Cliche c. Directrice des poursuites criminelles et pénales |
2017 QCCA 668 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
500-10-006136-160 |
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(500-36-007693-156) (500-61-276248-094, 500-61-276249-092, 500-61-276250-090, 500-61-276251-098, 500-61-276252-096, 500-61-276253-094) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
Le 28 avril 2017 |
CORAM : LES HONORABLES |
JEAN BOUCHARD, J.C.A. |
APPELANT |
AVOCAT |
DAVID CLICHE
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me LOUIS DEMERS (Clément Davignon) |
INTIMÉE |
AVOCATE |
DIRECTRICE DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
Me JULIE NADEAU (Directeur des poursuites criminelles et pénales) |
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En appel d'un jugement rendu le 15 mars 2016 par l'honorable Marc-André Blanchard de la Cour supérieure, district de Montréal.Requête de l’appelant pour preuve nouvelle(Article 312 du Code de procédure pénale) |
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NATURE DE L'APPEL : |
Code de procédure pénale - Acquittement par la Cour du Québec - Infractions en vertu de la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme - Appel accueilli par la Cour supérieure - Requête pour production de nouvelle preuve. |
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Greffier d’audience : Mihary Andrianaivo |
Salle : Pierre-Basile-Mignault |
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AUDITION |
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9 h 30 |
Continuation de l’audience du 25 avril 2017. La présence des parties n’est pas requise à la Cour, ce matin. PAR LA COUR : Arrêt - voir page 3. Fin de l’audience. |
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Mihary Andrianaivo |
Greffier d’audience |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 15 mars 2016 par la Cour supérieure du district de Montréal (honorable Marc-André Blanchard)[1], qui casse un jugement rendu par la Cour du Québec (honorable Claude Leblond)[2] et le trouve coupable de six chefs d’accusation d’avoir enfreint les articles 25 et 61 la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme[3].
[2] Les infractions sont relatives à l’envoi de deux courriels, les 31 juillet et 15 août 2007, auprès des directeurs généraux de trois municipalités.
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[3] Le premier argument de l’appelant voulant que les gestes reprochés ne constituent pas des activités de lobbyiste parce qu’elles concernent l’attribution d’un contrat dans le cadre d’un appel d’offres public est mal fondé. Le contrat pour lequel l’appelant faisait des démarches auprès des trois municipalités n’a pas été attribué dans le cadre d’un appel d’offres public. Le fait que le contrat éventuel à être conclu avec Hydro-Québec ait, lui, découlé d’un appel d’offres public n’est pas pertinent à l’affaire. Les seules communications écrites ou orales dont il est question ici sont relatives aux contrats intervenus avec les trois municipalités. C’est avec raison que l’argument a été rejeté par les deux cours.
[4] L’appelant plaide aussi qu’il n’est pas un lobbyiste d’entreprise, au sens de l’article 3 de la Loi :
3. Sont considérés lobbyistes aux fins de la présente loi les lobbyistes-conseils, les lobbyistes d’entreprise et les lobbyistes d’organisation.
On entend par :
«lobbyiste-conseil», toute personne, salariée ou non, dont l’occupation ou le mandat consiste en tout ou en partie à exercer des activités de lobbyisme pour le compte d’autrui moyennant contrepartie ;
«lobbyiste d’entreprise», toute personne dont l’emploi ou la fonction au sein d’une entreprise à but lucratif consiste, pour une partie importante, à exercer des activités de lobbyisme pour le compte de l’entreprise ;
«lobbyiste d’organisation», toute personne dont l’emploi ou la fonction consiste, pour une partie importante, à exercer des activités de lobbyisme pour le compte d’une association ou d’un autre groupement à but non lucratif.
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3. Consultant lobbyists, enterprise lobbyists and organization lobbyists are considered to be lobbyists for the purposes of this Act.
In this Act,
“consultant lobbyist” means any person, whether or not a salaried employee, whose occupation or mandate consists, in whole or in part, in lobbying on behalf of another person in return for compensation ;
“enterprise lobbyist” means any person a significant part of whose job or function within a profit-seeking enterprise consists in lobbying on behalf of the enterprise ; and “organization lobbyist” means any person a significant part of whose job or function consists in lobbying on behalf of an association or other non-profit group.
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[5] Le juge de première instance a retenu que l’expression « pour une partie importante » est imprécise et que l’interprétation qu’en fait le Commissaire au lobbyisme dans son avis n°2005-07 va à l’encontre du texte de loi. Selon lui, la version anglaise démontre qu’il s’agit d’une mesure de temps consacré par la personne dans sa fonction.
[6] Le juge d’appel se dit d’avis que le juge de la Cour du Québec aurait dû apprécier la preuve voulant que l’appelant puisse être considéré comme un cadre de l’entreprise :
[46] Deuxièmement, quant à la qualité de cadre de Cliche au sein de l'entreprise, il omet une partie importante et fondamentale de la preuve à ce sujet.
