Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

9392-2680 Québec inc. c. Charpentier-Hébert

2022 QCTAL 7539

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

566655 31 20210413 F

No demande:

3226291

RN :

 

3284807

 

Date :

18 mars 2022

Devant le greffier spécial :

Me William Durand

 

9392-2680 Québec Inc.

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Anne Charpentier- Hebert

 

Anouchka Allaire

 

Katherine Albert

Locataire - Partie défenderesse

 

DÉCISION

 

 

[1]         La locatrice a produit une demande de fixation de loyer conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec et de remboursement des frais.

[2]         Plusieurs dossiers de fixation de loyer visant des logements du même immeuble ou du même ensemble immobilier et concernant la même période de référence ont été entendus en même temps, conformément à l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1]. 

[3]         Les locataires du 2599, Davidson invoquent quant à elles l’article 8 du Règlement sur les critères de fixation de loyer[2] afin d’obtenir une réduction de loyer proportionnelle à la perte d’un accessoire au bail.

[4]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021, à un loyer mensuel de 1 700,00 $.

[5]         La locatrice a produit le Formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer, ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien de ces renseignements, sauf en ce qui concerne les taxes scolaires et une facture en litige.


[6]         À cette fin, lors de l’audience, le Tribunal a autorisé[3] la locatrice à lui transmettre, au plus tard le 28 janvier 2022, les documents susmentionnés, le tout tel qu’il appert au formulaire d’autorisation de produire un document déposé au dossier.

[7]         La locatrice a transmis les documents comme stipulé à l’autorisation de produire un document.

RÉDUCTION DE LOYER

[8]         Les locataires soumettent qu’un espace de stationnement était prévu au bail, mais qu’en raison des travaux réalisés à l’extérieur de l’immeuble, elles n’ont pu y avoir accès de juillet 2020 à septembre 2021.

[9]         Le Tribunal estime qu’il s’agit du mauvais recours. L’article 8 du Règlement nécessite que la perte de l’accessoire au bail ait une certaine forme de permanence. Il est non contesté que les locataires ont maintenant accès au stationnement. Il y a peut-être eu un retard dans sa délivrance, causant possiblement un préjudice aux locataires, mais la réduction du loyer, qui est, elle, bien permanente, ne pourra adéquatement venir compenser celles-ci.

[10]     Octroyer une réduction de loyer viendrait appauvrir la locatrice de façon permanente, alors que le défaut lui, si avéré, n’était présent que pour une période restreinte.

[11]     Le Tribunal précise toutefois qu’il est possible pour les locataires de déposer une demande appropriée au Tribunal afin d’être adéquatement compensées pour inconvénients subis, s’ils étaient démontrés. L’article 8 du Règlement n’est tout simplement pas approprié en l’espèce.

FIXATION DU LOYER

[12]     Les logements visés par les demandes de fixations n’ont pas été habités pendant plus de cinq ans avant l’arrivée des nouvelles locataires, parties aux procédures.

[13]     Des travaux débutent en 2019 afin de remettre l’immeuble en état et au printemps 2020 des baux sont signés avec les locataires présentes à l’audience, les travaux étant à ce moment toujours en cours. Ces baux sont signés pour un loyer mensuel de 1 700 $.

[14]     À leur bail, il est indiqué aux locataires que les travaux intérieurs seront terminés à la livraison de leur logement pour le 1er juillet 2020 et que les travaux extérieurs se poursuivront en cours de bail.

[15]     Cependant, au printemps 2020, la Covid frappe. Le représentant de la locatrice explique que plusieurs retards et coûts supplémentaires ont été occasionnés par cette situation.

[16]     Les logements sont livrés avec un peu de retard, mais vers la fin du mois de juillet ou le début du mois d’août 2020 (la preuve n’étant pas claire à ce sujet), les locataires peuvent emménager dans leur logement. Certains travaux au niveau du sous-sol et du garage se seraient finalisés un peu plus tard vers octobre.

[17]     La locatrice demande au Tribunal d’augmenter le loyer payé par les locataires de 150 $. Afin de justifier cette hausse, son représentant explique qu’une estimation des coûts pour les travaux avait été faite avant la signature des baux, mais que des sommes supplémentaires non prévues ont dû être déboursées par la suite.

