DÉCISION
[1] Le 2 août 2000, monsieur Ashfaq Ahmed (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 28 juillet 2000 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision en révision administrative déclare nulle une décision initialement rendue par la CSST en date du 29 mai 2000, à la suite de l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale, lequel est jugé irrégulier.
[3] Le travailleur est absent à l’audience mais il est représenté. Tricots Liesse 1983 inc. (l’employeur) n’a aucun représentant.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] À l’audience, le représentant du travailleur demande au tribunal de se prononcer uniquement sur la question préliminaire concernant la régularité de l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Raouf Antoun, en date du 1er mars 2000. Il souhaite obtenir une décision sur cette question préliminaire avant de procéder au mérite. Ses prétentions sont à l’effet que cet avis est régulier et que la CSST est liée par celui-ci.
LES FAITS RELATIFS À LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[5] Le travailleur occupe un emploi d’opérateur de machinerie dans l’industrie du textile. Il est au service de l’employeur le 1er avril 1997 lorsqu’il ressent une douleur au dos en soulevant un rouleau de tissu pesant environ 35 livres. Cette douleur irradie au membre inférieur gauche.
[6] Un diagnostic initial d’entorse lombaire est posé et la réclamation du travailleur est acceptée sur la base de ce diagnostic. Après investigation, le diagnostic évolue toutefois en celui de hernie discale L4-L5 gauche.
[7] Le travailleur reçoit des traitements de physiothérapie, d’ergothérapie, d’acupuncture ainsi que des infiltrations épidurales.
[8] Le 2 juillet 1997, il est évalué par le docteur Yves Normand, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Ce dernier conclut à un diagnostic d’entorse lombaire. Il considère que cette lésion est maintenant guérie et que les traitements ne sont plus nécessaires. Il fixe la date de consolidation au 2 juillet 1997 et considère qu’il n’y a aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle.
[9] Le dossier est transmis au Bureau d’évaluation médicale à la demande de l’employeur. Le 11 août 1997, le travailleur est examiné par le docteur Jacques Duranceau, physiatre, désigné pour agir à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Le docteur Duranceau confirme le diagnostic d’entorse lombaire. Il considère lui aussi que la lésion doit être consolidée en date du 2 juillet 1997 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Il estime que les traitements ont été suffisants.
[10] La CSST rend une décision en conséquence le 15 août 1997. Le travailleur demande la révision de cette décision.
[11] Une audition se tient devant le Bureau de révision de l’Île de Montréal (le bureau de révision) le 8 janvier 1998 et une décision est rendue le 23 avril 1998. Cette décision modifie la décision de la CSST du 15 août 1997 et déclare que le diagnostic de la lésion professionnelle est celui d’entorse lombaire et lombosciatalgie. Selon le bureau de révision, la lésion professionnelle n’était pas consolidée le 2 juillet 1997 et le travailleur avait toujours besoin de soins et de traitements à cette date. Dans sa décision, le bureau de révision exclut expressément le diagnostic de hernie discale en raison de l’absence de signes cliniques suffisants au plan neurologique. La décision du bureau de révision n’est pas contestée.
[12] Le 9 novembre 1998, le travailleur est examiné par le docteur Chantal Janelle, orthopédiste, à la demande de la CSST. Le docteur Janelle conclut à un examen objectif dans les limites de la normale et fixe la date de consolidation à la date de son évaluation. Elle estime que les traitements ont été suffisants et qu’il n’y a aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle.
[13] De son côté, le médecin traitant, le docteur Line Jacques, réitère dans un rapport complémentaire que le diagnostic est celui de hernie discale L4-L5 et qu’il est encore trop tôt pour consolider la lésion. Elle mentionne que l’investigation n’est pas terminée.
