Centre québécois du droit de l'environnement c. Procureur général du Québec (Ministre de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs) | 2024 QCCS 202 | ||||||
COUR SUPÉRIEURE | |||||||
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | ||||||
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N° : | 500-17-128496-240 | ||||||
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DATE : | LE 26 JANVIER 2024 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | DAVID R. COLLIER, J.C.S. | |||||
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CENTRE QUÉBÉCOIS DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT | |||||||
et | |||||||
JACYNTHE VILLENEUVE | |||||||
et | |||||||
SABRINA GUILBERT | |||||||
et | |||||||
VANESSA BEVILACQUA
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Demanderesses | |||||||
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c. | |||||||
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC (ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs) | |||||||
et | |||||||
NORTHVOLT BATTERIES NORD-AMÉRIQUE INC. | |||||||
et | |||||||
SAINT-BASILE-LE-GRAND (Municipalité de) | |||||||
Défendeurs | |||||||
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JUGEMENT (Demande en injonction interlocutoire provisoire) | |||||||
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[1] Le Centre québécois du droit de l’environnement est un organisme à but non lucratif dont la mission est la protection de l’environnement. Mesdames Jacinthe Villeneuve, Sabrina Guilbert et Vanessa Bevilacqua résident dans les municipalités de Saint-Basile-le-Grand ou de McMasterville, là où la défenderesse Northvolt Batteries Nord-Amérique inc. (Northvolt) entend construire une usine pour la fabrication de batteries pour véhicules électriques.
[2] Les demanderesses demandent la délivrance provisoire d’une injonction interlocutoire pour une période de dix jours, pour stopper les travaux de déboisement et d’aménagement entrepris par Northvolt sur son terrain de 171 hectares.
[3] Le 8 janvier 2024, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (le « ministère » ou « ministre ») autorise Northvolt à entreprendre « les travaux de remblaiement, de déboisement et de défrichage en milieu humide » afin de préparer le site de la nouvelle usine. L’autorisation a été accordée en vertu de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE)[1].
[4] Le 12 janvier 2024, la municipalité de Saint-Basile-le-Grand délivre un permis à Northvolt permettant la coupe d’arbres sur la partie du terrain située dans cette municipalité.
[5] Le 15 janvier, Northvolt commence à abattre des arbres et entreprend des travaux d’aménagement sur son terrain. Elle suspend volontairement ces travaux le 18 janvier lorsqu’elle reçoit notification des procédures en injonction des demanderesses.
[6] Le 22 janvier, les demanderesses modifient leur procédure pour ajouter la municipalité de Saint-Basile-le-Grand à titre de défenderesse au motif que la décision de la municipalité de délivrer le permis d’abattage d’arbre est déraisonnable.
[7] L’audience prévue pour le 23 janvier est reportée au lendemain, à la demande des parties, et vu l’engagement de Northvolt de prolonger la suspension des travaux jusqu’au 24 janvier à 17 heures.
[8] Les demanderesses soutiennent que l’autorisation accordée à Northvolt par le ministre selon l’article 22 LQE est déraisonnable, principalement parce que le ministre a déjà refusé d’autoriser des travaux semblables sur le même terrain, et parce qu’il aurait exercé sa discrétion de façon déraisonnable en autorisant les travaux de Northvolt sans avoir préalablement contraint cette dernière à préciser les mesures qu’elle entreprendra à l’avenir pour restaurer ou créer des milieux humides afin de compenser la destruction des milieux humides sur son terrain.
[9] Ensuite, les demanderesses soutiennent que la décision de Saint-Basile-le-Grand de délivrer un permis d’abattage d’arbres est déraisonnable parce que le permis contrevient au Règlement de contrôle intérimaire de la communauté métropolitaine de Montréal numéro 2022-96 concernant les milieux naturels (RCI). Ce règlement interdit l’abattage d’arbres et d’autres travaux sur des milieux humides désignés « d’intérêt métropolitain » se trouvant sur le terrain de Northvolt.
[10] Les demanderesses annoncent leur intention de déposer dans les prochains jours un pourvoi en contrôle judiciaire par lequel elles demanderont au Tribunal de casser l’autorisation ministérielle du 8 janvier, de « renvoyer la décision au ministre », et de déclarer invalide le permis d’abattage d’arbres[2].
