Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Giroux | 2023 QCCDCPA 8 |
CONSEIL DE DISCIPLINE | ||||
ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGRÉÉS DU QUÉBEC | ||||
CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
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No : | 47-22-00414 | |||
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DATE : | 20 mars 2023 | |||
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LE CONSEIL : | Me MYRIAM GIROUX-DEL ZOTTO | Présidente | ||
M. CLAUDE PAUL-HUS, FCPA | Membre | |||
M. ABBOUD KASSIS, CPA | Membre | |||
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JOSÉE MÉLANÇON, CPA, en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec | ||||
Plaignante | ||||
c.
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MARIE-CLAUDE GIROUX | ||||
Intimée | ||||
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION | ||||
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE | ||||
APERÇU
[1] Le Conseil de discipline (le Conseil) est saisi de la plainte disciplinaire ainsi libellée que Josée Mélançon (la plaignante), syndique adjointe de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (l’Ordre), dépose contre Marie-Claude Giroux (l’intimée) :
Se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article
[Transcription textuelle]
[2] D’emblée, lors de la conférence de mise au rôle du 7 décembre 2022, tenue par Me Marie-Josée Corriveau, la Présidente en chef du Bureau des présidents des conseils de discipline (la Présidente en chef), l’intimée annonce qu’elle plaidera coupable sous le seul chef d’infraction contenu dans la plainte.
[3] Lors de l’instruction, elle réitère sa volonté d'enregistrer un plaidoyer de culpabilité sous ce chef d’infraction et précise que sa décision s’inscrit dans le contexte de la recommandation conjointe au sujet de la sanction conclue avec la plaignante.
[4] À cet égard, les parties présentent un document[1] intitulé « Énoncé conjoint des faits culpabilité et sanction ».
[5] La décision de l’intimée de plaider coupable ne soulevant aucune préoccupation, le Conseil, séance tenante, prononce contre elle une déclaration de culpabilité, comme il est plus amplement décrit au dispositif de la présente décision.
[6] Les parties présentent ensuite les composantes de la sanction constituant leur recommandation conjointe, soit d’imposer à l’intimée une période de radiation de six mois et une amende de 5 000 $ sous le seul chef de la plainte, de publier un avis de la présente décision et de la condamner au paiement des déboursés et des frais de publication.
[7] Elles suggèrent que l’intimée purge la période de radiation temporaire au moment d’une éventuelle réinscription au tableau de l’Ordre, le cas échéant, et que l’avis de la présente décision soit publié au même moment.
[8] Les parties proposent également d’accorder à l’intimée un délai de 60 jours pour le paiement de l’amende, des déboursés et des frais de publication.
[9] Par conséquent, en définitive, la présente affaire soulève la question de savoir si la recommandation conjointe des parties au sujet de la sanction et de ses composantes est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public.
[10] En considération des principes applicables en cette matière et des circonstances du présent dossier, il y a lieu de répondre par la négative à cette question, et ce, pour les motifs exposés ci-après.
CONTEXTE
[11] Les faits pertinents admis par les parties à l’égard de l’intimée et de l’infraction qui lui est reprochée sont ainsi décrits dans « [l’]Énoncé conjoint des faits culpabilité et sanction » :
[…]
a) Interdiction d’exercer toute activité d’inscrit en valeurs mobilières pour une période de 10 ans moins 14 mois débutant le 12 octobre 2021;
b) Imposition d’une période de surveillance stricte de deux ans advenant la réactivation de son inscription;
c) Ordonnance de remettre la somme de 12 600 $ à l’OCRCVM, laquelle remettra ensuite cette somme à la belle-mère;
d) Ordonnance de payer à l’OCRCVM des frais au montant de 10 000 $;
a) Elle était l’adjointe en placement de son conjoint à la firme de mai 2014 à novembre 2016;
b) À la demande de son conjoint, elle a signé le document de transfert de fonds de sa belle-mère de 150 000 $ daté du 13 février 2015 (pièce SP-9);
c) Elle a modifié le mode de transmission des documents de sa belle-mère à la demande de son conjoint;
d) Elle a procédé à d’autres transferts dans le compte de cette cliente;
e) Elle était au courant que certains fonds pour la rénovation de son domicile venaient de sa belle-mère;
[Transcription textuelle]
ANALYSE
Principes de droit applicables à la recommandation conjointe
Le critère fondé sur l’intérêt public
[12] Dans Reyes c. R.[2], la Cour d’appel du Québec (la Cour d’appel) se réfère aux arrêts Anthony‑Cook[3], rendu en 2016, et Nahanee[4], rendu en 2022, dans lesquels la Cour suprême du Canada (la Cour suprême) énonce les principes applicables en matière de recommandation conjointe.