[14] Le dossier est de nouveau transmis au Bureau d’évaluation médicale sur les questions suivantes : le diagnostic, la date de consolidation, les soins ou traitements, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. Le 7 janvier 1999, le travailleur est examiné par le docteur Pierre Bourgeau, neurologue, désigné pour agir à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Le docteur Bourgeau est d’avis que le diagnostic à retenir demeure celui d’entorse lombaire avec lombosciatalgie gauche, tel que retenu dans la décision du bureau de révision en date du 23 avril 1998. Compte tenu de l’ankylose actuelle du rachis, de la non-amélioration de l’état du travailleur en dépit des traitements et de la suggestion de la part du médecin traitant de poursuivre l’investigation, il considère qu’il n’y a pas lieu de consolider la lésion pour le moment. Il estime que les soins et traitements doivent se poursuivre selon les recommandations du médecin traitant et qu’il est, par conséquent, prématuré de se prononcer au sujet de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[15] Le 22 décembre 1999, le travailleur est évalué par le docteur Pierre Major, orthopédiste, à la demande de la CSST. Ce dernier considère que la lésion est consolidée en date de son examen, soit le 22 décembre 1999. Il estime qu’aucune forme de traitement n’est utile ou nécessaire actuellement. Par contre, il considère que le travailleur conserve des séquelles de son entorse lombaire. Il conclut à un déficit anatomo-physiologique de 2 % (code 204 004) mais n’émet pas de limitations fonctionnelles.
[16] Le médecin traitant réitère toujours, dans un rapport complémentaire, qu’il s’agit d’une hernie discale L4-L5 et que la lésion n’est pas consolidée.
[17] Le dossier est de nouveau transmis au Bureau d’évaluation médicale sur les cinq points mentionnés à l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), y compris le diagnostic. Le 25 février 2000, le travailleur est examiné par le docteur Raouf Antoun, orthopédiste, désigné pour agir à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Le docteur Antoun est d’avis qu’à la suite de l’événement du 1er avril 1997, le travailleur « a probablement subi une hernie discale L4-L5 gauche sans déficit neurologique ». Il est d’accord avec le docteur Major pour fixer la date de consolidation au 22 décembre 1999, date qui coïncide non seulement avec l’examen du docteur Major mais également avec la fin des traitements de physiothérapie. Il ne croit que d’autres traitements soient nécessaires. Il conclut à l’existence d’un déficit anatomo-physiologique de 2 % en fonction du diagnostic qu’il retient de « hernie discale non opérée, prouvée cliniquement et par test spécifique » (code 204 148). Il mentionne qu’à cause de la « collaboration douteuse » du travailleur, il ne peut compléter l’évaluation de la mobilité de la colonne lombaire. Il émet certaines limitations fonctionnelles.
[18] Le 29 mai 2000, la CSST rend une décision en conséquence de cet avis qui est daté du 1er mars 2000. La décision de la CSST ne porte, toutefois, que sur le diagnostic, la consolidation et les soins ou traitements. Tout en se déclarant liée par l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale concernant ces trois questions, la CSST déclare qu’il n’y a pas de relation entre le diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche et l’événement du 1er avril 1997. Le travailleur demande la révision de cette décision.
[19] Le 28 juillet 2000, à la suite d’une révision administrative, la CSST annule la décision qui a été rendue le 29 mai 2000. Le réviseur en vient à la conclusion que le Bureau d’évaluation médicale n’avait pas à se prononcer sur le diagnostic qui, en raison de la décision rendue par le bureau de révision le 23 avril 1998, doit être considéré comme chose déjà jugée. Il estime que cet avis est irrégulier. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente contestation devant la Commission des lésions professionnelles.
[20] À la suite de la décision rendue le 28 juillet 2000, la CSST transmet de nouveau le dossier au Bureau d’évaluation médicale en lui demandant de se prononcer sur la date de consolidation, la nécessité des soins ou traitements, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
[21] Le 10 août 2000, le travailleur est examiné par le docteur Pierre Bourgeau, neurologue, désigné pour agir à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Dans son avis, le docteur Bourgeau se dit d’accord avec les docteurs Major et Antoun en ce qui a trait à la date de consolidation et aux traitements. Il fixe cette date au 22 décembre 1999 et considère qu’aucun traitement supplémentaire n’est requis. En ce qui concerne l’existence d’une atteinte permanente, il conclut à un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour « entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées » (code 204 004) vu l’ankylose très nette du rachis lombaire notée lors de son examen. Il émet sensiblement les mêmes limitations fonctionnelles que le docteur Antoun.
