISSON J.C.s.

(JB4644)

 

CENTRE D’AMITIÉ AUTOCHTONE DE VAL-D’OR

Demandeur

et

A

Membre désignée

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Défendeur

 

JUGEMENT

(Sur demande d’autorisation d’exercer une action collective (art. 575 Cpc)

 

 

Table des matières

1. Introduction..................................................2

2. Les dispositions législatives pertinentes.............................4

3. Analyse et discussion..........................................6

3.1 Le droit applicable.........................................6

3.2 L’apparence de droit (Art. 575(2) Cpc)...........................8

3.2.1 Allégations de la membre désignée A.........................8

3.2.2 Identification du recours du demandeur.......................10

3.2.3 Commission de la pratique discriminatoire envers Mme A..........11

3.2.4 Les cinq bases de recours du demandeur.....................15

3.2.4.1 La responsabilité du commettant – art. 1463 CcQ.............16

3.2.4.2 La faute directe – art. 1457 CcQ.........................18

3.2.4.3 Violation de la Charte du Québec et dommages compensatoires..22

3.2.4.4 Dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec..........24

3.2.4.5 Violation de la Charte canadienne et les dommages en vertu de l’art. 24(1) de la Charte canadienne              25

3.2.5 Conclusion sur l’apparence de droit..........................26

3.3 Les questions identiques, similaires ou connexes (Art. 575(1) Cpc).....27

3.4 La composition du groupe (Art. 575(3) Cpc)......................30

3.5 La représentation (art. 575(4) Cpc)............................30

3.6 La définition du groupe.....................................31

3.6.1 L’utilisation du terme « notamment ».........................32

3.6.2 Les agissements reprochés...............................33

3.6.3 L’intemporalité du recours.................................35

3.6.4 La notion de « personnes autochtones »......................35

3.6.5 Conclusion...........................................37

3.7 Le district judiciaire et les avis................................37

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :.................................39

 

1.                 Introduction

  1.                Le Tribunal est saisi d’une demande pour autorisation d’exercer une action collective corrigée du 15 mai 2024 (la « Demande »), déposée par le demandeur Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or et la membre désignée A à l’encontre du défendeur Procureur général du Québec (« PGQ ») pour le compte du groupe suivant[1], dont la membre désignée A allègue être membre :

Toutes les personnes autochtones qui affirment avoir été victimes de pratiques discriminatoires par un ou des agent(s) de la Sûreté du Québec sur le territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or. Constituent notamment des pratiques discriminatoires les agissements suivants :

          Agressions sexuelles;

          Agressions physiques;

          Séquestrations;

          Sollicitation de faveurs sexuelles;

          Force excessive dans le contexte d’arrestations;

          Harcèlement.

  1.                La demande initiale non corrigée a été déposée le 14 décembre 2021.
  2.                Le demandeur allègue que des agents de la Sûreté du Québec (« SQ ») se sont livrés à des exactions sur plusieurs personnes autochtones résidant dans la Municipalité régionale de comté de la Vallée-de-l’Or[2] durant une période s’échelonnant sur plusieurs décennies, et que ces victimes ont été spécifiquement ciblées en raison de la précarité élevée dans laquelle elles vivaient. De façon spécifique, le demandeur réclame ceci au PGQ :
  1.            Des dommages compensatoires pour responsabilité à titre de commettant en vertu de l’article 1463 du Code civil du Québec CcQ ») pour la faute des agents de la SQ envers les membres;
  2.            Des dommages compensatoires pour responsabilité extracontractuelle directe en vertu de l’article 1457 CcQ pour fautes commises envers les membres par les cadres responsables des postes pertinents de la SQ sur le territoire connu aujourd’hui comme la MRC de la Vallée-de-l’Or. Ceci est indépendant de la responsabilité à titre de commettant;
  3.            Des dommages compensatoires pour violation illicite des droits suivants des membres, en vertu de l’alinéa 1 de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[3] (la « Charte du Québec ») : intégrité, sécurité de la personne et liberté (art. 1), droit de la personne détenue d’être traitée avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine (art. 25), dignité (art. 4) et protection contre la discrimination (art. 10);
  4.            Des dommages punitifs pour violation illicite et intentionnelle des droits des membres décrits à l’élément précédent, en vertu de l’alinéa 2 de l’article 49 de la Charte du Québec;
  5.            Des dommages pour violation des droits suivants des membres, en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés[4] (la « Charte canadienne ») : sécurité de la personne et liberté (art. 7), protections contre les détentions arbitraires et abusives (art. 9) et protection contre la discrimination (art. 15(1)). Ces dommages sont régis par l’arrêt Ward[5] de la Cour suprême du Canada.
  1.                Le PGQ est poursuivi en sa qualité de représentant du ministre de la Sécurité publique, sous l’autorité duquel agit la SQ en vertu de la Loi sur la police[6].
  2.                Le 7 juin 2022, le Tribunal a rendu[7] une décision sur une demande pour obtenir des ordonnances de confidentialité, de non-divulgation et de non-publication, laquelle a été renversée en partie en appel le 5 avril 2024[8].
  3.                Les questions identiques, similaires ou connexes proposées par le demandeur sont les suivantes[9] :
  1.            Des agents de la Sûreté du Québec ont-ils commis des fautes dans l’exercice de leurs fonctions à l’égard des membres du groupe?
  2.            La Sûreté du Québec a-t-elle manqué à son obligation de mettre en place des mesures appropriées pour prévenir ces fautes et de former, de superviser et de discipliner ses agents?
  3.            Quel montant de dommages-intérêts compensatoires le défendeur doit-il être condamné à verser aux membres du groupe?
  4.            Les droits des membres du groupe à l’intégrité, à la liberté, à la sécurité de la personne et à la dignité ont-ils été violés?
  5.            Les droits des membres du groupe qui ont été séquestrés par des agents de la SQ à la protection contre la détention arbitraire ont-ils été violés?
  6.            Les droits des membres du groupe qui ont été séquestrés par des agents de la SQ d’être traités avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine ont-ils été violés?
  7.            Les droits des membres du groupe à l'égalité et à une protection égale devant la loi ont-ils été violés?
  8.            Les membres du groupe ont-ils droit à une réparation juste et appropriée en vertu de l'article 24(1) de la Charte canadienne?
  9.            Les membres du groupe ont-ils droit à des dommages punitifs en vertu de l'article 49 de la Charte du Québec?
  1.                Le PGQ conteste et argumente l’absence d’apparence de droit du recours de la membre désignée A et l’absence de questions identiques, similaires ou connexes. Le PGQ a également des arguments en matière de prescription et de définition du groupe.  Le détail des arguments des parties est exposé plus loin.

2.                 Les dispositions législatives pertinentes

  1.                Voici l’article 575 du Code de procédure civile (« Cpc ») :

575. Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que:

 les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

 les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

 la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance;

 le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

  1.                Les articles 1457 et 1463 CcQ se lisent ainsi :

1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.

1463. Le commettant est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l’exécution de leurs fonctions; il conserve, néanmoins, ses recours contre eux.

  1.            Voici les articles 1, 4, 10, 25 et 49 Charte du Québec :

1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.

Il possède également la personnalité juridique.

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

25. Toute personne arrêtée ou détenue doit être traitée avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

  1.            Voici enfin les articles 7, 9, 15(1) et 24(1) de la Charte canadienne :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.

15.(1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

24.(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

3.                 Analyse et discussion

  1.            Le Tribunal débute par le droit applicable à l’autorisation.

3.1        Le droit applicable

  1.            L'article 575 Cpc gouverne l’autorisation d’exercer une action collective.
  2.            Les arrêts Homsy c. Google[10] et Tessier c. Economical, compagnie mutuelle d'assurance[11] présentent ainsi l’état du droit sur l’autorisation d’exercice d’une action collective :
  1.            Les conditions de l’article 575 Cpc sont exhaustives, de sorte que si elles sont toutes satisfaites, le juge d’autorisation doit autoriser l’action collective. Le juge exerce une certaine forme de discrétion dans l'appréciation de la satisfaction des conditions d'autorisation. Ainsi, si l'une des conditions énoncées à l'article 575 Cpc n'est pas satisfaite, il doit rejeter la demande d’autorisation;
  2.            Une seule question commune peut suffire à satisfaire l’exigence du paragraphe 575(1) Cpc, si elle permet de faire avancer le débat ou de favoriser son règlement d’une manière non négligeable, sans qu’on doive nécessairement y apporter une réponse commune;
  3.            Aux fins du paragraphe 575(2) Cpc, les allégations factuelles de la demande d’autorisation (à distinguer des allégations de nature juridique) doivent être tenues pour avérées à moins qu’elles ne soient génériques ou générales, vagues, imprécises, manifestement inexactes ou autrement contredites par la preuve de la partie demanderesse elle-même ou qu’elles ne relèvent de l’opinion, de l’hypothèse ou de la spéculation. Les faits ainsi tenus pour avérés doivent justifier les conclusions recherchées en offrant un syllogisme juridique non pas certain, mais simplement défendable, soutenable, qui ne soit ni frivole ni nettement mal fondé, la partie demanderesse n’ayant qu’à « établir une simple “possibilité” d’avoir gain de cause sur le fond, pas même une possibilité “réaliste” ou “raisonnable” ». Il s’agit d’un fardeau de démonstration léger, pas de preuve par prépondérance;
  4.            Si les allégations de la demande ne sont pas génériques, générales, vagues ou imprécises, alors le demandeur n’a pas à fournir de preuve;
  5.            Quant aux faits que la défense aurait eu la permission de mettre en preuve, les faits allégués dans la demande d’autorisation sont tenus pour avérés à moins qu’une telle preuve non contredite ne démontre qu’ils sont faux. Les faits allégués par la défense ne sont pas tenus pour avérés s’ils sont susceptibles d’être éventuellement contredits par le demandeur;
  6.            Quant au paragraphe 575(3) Cpc, les juges autorisateurs doivent simplement se demander s’il existe un groupe et si sa composition rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui (Art. 91 Cpc) ou sur la jonction d’instance (210 Cpc), ce qui est habituellement le cas des demandes visant un grand nombre de personnes dont l’identité n’est pas facilement déterminée;
  7.            Finalement, le paragraphe 575(4) Cpc exige que la personne destinée à représenter les membres puisse assurer cette fonction de manière adéquate, ce qui suppose qu’elle ait elle-même un intérêt juridique à poursuivre, qu’elle ne soit pas en conflit d’intérêts avec les autres membres du groupe et qu’elle soit minimalement compétente. Elle doit ainsi s’intéresser, au sens ordinaire du terme, à l’affaire, en avoir une compréhension générale et être en mesure de prendre, au besoin, les décisions qui s'imposent au bénéfice de l'ensemble du groupe, étant entendu qu’elle sera assistée et conseillée dans ces tâches par l’avocat au dossier.
  1.            Il convient de débuter l’analyse par l’apparence de droit. Puisqu’il y a ici une personne désignée en vertu de l’article 571 Cpc, c’est le cas personnel de la membre désignée A qui doit avoir l’apparence de droit. À cet égard, comme l’a souligné récemment la Cour d’appel dans l’arrêt Royer c. Capital One Bank (Canada Branch)[12] :

[27] Rappelons également qu’au stade de l’autorisation, la suffisance du syllogisme doit être évaluée en fonction de la cause personnelle du représentant puisque le recours dans sa dimension collective n’existe pas encore. Si le représentant ne réussit pas à démontrer qu’il satisfait à cette exigence, la demande doit être rejetée sur ce fondement et sur son absence d’intérêt d’agir, lequel participe aussi de la condition de 575(4) C.p.c. qui, sur ce point, se recoupe. À l’inverse, si le représentant justifie suffisamment de la possibilité qu’il ait subi un préjudice, l’autorisation peut être donnée pour tout chef de dommages que lui mais aussi d’autres victimes peuvent avoir subi, le recours personnel du représentant ne devant pas être un modèle type de celui de tous les membres ou même de la majorité de ceux-ci.

