Décision

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Ouellet et Ville de Québec (Service de police)

2022 QCTAT 5678

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Québec

 

Dossier :

1277934-31-2205

Dossier CNESST :

509480182

 

 

 

Québec,

le 16 décembre 2022

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Jean-François Dufour

______________________________________________________________________

 

 

Johanie Ouellet

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Ville de Québec (Service de Police)

 

Partie mise en cause

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]                Madame Johanie Ouellet exerce l’emploi de sergente de patrouille pour le Service de police de la Ville de Québec. Le 23 décembre 2020, la travailleuse remet à l’employeur un certificat médical qui atteste de son état de grossesse. Il établit également que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour elle-même ou pour son enfant à naître. Elle demande qu’on la réaffecte à des tâches qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir qui ne comportent pas de tels dangers.

[2]                L’employeur, le 13 janvier 2021, l’informe de son intention de ne pas la réaffecter à d’autres tâches. De cette manière, il maintient le retrait préventif de son travail. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail lui verse, conformément à la Loi sur la santé et la sécurité du travail[1], la LSST, une indemnité de remplacement du revenu.

[3]                Insatisfaite de la décision que prend l’employeur, la travailleuse produit, le 10 février 2021, une plainte à la Commission puisqu’elle croit avoir été l’objet de mesures discriminatoires ou de représailles en raison de l’exercice d’un droit qui résulte de la LSST. Le refus de l’employeur de la réaffecter à d’autres tâches qui ne comportent pas de dangers et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir s’avère l’essence des prétentions de la plainte soumise. Le 29 avril 2022, la Commission rend une décision par laquelle elle la déclare irrecevable. La travailleuse conteste cette décision devant le Tribunal.

[4]                Dans le cadre de son analyse, ce dernier doit déterminer la recevabilité de la plainte produite le 10 février 2021. Le Tribunal doit aussi établir si l’application que fait l’employeur des dispositions de la LSST en regard du retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite constitue une sanction ou une mesure discriminatoire ou de représailles en raison de l’exercice d’un droit prévu à la LSST.

[5]                À l’audience, quant aux faits, les parties s’en remettent à la trame factuelle que réalise la Commission dans sa décision. Elles soumettent leurs argumentations respectives quant à la manière d’interpréter ces dispositions de la LSST. C’est cette interprétation qui est aux confins du présent litige.

[6]                La travailleuse, pour sa part, allègue que la disparité de traitement qui existe chez l’employeur entre les travailleurs victimes d’une lésion professionnelle et les travailleuses enceintes constitue une mesure discriminatoire ou de représailles. Elle estime que la LSST lui accorde le droit d’être réaffectée par l’employeur à d’autres tâches qui sont exemptes de dangers pour elle-même ou pour son enfant à naître et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir. Le refus ou le défaut de l’employeur d’analyser sa demande de réaffectation représente, selon elle, une mesure de discrimination ou de représailles. C’est pourquoi elle estime sa plainte recevable.

[7]                Quant à l’employeur, il fait une lecture plus nuancée des dispositions qui encadrent le droit qu’exerce la travailleuse en vertu de la LSST. Il est d’avis que la législation n’octroie pas le droit d’être réaffecté à d’autres tâches qui sont exemptes de dangers pour elle-même ou pour son enfant à naître et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir. Il soumet que le droit dévolu à la travailleuse est celui d’être retirée, de manière préventive, de son travail puisqu’il comporte des dangers physiques pour l’enfant à naître ou en raison de son état de grossesse. Il n’a donc pas l’obligation de donner suite à sa demande de réaffectation. Pour ces raisons, il soutient que la plainte est irrecevable.

[8]                Le Tribunal juge que la décision que prend l’employeur est conforme à la LSST. Elle ne constitue pas une sanction ou encore une mesure discriminatoire ou des représailles en raison de l’exercice du droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite. La LSST ne prévoit pas à la travailleuse le droit à la réaffectation dans d’autres tâches. Puisqu’elle n’exerce pas un droit prévu à la LSST, sa plainte est irrecevable.