[13] La Cour d’appel résume ainsi le fondement du test élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt Anthony‑Cook :
[14] Dans l’arrêt Anthony-Cook, la Cour suprême affirme fermement que les recommandations conjointes sont une partie intégrale et essentielle de la saine administration de la justice criminelle et même que l’administration de la justice s’effondrerait sur elle-même sans les bénéfices généraux qui sont apportés par cette forme de résolution des poursuites. Sur ce fondement, la Cour érige le test qui s’applique avant qu’un juge puisse rejeter une recommandation conjointe : il doit l’accepter sauf si la peine proposée mine la confiance du public dans l’administration de la justice ou autrement si elle va à l’encontre de l’intérêt public. La Cour précise que même si la décision finale relève de la discrétion du juge, ce test exige que le juge fasse preuve d’une grande déférence envers la suggestion des parties. Donc, le critère est strict et exigeant. Le rejet d’une recommandation conjointe, s’il y a lieu dans un cas plutôt exceptionnel, doit être expliqué par des motifs précis qui spécifient en quoi la suggestion n’est pas dans l’intérêt public.
[Référence omise]
[15] […]
[32] Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador sont utiles à cet égard.
[33] Dans Druken, par. 29, la cour a jugé qu’une recommandation conjointe déconsidérera l’administration de la justice ou sera contraire à l’intérêt public si, malgré les considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine recommandée, elle [traduction] « correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale ». Et, comme l’a déclaré la même cour dans R. c. B.O.2,
[34] À mon avis, ces déclarations fermes traduisent l’essence du critère de l’intérêt public élaboré par le comité Martin. Elles soulignent qu’il ne faudrait pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe, une conclusion à laquelle je souscris. Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé — et à juste titre, comme je l’explique ci‑après.
[…]
[18] […]
[31] Après avoir examiné les diverses possibilités, je crois que le critère de l’intérêt public, tel qu’il est développé dans les présents motifs, est celui qui s’impose. Il est plus rigoureux que les autres critères proposés et il reflète le mieux les nombreux avantages que les recommandations conjointes apportent au système de justice pénale ainsi que le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que ces recommandations soient acceptées. De plus, il diffère des critères de « justesse » employés par les juges du procès et les cours d’appel dans les audiences classiques en matière de détermination de la peine et, en ce sens, il aide les juges du procès à se concentrer sur les considérations particulières qui s’appliquent lors de l’appréciation du caractère acceptable d’une recommandation conjointe.
[Soulignements ajoutés; référence omise]
[15] Toujours dans l’arrêt Reyes, la Cour d’appel écrit :
[17] La Cour suprême a souligné à nouveau la rigueur du test dans l’arrêt Nahanee :
[1] Lorsque la Couronne et la défense proposent à un juge une peine particulière dont elles ont convenu en échange du plaidoyer de culpabilité de l’accusé, un critère rigoureux, appelé critère de l’« intérêt public », s’applique afin protéger cette recommandation. Ce critère, adopté par notre Cour dans l’arrêt R. c. Anthony‑Cook,
[2] La rigueur de ce critère vise à protéger les avantages particuliers découlant des suggestions communes. Ce processus procure aux parties un degré élevé de certitude que la peine proposée conjointement sera infligée, en plus d’éviter le besoin de tenir des procès longs, coûteux et acrimonieux. En règle générale, les audiences de détermination de la peine basées sur des suggestions communes sont simples et expéditives. Elles permettent d’épargner de l’argent, ainsi que du temps et d’autres précieuses ressources qui peuvent être consacrées à d’autres instances devant les tribunaux. Bref, elles permettent au système de justice de fonctionner de manière efficace et efficiente.