3.2   L’apparence de droit (Art. 575(2) Cpc)

3.2.1           Allégations de la membre désignée A

  1.            Voici ce qui est allégué aux paragraphes 78 à 108 de la Demande quant au cas personnel de la membre désignée A, le Tribunal ajoutant la qualification qu’il y a trois événements et leur suite :
  1.            La membre désignée A est une femme autochtone originaire de la communauté de Lac-Simon[13];
  2.            A a été agressée sexuellement en automne 1978 par le chef du poste de police de la SQ pour la Ville de Senneterre[14], dans les circonstances qui suivent;

Événement 1

  1.            A avait 18 ans à l’époque et son frère lui a présenté le policier dans un bar de Senneterre;
  2.            A était intoxiquée à ce moment en raison de consommation d’alcool;
  3.            Le policier a invité A dans sa voiture de police banalisée et elle a accepté d’y monter;
  4.            Il l’a emmené à l’extérieur de la ville dans un endroit isolé, et ils ont parlé pendant quelques instants dans la voiture — le policier lui a notamment demandé d’identifier les vendeurs de drogue qui opéraient dans la ville de Senneterre;
  5.            Le policier a ensuite demandé à A de lui faire une fellation, ce qu’elle a fait, quoique brièvement;
  6.            Il l’a ensuite ramenée dans la ville et A est partie chez elle;

Événement 2

  1.            Quelque temps après, le même policier a approché A à la fermeture des bars alors qu’elle était intoxiquée;
  2.        A est de nouveau montée dans sa voiture de police banalisée;
  3.        Le policier lui a alors demandé de lui faire une fellation, ce que A a refusé;
  4.        Malgré son refus, alors qu’ils étaient sur la route pour se rendre au même endroit que la première fois, ils ont eu un accident alors que le policier était au volant;
  5.        Le policier lui a alors dit de descendre de la voiture et A a dû marcher environ 5 km afin de regagner son domicile;

Événement 3

  1.        Le policier a ensuite approché A à une troisième occasion, toujours à la fermeture des bars et alors qu’elle était très intoxiquée;
  2.        Le policier a emmené A dans sa camionnette personnelle en face du Motel Bell’Villa de Senneterre;
  3.        Le policier a alors commencé à embrasser A, à la toucher et à tenter de retirer ses pantalons;
  4.        A était confuse en raison de son état d’intoxication et a éprouvé de la difficulté à comprendre ce qui lui arrivait et à réagir;
  5.        A a demandé au policier d’arrêter, mais celui-ci a continué et a réussi à retirer ses pantalons;
  6.        A a tenté de se débattre en poussant le policier et en le frappant, mais celui-ci l’a contraint physiquement et l’a violée;
  7.        Lorsqu’il a terminé, le policier a tout de suite fait sortir A de la camionnette;
  8.        À ce moment, bien que A était encore en état d’intoxication et avait de la peine à se lever pour sortir du véhicule, elle a pris conscience de ce qui venait de se passer — elle est cependant rapidement tombée dans le déni, lequel a duré des années;

Suites des événements

  1.        Les agressions sexuelles, l’abus de pouvoir et la séquestration commis par le policier à l’égard de A ont eu de graves conséquences à son endroit;
  2.        Elle a augmenté sa consommation de drogue et d’alcool suite à ces gestes, et a consommé régulièrement et avec excès jusqu’à l’âge de 30 ans;
  3.        A a aussi été victime d’autres relations sexuelles fondées sur la contrainte, ayant intériorisé la notion selon laquelle elle ne pouvait qu’arrêter de résister si un homme se montrait agressif et insistant;
  4.        A a aussi développé une peur des hommes et appréhende de se faire utiliser et manipuler comme elle l’a été par le policier;
  5.        Encore aujourd’hui, A vit une grande difficulté à faire confiance et à envisager une relation à long terme avec un partenaire;
  6.        Les agressions ont affecté sa vie de couple et ont affecté pendant plusieurs années son désir d’avoir des enfants – elle a maintenant cinq enfants âgés de trente-trois à quarante ans;
  7.        Lorsque A a décidé d’arrêter de consommer à 30 ans, elle a décidé de quitter l’Abitibi, notamment en raison du souvenir douloureux des agressions;
  8.        Il lui a été très difficile de quitter famille et amis qui sont demeurés dans sa région natale;
  9.        C’est seulement cette année, plus de quarante ans plus tard, qu’elle a osé revenir s’installer dans sa région natale.
  1.            Mais quel est le recours que veut exercer le demandeur?

3.2.2           Identification du recours du demandeur

  1.            Le Tribunal veut ici rappeler la définition du groupe proposée :

Toutes les personnes autochtones qui affirment avoir été victimes de pratiques discriminatoires par un ou des agent(s) de la Sûreté du Québec sur le territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or. Constituent notamment des pratiques discriminatoires les agissements suivants :

                 Agressions sexuelles;

                 Agressions physiques;

                 Séquestrations;

                 Sollicitation de faveurs sexuelles;

                 Force excessive dans le contexte d’arrestations;

                 Harcèlement.

  1.            Le PGQ argumente que le demandeur propose 6 causes d’action distinctes, soit :
  1.            Agressions sexuelles;
  2.            Agressions physiques;
  3.            Séquestrations;
  4.            Sollicitation de faveurs sexuelles;
  5.            Force excessive dans le contexte d’arrestations;
  6.            Harcèlement.
  1.            Pour le PGQ, le demandeur doit démontrer une apparence de droit quant à ces 6 éléments via le cas individuel de la membre désignée A, et ce, à l’égard de chacun des cinq reproches suivants que le demandeur propose :
  1.            Responsabilité du commettant;
  2.            Faute directe;
  3.            Violation de la Charte du Québec (dommages compensatoires);
  4.            Dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec;
  5.            Violation de la Charte canadienne.
  1.            Autrement dit, selon le PGQ, le cas individuel de Mme A doit démontrer une apparence de droit à tous égards, et le défaut de ce faire entraîne le rejet de toute portion de la Demande non couverte par le cas factuel de Mme A, ou même de toute la Demande si aucune allégation factuelle ne démontre aucune des figures de style possibles.
  2.            Le Tribunal est en désaccord avec la position du PGQ car elle ne correspond pas à la définition du groupe ni aux questions identiques, similaires ou connexes proposées. En effet, le Tribunal constate que le demandeur reproche au PGQ les pratiques discriminatoires des agents de la SQ sur le territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or auprès de personnes autochtones. Le demandeur donne ensuite une liste non exhaustive de ces pratiques en énumérant six agissements (agressions sexuelles, agressions physiques, séquestrations, sollicitation de faveurs sexuelles, force excessive dans le contexte d’arrestations, et harcèlement).
  3.            Selon le Tribunal, il y a donc un reproche commun, soit celui de la pratique discriminatoire par les agents de la SQ envers les autochtones sur le territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or. Ce reproche prend plusieurs visages, soit les six agissements.
  4.            Dans ces circonstances, selon le Tribunal, tout comme c’était le cas pour la notion de milieu de vie substitut dans la décision Conseil pour la protection des malades c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre[15], Mme A n’a donc pas à avoir été victime par la SQ de tous les six types d’agissements décrits à la Demande. Il suffit qu’elle démontre avoir été victime de l’un d’entre eux afin de pouvoir argumenter la responsabilité du PGQ. Si elle le démontre, alors cela sera suffisant pour démontrer la cause d’action générale qui est la pratique discriminatoire par les agents de la SQ envers les autochtones sur le territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or. Cela couvrira ensuite tous les membres du groupe pour tous les six agissements.
  5.            Donc, Mme A a-t-elle démontré la commission envers elle par les agents de la SQ de l’un des six agissements constituant la pratique discriminatoire?

3.2.3           Commission de la pratique discriminatoire envers Mme A

  1.            Le Tribunal débute par indiquer que Mme A allègue qu’elle est autochtone, que c’est un agent de la SQ qui a commis les gestes reprochés et que le tout s’est déroulé dans le territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or.
  2.            Les trois événements se qualifient-ils soit d’agressions sexuelles, d’agressions physiques, de séquestrations, de sollicitation de faveurs sexuelles, de force excessive dans le contexte d’arrestations, et/ou de harcèlement?
  3.            Voici encore les allégations de l’événement 1, qui s’est déroulé à l’automne 1978 :
  •            A avait 18 ans à l’époque et son frère lui a présenté le policier dans un bar de Senneterre;
  •            A était intoxiquée à ce moment en raison de consommation d’alcool;
  •            Le policier a invité A dans sa voiture de police banalisée et elle a accepté d’y monter;
  •            Il l’a emmenée à l’extérieur de la ville dans un endroit isolé, et ils ont parlé pendant quelques instants dans la voiture — le policier lui a notamment demandé d’identifier les vendeurs de drogue qui opéraient dans la ville de Senneterre;
  •            Le policier a ensuite demandé à A de lui faire une fellation, ce qu’elle a fait, quoique brièvement;
  •            Il l’a ensuite ramenée dans la ville et A est partie chez elle.
  1.            Quant à cet événement, le PGQ s’en remet au Tribunal afin de décider si ces faits correspondent à l’un des six agissements ou à plusieurs d’entre eux. Le demandeur argumente qu’il s’agit d’une agression sexuelle.
  2.            Le Tribunal est d’accord avec la qualification du demandeur. Il s’agit d’une agression sexuelle car l’agent a demandé à Mme A, qui était intoxiquée, de lui faire une fellation.
  3.            De plus, dans son plan d’argumentation, le demandeur indique que l’agissement de sollicitation de faveurs sexuelles n’est pas la sollicitation traditionnelle pour fins de prostitution, mais plutôt le fait pour l’agent de la SQ de solliciter des faveurs sexuelles en utilisant diverses formes de coercition ou de manipulation. Il s’agit donc d’une autre version d’une agression sexuelle. Le Tribunal est d’avis que, selon cette définition, l’agent de police a ici commis une telle sollicitation.
  4.            Dans ces deux cas, il s’agit d’une agression sexuelle. Voici l’article 2926.1 CcQ (le Tribunal souligne) :

2926.1. L’action en réparation du préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle se prescrit par 10 ans à compter du jour où la personne victime a connaissance que son préjudice est attribuable à cet acte. Cette action est cependant imprescriptible si le préjudice résulte de la violence subie pendant l’enfance, de la violence sexuelle ou de la violence conjugale. Constitue une violence subie pendant l’enfance au sens du présent article, une thérapie de conversion, telle que définie par l’article 1 de la Loi visant à protéger les personnes contre les thérapies de conversion dispensées pour changer leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leur expression de genre (chapitre P-42.2).

Toutefois, l’action contre l’héritier, le légataire particulier ou le successible de l’auteur de l’acte, ou contre le liquidateur de la succession de celui-ci, doit être intentée dans les trois ans du décès de l’auteur de l’acte, sous peine de déchéance, sauf si le défendeur est poursuivi pour sa propre faute ou à titre de commettant. De même, l’action exercée en raison du préjudice subi par la personne victime doit être intentée dans les trois ans du décès de celle-ci, sous peine de déchéance.