L’ANALYSE

[9]                Aux fins de son analyse, le Tribunal doit déterminer si la plainte produite par la travailleuse à la Commission est recevable. Pour ce faire, il lui faut établir si le refus de l’employeur de la réaffecter à d’autres tâches qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir qui ne comportent pas de dangers physiques pour elle ou pour son enfant à naître s’avère une sanction ou une mesure discriminatoire ou de représailles dans le cadre de l’exercice de son droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite. La nature du droit qu’elle exerce au moment de la remise de son certificat médical permettra ainsi de déterminer de la recevabilité de sa plainte.

[10]           À ce propos, la travailleuse estime être l’objet de mesures discriminatoires ou de représailles par l’employeur dans le cadre de l’exercice d’un droit prévu à la LSST. Puisque ses conditions de travail comportent un danger physique pour elle ou pour son enfant à naître, elle soutient que le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite a pour corolaire le droit d’être réaffecté à des tâches qui ne comportent pas de tels dangers et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir. Elle soutient que la LSST édicte deux droits distincts : celui au retrait préventif de son travail et celui d’être réaffecté à d’autres tâches par l’employeur. La travailleuse estime que ce dernier a l’obligation de vérifier s’il lui est possible de la réaffecter dans d’autres tâches. Il doit ainsi démontrer l’impossibilité véritable de la réaffecter sans l’existence de contraintes dites excessives. Sans cela, il en découle, à son avis, une disparité de traitement que crée la convention collective. En effet, les travailleurs victimes d’une lésion professionnelle ou en invalidité personnelle perçoivent, contrairement aux travailleuses enceintes, leur pleine rémunération. C’est d’ailleurs le remède que demande la travailleuse au Tribunal. Conséquemment, elle estime que la plainte produite à la Commission est recevable.

[11]           Pour sa part, l’employeur fait une lecture différente des dispositions législatives en cause. Il soumet que la travailleuse ne possède pas de droit à la réaffectation dans d’autres tâches qui ne comportent pas de dangers physiques pour elle ou pour l’enfant à naître et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir. Elle a plutôt le droit à un retrait préventif à l’égard des conditions de son travail qui comportent de tels dangers physiques. Même si elle peut demander d’être réaffectée à d’autres tâches, la LSST ne lui impose pas l’obligation d’y donner suite ou encore d’y faire droit. Cela résulte de la nécessité de réaliser un retrait immédiat de la travailleuse à l’égard des conditions de son travail qui comportent, pour elle ou son enfant à naître, des dangers physiques. Un tel mécanisme s’inscrit, selon lui, à même l’objet de la LSST. Conséquemment, l’employeur allègue l’irrecevabilité de la plainte produite à la Commission.

[12]           Le Tribunal ne partage pas l’analyse que réalise la travailleuse sur cette question. La solution qu’elle préconise au soutien du présent litige ne s’inscrit pas dans l’esprit de la LSST et des justifications qui entourent l’existence du droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite. On demande plutôt, de manière détournée, que le Tribunal s’immisce indûment dans les rapports collectifs de travail afin de modifier ce que les parties ont dûment négocié. Ce faisant, la plainte produite par la travailleuse est irrecevable puisqu’aucune sanction ou mesure discriminatoire ou de représailles ne découle de l’exercice d’un droit prévu à la LSST.

[13]           À ce propos, l’exercice d’un droit prévu à la LSST comme celui au retrait préventif et à la réaffectation de la travailleuse enceinte ne peut pas occasionner, entre autres pour la travailleuse, de mesures discriminatoires ou de représailles ou encore toute autre sanction de la part de l’employeur. Ainsi, celle qui croit avoir fait l’objet de l’une d’elles peut soumettre une plainte écrite à la Commission[2].