[…]
[25] L’arrêt Anthony‑Cook a établi un critère rigoureux fondé sur l’intérêt public auquel il doit être satisfait avant que les juges de la peine ne puissent rejeter une suggestion commune faisant suite à un plaidoyer de culpabilité. Au paragraphe 34 de cette décision, notre Cour a déclaré ce qui suit :
Le rejet [d’une suggestion commune] dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner.
[26] Ce critère place à dessein la barre très haut. Il vise à encourager les ententes entre les parties, ce qui permet aux tribunaux de sauver du temps d’audience à l’étape de la détermination de la peine. Ce critère constitue également une incitation à inscrire des plaidoyers de culpabilité, ce qui épargne aux victimes et au système de justice la nécessité de tenir des procès coûteux et chronophages (Anthony‑Cook, par. 35 et 40). Les accusés en bénéficient parce qu’ils ont un très haut degré de certitude que la peine proposée conjointement sera celle qui leur sera infligée; la Couronne en bénéficie parce qu’elle a l’assurance d’un plaidoyer de culpabilité à des conditions qu’elle est prête à accepter (par. 36‑39). Les deux parties en bénéficient également du fait qu’elles n’ont pas à se préparer pour un procès ou pour une audience de détermination de la peine contestée.
Et plus loin :
[41] Bien que le pouvoir discrétionnaire des tribunaux soit limité par le critère de l’intérêt public dans le contexte des recommandations conjointes, cette limitation est justifiée afin de protéger l’entente intervenue entre les parties sur une peine précise — dont la durée n’est pas fixée unilatéralement par la Couronne.
Voici comment la Cour signale à la fois la rigueur du critère de l’intérêt public et la fermeté avec laquelle ce principe protège l’intégrité des recommandations conjointes.
[Soulignements ajoutés; référence omise]
[16] Dans l’arrêt Nahanee, la Cour suprême apporte les précisions suivantes relativement à l’application du critère établi dans l’arrêt Anthony‑Cook :
[27] Il importe de préciser qu’une recommandation conjointe est une recommandation qui traite de tous les aspects de la peine proposée. Dans la mesure où les parties s’entendent sur la plupart, mais non sur tous les aspects de la peine — qu’il s’agisse du type de la peine ou de sa durée, ou encore des conditions, modalités ou ordonnances accessoires l’assortissant —, la recommandation ne constitue alors pas une recommandation conjointe. Le critère de l’intérêt public ne s’applique pas qu’à certains aspects d’une peine sur lesquels les parties s’entendent; il s’applique à toute la peine, ou pas du tout. Outre les problèmes logistiques que soulèverait l’application de deux critères différents à des éléments de la même peine proposée, le fait est qu’en définitive il n’y a qu’une seule peine globale. Pour déterminer une peine, il faut en apprécier toutes les composantes. Le fait d’isoler un ou deux aspects de la peine et de les soumettre à un autre critère irait à l’encontre de cette détermination, et pourrait fort bien l’entraver.