[18]     Le loyer de 1 700 $ aurait été établi par la locatrice en estimant que les travaux de rénovation lui coûteraient 457 000 $, alors que 222 000 $ supplémentaires ont dû être déboursés en raison de la Covid et du changement d’entrepreneur sur le chantier.

[19]     Le représentant de la locatrice explique que sans cette augmentation, les 222 000 $ excédentaires ne pourront être absorbés adéquatement et que le loyer actuel serait en dessous de la valeur de logements comparables sur le marché.

[20]     Les locataires quant à elles ne souhaitent pas que ces dépenses supplémentaires leur soient imputables dans le calcul d’une augmentation de loyer. Selon eux, ces dépenses étaient déjà incluses au bail qu’ils ont signé. Une somme de 66 000 $ ayant fait l’objet d’un jugement de la Cour du Québec en février 2021, dans lequel la locatrice est condamnée à payer cette somme à un entrepreneur pour des travaux faits en 2019, est d’ailleurs vivement contestée par les locataires.


[21]     Dans une telle situation, le Tribunal se retrouve devant trois possibilités :

-          Prendre l’ensemble des dépenses encourues par la locatrice en 2020, qui est l’année de référence identifiée par le Règlement sur les critères de fixation de loyer, sans faire aucune distinction entre les dépenses qui avaient été anticipées par la locatrice et celles qui ne l’ont pas été.

-          Ne prendre en compte, dans le calcul de la fixation du loyer, que les dépenses qui n’avaient initialement pas été anticipées par la locatrice lors de la signature du bail.

-          Ne prendre en compte aucune des dépenses liées aux rénovations majeures de 2020.

[22]     La première option, bien qu’elle implique d’appliquer le règlement à la lettre, n’est pas la bonne. D’abord parce que ce n’est pas ce qui est plaidé par la locatrice. Il est clair, suivant la preuve présentée, que celle-ci souhaite simplement ajuster la valeur du loyer des locataires sur les sommes non anticipées. Imputer l’ensemble des dépenses aux locataires, soit tout près de 680 000 $, impliquerait une augmentation de loyer de 217 $, sans compter les autres catégories de dépenses pouvant faire grimper ce chiffre encore plus haut.

[23]     De surcroit, même si l’intention réelle de la locatrice était de de procéder au calcul sur l’ensemble des dépenses de 2020, indistinctement de ce qui avait été anticipé ou non, le Règlement sur les critères de fixation de loyer, à son article 13, précise qu’une dépense ne peut être prise en compte qu’une seule fois :

13. Une dépense d’exploitation ou d’immobilisation n’est prise en considération qu’une fois et le tribunal n’en tient compte que si elle est supportée par le locateur.

[24]     Si nous tenons pour avéré qu’une certaine portion des dépenses avaient bien été prises en compte à la fixation du loyer de 1 700 $ lors de la signature du bail, ce qui ressort d’ailleurs de la preuve, appliquer l’ensemble des dépenses au calcul de fixation irait à l’encontre de l’article 13. Cette analyse est d’ailleurs conforme à la jurisprudence[4] du Tribunal dans des situations similaires.

[25]     La deuxième option, qui est celle de ne prendre en compte que les dépenses non anticipées par la locatrice à la signature des baux, souffre également de quelques lacunes.

[26]     D’abord, comme les logements n’ont pas été habités pendant plusieurs années précédant les travaux et la signature des nouveaux baux, il est impossible pour le Tribunal d’obtenir le plus récent loyer payé pour les logements. Cette information aurait aisément aidé le Tribunal à déterminer quelle portion des dépenses liées aux travaux a été prise en compte dans l’évaluation du loyer à 1 700 $ par la locatrice. Sans ce comparable, cette portion reste spéculative.

[27]     Une recherche dans les archives du Tribunal nous renvoie à une décision[5] du Juge Marc C. Forest de 2012 qui nous informait alors que le loyer était fixé à 890 $ mensuellement pour l’adresse du 2609, Davidson. Afin qu’un loyer de 890 $ soit fixé à 1 700 $ huit ans plus tard, une augmentation annuelle constante de 8.4% serait nécessaire durant toutes ces années. Il s’agit d’une augmentation moyenne de 100 $ par année. On se doute, grâce à cette approximation, que certaines des rénovations effectuées ont bien été prises en compte lors de l’évaluation du loyer à 1 700 $, mais lesquelles l’ont été ?