[47] En effet, la preuve révèle qu'il occupe un poste de directeur de projet et de directeur du secteur éolien tout en relevant d'un vice-président membre du comité de direction. Il sélectionne les projets d'intérêt, possède des responsabilités importantes et gère son horaire et travaille régulièrement à distance. Il dispose d'un important budget dans la réalisation de ses projets pour lesquels il sélectionne lui-même les ressources humaines nécessaires et supervise une équipe multidisciplinaire. Il demeure pleinement autonome dans la gestion des projets et lors de son témoignage, il se compare d'ailleurs à un « chef d'orchestre ».
[48] Cliche mène personnellement toutes les négociations tant auprès des producteurs agricoles, des fournisseurs que des municipalités. Il signe des ententes avec 12 ou 13 producteurs agricoles et apparaît comme le seul signataire représentant SM dans l'entente intervenue avec les municipalités. Ainsi, il apparaît comme pouvant lier l'entreprise dans le cadre d'ententes majeures.
[49] Bien que Cliche témoigne ne posséder aucun pouvoir décisionnel et ne pas se considérer comme un cadre, il n'en demeure pas moins qu'il signe au nom de SM les ententes avec les trois municipalités ou les maires signent pour celles-ci.
[50] Pour le Tribunal, le défaut pour le juge d'instance d'apprécier les éléments factuels qui précèdent et d'en expliquer les conséquences quant à la détermination du rôle de Cliche dans l'entreprise, constitue une erreur. Le caractère de « cadre » d'une personne dans une entreprise demeure une question de fait, laissée à l'appréciation du tribunal saisi de l'affaire. Ici, le Tribunal conclut que Cliche possède suffisamment d'attribut pour qu'on le considère comme un cadre.
[7] Le juge d’appel ajoute alors que le juge de première instance devait tenir compte de l’importance du contrat pour l’entreprise :
[51] Troisièmement, à tout événement, peu importe cette qualification, puisqu'en effet selon le Tribunal, la conclusion du jugement d'instance relative à l'importance du contrat pour SM omet de considérer des éléments névralgiques de la preuve. Ainsi, notons:
Les démarches réalisées par Cliche afin de conclure l'entente qui s'étendent sur une période de 15 mois entre juin 2006 et septembre 2007;
Lors de cette période, il rencontre les municipalités environ une fois par mois, à raison d'environ deux heures par rencontre, ce qui représente approximativement une trentaine d'heures de discussion;
Ces rencontres mènent à l'élaboration de quinze ébauches d'entente;
La conclusion de cette entente permettait à SM d'obtenir un point supplémentaire dans l'évaluation de sa soumission; point pouvant ultimement s'avérer décisif lors de l'analyse des soumissions dans le cadre de l'appel d'offres et faire pencher la balance en sa faveur. Elle permettait également d'obtenir une résolution d'appui des municipalités quant au projet ce qui, aux yeux du Tribunal, constitue un élément fort important.
Cliche témoigne de l'importance d'obtenir cet appui, notamment quant à l'acceptabilité sociale du projet, de l'importance d'avoir de bonnes relations avec les municipalités et de recevoir l'appui du conseil municipal. Il précise qu'il préférait engranger ce point en ajoutant que l'acceptabilité sociale d'un projet demeure importante pour éviter que les journaux, les médias ou les médias sociaux s'enflamment.
SM investit une somme importante et mobilise plusieurs ressources humaines dans la préparation de cette soumission et en prévoyait des revenus potentiels importants;
La conclusion de l'entente permettait également à SM d'obtenir une série d'engagements de la part des municipalités, lesquels pouvaient déterminer la réalisation du projet. On constate à ce sujet :
[…]
[52] À l'évidence, les démarches réalisées par Cliche, gardant à l'esprit les éléments factuels mentionnés aux paragraphes 5 à 12 du jugement, démontrent leur importance manifeste et un impact stratégique non négligeable pour l'entreprise ce qui rencontre la définition de « lobbyiste d'entreprise » de la Loi.
(les citations sont omises)
[8] Ce faisant, le juge d’appel adopte l’interprétation que le Commissaire fait dans son avis n°2005- 07. Or, cette interprétation non seulement s’écarte du libellé de la disposition législative, mais diffère d’un avis émis par le Commissaire en 2003 quant à l’interprétation de l’expression « pour une partie importante ». À cette époque, il affirmait que l’expression « implique nécessairement la mesure de l’importance relative des attributions de l’emploi ou de la fonction de la personne concernée qui sont consacrées à des activités de lobbyiste ». Toutefois, il fallait tenir compte non seulement du temps de la personne qui exerce des activités de lobbyiste, mais aussi de celui des personnes agissant sous sa responsabilité ou des autres personnes exécutant, pour le compte de l’entreprise ou de l’organisation, des travaux directement associés à la préparation et au suivi de ces activités de lobbyisme.
