Décision

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M.P. c. G.L.

2022 QCCS 2845

 

COUR  SUPÉRIEURE

(Chambre de la famille)

 

CANADA                                                         

PROVINCE DE QUÉBEC                              

 DISTRICT DE ST-HYACINTHE

 

 :

750-05-003232-229

 

 

 

Date :    26 juillet 2022

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE  PIERRE-C. GAGNON, J.C.S.

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M… P…

            Demanderesse

 

c.

G… L…

et

GU… B…

             Défendeurs

 

 

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JU GEMENT SUR DEMANDE D’HABEAS CORPUS

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[1]               Ce jugement concerne l’enfant X, né à le [...] 2008, donc âgé de 14 ans depuis quelques jours.

[2]               X est le fils de la demanderesse, Mme M... P..., et de M. P... L....

[3]               Les défendeurs G... L... et Gu... B... sont les grands-parents paternels de X (donc les parents de P... L...). Ils résident à Ville A. Mme P... réside à Ville B.

[4]               Dans sa demande du 15 juillet 2022, Mme P... soutient que les grands-parents paternels défient un jugement final du 15 septembre 2016 qui lui confiait la garde de X. Les grands-parents refusent de lui retourner X qui réside chez eux à Ville A depuis le 26 avril 2022.

[5]               Les grands-parents répliquent qu’ils ne font que respecter la libre volonté fermement exprimée de X.

  1. CONTEXTE GÉNÉRAL

[6]               Le 15 septembre  2016, dans le dossier C.S.St-Hyacinthe no 750-04-007948-153, la Cour supérieure entérinait un Consentement final du 14 septembre 2016, qui accordait la garde de X à sa mère, rétroactivement au 9 décembre 2014[1].

[7]               En raison de problèmes de santé mentale, le père P... L... acceptait que ses accès à l’enfant soient suspendus.

[8]               Le jugement ne mentionne rien au sujet des grands-parents.

[9]               En septembre 2016, X venait d’avoir 8 ans.

[10]           Au fil du temps, les grands-parents paternels se sont dévoués à combler le vide laissé par le père, absent de la vie de X.

[11]           Des arrangements consensuels ont amené les grands-parents paternels à prendre charge fréquemment de X, notamment pour procurer un répit à la mère.

[12]           Mme P... en est éventuellement venue à considérer que les grands-parents paternels tentaient de s’approprier tous les attributs de l’autorité parentale, et se livraient à de l’aliénation parentale, à son détriment[2].

  1. RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

[13]           En matières civiles (et familiales), l’habeas corpus est un recours procédural régi par l’article 398 du Code de procédure civile (le « C.p.c. » ).

398. Toute personne privée de sa liberté sans qu’une décision du tribunal compétent l’ait ordonné peut s’adresser à la Cour supérieure afin qu’il soit statué sur la légalité de sa détention et que sa libération soit ordonnée si la détention est illégale. Un tiers peut également agir pour elle.

L’avis d’assignation enjoint à celui qui exerce la garde de se présenter à la date qui y est indiquée afin d’exposer au tribunal les motifs de la détention.

 

 

 

Lorsque la privation de liberté résulte d’une garde dans un établissement visé par les lois relatives aux services de santé et aux services sociaux ou d’une détention dans un établissement de détention ou un pénitencier, la demande est notifiée au procureur général, avec un avis de la date de sa présentation.

[soulignement ajouté]

[14]           S’ajoutent les précisions des articles 399 et 402 :


399.  La demande doit être instruite le jour de sa présentation. La preuve du demandeur peut être faite par déclaration sous serment.

Si le tribunal estime que le procureur général a un intérêt suffisant dans la demande, il ordonne que celle-ci lui soit notifiée. Il ajourne alors l’instruction à une date rapprochée ne pouvant pas excéder trois jours.

402.  La décision du tribunal est exécutoire à l’expiration du délai d’appel ou dès que la partie adverse et le procureur général, s’il est en cause, manifestent leur intention de ne pas porter l’affaire en appel.

S’il y a appel, le tribunal ou un juge de la Cour d’appel peut ordonner la libération provisoire de la personne et en fixer les conditions.

[15]           Le recours à l’habeas corpus est ouvert en matières familiales, auquel cas le tribunal doit tenir compte de l’intérêt de l’enfant[3], tel qu’énoncé à l’article 33 du Code civil du Québec (le « C.c.Q. » ) :

Art. 33. Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.

Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.

[16]           À ce sujet, les auteurs Pineau et Pratte écrivent :

Pour résoudre le conflit, on recherchera toujours quel est l’intérêt de l’enfant, car celui qui est indigne d’exercer l’autorité parentale ne peut tirer de la loi un profit abusif[4].

[17]           Quand un parent ou un grand-parent considère que le jugement de garde ne correspond pas (ne correspond plus) à l’intérêt de l’enfant, le recours préférable est de déposer une demande en modification des modalités de garde[5].

[18]           Autrement, il faut scruter le comportement de celui qui défie le jugement, notamment pour vérifier s’il ne manipule pas psychologiquement l’enfant[6]. Telle manipulation psychologique doit être prouvée[7].

[19]           L’habeas corpus se conçoit surtout dans les cas d’enfants en bas âge, plus influençables et moins capables d’énoncer leurs désirs[8].

