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ORDRE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX ET DES THÉRAPEUTES CONJUGAUX ET FAMILIAUX DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N° : |
37-17-011 |
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DATE : |
Le 16 avril 2019. |
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LE CONSEIL : |
Me CHANTAL PERREAULT, LL.M., Ad.É. |
Présidente |
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Mme MARIA COSTA, T.S. |
Membre |
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Mme BRIGITTE CÔTÉ, T.S. |
Membre |
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ÉTIENNE CALOMNE, t.s., ès qualités de syndic adjoint de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec |
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Plaignant |
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c. |
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JOANNE ROBILLARD, t.s. |
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Intimée |
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION |
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LE CONSEIL
DE DISCIPLINE, EN VERTU DE L’ARTICLE
LE CONSEIL ÉLARGIT
L’ORDONNANCE RENDUE EN VERTU DE L’ARTICLE
LE CONSEIL PRONONCE
ÉGALEMENT, SÉANCE TENANTE ET UNANIMEMENT, UNE ORDONNANCE DE NON ACCESSIBILITÉ
EN VERTU DE L’ARTICLE
APERÇU
[1] Consultation de dossiers d’usagers sans autorisation et sans justification professionnelle, utilisation d’un bureau du CLSC pour rencontrer ses clients de pratique privée, interventions contraires aux normes généralement reconnues dans la profession dans le dossier de quatre de ses clients, tenue de dossier non conforme, quelles sont les sanctions justes et appropriées?
PLAINTE
[2] La plainte datée du 3 août 2017, amendée en début d’audience, est ainsi libellée :
1. Entre le ou vers le 23 juillet 2015
et le ou vers le 14 juin 2016, à Vaudreuil-Soulanges, l'intimée, exerçant sa profession au CLSC
La Presqu’Île, a posé un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de sa
profession en consultant, sans autorisation et sans justification
professionnelle, des dossiers d’usagers et des données confidentielles
enregistrées dans le système informatique (SIC+) du CLSC de La Presqu’Île,
commettant ainsi une infraction à l'article
2.
Le ou vers le 28 juin
2016, à Vaudreuil-Soulanges, l’intimée, exerçant sa profession en pratique
autonome, n’a pas sauvegardé son indépendance professionnelle et n’a pas évité
toute situation de conflit d’intérêts en utilisant le point de service du CISSS
au CLSC La Presqu’Île, pour rencontrer ses clients de pratique privée,
commettant ainsi une infraction à l'article 3.05.03 Code de déontologie des
membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et
familiaux du Québec, RLRQ, c C-26, r 286, ainsi qu’à l'article
3. Entre le ou vers le 30 décembre 2013 et le ou vers le 24 février 2014, ainsi qu’entre le ou vers le 5 mars 2016 et le ou vers le 5 août 2016, à l’Île-Perrot, l’intimée, exerçant sa profession en pratique autonome, a réalisé des interventions contraires aux normes généralement reconnues dans la profession dans le dossier de ses clients, R.B., M.B., A.L. et V.B., commettant ainsi une infraction aux dispositions de l’article 3.01.07 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, RLRQ, c C-26, r 286;
4. Entre le ou vers le 30 décembre 2013 et le ou vers le 24 février 2014, ainsi qu’entre le ou vers le 5 mars 2016 et le ou vers le 5 août 2016, à l’Île-Perrot l’intimée, exerçant sa profession en pratique autonome, a omis de consigner aux dossiers de clients, R.B., M.B. , A.L. et V.B, les informations prévues par règlement et n’a pas tenu ces dossiers de façon conforme aux normes généralement reconnues dans la profession, commettant ainsi une infraction aux dispositions des articles 3 et 4 du Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, RLRQ, c C-26, r 297, et 3.01.07 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, RLRQ, c C-26, r 286;
[Transcription textuelle]
[3] Les dispositions de rattachement prévoient que :
Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, (RLRQ, c C-26, r 286) :
3.05.03. Le travailleur social sauvegarde en tout temps son indépendance professionnelle et évite toute situation où il serait en conflit d’intérêts. Sans restreindre la généralité de ce qui précède, le travailleur social:
a) est en conflit d’intérêts, lorsque les intérêts en présence sont tels qu’il peut être porté à préférer certains d’entre eux à ceux de son client ou que son jugement et sa loyauté envers celui-ci sont défavorablement affectés;
b) n’est pas indépendant comme conseiller pour un service donné s’il y trouve un avantage personnel, direct ou indirect, actuel ou éventuel.
3.01.07. Le travailleur social s’abstient en tout temps d’exercer contrairement aux normes généralement reconnues dans sa profession.
Code des professions (R.L.R.Q., c. c-26) :
59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.
LA DÉCLARATION DE CULPABILITÉ
[4] L’intimée enregistre un plaidoyer de culpabilité sur les chefs de la plainte.
[5] Le Conseil de discipline, après avoir vérifié que le plaidoyer est libre, volontaire et éclairé, séance tenante et unanimement, déclare l’intimée coupable des infractions reprochées à la plainte, et ce, de manière plus amplement décrite au dispositif de la présente décision.
LES RECOMMANDATIONS DU SYNDIC
[6] La partie plaignante recommande au Conseil d’imposer les sanctions suivantes :
- Sur le chef 1 : une période de radiation de 2 mois;
- Sur le chef 2 : une réprimande;
- Sur le chef 3 : une période de radiation de 2 mois;
- Sur le chef 4 : une amende de 2 500 $;
-
Le tout avec les frais et déboursés prévus à l'article
[7]
Elle suggère également au comité exécutif
de l’Ordre d’imposer à l’intimée un stage de perfectionnement en vertu de
l’article
LES RECOMMANDATIONS DE L’INTIMÉE
[8] L’intimée, qui a la jurisprudence du plaignant que depuis le matin de l’audition, suggère au Conseil de lui imposer les sanctions suivantes :
- Sur le chef 1 : une période de radiation d’un mois;
- Sur le chef 2 : une réprimande;
- Sur le chef 3 : une période de radiation d’un mois;
- Sur le chef 4 : une réprimande.
QUESTIONS EN LITIGE
[9] Les questions auxquelles le Conseil doit répondre sont :
A) Quelles sont les sanctions justes et raisonnables que le Conseil doit imposer à l’intimée dans les circonstances de la présente affaire?
ANALYSE
A) Quelles sont les sanctions justes et raisonnables que le Conseil doit imposer à l’intimée dans les circonstances de la présente affaire?
[10] Tel que le disait si bien alors le comité de discipline dans Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Grand'Maison[1], la sanction doit tenir compte des circonstances particulières à chaque dossier :
[18] Rappelons qu’une sanction disciplinaire, sans chercher à punir le professionnel, doit être juste, raisonnable et proportionnée aux infractions commises. Elle doit d’abord permettre d’assurer la protection du public et revêtir un caractère dissuasif et exemplaire, et ce, tant pour le professionnel en cause que pour les autres membres de la profession. Enfin, elle a pour objectif la réhabilitation et la réintégration du professionnel selon ses qualités et son attitude.
[19] Pour décider de la sanction à imposer, un comité de discipline tient compte de plusieurs facteurs, certains à caractère purement objectif alors que d’autres seront appréciés de manière plus subjective, selon les circonstances particulières à chaque affaire.
[Notre emphase]
[11] L’importance d’individualiser les sanctions est clairement exprimée par la Cour suprême du Canada dans R. c. Lacasse[2].
[12] Il est donc important, pour individualiser la sanction, de regarder les facteurs objectifs et subjectifs applicables à tout établissement de sanction, qui ont été énoncés dans de nombreuses décisions et particulièrement dans Pigeon c. Daigneault[3]. Il est utile d’en faire une liste non exhaustive puisque chaque cas est unique.
[13] Les facteurs objectifs sont : la protection du public, la gravité de l’offense, la durée des infractions, les conséquences des actes commis, la pluralité des infractions ou actes isolés, le besoin d’exemplarité pour les membres de la profession, le principe de gradation et de globalité des sanctions, la vulnérabilité des clients et la dissuasion de récidiver.
[14] Les facteurs subjectifs sont principalement : les antécédents disciplinaires, l’âge du professionnel, l’expérience ou le nombre d’années de pratique, la bonne réputation, l’honnêteté du professionnel, le risque de récidive, l’insouciance, la volonté de s’amender, le repentir, la collaboration avec le syndic, l’admission des faits, le plaidoyer de culpabilité, la réhabilitation du professionnel, les conséquences déjà subies, la situation financière du professionnel, la capacité de remboursement (amendes et frais), le contexte de l’infraction, l’absence de bénéfice personnel, la préméditation ou le caractère volontaire des infractions et les conditions de travail.
[15] La sanction vise non pas à punir le professionnel fautif, mais à assurer, en premier, la protection du public. Ensuite, la sanction doit permettre de dissuader le professionnel de récidiver et servir d’exemple pour les autres membres de la profession, sans empêcher indûment le professionnel d’exercer sa profession.
[16] Le Conseil impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs objectifs et subjectifs ainsi qu’aggravants et atténuants qui sont propres au dossier. C’est ainsi qu’on peut individualiser une sanction.
[17] Naturellement, le Conseil ne peut apprécier que les facteurs dont la preuve a été faite. Comme le mentionne le conseil de discipline dans Lanuzo[4], il peut être difficile d’évaluer l’impact de différents facteurs devant influer sur la sanction à imposer lorsque l’intimé ne se présente pas devant ses pairs afin d’exposer les moyens mis en œuvre pour que de tels gestes ne se reproduisent plus.
[18] Heureusement, ici, l’intimée a témoigné lors de l’audition sur sanction.
[19] Dans Ingénieurs c. Boulet[5], le conseil traite aussi du poids relatif à accorder à la jurisprudence comme suit :
[57] Par ailleurs, il faut relativiser l’application de ce principe en raison du fait que la sanction doit être individualisée. Les précédents sont « tout au plus des lignes directrices et non des règles absolues »[14]. Des circonstances atténuantes ou aggravantes, de même que la personnalité du professionnel, peuvent favoriser un écart important dans la détermination d’une sanction [15].
[Soulignements ajoutés, références omises]
[20] Le conseil rappelle aussi ce qu’écrivait madame la juge Provost dans l’affaire Joly[6] :
[45] La nomenclature des sanctions déjà imposées par les comités de discipline constitue certes un facteur pertinent d'évaluation. Cependant, il ne s'agit pas d'un facteur intangible et il faut en relativiser l'utilité en raison de l'individualisation présidant à l'imposition de toute sanction.
[Soulignements ajoutés]
[21] En somme, les conseils de discipline ne sont pas liés par la règle des précédents[7]. Aussi, bien que les tribunaux doivent en tenir compte, les fourchettes de sanctions disciplinaires ne sont pas des règles absolues, mais bien plus des lignes directrices[8].
[22] C’est donc à la lumière de tous ces critères que le Conseil peut évaluer quelles sont les sanctions appropriées.
[23] Le Conseil retient les éléments suivants de la preuve faite sur sanction.
CONTEXTE
[24] L’intimée est membre de l’Ordre depuis 2004.
[25] Elle agit à titre d’agent de relations humaines pour le Programme Soutien à domicile depuis 2004 pour le CISSS de Vaudreuil-Soulanges.
[26] Depuis 2006, elle prend aussi des mandats privés.
[27] Le 12 juillet 2016, à la suite des évènements reprochés par la présente plainte, l’intimée informe son employeur de son engagement à ne plus exercer dans aucun champ de pratique autonome et privé sur tout le territoire du CISSSMO (Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest).
[28] L’intimée, âgée de 66 ans, au moment de l’audition, a pris sa retraite officielle du CISSS le 6 janvier 2017.
Chef 1 Consultations de dossiers d’usagers sans autorisation
[29] L’intimée consulte, sans autorisation et sans justification, des dossiers d’usagers sur une période de 11 mois (entre le 23 juillet 2015 et le 14 juin 2016) et des données confidentielles enregistrées dans le système informatique du CLSC.
[30] Le seul statut de professionnel ne donne pas le droit d’avoir accès à des dossiers de clients ou de patients lorsqu’aucune raison professionnelle ne le justifie.
[31] L’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux[9] prévoit aussi la confidentialité et le non-accès au dossier si ce n’est avec le consentement de l’usager ou de la personne pouvant donner un consentement en son nom. Ce même article prévoit une liste de situations d’exception où un renseignement peut être communiqué.
[32] La doctrine reconnaît le droit pour le personnel d'un établissement d'obtenir l’accès à un dossier, lorsque cela est nécessaire et pertinent dans l'exercice de ses fonctions.
[33] Dans son ouvrage intitulé Aspects juridiques du dossier de santé et de services sociaux[10], l'honorable juge Martin Hébert écrivait :
Tout professionnel ou tout membre du personnel d'un établissement qui, dans l'exercice de ses fonctions, doit accéder au dossier d'un usager, est autorisé à le faire. (...) En effet, au nom même de la qualité et de la continuité des services, il est légitime que les intervenants concernés puissent avoir accès à toute l'information requise pour exécuter leur tâche. Le droit d'accès de ces personnes est soumis à deux conditions :
1. l'accès au dossier doit être nécessaire et pertinent à l'exercice des fonctions;
2. (...).
Ainsi, dans le contexte traditionnel du dossier papier, il faut essentiellement se fier au sens professionnel et déontologique de chacun pour assurer le respect des règles de confidentialité et du secret professionnel. Chaque intervenant doit s'astreindre à une discipline personnelle pour limiter son accès au dossier aux seuls extraits pertinents et nécessaires à ses tâches.
