Chaib c. Del Duca |
2020 QCRDL 2320 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
426444 31 20181105 G |
No demande : |
2621628 |
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Date : |
21 janvier 2020 |
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Régisseure : |
Suzanne Guévremont, juge administrative |
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Kada Chaib |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Vincent Del Duca |
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Locateur - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le 5
novembre 2018, le locataire dépose une demande visant l'émission d'ordonnances,
des dommages punitifs, des dommages moraux et des dommages-intérêts matériels,
une diminution de loyer, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité
additionnelle prévue à l'article
[2] Cette demande a été notifiée en bonne et due forme le 30 novembre 2018 au défendeur[1].
La preuve du locataire
[3] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 pour un loyer mensuel de 580 $.
[4] Le bail initial est conclu en 2009 avec les parents du locateur actuel. Le locataire a toujours entretenu de bons rapports avec eux.
[5] Selon le locataire, la situation change en 2017, lorsque le locateur hérite de l’immeuble.
[6] Insatisfait du prix du loyer payé par le locataire, le locateur exerce dès lors des pressions indues sur lui dans le but qu’il quitte son logement.
[7] Le locataire explique que pour arriver à ses fins, le locateur use de nombreux stratagèmes.
[8] Le locataire parle notamment de la négligence du locateur dans l’entretien du logement, situation qui perdure au jour de l’audience.
[9] Il raconte aussi qu’entre les mois d’octobre 2017 et janvier 2018, le locateur a refusé le paiement du loyer pour ensuite l’accuser à tort devant la Régie du logement de ne pas le payer (dossier 370022).
[10] Une autre fois, le locateur annonce sur Kijiji le logement du locataire comme étant « à louer », ce qui n’est pas vrai. Résultat, le locataire est souvent dérangé par des inconnus qui se présentent chez lui pour visiter le logement.
[11] Le 7 février 2018, le locateur l’intimide et le menace. L’évènement est filmé par le locataire avec son téléphone cellulaire. Le locataire fait ensuite appel aux policiers et le locateur est incarcéré.
[12] Pour retrouver sa liberté, le locateur signe une ordonnance de probation selon laquelle il s’engage notamment à ne pas communiquer ou tenter de communiquer directement ou indirectement de quelque façon que ce soit avec le locataire ou ses enfants ni à se trouver dans un rayon de 25 mètres de ceux-ci. Le locateur s’engage aussi à confier la gestion de l’immeuble à un tiers puisqu’il ne doit plus s’y rendre.
[13] Malgré cette ordonnance, le locateur se présente au logement. Inquiet, le locataire se réfugie à l’hôtel avec ses enfants.
[14] Le 9 octobre 2018, le locataire transmet une lettre de mise en demeure au locateur. Elle est reçue par son destinataire quatre jours plus tard.
[15] Dans sa correspondance, le locataire enjoint le locateur à réparer immédiatement l’évier de la cuisine d’où se répandent des odeurs d’égout. À ce jour, le problème n’étant pas résolu, le locataire demande au tribunal une ordonnance en ce sens.
[16] Le locataire relate les nombreux épisodes de harcèlement dont il a été victime, son préjudice moral ainsi que les troubles et inconvénients subit par la faute du locateur.
[17] Le locataire demande que le locateur cesse de le harceler et il souhaite obtenir 3 500 $ à titre de dommages punitifs, plus 5 000 $ en dommages moraux.
[18] Le locataire réclame également 3 600 $ en dommages matériels pour compenser sa perte de revenu puisqu’il a dû cesser de travailler en raison des agissements du locateur.
[19] Il veut aussi voir son loyer réduit de 200 $ par mois depuis juillet 2017.
[20] Pour compléter son témoignage, le locataire produit la décision de la Régie du logement dans le dossier de recouvrement de loyer (L-1), l’ordonnance de probation de la cour municipale (L-2) et sa lettre de mise en demeure (L-3).
La défense du locateur
[21] D’abord, le locateur reproche au locataire de payer ses loyers fréquemment en retard. Cela explique leur relation conflictuelle.