  1.            En vertu de cet article, le recours de Mme A en réparation du préjudice corporel résultant d’une violence sexuelle est imprescriptible. La violence sexuelle inclut l’agression sexuelle. Dans ces circonstances, même si l’événement 1 s’est déroulé en 1978, le recours de Mme A n’était donc pas prescrit lorsque le demandeur a déposé sa demande initiale non corrigée le 14 décembre 2021.
  2.            Donc, vu ce qui précède, le Tribunal conclut que Mme A a démontré avoir subi deux des six agissements, ce qui est donc en soi suffisant. Elle n’a pas à démontrer avoir subi les autres. Le Tribunal pourrait passer directement à la section suivante et analyser les cinq reproches.
  3.            Voici maintenant à nouveau les allégations de l’événement 2, qui s’est déroulé à l’automne 1978 :
  •            Quelque temps après, le même policier a approché A à la fermeture des bars alors qu’elle était intoxiquée;
  •            A est de nouveau montée dans sa voiture de police banalisée;
  •            Le policier lui a alors demandé de lui faire une fellation, ce que A a refusé;
  •            Malgré son refus, alors qu’ils étaient sur la route pour se rendre au même endroit que la première fois, ils ont eu un accident alors que le policier était au volant;
  •            Le policier lui a alors dit de descendre de la voiture et A a dû marcher environ 5 km afin de regagner son domicile.
  1.            Le PGQ argumente qu’il n’y a pas d’agression sexuelle ni de séquestration au sens du Code criminel[16], de sorte qu’il s’agirait au mieux d’une allégation de faute extracontractuelle ordinaire, laquelle serait donc prescrite car la prescription de 3 ans s’applique et l’article 2926.1 CcQ ne s’appliquerait pas ici.
  2.            Selon le Tribunal, il n’y a pas ici d’agression sexuelle. Cependant, il y a tentative de commettre une agression sexuelle, vu l’intoxication de Mme A et le refus de cette dernière, ce qui est une infraction criminelle. Il y a également sollicitation de faveurs sexuelles au sens où le demandeur l’entend, soit l’agression sexuelle.
  3.            De plus, selon le Tribunal, il pourrait y avoir séquestration au sens de l’article 279 (1) et (2) du Code Criminel :

279(1) Commet une infraction quiconque enlève une personne dans l’intention :

  1.              soit de la faire séquestrer ou emprisonner contre son gré;

[…]

(2)  Quiconque, sans autorisation légitime, séquestre, emprisonne ou saisit de force une autre personne est coupable :

a)  soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

b)  soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

  1.            Emmener de force une personne dans une voiture pour la déposer loin de la ville afin de la forcer à revenir à pied est une séquestration de l’avis du Tribunal.
  2.            Puisqu’il s’agit encore ici d’une agression sexuelle, le recours de Mme A est imprescriptible, comme pour l’événement 1. S’il y avait uniquement séquestration, alors il y aurait un acte pouvant constituer une infraction criminelle, et donc la prescription serait de 10 ans à compter du jour où la personne victime a connaissance que son préjudice est attribuable à cet acte. Le Tribunal n’a pas à répondre à cette question vu la présence de l’agression sexuelle, qui vient rendre le tout imprescriptible[17].
  3.            Enfin, voici à nouveau les allégations de l’événement 3, qui s’est déroulé à l’automne 1978 :
  •            Le policier a ensuite approché A à une troisième occasion, toujours à la fermeture des bars et alors qu’elle était très intoxiquée;
  •            Le policier a emmené A dans sa camionnette personnelle en face du Motel Bell’Villa de Senneterre;
  •            Le policier a alors commencé à embrasser A, à la toucher et à tenter de retirer ses pantalons;
  •            A était confuse en raison de son état d’intoxication et a éprouvé de la difficulté à comprendre ce qui lui arrivait et à réagir;
  •            A a demandé au policier d’arrêter, mais celui-ci a continué et a réussi à retirer ses pantalons;
  •            A a tenté de se débattre en poussant le policier et en le frappant, mais celui-ci l’a contraint physiquement et l’a violée;
  •            Lorsqu’il a terminé, le policier a tout de suite fait sortir A de la camionnette;
  •            À ce moment, bien que A était encore en état d’intoxication et avait de la peine à se lever pour sortir du véhicule, elle a pris conscience de ce qui venait de se passer — elle est cependant rapidement tombée dans le déni, lequel a duré des années.
  1.            Le PGQ admet qu’il s’agit ici d’une agression sexuelle et d’une agression physique. Le Tribunal est évidemment d’accord, vu les allégations. Il y a également ici aussi sollicitation de faveurs sexuelles au sens où le demandeur l’entend, soit l’agression sexuelle.
  2.            Puisqu’il s’agit encore ici d’une agression sexuelle, le recours de Mme A est imprescriptible, comme pour l’événement 1. S’il y avait uniquement agression physique, alors il y aurait un acte pouvant constituer une infraction criminelle, et donc la prescription serait de 10 ans à compter du jour où la personne victime a connaissance que son préjudice est attribuable à cet acte. Le Tribunal n’a pas à répondre à cette question vu la présence de l’agression sexuelle, qui vient rendre le tout imprescriptible.
  3.            Le Tribunal conclut que Mme A a démontré qu’elle a subi des agressions sexuelles, une agression physique, une séquestration et des sollicitations de faveurs sexuelles, soit quatre des six agissements, lesquels ne sont pas prescrits. Même si Mme A n’a pas démontré qu’elle a subi les deux autres agissements (force excessive dans le contexte d’arrestations, et harcèlement), cela ne change rien, pour les motifs expliqués précédemment; ils sont inclus dans la démonstration qu’a faite Mme A. Le Tribunal conclut donc que Mme A a démontré une apparence de droit à l’égard de la commission des pratiques discriminatoires par des agents de la SQ sur le territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or auprès de personnes autochtones.
  4.            Mais Mme A a-t-elle néanmoins un recours valide contre le PGQ? Ce dernier le nie.
  5.            Donc, abordons maintenant les cinq bases des recours proposés par le demandeur, soit :
  1.            Responsabilité du commettant;
  2.            Faute directe;
  3.            Violation de la Charte du Québec (dommages compensatoires);
  4.            Dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec;
  5.            Violation de la Charte canadienne.
  1.            Mme A doit démontrer une apparence de droit à l’égard de ces cinq bases, mais pas pour tous les six agissements reprochés, un seul étant suffisant pour chacune des bases, car un seul agissement démontré couvre l’ensemble des pratiques discriminatoires, tel qu’expliqué précédemment.

3.2.4           Les cinq bases de recours du demandeur

  1.            Le Tribunal débute par la responsabilité du commettant.
3.2.4.1            La responsabilité du commettant – art. 1463 CcQ
  1.            Pour pouvoir trouver le PGQ responsable de la faute de son commettant l’agent de la SQ, le demandeur doit démontrer trois éléments : 1) la faute du préposé; 2) le lien de préposition; et 3) la preuve que le préposé était dans l’exercice de ses fonctions au moment du fait reproché. Dans la section 3.2.3, le Tribunal vient de conclure à la présence de faute du préposé, l’agent de la SQ. Le lien de préposition n’est pas en litige. Il reste donc l’élément 3.
  2.            Selon le demandeur, les actes de l’agent de la SQ envers Mme A ont été commis dans l’exécution de ses fonctions, d’où responsabilité du PGQ à titre de commettant en vertu de l’article 1463 CcQ. Le PGQ conteste et argumente que l’agent de la SQ n’était pas dans l’exécution de ses fonctions.
  3.            Le Tribunal est d’avis ici que toute l’approche de l’argumentation écrite du PGQ à cet égard ne peut être retenue car elle est basée entièrement sur l’arrêt Havre des Femmes inc. c. Dubé[18], lequel exige la nécessité d'établir deux conditions pour qu'un abus de fonctions entraîne la responsabilité du commettant, à savoir : 1) le préposé doit demeurer dans le cadre général de ses fonctions; et 2) la faute commise doit l'être pour le bénéfice, au moins partiel, du commettant. Or, avec égards, cet arrêt n’est plus d’actualité et il existe un courant jurisprudentiel plus récent, qui met de côté cette approche et la nécessité que l’acte commis soit pour le bénéfice du commettant. Les tribunaux s’inspirent désormais de décisions de la Cour suprême du Canada rendues en common law pour prendre en considération une série plus large de facteurs, tels que l’occasion que la fonction de l’employé lui donnait pour abuser de son pouvoir, l’étendue du pouvoir conféré à celui-ci et la vulnérabilité des victimes potentielles.
  4.            Dans l’arrêt J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal[19], la Cour d’appel indique que ce sont les critères issus de la common law, notamment dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Untel c. Bennet[20], qui s’appliquent à la responsabilité du commettant en droit civil.
  5.            La décision de la Cour supérieure Tremblay c. Lavoie[21] est la seule décision québécoise rendue au mérite dans une action collective concernant des agressions sexuelles commises par des membres du clergé. Le juge Bouchard s’inspire de la common law, dont l’arrêt Untel c. Bennet, et décide que le critère applicable est le suivant :
  •             Un demandeur doit établir que les faits justifient l'imputation de la responsabilité à deux égards. D'une part, il doit exister une relation suffisamment étroite entre l'auteur du délit et la personne poursuivie et d'autre part, l'acte fautif doit être suffisamment lié à la conduite autorisée par cette dernière. À cette fin, la Cour suprême du Canada fournit une liste de facteurs à examiner pour statuer sur l'existence du lien suffisant:

a) l'occasion que l'entreprise a fournie à l'employé d'abuser de son pouvoir;

b) la mesure dans laquelle l'acte fautif peut avoir contribué à la réalisation des objectifs de l'employeur (et avoir donc été plus susceptible d'avoir été commis par l'employé);

c) la mesure dans laquelle l'acte fautif était lié à la situation de conflit, d'affrontement ou d'intimité propre à l'entreprise de l'employeur;

d) l'étendue du pouvoir conféré à l'employé relativement à la victime;

e) la vulnérabilité des victimes potentielles à l'exercice fautif du pouvoir de l'employé.

  1.            Le Tribunal constate que n’existe plus le critère que la faute commise doit l'être pour le bénéfice, au moins partiel, du commettant.
  2.            Donc, en appliquant la jurisprudence contemporaine[22], il est clair que les actes fautifs que le policier de la SQ a commis envers Mme A sont suffisamment liés à la conduite autorisée par la SQ. En effet, dans l’événement 1, le policier a fait monter Mme A dans sa voiture de police et lui a posé des questions sur les vendeurs de drogue, laissant donc sous-entendre un prétexte relié au travail de policier pour commettre l’agression sexuelle. Dans l’événement 2, le policier a fait monter Mme A dans sa voiture de police. Dans l’événement 3, le policier s’est servi de l’effet d’entraînement des deux premiers événements pour commettre l’agression sexuelle. En tant qu’agent de police, la SQ a fourni à cet agent une occasion d’abuser de son pouvoir, avec parfois un prétexte lié au travail de policier. De surcroît, l’agent de police a un pouvoir considérable sur Mme A, qui était très vulnérable, en plus d’être intoxiquée.
  3.            Bref, le Tribunal conclut que l’agent de la SQ était dans l’exécution de ses fonctions, d’où responsabilité du PGQ à titre de commettant en vertu de l’article 1463 CcQ. Le Tribunal note d’ailleurs qu’en plaidoirie orale, le PGQ a indiqué qu’il reconnaissait la relation de commettant-préposé pour les événements 1 et 2.
  4.            Le Tribunal ajoute que le nom et l’identité de l’agent de police n’ont aucune pertinence au présent stade du dossier.
  5.            Le Tribunal conclut également que Mme A a démontré l’existence d’un préjudice, de par les allégations des paragraphes 100 à 108 de la Demande, qui font état des dommages subis. Le Tribunal les reproduit encore ici :
  •            Les agressions sexuelles, l’abus de pouvoir et la séquestration commis par le policier à l’égard de A ont eu de graves conséquences à son endroit;
  •            Elle a augmenté sa consommation de drogue et d’alcool suite à ces gestes, et a consommé régulièrement et avec excès jusqu’à l’âge de 30 ans;
  •            A a aussi été victime d’autres relations sexuelles fondées sur la contrainte, ayant intériorisé la notion selon laquelle elle ne pouvait qu’arrêter de résister si un homme se montrait agressif et insistant;
  •            A a aussi développé une peur des hommes et appréhende de se faire utiliser et manipuler comme elle l’a été par le policier;
  •            Encore aujourd’hui, A vit une grande difficulté à faire confiance et à envisager une relation à long terme avec un partenaire;
  •            Les agressions ont affecté sa vie de couple et ont affecté pendant plusieurs années son désir d’avoir des enfants – elle a maintenant cinq enfants âgés de trente-trois à quarante ans;
  •            Lorsque A a décidé d’arrêter de consommer à 30 ans, elle a décidé de quitter l’Abitibi, notamment en raison du souvenir douloureux des agressions;
  •            Il lui a été très difficile de quitter famille et amis qui sont demeurés dans sa région natale;
  •            C’est seulement cette année, plus de quarante ans plus tard, qu’elle a osé revenir s’installer dans sa région natale.
  1.            La causalité n’est pas en litige.
  2.            Le demandeur précise que le quantum des dommages sera à être déterminé au mérite. Il en fait même une des questions communes. Cette pratique ne constitue pas un obstacle à l’autorisation, selon le Tribunal.
  3.            Le Tribunal conclut donc que le demandeur a démontré une apparence de droit au recours de Mme A contre le PGQ basé sur la responsabilité du commettant. Cela inclut toutes les pratiques discriminatoires, comme expliqué précédemment.
3.2.4.2            La faute directe – art. 1457 CcQ
  1.            Voici les allégations de la Demande du demandeur quant à la faute directe du PGQ :