Une précision s'impose toutefois à l'égard du partage d'informations entre divers intervenants appelés à collaborer à un titre ou à un autre dans la prestation des soins ou des services au bénéfice de l'usager. Un tel partage d'informations ne constitue pas en soi une violation du droit à confidentialité dans la mesure où il s'agit de la communication d'informations nécessaires et pertinentes à l'exécution des fonctions de chacun des membres d'une équipe de soins et de services. Il en serait autrement si la divulgation de ces informations n'était pas justifiée.
[Soulignements ajoutés]
[34] De même, dans leur ouvrage Éléments de responsabilité civile médicale[11], les auteurs Philips Nootens, Kouri et Lesage-Jarjoura indiquaient :
Les « membres du personnel » d'un établissement dont la fonction l'exige et qui font partie de la liste incluse dans la Déclaration d'un fichier de renseignements personnels transmise à la Commission d'accès à l'information ont droit d'accès aux dossiers de santé compte tenu des limites indiquées dans la déclaration.
[Soulignements ajoutés]
[35] Le Conseil tient compte de la gravité objective de l’infraction, de la pluralité des accès non autorisés et de la durée des infractions.
[36] L’intimée affirme être une personne très productive et ne refuse jamais un dossier assigné.
[37] Comme il y a un mécanisme de liste d’attente mis en place par son supérieur, elle explique faire les consultations de dossiers pour se préparer et pour se calmer vu son anxiété d’être prête pour les dossiers qui pourraient lui être confiés.
[38] Le Conseil est persuadé que l’intimée n’a pas d’intentions malveillantes ou malhonnêtes lorsqu’elle accède aux dossiers des usagers.
[39] De plus, les regrets qu’elle témoigne devant le Conseil sont sincères. Elle est de toute évidence très ébranlée par la situation.
[40] Elle affirme ne pas en avoir fait une mauvaise utilisation et le Conseil la croit.
[41] Lors de l’audition, elle manifeste du repentir.
[42] Elle reconnait avoir fait une grave erreur.
[43] Le plaignant soumet les autorités suivantes :
Travailleurs sociaux c. Rochette,
Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et
familiaux (Ordre professionnel des) c.
Moïse,
Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Nancy Lamoureux, C.D.O.T.S.T.C.F.Q., 37-13-009 (Procès-verbal d'une décision rendue verbalement à l'audition le 22 mai 2014).
[44] Cette jurisprudence du plaignant démontre pour le chef de manquement à la confidentialité, des sanctions variant d’un[12] à deux mois[13] de radiation.
[45] Dans la décision Rochette[14], l’intimé regarde les dossiers parce « qu’il n’avait rien à faire et qu’il voulait passer le temps ». Il a ainsi consulté plus de 2645 dossiers d’usagers d’un CLSC, dont notamment ceux de ses collègues de travail et certains membres de sa famille, et ce, sur une période de 79 jours.
[46] Dans la décision Moise[15], le conseil de discipline parle ainsi de la gravité objective :
[25] Les usagers des services sociaux ont droit au respect de leur vie privée et à la confidentialité de leur dossier. Le public en général est en droit de s’attendre à ce qu’un professionnel, comme un travailleur social, agisse comme l’un des gardiens de ces droits.
[26] La confidentialité des dossiers doit être préservée et toute dérogation ne peut être tolérée, afin de conserver la confiance du public envers les travailleurs sociaux à qui il confie ses problèmes et des secrets.
[27] Consulter sans autorisation ni justification professionnelle les dossiers confidentiels des usagers, est un comportement inadmissible de la part d’un professionnel membre de l’Ordre. On ne peut tolérer ces actes, ni les banaliser.
[Soulignements ajoutés]
[47] Dans cette décision, la travailleuse sociale commet l’infraction plus de 100 fois sur plus de dix ans et vise des dossiers de membres de sa famille, des amis et des connaissances, de collègues de travail et de personnalités connues en plus de son propre dossier. En plus de la consultation, elle divulgue des renseignements contenus dans ces dossiers à des directions d’école ce qui ajoute à la gravité de l’infraction.
[48] Le niveau de gravité dans ces deux décisions est supérieur à celui dans le présent dossier vu la durée et la divulgation de données confidentielles.
[49] Le Conseil a consulté aussi d’autres décisions. L’ensemble démontre une fourchette allant de la réprimande[16] à des amendes[17] ou des radiations de trois semaines[18], d’un mois[19], de deux[20] mois, de trois[21] mois, de six[22] mois et même de quinze[23] mois de radiation.
[50] La décision qui se rapproche le plus de notre dossier est la décision Gaudreault où la travailleuse sociale consulte les dossiers au CLSC de trois personnes comptant parmi ses clients en pratique autonome. Dans le présent dossier, il y a 4 consultations de cette nature. Il y a eu consultation de 4 dossiers de l’entourage de ses clients, assignés par son employeur et des dossiers en attente de services[24].
[51] Tout comme dans cette décision, l’intimée n’a pas agi avec mauvaise foi ou pour en retirer un avantage personnel. Bien que cet aspect ne soit pas pertinent sur la culpabilité, il peut être considéré au stade de la sanction[25]:
[53] Bien que l’absence d’intention de nuire ou de mauvaise foi ne constitue pas une défense acceptable pour justifier un accès non autorisé à un dossier d’usager ni ne diminue la gravité objective de l’infraction, il s’agit néanmoins d’un élément faisant partie du contexte que le Conseil peut considérer au stade de la sanction.
[54] En l’instance, aucune preuve n’établit que l’intimée a utilisé, pour ses fins personnelles, les renseignements confidentiels contenus aux dossiers des usagers consultés sans droit.
[52] Comme facteurs atténuants, le Conseil retient :
1. Le plaidoyer de culpabilité à la première occasion.
2. L’âge de l’intimée.
3. L’absence d’antécédents disciplinaires.
4. L’intimée a pris sa retraite du CISSS en janvier 2017.
5. Le risque de récidive est pratiquement nul en ce qui a trait au chef 1 puisque depuis sa retraite de cet organisme, elle n’a plus accès à ces dossiers.
6. La consultation n’a en aucun temps, été utilisée pour se référer des dossiers en pratique privée. Il n’y a donc aucun manque d’intégrité de la part de l’intimée ni aucun avantage personnel retiré.
7. L’intimée n’a pas consulté des dossiers n’ayant aucun rapport avec son travail même si non assignés à celle-ci. (Ex. : personne de sa famille, ou de connaissances ou d’amis). Il n’y a pas eu de curiosité mal placée ou malsaine.
8. Le repentir que le Conseil a constaté lors du témoignage de cette dernière.
9. L’absence de conséquences négatives découlant de ces agissements.
[53] Le syndic demande une période de radiation temporaire de 2 mois sur le chef 1 quant au non-respect de la confidentialité des dossiers d’usagers qui ne lui sont pas attitrés. Cette recommandation est exagérée par rapport aux circonstances particulières de ce dossier.
[54] L’intimée suggère qu’un mois serait suffisant.
[55] Les circonstances de ce dossier ne sont pas de la même gravité que dans les décisions citées[26] par le plaignant ou dans la jurisprudence étudiée qui impose un mois et plus de radiation temporaire. Il est donc approprié d’imposer une sanction plus légère.
[56] Le Conseil est d’avis, en tenant compte de la jurisprudence et de tous les facteurs atténuants et objectifs, qu’une période de radiation temporaire de 15 jours est juste et appropriée dans les circonstances propres à ce dossier.
Chef 2
[57] Quant au chef 2, l’intimée utilise une seule fois les locaux du CISSS pour rencontrer ses clients de pratique privée. Elle agit ainsi car des travaux de rénovation sont en cours à son domicile.
[58] Il s’agit d’un geste isolé.
[59] Elle reconnaît son erreur.
[60] Le plaignant demande une réprimande de même que l’intimée.
[61] Cette sanction est appropriée.
Chef 3
[62] Quant au chef 3, il s’agit du chef le plus sérieux puisqu’il concerne l’homologation de mandats en cas d’inaptitude ou d’ouverture de régime de protection visant à retirer partiellement ou en totalité la capacité d’une personne à gérer elle-même les décisions concernant sa personne ou ses biens.
[63] Le travail de la travailleuse sociale est crucial pour la protection des personnes très vulnérables et susceptibles d’abus.
[64] Le Conseil croit nécessaire pour fins préventives pour tous les membres de la profession dont l’intimée de reproduire plusieurs extraits du rapport d’expertise de Mme Lachance :
Le processus d'évaluation psychosociale dans le cadre d'une demande d'ouverture d'un régime de protection ou de l'homologation d'un mandat
(…) Le travailleur social doit impérativement envisager et suggérer des mesures alternatives à l'ouverture d'un régime de protection lorsque la réponse aux besoins du majeur est adéquate. (…) Nul besoin de rappeler que le processus d'évaluation psychosociale d'une personne dans le cadre d'une demande d'ouverture d'un régime de protection ou de l'homologation d'un mandat est une activité réservée et exclusive aux travailleurs sociaux et considérés comme préjudiciables étant donné qu'elle peut entraîner la perte de la libre gestion de ses biens et de l'aptitude à rendre compte de ses actes. En omettant de bien évaluer la pertinence de procéder à ses évaluations, Mme Robillard contrevient à la norme de pratique Vlll-21.
Toujours dans les dossiers de mesdames L et B ainsi que dans celui de M. B., la travailleuse sociale fait parvenir une copie des rapports psychosocial et médical directement au requérant. Elle ne prévoit pas de rencontre avec le majeur et un proche afin de présenter les conclusions de son évaluation, offrir du soutien au besoin et répondre aux questions concernant les étapes à venir. Cette pratique ne respecte pas le droit des personnes majeures présumées inaptes à être informées de leur droit et des recours possibles pour contester la démarche d'ouverture d'un régime de protection ou l'homologation du mandat. En agissant ainsi Mme Robillard contrevient à la norme de pratique 12 concernant le respect des droits des personnes, ainsi qu'aux normes encadrant les évaluations dans le cadre de l'instauration des régimes de protection (p. 36)3.
Les manquements suivants sont en contravention avec la norme de pratique VI-A-44
• (…) Nous ne retrouvons aucune mention dans les notes chronologiques qui précise que la travailleuse a fait des démarches afin de s'assurer de la présomption de l'aptitude de Mme B au moment de signer le mandat. Ce dernier est signé devant deux témoins M. M. et Mme N., les enfants de madame. Mme Robillard aurait dû communiquer avec les deux témoins ainsi que les autres enfants afin de connaître dans quelles circonstances le mandat a été complété. Cette vérification permet aussi de repérer certains indices d'abus de droit5
• (…) Cette dernière est hébergée en centre hospitalier de longue durée (CHSLD) depuis trois ans et bénéficie du suivi d'une équipe multidisciplinaire. Mme Robillard ne communique avec personne du CHSLD pour connaître la situation de Mme A. et avoir de l'information quant à la qualité des liens de madame avec ses proches. Ce manquement contrevient à la norme Vlll-3 et aux normes de pratique en matière de régimes de protection6
• Mme Robillard omet de contacter l'ensemble des enfants de Mme B. pour connaître leur point de vue quant à la démarche d'homologation du mandat et les capacités du futur mandataire assumer ce rôle. Elle consulte uniquement la fille avec qui sa cliente habite et ainsi que le mandataire désigné. Cette pratique peut être préjudiciable à la majeure étant donné la nature même du mandat de protection. Elle procède de la même façon dans le dossier de Mme L., elle ne rencontre que deux des quatre filles.
(…) Elle statue sur l'inaptitude du majeur après une seule rencontre ce qui est nettement insuffisant pour arriver à une conclusion aussi lourde de conséquences pour son client, le tout en contravention avec la norme Vlll-36• Il va sans dire que l'appréciation de l'impact et des répercussions d'un diagnostic sur les capacités d'un majeur se fait en quelques rencontres,(…) Le guide de pratique « l'évaluation psychosociale dans le contexte des régimes de protection, du mandat donné en prévision de l'inaptitude et des autres mesures de protection au majeur » de l'OTSTCFQ 9 spécifie à la page 24 : «L'inaptitude: ce n'est pas« tout ou rien >>. L'erreur consiste ici à conclure qu'une personne est inapte à prendre des décisions sans préciser lesquelles. Par exemple, une personne peut être inapte à gérer ses biens, mais demeurer parfaitement apte à décider des soins à recevoir ou de son lieu d'hébergement ».
(…) L'absence de concordance entre sa conclusion et celle du médecin en ce qui a trait au degré d'inaptitude posera problème au tribunal. Ici aussi le guide de pratique « l'évaluation psychosociale dans le contexte des régimes de protection, du mandat donné en prévision de l'inaptitude et des autres mesures de protection au majeur» de l'OTSTCFQ (p.26) est explicite quant à la nécessaire concertation avec le médecin.
Compte tenu des impacts possibles de l'appréciation de l'inaptitude sur les droits de la personne concernée, il est recommandé au travailleur social de partager ses observations et les données recueillies avec le médecin qui a effectué le rapport médical afin que les deux évaluations soient complémentaires et congruentes quant au degré d'inaptitude.