[22] Ensuite, le locateur réfute avoir proféré de menaces à l’endroit du locataire.
[23] Il explique que si les réparations tardent, ce n’est pas sa faute, mais celle du locataire. Il donne l’exemple de la toilette brisée l’année dernière. Le locataire avait promis de la réparer lui-même, avec une pièce fournie par le locateur, mais ne l’a pas fait.
[24] Le locateur reconnaît avoir annoncé le logement du locataire « à louer ». Il explique que le locataire lui avait auparavant fait part verbalement de son intention de déménager.
[25] Il affirme respecter toutes les conditions imposées par la cour municipale dans l’ordonnance de probation produite sous L-2, sauf une seule fois parce qu’il a été piégé par le locataire qui se plaignait d’un problème urgent à régler dans le logement.
[26] Pour respecter l’ordonnance de la cour, la gestion de l’immeuble est désormais confiée à son beau-frère.
ANALYSE ET DÉCISION
Les dispositions législatives pertinentes
[27] Le locateur est tenu d’entretenir le logement en bon état de réparation de toute espèce et de procurer au locataire la jouissance paisible du logement pendant toute la durée du bail (1854 al.1 C.c.Q.).
[28] La loi fait également reposer sur les épaules du locateur la « garantie d’aptitude » du bien loué (1854 al.2 C.c.Q.).
[29] L'inexécution de ces
obligations par le locateur confère le droit au locataire de demander, entre
autres, une ordonnance du Tribunal l’obligeant à s’exécuter, la diminution du
loyer en proportion de sa perte de jouissance et des dommages-intérêts (article
[30] Le locataire harcelé peut demander que le locateur soit condamné à des dommages-intérêts punitifs (1902 C.c.Q.).
[31] Rappelons aussi que
les articles
[32] Le locataire doit donc démontrer l’inexécution des obligations du locateur selon la règle relative à la prépondérance de preuve. C’est sur lui, à titre de demandeur, que repose le fardeau de convaincre le Tribunal.
Qu’en est-il en l’instance?
[33] La preuve non contestée par le locateur démontre que l’évier dans la cuisine est bouché depuis longtemps et qu’il répand des odeurs nauséabondes dans la pièce. Nul doute que de telles odeurs incommodent ceux qui y habitent.
[34] Par ailleurs, le locateur n’explique pas son inaction alors que le locataire l’a mis en demeure d’agir il y a plus d’un an.
[35] En vertu de l’article
« Il ne suffit pas pour le locateur de tenter de résoudre les problèmes relatifs à la location. Il doit les régler, sauf dans des situations exceptionnelles relevant de la force majeure[2]. »
[36] En l’instance, puisque le locateur tarde à intervenir, le Tribunal croit nécessaire d’émettre une ordonnance obligeant le défendeur à prendre tous les moyens qui s’imposent afin que le drain de l’évier dans la cuisine fonctionne correctement et qu’il cesse de répandre des odeurs désagréables.
[37] Dans un deuxième
temps, le locataire allègue être victime de harcèlement de la part du locateur
et invoque l'article
[38] L’auteur Me Pierre Pratte, fréquemment cité, définit le harcèlement comme suit :
« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :
Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement […]
L'effet de durabilité de la conduite fautive est une composante essentielle dans l'identification du harcèlement. À l'instar du harcèlement sexuel ou discriminatoire spécifique au logement, nous croyons que la continuité dans le temps s'établit soit par la répétition de certains actes, soit par un seul acte grave dans la mesure où il cause un préjudice nocif continu dans le temps[3]. »
[39] La preuve prépondérante révèle ici que le locateur ne respecte pas la loi et qu’il fait tout en son pouvoir pour que le locataire ne puisse pas jouir paisiblement du logement et qu’il le quitte prématurément.
[40] Par exemple, le Tribunal retient l’évènement du 7 février 2018, filmé par le locataire, qui illustre clairement l’attitude belliqueuse du locateur à son égard. D’ailleurs, sur l’enregistrement, on entend le défendeur menacer le locataire. Cela accorde du poids à la version du locataire.