[11] Pour obtenir une injonction interlocutoire, les demanderesses doivent convaincre le Tribunal qu’elles possèdent des arguments forts (« un droit solide ou sérieux ») voulant que les décisions prises par le ministre et la municipalité soient déraisonnables et invalides. De plus, parce que la procédure des demanderesses vise essentiellement le sursis de l’autorisation ministérielle et du permis (même si la procédure se veut une demande en injonction contre Northvolt), les demanderesses doivent démontrer au Tribunal que les actes administratifs attaqués sont invalides à première vue (prima facie), sans qu’un examen plus poussé de leur validité soit nécessaire. Cette exigence découle du fait que les actes de l’administration publique sont présumés valides jusqu’à preuve du contraire.
[12] Le fardeau qui incombe aux demanderesses est lourd[3]. Or, de l’avis du Tribunal, les demanderesses n’ont pas réussi à remplir ce lourd fardeau. Elles n’ont pas réussi à faire valoir un droit apparent voulant que les actes posés par le ministre et la municipalité soient déraisonnables à première vue. Pour ce motif, leur demande en injonction interlocutoire provisoire sera refusée.
[13] L'injonction interlocutoire peut être accordée lorsque celui qui la demande paraît y avoir droit et qu'elle est jugée nécessaire pour empêcher que ne lui soit causé un préjudice sérieux ou irréparable, ou que ne soit créé un état de fait ou de droit de nature à rendre un jugement final inefficace[4].
[14] Pour obtenir la délivrance d'une ordonnance d'injonction interlocutoire prohibitive, le demandeur doit faire la preuve des éléments suivants, qui doivent exister concurremment :
[15] Ces mêmes critères sont applicables lors de l'examen par le Tribunal d'une demande de sursis de l'application d'une loi, d'un règlement ou d'une décision attaquée par voie de contrôle judiciaire, comme en l’espèce[5].
[16] Au stade de l’injonction provisoire, le critère de l’urgence s’applique également. Ici, l’urgence n’est pas contestée : Northvolt a déjà commencé à abattre des arbres et des travaux de remblayage, etc. débuteront bientôt.
[17] Enfin, il faut souligner que les critères applicables à la délivrance d’une injonction interlocutoire ne sont pas étudiés et satisfaits séparément ou en vase clos[6]. Ainsi, plus le droit du demandeur est clair et apparaît comme étant incontournable, moins le Tribunal aura à se poser de questions sur les inconvénients que subira le défendeur du fait de l'injonction. Inversement, moins l’apparence de droit s’avère forte, plus il sera nécessaire d’examiner le caractère irréparable du préjudice allégué et le poids des inconvénients [7].
[18] En matière de sursis des actes d’administration, comme la décision de délivrer une autorisation ou un permis, le Tribunal doit faire preuve de retenue avant de l’annuler. C’est particulièrement le cas quand l’autorité administrative (en l’espèce le ministre) jouit d’une grande discrétion dans l’exercice de ses pouvoirs. En effet, le rôle du Tribunal consiste en un contrôle de la légalité de la décision ministérielle, non de son opportunité. En d’autres mots, une mauvaise décision n’est pas nécessairement une décision qui est illégale ou déraisonnable justifiant l’intervention du Tribunal[8].
[19] Le Tribunal doit la déférence aux décideurs administratifs. Il n’interviendra pas à moins d’être en présence d’une décision déraisonnable, c’est-à-dire une décision qui ne possède pas les attributs « de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité » et qui ne constitue pas « une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »[9].
[20] C’est en raison de cette retenue judiciaire face aux actes administratifs, et du fait que ceux-ci sont présumés valides jusqu’à preuve du contraire que, lorsque le Tribunal analyse la question de l’apparence du droit en matière d’injonction, cela exige « une démonstration plus convaincante du droit invoqué »[10]. Selon la Cour d’appel, « la partie qui conteste l’acte administratif « doit faire voir des questions sérieuses » qui permettent « de douter prima facie » de la validité de l’acte afin d’établir une apparence de droit donnant droit à l’injonction interlocutoire[11].
[21] À la lumière de ces principes, il convient d’examiner les arguments soulevés par les demanderesses au soutien de leur demande en injonction.
[22] Selon les demanderesses, l’autorisation ministérielle serait déraisonnable pour les motifs suivants :
[23] En ce qui regarde le permis d’abattage d’arbres délivré par la municipalité de Saint-Basile-le-Grand, les demanderesses soutiennent que le RCI interdit de réaliser des travaux, dont l’abattage d’arbres, dans une partie du terrain de Northvolt identifiée comme « milieux d’intérêt métropolitain ». Or, puisque le permis délivré par la municipalité permettrait l’abattage d’arbres dans ce secteur, il serait déraisonnable et invalide.