[…]
[31] Les audiences de détermination de la peine contestées se caractérisent par une absence d’accord sur une peine précise, et elles ne peuvent donc pas offrir le même degré de certitude que les recommandations conjointes. Ces dernières, qui traitent de tous les aspects de la peine proposée au tribunal, procurent de la certitude en raison d’une entente qui prend la forme d’un quid pro quo, d’une contrepartie : l’accusé accepte de plaider coupable en échange de quoi la Couronne accepte de recommander au tribunal une peine précise que la Couronne et l’accusé jugent acceptable (Anthony‑Cook, par. 36). Il ne reste rien à débattre. (…)
[…]
[36] L’arrêt Anthony‑Cook a protégé les recommandations conjointes faisant suite à un plaidoyer de culpabilité en raison de leurs avantages uniques pour le système de justice et tous ses participants. Ces avantages — à savoir la certitude et l’efficacité — sont sensiblement atténués dans le cas des audiences de détermination de la peine contestées. Par conséquent, ces audiences n’exigent pas la protection rigoureuse qu’offre le critère de l’intérêt public à l’égard des recommandations conjointes.
[17] Le 20 décembre 2022, le Tribunal des professions, dans Conea[5], confirme l’application des arrêts cités plus haut en matière disciplinaire.
[18] C’est sous l’éclairage de l’ensemble des principes exposés précédemment que nous jugerons si la recommandation conjointe des parties doit être acceptée, c’est-à-dire si les parties présentent un fondement convenable établissant que la sanction recommandée et ses composantes ne sont pas susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice ou ne sont pas par ailleurs contraires à l’intérêt public.
Fondements de la recommandation conjointe
[19] Avant d’aborder plus spécifiquement cette question, soulignons que, lors de l’instruction, les parties déposent d’un commun accord les éléments[6] de preuve contenant tous les renseignements recueillis par la plaignante durant l’enquête disciplinaire.
[20] Elles procèdent ensuite à la pondération des facteurs objectifs et subjectifs ainsi qu’à la considération du risque de récidive et des sanctions imposées en semblable matière.
[21] En somme, les parties utilisent la même méthode que celle préconisée lorsque les sanctions font l’objet d’une contestation, pour justifier leur recommandation conjointe. Les facteurs et les éléments qu’elles invoquent devant le Conseil seront traités subséquemment.
[22] Cette mise au point étant faite, le Conseil tirera, à la lumière des faits divulgués par les parties, les inférences appropriées d’intérêt public comme les avantages apportés au système de justice disciplinaire et les garanties au sujet des considérations qu’offre l’entente de règlement à l’étude dans la perspective de l’équité procédurale et de la préservation de la confiance du public envers le système de justice.
[23] Cet exercice permettra ultimement de se prononcer sur la recommandation conjointe suivant le critère de l’intérêt public établi dans l’arrêt Anthony-Cook.
A) Les facteurs objectifs et subjectifs ainsi que le risque de récidive ayant été considérés par les parties
Les facteurs objectifs
[24] Aux fins de la présente décision, mentionnons que les parties retiennent l’article
23. Le membre doit remplir ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité.
[25] Relativement aux facteurs objectifs, plus particulièrement, elles soulèvent avoir considéré les éléments suivants :
Les facteurs subjectifs
[26] Relativement à cette question, les parties soutiennent avoir tenu compte des facteurs atténuants suivants lors de leurs négociations :
[27] Concernant les conséquences subies par l’intimée et son conjoint ainsi que le remboursement des sommes à la belle-mère de ce dernier, sans se livrer à un exercice de pondération vu la recommandation conjointe présentée par les parties, le Conseil estime tout de même opportun de mentionner qu’en s’inspirant de la définition donnée par la Cour d’appel, dans l’arrêt R. c. Amato[10], un facteur atténuant se rapporte plutôt à la gravité de l’infraction ou au degré de responsabilité du professionnel.
[28] Quoi qu’il en soit, il y a lieu de retenir que les parties ont considéré ces éléments comme étant des facteurs extrinsèques pertinents favorisant la clémence.
[29] De même, concernant le risque de récidive, elles estiment qu’il est faible vu le contexte particulier de l’infraction et le statut actuel de l’intimée qui n’est plus membre de l’Ordre depuis le mois de mars 2018.