125. La défenderesse est également responsable en raison de la conduite fautive de la SQ, agissant par l’entremise de ses cadres, à l’égard des membres du groupe;

126. La SQ a l’obligation de former, surveiller et de discipliner ses agents et de s'assurer qu'ils agissent conformément à la loi et aux Chartes. Elle a le devoir de protéger tous les membres du public, y compris les membres du groupe, contre les abus de ses agents;

127. La Sûreté du Québec n’a toutefois pas su empêcher les violations des droits des membres du groupe de par, notamment:

  •            son défaut de structurer son processus d’embauche de façon à identifier les candidats posant des risques pour le public, notamment en raison d’une propension à la violence ou en raison d’attitudes racistes et/ou misogynes;
  •            son défaut de former les agents concernant les réalités culturelles et sociales des personnes et des communautés autochtones qu'ils étaient censés servir et de s'assurer que ses agents traitent ces personnes avec dignité, respect et égalité;
  •            en tolérant la commission d’actes violents, illégaux, ou contraires aux règles gouvernant la conduite des policiers, entraînant de ce fait chez certains agents une dégradation du respect pour la loi et pour la sécurité et l’intégrité des citoyens;
  •            en tolérant des comportements empreints de préjugés et de racisme envers les personnes autochtones et les personnes en situation de précarité socio-économique, normalisant ainsi une déshumanisation de ces personnes chez certains de ses agents;
  •            en tolérant une culture du silence au sein de laquelle les agents hésitent à dénoncer les comportements de leurs collègues, plutôt que de promouvoir une saine et nécessaire vigilance entre agents afin d’assurer leur respect de la loi.

128. De plus, les cadres de la SQ responsables du territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or ont été mis au courant des abus et des infractions criminelles commises par les agents sous leur responsabilité;

129. Ces cadres ont omis de sévir à l’encontre de ces agents et omis de prendre les mesures nécessaires afin de mettre fin à ces exactions - de ce fait, ils ont toléré ce qu’ils savaient constituer des actes criminels, des fautes civiles et des violations des obligations professionnelles des policiers en vertu du Code de déontologie des policiers du Québec;

  1.            Le demandeur reproche donc aux chefs de la SQ (donc le PGQ) d’avoir eu connaissance des pratiques discriminatoires commises par les agents de la SQ et de ne pas les avoir formés adéquatement, surveillés et disciplinés, d’avoir toléré leurs agissements sans rien faire.
  2.            Selon le PGQ, cet argument du demandeur ne repose pas sur des allégations pouvant être tenues pour avérées, puisqu’il s’agit d’allégations générales du demandeur qui ne reposent sur aucun fondement factuel et qui relèvent de la pure opinion. Selon le PGQ :
  •            Le demandeur fait des reproches sans égard à la législation applicable quant à l’embauche, la formation, les devoirs et à la conduite qui doit être adoptée par les policiers et sans égard à la preuve qu’il a déposée au soutien de la Demande;
  •            Contrairement aux prétentions du demandeur, la preuve ne permet pas de soutenir que la SQ a été informée, avant 2015, d’agissements qui auraient été posés par des policiers de la SQ, comme ceux énoncés à la Demande.
  1.            Le Tribunal ne peut retenir les arguments du PGQ, pour les raisons qui suivent.
  2.            Le Tribunal est d’avis que les allégations des paragraphes 127 à 129 sont des allégations factuelles qui ne sont pas génériques, générales, vagues, imprécises, ni sans conteste inexactes. La Cour d’appel enseigne de tenir pour avérées les allégations factuelles qui ne souffrent pas de ces lacunes, sans nécessité que le demandeur fournisse un quelconque élément de preuve. C’est le cas ici, de l’avis du Tribunal. L’analyse pourrait s’arrêter ici.
  3.            Le Tribunal poursuit son analyse quand même et constate que la Demande et les pièces démontrent que les cadres de la SQ étaient au courant des pratiques interdites ou ne pouvaient pas les ignorer. En effet, premièrement, un témoignage rendu en 2018 devant la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (la « Commission Viens ») démontre cette connaissance par les cadres de la SQ, comme le demandeur l’allègue aux paragraphes 59 à 64 de la Demande, avec les Pièces P-7 et P-8 :

59. Le témoignage de Jean Vicaire, chef du service de police du Lac-Simon de 2010 à 2013 (en prêt de services par la SQ, service de police auquel il a principalement œuvré) a révélé que la direction régionale de la SQ était au courant des abus commis par les agents, tel qu’il appert de l’extrait de la transcription du témoignage de Jean Vicaire rendu le 23 août 2018 devant la Commission Viens communiqué comme pièce P-7;

60. En 2013, un élu du Lac-Simon s’est confié à M. Vicaire pour lui faire part d’allégations d’abus sexuels commis par des agents de la SQ en fonction à Val-d’Or;

61. M. Vicaire a immédiatement communiqué avec son supérieur au sein de la SQ, directeur de la division responsable de la région comprenant la MRC de la Vallée-de-l’Or;

62. Ce directeur lui a alors confirmé être au courant de la situation, et lui a même nommé un policier au sujet duquel on lui avait rapporté de telles allégations;

63. M. Vicaire n’a eu connaissance d’aucun suivi donné au rapport qu’il a fait à son supérieur;

64. Ginette Séguin, directrice régionale de la SQ pour la division comprenant la MRC de la Vallée-de-l’Or en fonction lors des audiences de la Commission Viens, a de son côté témoigné que la SQ n’avait aucune trace du rapport fait par M. Vicaire en 2013, tel qu’il appert de l’extrait de la transcription du témoignage de Ginette Séguin, rendu le 26 octobre 2018 devant la Commission Viens communiqué comme pièce P-8;

65. Finalement, M. Vicaire a témoigné que des policiers lui avaient confirmé que des agents de la SQ de Val-d’Or pratiquaient des cures géographiques auprès de personnes autochtones en état d’ébriété, tel qu’il appert de la pièce P-7;

  1.            Deuxièmement, les deux rapports de Me Fannie Lafontaine, observatrice civile indépendante des enquêtes menées par le SPVM (Pièces P-10 et P-11), font état de presque 100 cas de plaintes formelles auprès de la police pour des pratiques discriminatoires depuis 1980, dont deux agressions sexuelles commises en 1980 à Senneterre et en 1983 dans les environs de Senneterre[23]. Cela est proche de 1978, année des agressions sexuelles subies par Mme A à Senneterre.
  2.            Troisièmement, dans le reportage de l’émission de télévision Enquête intitulé « Le silence est brisé » (Pièce P-3), on voit que Isabelle Parent, inspectrice au ministère de la Sécurité publique chargée d’enquêter sur les corps policiers pendant 12 ans, a confirmé que les « cures géographiques » étaient pratiquées par certains agents de la SQ. Une « cure géographique » consiste à intercepter des personnes autochtones dans une ville et de les emmener en voiture loin à l’extérieur de la ville pour les abandonner à cet endroit, souvent sous prétexte de les faire dégriser.
  3.            Quatrièmement, dans un témoignage devant la Commission Viens, le sergent-détective Robert Lebrun du SPVM a rapporté le témoignage d’une femme qui lui a confié avoir rendu des services sexuels contre rémunération à plusieurs policiers (voir extrait de la transcription du témoignage du 16 août 2018, Pièce P-4, et paragraphe 50 de la Demande).
  4.            Cinquièmement, l’ensemble des allégations et des pièces de la Demande font état de centaines de cas de pratiques interdites par les agents de la SQ auprès d’autochtones dans la MRC de la Vallée-de-l’Or.
  5.            Sixièmement, le Tribunal rappelle que Mme A allègue au paragraphe 80 de la Demande que le policier qui l’a agressé en 1978 est le chef du poste de police de la SQ pour la Ville de Senneterre. Ainsi, il s’agit d’un cadre de la SQ.
  6.            Dans ces circonstances, tout comme dans l’arrêt L’Oratoire SaintJoseph du MontRoyal c. J.J.[24], le nombre de pratiques discriminatoires, le nombre de victimes, le nombre de plaintes formelles auprès de la police, les divers témoignages et l’étendue de la période des tous ces faits rend plausible que les cadres de la SQ en avaient connaissance, ou à tout le moins ne pouvaient les ignorer.
  7.            En conséquence, puisque le Tribunal conclut que le demandeur a démontré la connaissance réelle ou présumée des cadres de la SQ de ces pratiques, et puisque ces pratiques ont duré depuis au moins 1978, le Tribunal peut raisonnablement conclure que les cadres de la SQ n’ont pas formé adéquatement les agents de la SQ de la MRC de la Vallée-de-l’Or, ni ne les ont surveillé et discipliné, et ils ont donc toléré leurs agissements sans rien faire. Cela constitue une faute directe de la SQ, donc du PGQ.
  8.            Aved égards, le Tribunal ne peut accepter les arguments du PGQ sur les normes de formation donnée aux policiers de la SQ et la législation applicable quant à l’embauche, la formation, les devoirs et à la conduite qui doit être adoptée par les policiers. Force est de constater que, malgré ces normes et le cadre législatif applicable, les pratiques discriminatoires envers les autochtones par les agents de la SQ ont continué jusqu’à ce jour. Le demandeur a donc démontré une lacune dans la formation et la surveillance des agents de la SQ, le tout constituant une faute directe du PGQ selon le Tribunal. Au procès au mérite, comme moyen de défense, le PGQ pourra mettre en preuve les éléments relatifs à la formation et à la surveillance des agents de la SQ.
  9.            Le Tribunal conclut également que Mme A a démontré l’existence d’un préjudice, de par les allégations des paragraphes 100 à 108 de la Demande, reproduites précédemment. Il y a également ici causalité.
  10.            Le Tribunal conclut donc que le demandeur a démontré une apparence de droit au recours de Mme A contre le PGQ basé sur la faute directe. Cela inclut toutes les pratiques discriminatoires, comme expliqué précédemment.
3.2.4.3            Violation de la Charte du Québec et dommages compensatoires
  1.            De façon générale, quant à la Charte du Québec, on sait que[25] :
  1.            Le premier alinéa de l’article 49 prévoit la possibilité d’obtenir une réparation pour le préjudice moral ou matériel qui résulte d’une atteinte illicite à la Charte. Il faut une atteinte illicite, et pas simplement une violation du droit protégé;
  2.            Pour conclure à l’existence d’une atteinte illicite, il doit être démontré qu’un droit protégé par la Charte du Québec a été violé et que cette violation résulte d’un comportement fautif. Un comportement sera qualifié de fautif si, ce faisant, son auteur transgresse une norme de conduite jugée raisonnable dans les circonstances selon le droit commun ou, comme c’est le cas pour certains droits protégés, une norme dictée par la Charte du Québec elle-même;
  3.            Le demandeur doit également démontrer un préjudice et le lien de causalité, notions distinctes de la faute et de l’atteinte illicite;
  4.            On ne peut imputer des dommages du seul fait qu’il y a eu atteinte à un droit garanti par la Charte du Québec. La démonstration d’un dommage est essentielle.
  5.            Somme toute, la partie qui invoque une atteinte à l’un de ses droits fondamentaux doit donc démontrer les éléments traditionnels de la responsabilité civile extracontractuelle, soit la faute, le dommage et le lien de causalité. Il ne peut pas y avoir double indemnisation pour un dommage compensatoire.
  1.            Le demandeur réclame des dommages compensatoires pour violation illicite des droits suivants des membres, en vertu de l’alinéa 1 de l’article 49 de la Charte du Québec : intégrité, sécurité de la personne et liberté (art. 1), droit de la personne détenue d’être traitée avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine (art. 25), dignité (art. 4) et protection contre la discrimination (art. 10).
  2.            Dans son argumentation, le PGQ ne traite pas de l’apparence de droit quant à la violation de la Charte du Québec. Il en traite avec l’analyse des questions communes.
  3.            Le Tribunal constate donc que le PGQ ne conteste pas l’apparence de droit sur la question, admettant même qu’il y a violation du droit à l’intégrité de la personne.
  4.            Dans le cas de Mme A, le Tribunal conclut aisément que le demandeur a démontré une violation du droit à l’intégrité, à la sécurité et à la liberté. Les agressions sexuelles, les agressions physiques et les séquestrations commises par des agents de la SQ constituent des violations des droits à l’intégrité, à la liberté et à la sécurité de la personne, tout comme elles constituent une violation du droit à la dignité de la personne.
  5.            De plus, dans le cas de l’événement 3, il y a eu détention, ce qui fait en sorte que Mme A a démontré qu’elle n’a pas été traitée avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine
  6.            Enfin, quant à la protection contre la discrimination (Art. 10), la Cour suprême du Canada a rappelé dans l’arrêt Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse)[26], que, pour avoir gain de cause, un plaignant doit établir tous les éléments constitutifs de la discrimination, à savoir : 1) une distinction, exclusion ou préférence; 2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article 10; et 3) qui a pour effet de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.
  7.            Le Tribunal est d’avis que Mme A a démontré ces éléments. Les policiers l’ont visée en tant qu’autochtone, donc le motif est la race. Il y a eu une distinction et une compromission du droit à l’égalité quant aux droits précédemment étudiés. Le Tribunal ajoute également en obiter dictum, que pour les autres membres du groupe, la Demande vise le motif de « condition sociale », puisque la vaste majorité des membres sont des personnes très vulnérables, que ce soit : 1) pour des raisons historiques et socio- économiques; 2) parce qu'elles étaient engagées dans le travail du sexe; 3) parce qu'elles étaient en situation d’itinérance; 4) parce qu'elles ont connu des problèmes de santé tel qu’une dépendance aux drogues ou à l'alcool; ou encore 5) parce qu’elles bénéficiaient d’un faible réseau de soutien autour d’elles.
  8.            Donc, le demandeur a démontré la violation de la Charte du Québec. Le Tribunal conclut également que Mme A a démontré l’existence d’un préjudice causé par ces violations de la Charte du Québec, de par les allégations des paragraphes 100 à 108 de la Demande, reproduites précédemment. Il y a également ici causalité.
  9.            Le Tribunal conclut donc que le demandeur a démontré une apparence de droit au recours de Mme A en dommages compensatoires contre le PGQ basé sur la violation des articles 1, 4, 25 et 10 de la Charte du Québec. Cela inclut toutes les pratiques discriminatoires, comme expliqué précédemment.
3.2.4.4            Dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec
  1.            Pour avoir des dommages punitifs en vertu de l’article 49 de la Charte du Québec, il faut non seulement une atteinte illicite à un droit garanti, mais également une atteinte intentionnelle.
  2.            Dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand[27], la Cour suprême du Canada a défini ainsi de qui est requis :