[14]           Afin de bénéficier de ce recours, la plaignante doit démontrer, de manière prépondérante, qu’elle est une travailleuse au sens de la LSST, qu’elle a notamment fait l’objet de mesures discriminatoires ou de représailles ou de toute autre sanction, qu’elle a exercé un droit qui résulte de la LSST ou de ses règlements, qu’elle dépose sa plainte à la Commission dans les 30 jours qui suivent la sanction et, finalement, qu’elle n’a pas eu recours à la procédure de griefs prévue à la convention collective qui lui est applicable[3].

[15]           La preuve prépondérante établit que la plainte produite à la Commission vise une travailleuse au sens de la LSST, qu’elle lui est transmise dans les 30 jours qui suivent la sanction qu’on invoque, qu’aucune procédure de griefs en vertu d’une convention collective n’est entreprise par les parties en la présente affaire et qu’elle exerce un droit prévu à la LSST lorsqu’elle fournit à l’employeur un certificat médical qui atteste que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour son enfant à naître ou pour elle-même.

[16]           Or, la preuve prépondérante n’établit pas l’existence d’une sanction ou de mesures discriminatoires ou de représailles à la suite de l’exercice d’un droit prévu à la LSST. Le défaut par la travailleuse d’établir cet élément emporte la recevabilité de la plainte qu’elle produit à la Commission.

[17]           D’emblée, il nous faut rappeler le rôle qui est dévolu au Tribunal en pareille matière. Il a, selon la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[4], la LITAT, « le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence » et que pour y parvenir il peut « confirmer, modifier ou infirmer la décision, l’ordre ou l’ordonnance contesté qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu »[5]. Il possède, pour ce faire, tous les pouvoirs nécessaires afin d’exercer sa compétence[6].

[18]           Il agit ainsi de novo et son rôle ne saurait se limiter à faire le procès de la décision que rend la Commission. Il exerce sa compétence non pas aux seules conclusions de la décision contestée devant lui ou même à l’appréciation que fait la Commission pour rendre celle-ci[7]. Il doit réexaminer tous les aspects de la décision et ainsi disposer des sujets qui n’ont pas été traités, mais qui auraient dû l’être[8]. Il lui revient de déterminer la portée de la contestation ainsi que d’identifier la ou les questions dont il est appelé à disposer[9].

[19]           Par contre, bien que la LSST soit d’ordre public et qu’une convention collective puisse consentir des mesures plus avantageuses pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique des travailleuses[10], le Tribunal ne peut pas s’immiscer dans un contexte de relation de travail visant à favoriser la négociation de conditions de travail ou à défendre un scénario écarté par l’employeur dans l’exercice de son droit de gérance[11].

[20]           D’ailleurs, les dispositions de la convention collective qu’invoque la travailleuse afin d’établir la présence de mesures discriminatoires ou de représailles de la part de l’employeur ont fait, par le passé, l’objet de griefs suivant les mêmes arguments[12]. On comprend aisément que le résultat de cette procédure n’est pas à la satisfaction de l’association accréditée. Or, leur modification ne revient pas au Tribunal. Elle doit être à l’initiative des parties au contrat collectif de travail, c’est-à-dire l’employeur et l’association accréditée. On ne peut pas, par l’entremise de la LSST, s’immiscer dans un tel processus afin de dicter des modifications à une convention collective dûment négociée. Le Tribunal n’a pas un tel pouvoir. Tout au plus, une invitation peut être faite aux parties afin d’entreprendre des pourparlers sur ces questions si, ultimement, tel est leur désir.

[21]           C’est en quelques sortes, avec subtilité et habilité, ce que tente de réaliser la travailleuse par la présente contestation.

[22]           Également, le Tribunal peut, certes, faire l’interprétation d’un texte législatif sans pour autant en faire sa réécriture[13]. Ce rôle ne lui est pas dévolu. Il appartient plutôt au législateur siégeant en assemblée puisque c’est ce dernier qui rédige les lois qui gouvernent notre société. Le contrôle de cet acte qu’exercent alors les tribunaux vise exclusivement à s’assurer que le législateur n’a pas voulu de conséquences absurdes lors de l’adoption d’une législation[14]. La contestation de la travailleuse a également, en l’espèce, l’objectif inavoué, selon le Tribunal, de réécrire la LSST.