[30] Bien qu’il ne s’agisse pas d’un facteur atténuant à proprement parler, mais d’un élément pertinent à la détermination d’une sanction disciplinaire adéquate[11], on doit en déduire que les parties ont jugé qu’il justifie l’imposition d’une sanction moins sévère.
[31] En ce qui a trait aux facteurs aggravants, les parties invoquent les bénéfices personnels que l’intimée tire de l’infraction, sachant que l’imitation de la signature en question vise à transférer 150 000 $ appartenant à la belle-mère de son conjoint afin de payer les rénovations de leur résidence familiale.
L’étude des précédents jurisprudentiels cités devant le Conseil
[32] Pour étayer leur proposition, les parties présentent 11 décisions.
[33] Dans huit de ces affaires[12], les professionnels déclarés coupables d’une infraction dénotant un manque d’intégrité sont sanctionnés au moyen de l’imposition d’une période de radiation temporaire allant d’un jour à six mois et un jour ou d’une radiation permanente.
[34] Les parties font toutefois valoir que dans trois autres cas[13], les professionnels sont radiés et condamnés à payer l’amende minimale de l’époque (600 $ ou 2 500 $) ou une amende de 10 000 $.
[35] À la lumière de ces informations, les parties avancent avec raison, que les sanctions recommandées sous le chef 1 de la plainte s’harmonisent avec les mesures disciplinaires imposées dans les précédents qu’elles ont retenus.
Les considérations afférentes à l’intérêt public
[36] Soulignons d’emblée que l’entente de règlement intervenue entre les parties au sujet de la sanction évite un débat sur la question de la culpabilité de l’intimée ainsi qu’une audition relative à la détermination d’une sanction contestée.
[37] Comme la recommandation conjointe des parties fait suite à un plaidoyer de culpabilité et traite de tous les aspects des sanctions proposées, elle paraît en outre conforme aux principes de l’arrêt Nahanee[14], dans lequel la Cour suprême énonce que l’application du critère rigoureux de l’intérêt public établi dans l’arrêt Anthony‑Cook doit demeurer restreinte aux recommandations conjointes qui répondent à ces conditions.
[38] Précisons également que la recommandation conjointe des parties permet aux témoins ayant une connaissance personnelle des faits reprochés, dont la cliente visée par la plainte, d’être dispensés d’une comparution devant le Conseil.
[39] En somme, elle fait épargner au système de justice disciplinaire, à ses participants et aux parties, le temps, le stress et les coûts d’un processus disciplinaire contesté tant à l’étape de la culpabilité qu’à celle de la sanction.
[40] Cela est d’autant plus vrai considérant les liens familiaux existant entre les différentes personnes impliquées dans les faits de la cause.
[41] Ajoutons que la recommandation conjointe favorise des résultats efficaces pour le Conseil qui peut, de ce fait, traiter la plainte avec célérité, c’est-à-dire procéder à l’instruction de la plainte en une seule journée, s’en tenir à l’Énoncé conjoint des faits ainsi qu’aux explications communes des parties et rendre une décision écrite plus succincte plus rapidement.
[42] Cela fait économiser des ressources et un temps précieux qui peuvent être alloués à d’autres affaires.
[43] De surcroît, le fait que les parties soient représentées par des avocats permet de présumer qu’elles ont reçu les conseils appropriés en fonction de leurs intérêts respectifs tant sur culpabilité que sur sanction. Les sanctions proposées faisant suite au plaidoyer de culpabilité de l’intimée ne suscitent donc aucune crainte sur le plan de l’équité ou d’autres droits fondamentaux susceptibles de compromettre l’intégrité du processus disciplinaire.
[44] En définitive, nous retenons que la recommandation conjointe des parties semble constituer une solution avantageuse dans l’intérêt des parties et du public ainsi que dans l’objectif d’une saine administration de la justice.
