DÉCISION
[1] Le 14 juin 2001, M. Louis Bédard, le travailleur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 25 avril 2001 rendue à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 20 février 2001, laquelle déclare que la réclamation de M. Bédard ne respecte pas le délai de six mois prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. c. A-3.001) (la Loi) et que ce dernier ne peut bénéficier de la protection accordée par la Loi.
[3] À l’audience, M. Bédard est présent et représenté. Gestion immobilière Majorie inc., bien que dûment convoquée, est absente et non représentée. Elle a d’ailleurs fait parvenir une lettre à la Commission des lésions professionnelles le 10 septembre 2001 l’informant de son absence à l’audience.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] M. Bédard demande à la Commission des lésions professionnelles de déterminer qu’il doit être relevé de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à la Loi pour soumettre une réclamation à la CSST. Également, M. Bédard demande à la Commission des lésions professionnelles de déterminer qu’il est un travailleur au sens de la Loi ou qu’il peut être une personne considérée travailleur au sens de cette Loi.
LES FAITS
[5] M. Bédard est âgé de 39 ans. À l’époque pertinente, il assure des services de conciergerie et de location d’immeubles pour le compte de Gestion Majorie inc.
[6] Le 16 mars 1999, en se dirigeant vers un logement pour effectuer une réparation, M. Bédard fait une chute sur la glace et tombe sur le côté droit. Il est conduit à l’hôpital en ambulance.
[7] Une radiographie révèle une fracture comminutive sous-trochantérienne du fémur ainsi qu’une fracture du petit trochanter déplacée médialement. On note que la fracture longitudinale s’étend jusqu’à la jonction du tiers moyen et du tiers proximal du fémur.
[8] On pose alors un diagnostic de fracture inter et sous-trochantérienne de la hanche droite déplacée. M. Bédard est référé au docteur Marc Antoniades, orthopédiste. Ce dernier procède à une réduction ouverte de la fracture avec une fixation interne à l’aide de plaques et de vis compressives. La radiographie post-opératoire montre une réduction satisfaisante de la fracture.
[9] L’hospitalisation dure un mois. Au cours de son hospitalisation, M. Bédard reçoit différents traitements. Il retourne chez lui à la mi-avril 1999. À compter du 21 avril 1999, M. Bédard bénéficie d’un suivi psychologique de l’équipe de santé mentale du CLSC Les Forges. Il y aura un suivi régulier jusqu’au 29 novembre 1999.
[10] Entre-temps, M. Bédard revoit à quelques occasions le docteur Antoniades pour un suivi médical de sa hanche droite. Il suit également des traitements de physiothérapie.
[11] Le 20 avril 2000, le docteur Antoniades examine M. Bédard. Dans son rapport d'évaluation, il mentionne ce qui suit :
« (…)
2000.03.14 - dernière visite : patient nous dit qu’il a repris son travail deux semaines auparavant. La douleur à la cuisse droite semble se stabiliser. Le patient a donc bien évolué et nous lui donnons congé. Cependent, nous l’informons que nous comptons le réopérer dans un an pour exérèse de la plaque et des vis présentes au fémur droit.
(…)
CONCLUSION
Il s’agit donc d’un homme de 37 ans qui, suite à une chute le 16 mars 1999, présenta une importante fracture inter/sous-trochantérienne de la hanche droite. On diagnostiqua une fracture déplacée inter/sous-trochantérienne de la hanche droite qui fut traitée de façon conventionnelle, soit par réduction ouverte et fixation interne avec plaque et vis, le 16 mars 1999.
Le patient évolua favorablement par la suite et fut hospitalisé pendant environ un (1) mois. Il s’en suivi une réhabilitation en physiothérapie jusqu’au 14 mars 2000.
Il a pu réintégrer son travail au début du mois de mars 2000.
Le déficit anatomo-physiologique (DAP) pouvant lui être accordé est relié à la légère perte d’amplitudes articulaires à la hanche droite, au raccourcissement de longueur du membre inférieur droit et à la présence d’un syndrome fémoro-patellaire au genou droit.