[23]           Ce faisant, il nous faut revenir à l’interprétation du droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, et ce, afin d’établir ses jalons dans le but de contextualiser la demande de réaffectation que peut faire une travailleuse.

[24]           La LSST a pour objectif l’élimination à la source des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique des travailleuses[15]. Puisqu’elle vise l’élimination des causes d’accident du travail et de maladie professionnelle[16], cette législation prévoit divers droits, obligations et mécanismes pour y parvenir. Le droit au retrait préventif et à la réaffectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite est l’un de ceux-ci.

[25]           Afin d’en bénéficier, la travailleuse doit fournir à son employeur un certificat qui atteste que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour l’enfant à naître ou, en raison de sa grossesse, pour elle-même. Elle peut alors demander qu’on la réaffecte à des tâches qui ne comportent pas de dangers et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir[17].

[26]           Une travailleuse enceinte ou qui allaite ne possède donc pas de droit en vue d’être réaffectée dans d’autres tâches. Elle a plutôt le droit d’être retirée de son travail puisque ses conditions comportent, selon le certificat médical remis, des dangers physiques pour l’enfant à naître ou encore pour elle-même en raison de son état de grossesse.

[27]           Ainsi, par la remise de son certificat, elle demande automatiquement d’être réaffectée à d’autres tâches qui ne comportent pas de dangers physiques pour elle ou pour son enfant à naître. Ce n’est que si la réaffectation n’est pas effectuée immédiatement que la travailleuse peut cesser de travailler jusqu’à ce que l’affectation soit ainsi faite ou jusqu’à la date de son accouchement[18]. Elle a alors droit à l’indemnité de remplacement du revenu à partir de ce moment[19]. Sa cessation de travail et le versement de l’indemnité de remplacement du revenu découlent de la prérogative de l’employeur de la réaffecter ou non à d’autres tâches.

[28]           Cet élément qui encadre le droit à l’indemnité de remplacement du revenu démontre que la mesure mise en place par le législateur en regard de la travailleuse enceinte ou qui allaite a pour objectif son retrait immédiat du travail, c’est-à-dire de l’emploi qu’elle occupe au moment de l’exercice de ce droit. Cela est tout à fait logique puisque les conditions de son travail comportent, pour elle ou pour son enfant à naître, des dangers physiques alors que la LSST a justement pour objet leur élimination à la source.

[29]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dionne c. Commission scolaire des Patriotes[20], précise d’ailleurs :

La législation québécoise sur la santé et la sécurité du travail, de pair avec la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, crée un régime conçu pour assurer la sécurité financière des travailleurs qui doivent se retirer temporairement de l’effectif pour éviter un travail dangereux.

[Notre soulignement]

[30]           Le fait de ne pas exercer de tâches dangereuses pour la travailleuse ou pour son enfant à naître s’avère ainsi la pierre angulaire de ce droit qu’octroie la LSST à la travailleuse enceinte ou qui allaite. L’intention véritable du législateur est nul autre que le retrait immédiat du travail de la travailleuse puisque ses conditions comportent des dangers physiques pour elle en raison de son état de grossesse ou pour son enfant à naître.

[31]           Une telle conclusion découle de la méthode moderne d’interprétation des lois puisqu’elle n’est pas fondée exclusivement sur le libellé du texte faisant l’objet de l’interprétation. L’interprète doit faire une lecture des termes de la loi dans un contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical des mots afin d’harmoniser l’esprit de la loi, son objet ainsi que l’intention du législateur[21]. Cette méthode doit également être employée en présence d’un texte qui est en apparence clair et concluant[22].

[32]           Suivant cette méthode d’interprétation, la conclusion du Tribunal à propos de cette disposition de la LSST s’inscrit à même l’objet de la LSST d’éliminer à la source les dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique des travailleuses ainsi que dans le contexte global des termes de la LSST selon le sens ordinaire et grammatical des termes employés par le législateur dans sa rédaction.