[9] En 2003, l’interprétation du Commissaire était donc la suivante :
Dans cette perspective, l’expression « pour une partie importante » doit s’interpréter et s’appliquer de la manière suivante :
(…)
Pour déterminer si l’emploi ou la fonction d’une personne qui exerce des activités de lobbyisme pour moins de vingt pour cent du temps qu’elle consacre à l’entreprise ou à l’organisation, consiste néanmoins à exercer ces activités « pour une partie importante », le plus haut dirigeant de l’entreprise ou de l’organisation doit considérer l’ensemble des tâches se rattachant aux activités de lobbyisme ainsi exercées par cette personne pour le compte de l’entreprise ou de l’organisation.
Le plus haut dirigeant doit alors tenir compte non seulement du temps consacré par cette personne aux communications avec des titulaires de charges publiques, mais également du temps consacré à la préparation et au suivi de ces activités de lobbyisme qui font partie des attributions de l’emploi ou de la fonction de cette personne. Il doit tenir compte du temps ainsi consacré par cette personne, par des personnes agissant sous sa responsabilité ou par d’autres personnes exécutant, pour le compte de l’entreprise ou de l’organisation, des travaux directement associés à la préparation et au suivi de ces activités de lobbyisme.
Si le calcul de l’ensemble de ces éléments équivaut à un pourcentage d’au moins vingt pour cent du temps que la personne exerçant des activités de lobbyisme consacre à l’entreprise ou à l’organisation, cette personne sera alors considérée, selon le cas, comme lobbyiste d’entreprise ou lobbyiste d’organisation au sens de l’article 3 de la Loi.
[10] Il est utile de préciser que le législateur québécois s’est inspiré de la législation fédérale et que plusieurs autres provinces ont aussi adopté le critère du 20 %.
[11] Quoi qu’il en soit et malgré l’imprécision de la disposition[4], il demeure que son libellé prévoit qu’il faut examiner la partie de « l’emploi ou de la fonction » de la personne concernée et non l’impact d’un projet pour une entreprise. C’est d’ailleurs de cette façon que s’est exprimée la doctrine :
La personne dont l’emploi ou la fonction consiste, pour une partie importante, à exercer des activités de lobbyisme pour le compte d’une entreprise à but lucratif est un lobbyiste d’entreprise.[5]
[12] Le juge d’appel a donc commis une erreur en interprétant la disposition de façon non conforme à son libellé, tout comme il commet une erreur lorsqu’il affirme que l’appelant était un cadre de l’entreprise et qu’il détenait un pouvoir décisionnel. Ce n’est pas ce que la preuve démontre. La preuve non contredite indique que l’appelant est chargé de projet, qu’il en est un parmi plusieurs dizaines d’autres, qu’il est salarié et ne siège pas au comité de direction de l’entreprise[6].
[13] Par ailleurs, l’intimée admet que l’appelant ne rencontre pas le critère quantitatif de la disposition.
[14] Enfin, l’appelant a aussi présenté une requête pour preuve nouvelle qui sera rejetée car elle ne remplit pas les exigences de l’article 312 C.p.p.[7]
POUR CES MOTIFS : LA COUR :
[15] REJETTE la requête pour preuve nouvelle, sans frais.
[16] ACCUEILLE l’appel, avec frais de justice;
[17] INFIRME le jugement rendu par la Cour supérieure;
[18] RÉTABLIT l’acquittement de l’appelant.
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JEAN BOUCHARD, J.C.A. |
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
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MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A. |
[1] DPCP c. Cliche, 2016 QCCS 1288.
[2] DPCP c. Cliche, 2015 QCCQ 4360.
[3] Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme, RLRQ, c. T-11.011.
[4] Voir DPCP c. Mathieu, 2011 QCCA 12594, paragr. 113 et ss. et Gouvernement du Québec, Rapport sur la mise en œuvre de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme et du Code de déontologie des lobbyistes, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2007, p. 14 à 16.
[5] «La pratique du lobbyisme et le droit de savoir», dans Barreau du Québec, Service de la formation permanente, Développements récents en droit de l'accès à l'information (2004), volume 212, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004 [en ligne]; et Ouimet, André, «Le droit de savoir qui cherche à exercer une influence auprès des institutions parlementaires, gouvernementales et municipales», dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, Le droit à l'information: le droit de savoir! (2006), volume 251, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006 [en ligne].
[6] Notes sténographiques du 28 avril 2015, pages 47, 69 et 100.
[7] Code de procédure pénale, RLRQ., c. C-25.1
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.