(…)
Par ailleurs, on peut aussi affirmer que la période d’incapacité du patient a été du 16 mars 1999 jusqu’au 28 février 2000 puisque le patient nous dit avoir repris son travail deux semaines avant la dernière visite en externe du 14 mars 2000.
Par ailleurs, malgré les séquelles objectives qu’il présente, nous avons jugé qu’il n’y avait aucune limitation fonctionnelle reliée à son travail, c’est-à-dire que nous l’autorisons à faire les mêmes tâches qu’il faisait avant son accident.
Nous tenons à préciser que M. Bédard sera réopéré dans environ un (1) an pour exérèse de la plaque et des vis à la hanche droite et que cette intervention nécessitera une nouvelle incapacité pour environ deux (2) mois. » (sic)
[12] Le 15 juin 2000, le docteur Antoniades émet un rapport complémentaire dans lequel il mentionne :
« Suite à ce récent examen, j’aimerais apporter les modifications suivantes à mon rapport d’expertise.
En ce qui concerne les déficits anatomo-physiologiques (DAP), ceux-ci sont inchangés.
Toutefois, compte tenu de la faiblesse présente à la hanche droite, principalement au niveau des muscles de la fesse et de la cuisse droites, ce patient éprouve certaines difficultés à faire certains travaux et certaines activités (ex. jouer et courir avec les enfants) et nous suggérons donc qu’il évite de faire des activités demandant de la course ainsi que de faire des travaux nécessitant de lever des poids de plus de cinquante livres et ce, jusqu’à ce que nous procédions à l’ablation du matériel de synthèse (plaque et vis) à la hanche droite, soit pour un période d’un (1) an, période à laquelle nous avions prévu cette intervention.
En résumé, Monsieur Bédard présente les limitations fonctionnelles émises précédemment pour une période d’un (1) an. » (sic)
[13] Enfin, nous retrouvons au dossier les différentes formules complétées par les conseillers financiers de M. Bédard en ce qui a trait à sa déclaration de revenus et de prestations ainsi qu’un état des résultats des activités de son entreprise.[1]
[14] À l’audience, la Commission des lésions professionnelles a entendu le témoignage de M. Bédard.
[15] En ce qui a trait au délai, M. Bédard précise qu’à sa sortie de l’hôpital, il communique avec une personne ressource de la CSST. Cette dernière, dont il ne peut préciser le nom, lui demande certaines informations sur son statut et ses conditions de travail. À la suite de leur conversation, elle indique à M. Bédard qu’il ne peut faire de réclamation à la CSST. Il est un travailleur autonome et il ne s’est pas inscrit auprès de la CSST.
[16] Quelque temps après, M. Bédard se rend à la CSST pour obtenir plus d’informations. Il rencontre un agent, dont il ne peut préciser le nom. On le questionne à nouveau sur son statut, ses conditions de travail et sur le fait qu’il soit inscrit ou non auprès de la CSST. À la suite de cette rencontre, on indique à nouveau à M. Bédard qu’il n’est pas éligible aux bénéfices de la Loi.
[17] M. Bédard se rend alors à la Commission des normes du travail. Après discussion avec un représentant, on conclut que M. Bédard est un travailleur autonome.
[18] Constatant l’absence d’un recours en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ou en vertu de la Loi sur les normes du travail, M. Bédard consulte un avocat. Il désire se renseigner pour entreprendre un recours civil. Il ne se souvient pas de la date exacte de la première rencontre. Toutefois, lors de cette rencontre avec son avocat, M. Bédard lui raconte les différentes démarches auprès de la CSST et de la Commission des normes. C’est dans ce contexte qu’on entreprend les procédures civiles. Il précise qu’une mise en demeure fut signifiée à Gestion Majorie inc. en mai 1999 et que l’action civile fut signifiée en juillet 2000.
[19] Malgré la prise de procédures civiles, il décide finalement de soumettre une réclamation à la CSST et ce, en date du 29 novembre 2000. Au soutien de sa réclamation, on lui demande alors de rédiger une lettre[2] pour expliquer le délai de 20 mois entre la date de l’événement et la date à laquelle il soumet sa réclamation.