[22] Le 6 septembre 2000, la CSST rend deux décisions en conséquence de cet avis. La première entérine les conclusions du membre du Bureau d’évaluation médicale. La seconde établit le pourcentage de l’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur. Le travailleur demande la révision de ces deux décisions, lesquelles sont confirmées à la suite d’une révision administrative en date du 1er février 2001. Le travailleur conteste cette dernière décision devant la Commission des lésions professionnelles. Le dossier relatif à cette contestation (156071-71-0102) et lié au présent dossier. Toutefois, l’audience dans ce dernier cas n’a pas été tenue étant donné la décision attendue dans le présent dossier sur la question préliminaire.
L'AVIS DES MEMBRES SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[23] Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs.
[24] Les deux membres considèrent que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Raouf Antoun, en date du 1er mars 2000, est irrégulier en ce qui a trait au diagnostic, à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles et qu’il est régulier en ce qui concerne les autres questions et ce, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans la décision qui suit.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[25] La Commission des lésions professionnelles doit décider de la régularité de l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Raouf Antoun, en date du 1er mars 2000.
[26] L’article 224.1 de la loi prévoit, à son premier alinéa :
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
[…]
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1992, c. 11, a. 27.
[27] En l’espèce, un premier membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Jacques Duranceau, s’est prononcé sur la question du diagnostic au mois d’août 1997. Cet avis a donné lieu à une décision de la CSST qui a été rendue le 15 août 1997, laquelle a été modifiée par la décision du bureau de révision du 23 avril 1998. Cette décision écarte le diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche et déclare que le diagnostic de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 1er avril 1997 est celui d’entorse lombaire et lombosciatalgie. La décision du bureau de révision n’a pas été contestée et elle est devenue, par le fait même, finale et irrévocable. Le processus de contestation quant au diagnostic a donc été mené à terme et la CSST ne pouvait soumettre de nouveau la question du diagnostic au Bureau d’évaluation médicale. Par conséquent, l’avis du docteur Antoun du 1er mars 2000 est irrégulier en ce qui a trait à cette question tout comme l’était celui du docteur Bourgeau émis en janvier 1999.
[28] Le fait que l’avis du docteur Antoun soit irrégulier en ce qui concerne le diagnostic n’a cependant pas pour effet de rendre irrégulier l’ensemble de son avis. Les questions relatives à la date de consolidation et à la nécessité des soins ou traitements lui ont été soumises tout à fait régulièrement puisqu’elles n’avaient pas été tranchées auparavant. Le bureau de révision avait considéré, le 23 avril 1998, que la lésion n’était pas consolidée et que les traitements devaient se poursuivre. Le docteur Bourgeau était arrivé à la même conclusion en janvier 1999. La CSST était donc bien fondée, eu égard à l’évolution du dossier, de requérir de nouveau l’avis du Bureau d’évaluation médicale sur ces deux questions après avoir obtenu le rapport du docteur Major.
[29] Les questions relatives à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles ont également été régulièrement soumises au Bureau d’évaluation médicale. Le docteur Antoun pouvait se prononcer sur ces deux questions. Cependant, comme l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles est étroitement reliée au diagnostic et que cette évaluation a été faite par le docteur Antoun en fonction d’un diagnostic sur lequel il n’avait pas à se prononcer et qui avait déjà été écarté par une décision finale et irrévocable, son avis sur ces deux dernières questions doit être considéré irrégulier au même titre que son avis sur le diagnostic. Toutefois, comme la décision de la CSST qui a donné suite à cet avis ne traite pas de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, il y a lieu d’annuler seulement cette partie de la décision qui concerne le diagnostic.
[30] La présente décision fait en sorte que l’avis du docteur Bourgeau en date du 10 août 2000 est régulier en ce qui a trait à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles et qu’il est irrégulier pour le reste puisqu’un Bureau d’évaluation médicale s’était déjà prononcé sur les autres questions.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE les prétentions du travailleur, monsieur Ashfaq Ahmed, concernant la question préliminaire ;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 28 juillet 2000, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Raouf Antoun, en date du 1er mars 2000, est irrégulier en ce qui concerne le diagnostic, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles ;
ET
ANNULE, en partie seulement, la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 29 mai 2000, soit cette partie de la décision qui concerne le diagnostic.
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Me Mireille Zigby |
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Commissaire |
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P.M. CONSULTANTS INC. (Monsieur Gilles Lévis) |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
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