B) L’appréciation de la recommandation conjointe par le Conseil
[45] D’entrée de jeu, soulignons que les parties avancent que la combinaison des mesures disciplinaires proposées sous le chef 1 (soit une période de radiation de six mois et une amende de 5 000 $) s’explique par le fait que l’intimée n’est plus membre et n’a pas l’intention de se réinscrire au tableau des membres de l’Ordre ainsi que par l’objectif d’exemplarité associé à toute sanction.
[46] Elles précisent que comme l’exécution de la période de radiation de six mois recommandée et la publication d’un avis de la présente décision sont reportées jusqu'à une éventuelle réinscription de l’intimée au tableau de l’Ordre, l’imposition d’une amende devient de ce fait nécessaire afin qu’elle subisse des conséquences de l’infraction reprochée.
[47] En somme, les parties laissent entendre qu’autrement, le processus disciplinaire en cours serait purement théorique et donc susceptible de nuire à l’exemplarité recherchée à l’égard des membres de l’Ordre.
[48] Le raisonnement qui sous-tend la proposition de sanctions présentée par les parties est supporté par la majorité dans le jugement Parent[15].
[49] Bien que dans le cadre d’une dissidence, le juge Vanchestein affirme que le fait de reporter la radiation temporaire au moment de la réinscription de la professionnelle confère un caractère punitif à la sanction et ne sert aucun intérêt public, en l’instance, le Conseil est saisi d’une recommandation conjointe.
[50] Ainsi, si cette modalité de la recommandation conjointe des parties se justifie en regard du droit et des faits du présent dossier, on doit conclure qu’elle ne soulève pas de prime abord de préoccupations.
[51] En outre, à la lumière de tout ce qui précède, le Conseil est d’avis que, dans les circonstances, les sanctions et les modalités de la recommandation conjointe des parties respectent le critère de l’intérêt public établi dans l’arrêt Anthony-Cook.
[52] En effet, des personnes renseignées et raisonnables n’estimeraient pas que la recommandation conjointe des parties fait échec au bon fonctionnement du système de justice disciplinaire principalement en raison de la gravité objective de l’infraction dont l’intimée est coupable.
[53] Il y a donc lieu de l’entériner.
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, le 23 FÉVRIER 2023 :
[54] A DÉCLARÉ l’intimée coupable d’avoir contrevenu aux articles
[55] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle à l’égard des infractions fondées sur l’article
ET CE JOUR :
[56] IMPOSE à l’intimée, sous le chef 1, une période de radiation de six mois et une amende de 5 000 $.
[57] ORDONNE la publication d’un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimée aura son domicile professionnel au moment d’une éventuelle réinscription au tableau de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec, le cas échéant.
[58] ORDONNE que la période de radiation temporaire soit purgée au moment d’une éventuelle réinscription de l’intimée au tableau de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec, le cas échéant.
[59] CONDAMNE l’intimée au paiement des déboursés et des frais de publication.
[60] ACCORDE à l’intimée un délai de 60 jours pour le paiement de l’amende, des déboursés et des frais de publication.
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| __________________________________ Me MYRIAM GIROUX-DEL ZOTTO Présidente
__________________________________ M. CLAUDE PAUL-HUS, FCPA Membre
__________________________________ M. ABBOUD KASSIS, CPA Membre
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Me Alexandre L. Racine | ||
Avocat de la plaignante | ||
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Me Clément Groleau | ||
Avocat de l’intimée | ||
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Date d’audience : | 23 février 2023 | |
[1] Pièce P-2.
[2]
[3] R. c. Anthony-Cook,
[4] R. v. Nahanee,
[5] Conea c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des),
[6] Pièces SP-2 à SP-9.
[7] RLRQ, c. C-48.1, r. 6.
[8] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Brodeur,
[9] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Lortie,
[10]
[11] Médecins (Ordre professionnel des) c. Chbeir,
[12] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Brodeur,
[13] Mars c Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des),
[14] R. c. Nahanee,
[15] Parent c. Technologistes médicaux (Ordre professionnel des),
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.