[20] M. Bédard donne également des précisions sur le travail de conciergerie et de location. M. Bédard est la personne ressource pour la conciergerie, la location et la perception. Il voit à la location de 250 logements et assure la conciergerie pour 105 logements.
[21] M. Bédard n’a pas d’horaire ou d’heures de travail précis. Par contre, il dit devoir être toujours disponible 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Pour accomplir les tâches, M. Bédard reçoit l’aide de son épouse. Cette dernière voit au nettoyage des portiques, des fenêtres et des portes. De plus, M. Bédard fait appel aux services d’une tierce personne pour effectuer certaines tâches, comme par exemple la balayeuse.
[22] Gestion Majorie inc. lui envoie un chèque d’un montant fixe à chaque semaine. Il n’y a aucune déduction sur ce chèque. On y retrouve la mention « achat ». Il partage ce montant avec son épouse. Quant à la tierce personne, M. Bédard la paie à même l’argent reçu de Gestion Majorie inc.
[23] Pendant sa convalescence, c’est son épouse qui assure les services de location, de conciergerie et de perception. Il doit également faire appel à des amis, à son frère et à son beau-frère pour que les services soient assurés. Il paie ces gens avec l’argent reçu de Gestion Majorie inc.
[24] M. Bédard explique qu’il fait des déclarations de revenus à titre de travailleur autonome. Il confirme les différentes informations apparaissant aux déclarations de revenus que l’on retrouve au dossier.
L'AVIS DES MEMBRES
[25] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que M. Bédard n’a pas respecté le délai de six mois prévu à la Loi. M. Bédard n’a pas démontré de motif raisonnable permettant à la Commission des lésions professionnelles de prolonger ce délai ou de le relever de son défaut de l’avoir respecté. Au surplus, ils considèrent que M. Bédard n’est pas un travailleur au sens de la Loi. De plus, bien que ce dernier se qualifie de travailleur autonome, ils estiment que sa situation ne correspond pas à la notion de travailleur autonome telle que définie à la Loi. Même s’il en était un, il ne peut d’une part être considéré comme un travailleur au sens de l’article 9 de la Loi et d’autre part, il ne s’est pas inscrit à ce titre auprès de la CSST pour bénéficier des avantages de la Loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[26] Préalablement, la Commission des lésions professionnelles tient à souligner qu’à sa face même, la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles par M. Bédard à l’encontre de la décision de la CSST du 25 avril 2001 semble en dehors du délai prévu pour ce faire. Toutefois, tenant compte des explications fournies et des délais postaux normaux, la Commission des lésions professionnelles estime que la requête de M. Bédard respecte le délai de 45 jours prévu à l’article 359 de la Loi.
[27] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles est saisie d’une requête par laquelle M. Bédard conteste une décision de la CSST du 25 avril 2001 rendue à la suite d’une révision administrative. D’une part, la CSST déclare la réclamation de M. Bédard irrecevable puisqu’elle ne respecte pas le délai prévu pour ce faire. D’autre part, la CSST déclare que le statut de M. Bédard ne lui permet pas de bénéficier de la protection accordée par la Loi.
[28] Le hors délai a été constaté par la CSST à l’étape du dépôt de la réclamation. La Commission des lésions professionnelles réfère donc à l’article 270 de la Loi, lequel se lit comme suit :
270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.
L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.
Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
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1985, c. 6, a. 270.
[29] Le délai alloué pour déposer une réclamation est de six mois à compter de la lésion. Il s’agit d’un délai de rigueur. Lorsque ce délai n’est pas respecté, le droit qu’il permet d’exercer s’éteint. Toutefois, le législateur permet que ce délai soit prolongé ou que l’on relève une personne de son défaut de l’avoir respecté, mais selon certaines conditions. Nous référons à l’article 352 de la Loi, lequel se lit comme suit :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
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1985, c. 6, a. 352.
[30] Le législateur ne définit pas l’expression « motif raisonnable ». La décision rendue dans l’affaire Vallier Roy et C.U.M. indique que la notion de motif raisonnable est « ... une notion large et permet de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture, des circonstances, etc., si une personne a un motif non farfelu, crédible et fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion. »[3] En ce sens, la personne doit faire preuve de diligence dans l’exercice de son droit ou dans la conduite de son dossier.