[24] De prime abord, il importe de souligner, comme le fait le Procureur général, que « le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire au cas par cas, selon chaque projet proposé. La LQE ne prévoit pas que le ministre, en refusant de délivrer une autorisation sur un site donné, lie son pouvoir discrétionnaire pour l’avenir sur ce même site »[12].
[25] Ainsi, l’on ne peut conclure, puisque le ministre a refusé, en mars 2023, d’autoriser des travaux en milieux humides sur le site subséquemment acquis par Northvolt, que l’autorisation accordée à Northvolt en janvier 2024 d’entreprendre des travaux en milieux humides est forcément déraisonnable.
[26] La discrétion du ministre d’autoriser ou de refuser des travaux en milieux humides s’exerce en fonction des particularités de chaque projet et de ses impacts sur le milieu naturel du site.
[27] Le principal motif justifiant le refus du projet en mars 2023 fut l’atteinte significative et irréversible à des milieux humides constituant un habitat de nidification potentiel pour le petit blongios, un oiseau désigné vulnérable en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables[13]. En fait, le projet immobilier proposé par le promoteur Quartier MC2 aurait eu pour effet de détruire 66 % des terres humides utilisées par ces petits oiseaux, un impact jugé inacceptable par le ministre.
[28] Or, les travaux approuvés par le ministère dans le cas de Northvolt ne prévoient pas la destruction de l’habitat du petit blongios. À la suite de nombreux échanges entre les biologistes du ministère et Northvolt, cette dernière a convenu de modifier son projet en décembre 2023 pour qu’il n’empiète pas sur les milieux humides qui servent d’habitat potentiel pour la nidification du petit blongios. De plus, le projet modifié de Northvolt permettrait de maintenir une protection de 62 % de la zone tampon de 500 mètres recommandée par les biologistes pour assurer l’intégrité de l’habitat de nidification potentiel de cet oiseau[14].
[29] Les deux biologistes du ministère qui ont analysé le projet Northvolt (et qui avaient analysé le projet de Quartier MC2 quelques mois plus tôt) ont jugé que les mesures de protection proposées par Northvolt étaient satisfaisantes pour assurer l’intégrité de l’habitat de cette espèce[15].
[30] L’argument des demanderesses ne tient pas compte des différents impacts des deux projets sur le site ni de l’analyse faite par le ministère dans chacun des cas.
[31] Ce moyen ne fait pas valoir un droit sérieux permettant de conclure que la décision du ministre serait déraisonnable.
[32] Les demanderesses ont surtout insisté sur cet argument à l’audience. Rappelons que, lorsque les demanderesses ont déposé leur procédure en injonction le 18 janvier, elles n’avaient pas vu le dossier du ministère et ignoraient les détails de ce qui avait été convenu entre le ministre et Northvolt pour compenser l’atteinte aux milieux humides. Il semble que les demanderesses se sont fiées à des communiqués de presse et articles de journaux pour affirmer que l’autorisation ministérielle était imprécise quant aux obligations futures de Northvolt.
[33] À l’audience, les demanderesses avaient eu la possibilité de lire la preuve déposée par le Procureur général, incluant la correspondance entre le ministère et Northvolt préalablement au 8 janvier 2024. Les demanderesses étaient donc en mesure d’apprécier les termes de l’entente conclue entre le ministère et Northvolt préalablement à l’octroi de l’autorisation ministérielle.
[34] À l’audience, les demanderesses ont dû reconnaître que l’engagement de Northvolt de mettre en œuvre un projet pour « créer, restaurer ou conserver » des milieux humides d’ici janvier 2027 – afin de compenser les milieux humides perdus sur le site – est assujetti à des conditions imposées par le ministre.
[35] Or, devant cette preuve, les demanderesses soutiennent que les conditions imposées par le ministre ne sont pas assez précises et contraignantes pour lui permettre de procéder à une analyse éclairée des impacts sur la faune. Au lieu d’exiger de Northvolt qu’elle dépose un plan détaillé faisant voir comment elle entend compenser la destruction des milieux humides en créant d’autres milieux, le ministre se contente, de façon déraisonnable selon les demanderesses, de formuler des options et des orientations à privilégier par Northvolt dans l’élaboration de son futur projet.
