Autorité des marchés financiers c. Haddad | 2025 QCTMF 21 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DES MARCHÉS FINANCIERS |
|
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
MONTRÉAL |
|
DOSSIER N° : | 2024-012 |
|
DÉCISION N°
: | 2024-012-001 |
|
DATE : | 4 avril 2025 |
______________________________________________________________________ |
|
DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | JEAN-NICOLAS BOUTIN-WILKINS |
______________________________________________________________________ |
|
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS |
Partie demanderesse |
c. |
MAZEN HADDAD |
Partie intimée |
|
______________________________________________________________________ |
|
DÉCISION (demande d’entériner un accord) |
______________________________________________________________________ |
|
| | |
- Le Tribunal est saisi d’une demande pour entériner un accord qui vise le règlement de la présente affaire (« Accord »)[1]. Il doit déterminer s’il est « conforme à la loi »[2] permettant de l’entériner dans l’intérêt public[3] et de mettre en œuvre les mesures administratives suggérées par les parties.
- Cette affaire tire son origine d’un communiqué de presse diffusé le 18 juin 2019 par l’émetteur assujetti Argex Titane inc. (« Argex ») qui annonce le dépôt d’un avis d’intention de faire une proposition (« Avis d’intention ») conformément à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[4] (« LFI »).
- À la suite de cette annonce, l’Autorité des marchés financiers (« Autorité ») effectue certaines vérifications et réalise d’autres démarches d’enquête, lesquelles mènent au dépôt d’un acte introductif à l’encontre de Mazen Haddad (« Acte introductif »). L’Autorité lui reproche d’avoir à deux reprises fait usage d’une information privilégiée en lien avec l’Avis d’intention, le tout en contravention avec l’article 187 de la Loi sur les valeurs mobilières (« LVM »)[5]. En d’autres mots, il aurait commis des délits d’initié.
- C’est dans ce contexte que l’Autorité et Mazen Haddad ont conclu l’Accord. Ce dernier y admet certains faits et manquements à la LVM[6] et consent à ce que le Tribunal prononce une série de mesures qui consistent en l’imposition d’une pénalité administrative de 128 500 $ et d’une interdiction d’agir comme administrateur ou dirigeant d’un émetteur pendant 12 mois (« Mesures administratives »)[7].
- Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que l’Accord est conforme à la loi et qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner pour mettre en œuvre les Mesures administratives.
ANALYSE
- Le cadre juridique applicable pour entériner un accord a été énoncé à plusieurs reprises par le Tribunal[8].
- Essentiellement, un accord est « conforme à la loi » s’il permet d’établir la compétence du Tribunal, entre autres, par la démonstration d’un manquement ou d’un acte contraire à l’intérêt public qui relève d’une loi sur laquelle il peut statuer[9]. Ensuite, la mesure administrative proposée par les parties doit permettre d’atteindre les objectifs poursuivis par la législation applicable, et ce, dans les limites des pouvoirs du Tribunal[10].
- Bien que le Tribunal favorise la conclusion d’un accord pour régler une affaire, il n’est pas tenu de l’entériner si, par exemple, celui-ci excède sa compétence ou ses pouvoirs, s’il est contraire à l’intérêt public ou qu’il est de nature à déconsidérer l’administration de la justice[11].
- Pour ces raisons, le Tribunal doit procéder à une analyse active d’un accord qui lui est soumis, laquelle est tributaire des circonstances de chaque affaire[12].
- Qu’en est-il en l’espèce ?
- Tout d’abord, Mazen Haddad reconnaît certains faits dans l’Accord[13]. Il appert de ces admissions et des pièces produites au dossier, notamment ce qui suit :
- Pendant la période pertinente aux manquements, il est administrateur d’Argex, un émetteur assujetti dont les titres se négocient au TSX inc. (« TSX ») sous le symbole « RGX »;
- Le 13 juin 2019, en amont d’une réunion du conseil d’administration d’Argex, il reçoit notamment un ordre du jour et un projet de résolution, en lien avec l’Avis d’intention, dont l’adoption est soumise à l’approbation des administrateurs;
- Ce projet de résolution mentionne notamment qu’Argex souhaite se placer à l’abri de ses créanciers conformément à la LFI, car la société a des problèmes importants de liquidités, qui sont insuffisantes pour satisfaire à ses obligations;
- Toujours le 13 juin 2019, il participe à la réunion du conseil d’administration d’Argex au cours de laquelle, les administrateurs approuvent l’adoption de la résolution portant sur l’Avis d’intention;
- Le 17 juin 2019, il réalise deux (2) opérations de vente sur les titres d’Argex au TSX, soit respectivement 3 000 000 et 2 108 000 actions ordinaires;
- Ces ventes sont faites à un prix unitaire de 0,02 $ par action, ce qui représente un produit de vente total de 102 160 $;
- Il réalise ces opérations de vente dans un compte de courtage dans lequel il détient une autorisation pour faire des transactions et qui est détenu par la société chypriote Sunvenus Holdings Limited auprès de l’institution financière Barclays Bank Plc Monaco;
- Le 18 juin 2019, Argex diffuse le communiqué de presse qui annonce le dépôt de l’Avis d’intention;
- Le 19 juin 2019, l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières[14] suspend les négociations sur les titres d’Argex.