(…)
Finalement, Mme Joanne Robillard mentionne à la section 12 du rapport en parlant de Mme A, «...elle est d'accord à assumer le rôle de représentante légale et elle m'apparaît en mesure d'assumer ce rôle ». Toutefois, nous ne retrouvons aucune note à l'effet qu'une évaluation exhaustive ait été faite quant à la qualité des liens qui unissent cette dernière au majeur et de la capacité de Mme A. à agir comme représentante légale. En omettant de faire cette évaluation, elle contrevient à la norme de pratique Vl-A-413, ainsi qu'aux normes relatives à l'évaluation dans le cadre des régimes de protection (p. 20)14. Il aurait été plus que pertinent que la travailleuse sociale rencontre Mme A. seule afin de vérifier sa motivation à s'impliquer auprès de M. B. à titre de tutrice, savoir ce qu'elle connait de la situation du majeur et des responsabilités inhérentes au rôle de représentant légal.
(…)
Les manquements à la norme de pratique Ill quant aux devoirs et obligations en matière de « responsabilité » s'appliquent aux omissions d'intervention suivantes :
(…)
• elle mentionne dans la note du 15 avril 2016 qu'elle entend envoyer son rapport d'évaluation à la fille de madame B. Or, comme il s'agit d'un rapport qui fait état des différents aspects de la perte d'autonomie de la majeure et qu'il y a des risques de préjudices si les résultats ne sont pas bien compris le rapport aurait dû être lu à Mme B en présence de sa fille.
• De plus, en omettant de rencontrer Mme B. seule afin de recueillir son point de vue sur la situation et sur une éventuelle relocalisation la travailleuse sociale ne reconnait pas le pouvoir d'agir de Mme B. sur sa situation et contrevient à la norme de pratique VI-C-223.
[Soulignements ajoutés]
[65] L’intimée témoigne de l’importance que son travail a pour elle.
[66] Elle trouve la réalité parfois difficile de donner le rapport à la personne majeure visée par la mesure de protection.
[67] Elle explique n’avoir jamais eu accès à de la supervision, et ce, depuis le début de sa pratique. Elle est seule pour gérer ses dossiers.
[68] Elle a suivi la formation de 3 jours en janvier 2016 sur les régimes de protection, mais elle affirme qu’aucun des aspects qui lui sont reprochés n’a été abordé au cours de celle-ci et les aspects pratiques ont peu été touchés.
[69] Elle explique maintenant faire dans ses dossiers tout ce que l’experte note dans son expertise et se réfère régulièrement au Guide de pratique sur « L’évaluation psychosociale dans le contexte des régimes de protection, du mandat donné en prévision de l’inaptitude et des autres mesures de protection au majeur ».
[70] Elle exerce en pratique privée seulement.
[71] Le Conseil tient compte des facteurs atténuants suivants.
[72] Selon l’intimée, il s’agit ici plus d’une formation déficiente que d’un comportement volontairement négligent.
[73] Il est clair que l’intimée a une volonté de s’amender et elle fait des efforts pour se réhabiliter en suivant tous les conseils contenus dans l’expertise et en se référant depuis au Guide reconnu par l’experte comme établissant les normes de pratique, ce qui est de nature à rassurer le Conseil.
[74] De toute évidence, elle ne veut pas commettre les mêmes erreurs.
[75] Elle n’a aucun antécédent disciplinaire.
[76] Elle a plaidé coupable et reconnu ses torts.
[77] Compte tenu des manquements, le Conseil croit qu’il y a un potentiel de récidive même s’il n’y aucune mauvaise foi de l’intimée. Le Conseil croit protéger adéquatement le public en faisant une recommandation de stage avec supervision, au Conseil d’administration de l’Ordre.
[78] Le plaignant cite les décisions suivantes à l’appui de sa suggestion de deux mois de radiation temporaire et une recommandation d’un stage supervisé :
Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux
(Ordre professionnel des) c. Couturier,
Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et
familiaux (Ordre professionnel des) c. Kerner,
Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et
familiaux (/'Ordre professionnel des)
c. Boudreault-Gagné,
Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et
familiaux (Ordre professionnel des) c. Delisle,
[79] La jurisprudence citée par ce dernier impose des sanctions variant de la radiation temporaire de deux mois à une limitation permanente d’exercice.
[80] Le Conseil a également consulté d’autres décisions qui donnent une fourchette variant de la réprimande[27] à l’amende minimale ou plus[28], à un mois[29] ou deux mois de radiation temporaire[30].
[81] Après avoir analysé la jurisprudence et tous les facteurs propres au présent dossier, le Conseil en vient à la conclusion qu’une période de radiation d’un mois est juste et adéquate pour assurer la protection du public, assurer la dissuasion de l’intimée et servir d’exemplarité aux membres de la profession.
[82]
Le Conseil recommandera aussi au Conseil d’administration de l’Ordre d’imposer
un stage avec supervision conformément à l’article
Chef 4 Tenue de dossiers
[83] La jurisprudence varie de la réprimande[31] à des amendes[32] à des radiations temporaires d’un mois[33] lorsqu’il y a une très grande quantité de dossiers concernés ou que la durée de l’infraction est importante.
[84]
Le Tribunal des professions[34]
rappelle que l’article
En conséquence, le Tribunal conclut qu’une réprimande est la sanction juste et appropriée en l’espèce, car, ne l’oublions pas, elle constitue un antécédent qui demeurera au dossier de l’appelant.
[Emphase ajoutée]
[85] Dans Avocats c. LeBoutillier[35], le comité déclare qu’une réprimande est une sanction appropriée pour une infraction ne mettant pas le public en danger lorsqu’un professionnel, sans antécédent disciplinaire, reconnaît sa faute, s’en excuse et exprime son repentir.
[86] Dans Cloutier c. Ingénieurs forestiers[36], le Tribunal des professions déclare déraisonnables les sanctions imposées par le conseil de discipline et les modifie en exprimant la directive que :
[46] Le Comité a erré dans l'imposition de la sanction en expliquant nullement pourquoi une réprimande ne pouvait être la sanction appropriée en l'espèce.
[47] De l'avis du Tribunal, dans le cas d'un premier délinquant trouvé coupable d'un manquement déontologique ne mettant pas directement en péril la protection du public, le Comité de discipline devrait expliquer, avant d'imposer toute autre forme de sanction, en quoi la réprimande n'est pas appropriée, à l'exception évidemment des cas où la sanction est mandatoire.
[Soulignements et emphase ajoutés]
[87] Dans une autre décision[37], il est référé aux décisions Blanchette[38] et Gingras[39]. Le Conseil réfère plus particulièrement à l’affaire Gingras comme suit :
(43) Il a déposé deux décisions[6] du Tribunal des professions. Dans la décision Gingras[7], le Tribunal écrit :
« En conséquence, le Tribunal conclut qu’une réprimande est la sanction juste et appropriée en l’espèce car, ne l’oublions pas, elle constitue un antécédent qui demeurera au dossier de l’appelant. »
(44) Il a affirmé qu’une réprimande est une vraie sanction et que le Conseil devrait imposer une réprimande à l’intimée.
(…)
[88] Le Conseil ne voit aucun motif pour lequel il peut s’écarter des enseignements du Tribunal des professions.
[89] L’intimée a suivi un cours sur la tenue de dossiers en 2017 et un autre sur les lois et balises déontologiques en octobre 2017.
[90] La réprimande est dans les circonstances juste et adéquate pour rencontrer les objectifs du droit disciplinaire.
[91]
L’intimée est aussi condamnée à payer les déboursés suivant l’article
[92] Un délai de 18 mois lui est accordé pour s’acquitter des déboursés, des frais d’expertise et des frais de publication.
B) POINT DE DROIT SUBSIDIAIRE : Les amendements à l’article
[93] Bien que la question : quelle est l’amende minimale applicable dans le présent dossier? est devenue sans objet vu la conclusion du Conseil d’imposer une réprimande, le Conseil croit utile de s’exprimer sur cette question puisque la présente décision pourrait faire l’objet d’un appel.
[94] La plaignante a d’ailleurs fourni une argumentation sur cette question de droit.
[95] Afin de répondre à cette question, le Conseil suit le plan détaillé ci-après.
B.1 Les amendements en cause
B.2 Le principe de la présomption de non-rétroactivité
B.2.1 Raison d’être du principe
B.2.2 La nouvelle loi a-t-elle un effet bénéfique pour tous?
B.2.3 Les nouvelles dispositions sont-elles de pure procédure?
B.2.4 Le législateur a-t-il prévu de façon expresse ou par
implication inévitable son intention de donner une portée rétroactive aux
amendements entrés en vigueur le 8 juin 2017 à l’article
B.3 Différences entre l’effet rétroactif, l’effet rétrospectif et l’effet prospectif ou immédiat de la loi
B.3.1 Effet prospectif
B.3.2 Effet rétrospectif
B.3.3 Effet rétroactif
B.4 Les modifications à la compétence d’un tribunal ne peuvent être rétroactives, à moins d’une disposition expresse.
B.5 L’arrêt Brosseau, Da Costa, la décision Rancourt et l’arrêt Tran
B.6 L’application de la règle du stare decisis
C) Conclusion
ANALYSE
B) Les
amendements à l’article
B.1 Les amendements en cause
[96] La Loi modifiant diverses lois concernant principalement l'admission aux professions et la gouvernance du système professionnel, « Loi 11 »[40] a apporté de nombreuses modifications au Code des professions[41].
[97] Celles qui nous concernent visent l’article 156 qui prévoit l’augmentation des amendes comme suit :
74. L’article 156 de ce code est modifié :
1 par le remplacement, dans le paragraphe c du premier alinéa, de « 1 000 $ et d’au plus 12 500 $ » par « 2 500 $ et d’au plus 62 500 $ »;
2 par le remplacement du deuxième alinéa par les suivants :
Le conseil de discipline impose au professionnel déclaré coupable d’avoir posé un acte dérogatoire visé à l’article 59.1 ou un acte de même nature prévu au code de déontologie des membres de l’ordre professionnel, au moins les sanctions suivantes :
a) conformément au paragraphe b du premier alinéa, une radiation d’au moins cinq ans, sauf s’il convainc le conseil qu’une radiation d’une durée moindre serait justifiée dans les circonstances;
b) une amende, conformément au paragraphe c du premier alinéa.
Dans la détermination des sanctions prévues au deuxième alinéa, le conseil tient notamment compte :
a) de la gravité des faits pour lesquels le professionnel a été déclaré coupable;
b) de la conduite du professionnel pendant l’enquête du syndic et, le cas échéant, lors de l’instruction de la plainte;
c) des mesures prises par le professionnel pour permettre sa réintégration à l’exercice de la profession;
d) du lien entre l’infraction et ce qui caractérise l’exercice de la profession;
e) de l’impact de l’infraction sur la confiance du public envers les membres de l’ordre et envers la profession elle-même.
Le conseil de discipline impose au professionnel déclaré coupable de s’être approprié sans droit des sommes d’argent et autres valeurs qu’il détient pour le compte de tout client ou déclaré coupable d’avoir utilisé des sommes d’argent et autres valeurs à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui avaient été remises dans l’exercice de sa profession, au moins la radiation temporaire conformément au paragraphe b du premier alinéa.
[98]
Le paragraphe c) du premier alinéa de l’article
[99] Pour répondre à la question B), il est nécessaire d’identifier quelle notion juridique est en jeu si on applique les nouvelles amendes à des infractions antérieures à leur entrée en vigueur le 8 juin 2017.
[100] L’arrêt Thibault c. Da Costa[42] rendue en 2014, avec respect, se démarque de la jurisprudence constante depuis fort longtemps au Québec sur la présomption de non-rétroactivité et ses exceptions.
[101] En effet, le Conseil n’a pas retracé une seule autre décision ou arrêt antérieur à l’arrêt Da Costa qui qualifie de rétrospectif un changement législatif qui modifie le droit existant au moment d’une infraction.
[102] Cette distinction est fondamentale, car si on applique la mauvaise notion, le judiciaire risque fort de se faire législateur, ce qui n’est pas son rôle.
[103] Notre démocratie repose sur cette séparation des pouvoirs entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.
[104] Le corpus jurisprudentiel a, en tout temps, considéré que de modifier le droit applicable à des gestes fautifs, anciennement appelés « délits » en droit civil, à des infractions à la loi ou à des manquements contractuels relevait de la notion de rétroactivité d’où l’application de la présomption de non-rétroactivité.
B.2 Le principe de la présomption de non-rétroactivité
B.2.1 Raisons d’être du principe
[105] Il y a deux raisons à l’existence de cette présomption de non-rétroactivité bien établie. La première est le besoin de sécurité dans la vie juridique qui s’oppose à ce que des actes accomplis sous l’empire d’une loi soient, après coup, appréciés par rapport à des règles qui n’existaient pas alors.
[106] La deuxième est que la rétroactivité se concilie difficilement avec le principe de la primauté du droit et son application peut être une source d'injustice, « faisant ainsi montre de duplicité et d’un manque de droiture qui, à la limite, peut effectivement miner l'efficacité même du droit comme instrument de direction des conduites humaines. »[43]
[107] Dans Boehringer Ingelheim (Canada) Ltée c. Laval (Ville)[44], le tribunal rappelle le principe puis la règle à l’effet que la rétroactivité ne doit pas créer une injustice :
La présomption de non-rétroactivité des lois
[22] Mentionnons en premier lieu la présomption de non-rétroactivité des lois. Ce principe était clairement exprimé par le juge Wright dans l’arrêt Re Athlumney[6] :
« [Traduction] Il se peut qu’aucune règle d’interprétation ne soit plus solidement établie que celle-ci : un effet rétroactif ne doit pas être donné à une loi de manière à altérer un droit ou une obligation existants, sauf en matière de procédure, à moins que ce résultat ne puisse pas être évité sans faire violence au texte. Si la rédaction du texte peut donner lieu à plusieurs interprétations, on doit l’interpréter comme devant prendre effet pour l’avenir seulement. »
[23] L’auteur Pierre-André Côté, dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois, souligne qu’une loi rétroactive doit demeurer exceptionnelle puisque « le besoin de sécurité dans la vie juridique s’oppose à ce que des actes accomplis sous l’empire d’une loi soient, après coup, appréciés par rapport à des règles qui n’existaient pas jusqu'alors »[7].