[36] Or, l’argument des demanderesses est loin de démontrer que le ministre abdique ses responsabilités ou exerce sa discrétion de façon déraisonnable en reportant à plus tard l’élaboration d’un plan de restauration de milieux humides. Le ministre ne donne pas un chèque en blanc à Northvolt en lui donnant l’option soit i) d’acquérir un terrain voisin de 18 hectares (ha) pour créer un milieu naturel total de 94 ha dans le secteur du projet (une condition formulée par les biologistes pour créer un milieu propice à l’habitation de la faune), soit ii) de créer, de restaurer ou de conserver un milieu naturel d’une superficie de 50 ha ailleurs dans la région pour l’utilisation par la faune.
[37] Ces options, ainsi que les autres conditions imposées à Northvolt (dont le paiement de 4,7M$ en compensation pécuniaire) sont des mesures faisant partie de la discrétion confiée au ministre par l’art. 22 LQE. Il ne revient pas au Tribunal d’intervenir et de remettre en question l’opportunité des décisions prises dans les limites de cette discrétion.
[39] Ce moyen ne fait pas valoir un droit sérieux permettant de conclure que la décision du ministre serait déraisonnable.
[40] Les demanderesses ont abandonné ce moyen dans leur plaidoyer. Une fois encore, l’argument a été avancé avant même que les demanderesses ne prennent connaissance des documents du ministère. Ces documents, dont un « avis faunique » préparé par la biologiste Yoon Lang du ministère, démontrent que le ministre a tenu compte de la situation de la faune se trouvant sur le site de Northvolt, dont le petit blongios, la tortue peinte, la tortue-molle à épines et quatre espèces de chauves-souris.
[41] L’autorisation ministérielle stipule des périodes durant lesquelles les travaux de déboisement et de défrichage devraient être effectués afin d’éviter la période de nidification des oiseaux.
[42] À titre de mesures d’atténuation, Northvolt s’engage à créer un étang sur son site ayant des caractéristiques favorables à la reproduction des tortues et à installer deux dortoirs à chauves-souris.
[43] Ce moyen ne fait pas valoir un droit sérieux permettant de conclure que la décision du ministre serait déraisonnable.
[44] Les demanderesses allèguent que, compte tenu de la reconnaissance législative de l’importance des milieux humides, la décision du ministre devait être davantage motivée, notamment en précisant i) comment le plan de réhabilitation de Northvolt assure une atteinte minimale aux milieux humides et ii) pourquoi l’absence d’autres sites pour le projet Northvolt justifie le présent projet, sans d’autres modifications[16].
[45] Cet argument révèle une insatisfaction devant la décision du ministre plutôt qu’une absence de motifs.
[46] Il est vrai que l’autorisation du 8 janvier 2024 n’explique pas les raisons derrière la décision du ministre d’autoriser les travaux, même si l’on peut en deviner l’essence, du moins en partie, en lisant les conditions attachées à cette autorisation. Mais cela ne veut pas dire que la décision n’était pas motivée. En fait, l’avis du 8 janvier mentionne une longue liste de documents – rapports d’analyse, notes techniques, inventaires de faune et de flore, plans, cartes, études et correspondance – qui font partie intégrante de l’autorisation. À la lecture de cette documentation, les motifs du ministre apparaissent clairement.
[47] En ce sens, l’autorisation ministérielle respecte le contenu exigé par les articles 27 et 46.0.7 LQE.
[48] Ce moyen ne démontre pas un droit sérieux permettant de conclure que la décision du ministre serait déraisonnable ou invalide pour vice de forme.
[49] La Communauté métropolitaine de Montréal édicte des mesures visant la protection des milieux naturels situés dans la grande région de Montréal. Son Règlement de contrôle intérimaire de la communauté métropolitaine de Montréal numéro 2022-96 concernant les milieux naturels (RCI) vise la protection des milieux naturels en interdisant, à son article 2.2, des travaux, dont la coupe d’arbres, dans les territoires délimités aux trois cartes annexées au règlement.
[50] La carte numéro 2 annexée au RCI indique une zone, en forme de demi-cercle, située dans la partie nord-ouest du terrain de Northvolt, qui est désignée « milieu humide d’intérêt métropolitain », et à l’intérieur de laquelle les travaux sont interdits.
[51] Puisque le permis délivré par Saint-Basile-le-Grand permet l’abattage d’arbres à l’intérieur du demi-cercle indiqué sur la carte, le permis serait invalide selon les demanderesses.