[33]           Une telle interprétation n’est pas absurde. Elle ne mène pas à des conséquences ridicules ou futiles. Elle n’est pas extrêmement déraisonnable ou inéquitable, illogique ou incohérente ou bien incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif[23].

[34]           Dailleurs, c’est ce droit qu’exerce la travailleuse, le 23 décembre 2020, lors de la remise à l’employeur de son certificat médical. Les conditions de son emploi de sergente de patrouille comportent des dangers physiques pour elle ou pour son enfant à naître. L’employeur la retire de son travail et lui verse sa rémunération selon son taux régulier durant les cinq jours subséquents. La remise du certificat médical constitue, de manière implicite, une demande faite auprès de l’employeur par la travailleuse à être réaffectée à des tâches qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir et qui ne comportent pas de tels dangers physiques pour elle ou pour son enfant à naître[24].

[35]           Le 8 février 2021, la Commission rend une décision par laquelle elle déclare que la travailleuse est admissible au Programme pour une maternité sans danger. Elle détermine que celle-ci a droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu à compter du 28 décembre 2021, et ce, jusqu’à la date prévue pour son accouchement. À cette date de décembre 2021, se termine la période durant laquelle l’employeur doit lui verser sa pleine rémunération.

[36]           Entre le moment où la travailleuse remet à l’employeur son certificat médical et la décision que rend la Commission, elle entreprend des démarches auprès d’une autre unité du Service de police. Elle explore la possibilité d’une réaffectation à des tâches administratives qui ne comportent pas de dangers physiques pour elle ou pour son enfant à naître. Son syndicat porte finalement cette demande devant le Comité de relation de travail. Au terme d’une rencontre de ce dernier, l’employeur refuse la demande de réaffectation que lui présente la travailleuse.

[37]           C’est dans ce contexte qu’elle produit sa plainte à la Commission. Elle s’estime victime d’une sanction ou de mesures discriminatoires ou de représailles par l’employeur à la suite de son refus de la réaffecter à des tâches administratives dans une autre unité de son Service de police. Ce refus lui occasionne une perte salariale due à son retrait du travail.

[38]           Il s’agit de la discrimination ou des représailles qu’elle invoque. Elles résultent, en définitive, de l’application de la LSST par l’employeur et, ultimement, par la Commission lors du calcul de son indemnité de remplacement du revenu en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[25], la Loi. Il faut comprendre que son revenu net retenu est supérieur au maximum assurable alors établi pour l’année 2020. Il existe ainsi une différence plus que notable entre son salaire et le montant qu’on lui verse à titre d’indemnité de remplacement du revenu.

[39]           Or, comme le précise la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dionne c. Commission scolaire des Patriotes[26], la cessation de travail survient « Si l’employeur ne peut affecter la travailleuse enceinte ou s’il ne le fait pas […] ». Elle perçoit alors de la Commission une indemnité de remplacement du revenu. Rien n’oblige l’employeur à donner suite à la demande de réaffectation de la travailleuse ou encore à la réaffecter. Son indemnisation dépend exclusivement de l’absence d’affectation immédiate par l’employeur lors de son retrait du travail au moment de la remise du certificat médical qui établit des dangers physiques pour l’enfant à naître ou pour la travailleuse en raison de son état de grossesse.

[40]           C’est donc à l’employeur que revient l’initiative d’affecter la travailleuse enceinte à d’autres tâches une fois le certificat médical reçu. Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt Dionne c. Commission scolaire des patriotes[27], il peut être proactif en réaffectant la travailleuse ou faire preuve d’oisiveté en ne donnant pas suite à sa demande implicite de réaffectation. On ne peut ainsi questionner, discuter ou mettre en cause le choix qu’il effectue à ce moment. Cela relève de son droit de gérance.