[30] Ainsi, entre deux interprétations dont l’une mène à une injustice ou une absurdité, il y a lieu de retenir celle qui ne conduit pas à un tel résultat.
[31] Dans l’arrêt Vandekerckhove[9], la Cour suprême, sous la plume du juge Cartwright, s’exprimait ainsi à ce sujet :
« There is ample authority for the proposition that when the language used by the legislature admits of two constructions one of which would lead to obvious injustice or absurdity the courts act on the view that such a result could not have been intended »
[Notre emphase et nos soulignés]
[108] La présomption de non-rétroactivité des lois s’explique donc par ses effets indésirables et ses atteintes à la primauté de la règle de droit[45] :
[30] L'incongruité que crée cette situation trouve écho dans les propos tenus par le professeur Côté, relativement aux lois rétroactives:
«La loi rétroactive présente effectivement certains caractères anti juridiques; elle se concilie difficilement avec le principe de la primauté du droit et son application peut être une source d'injustice. La loi rétroactive a pour effet qu'une même conduite se trouve successivement régie par deux règles: celle en vigueur au moment où elle a été tenue et celle édictée par la loi rétroactive. Le droit fait ainsi montre de duplicité. Il affiche un manque de droiture. Un recours trop répandu à ce procédé peut effectivement miner l'efficacité même du droit comme instrument de direction des conduites humaines. En remettant en cause le passé, la loi rétroactive est facteur d'insécurité pour l'individu.[19]»
[Nos soulignements et emphase]
[109] La primauté du droit « exige qu’un citoyen, avant d’adopter une ligne de conduite, puisse connaître à l’avance les conséquences qui en découleront sur le plan juridique »[46].
[110] Il n’y a aucune raison pour que ce principe fondamental à notre démocratie ne soit pas respecté en droit disciplinaire, hormis lorsque le législateur le prévoit expressément ou implicitement, de façon évidente.
B.2.2 Son application et ses exceptions
[111] La doctrine retient le principe de la non-rétroactivité des lois comme un principe fondamental suivant lequel les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation, tel qu’illustré par l’extrait suivant du recueil Interprétation des lois de Me Pierre-André Côté[47] :
474. Le principe général de la non-rétroactivité ne reçoit pas, en droit canadien, de consécration dans un texte législatif de portée générale. Principe fondamental issu du « jus commun » européen, il eut sans doute été superflu de le consacrer dans un texte. La loi rétroactive doit en effet rester exceptionnelle. Le besoin de sécurité dans la vie juridique s'oppose à ce que des actes accomplis sous l'empire d'une loi soient, après coup, appréciés par rapport à des règles qui n'existaient pas jusqu'alors.
[…]
475. Si la loi est muette sur le principe général de non-rétroactivité, ses affirmations jurisprudentielles sont, elles, fort nombreuses, sinon toujours heureusement formulées, comme on le verra. Le dictum du juge Wright dans l'arrêt Re Athlumney est souvent cité à ce sujet :
« [Traduction] Il se peut qu'aucune règle d'interprétation ne soit plus solidement établie que celle-ci : un effet rétroactif ne doit pas être donné à une loi de manière à altérer un droit ou une obligation existants, sauf en matière de procédure, à moins que ce résultat ne puisse pas être évité sans faire violence au texte. Si la rédaction du texte peut donner lieu à plusieurs interprétations, on doit l'interpréter comme devant prendre effet pour l'avenir seulement. »
476. Le principe a été affirmé souvent par la Cour suprême :
« Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation.
[Nos soulignements et emphases]
[112] La jurisprudence constante est au même effet. La Cour d’appel dans Charland c. Lessard[48], rappelle à nouveau le principe bien établi à l’effet qu’une loi ne produit pas d’effet rétroactif à moins que le législateur ne le décrète de façon expresse et non équivoque.
[113] Les lois nouvelles touchant le fond ne s'appliquent pas aux instances en cours puisque les droits des parties s’évaluent au jour où la cause d'action a pris naissance : le jour du délit, le jour de la formation du contrat, le jour de la perpétration de l'acte criminel, et ainsi de suite[49]. Cela se traduit en droit disciplinaire comme le jour de la commission de l’infraction disciplinaire.
[114] Dans cette affaire, la demanderesse ne put donc bénéficier du nouveau recours en oppression introduit dans la nouvelle Loi sur les sociétés par actions :
[63] Il est bien établi qu’une loi ne produit pas d’effet rétroactif à moins que le législateur ne le décrète de façon expresse et non équivoque [18]. La loi rétroactive demeure en effet exceptionnelle. Dans l’arrêt Gustavson Drilling, la Cour suprême décrit le principe de la non-rétroactivité de la loi en ces termes [19] :
Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation.
[64] Par ailleurs, il faut se garder de confondre les notions de « rétroactivité » et d’« application immédiate ». Une loi qui se veut d’application immédiate n’est pas, de ce seul fait, une loi rétroactive. Voici comment l’auteur Pierre-André Côté distingue ces deux notions [20] :
En principe, les lois nouvelles touchant le fond ne s'appliquent pas aux instances en cours, y compris celles qui sont en appel. Le processus judiciaire étant généralement déclaratif de droit, le juge déclare les droits des parties tels qu'ils existaient le jour où la cause d'action a pris naissance : le jour du délit, le jour de la formation du contrat, le jour de la perpétration de l'acte criminel, et ainsi de suite. Par contre, une loi de fond nouvelle est applicable à une instance en cours lorsqu’elle modifie de façon rétroactive le droit qui existait le jour du délit, du contrat, de l’acte criminel, et ainsi de suite. Une instance en cours pourra donc être régie par une loi nouvelle rétroactive, ceci valant même pour la loi rétroactive adoptée pendant que l’instance est pendante en appel.
[Notre emphase]
[115] Dans la cause Rouleau c. Mercier (Ville de)[50], le Tribunal partage l’avis et le raisonnement juridique de sa collègue, l’Honorable Annie Breault de la Cour du Québec, exprimés dans son jugement du 13 avril 2015, dans l’affaire Sarrasin c. Roy et al[51], à l’effet que lorsque le législateur est silencieux quant à sa volonté en matière d’effet temporel, il faut appliquer les présomptions développées par la « common law » et éviter d’interpréter la loi nouvelle de façon à créer un effet rétroactif ou encore porter atteinte à des droits acquis. Ainsi, l’amendement à un article du Code de procédure civile est jugé non applicable aux instances en cours :
[13] Concernant le principe de la non-rétroactivité des lois, la Juge Breault s’exprime ainsi :
[16] Il appartient au législateur de préciser l’effet dans le temps d’une loi, et ce, lors de son adoption. Lorsque le législateur est silencieux quant à sa volonté en matière d’effet temporel, il faut appliquer les présomptions développées par la common law et éviter d’interpréter la Loi nouvelle de façon à créer un effet rétroactif ou encore porter atteinte à des droits acquis.
[….]
[39] Au Québec, comme ailleurs au pays, les principes d’interprétation quant à l’effet temporel des lois relèvent de la common law, lorsque l’Assemblée nationale ne précise pas sa volonté en matière de rétroactivité ou autre méthode d’application de la loi nouvelle (…).
[40] La common law reconnaît deux présomptions en matière de droit transitoire : une loi ne doit pas être interprétée de manière à avoir un effet rétroactif ni à porter atteinte aux droits acquis. Même si elles ont déjà été confondues, ces deux présomptions sont distinctes (…). Évidemment, le principe cardinal demeure l’intention du législateur, mais en cas de silence, comme en l’espèce, ces deux règles trouvent application.
[….]
[116] La décision dans Gestion Jean & Guy Hurteau inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu) (Agence du revenu du Québec)[52], est un exemple où la Cour accepte que la loi puisse avoir un effet rétroactif lorsqu’elle contient une disposition lui donnant effet à un jour antérieur à son entrée en vigueur :
[96] Ainsi, une loi a un effet rétroactif lorsqu’elle contient une disposition qui lui donne effet à compter d’un jour antérieur à sa sanction [72], ce qui est le cas ici.
[97] Pierre-André Côté propose une méthode pour analyser l’effet rétroactif d’une loi :
« […] il y a effet rétroactif lorsqu’une loi nouvelle s’applique de façon à prescrire le régime juridique de faits entièrement accomplis avant son entrée en vigueur. Pour déterminer si l’application d’une loi nouvelle conduit à lui donner un effet rétroactif, il est commode de procéder à une analyse en trois étapes : identification des faits juridiques, localisation temporelle de ces faits et qualification. [73] […] »
[Notre emphase, références omises]
[117] Dans Bazile c. Fonds d'indemnisation en assurance de personnes[53], la Cour réitère aussi la règle générale selon laquelle les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive, à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation. Il existe même un principe à l’effet qu’une loi est, à première vue, d’application prospective :
29 Notons en premier lieu, les dispositions de la Loi d'interprétation (L.R.Q. ch. 1-16):
50. Nulle disposition légale n'est déclaratoire ou n'a d'effet rétroactif pour la raison seule qu'elle est énoncée au présent du verbe.
30 Ensuite, l'Honorable Louis-Philippe Pigeon, rappelant le pouvoir de la Législature à décréter des lois ayant un effet rétroactif, y compris des lois déclaratoires, écrivait dans une décision de la Cour Suprême du Canada:
Cependant, cela ne se présume pas.2
31 L'année précédente, l'Honorable Brian Dickson, plus tard Juge en chef du Canada, avait écrit:
Premièrement, la rétroactivité. Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation.3
32 Encore plus tôt, dans une décision de 1939, l'Honorable Juge Davis de la Cour Suprême du Canada, écrivait:
The principle is too well established to require authority that a statute is “prima facie” prospective unless it contains express words or there is the plainest implication to the contrary effect.4
[Nos emphases et soulignements, références omises]
[118] Droit de la famille — 093312[54], réfère à des autorités soutenant qu’une loi rétroactive modifie la loi par rapport à ce qu'elle était ou rend la loi différente de ce qu'elle serait autrement à l'égard d'un événement antérieur. De même, il y va de l'intérêt social à reconnaître l'application immédiate de la loi nouvelle lorsqu'elle a pour fonction d'améliorer la situation des personnes, de valider des actes ou d'apporter un remède.
[119] À l’inverse, celles qui désavantagent les individus sont présumées ne pas être rétroactives :
[29] Traitant des mêmes principes, la Cour d'appel du Québec écrit:
48. Finalement, il faut souligner l'intérêt social à reconnaître l'application immédiate de la loi nouvelle lorsqu'elle a pour fonction d'améliorer la situation des personnes, de valider des actes ou d'apporter un remède. Loin d'apporter le chaos, ces lois stabilisent plutôt les situations juridiques.
49. Une analogie peut à ce sujet être faite avec les principes applicables en matière de rétroactivité. La Cour suprême limite la présomption de non-rétroactivité des lois aux seules règles qui désavantagent les individus (Brosseau, précité) :
Ce qu'on appelle la présomption de non-rétroactivité ne s'applique qu'aux lois qui ont un effet préjudiciable. Elle ne s'applique pas à celles qui confèrent un avantage.
Ainsi, il n'y a pas de fardeau à renverser avant de reconnaître la rétroactivité d'une loi qui apporte un bénéfice.
[Nos soulignements]
[120] Une loi à effet rétroactif est celle qui modifie le droit ou les règles à l’égard d’une « situation constituée » antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il peut être fait exception à la présomption de non-rétroactivité en trois circonstances ou exceptions :
a) Si la loi est bénéfique;
b) S’il s’agit de modifications de pure procédure, c’est-à-dire qu’elle n’atteint aucun droit substantiel;
c) Si le législateur prévoit de façon expresse ou par implication inévitable que la loi a un effet rétroactif.
[121] Ainsi,
c’est clairement un effet rétroactif qu’auraient les modifications à l’article
[122] L’une ou l’autre des exceptions s’appliquent-elles?
B.2.3 La nouvelle loi a-t-elle un effet bénéfique pour tous?
[123] De toute évidence, la réponse est non.
B.2.4 Les nouvelles dispositions sont-elles de pure procédure?