[52] Le directeur du service de l’urbanisme et de l’environnement de la ville de Saint-Basile-le-Grand a expliqué pourquoi la municipalité a cru bon de délivrer un permis à Northvolt lui permettant d’abattre des arbres à l’intérieur de la zone désignée « milieu humide d’intérêt métropolitain » par le RCI[17].
[53] L’urbaniste, Philippe Chrétien, explique que, selon ses recherches, le demi-cercle désigné « milieu humide d’intérêt métropolitain » sur la carte numéro 2 correspond à un rayon de 500 mètres à partir d’un point correspondant à une observation du petit blongios selon le Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec[18]. Ceci expliquerait d’ailleurs la forme de demi-cercle indiquée sur la carte.
[54] Monsieur Chrétien mentionne que l’article 3.3 RCI prévoit la possibilité de réaliser une étude de caractérisation lorsqu’une personne désire exécuter des travaux et veut connaitre la délimitation exacte d’un « milieu humide d’intérêt métropolitain ». Advenant que l’étude de caractérisation démontre que les interventions projetées se situent entièrement à l’extérieur du milieu humide d’intérêt, l’interdiction d’effectuer des travaux est levée.
[55] Northvolt a soumis une étude de caractérisation à la municipalité qui démontrait que la délimitation des milieux humides pouvant constituer l’habitat potentiel du petit blongios est moins étendue que celle du milieu humide d’intérêt métropolitain cartographié dans le RCI (le demi-cercle). Northvolt a également soumis des plans qui démontraient qu’elle n’entendait pas effectuer de travaux dans les milieux humides pouvant constituer l’habitat potentiel du petit blongios.
[56] Se fiant à l’article 3.3 RCI et aux renseignements à sa disposition, monsieur Chrétien était d’avis que la délivrance du permis en faveur de Northvolt était justifiée.
[57] Les demanderesses ne partagent pas cette opinion. Selon elles, il existe d’autres milieux humides à l’intérieur du demi-cercle en question et l’urbaniste ne pouvait réduire la zone de protection en fonction de l’habitat du petit blongios.
[59] Comme pour l’autorisation ministérielle, le permis délivré par la municipalité jouit d’une présomption de validité et est censé avoir été adopté dans l’intérêt public[19].
[60] Ainsi, le Tribunal ne peut conclure que les demanderesses ont un droit sérieux à faire valoir pour démontrer que la décision de délivrer le permis était déraisonnable.
[61] Les demanderesses n’ont pas réussi à faire valoir des arguments sérieux permettant de douter, à première vue, de la validité de l’autorisation ministérielle et du permis municipal. La force de leurs arguments n’est pas « à la mesure de l’obstacle à franchir » et, par conséquent, les demanderesses n’ont pas réussi le test de l’apparence de droit[20].
[62] Puisque l’apparence de droit est inexistante, le Tribunal n’a pas à considérer les questions du préjudice sérieux et de la balance des inconvénients. Toutefois, les observations suivantes s’imposent.
[63] Il y a sans doute un préjudice sérieux causé à autrui lorsqu’un arbre est coupé ou un milieu humide est détruit ou endommagé sans droit. Par ailleurs, il est incontestable que, sans la délivrance d’une ordonnance d’injonction interlocutoire dans la présente instance, il existera un état de fait qui rendra le jugement au fond inefficace[21]. Ce critère penche en faveur des demanderesses dans cette affaire.
[64] La question de la balance des inconvénients est moins claire. Si l’injonction n’est pas délivrée, il y a lieu de croire que des milieux humides ayant une superficie de 13,8 ha (138 162 m2) seront détruits ou dégradés sur le site de Northvolt. Il y aura perte d’un milieu naturel à la fois rare et important pour l’environnement de la région.
[65] Toutefois, cette perte sera compensée par le paiement d’une somme de 4,7M$ par Northvolt qui servira à la restauration ou à la préservation d’autres milieux humides. De plus, Northvolt s’est engagée à créer ou à restaurer elle-même des milieux humides, et à planter 24 000 arbres, en grande majorité sur son site, pour compenser la coupe de 8 730 arbres vivants, ainsi que le retrait du site de 5 365 arbres morts, sur son terrain[22].