En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.  Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.

  1.            Dans son argumentation, le PGQ ne traite pas de l’apparence de droit quant aux dommages punitifs en vertu de la Charte du Québec. Il en traite avec l’analyse des questions communes.
  2.            Le Tribunal constate donc que le PGQ ne conteste pas l’apparence de droit sur la question.
  3.            Le Tribunal est d’avis que les allégations reliées à la conduite du policier et à l’absence de réaction de la SQ pendant des décennies démontrent clairement ici une atteinte aux droits de Mme A qui est illicite et intentionnelle. La commission de ces actes, discriminatoires au surplus, et l’inaction de la SQ démontrent soit une intention ou une pleine connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.
  4.            Le demandeur a donc démontré son droit à des dommages punitifs.
  5.            Le demandeur précise que le quantum des dommages punitifs sera à être déterminé au mérite. Il en fait même une des questions communes. Cette pratique ne constitue pas un obstacle à l’autorisation, selon le Tribunal.
  6.            Le Tribunal conclut donc que le demandeur a démontré une apparence de droit au recours de Mme A en dommages punitifs contre le PGQ basé en vertu de l’alinéa 2 de l’article 49 de la Charte du Québec. Cela inclut toutes les pratiques discriminatoires, comme expliqué précédemment.
3.2.4.5            Violation de la Charte canadienne et les dommages en vertu de l’art. 24(1) de la Charte canadienne
  1.            Il faut premièrement que le demandeur démontre une violation d’un ou de plusieurs droits garantis par ls Charte canadienne. Le demandeur allègue violation du droit à la sécurité de la personne et liberté (Art. 7), de la protection contre les détentions arbitraires et abusives (Art. 9) et de la protection contre la discrimination (Art. 15(1)). 
  2.            Dans son argumentation, le PGQ ne traite pas de l’apparence de droit quant à la Charte canadienne. Il en traite avec l’analyse des questions communes.
  3.            Le Tribunal constate donc que le PGQ ne conteste pas l’apparence de droit sur la question. Dans le cas de Mme A, le Tribunal est d’avis que le demandeur a démontré une violation du droit à la sécurité de la personne et liberté (art. 7) qui n’est pas en conformité avec les principes de justice fondamentale. Il a démontré également une violation du droit contre les détentions arbitraires et abusives (art. 9). En effet, les agressions sexuelles, les agressions physiques et les séquestrations (ce qui inclut la détention) commises par des agents de la SQ constituent de telles violations évidentes, bien sûr non en conformité avec aucun principe de justice fondamentale.
  4.            De plus, quant à la protection contre la discrimination (Art. 15(1), le Tribunal est d’avis que le demandeur en a démontré la violation pour Mme A, pour les mêmes motifs que ceux expliqués à la section 3.2.4.3 sur la Charte du Québec.
  5.       Donc, le demandeur a démontré la violation de la Charte canadienne. Le Tribunal rappelle que les recours prévus par la Charte canadienne en vertu de l’article 24(1) ne suivent pas les règles ordinaires en matière de responsabilité civile, comme le souligne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vancouver (Ville) c. Ward[28].  Contrairement à une action de droit privé en responsabilité extracontractuelle, un recours en vertu de l’article 24(1) n'est pas nécessairement subordonné à l'existence d'une « faute » ou d'un autre type de comportement illicite, puisque c'est l'atteinte au droit lui-même qui constitue le fondement de la cause d'action du demandeur. Cette distinction sera étudiée au mérite, mais le Tribunal note ici qu’il a conclu de toute façon à la démonstration de faute de la part du PQG.
  6.       Qu’en est-il des dommages?
  7.       Une fois la violation démontrée, le demandeur peut réclamer des dommages. Toujours dans l’arrêt Vancouver (Ville) c. Ward[29], la Cour suprême du Canada a établi que des dommages-intérêts peuvent être accordés en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne lorsqu’ils constituent une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances, pour sanctionner la violation d’un droit garanti. La Cour suprême du Canada souligne toutefois que l’octroi de dommages-intérêts ne représente que l’une des réparations permises par le paragraphe 24(1), et que souvent, d’autres réparations possibles répondront mieux à la violation.
  8.       Pour constituer une réparation convenable et juste, le demandeur supporte le fardeau de prouver que les dommages-intérêts remplissent au moins l’une des fonctions interreliées suivantes[30] :
  •            L’indemnisation;
  •            La défense du droit en cause; ou
  •            La dissuasion contre toute nouvelle violation.
  1.       Si le demandeur rencontre son fardeau, alors l’État a la possibilité de démontrer, le cas échéant, que des facteurs faisant contrepoids l’emportent sur les considérations fonctionnelles favorables à l’octroi de dommagesintérêts, de sorte que ces derniers ne seraient ni convenables, ni justes. Ensuite, la dernière étape consiste à fixer le montant des dommagesintérêts.
  2.       Le demandeur n’aborde pas ces éléments, outre pour les énoncer et dire que l’octroi de dommages-intérêts constitue ici une réparation juste et appropriée des violations de la Charte canadienne. Le PGQ n’en parle pas.
  3.       Le Tribunal est d’avis que toute cette question en est une pour le mérite, tout comme celles du quantum des dommages compensatoires et punitifs. Le demandeur en fait une question commune, à savoir : les membres du groupe ont-ils droit à une réparation juste et appropriée en vertu de l'article 24(1) de la Charte canadienne? Cependant, en fonction des allégations étudiées précédemment, le Tribunal est d’avis que le demandeur a démontré un droit à des dommages en vertu de la Charte canadienne. C’est tout ce qui est requis à ce stade.
  4.       Le Tribunal conclut donc que le demandeur a démontré une apparence de droit au recours de Mme A en dommages contre le PGQ basé en vertu l’article 24(1) de la Charte canadienne. Cela inclut toutes les pratiques discriminatoires, comme expliqué précédemment.

3.2.5           Conclusion sur l’apparence de droit

  1.       Le Tribunal a donc conclu que le demandeur a démontré l’apparence de droit de Mme A contre le PGQ pour toutes les pratiques discriminatoires visées par la Demande, incluant les six agissements.
  2.       Quant aux autres membres du groupe, le Tribunal a déjà mentionné toutes les allégations de la Demande qui font état de telles pratiques discriminatoires par les agents de la SQ dans la MRC de la Vallée-de-l'Or depuis 1978 jusqu’à ce jour. Ainsi, par allégation directe ou par inférence, le Tribunal conclut que le demandeur a démontré une apparence de droit pour tous les membres du groupe.
  3.       La question de la prescription des recours individuels des membres sera débattue au mérite, vraisemblablement lors de la phase de recouvrement, si une telle phase a lieu.
  4.       Le Tribunal conclut que les conditions de l’article 575(2) Cpc sont satisfaites. Passons à l’article 575(1) Cpc.

3.3   Les questions identiques, similaires ou connexes (Art. 575(1) Cpc)

  1.       Les questions identiques, similaires ou connexes proposées par le demandeur au paragraphe 152 de la Demande sont les suivantes :
  1.            Des agents de la Sûreté du Québec ont-ils commis des fautes dans l’exercice de leurs fonctions à l’égard des membres du groupe?
  2.            La Sûreté du Québec a-t-elle manqué à son obligation de mettre en place des mesures appropriées pour prévenir ces fautes puis, de former, de superviser et de discipliner ses agents?
  3.            À quel montant de dommages-intérêts compensatoires le défendeur doit-il être condamné à verser aux membres du groupe?
  4.            Les droits des membres du groupe à l’intégrité, à la liberté, à la sécurité de la personne et à la dignité ont-ils été violés?
  5.            Les droits des membres du groupe qui ont été séquestrés par des agents de la SQ à la protection contre la détention arbitraire ont-ils été violés?
  6.            Les droits des membres du groupe qui ont été séquestrés par des agents de la SQ d’être traités avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine ont-ils été violés?
  7.            Les droits des membres du groupe à l'égalité et à une protection identique devant la loi ont-ils été violés?
  8.            Les membres du groupe ont-ils droit à une réparation juste et appropriée en vertu de l'article 24(1) de la Charte canadienne?
  9.            Les membres du groupe ont-ils droit à des dommages punitifs en vertu de l'article 49 de la Charte du Québec?
  1.       Le PGQ indique que toutes ces questions sont totalement individuelles et doivent être étudiées par chaque membre du groupe individuellement.
  2.       Le Tribunal est en désaccord, pour trois raisons. Premièrement, la question suivante est clairement commune à tous les membres du groupe et ne nécessite pas de traitement individuel : la SQ a-t-elle manqué à son obligation de mettre en place des mesures appropriées pour prévenir ces fautes et de former, de superviser et de discipliner ses agents?
  3.       La question de savoir si les actes discriminatoires ont été posés en raison du défaut de la SQ - agissant par ses cadres - de mettre en place les mesures appropriées afin de les prévenir est commune à l’ensemble des membres. Comme précédent, on peut mentionner la multitude d’actions collectives autorisées au Québec contre des congrégations religieuses. De plus, on peut voir les actions collectives autorisées récemment par la Cour fédérale contre la Gendarmerie royale du Canada pour des pratiques similaires à celles du présent dossier.
  4.       Dans la décision Nasogaluak[31] la Cour fédérale a autorisé une action collective alléguant que les agents de ce corps policier œuvrant dans les trois territoires canadiens commettaient de façon systémique des voies de fait à l’encontre des prévenus autochtones lors de leur arrestation ou détention. Les questions communes identifiées incluent des questions presqu’identiques à celles du présent dossier.
  5.       Dans la décision Meguinis-Martin c. Canada[32], la Cour fédérale a également autorisé, avec le consentement du défendeur dans ce cas, une action collective très similaire, visant cette fois les activités de la GRC dans les dix provinces canadiennes. Les questions communes identifiées par le jugement sont presque identiques à celles de l’affaire Nasogaluak, avec la seule exception qu’elles comprennent également des allégations d’agressions sexuelles. Le groupe visé par l’action est défini comme suit :

Tous les Inuits, Métis et membres des Premières Nations qui allèguent avoir été agressés physiquement ou sexuellement, entre le 14 mai 1953 et aujourd’hui, lors d’une arrestation ou alors qu’ils étaient sous la détention d’agents de la GRC, et qui étaient en vie en date du 20 juillet 2018, à l’exclusion des membres du groupe dans l’action de la Cour fédérale intitulée Diane Nasogaluak en qualité de tutrice à l’instance de Joe David Nasogaluak c Le procureur général du Canada, numéro de dossier de la Cour T215818.