[124] Il est décidé dans Paquin c. Avocats[55] que la modification doit être de « pure » procédure pour être rétroactive. Le Tribunal des professions réfère à l’auteur Pierre A. Côté comme suit :
[40] Enfin, traitant de la "loi de procédure", il précise ([23]) :
" Il ne suffit pas que la loi soit une loi de procédure : elle doit, pour s'appliquer immédiatement, avoir, dans les circonstances concrètes où elle doit s'appliquer, un effet sur la «procédure seulement» («procedure only»), elle ne doit être que de «simple procédure» («mere procedure») ou de «pure procédure». Il est en effet des cas où un changement dans la procédure peut compromettre l'exercice d'un droit :
«Les règles de procédure ne sont pas toujours de pures règles de forme, sans conséquence sur le fond ou la substance du droit. [L]a procédure, dans certains cas, s'associe si profondément au droit lui-même, l'affecte si radicalement, que la survie de la procédure existante devient une condition essentielle du droit lui-même.384»
384 Boisclair c. Guilde des employés de la Cie Toastess Inc., précité, note 264, 813 (j. LeBel). "
[Nos soulignements]
[125] Le présent
Conseil est d’avis qu’il est clair que les modifications à l’article
[126] Dans l’affaire R. v. Lungal[56], un changement aux droits d’un accusé de se défendre des accusations portées contre lui est considéré comme un changement à un droit substantif et non de simple procédure :
The amendments define the type and content of evidence which is available to the accused to rebut an otherwise conclusive presumption. They set out what kind of evidence is not capable of rebutting the presumption. Essentially, evidence directed solely to rebutting an essential element of the offence (blood alcohol level) is not sufficient. Evidence respecting other matters (not related to the essential elements of the offence) is required. This is a significant change.
This change in the law relates the right of the accused to respond to the Crown’s case. That is a substantive right - it transcends procedure.
Moreover, it is no longer the sole purview of the Court to determine the sufficiency of evidence adduced to rebut the presumption. It can only be rebutted in the manner set out.
The amendments affect not only the conduct but the "content" of the defence. »[62]
[Notre emphase, référence omise]
[127] Pour avoir un effet rétroactif aux instances en cours, il est bien expliqué dans Droit de la famille — 093312[57], qu’une loi à effet purement procédural ne doit régler que la procédure et ne toucher en aucune façon aux règles de fond.
[128] Dans Sarrasin c. Roy[58], la Cour décide que le fait de retirer au défendeur le bénéfice de la réduction volontaire de la créance, constitue un effet qui n’est pas purement procédural et qui lui est préjudiciable :
[44] De plus, le fait de retirer au défendeur le bénéfice de la réduction volontaire de la créance constitue un effet qui n’est pas purement procédural et qui lui est, à mon avis, préjudiciable au sens de ce qu’entendait la Cour suprême dans l’arrêt Angus c. Sun Alliance compagnie d’assurance[13].
[45] En conséquence, les présomptions de
non-rétroactivité de la loi nouvelle et de respect des droits acquis, en
l’absence d’une disposition claire du législateur et en l’absence d’une
exception d’application immédiate, empêchent l’application du nouvel article
[Nos emphases et nos soulignements, référence omise]
[129] L’aspect préjudiciable auquel il est référé est expliqué comme suit dans Angus c. Sun Alliance compagnie d’assurance[59], à savoir que des droits matériels sont touchés ou que quelqu’un subit un préjudice de la modification, ce qui s’applique en l’instance, vu l’augmentation de l’amende à 2 500 $ au lieu de 1 000 $ :
Cette affaire constitue une bonne illustration des raisons de politique générale pour lesquels les lois ne doivent pas avoir d'application rétroactive en l'absence d'une intention à cet effet que la loi décrète expressément ou exige implicitement. Les droits matériels des compagnies d'assurances sont touchés par la décision du juge Galligan. Le raisonnement concernant la prescription s'applique à fortiori à la situation des compagnies d'assurances. Celles-ci calculent leurs primes en tenant compte des facteurs de risque connus. Lorsque les taux relatifs au contrat en question en l'espèce ont été calculés, il était "connu" que ce risque en particulier--une poursuite en responsabilité civile par Diane Angus contre son mari--était écarté par l'art. 7. La compagnie d'assurances s'est fondée sur cette "connaissance" pour fixer ses taux. Une modification rétroactive de cette situation ne devrait pas être présumée à la légère. Dans l'arrêt Martin c. Perrie, précité, cette Cour a conclu que la modification d'un délai de prescription pour intenter des poursuites pour faute médicale (d'une année à compter de l'acte à une année à compter de la date de la découverte du préjudice) ne pouvait pas avoir d'effet rétroactif étant donné que les médecins auraient pu se fonder sur l'ancienne disposition pour organiser leurs affaires (p. ex. en détruisant des dossiers) d'une telle manière qu'ils auraient subi des préjudices en raison de la modification. À mon avis, l'analogie en l'espèce est évidente.
[Soulignements ajoutés]
[130] Dans R. c. Loiseau[60], l’Honorable juge Buffoni se pose la question sur l’intention du législateur en l’absence de dispositions transitoires prévues par ce dernier et conclut que pour ce faire, il faut regarder s’il s’agit d’amendements de pure procédure ou si cela touche les droits substantifs. Si ces amendements se rapportent au droit substantiel, ils sont présumés avoir un effet prospectif seulement :
[18] La question cruciale est de savoir si les amendements touchent la procédure et la preuve, auquel cas ils sont présumés avoir un effet rétrospectif, ou s’ils se rapportent plutôt au droit substantiel, auquel cas ils sont présumés avoir un effet prospectif.
[19] Les amendements en question modifient de manière significative le droit antérieur. Ils abolissent dans la plupart des cas la défense de type Carter fondée sur le scénario de consommation. Ils alourdissent considérablement les moyens de soulever un doute raisonnable.
[20] Soit dit avec égards pour l’opinion contraire, le tribunal estime que ces amendements vont au-delà de la preuve et de la procédure. Ils touchent véritablement le droit substantiel.
[21] C’est pourquoi ces amendements doivent être présumés prospectifs.[5]
[22] Pour contrer cette présomption, il aurait fallu - et il aurait suffi - que la loi le dise.
[Notre emphase et soulignements ajoutés]
[131] De la
cause de Dulude[61],
on peut conclure que modifier la sanction comme le fait l’article
[52] Dans l’affaire Bickford[21], la Cour d’appel d’Ontario reprend les principes mis de l’avant dans Wildman, et s’exprime ainsi:
«[…]
[53] La poursuite se réclame de ce passage et soumet que les nouvelles dispositions ne modifient ni les éléments constitutifs de l’infraction reprochée, ni la substance de la loi, ni le fardeau de preuve de chacune des parties, tel que mentionné plus haut.
(…)
[86] En effet, sous une apparence procédurale, une modification peut receler une véritable atteinte aux droits substantifs. Ainsi, en a décidé la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire de R. v. K (D.W.[66]) qui se penchait sur les modifications apportées à la défense d’erreur de fait quant au consentement d’une victime d’agression sexuelle. L’article 273.2 b) limitait ce moyen de défense d’une façon telle qu’il se voyait exclu lorsque l’accusé n’avait pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait connaissance, pour s’assurer du consentement de la victime. La Cour a conclu que les modifications, puisqu’elles limitaient un moyen de défense, apportaient un changement au droit substantif et ne pouvaient par conséquent se voir accorder une portée rétrospective.
[112] De plus, l’obligation, pour la défense, d’établir un lien de causalité entre les résultats attaqués et le mauvais fonctionnement ou la mauvaise utilisation de l’appareil, modifie, sinon dans son libellé, à tout le moins dans sa charge intellectuelle, le fardeau de preuve de la défense.
[117] La loi ne contient aucune disposition transitoire explicite quant à l’effet rétrospectif de la loi.
…
[119] Dans l’affaire R. v. Sung[77], le juge Clearly fait écho à ces propos en mentionnant que les nouvelles dispositions reflètent la confiance qu’a le Parlement en la fiabilité des appareils approuvés et en la reconnaissance des avancements technologiques des dernières années à leur égard.
[120] Cela est sans conteste vrai et aura force de loi pour le futur, mais ne révèle en rien, aux yeux du Tribunal, une intention d’application rétrospective de la loi.
[Nos emphases et nos soulignements, références omises]
[132] En conclusion, l’augmentation de l’amende minimale et maximale, n’est pas une modification de pure procédure, mais une modification préjudiciable aux droits substantiels de l’intimée et elle ne peut recevoir conséquemment d’application rétroactive à l’instance en cours dont les infractions se sont produites avant l’entrée en vigueur de la Loi 11.
[133] La Loi
11 ne comporte aucune disposition expresse quant à l’intention du
législateur de donner une portée rétroactive à l’article
[134] Le libellé
de l’article
[135] La loi 11 prévoit les seules dispositions transitoires suivantes :
152. Malgré l’article
153. L’article
154. Une poursuite intentée avant le 8
juin 2017 peut servir de fondement à une requête visée à l’article
155. Les dispositions de la présente loi entrent en vigueur le 8 juin 2017, à l’exception :
1 de celles de l’article 29, qui entreront en vigueur le 8 juillet 2017;
2 de celles des articles 1, 3, 5, 45, 48, 49, 58 et 59, qui entreront en vigueur le 1er janvier 2018;
3 de celles de l’article 39, qui entreront en vigueur le 8 juin 2018;
4 de celles de l’article 146, qui entreront en vigueur à la date fixée par le gouvernement.
[Notre emphase]
[136] On peut constater que le législateur s’est exprimé clairement quant à l’effet temporel de ses modifications lorsqu’il a voulu donner une portée rétroactive (article 153) ou une portée rétrospective (article 154) à la Loi 11.
[137] On peut
donc en déduire, a contrario, compte tenu de la jurisprudence en matière
de présomption de non-rétroactivité, qu’il n’a pas entendu donner de tels
effets aux modifications de l‘article
[138] Dans l’affaire Bélanger[62], une disposition transitoire exprime clairement l’intention du législateur de donner une portée rétroactive :
DISPOSITIONS TRANSITOIRES
10.(1)
Sous réserve du paragraphe (2), la procédure d’examen expéditif prévue par les articles
[Soulignements ajoutés]
[139] Dans Longueuil (Ville de) c. Carquest Canada Ltée.[63], la Cour conclut qu’on peut présumer que le législateur ne fait pas de changement aussi important sans prévoir, par des dispositions transitoires, l’application aux situations juridiques en cours :
[23] En raison des bouleversements que cela aurait créés, il est raisonnable de supposer que le législateur n'aurait pas fait un changement aussi important sans manifester de façon absolument claire son intention à cet effet et sans prévoir des mesures transitoires [6]. Une modification à des règles de prescription entraîne presque toujours des règles transitoires, et ce, afin de prévoir l'application des nouvelles dispositions aux situations juridiques en cours.
[Nos emphases]
[140] Dans l’affaire Entreprises Jacques Dufour et Fils inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu)[64], il est réitéré qu’il faut tenir compte du contexte global de la disposition pour déterminer si elle est susceptible de plusieurs interprétations, mais ce, après avoir tenté de déterminer l’intention du législateur en s’appuyant sur tous les principes d’interprétation législative y compris les présomptions :
[34] La Cour suprême en profite pour mettre à jour l'approche élaborée dans l'arrêt Gustavson Drilling[21] qui limite la présomption aux seuls cas où la loi est ambiguë ou susceptible de plusieurs interprétations:
« Cet énoncé doit être quelque peu nuancé à la lumière de la jurisprudence récente de notre Cour. Comme le dit la professeure Sullivan, il faut se garder de tomber dans le piège des derniers vestiges de l’interprétation littérale des lois :
[traduction] Ces propos sont trompeurs dans la mesure où ils reprennent la règle du sens ordinaire. Les valeurs inhérentes à la présomption contre l’empiétement sur des droits acquis, soit éviter l’injustice et observer la règle de droit, guident l’interprétation dans tous les cas, pas seulement lorsque le tribunal dit constater une ambiguïté. Le tribunal doit d’abord déterminer l’intention du législateur et, [. . .] à cette fin, il doit s’appuyer sur tous les principes d’interprétation législative, y compris les présomptions. [p. 576]
Depuis l’adoption de la méthode moderne
d’interprétation législative, notre Cour a maintes fois indiqué qu’il faut
tenir compte du « contexte global » de la disposition pour déterminer si elle est raisonnablement susceptible de
plusieurs interprétations (voir p. ex. Bell Express Vu Limited
Partnership c. Rex,
[Nos doubles-soulignements]
[141] Il en est décidé de même dans l’arrêt Green c. R.[65] :
[50] In a nutshell, the
provisions of the new section
[51] Though the presumption against retrospective application may be rebutted by evidence of a “clear legislative intent that [the statute] is to apply retrospectively”[18], there is no such clear legislative intent here. Parliament can be assumed to understand the impact of not dealing with the issue of retrospective application in the legislation it passes. Absent clear legislative intent or a constitutional imperative, courts have no residual discretion to apply legislation retrospectively in order to accord with a subjective view of optimal fairness.
[Nos emphases]
[142] Le Conseil
est du même avis face aux changements significatifs apportés à l’article
[143] Beaucoup de confusion existe quant à la distinction entre l’effet rétroactif, l’effet rétrospectif et l’effet prospectif d’une loi[66] où les termes sont malheureusement interchangés alors qu’ils visent chacune des situations différentes.
B.3.1 Effet prospectif
[144] L’effet prospectif est limpide en ce que les nouvelles dispositions ne s’appliquent qu’aux faits ou situations juridiques qui surviennent après leur adoption. En cas de silence du législateur, les lois sont censées être prospectives seulement.