- C’est dans ce contexte que l’Autorité dépose l’Acte introductif, ce qui mène les parties à conclure l’Accord.
- Il appert donc de l’Accord, et des faits mentionnés ci-dessus, que Mazen Haddad a commis deux (2) manquements à l’article 187 LVM, car au moment des faits pertinents :
- Il est un initié (administrateur) d’un émetteur assujetti (Argex);
- Il dispose d’une information privilégiée reliée aux titres de cet émetteur (Avis d’intention) car, celle-ci est inconnue du public et susceptible d’affecter la décision d’un investisseur raisonnable[15]; et
- Il réalise deux (2) opérations de ventes sur les titres de cet émetteur.
- L’Accord permet donc d’établir la compétence du Tribunal par la démonstration de manquements qui relèvent d’une loi sur laquelle il peut statuer. Il convient maintenant d’analyser les Mesures administratives suggérées par les parties.
- À cet égard, il importe de rappeler que la législation en valeurs mobilières a pour objectif de protéger le public en encadrant ce secteur d’activités et ses participants. Pour maintenir la confiance du public envers ce secteur, il s’avère essentiel que ses participants respectent les devoirs et obligations qui découlent de cette législation[16].
- Pour atteindre ces objectifs, le Tribunal peut exercer ses fonctions et pouvoirs prévus par la législation, dont ceux nécessaires à la mise en œuvre des Mesures administratives proposées par les parties[17]. Ces pouvoirs d’intervention, qui s’exercent en fonction de l’intérêt public, sont de nature protectrice et préventive[18].
- En l’espèce, le Tribunal constate que Mazen Haddad consent aux Mesures administratives, qu’il en comprend la portée et s’en déclare satisfait. Ces mesures découlent de négociations entreprises entre les avocats des parties[19].
- De plus, les Mesures administratives reflètent certains des facteurs habituellement analysés par le Tribunal[20]. Par exemple : la gravité objective des manquements commis par Mazen Haddad, sa perte évitée en commettant les manquements (102 160 $) ainsi que l’absence d’antécédent et sa collaboration suivant le dépôt de l’Acte introductif.
- Dans l’ensemble, les Mesures administratives s’avèrent dans l’intérêt public car elles permettent d’atteindre les objectifs de la législation applicable, soit la protection du public et le maintien de la confiance du public dans le système, tout en étant suffisamment dissuasives. Elles ne sont pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice.
- Selon le Tribunal, les circonstances de la présente affaire justifient l’imposition d’une pénalité administrative de 128 500 $ à Mazen Haddad. Les circonstances justifient aussi de lui interdire, selon les modalités prévues à l’Accord, d’agir comme administrateur ou dirigeant d’un émetteur pour une période d’un (1) an.
- Par conséquent, le Tribunal conclut que l’Accord est conforme à la loi et qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner et de mettre en œuvre les Mesures administratives.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, en vertu des articles 93 et 97 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier et des articles 273.1 et 273.3 de la Loi sur les valeurs mobilières :
ENTÉRINE l’accord intervenu entre l’Autorité des marchés financiers et Mazen Haddad, le REND exécutoire et ORDONNE aux parties de s’y conformer;
IMPOSE à Mazen Haddad une pénalité administrative de 128 500 $, payable selon les modalités prévues à l’accord;
AUTORISE l’Autorité des marchés financiers à percevoir le paiement de la pénalité administrative imposée;
INTERDIT à Mazen Haddad d’agir comme administrateur ou dirigeant d’un émetteur pour une période d’un (1) an.
|
| | __________________________________ Jean-Nicolas Boutin-Wilkins Juge administratif | |
|
|
| | | |
Mes Laurie Noël et Patrick Garneau |
(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers) |
Pour l’Autorité des marchés financiers |
|
Me Sarah Bazinet |
(Hudon avocat inc.) |
Pour Mazen Haddad |
|
|
Date d’audience : | 26 mars 2025 |




[1] Une copie de l’Accord est jointe à la présente décision.
[2] Loi sur l’encadrement du secteur financier, RLRQ, c. E-6.1 (« LESF »), art. 97oal. 2 (6 o).
[3] LESF, art. 93o al. 2.
[5] RLRQ, c. V-1.1 (« LVM »).
[8] Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51.
[10] Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 34-36.
[11] Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 28, 31, 32 et 36.
[12] Autorité des marchés financiers c. Unissa Assurances inc., 2019 QCTMF 42, par. 60.
[14] Maintenant connu sous le nom d’Organisme canadien de réglementation des investissements.
[15] LVM, art. 5, définition d’« information privilégiée ».
[16] British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, par. 77.
[17] LESF, art. 93 et 97 ; LVM, art. 273.1 et 273.3.
[18] Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), [2001] 2 R.C.S. 132.
[19] Accord, par. 6, 11 et 12
[20] Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17.