[28]     Cette question fait un pont vers la troisième option possible, car les seuls outils du Tribunal pour répondre à celle-ci sont le témoignage des parties et les factures produites.

[29]     Les dépenses invoquées par la locatrice se divisent en trois catégories : électriques, rénovation des logements et fondations. Si la locatrice a fait un bon travail afin de bien ventiler les dépenses, qui selon elles, étaient non anticipées de celles qui l’étaient, le Tribunal constate que de façon générale, les factures postérieures à la signature des baux sont classées comme non anticipées et celles étant antérieures à la signature des baux tendent à être anticipées.

[30]     Or, plusieurs constats doivent ici être faits. D’abord, la locatrice a choisi de signer des baux pour le premier juillet, alors qu’elle savait pertinemment que plusieurs travaux devaient encore être réalisés avant de pouvoir livrer les logements aux locataires. Si elle avait attendu la fin des travaux avant de s’engager avec les locataires, elle n’aurait certes pas maximisé ses revenus locatifs, mais elle aurait été en mesure d’évaluer adéquatement les dépenses liées aux rénovations et de demander un loyer conséquent à celles-ci.


[31]     Ensuite, les appartements étant inhabités depuis plusieurs années, la locatrice avait tout le loisir de fixer le loyer à un montant qu’elle jugeait rentable, à condition de trouver preneur bien évidemment.

[32]     La locatrice prétend avoir choisi d’offrir un loyer à 1 700 $ sur la base de son estimation des coûts reliés aux travaux devant être réalisés. Il s’agit donc d’une méthode hautement subjective. Plusieurs facteurs, formant un tout, entrent en compte dans l’évaluation du loyer locatif d’un logement à la signature d’un bail : sa localisation, l’âge de l’immeuble, ses accessoires, les inclusions, les rénovations récentes, etc.

[33]     Le Tribunal croit de bonne fois la locatrice lorsqu’elle nous dit avoir encouru des dépenses non prévues, mais il lui est impossible, selon la preuve présentée, d’identifier de façon probante les dépenses ayant déjà été « prises en considération » suivant l’article 13 du Règlement sur les critères de fixation de loyer.

[34]     Ceci nous mène au dernier constat : ces travaux étaient mentionnés aux baux et connus des parties locataires. La preuve présentée permet de croire que l’entente entre les parties, à la signature du bail, était pour les locataires de recevoir, au premier juillet 2020, un appartement rénové. Le bail mentionnait à cet effet que les travaux « intérieurs » seraient terminés à la prise de possession et que les travaux « extérieurs » seraient réalisés « en cour de bail ».

[35]     Il est tout à fait logique de penser qu’un locataire qui visite un appartement en plein processus de rénovations et qui signe un bail avec une telle mention s’attend à recevoir un logement rénové. Le Tribunal peut donc comprendre leur étonnement lorsqu’on leur demande de modifier une entente dûment négociée en raison d’une situation (les rénovations) qui n’était pas inconnue au moment de la signature du bail.

[36]     Les domaines de l’immobilier et de la construction sont remplis d’aléas. Les locataires qui ont signé une entente dûment négociée et lors de laquelle la locatrice n’était pas liée par un loyer précédent afin d’établir le loyer recherché ne devraient pas être imputables de ces imprévus. La locatrice s’est empressée de signer des baux, promettant aux locataires un logement rénové, avant même d’avoir pu adéquatement quantifier les sommes qu’il lui en coûteraient. La locatrice a donc pris un risque pour quelques mois supplémentaires de loyer et elle ne peut aujourd’hui sans plaindre.

[37]     Pour toutes ces raisons, le Tribunal considère que les travaux non anticipés allégués ont déjà été « considérés » au sens de l’article 13 du Règlement sur les critères de fixation de loyer. Aucune réparation ou amélioration majeure ne sera donc prise en compte pour la période de référence de 2020 dans le cadre du processus de fixation de loyer 2021-2022.