B.3.2 Effet rétrospectif
[145] Dans Forest et Unitcast Canada Ltee[67], le commissaire souligne les difficultés qui existent en jurisprudence quant à la distinction entre l’effet rétroactif et l’effet immédiat, qui constitue un autre vocable pour l’effet rétrospectif :
Pour fondamentale qu'elle soit, la distinction de l'effet rétroactif et de l'effet immédiat ou, si l'on préfère, de la non-rétroactivité et du respect des droits acquis, ne manque pas de soulever des difficultés d'application et souvent le même problème est analysé par certains juges comme un problème de rétroactivité et par d'autres comme un problème d'effet immédiat. Ces difficultés sont normales si on tient compte de la complexité de la matière et elles ne devraient pas remettre en cause l'évolution jurisprudentielle qui a mené, avec l'affaire Gustavson Drilling, à la consécration de la distinction entre le principe de non-rétroactivité de la loi et celui du respect des droits acquis.
[146] La décision dans Krichtoff c. Québec (Contrôleur des armes à feu)[68], présente un cas d’application rétrospective tout comme dans 9257-2486 Québec inc. c. Régie du bâtiment du Québec[69], car il s’agit de l’adoption d’une loi qui tient compte de l’existence d’un casier judiciaire antérieur pour la délivrance d’un permis de possession d’armes à feu. Ces lois ont une portée rétrospective :
[8] Il existe un principe d’interprétation des lois qui permet d’invalider une disposition législative si elle a pour effet de modifier les droits et obligations pour des situations antérieures à l’entrée en vigueur de la loi. Le législateur peut toujours vouloir donner des effets rétroactifs en le mentionnant expressément ou tacitement. En résumé, l’exercice d’interprétation approprié consiste à distinguer des effets rétroactifs de la loi de l’application immédiate de la loi à des faits pendants. L’auteur Me Pierre-André Coté[3] fait état d’une étude intéressante sur la théorie des effets immédiats sur des faits pendants dispersés de part et autre de l’entrée en vigueur d’une loi :
«Le cas qui vient d'être décrit correspond, dans le système de Héron, à l'hypothèse de la «dispersion des faits»: les faits qui amènent l'application du règlement ne se sont produits ni avant, ni après l'entrée en vigueur de celui-ci. Ce sont des faits «pendants», dispersés de part et d'autre de l'entrée en vigueur»
[9] L’entrée
en vigueur de la LAF ne vient pas changer la nature intrinsèque de l’antécédent
de voie de fait. Elle donne cependant des effets nouveaux à une situation
pendante à savoir l’existence d’un casier judiciaire comportant une
condamnation pour une infraction figurant à la liste de l’article
[10] À mon avis, le législateur en adoptant la LAF a clairement signifié qu’il entendait resserrer les critères d’admissibilité pour la possession d’arme à feu. Pour ce faire, la technique d’une loi avec effet rétrospective a été employée pour donner légalement des conséquences dans l’avenir à une situation pendante même si l’évènement a pris naissance avant l`entrée en vigueur de la loi. En doctrine, l’auteur E.A. Driedger[4] commente l’effet d’une loi rétrospective de la façon suivante :
« Une loi rétroactive est une loi dont l'application s'applique à une époque antérieure à son adoption. Une loi rétrospective ne dispose qu'à l'égard de l'avenir. Elle vise l'avenir, mais elle impose de nouvelles conséquences à l'égard d'évènements passés. Une loi rétroactive agit à l'égard du passé. Une loi rétrospective agit pour l'avenir, mais elle jette aussi un regard vers le passé en ce sens qu'elle attache de nouvelles conséquences à l'avenir à l'égard d'un événement qui a eu lieu avant l'adoption de la loi. Une loi rétroactive modifie la loi par rapport à ce qu'elle était; une loi rétrospective rend la loi différente de ce qu'elle serait autrement à l'égard d'un événement antérieur.»
[11] Dans l’espèce, le plaidoyer de culpabilité remonte au
27 février 1998 et la demande présentée par le requérant est datée du 31
décembre 2000. Le contrôleur pouvait légalement évaluer cet antécédent à
titre de critère d’admissibilité. L’article
[Nos emphases et soulignements ajoutés, références omises]
[147] La décision dans 9257-2486 Québec inc. c. Régie du bâtiment du Québec[70], illustre aussi le propos. En effet, la loi qui prévoit une restriction à une licence d’entrepreneur, lorsque ce dernier a été condamné, dans les cinq dernières années, pour une infraction criminelle, est une loi rétrospective et non rétroactive :
2. L’effet rétroactif ou rétrospectif d’une loi
[21] L’article 65.1 de la Loi prévoit que la restriction imposée à une licence d’entrepreneur s'applique lorsque l'entrepreneur a été condamné «dans les cinq dernières années». Le législateur a-t-il ainsi donné un effet rétroactif à cette disposition? À cet égard, il y a lieu de relire ce qu’écrivait l’honorable Iacobucci dans l’arrêt Benner[11] prononcé en février 1997:
«[39] Les mots rétroactivité et rétrospectivité, bien que fréquemment utilisés dans le domaine de l’interprétation des lois peuvent porter à confusion. E. A. Driedger, dans Statutes: Retroactive Retrospective Reflections (1978), 56 R. du B. can. 264, aux pp. 268 et 269, en a proposé des définitions concises, que j’estime utiles. Voici ces définitions:
[traduction] Une loi rétroactive est une loi dont l’application s’applique à une époque antérieure à son adoption. Une loi rétrospective ne dispose qu’à l’égard de l’avenir. Elle vise l’avenir, mais elle impose de nouvelles conséquences à l’égard d’événements passés. Une loi rétroactive agit à l’égard du passé. Une loi rétrospective agit pour l’avenir, mais elle jette aussi un regard vers le passé en ce sens qu’elle attache de nouvelles conséquences à l’avenir à l’égard d’un événement qui a eu lieu avant l’adoption de la loi. Une loi rétroactive modifie la loi par rapport à ce qu’elle était; une loi rétrospective rend la loi différente de ce qu’elle serait autrement à l’égard d’un événement antérieur.»
[22] En l’occurrence, rien n’indique que le législateur ait voulu donner un effet rétroactif à l’article 65.1 de la Loi. Cette disposition amène pour l’avenir une conséquence nouvelle en raison d’un évènement s’étant produit avant l’entrée en vigueur de la loi, ici « depuis moins de cinq ans». En l’espèce, il est clair que le législateur a voulu donner un effet rétrospectif et non rétroactif à la Loi.
[Nos emphases et soulignés, références omises]
[148] La Cour d’appel dans A. (P.) c. G. (C.)[71] reconnaît la portée rétroactive d’une loi qui a pour fonction d'améliorer la situation des personnes, de valider des actes ou d'apporter un remède, dont une loi qui fournit une solution à des couples aux prises avec un mariage susceptible d'être annulé :
Selon cette présomption, la rétroactivité ne
peut exister qu'en présence d'un texte clair ou par implication nécessaire (Brosseau
c. Alberta Securities Commission 1989 CanLII 121 (CSC),
48 Finalement, il faut souligner l'intérêt social à reconnaître l'application immédiate de la loi nouvelle lorsqu'elle a pour fonction d'améliorer la situation des personnes, de valider des actes ou d'apporter un remède. Loin d'apporter le chaos, ces lois stabilisent plutôt les situations juridiques.
49 Une analogie peut à ce sujet être faite avec les principes applicables en matière de rétroactivité. La Cour suprême limite la présomption de non-rétroactivité des lois aux seules règles qui désavantagent les individus (Brosseau, précité) :
Ce qu'on appelle la présomption de non-rétroactivité ne s'applique qu'aux lois qui ont un effet préjudiciable. Elle ne s'applique pas à celles qui confèrent un avantage.
Ainsi, il n'y a pas de fardeau à renverser avant de reconnaître la rétroactivité d'une loi qui apporte un bénéfice.
(…)
Ce raisonnement est applicable à la loi ici en cause. La Loi sur le mariage (degrés prohibés) fournit une solution à des couples aux prises avec un mariage susceptible d'être annulé. Elle apporte un remède à la situation précaire dans laquelle se trouvent ces individus qui ont justement souhaité vivre comme mari et femme. Une loi validant un mariage que les parties ont désiré s'inscrit dans la lignée des lois renforçant la stabilité sociale et juridique. Son application immédiate aux mariages en cours est justifiée.
[Nos emphases et nos soulignements]
[149] Dans Droit de la famille — 093312[72], il s’agit aussi d’un effet rétrospectif quant aux jugements passés, mais aussi applicable aux procédures en cours, la présomption de non-rétroactivité ne s’appliquant pas vu que la loi se qualifie de loi de pure procédure :
[27] Le Tribunal conclut que la Loi sur l'application réciproque d'ordonnances alimentaires n'est pas rétroactive, mais qu'elle est d'application immédiate. Le Décret 642-2006, ajoutant l'État du New Hampshire aux États auxquels s'applique la Loi, étant entré en vigueur en 2006, la procédure de demande de paiement entreprise en 2009 doit être traitée en fonction de cette Loi, même si le jugement permettant cette procédure est antérieur au décret:
« Par application générale des lois de pure procédure, on entend signifier que ces lois, à quelque moment qu'elles prennent effet, sont présumées être dès lors applicables à l'égard de tous les faits de procédure qui se produisent subséquemment, indépendamment de la relation que ces faits peuvent entretenir avec des faits antérieurs, […] Ces lois s'appliquent même à des procédures relatives à des faits passés et même à l'égard de procédures ou d'instances en cours, pour ce qui regarde uniquement, cependant, leur déroulement postérieur au moment de la prise d'effet des lois de procédure nouvelles. »[5]
[Notre soulignement]
[Référence omise]
[150] Tous ces exemples permettent de mieux distinguer l’effet rétrospectif de l’effet rétroactif et de constater que le présent dossier n’est pas un cas d’application de la notion de « rétrospectivité », mais implique bien la présomption de non-rétroactivité.
[151] L’arrêt très récent de la Cour suprême du Canada dans Tran[73] implique aussi un cas d’application rétrospective :
[43] La présomption du caractère non
rétrospectif confirme la justesse de cette conclusion. Bien que je partage
l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle l’al. 11i) de la Charte
ne s’applique pas à la décision du délégué du ministre, parce que la procédure
n’est ni criminelle ni pénale, la présomption du caractère non rétrospectif est
une règle d’interprétation législative applicable dans la présente affaire.
Cette présomption vise à protéger les droits acquis et à éviter une
modification de la loi qui découle d’un regard [traduction]
« orienté[e] vers le passé et [qui] joi[gne] de nouvelles conséquences
préjudiciables à une transaction complétée » : Driedger (1983),
p. 186. Selon cette présomption, « les lois ne doivent pas être
interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi
ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle
interprétation » : Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre
du Revenu national, 1975 CanLII 4 (CSC),
[44] La présomption du caractère non rétrospectif fait
intervenir la primauté du droit. Comme Lord Diplock l’a expliqué, la primauté
du droit [traduction] « exige
qu’un citoyen, avant d’adopter une ligne de conduite, puisse connaître à
l’avance les conséquences qui en découleront sur le plan juridique » :
Black-Clawson International Ltd. c. Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg
A.G., [1975] A.C. 591 (H.L.), p. 638. Comme la Cour l’a expliqué dans
le Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC),
[45] La présomption du caractère non rétrospectif est également
un signe d’équité : R. c. K.R.J.,
[Nos emphases et soulignements]
[152] Ce qu’il faut donc retenir est que l’effet rétrospectif ne vise jamais à « sanctionner » une conduite ou infraction antérieure, mais seulement à appliquer pour le futur de nouvelles conséquences à des situations passées telle l’existence d’un casier judiciaire dans les cinq dernières années, par exemple.
[153] L’article
B.3.3 Effet rétroactif
[154] Une loi à effet rétroactif est celle qui modifie le droit ou les règles à l’égard d’une « situation constituée » antérieurement à l’entrée en vigueur de la Loi nouvelle. Il peut être fait exception à la présomption de non-rétroactivité s’il s’agit de modifications de pure procédure ou si elle ne crée pas de préjudice.
[155]
Ainsi, c’est clairement un effet rétroactif qu’auraient les
modifications à l’article
[156] Un arrêt important[74] vient d’être rendu dans une situation impliquant une loi à portée rétrospective. La toile de fond est bien résumée par l’arrêtiste comme suit :
T, un résident permanent au Canada, a été accusé d’une infraction fédérale passible, au moment de sa commission, d’une peine maximale de sept ans d’emprisonnement. Après que T a été accusé, mais avant qu’il soit déclaré coupable, la peine maximale dont était passible ceux qui se rendaient coupables de l’infraction a été portée à 14 ans d’emprisonnement. T a été déclaré coupable de l’accusation portée contre lui et il a été condamné à une peine de 12 mois d’emprisonnement avec sursis à purger dans la communauté.
[157] Après que
T a été déclaré coupable et que sa peine lui a été infligée, des agents
d’immigration ont préparé un rapport selon lequel il était interdit de
territoire au Canada pour grande criminalité, en application de l’al.
[158] Suivant cette disposition, un résident permanent est interdit de territoire au Canada s’il a été déclaré coupable au Canada d’une infraction fédérale punissable d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins 10 ans, ou d’une infraction fédérale pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de plus de six mois.
[159] Le rapport a ensuite été soumis à un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile qui a décidé de l’adopter et de déférer l’affaire à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour enquête.
[160] La Cour suprême dans l’arrêt Tran[75] rappelle que les règles d’interprétation législative imposent au législateur d’indiquer clairement les effets rétroactifs ou rétrospectifs souhaités. Ces règles garantissent que le législateur a réfléchi aux effets souhaités et que les avantages de la rétroactivité (ou du caractère rétrospectif) l’emportent sur les possibilités de perturbation ou d’iniquité.