[31] En l’espèce, à titre de motif raisonnable, M. Bédard explique que la CSST lui a mentionné à deux occasions différentes qu’il ne pouvait pas faire de réclamation. À l’appui de sa position, il soumet la décision rendue dans l’affaire Gagnon et Desmeules Chrysler inc.[4] Dans cette affaire, la commissaire Santina Di Pasquale accepte de relever un travailleur de son défaut d’avoir respecté le délai pour soumettre une réclamation. Elle conclut à l’existence d’un motif raisonnable. Elle s’exprime comme suit :
« Le travailleur témoigne qu’il s’est présenté à la Commission avec ce document et que l’agent d’indemnisation lui aurait dit d’attendre avant d’ouvrir un dossier. Il apparaît de la preuve que l’agent voulait obtenir plus de précisions sur le diagnostic afin d’établir une relation entre la pathologie et l’événement du 12 novembre 1985. L’agent d’indemnisation a donc mal informé le travailleur concernant la procédure de réclamation et la préservation de ses droits.
Dans les circonstances, la Commission d’appel est d’avis que le travailleur a démontré un motif raisonnable pour expliquer son retard dans le dépôt de sa réclamation sur le formulaire prévu par la Commission. Le travailleur a agi avec toute la diligence possible. Il a communiqué avec un représentant de la Commission dans le délai prévu et était en droit de s’attendre à ce que celui-ci l’avise correctement sur la procédure à suivre dans son cas. »
[32] Avec respect, la présente cause se distingue de l’affaire soumise à la commissaire Di Pasquale. D’une part, en l’espèce, il n’a pas été établi que la CSST avait mal informé M. Bédard, et particulièrement en ce qui a trait à la procédure pour soumettre une réclamation. D’autre part, alors que M. Bédard se situe toujours dans le délai pour soumettre une telle réclamation, il consulte un avocat. Après avoir discuté de son dossier et de ses démarches préalables avec son avocat, une mise en demeure est signifiée à Gestion Majorie inc. À ce moment, on choisit d’entreprendre des procédures civiles contre Gestion Majorie plutôt que de soumettre une réclamation à la CSST. Il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles de se prononcer sur l’opportunité de ce choix. Tout au plus, la Commission des lésions professionnelles estime que, si M. Bédard considérait qu’il était éligible aux bénéfices de la Loi ou qu’il était en désaccord avec les propos de la CSST, il lui était loisible de soumettre une réclamation à la CSST et ce, dans le délai prévu à la Loi.
[33] M. Bédard décide plutôt de soumettre une telle réclamation le 29 novembre 2000, soit plus de 20 mois après la survenance de l’événement et plus de 17 mois après avoir choisi d’entreprendre un recours civil contre Gestion Majorie inc. La Commission des lésions professionnelles s’explique difficilement ce long délai. Les faits et les circonstances sont les mêmes. Tout au plus, on apprend que M. Bédard a déposé une action civile contre Gestion Majorie inc. en juillet 2000 et qu’il semble avoir eu des pourparlers entre les parties au cours desquels il aurait été question que M. Bédard soumette une réclamation à la CSST.
[34] De ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure que M. Bédard a été induit en erreur quant à la procédure pour soumettre une réclamation non plus qu’il a été empêché de le faire. La Commission des lésions professionnelles estime que c’est en toute connaissance de cause et dûment conseillé qu’il a entrepris des procédures civiles contre Gestion Majorie inc. plutôt que de soumettre, dans le délai prévu à la Loi, une réclamation à la CSST.
[35] En l’absence d’un motif raisonnable, la Commission des lésions professionnelles conclut qu’elle ne peut prolonger le délai de six mois prévu à la Loi ou relever M. Bédard de son défaut de l’avoir respecté. La réclamation de M. Bédard est donc irrecevable.
[36] Au surplus, la Commission des lésions professionnelles estime que le statut de M. Bédard ne lui permettrait pas de bénéficier de la protection accordée par la Loi. La situation de M. Bédard ne peut correspondre à la notion de travailleur ou même à celle de travailleur autonome.