  1.       Deuxièmement, le demandeur reproche au PGQ les pratiques discriminatoires des agents de la SQ, ce qui en soit est un élément commun à tous les membres.
  2.       La Cour supérieure a d’abord autorisé, puis accueilli en partie au mérite, une action collective au nom des victimes de profilage racial par le Service de police de la Ville de Montréal[33]. Se questionnant dans son jugement autorisant l’action sur la présence de questions communes, le juge Prévost s’exprime comme suit :

[33]  La question commune à l’ensemble des membres du groupe se rapporterait donc à la faute de la Ville découlant du profilage racial systémique auquel ont recours les policiers du SPVM.

[34]  Précisons qu’un nombre élevé de personnes, en particulier de race noire, auraient été visées par le profilage racial et en auraient subi les conséquences, d’où un nombre potentiellement important de réclamations.

[35]  Le succès de celles-ci repose sur la preuve d’une faute de Ville de Montréal. Le profilage racial systémique pratiqué par les policiers du SPVM et les moyens mis en œuvre par la Ville pour le contrer sont au cœur du débat.

[36] La détermination de cette question commune est donc de nature à solutionner une part non négligeable du litige. De l’avis du Tribunal, cela suffit pour remplir la condition posée par l’article 575 (1) C.p.c.

[37] De plus, il est possible que cette faute de Ville de Montréal, dans l’éventualité où elle est prouvée, ait un impact sur la preuve nécessaire pour établir la causalité.

  1.       Cela s’applique ici.
  2.       Troisièmement, les allégations dans la Demande font clairement état de plusieurs modus operandi différents dans la commission des divers actes discriminatoires. On verra les paragraphes suivants de la Demande, dont les faits sont tenus pour avérés : 1 à 3 et 11 à 78. Selon le Tribunal, la preuve de l’existence de ces modus operandi est une question commune qui fera progresser le recours de l’ensemble des membres. D’ailleurs, dans son premier rapport, l’observatrice civile indépendante des enquêtes du SPVM sur les dénonciations de Val-d’Or, Me Fannie Lafontaine, constate « la nécessité de faire la lumière (…) sur l’existence potentielle d’un schème de comportements discriminatoires envers les Autochtones, et particulièrement envers les femmes autochtones, qui dénote l’existence d’un racisme systémique au sein des forces de l’ordre à l’égard des Autochtones », et que ces dénonciations doivent être reconnues « en tant que partie intégrante d’un schème plus généralisé d’expériences similaires vécues par d’autres, qu’il convient de documenter et de nommer » (Pièce P-10, p. 11).
  3.       Lorsque le Tribunal conclut à la démonstration d’un modus operandi, il y a alors question commune[34].
  4.       Bref, le Tribunal conclut que les conditions de l’article 575(1) Cpc sont satisfaites.  Le Tribunal n’a pas à reformuler les questions communes.
  5.       Passons à l’article 575(3) Cpc.

3.4   La composition du groupe (Art. 575(3) Cpc)

  1.       Outre les arguments relatifs aux questions communes et à la définition du groupe, le PGQ ne conteste pas le critère de la composition du groupe. Le Tribunal constate que le PGQ a raison de ne pas contester, puisque les allégations suivantes du demandeur aux paragraphes 145 à 151 de la Demande démontrent que le critère de la composition du groupe est ici satisfait :
  •            Il ressort clairement des témoignages dans les médias et à la Commission Viens, ainsi que des enquêtes menées par le SPVM, qu'il y a au moins plusieurs dizaines de victimes qui font partie du groupe proposé;
  •            Toutefois, les victimes de violence, et en particulier de violences sexuelles, ont d’énormes difficultés à dénoncer ces actes, surtout lorsque leur agresseur est un représentant de l'État;
  •            Cette difficulté est d’autant plus prononcée en raison de la méfiance répandue au sein des communautés autochtones envers les forces de l’ordre et le système de justice, elle-même le legs du colonialisme et du racisme systémique;
  •            En tenant compte de cette réticence généralisée à dénoncer, ce nombre est donc vraisemblablement considérablement plus élevé;
  •            Les agressions ont eu lieu sur plusieurs décennies, impliquant de nombreux agents de la Sûreté du Québec et de nombreuses victimes différentes;
  •            Il est presque certain qu'il existe de nombreuses victimes dont l'identité n'est pas connue et ne peut être connue par le demandeur à ce stade;
  •            II est ainsi impossible pour le demandeur de contacter tous les membres potentiels du groupe et à plus forte raison d'obtenir un mandat de tous ces individus.
  1.       Le Tribunal conclut que les conditions de l’article 575(3) Cpc sont satisfaites. Passons à l’article 575(4) Cpc.

3.5   La représentation (art. 575(4) Cpc)

  1.       La représentation doit ici être démontrée pour le demandeur, et non pas pour la personne désignée A. C’est le demandeur qui est le représentant proposé.
  2.       La seule contestation du PGQ porte sur son argument selon lequel la membre désignée A n’a pas d’apparence de droit. Or, le Tribunal a conclu que Mme A a une apparence de droit à tous ses recours. Donc, il ne reste aucune autre contestation par le PGQ de l’article 574(4) Cpc.
  3.        Voici ce qu’allègue le demandeur à cet égard, aux paragraphes 154 à 162 de la Demande :
  •            Le demandeur est une organisation dont la mission est étroitement liée aux objectifs de cette action collective;
  •            Chef de file d’une société civile autochtone engagée, le demandeur contribue activement au développement social, communautaire, économique et culturel de sa collectivité par des stratégies innovatrices et proactives;
  •            Société fondée en 1974, le demandeur est devenu un pilier de la communauté autochtone de Val-d'Or. Il fournit des services essentiels et culturellement appropriés, y compris des services favorisant l'accès à la justice, aux membres de cette communauté;
  •            Le demandeur dispose d'un personnel et de directeurs très compétents qui se sentent investis dans le succès du litige et sont prêts à protéger les intérêts des membres du groupe;
  •            Le demandeur a travaillé avec les membres du groupe et a défendu leurs droits depuis la diffusion du premier épisode d'Enquête concernant les abus commis par certains agents de la SQ. L'organisation continue de les croire, de se battre pour eux et souhaite les soutenir de toutes les manières possibles;
  •            A est membre du Centre demandeur et membre du groupe visé par l’action collective;
  •            Le demandeur et la membre désignée sont disposés à investir les ressources et le temps nécessaires à l'accomplissement de toutes les formalités et tâches reliées à l'exercice de la présente action collective et ils s'engagent à collaborer pleinement avec leurs avocats;
  •            Le demandeur possède une bonne compréhension du dossier et de son rôle en tant que représentant potentiel;
  •            Le demandeur et la membre désignée agissent de bonne foi, dans le seul but d'obtenir justice pour eux-mêmes et pour chacun des membres du groupe. Ils n'ont aucun conflit d'intérêts avec les membres du groupe.
  1.       De l’avis du Tribunal, ces allégations rencontrent amplement le critère tel qu’expliqué à la section 3.1 du présent jugement.
  2.       Le Tribunal conclut que les conditions de l’article 575(4) Cpc sont satisfaites. Le demandeur est un représentant valide.
  3.       Passons à la définition du groupe.

3.6   La définition du groupe

  1.       On sait de la jurisprudence[35] que :
  1.             La définition du groupe doit rencontrer les quatre critères suivants :
  • La définition du groupe doit être fondée sur des critères objectifs;
  • Les critères doivent s’appuyer sur un fondement rationnel;
  • La définition du groupe ne doit être ni circulaire ni imprécise;
  •                    La définition du groupe ne doit pas s’appuyer sur un ou des critères qui dépendent de l’issue du recours collectif au fond. Cependant, ce critère n’est pas un absolu inatteignable, car il suffit que la définition du groupe permette au membre putatif de savoir s’il fait partie ou non du groupe, sans nécessité de surdéfinition du groupe ou d’une rédaction incompréhensible[36];
  1.             La partie demanderesse à l’autorisation d’exercer une action collective a le fardeau de décrire et d’identifier adéquatement le groupe qui répond à la réalité et à l’ampleur de la problématique à l’origine du litige;
  2.             Quant aux paramètres temporaux, il doit généralement y avoir une date de début du groupe, mais pas nécessairement de date de fermeture, cela dépend des dossiers;
  3.             Le Tribunal dispose du pouvoir de modifier la définition du groupe afin d’assurer que les exigences juridiques d’un fondement légal, objectif et rationnel soient respectées. Cependant, le Tribunal n’a pas à réécrire au complet la définition du groupe ou pallier des problématiques insurmontables dans la définition du groupe. Tout est une question de degré.
  1.       Tous sont d’accord avec cela. C’est l’application qui est en débat ici.
  2.       Selon le PGQ, la définition du groupe est confuse, trop large, imprécise, circulaire, subjective et sans fondement rationnel. Le demandeur le nie. Le Tribunal aborde donc un par un les arguments du PGQ.

3.6.1           L’utilisation du terme « notamment »

  1.       Le groupe proposé vise les pratiques discriminatoires des agents de la SQ et précise que « constituent notamment des pratiques discriminatoires les agissements suivants », pour ensuite énumérer les six agissements (agressions sexuelles, agressions physiques, séquestrations, sollicitation de faveurs sexuelles, force excessive dans le contexte d’arrestations, et harcèlement).
  2.       Le demandeur prétend que le Tribunal doit conserver le mot « notamment » car l’action collective vise les pratiques discriminatoires « at large » et que les six agissements énumérés ne sont que des exemples de ces pratiques discriminatoires, et qu’il y aurait peut-être d’autres exemples inconnus qu’on pourrait découvrir éventuellement.
  3.       Le Tribunal est en désaccord avec la position du demandeur. Selon le Tribunal, le terme « notamment » est imprécis puisqu’il va à l'encontre du droit d’exclusion, droit fondamental en matière d’actions collectives et qui est à proscrire puisqu’il ne rencontre pas le degré de précision exigé à l’article 99 Cpc, étant de nature à prendre la partie adverse par surprise. Même si certains membres savent de quoi on parle ou on pourrait parler, le défendeur doit également le savoir, tout comme tous les membres.
  4.       La définition du groupe doit avoir un degré de précision suffisant pour satisfaire à l’objectif de clarté et d’objectivité nécessaires pour que les personnes soient en mesure de savoir si elles sont ou non visées par le recours et pour qu’elles puissent s’exclure.
  5.       Selon le Tribunal, le terme « notamment » doit être retiré de la définition du groupe.  Les six agissements sont de toute façon assez vastes pour couvrir l’immense majorité des situations factuelles décrites à la Demande et aux pièces. Si jamais d’autres situations étaient découvertes en cours de progression du dossier vers le procès au mérite, alors le demandeur pourra s’adresser au Tribunal.