[161] Sans cela, il faut présumer que le législateur n’a pas souhaité de tels effets[76] :
[48] La présomption est un outil pour cerner la portée temporelle voulue de la loi. En l’absence d’une indication selon laquelle le législateur a envisagé qu’une loi soit rétrospective et possiblement inéquitable, il faut présumer qu’il n’a souhaité ni l’un ni l’autre :
Il
n’existe aussi aucune exigence générale que la législation ait une portée
uniquement prospective, même si une loi rétrospective et rétroactive peut
renverser des expectatives bien établies et être parfois perçue comme étant
injuste : voir E. Edinger, « Retrospectivity in Law »
(Imperial Tobacco, par. 71, juge Major)
[49] La présomption existe pour garantir que les lois ne s’appliquent rétrospectivement que lorsque le législateur a clairement indiqué qu’il a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif, d’une part, et l’iniquité potentielle, d’autre part. Sans cela, il faut présumer que le législateur n’a pas souhaité de tels effets.
[50] Règle générale, un texte exprès ou nettement implicite en ce sens (Gustavson Drilling, p. 279) donne l’indication nécessaire que le législateur a réfléchi à la question de la rétrospectivité. L’exception relative à la « protection du public » permet que la législation protective ait un effet rétrospectif même en l’absence d’un texte de loi exprès ou nettement implicite en ce sens, dans la mesure où il ressort autrement de l’intention du législateur qu’il en soit ainsi. Cela dit, conformément à l’objectif sous-jacent de la présomption, l’exception s’applique uniquement lorsque la structure de la pénalité elle-même illustre que le législateur a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif, d’une part, et ses effets inéquitables potentiels, d’autre part. Ce sera le cas lorsqu’il y a clairement un lien entre la mesure protective et les risques encourus par le public associés à la conduite antérieure à laquelle ils se rattachent. Dans de tels cas, comme dans Brosseau, l’étendue de la protection doit s’aligner avec les risques précis engendrés par ceux qui ont eu une conduite dommageable spécifique et elle est façonnée pour prévenir ces risques pour l’avenir : voir Brosseau, p. 319 et 320, citant R. c. Vine (1875), L.R. 10 Q.B. 195, p. 199; voir également In re A Solicitor’s Clerk, [1957] 1 W.L.R. 1219 (B.R.).
[Nos emphases]
[162] Commentant l’arrêt Brosseau[77], la Cour dit que s’il fallait appliquer l’exception de protection du public à toute législation qui vise la protection du public, « cela reviendrait à faire fi de l’objectif sous-jacent à la présomption du caractère non rétrospectif. »[78]
[163] Rien dans la Loi 11 ou dans les propos des parlementaires ne permet de déduire que le législateur a clairement mis en balance les avantages de donner une portée rétrospective ou rétroactive et l’iniquité potentielle.
[164] De plus, l’augmentation de l’amende minimale et maximale, n’est pas une modification de pure procédure, mais une modification aux droits substantiels de l’intimée et elle ne peut recevoir, non plus, d’application rétroactive à l’instance en cours avant l’entrée en vigueur de la Loi 11.
[165] Le Conseil conclut en conséquence que le législateur n’a pas envisagé que cette modification soit rétroactive et possiblement inéquitable, et qu’il faut présumer qu’il n’a souhaité ni l’un ni l’autre.
[166] Dans Corporation de Ste-Angèle de Monnoir c. Bérubé[79], la Cour d’appel conclut que les lois qui modifient la compétence des tribunaux ne sont pas, en règle générale, applicables aux instances en cours, car il est bien établi que la compétence n'est pas une question de procédure :
[19] Professor Pierre-André Côté[8], reviewing the jurisprudence on the question, states :
"Les lois qui modifient la compétence des tribunaux ne sont pas, en règle générale, applicables aux instances en cours, car il est bien établi que la compétence n'est pas une question de procédure...'. Ce principe, fréquemment appliqué par les tribunaux, vaut aussi bien pour la compétence du tribunal de première instance que pour celle des tribunaux compétents à l'égard des recours contre les décisions de première instance.
Ainsi, il est bien établi qu'une loi qui modifie un droit d'appel n'est pas applicable à une instance en cours au moment de l'entrée en vigueur de la loi. Il en va de même pour une loi qui crée ou étend un droit de recours, évocation ou appel."[9]
(…)
[22] Unfortunately, however, Appellant's argument cannot be accepted. Jurisdiction to hear an appeal is not a procedural matter and a statute changing the jurisdiction of a court or tribunal to hear an appeal does not operate retrospectively. It does not apply to cases pending at the time of its enactment unless the statute clearly indicates that it is to have a retrospective effect. Nor is an appeal jurisdiction something that can be conferred by consent of the parties or accepted by a court or tribunal on that basis. The jurisdiction of courts is conferred by the Legislature and it is modified in the same manner. Had the Legislature intended to confer jurisdiction on the Tribunal with respect to pending municipal expropriations, it would have so provided.
[23] In the Royal Bank of Canada v. Concrete Column Clamps (1961) Ltd.[10], the Supreme Court had to decide whether it had jurisdiction to entertain an appeal under a 1970 amendment[11] to the Supreme Court Act[12] which permitted the Supreme Court to authorize per saltum appeals. Previous to the amendment, such appeals were entertained only when authorized by the Court of Appeal. The proceedings in the Courts below had been instituted before the amendment to the Supreme Court Act. In dismissing the motion for leave to appeal, Mr. Justice Pigeon observed :
"Partant de là, l'avocat de l'appelante soutient qu'il ne s'agit pas ici d'un nouveau droit d'appel puisque ce droit existait. Il ne me semble pas nécessaire de rechercher si l'on peut considérer que le droit de demander à cette Cour l'autorisation d'appeler est le même droit que celui de demander l'autorisation dans un cas semblable à la Cour d'appel, ce dont je doute fort. Il me suffit de constater que le principe fermement établi et par application duquel on a posé la question, c'est qu'à moins d'une disposition expresse au contraire on ne doit pas donner d'effet rétroactif à un texte attribuant une compétence nouvelle à une cour d'appel. Or, c'est expressément cela que l'on nous demande de faire, car il est indubitable qu'avant l'entrée en vigueur de la Loi de 1970, cette Cour n'avait pas compétence pour accorder l'autorisation d'appeler per saltum."[13]
[Nos emphases et soulignements, références omises]
[167] Une modification dans la compétence des conseils de discipline ne peut donc, non plus, être rétroactive sans que le législateur l’ait spécifiquement prévue, particulièrement du fait qu’il est un tribunal administratif créé par la loi.
[168] Le
haussement de l’amende minimale et maximale, tout comme les modifications à la
peine minimale de cinq ans pour les infractions à caractère sexuel et le
renversement du fardeau de preuve à l’article
[169] Même du consentement des parties, le Conseil ne peut se donner une juridiction qu’il n’a pas.
B.4 : Les arrêts Tran, Brosseau et Da Costa, et la décision Oliveira
[170] L’arrêt Da Costa, et la décision Oliveira du Tribunal des professions sont, avec beaucoup de déférence, mal fondés en droit de même que les décisions qui les ont suivies.
[171] Le Conseil ne peut, avec énormément de respect, appliquer l’arrêt Da Costa et la décision du Tribunal des professions dans Oliveira pour les raisons suivantes.
[172] Avec respect, la Cour dans l’arrêt Da Costa s’appuie erronément sur l’arrêt Brosseau pour rendre sa décision.
[173] En effet, dans l’arrêt Brosseau, il ne s’agit pas de modifier une sanction applicable à des faits passés, mais vise plutôt l’exercice de nouveaux pouvoirs par la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta pour rendre une ordonnance d’interdiction de transiger sur des valeurs mobilières. Les dispositions en jeu dans Brosseau sont libellées comme suit :
165(1) La Commission peut ordonner
a) que cessent toutes opérations relatives à des valeurs mobilières pendant la période précisée dans l'ordonnance, ou
b) qu'une personne ou une société cesse d'effectuer des opérations relatives à des valeurs mobilières ou à des valeurs mobilières désignées pendant la période précisée dans l'ordonnance.
(2) La Commission ne doit pas prendre d'ordonnance aux termes du paragraphe (1) sans audition.
166(1) La Commission peut ordonner que l'une ou l'autre des exemptions prévues aux articles 65, 66, 107, 115, 116, 132 et 133 ou dans le Règlement ne s'applique pas à la personne ou à la société désignée dans l'ordonnance.
(2) La Commission ne doit pas rendre d'ordonnance aux termes du paragraphe (1) sans tenir d'audition.
[174] La Cour suprême[80] avec justesse, décide qu’il s’agit d’un cas de législation rétrospective puisque :
La présente affaire concerne un redressement dont l'application est fondée sur la conduite de l'appelant avant l'adoption des art. 165 et 166. Néanmoins, le redressement n'est pas conçu comme une peine liée à cette conduite. Il vise plutôt à protéger le public.
[175] En effet, il ne s’agissait aucunement d’augmentation des amendes pour une conduite passée, ce qui serait « comme une peine liée à cette conduite » et tous les cas de référence cités dans Brosseau sont des cas clairs d’application rétrospective.
[176] Dans Da Costa, il ne s’agissait pas du même genre de modification législative que dans l’arrêt Brosseau. En effet, les nouvelles amendes en cause dans l’arrêt Da Costa visent à sanctionner la conduite elle-même. Il ne s’agit donc pas d’un cas de rétrospectivité, mais bien de rétroactivité.
[177] Les modifications législatives dans Da Costa font donc appel à la présomption de non-rétroactivité lorsque la loi a des effets préjudiciables.
[178] Conséquemment, l’arrêt Brosseau ne pouvait, avec respect, s’appliquer à la situation visée dans Da Costa.
[179] Tout récemment, le 19 octobre 2017, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tran[81] vient rappeler l’importance de la primauté du droit pour décider que c’est le droit applicable lors de la commission de l’infraction qui doit être retenu et que la primauté du droit « exige qu’un citoyen, avant d’adopter une ligne de conduite, puisse connaître à l’avance les conséquences qui en découleront sur le plan juridique » :
[42] Le ministre invoque Medovarski (par. 47), plus précisément la proposition selon laquelle les résidents permanents doivent s’attendre à ce que « la loi change à l’occasion ». Il soutient que l’interdiction de territoire aux termes de l’al. 36(1)a) doit être évaluée à l’aune des positions du législateur concernant la gravité de l’infraction au moment de la décision concernant l’interdiction de territoire. Je ne suis pas d’accord. Bien que le législateur puisse changer de position au sujet de la gravité d’un crime, il ne peut changer les obligations mutuelles entre les résidents permanents et la société canadienne sans le faire clairement et sans équivoque. Il ne l’a pas fait. Il faut plutôt interpréter l’alinéa 36(1)a) d’une manière qui respecte ces obligations mutuelles. Le droit de demeurer au Canada est conditionnel, mais il dépend du respect des obligations qui peuvent être connues. Par conséquent, la date pertinente pour évaluer la grande criminalité dont il est question à l’al. 36(1)a) est la date de la commission de l’infraction, et non la date de la décision quant à l’interdiction de territoire.
[180] Un arrêt important[82] vient d’être rendu dans une situation impliquant une loi à portée rétrospective. La toile de fond est bien résumée par l’arrêtiste comme suit :
T, un résident permanent au Canada, a été accusé d’une infraction fédérale passible, au moment de sa commission, d’une peine maximale de sept ans d’emprisonnement. Après que T a été accusé, mais avant qu’il soit déclaré coupable, la peine maximale dont était passible ceux qui se rendaient coupables de l’infraction a été portée à 14 ans d’emprisonnement. T a été déclaré coupable de l’accusation portée contre lui et il a été condamné à une peine de 12 mois d’emprisonnement avec sursis à purger dans la communauté.
[181] Après que
T a été déclaré coupable et que sa peine lui a été infligée, des agents d’immigration
ont préparé un rapport selon lequel il était interdit de territoire au Canada
pour grande criminalité, en application de l’al.
[182] Suivant cette disposition, un résident permanent est interdit de territoire au Canada s’il a été déclaré coupable au Canada d’une infraction fédérale punissable d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins 10 ans, ou d’une infraction fédérale pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de plus de six mois.
[183] La Cour suprême dans l’arrêt Tran[83] rappelle que les règles d’interprétation législative imposent au législateur d’indiquer clairement les effets rétroactifs ou rétrospectifs souhaités. Ces règles garantissent que le législateur a réfléchi aux effets souhaités et que les avantages de la rétroactivité (ou du caractère rétrospectif) l’emportent sur les possibilités de perturbation ou d’iniquité.
[184] Sans cela, il faut présumer que le législateur n’a pas souhaité de tels effets[84] :
[48] La présomption est un outil pour cerner la portée temporelle voulue de la loi. En l’absence d’une indication selon laquelle le législateur a envisagé qu’une loi soit rétrospective et possiblement inéquitable, il faut présumer qu’il n’a souhaité ni l’un ni l’autre :
Il
n’existe aussi aucune exigence générale que la législation ait une portée
uniquement prospective, même si une loi rétrospective et rétroactive peut
renverser des expectatives bien établies et être parfois perçue comme étant
injuste : voir E. Edinger, « Retrospectivity in Law »
(Imperial Tobacco, par. 71, juge Major)
[49] La présomption existe pour garantir que les lois ne s’appliquent rétrospectivement que lorsque le législateur a clairement indiqué qu’il a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif, d’une part, et l’iniquité potentielle, d’autre part. Sans cela, il faut présumer que le législateur n’a pas souhaité de tels effets.