[37] Les notions de travailleur et de travailleur autonome sont définies à la Loi comme suit :
« travailleur » :une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de louage de services personnels ou d'apprentissage, à l'exclusion :
1 du domestique ;
2 de la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier ;
3 de la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenus ;
« travailleur autonome » : une personne physique qui fait affaires pour son propre compte, seule ou en société, et qui n'a pas de travailleur à son emploi.
[38] La notion de travailleur vise donc une personne physique, laquelle doit exécuter un travail pour un employeur, moyennant une rémunération, en vertu d’un contrat de louage de services personnels. La notion de travailleur autonome vise également une personne physique, mais laquelle fait affaire pour son propre compte. Cette personne ne doit pas avoir de travailleurs à son emploi.
[39] La différence essentielle entre le travailleur et le travailleur autonome réside dans l’existence d’un contrat de louage de services personnels entre le travailleur et l’employeur. De son côté, le travailleur autonome travaille pour son propre compte et il est généralement lié à ses clients par un autre type de contrat, soit un contrat d’entreprise. C’est donc par la qualification du contrat ayant cours entre les deux parties que le statut d’une personne peut être déterminé.[5]
[40] L’existence ou l’absence d’un contrat de louage de services personnels s’évalue en fonction de certains critères comme le lien de subordination, le mode de rémunération, les risques de pertes ou de profits et la propriété des outils et du matériel nécessaires à l’accomplissement des tâches.
[41] D’une part, l’analyse du dossier et de la preuve présentée, en fonction des critères préalablement mentionnés, amène la Commission des lésions professionnelles à conclure que M. Bédard n’est pas un travailleur au sens de la Loi.
[42] Malgré le fait que M. Bédard mentionne qu’il devait être disponible tous les jours et en tout temps, la Commission des lésions professionnelles constate que ce dernier jouissait d’une certaine autonomie quant à l’accomplissement des tâches. En effet, il n’était pas requis que M. Bédard accomplisse lui-même les tâches. Dans les faits, son épouse participait aux tâches et de façon régulière, il faisait appel au service d’une tierce personne pour notamment passer la balayeuse. Aussi, pendant sa convalescence, M. Bédard faisait appel aux services de son épouse, de ses amis, de son frère ou de son beau-frère pour accomplir les différentes tâches.
[43] Une telle façon de fonctionner n’est pas de nature à démontrer un lien de subordination entre M. Bédard et Gestion Majorie inc. En fait, elle illustre davantage l’existence d’une autonomie pour M. Bédard quant à l’accomplissement des tâches. Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles estime que ce ne sont pas les services personnels de M. Bédard qui sont retenus et payés par Gestion Majorie inc.
[44] Quant à la rémunération, on constate que Gestion Majorie voit à verser à M. Bédard à chaque semaine un montant fixe, sans aucune déduction, et que ce dernier s’occupe de répartir le montant entre ceux qui ont accompli les tâches, le cas échéant. Le montant fixe est donc versé sans égard au fait que ce soit M. Bédard qui ait effectué l’ensemble ou une partie des tâches.
[45] Une telle façon de fonctionner peut même entraîner pour M. Bédard un risque de pertes. D’autant que M. Bédard fournit les outils nécessaires à l’accomplissement des tâches. Sur ce point, l’analyse des documents fiscaux apparaissant au dossier est très éloquente. Au niveau de la déclaration concernant les dépenses d’entreprise, on réfère à la location d’outils.
[46] Et de façon plus générale, l’analyse des documents fiscaux confirme que M. Bédard n’est pas un travailleur au sens de la Loi. Plusieurs éléments font montre de l’absence d’un contrat de louage de services personnels entre M. Bédard et Gestion Majorie inc. M. Bédard déclare des revenus et des dépenses d’entreprise. Notamment au niveau des dépenses, il déclare l’existence de sous-contrats. Au cours de son témoignage, il indique que ces dépenses représentent, entre autres, l’argent versé à la tierce personne qui accomplit certaines tâches. Il déclare également des dépenses d’entretien, de réparation, de repas et de frais de représentation, des frais de bureau, de loyer et, tel que mentionné, des frais concernant la location d’outils. Enfin, on retrouve également un sommaire des versements d’acomptes provisionnels.