[38]     Relativement aux frais de gestion, la locatrice demande l’inclusion au calcul de fixation de deux sommes. La première, une somme de 5 502 $ pour 105 jours de supervision et de travaux d’entretien effectués par ses deux administrateurs au salaire minimum[6]. La seconde, un salaire versé par la locatrice à ses administrateurs de 10 000 $.

[39]     La somme de 5 502 $ est acceptée, mais sera calculée à titre de frais d’entretien plutôt qu’à titre de frais de gestion comme le prévoit le Règlement[7].

[40]     Quant au salaire versé, le Tribunal constate que les deux récipiendaires des sommes sont également les deux seuls administrateurs de la locatrice. Deux des trois actionnaires de la locatrice sont quant à eux des fiducies aux noms respectifs de ces deux administrateurs.

[41]     Pour qu’une dépense soit acceptée, celle-ci doit être encourue et reliée à l’immeuble[8]. La jurisprudence du Tribunal a déterminé que ce dernier pouvait intervenir s’il estime qu’il y a un doute quant à « l’indépendance, l’impartialité et le désintéressement »[9] de l’auteur de la preuve présentée. Dans un tel cas, il devient nécessaire de soulever le voile corporatif pour constater le lien de droit des parties participant à la dépense. Il appartient alors au Tribunal d’apprécier la valeur probante de la preuve produite à l’appui des frais de gestion.

[42]     Force est de constater qu’il ne s’agit pas d’une dépense réellement « encourue » et « reliée à l’immeuble » puisque le ‘’salaire’’ en question est directement versé aux personnes contrôlant l’entreprise. Il ne s’agit pas de frais applicables à un contrat externe de gérance, aux dépenses de bureau, à la publicité ou encore à la comptabilité. Au surplus, il serait possible de prétendre que la somme est déjà calculable au niveau du « revenu net »[10] de l’immeuble.


[43]     Pour ces raisons, les salaires versés ne seront pas considérés aux fins de la fixation du loyer.  

[44]     Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[11] est de 25,56 $ par mois, s’établissant comme suit :

 

Taxes municipales et scolaires

(0,74 $)

Assurances

 16,13 $

Gaz

 0,00 $

Électricité

 0,00 $

Mazout

 0,00 $

Frais d’entretien

1,39 $

Frais de services

0,00 $

Frais de gestion

 1,02 $

Réparations majeures, améliorations majeures,

mise en place d’un nouveau service

 

 0,00 $

Ajustement du revenu net

 7,76 $

 

TOTAL

 

 25,56 $

 

[45]     CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[46]     CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 25,56 $ est justifié;

[47]     CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant la condamnation du locataire au paiement des frais introductifs de la demande;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[48]     REJETTE la demande de réduction de loyer des locataires.

[49]     FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 1 726,00 $ par mois du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022.

[50]     Les autres conditions du bail demeurent inchangées.

[51]     La locatrice assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me William Durand, greffier spécial

 

Présence(s) :

les mandataires de la locatrice

les locataires Anne Charpentier- Hebert et Anouchka Allaire

Date de l’audience :

21 janvier 2022

 

 

 

 


[2] RLRQ, c. T-15.01, r. 2

[3] Art. 37, Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, chapitre T-15.01, r. 5.

[4] Fagnan c. Sefrou, 2013 CanLII 106766 (QC RDL) ; Marconi c. Fleury, 2017 QCRDL 41742 (CanLII) ; Aussi Connu Sous Pizzuco c. Potamitis, 2014 CanLII 119323 (QC RDL).

[5] Hakim c. Malette, 2012 CanLII 147858 (QC RDL).

[6] Cammarata c. Maurice, (2007) J.L. (R.L. fixation) et Isabelle c. Marx, 2010 CanLII 136607 (QC RDL).

[7] Art. 1, Règlement sur les critères de fixation de loyer, RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[8] Ibid.

[9] 2859-0461 Québec inc. (Immeubles SG) c. Belhaj, 2017 QCRDL 38871 (CanLII) ; Boissonnault c. Verbeeck, 2017 QCRDL 14607 (CanLII).

[10] Art. 3 (8), Règlement sur les critères de fixation de loyer, RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[11] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.