3.6.2           Les agissements reprochés

  1.       La définition du groupe vise les six agissements suivants : agressions sexuelles, agressions physiques, séquestrations, sollicitation de faveurs sexuelles, force excessive dans le contexte d’arrestations, et harcèlement.
  2.       Selon le PGQ, puisque le sens donné par le demandeur à certains agissements peut prêter à confusion avec la définition qui se trouve dans le Code criminel, la définition du groupe devrait être précisée pour être compatible avec le Code criminel.  Le PGQ fait référence de façon spécifique à ceci :
  •            Sollicitation de faveurs sexuelles : Selon le PGQ, puisque le demandeur indique en argumentation que cela ne vise pas la sollicitation traditionnelle pour fins de prostitution, mais plutôt le fait pour l’agent de la SQ de solliciter des faveurs sexuelles en utilisant diverses formes de coercition ou de manipulation, il s’agirait donc d’une autre version d’une agression sexuelle. Il faudrait donc préciser ou s’en tenir à la définition du Code criminel;
  •            Force excessive dans le contexte d’arrestations : selon le PGQ, la force excessive n’étant pas définie au Code criminel et ne constitue pas une infraction de nature criminelle;
  •            Harcèlement : Selon le PGQ, il faudrait savoir le sens de ce terme. Est-ce le sens du Code criminel ou est-ce plus large? En parlant du harcèlement, le demandeur fait référence au phénomène de « surarrestation » documenté par le rapport final de la Commission Viens (par. 66 de la Demande), ce qui mêle les choses.
  1.       Le demandeur conteste ces arguments.
  2.       Il n’y a pas de débat quant aux trois pratiques suivantes : agressions sexuelles, agressions physiques et séquestrations. Le Tribunal accepte donc que ces trois pratiques sont correctement définies. Sont-elles limitées au sens criminel ou non? Le Tribunal ne le précise pas maintenant et cela sera décidé au mérite, peut-être de façon globale ou même lors de la phase des réclamations individuelles, si on se rend là. Le Tribunal ne peut pas restreindre automatiquement la définition du groupe à seulement des infractions criminelles pour des fins de prescription et de l’article 2926.1 CcQ, car le cas de la membre désignée A a l’apparence de droit requise et n’est pas prescrit. De plus, comme on le verra plus loin, le groupe n’aura pas de paramètres temporels, donc il se peut que des agissements se soient passés dans les trois ans de la date du dépôt de la demande initiale le 14 décembre 2021.
  3.       Quant aux trois pratiques pour lesquelles le PGQ a des objections, voici ce que le Tribunal décide :
  1.            Sollicitation de faveurs sexuelles : Le Tribunal est d’avis ici, pour les mêmes raisons qu’au paragraphe précédent, qu’il n’est pas requis de restreindre cet agissement à la sollicitation criminelle, ni même de préciser que cela vise le fait pour l’agent de la SQ de solliciter des faveurs sexuelles en utilisant diverses formes de coercition ou de manipulation. De l’avis du Tribunal, le terme sollicitation est parfaitement clair;
  2.            Force excessive dans le contexte d’arrestations : Le Tribunal est d’avis ici, pour les mêmes raisons qu’au paragraphe précédent, qu’il n’est pas requis de restreindre cet agissement à une infraction de nature criminelle. De plus, de l’avis du Tribunal, les mots « force excessive dans le contexte d’arrestations » sont parfaitement clairs;
  3.            Harcèlement : Le Tribunal est d’avis ici, pour les mêmes raisons qu’au paragraphe précédent, qu’il n’est pas requis de restreindre cet agissement à une infraction de nature criminelle. De plus, de l’avis du Tribunal, le mot « harcèlement » est parfaitement clair. La référence par le demandeur au phénomène de « surarrestation » est simplement pour illustrer l’ampleur des pratiques discriminatoires, selon lui.
  1.       Le Tribunal précise que le débat quant à la prescription et la notion d’« acte pouvant constituer une infraction criminelle » prévue à l’article 2926.1 CcQ sera fait au mérite de façon globale, ou même lors de la phase des réclamations individuelles, si on se rend là.

3.6.3           L’intemporalité du recours

  1.       La description du groupe proposée par le demandeur ne contient pas de date de départ ni de date de fin. À l’audition, le demandeur insiste pour cette absence de limites temporelles.
  2.       Le PGQ ne prend pas position sur une date de départ, mais conteste l’absence de date de fin. Selon le PGQ, aucun fait ne supporte la prétention du demandeur à l’effet que les agissements se poursuivraient encore aujourd’hui, la preuve révélant au contraire que la pratique policière et son encadrement continuent de s’améliorer pour mieux s’adapter aux réalités autochtones et que le gouvernement a été proactif à la suite de la diffusion des reportages de l’émission Enquête.
  3.       Le PGQ ajoute que, de plus, l’intemporalité du recours fait abstraction de la prescription qui s’applique dépendamment des agissements.
  4.       Le Tribunal décide que le groupe ne doit pas avoir de limites temporelles. Quant à la date de départ, la Demande n’en fixe pas car, à partir des allégations et du contenu des divers reportages et rapports (Pièces P-2 à P-11), le Tribunal constate que tous ont remarqué que les pratiques discriminatoires des agents de la SQ dans la MRC de la Vallée-de-l’Or ont débuté au moins dans les années 70. Personne ne peut fixer de date. La plus ancienne date fiable qu’on a aux pièces et procédures est le cas de Mme A en 1978. Selon le Tribunal, il ne convient pas de débuter la période du groupe en 1978 car on pourrait alors se trouver à priver des membres d’un recours. Il serait toujours possible au mérite de mettre une date de début du groupe si une preuve le permettait.
  5.       Quant à la date de fin, il est vrai que le rapport de la Commission Viens constate une constante amélioration de la situation et diminution des arrestations depuis 2018 à Val-d’Or (page 298 de la Pièce P-9). Cependant, ceci n’est pas suffisant et ne signifie pas que les pratiques discriminatoires aient cessé. De toute façon, le demandeur allègue ceci dans la Demande :

136. Par ailleurs, et comme il sera démontré au stade du mérite, ces abus se poursuivent encore aujourd'hui;

  1.       Cette allégation doit être tenue pour avérée par le Tribunal. Dans ces circonstances, puisque la pratique continue, il n’est pas opportun de mettre une limite temporelle au groupe.

3.6.4           La notion de « personnes autochtones »

  1.       Le demandeur est d’avis que notion de « personnes autochtones » dans la définition du groupe est claire et que les personnes visées sauront s’auto-identifier. Le PGQ est en désaccord.
  2.        Selon le PGQ, :
  1.            La notion de « personnes autochtones » est imprécise, ne repose pas sur des critères objectifs et peut prendre des sens variés selon le contexte. Elle peut traduire une identité personnelle ou être associée à une réalité juridique génératrice de droits particuliers, en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[37]. Cette notion peut aussi référer à des groupes précis et à leurs descendants, en vertu de la Loi sur les Indiens[38]. Elle peut également référer aux groupes visés à l’article 718.2e) du Code criminel qui exige que les juges, au moment de la détermination de la peine, tiennent compte du contexte et des circonstances propres aux délinquants autochtones. De plus, les « peuples autochtones » ne sont pas nécessairement définis seulement en fonction d’une ascendance autochtone, le lien généalogique n’établissant pas en soi un lien réel avec une communauté autochtone historique, mais aussi en fonction de facteurs historiques, sociologiques et culturels[39];
  2.            Dans tous les cas, l’auto-identification à elle seule ne suffit pas pour revendiquer l’appartenance à un groupe autochtone et une analyse doit être effectuée au cas par cas. L'objectif de cette distinction est d'empêcher que des personnes se déclarent membres d'un groupe autochtone sans avoir de liens ancestraux avec une communauté autochtone historique.
  3.            Par conséquent, le PGQ soumet que la description du groupe doit être précisée quant à la notion de « personnes autochtones » afin que les membres potentiels puissent déterminer s’ils font ou non partie du groupe. Selon le PGQ, le terme « personne autochtone » devrait s’entendre par personne ayant une ascendance autochtone et personne ayant un lien réel avec une communauté autochtone historique.
  1.       Le Tribunal est en désaccord avec ces arguments du PGQ. Le Tribunal souscrit plutôt à la position du demandeur et de la Cour fédérale dans les décisions Nasogaluak[40] et Meguinis-Martin c. Canada[41] selon laquelle le statut d’autochtone des membres du groupe est un critère objectif, basé sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il n’est pas besoin d’ajouter rien au mot « autochtone », car les personnes visées vont se reconnaître immédiatement, sans risque de problèmes. Il se pourrait que certains cas soient contestables sur le plan individuel; toutefois, dans l’immense majorité des cas, il n’y en aura aucune contestation, de sorte que cela ne devrait pas empêcher le Tribunal de retenir uniquement les mots « personnes autochtones » pour définir le groupe.
  2.       Enfin, le PGQ ne l’argumente pas, mais le Tribunal note que la définition du groupe fait référence aux personnes autochtones qui affirment avoir été victimes de pratiques discriminatoires. Le Tribunal est d’avis que la définition de l’appartenance au groupe fondée sur des allégations d’avoir subi des pratiques discriminatoires est suffisamment objective eu égard aux visées de la définition du groupe. La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale étaient du même avis dans les décisions cités au paragraphe précédent.

3.6.5           Conclusion

  1.       Le Tribunal conclut donc que la définition du groupe doit être reformulée ainsi, en enlevant le mot « notamment » :

Toutes les personnes autochtones qui affirment avoir été victimes de pratiques discriminatoires par un ou des agent(s) de la Sûreté du Québec sur le territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or. Constituent des pratiques discriminatoires les agissements suivants :

 Agressions sexuelles;

 Agressions physiques;

 Séquestrations;

 Sollicitation de faveurs sexuelles;

 Force excessive dans le contexte d’arrestations;

 Harcèlement.

  1.       Tous les autres arguments du PGQ sur la définition du groupe ne sont pas retenus.
  2.       Le Tribunal aborde finalement le district judiciaire et les avis d’autorisation.

3.7   Le district judiciaire et les avis

  1.       Le demandeur demande au Tribunal que l’action collective autorisée soit introduite dans le district de Montréal. Le PGQ ne prend pas position à cet égard.
  2.       Le demandeur allègue ceci au paragraphe 163 à 177 de la Demande :
  1.            Le demandeur souhaite que la présente demande soit entendue et, le cas échéant, l’action collective exercée dans le district de Montréal;
  2.            De fait, le demandeur craint que l’exercice de la présente action dans le district judiciaire de l’Abitibi (Val-d’Or) risquerait de raviver les fortes tensions sociales qu’a connues la région suite à la diffusion des reportages d’Enquête en 2015 et 2016;
  3.            Dans la foulée de ces reportages, de nombreuses personnes autochtones, dont plusieurs affiliées au Centre demandeur, ont fait l’objet de propos hautement désobligeants de la part de citoyens de Val-d’Or et ses environs en lien avec les dénonciations rapportées par Enquête;
  4.            Plusieurs internautes de la région de Val-d’Or ont aussi appliqué à leur photo de profil Facebook le nombre 144, identifiant le poste de la SQ de la MRC de la Vallée-de-l’Or, dans le but d’exprimer leur solidarité envers les agents de ce poste;
  5.            Dans son rapport, le commissaire Viens décrit les tensions qui ont suivi la diffusion des reportages comme ayant « déchiré » la population de Val-d’Or, tel qu’il appert de la Pièce P-9;
  6.            Plusieurs comités et campagnes de sensibilisation ont d’ailleurs dû être mis en place dans le but d’apaiser les tensions entre les Autochtones de la région de Val-d’Or et le reste de la population;
  7.            En outre, les actions de certains agents de la SQ en fonction à Val-d’Or ont contribué aux craintes entretenues par le demandeur quant à la dégradation du climat social que pourrait occasionner l’exercice de la présente action dans le district de l’Abitibi (Val-d’Or);
  8.            Le 20 octobre 2016, 48 agents du poste de Val-d’Or ont intenté une action en diffamation contre la Société Radio-Canada et la journaliste Josée Dupuis en lien avec les reportages d’Enquête;
  9.            Les défenderesses dans cette affaire ont présenté une demande en rejet, prétendant qu’il s’agissait d’une poursuite bâillon - le 2 novembre 2017, l’Honorable Donald Bisson de la Cour supérieure a référé cette demande au mérite en concluant qu’elle ne pourrait faire l’objet d’une instruction sommaire, tel qu’il appert du jugement de l’Honorable Mark Schrager, j.c.a. refusant la permission d’en appeler à l’encontre de cette décision, Pièce P-12; 
  10.        L’action des agents est toujours devant les tribunaux;
  11.        La démarche de ces agents a été soutenue à l’échelle de la province - 2500 policiers de la SQ ont porté, jusqu’en octobre 2018 et alors qu’ils étaient en fonction, des bracelets rouges marqués du chiffre 144 et de huit étoiles représentant les agents de la région de Val-d’Or qui ont été suspendus durant les enquêtes à leur sujet;
  12.        Le port du bracelet rouge a été critiqué sévèrement par le commissaire Viens dans son rapport, tel qu’il appert de la Pièce P-9 (p. 304) :

J’ai, à maintes reprises dans le cours des travaux de la Commission, manifesté mon indignation de voir les policiers porter le bracelet rouge et affirmé qu’une telle approche faisait obstacle à la réconciliation. Encore aujourd’hui, le bracelet rouge est pour moi un symbole éloquent du manque de sensibilité et de volonté dont peuvent faire preuve certains intervenants des services publics dans leurs relations avec les peuples autochtones.