[47] De cette analyse, la Commission des lésions professionnelles conclut que les faits ne permettent pas d’établir l’existence d’un contrat de louage de services personnels entre M. Bédard et Gestion Majorie inc. M. Bédard n’a donc pas le statut de travailleur au sens de la Loi.
[48] D’autre part, les faits ne permettent pas de conclure davantage au statut de travailleur autonome de M. Bédard dans le sens où le définit le législateur à la Loi. L’entente de base était conclue entre M. Bédard et Gestion Majorie inc. Toutefois, M. Bédard avait recours aux services de son épouse, d’une tierce personne et, lors de sa convalescence, aux services d’amis, de son frère ou de son beau-frère. Il payait ces différentes personnes avec le montant forfaitaire reçu de la part de Gestion Majorie inc. On ne peut donc conclure que M. Bédard n’avait pas de travailleurs à son emploi.
[49] Toutefois, alors même que M. Bédard se serait qualifié à titre de travailleur autonome, ce dernier ne pouvait, d’une part, être une personne considérée travailleur selon l’article 9 de la Loi et d’autre part, il ne s’était pas inscrit à ce titre auprès de la CSST. La Commission des lésions professionnelles réfère aux articles 9 et 18 de la Loi, lesquels se lisent comme suit :
9. Le travailleur autonome qui, dans le cours de ses affaires, exerce pour une personne des activités similaires ou connexes à celles qui sont exercées dans l'établissement de cette personne est considéré un travailleur à l'emploi de celle - ci, sauf :
1 s'il exerce ces activités:
a) simultanément pour plusieurs personnes;
b) dans le cadre d'un échange de services, rémunérés ou non, avec un autre travailleur autonome exerçant des activités semblables;
c) pour plusieurs personnes à tour de rôle, qu'il fournit l'équipement requis et que les travaux pour chaque personne sont de courte durée; ou
2 s'il s'agit d'activités qui ne sont que sporadiquement requises par la personne qui retient ses services.
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1985, c. 6, a. 9.
18. Le travailleur autonome, le domestique, l'employeur ou l'administrateur d'une corporation peut s'inscrire à la Commission pour bénéficier de la protection accordée par la présente loi.
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1985, c. 6, a. 18.
[50] La Commission des lésions professionnelles tient à rappeler qu’un travailleur autonome n’est pas systématiquement éligible aux bénéfices de la Loi. Il peut se voir accorder de tels bénéfices dans l’éventualité où il répond aux conditions de l’article 9 ou s’il s’est inscrit à la CSST. Or, selon les faits portés à la connaissance du tribunal, la situation de M. Bédard ne s’inscrit pas dans le cadre de l’article 9 de la Loi. De plus, à titre de travailleur autonome, le cas échéant, M. Bédard ne s’est pas inscrit auprès de la CSST afin de bénéficier de la protection accordée par la Loi.
[51] À la lumière de cette analyse, la Commission des lésions professionnelles conclut que la réclamation de M. Bédard est irrecevable.
[52] Tenant compte de la conclusion du tribunal quant au délai pour soumettre une réclamation, de même que sa conclusion quant au statut de M. Bédard, la Commission des lésions professionnelles déclare la réclamation de M. Bédard irrecevable en vertu de la Loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de M. Louis Bédard déposée le 14 juin 2001 ;
CONFIRME la décision de la CSST du 25 avril 2001 rendue à la suite d’une révision administrative ;
ET
DÉCLARE irrecevable la réclamation de M. Louis Bédard.
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Me Sophie Sénéchal |
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Commissaire |
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Chorel, Dessureault, Pellerin Turpin (Me John Turpin) |
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Représentant de la partie requérante |
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Picard, Garceau, Pasquin, avocats (Me Georges Page) |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] Voir le dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles aux pages 137 à 184.
[2] Voir le dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles à la page 15.
[3] (1990) CALP 916 .
[4] CALP, no 03917-61-8707, 26 avril 1990, Me Santina Di Pasquale.
[5] Poulin et Ferme St-Hilaire et CSST, C.L.P., no 145788-03B-0009, 29 janvier 2001, Me P. Brazeau.
AVIS :
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