[20]           Saisi d’une demande d’habeas corpus, le tribunal doit répondre à une seule question : les (défendeurs) sont-ils justifiés en regard de la loi de refuser de remettre l’enfant à (la demanderesse)[9]? Une telle demande ne permet pas au tribunal de réviser le jugement en vigueur qui règle les modalités de garde et d’accès.

[21]           Si la demande d’habeas corpus est accueillie, le tribunal peut à sa discrétion ordonner des correctifs progressifs en fonction de l’intérêt de l’enfant[10].

  1. LE POINT DE VUE DE L’ENFANT

[22]           Tel que prévu à l’article 291 C.p.c., le Tribunal a rencontré X en salle d’audience, à l’exclusion des parties mais en présence de leurs avocates. Le Tribunal a expliqué à X qu’il y avait enregistrement audio de la rencontre.

[23]           Sous serment, X indique spontanément et fermement qu’il préfère résider avec ses grands-parents, plutôt qu’avec sa mère.

[24]           Il déplore que sa mère lui impose une ribambelle de corvées ménagères. Surtout, elle s’emporte facilement et crie alors après lui. Par contraste, ses grands-parents lui apportent un environnement plus serein.

[25]           X croit savoir que la relation convenable entre sa mère et ses grands-parents s’est soudainement détériorée quand il a été question d’argent. Le Tribunal infère que ce sujet a été, à tort, abordé par les grands-parents.

[26]           X va nécessairement changer d’école pour la Rentrée 2022. Au printemps 2022, il a échoué sa Première secondaire (après avoir déjà redoublé une année du cycle primaire). Il ne veut pas retourner dans l’école où il étudiait en 2021-2022.

[27]           Le Tribunal sait fort bien que l’adolescence est souvent une période de tension entre un enfant et ses parents (ou son parent). C’est dans la nature humaine.

[28]           Cependant, X exprime plus qu’une rébellion « normale ». Il considère pénible de vivre avec sa mère dans les circonstances actuelles.

  1. ANALYSE ET DÉCISION

[29]           Le Tribunal ne décèle aucune véritable manipulation psychologique de X par ses grands-parents.

[30]           Au pire, on lui aura parlé de la commotion survenue quand le grand-père G... L... a transmis à la mère M... P..., le 8 juin 2022, un courriel se lisant :

Allo M...,

X se plait bien et est visiblement heureux avec son choix de vivre avec nous depuis le 20 février.

Par contre nous devons assumer des frais de subsistance pour lui, lesquels sont habituellement couverts par les allocations fédérale, provinciale et la contribution des parents.

Afin de faciliter les choses, de t’éviter une pension alimentaire et des frais juridiques pour un changement de garde vers un tiers, on te demande de contribuer en nous transférant la portion des allocations fédérale et provinciale à partir du 1er mars 2022.

Merci et bonne continuité.

G...[11]

[31]           Avec le recul, cette initiative était maladroite. Notamment, elle indiquait que les grands-parents se rendaient justice en s’octroyant la garde de X sans saisir la Cour supérieure à cet effet[12].

[32]           Toutefois, un recours à l’habeas corpus est soumis à des exigences élevées et doit être réservé à des cas sérieux, et non à des sautes d’humeur entre parents de l’enfant.

[33]           Ce n’est pas un cas de « détention illégale » tel qu’édicté à l’article 398 C.p.c.[13].

[34]           Le Tribunal n’a pas à statuer si X exprime le choix qui correspond à son meilleur intérêt quand il affirme qu’il préfère résider avec ses grands-parents.

[35]           Dans le contexte actuel, le point de vue libre et véritable d’un adolescent de 14 ans est déterminant.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]           REJETTE la demande d’habeas corpus;

[37]           PRÉCISE que le présent jugement ne modifie en rien celui prononcé le 15 septembre 2016 dans le dossier C.S. St-Hyacinthe no 750-04-007948-153;

[38]           SANS FRAIS de justice.

 

 

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PIERRE-C. GAGNON, j.c.s.

 

Me Anick Thibodeau

Mme Emmanuelle Tremblay-Denis (stagiaire)

THIBODEAU AVOCATS

Avocats pour la demanderesse

 

Me Suzie Guilmain

SUZIE GUILMAIN, AVOCATE

Avocate pour les défendeurs

 

 

 

 

Date d’audience :

21 juillet 2022

 

 


[1]  Pièce P-1.

[2]  Pièce P-4, mise en demeure du 12 juillet 2022.

[3]  Stevenson c. Florant, [1925] RCS 532; Porter c. MacDonald, (1962) B.R. 862; C.(Y). c. R.(N.), (1997) R.D.F. 711 (C.S.).

[4]  J. PINEAU et M. PRATTE, La famille, Éditions Thémis, 2006, p. 842.

[5]  Droit de la famille-071526, 2007 QCCA 913.

[6]  Idem.

[7]  S.-P.L. c. L.La., 2006 QCCA 1053.

[8]  Yvorchuck c. Bennett, (1977) C.S. 700.

[9]  Paquette et autre c. Galipeau et autre, [1981] 1 RCS 29.

[10]  Droit de la famille-52, (1983) C.A. 388.

[11]  Pièce P-2.

[12]  Récemment, les grands-parents ont signifié une demande de modification de la garde, dont le Tribunal a refusé la présentation le 21 juillet 2022 parce que déposée hors délai.

[13]  R.D. c. C.B., jugement du 20 août 2003, C.S.M. no 500-05-076068-038 (j. Chaput).

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