[66] Pour sa part, Northvolt soutient qu’elle subira un énorme préjudice économique si son projet est retardé ou ultimement abandonné en raison des délais. Le gouvernement du Québec estime que le projet Northvolt est d’une grande importance pour l’économie de la province et qu’il créera 3 000 nouveaux emplois lorsque l’usine sera construite. C’est un projet « vert » et structurant pour la province.
[67] Enfin, s’il y a un intérêt public à la protection de l’environnement, il y a également un intérêt public à protéger la sécurité juridique des activités autorisées par l’administration publique.
[68] Vu l’ensemble des facteurs, la balance des inconvénients ne favorise pas la délivrance d’une injonction interlocutoire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[69] REJETTE la demande en injonction interlocutoire provisoire;
[70] LE TOUT, sans frais, vu la nature de la cause.
| __________________________________ DAVID R. COLLIER, J.C.S. |
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Me Jessica Leblanc | |
Me Maryse Lapointe | |
Me Stefan Dyck | |
Lapointe Legal Inc. | |
Me Marc Bishai (CQDE) | |
Procureurs des demanderesses | |
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Me Stéphanie Garon | |
Me Julie Sanogo | |
Bernard, Roy (Justice Québec) | |
Procureur Général du Québec | |
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Me Nathalie-Anne Béliveau | |
Me Annie Bernard | |
Me Camille Duguay | |
Fasken Martineau DuMoulin | |
Procureurs de Northvolt Batteries Nord-Amérique Inc. | |
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Me Simon Vincent | |
Bélanger Sauvé | |
Procureurs de Saint-Basile-le-Grand (Municipalité de) | |
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Date d'audience : Le 24 janvier 2024 | |
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[1] RLRQ c. Q-2.
[2] Demande modifiée en injonction provisoire et interlocutoire, paragr. 6.
[3] Gestion Serge Lafrenière Inc. c Calvé, [1999] R.J.Q. 1313, p. 1321.
[4] Article 511 Code de procédure civile (C.p.c.).
[5] Manitoba (Procureur général) c Metropolitan Stores, [1987] 1 R.C.S. 110.
[6] Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux c Ville de Longueuil, 2022 QCCA 1690, paragr. 25.
[7] Brassard c Société zoologique de Québec inc., [1995] R.D.J. 573, 585 (C.A.), cité dans FLS Transportation Services Limited c Fuze Logistics Services Inc., 2020 QCCA 1637, paragr. 43 et Morissette c St-Hyacinthe (Ville de), 2016 QCCA 1216, paragr. 42.
[8] Coalition verte c Technoparc Montréal, 2016 QCCS 4745, paragr. 27, 33 à 35, 37; Centre québécois du droit de l’environnement c Oléoduc Énergie Est ltée, 2014 QCCS 4147, paragr. 63, 64.
[9] Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragr. 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), c Vavilov, 2019 CSC 65, paragr. 86 (« Vavilov »).
[10] Grand Council of the Crees (Eeyou Istchee) c Québec (Procureur général), 2009 QCCA 810, paragr. 31.
[11] Northex Environnement inc. c Blanchet, 2013 QCCA 872, paragr. 21.
[12] Plan d’argumentation du Procureur général du Québec, paragr. 72.
[13] RLRQ c. E-12.01.
[14] Déclaration sous serment de Raphaëlle Dubois du 22 janvier 2024, paragr. 50, 59-60, 63-67; Déclaration sous serment de Le Duing Yong Lang du 22 janvier 2024, paragr. 20, 23, 29-36.
[15] Déclaration sous serment de Raphaëlle Dubois du 22 janvier 2024, paragr. 67; Déclaration sous serment de Le Duing Yong Lang du 22 janvier 2024, paragr. 37.
[16] Plan d’argumentation des demanderesses, paragr. 55.
[17] Déclaration sous serment de Philippe Chrétien du 23 janvier 2024.
[18] Id., paragr. 8.
[19] Jean HETU et Yvon DUPLESSIS, Droit municipal – Principes généraux et contentieux, Wolters Kluwer, 2019, paragr. 8.332, cité dans Montgomery c Ville de Montréal, 2020 QCCS 3716, paragr. 40
[20] Grand Council of the Crees (Eeyou Istchee) c Québec (Procureur général), supra, note 10, paragr. 31, cité dans Centre québécois du droit de l’environnement c Oléoduc Énergie Est ltée, supra, note 8, paragr. 64.
[21] Article 511 C.p.c.
[22] Déclaration de madame Johanna Toupin du 22 janvier 2024, paragr. 45.
AVIS :
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