[41]           À cet égard, le Tribunal, dans l’affaire Descheneaux et Commission scolaire des Hautes-Rivières[28], conclut d’ailleurs que « La loi n’oblige pas l’employeur à offrir une assignation ne comportant pas les dangers identifiés au certificat du retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite ou sa réaffectation. » Elle l’oblige plutôt à lui retirer les tâches de son travail comportant des dangers physiques pour la travailleuse ou pour son enfant à naître. Cela lui assure un filet financier ainsi que le maintien de son lien d’emploi, et ce, en plus de protéger sa santé, sa sécurité et, dans le cas présent, son intégrité physique ou celle de son enfant à naître.

[42]           Le Tribunal ajoute à ce propos :

[43] [] que le but des dispositions visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite n’est pas de modifier les rapports collectifs du travail, mais bien de permettre, lorsque la travailleuse est enceinte et qu’il existe des dangers pour l’enfant à naître dans le milieu de travail, de la soustraire à ces dangers sans en être pénalisé financièrement.

[43]           La finalité, en définitive, du droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite est préventive, informative et surtout de protection. On évite que celle-ci ne soit exposée à un danger physique lorsqu’on la retire de son travail en plus de la protéger en permettant de la réaffecter à des tâches qui ne comportent pas de tels dangers[29].

[44]           Certes, la travailleuse subit une perte financière en raison de l’exercice de son droit au retrait préventif. Toutefois, l’indemnisation par la Commission, bien qu’imparfaite, est une mesure sociale compromissoire. Toutes y ont droit, et ce, peu importe leur statut.

[45]           L’iniquité que défend en apparence la travailleuse serait, si le Tribunal faisait droit à sa contestation, plus inacceptable qu’acceptable. Ce ne sont d’ailleurs pas toutes les travailleuses qui ont la chance d’œuvrer dans de grandes organisations comme celle de l’employeur.

[46]           Prenons l’exemple de l’une d’entre elles qui travaille dans une modeste organisation et qui perçoit de son emploi, tout comme la travailleuse, un revenu net supérieur au revenu maximum assurable déterminé par la Commission. Dans ce cas bien précis, la petitesse de l’entreprise de son employeur ne lui permettrait pas d’exiger sa réaffectation dans d’autres tâches afin de recevoir sa pleine rémunération. Elle n’a alors pas d’autre choix que de percevoir, en l’absence de clauses dans un contrat collectif de travail négocié pouvant prévoir des mesures plus avantageuses que celles établies à la LSST, une indemnité de remplacement du revenu inférieure à son salaire annuel.

[47]           Un tel exemple met également en lumière que le compromis sociétal en matière d’indemnisation des travailleuses enceintes ou qui allaitent n’est pas unique. Il en est de même quant aux accidentées de la route ou pour les parents suivant le Régime québécois d’assurance parentale, le RQAP. Les régimes publics d’indemnisation universelle ont le propre de générer des iniquités, lorsqu’individualisées à un prestataire spécifique. L’objectif d’indemniser la masse laisse malheureusement passer dans ses mailles les individus privilégiés de notre société qui bénéficient d’une rémunération élevée pour leur travail. Il s’agit de l’essence du compromis mis en place par le législateur lorsqu’il fait l’adoption de législations qui instituent de tels régimes publics.

[48]           Une fois de plus, pour remédier à cette situation, il revient à l’employeur ainsi qu’à l’association accréditée de convenir de mesures financières plus avantageuses qui seront, le cas échéant, suivant la volonté des parties, incluses dans une convention collective à la suite de négociations sur cette question particulière. Il s’agit, dans un milieu de travail syndiqué, de la seule avenue possible qui s’offre aux travailleuses enceintes ou qui allaitent.

[49]           L’interprétation de la LSST ne permet pas de reconnaître à la travailleuse un droit à la réaffectation lorsqu’elle exerce son droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite. L’employeur ne possède aucune obligation de donner suite à la demande de réaffectation qui lui est présentée ou encore de déterminer des tâches qui respectent les dangers physiques énoncés à son certificat médical afin de permettre sa réaffectation.

[50]           En l’absence de sanction et de mesures discriminatoires ou de représailles, la travailleuse ne peut invoquer les bénéfices de celle-ci afin de se protéger ou se prémunir de mesures qu’elle allègue comme étant discriminatoires ou qui sauraient constituer des représailles.