[41] Il y a aussi les publicités annonçant faussement le logement « à louer » et la demande non fondée en recouvrement de loyer qui a obligé le locataire à se défendre devant la Régie du logement.
[42] Lorsqu’il en donne, les explications du locateur pour justifier ces évènements sont peu convaincantes alors que le témoignage du locataire paraît crédible et sincère.
[43] C’est pourquoi, à la lumière de la preuve soumise, le Tribunal n'a aucune hésitation à conclure que le locateur a commis, à l'égard du locataire, des gestes répétés de harcèlement.
[44] Conséquemment, cela mérite l’ordonnance souhaitée par le locataire ainsi que la condamnation du locateur à lui payer des dommages punitifs. Le Tribunal abrite à 1 500 $ le montant accordé sous ce chef.
[45] Par ailleurs, le locataire réussit également à convaincre le Tribunal des nombreux troubles et inconvénients subis par la faute du locateur ainsi que le stress, la peur, l’insomnie et la grande insécurité dont il a souffert.
[46] Usant de sa discrétion, le Tribunal lui accorde donc 2 000 $ pour compenser son préjudice moral.
[47] La réclamation du locataire en ce qui a trait à ses dommages matériels est rejetée en totalité puisqu’il n’a pas su les prouver.
[48] En dernier lieu, il reste au Tribunal à disposer de la diminution de loyer demandée.
[49] Me Gilles Joly, dans la décision Girard c. Placements Bédard et Gauthier Enr., définit ainsi ce recours :
« Le recours en diminution de loyer est de nature « quantis minoris », c'est-à-dire qu'il cherche à rétablir un équilibre entre la prestation du locateur et celle de la locataire; en vertu du bail, le locateur doit procurer à la locataire la jouissance du logement qui y est décrit; en contrepartie, la locataire doit payer le loyer dont le montant doit équivaloir aux droits que le contrat lui procure. Or, dès que la locataire n'a plus la jouissance des lieux comme elle devrait l'avoir, elle peut exercer le recours en diminution de loyer afin que son obligation soit réduite en proportion du trouble qu'elle endure[4]. »
[50] En appliquant ce principe à l’instance, le Tribunal estime que le locataire a droit à une diminution de loyer mensuelle de 10 % rétroactive au 13 octobre 2018, soit lorsqu’il y a eu dénonciation formelle par voie de mise en demeure.
[51] Cette réduction du loyer restera effective jusqu’à ce que l’évier de la cuisine soit réparé et qu’ils ne s’en dégagent plus d’odeurs d’égout.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[52] ORDONNE au locateur de réparer l’évier de la cuisine et faire en sorte qu’ils ne s’en dégagent plus des odeurs d’égout;
[53] ORDONNE également au locateur de cesser de harceler le locataire de quelque manière que ce soit;
[54] DIMINUE le loyer de 10 % par mois, à compter du 13 octobre 2018, et ce, jusqu’à ce que le locateur exécute les réparations susmentionnées;
[55] CONDAMNE le
locateur à payer au locataire la somme de 812 $ à titre de diminution de
loyer, 1 500 $ en dommages punitifs et 2 000 $ en dommages
moraux, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à
l'article
[56] CONDAMNE le locateur à payer au locataire les frais judiciaires de 67,50 $;
[57] REJETTE la demande quant au surplus.
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Suzanne Guévremont |
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Présence(s) : |
le locataire le locateur |
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Date de l’audience : |
4 novembre 2019 |
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Présence(s) : |
le locataire |
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Date de l’audience : |
6 décembre 2019 |
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[1] Cette exigence s’infère de l’article
[2] Pierre Gagnon et Isabelle Jodoin Louer un logement, 2e édition, Éditions Yvon Blais, page 8.
[3] Le harcèlement envers les
locataires et l'article
[4] R.L. 36-831208-001G, Me Gilles Joly.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.