  1.        Tous ces faits indiquent qu’un nouveau débat judiciaire dans la région de Val-d’Or concernant les mêmes allégations pourrait raviver les tensions au sein de la population;
  2.        De plus, plusieurs membres de l’action collective pourraient être intimidés du fait de devoir témoigner au Palais de justice de Val-d’Or, sachant qu’à la fois plusieurs agents de la SQ et des citoyens de la région ont posé par le passé des gestes indiquant une désapprobation des dénonciations faites par ces personnes;
  3.        Le demandeur est d’avis que le district alternatif le plus naturel est celui de Montréal puisque le quartier général de la SQ s’y retrouve.
  1.       Le Tribunal est d’accord et décide qu’en vertu de l’article 576 Cpc, l’action collective sera exercée dans le district de Montréal. Le dossier continuera également jusqu’à l’inscription devant le présent juge, déjà désigné à cet effet par la juge en chef aux termes de l’article 572 Cpc.
  2.       Quant aux avis d’autorisation et à la question de qui va les payer, il a été convenu lors de l’audition de l’autorisation que cela sera décidé dans une audition à être fixée ultérieurement. Il en est de même pour la période d’exclusion des membres.
  3.       Le Tribunal va donc accueillir la Demande, avec frais de justice en faveur du demandeur, excluant cependant pour l’instant les frais de publication d’avis.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.       ACCUEILLE la Demande pour autorisation d’exercer une action collective corrigée du 15 mai 2024;
  2.       AUTORISE l'exercice d’une action collective en dommages-intérêts compensatoires et punitifs contre le défendeur;
  3.       ATTRIBUE au demandeur le statut de représentant pour le groupe suivant :

Toutes les personnes autochtones qui affirment avoir été victimes de pratiques discriminatoires par un ou des agent(s) de la Sûreté du Québec sur le territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or. Constituent des pratiques discriminatoires les agissements suivants :

 Agressions sexuelles;

 Agressions physiques;

 Séquestrations;

 Sollicitation de faveurs sexuelles;

 Force excessive dans le contexte d’arrestations;

 Harcèlement.

  1.       IDENTIFIE comme suit les principales questions de fait ou de droit qui seront traitées collectivement :
  1.            Des agents de la Sûreté du Québec ont-ils commis des fautes dans l’exercice de leurs fonctions à l’égard des membres du groupe?
  2.            La Sûreté du Québec a-t-elle manqué à son obligation de mettre en place des mesures appropriées pour prévenir ces fautes et de former, de superviser et de discipliner ses agents?
  3.            Quel montant de dommages-intérêts compensatoires le défendeur doit-il être condamné à verser aux membres du groupe?
  4.            Les droits des membres du groupe à l’intégrité, à la liberté, à la sécurité de la personne et à la dignité ont-ils été violés?
  5.            Les droits des membres du groupe qui ont été séquestrés par des agents de la SQ à la protection contre la détention arbitraire ont-ils été violés?
  6.            Les droits des membres du groupe qui ont été séquestrés par des agents de la SQ d’être traités avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine ont-ils été violés?
  7.            Les droits des membres du groupe à l'égalité et à une protection identique devant la loi ont-ils été violés?
  8.            Les membres du groupe ont-ils droit à une réparation juste et appropriée en vertu de l'article 24(1) de la Charte canadienne?
  9.            Les membres du groupe ont-ils droit à des dommages punitifs en vertu de l'article 49 de la Charte du Québec?
  1.       IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s'y rattachent :

ACCUEILLIR l'action du demandeur pour le compte de tous les membres du groupe;

CONDAMNER le défendeur à payer à chacun des membres du groupe un montant à être déterminé par la Cour visant à réparer la violation de leurs droits protégés par la Charte canadienne et la Charte du Québec, le tout avec intérêts au taux légal plus l'indemnité additionnelle depuis le dépôt de la demande d'autorisation pour exercer une action collective;

CONDAMNER le défendeur à payer à chacun des membres du groupe un montant à être déterminé en réparation du préjudice subi par ceux-ci;

CONDAMNER le défendeur à payer à chacun des membres du groupe un montant à être déterminé à titre de dommages-intérêts punitifs pour la violation intentionnelle de leurs droits protégés par la Charte québécoise;

ORDONNER que les réclamations des membres du groupe fassent l'objet d'un recouvrement individuel;

RECONVOQUER les parties dans les 30 jours du jugement final afin de fixer les modalités du recouvrement;

LE TOUT, avec dépens, incluant les frais d'experts, d'avis et d’administration du processus de recouvrement;

  1.       DÉCLARE qu’à moins d’exclusions, les membres du Groupe seront liés par tout jugement à intervenir sur l’action collective de la manière prévue par la loi;
  2.       REPORTE à plus tard l’audition et la décision sur les avis d’autorisation, l’identité du payeur des frais reliés à ces avis et le délai d’exclusion des membres;
  3.       DÉCIDE que le présent dossier sera institué au mérite dans le district judiciaire de Montréal;
  4.       CONFIRME que la mise en état du dossier jusqu’à l’inscription relève du juge Donald Bisson de la Cour supérieure du Québec;
  5.       LE TOUT, avec frais de justice en faveur du demandeur, mais excluant les frais de publication d’avis pour l’instant.

 

 

 

DONALD BISSON j.C.S.

 

Me Jean-Marc Lacourcière, Me Lex Gill et Mme Marie-Laure Dufour, stagiaire

Trudel Johnston & Lespérance

Avocats du demandeur et de la membre désignée

 

Me Nancy Brûlé, Me Denise Robillard et Me Marco Gutiérrez

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Avocats du défendeur

 

 

Date d’audition :

26 mars 2025

 


[1]  Voir le paragraphe 7 de la Demande.

[2]  Cette MRC est située en Abitibi-Témiscamingue. Le chef-lieu est Val-d’Or.

[3]  RLRQ, c. C-12.

[4]  Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.U.).

[5]  Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, par. 54 et 55.

[6]  RLRQ, c. P-13.1.

[7]  Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 2089.

[8]  Procureur général du Québec c. Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or, 2024 QCCA 403.

[9]  Par. 152 de la Demande.

[10]  2023 QCCA 1220.

[11]  2023 QCCA 688.

[12]  2025 QCCA 217, par. 27.

[13]  Lac-Simon est une réserve indienne algonquine située dans la MRC de la Vallée-de-l'Or.

[14]  Senneterre est située dans la MRC de la Vallée-de-l'Or.

[15]  2019 QCCS 3934, par. 42.

[16]  L.R.C. (1985), c. C-46.

[17]  Le Tribunal note que, dans la Demande, on retrouve des allégations de la nature de l’impossibilité d’agir, aux paragraphes 137 à 139 et 145 à 147 (perte de confiance, craintes générales, craintes de représailles et d’intimidation, méfiance), qui inclut le cas de Mme A. Les paragraphes 106 à 108 de la Demande, portant sur les dommages spécifiques de Mme A, sont aussi de la nature de l’impossibilité d’agir. Le Tribunal n’a cependant pas à formellement décider de cela ici.

[18]  1998 CanLII 13167 (C.A.), p. 17.

[19]  2017 QCCA 1460, confirmé par la Cour suprême du Canada dans L’Oratoire SaintJoseph du MontRoyal c. J.J., 2019 CSC 35, qui ne traite cependant pas de cette question.

[20]  2004 CSC 17, par. 20 et 21.

[21]  2014 QCCS 3185, par. 145 à 158.

[22]  Il existe encore des décisions de la Cour supérieure qui appliquent les anciens critères, mais à tort selon le Tribunal.

[23]  Demande, par. 78, et Pièce P-11, aux pp. 96-97 et 196-197, sur la description des dossiers 52 et 53.

[24]  Précité, note 19, par. 24.

[25]  Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 116; Aubry c. Éditions Vice-versa inc, [1998] 1 RCS 591, par. 68.

[26]  2021 CSC 43, par. 6.

[27]  Précité, note 25, par. 121.

[28]  Précité, note 5, par. 17 à 23.

[29]  Précité, note 5, par. 19 et 21.

[30]  Vancouver (Ville) c. Ward, précité, note 5, par. 4.

[31]  Nasogaluak c. Canada (Procureur général), 2021 CF 656, confirmée en appel par la Cour d’appel fédérale : Canada (Procureur général) c. Nasogaluak, 2023 CAF 61 (demande d’autorisation d’appel rejetée par la Cour suprême du Canada, no 40734, 14 décembre 2023). La Cour d’appel fédérale a retourné le dossier en Cour fédérale pour reformulation de certaines questions, mais pas celles qui sont similaires à celles du présent dossier.

[32]  2023 CF 771.

[33]  Ligue des Noirs du Québec c. Ville de Montréal, 2019 QCCS 3319; Ligue des Noirs du Québec c. Ville de Montréal, 2024 QCCS 3241 (en appel).

[34]  M.L. c. Guillot, 2021 QCCA 1450, par. 17 à 20 et 27 à 29.  C’est ici la distinction avec l’arrêt Rozon c. Les Courageuses, 2020 QCCA 522 (demande d’autorisation d’appel refusée par la Cour suprême du Canada, 16 novembre 2020, no 39115). 

[35]  Voir entre autres : Boudreau c. Procureur général du Québec, 2022 QCCA 655, par. 21 et 22 (demande d’autorisation d’appel refusée par la Cour suprême du Canada, 30 mars 2023, no 40311); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Commission scolaire de Montréal, 2022 QCCA 398, par. 7172; Ligue des Noirs du Québec c. Ville de Montréal, précité, note 33 (décision de 2019), par. 1 et 50-52; Homsy c. Google, 2024 QCCS 1324, par. 96, ainsi que les autorités citées dans ces décisions.

[36]  Beaulieu c. Facebook inc., 2022 QCCA 1736, par. 80 à 88 (demande d’autorisation d’appel refusée par la Cour suprême du Canada, 31 août 2023, no 40620).

[37]  Précité, note 4.

[38]  L.R.C. (1985), c. I-5.

[39]  R. c. Powley, 2003 CSC 43, par. 11-12, 23-24 et 30-33; Alliance autochtone du Québec c. Procureur général du Québec (Ministre des Ressources naturelles et de la Faune du Québec et Ministre délégué aux Affaires autochtones du Québec), 2024 QCCA 1472, par. 73.

[40]  Précité, note 31, par. 85 et 86.

[41]  Précité, note 32, par. 24.

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