[51]           Par conséquent, la plainte qu’elle produit le 10 février 2021 à la Commission est irrecevable. Le Tribunal n’a pas à analyser davantage ses prétentions quant à son mérite. Sa contestation est ainsi rejetée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la contestation produite par madame Johanie Ouellet, la travailleuse;

CONFIRME la décision rendue, le 29 avril 2022, par le médiateur-décideur de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail;

DÉCLARE irrecevable la plainte en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail pour mesures discriminatoires déposée, le 10 février 2021, par la travailleuse.

 

__________________________________

 

Jean-François Dufour

 

 

 

Me Carolane Lemay

DUSSAULT DE BLOIS LEMAY BEAUCHESNE S.E.N.C.R.L.

Pour la partie demanderesse

 

Me Louis Ste-Marie

CAIN LAMARRE, S.E.N.C.R.L.

Pour la partie mise en cause

 

Date de la mise en délibéré : 21 novembre 2022

 


[1]  RLRQ, c. S-2.1.

[2]  Art. 227 de la LSST.

[3]  Oskouie et Aliments Multibar inc., 2020 QCTAT 2683.

[4]  RLRQ, c. T-15.1.

[5]  Art. 9 de la LITAT.

[6]  Société canadienne des postes c. Morency, [1989] R.J.Q. 2300 (C.A.); Gagnon c. C.L.P., 2006 QCCS 4981.

[7]  Major et Rock et Pauline Partry Transport, C.L.P. 21496007-0309, 15 octobre 2004, M. Langlois; Biron et Niobec inc., 2017 QCTAT 3296; CUSM  Pavillon Hôpital-Royal-Victoria et Mensah, 2018 QCTAT 1615.

[8]  Pelletier et Manoir Lady Maria, 2014 QCCLP 5641; Richelieu et Distribution Rocheville inc., 2017 QCTAT 956.

[9]  Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471.

[10]  Art. 4 de la LSST.

[11]  Charest et Services ambulanciers Porlier ltée, 2018 QCTAT 2891; Fiset et Olymel Yamachiche, 2021 QCTAT 872.

[12]  Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec et Québec (Ville de), 2016 QCTAT 407; pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, 2016 QCCS 6461.

[13]  Ouimet c. Commission des normes, de l’équipe, de la santé et de la sécurité au travail, 2018 QCCA 601; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25.

[14]  Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

[15]  Art. 2 de la LSST.

[16]  Bell Canada c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, [1988] 1 R.C.S. 749; Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, 2014 CSC 33.

[17]  Art. 40 de la LSST.

[18]  Art. 41 de la LSST.

[19]  Art. 36 de la LSST.

[20]  Précitée, note 16.

[21]  Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précitée, note 14; Corporation d’Urgences-santé c. Syndicat des employées et employés d’Urgences-santé (CSN), 2015 QCCA 315.

[22]  Ville de Montréal c. 2952-1366 Québec inc., [2005] 3 R.C.S. 141; Pharmascience inc. c. Binet, [2006] 2 R.C.S. 513; ATCO Gas and Pipeline Ltd. c. Alberta, [2006] 1 R.C.S. 140.

[23]  Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précitée, note 14.

[24]  Diotte et Le Bistro-Plus, C.L.P. 159214-72-0104, 14 juin 2001, C.-A. Ducharme; Boukefoussa et CHSLD de St-Lambert-sur-le-golf inc., 2014 QCCLP 1027; Labrecque et CHUQ, 2014 QCCLP 6601; Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, précitée, note 16; Mouhidi et Garderie Les Petites Fleurs, 2018 QCTAT 75.

[25]  RLRQ, c. A-3.001.

[26]  Précitée, note 16.

[27]  Id.

[28]  2017 QCTAT 3402.

[29]  CISSS des Laurentides et Guay, 2018 QCTAT 6186; Gernier-Goulet et Laurentides Re-Sources inc., 2019 QCTAT 1409.

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