[50] Règle générale, un texte exprès ou nettement implicite en ce sens (Gustavson Drilling, p. 279) donne l’indication nécessaire que le législateur a réfléchi à la question de la rétrospectivité. L’exception relative à la « protection du public » permet que la législation protective ait un effet rétrospectif même en l’absence d’un texte de loi exprès ou nettement implicite en ce sens, dans la mesure où il ressort autrement de l’intention du législateur qu’il en soit ainsi. Cela dit, conformément à l’objectif sous-jacent de la présomption, l’exception s’applique uniquement lorsque la structure de la pénalité elle-même illustre que le législateur a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif, d’une part, et ses effets inéquitables potentiels, d’autre part. Ce sera le cas lorsqu’il y a clairement un lien entre la mesure protective et les risques encourus par le public associés à la conduite antérieure à laquelle ils se rattachent. Dans de tels cas, comme dans Brosseau, l’étendue de la protection doit s’aligner avec les risques précis engendrés par ceux qui ont eu une conduite dommageable spécifique et elle est façonnée pour prévenir ces risques pour l’avenir : voir Brosseau, p. 319 et 320, citant R. c. Vine (1875), L.R. 10 Q.B. 195, p. 199; voir également In re A Solicitor’s Clerk, [1957] 1 W.L.R. 1219 (B.R.).
[Nos emphases]
[185] Commentant l’arrêt Brosseau[85], la Cour suprême dit que s’il fallait appliquer l’exception de protection du public à toute législation qui vise la protection du public, « cela reviendrait à faire fi de l’objectif sous-jacent à la présomption du caractère non rétrospectif. »[86]
[186] Rien dans la Loi 11 ou dans les propos des parlementaires ne permet de déduire que le législateur a clairement mis en balance les avantages de donner une portée rétrospective ou rétroactive et l’iniquité potentielle.
[187] Le Conseil conclut en conséquence que le législateur n’a pas envisagé que cette modification soit rétroactive et possiblement inéquitable, et qu’il faut présumer qu’il n’a souhaité ni l’un ni l’autre.
[188] Le Conseil est en accord avec le courant qui soutient la non-rétroactivité[87] des amendements aux sanctions, entrés en vigueur le 8 juin 2017, comme étant conforme à la justice et au droit applicable particulièrement à la lumière jetée sur l’arrêt Da Costa[88], sur lequel s’appuie la décision Oliveira[89], par l’article de droit de la professeur Boisvert et du professeur émérite Pierre A. Côté[90].
[189] Ces derniers sont d’avis que l’arrêt Da Costa fait une interprétation trop large de l’arrêt Brosseau[91] et que la décision du Tribunal des professions dans Oliveira applique une démarche binaire punition / protection du public clairement rejetée par l’arrêt Tran[92] de la Cour suprême du Canada :
Le seul fait qu’une loi soit destinée à protéger le public ne peut fonder la conclusion qu’elle doit avoir un effet rétroactif. La démarche binaire punition/protection du public est clairement rejetée par la Cour. (Page 107)
(…)
La
juge Côté, exprimant les motifs unanimes de la Cour suprême, a conclu que
l’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans » prévu
à l’article
Pour en venir à cette conclusion, elle se livre à un exercice classique d’interprétation des lois éclairé par les principes généraux du droit.
Bien que je partage l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle l’al. 11i) de la Charte ne s’applique pas à la décision du délégué du ministre, parce que la procédure n’est ni criminelle ni pénale, la présomption du caractère non rétrospectif est une règle d’interprétation législative applicable dans la présente affaire. […] Les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation.32
Le principe de la non-rétroactivité de la loi s’applique donc en principe ; il ne peut être écarté que de façon expresse ou de façon implicite. Le principe de non-rétroactivité est écarté de façon implicite suivant une démarche analytique coûts/avantages, c’est-à-dire lorsque le contexte et les circonstances permettent de conclure que le législateur a estimé que les avantages escomptés de l’effet rétroactif justifient les coûts reliés à l’atteinte aux valeurs qui sous-tendent le principe de non-rétroactivité, soit la sécurité juridique et l’équité.
[48] La présomption est un outil pour cerner la portée temporelle voulue de la loi. En l’absence d’une indication selon laquelle le légis- lateur a envisagé qu’une loi soit rétrospective et ainsi possiblement inéquitable, il faut présumer qu’il n’a souhaité ni l’un ni l’autre :
Il n’existe aussi aucune exigence générale que la législation ait une portée uniquement prospective, même si une loi rétrospective et rétroactive peut renverser des expectatives bien établies et être parfois perçue comme étant injuste : voir E. Edinger,
« Retrospectivity in Law » (1995), 29 U.B.C. L. Rev. 5, p. 13. Ceux qui partagent cette perception seront peut-être rassurés par les règles d’interprétation législative qui imposent au législateur d’indiquer clairement les effets rétroactifs ou rétrospectifs souhaités. Ces règles garantissent que le législateur a réfléchi aux effets souhaités et [TRADUCTION] « a conclu que les avantages de la rétroactivité (ou du caractère rétrospectif) l’emportent sur les possibilités de perturbation ou d’iniquité »
[49] La présomption existe pour garantir que les lois ne s’appliquent rétrospectivement que lorsque le législateur a clairement indiqué qu’il a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif, d’une part, et l’iniquité potentielle, d’autre part. Sans cela, il faut présumer que le législateur n’a pas souhaité de tels effets.33 (Nos italiques)
Indépendamment de toute question liée à la portée de la Charte, qui ne s’applique pas en l’espèce, la Cour rappelle clairement que le principe de l’interprétation des lois comme n’étant pas rétroactives découle du principe de la primauté du droit qui exige que le citoyen connaisse à l’avance les conséquences qui découleront au plan juridique de la conduite qu’il adopte34 et qu’il répond aussi à des exigences d’équité35. Pour écarter le principe de la non-rétroactivité, il faut bel et bien établir que le législateur a envisagé qu’une loi soit rétroactive et qu’il a estimé que les avantages de la rétroactivité en termes de protection de la société pouvaient justifier une atteinte aux valeurs d’équité qui sous-tendent le principe de la non-rétroactivité de la loi. On ne peut présumer cette intention.
(…)
On aurait cru que Tran avait sonné le glas, en droit transitoire, de la démarche analytique faisant appel à l’alternative punition/ protection du public. L’état actuel du droit disciplinaire au Québec montre que ce n’est malheureusement pas le cas.
(…)
Un débat divise présentement les comités de discipline au Québec concernant la question de savoir si le récent arrêt Tran de la Cour suprême du Canada a écarté ou non l’arrêt Brosseau39. Selon nous, l’arrêt Brosseau n’est pas écarté, mais est plutôt ramené à une portée plus limitée que celle qu’on lui a généralement attribuée, particulièrement dans la décision Da Costa40 de la Cour d’appel du Québec.
(…)
À la lecture de l’arrêt Tran, il est clair que l’arrêt Brosseau ne peut avoir la portée générale que lui a conférée la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Da Costa et qu’il est contraire au principe de la primauté du droit et aux exigences de l’équité de déclarer sans nuances que tout le droit disciplinaire, puisqu’il vise la protection du public et non la punition, est exempté de la présomption de non-rétroactivité des lois. (Page 109)
(…)
Dans une toute récente décision, Bédard c. Oliviera42, le Tribunal des professions du Québec peine toutefois à s’écarter de l’arrêt Da Costa de la Cour d’appel.
(…)
Poser la question en ces termes conserve intacte la démarche fondée sur la distinction punition/protection du public clairement rejetée dans l’arrêt Tran et maintient l’idée consacrée dans l’arrêt Da Costa que tout le droit disciplinaire, puisqu’il vise la protection du public, est par définition non préjudiciable et soustrait à la présomption de non-rétroactivité des lois. Cela postule que, de manière générale, l’intention du législateur qui entend protéger le public est invariablement d’écarter les considérations qui fondent le principe de non-rétroactivité puisqu’on est en matière de protection du public. Ce raisonnement circulaire, qui insiste sur l’intention législative de protéger le public et non de punir, élude totalement la question de l’effet préjudiciable de la loi et de l’iniquité essentielle d’une punition qui n’était pas prévisible et ne peut, par définition avoir servi à orienter la conduite du contrevenant.
(…)
Les destinataires des « messages » ne peuvent être que les professionnels, qui sont, par l’effet de la loi nouvelle, davantage mis en garde par la sévérité de la sanction qu’ils ne l’étaient auparavant. Mais de quels professionnels parle-t-on ? Il ne peut s’agir que des professionnels qui sont en mesure de « capter le message » et de se conduire de manière à éviter la nouvelle sanction. Vise-t-on également les professionnels dont l’inconduite est antérieure à la loi nouvelle ? Une réponse négative semble s’imposer. Le législateur ne peut lancer de message ni de signal vers le passé. Ce qui est fait est fait, et le législateur n’a aucune prise sur les conduites passées. L’objectif dissuasif propre à la loi n’a de sens que s’il vise les conduites qui seront tenues dans l’avenir. Il faut le répéter : la dissuasion ne rétroagit pas.
(…)
Manifestement, il est difficile, pour les tribunaux disciplinaires, de renoncer à l’héritage de l’affaire Da Costa. À notre avis, la Cour d’appel devrait, le plus tôt possible, prendre acte de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Tran, de la démarche analytique qui y est proposée en remplacement de l’alternative punition/protection du public et elle devrait écarter la jurisprudence Da Costa voulant que la sanction disciplinaire échappe inévitablement, par sa nature ou sa vocation à la protection du public, à l’application du principe fondamental de la non-rétroactivité des lois. (Page 111)[93]
[Soulignements et emphase ajoutés]
[190] En effet, l’arrêt Tran[94] a clairement rejeté l’argument, sur lequel s’appuie le Tribunal des professions dans Oliviera[95], suivant lequel les sanctions étant non « punitives » en droit disciplinaire et adoptées pour la protection du public, ne sont pas alors « préjudiciables ».
[191] Cet argument rejeté, le principe de la non-rétroactivité des lois s’applique puisque nécessairement, des amendes supérieures et la sanction de radiation minimale de cinq ans en cas d’infractions à caractère sexuel, sont préjudiciables aux intimés.
[192] Ainsi, les nouvelles amendes minimales de 2 500 $ et maximales de 62 500 $ ne peuvent s’appliquer qu’aux infractions commises après le 8 juin 2017.
[193] La difficulté dans Da Costa vient sans doute de la portée plus large que celle qu’entendait donner l’auteur lui-même, au dernier paragraphe d’un passage de l’auteur Driedger qui est repris comme suit :
Ce qu'on appelle la présomption de non-rétroactivité ne s'applique qu'aux lois qui ont un effet préjudiciable. Elle ne s'applique pas à celles qui confèrent un avantage. Elmer Driedger, explique dans Construction of Statutes (2nd ed. 1983), à la p. 198 :
[TRADUCTION] Il y a trois sortes de lois que l'on peut, à proprement parler, qualifier de rétroactives, mais il n'y en a qu'une qui donne lieu à la présomption. Premièrement, il y a les lois qui rattachent des conséquences bienfaisantes à un événement antérieur; elles ne donnent pas lieu à la présomption. Deuxièmement, il y a celles qui rattachent des conséquences préjudiciables à un événement antérieur; elles donnent lieu à la présomption. Troisièmement, il y a celles qui imposent une peine à une personne qui est décrite par rapport à un événement antérieur, mais la peine n'est pas destinée à constituer une autre punition pour l'événement; elles ne donnent pas lieu à la présomption.
Une sous-catégorie du troisième type de lois décrit par Driedger est composée des textes législatifs qui peuvent imposer à une personne une peine liée à un événement passé en autant que le but de la peine n'est pas de punir la personne en question, mais de protéger le public.[96]
[Nos emphases]
[194] La version originale anglaise de cet extrait fait premièrement apparaître la confusion que l’auteur Driedger lui-même crée en utilisant le terme « retrospectivity » et non le terme adéquat « retroactive » pour les deux premiers cas de lois, tel qu’il appert ci-dessous :
The so-called presumption against retrospectivity applies only to prejudicial statutes. It does not apply to those which confer a benefit. As Elmer Driedger, Construction of Statutes (2nd ed. 1983), explains at p. 198:
There are three kinds of statutes that can properly be said to be retrospective, but there is only one that attracts the presumption. First, there are the statutes that attach benevolent consequences to a prior event; they do not attract the presumption. Second, there are those that attach prejudicial consequences to a prior event; they attract the presumption. Third, there are those that impose a penalty on a person who is described by reference to a prior event, but the penalty is not intended as further punishment for the event; these do not attract the presumption.
A sub-category of the third type of statute described by Driedger is enactments which may impose a penalty on a person related to a past event, so long as the goal of the penalty is not to punish the person in question, but to protect the public.
[195] Il est donc périlleux, de prendre des passages précis sans les examiner avec l’ensemble des explications et d’utiliser cet auteur dont la publication remonte à 1983 vu que ces passages confondent l’effet rétroactif avec l’effet rétrospectif, en anglais et vice et versa en français. Il s’agit de deux concepts juridiques différents.
[196] De plus, si on recherche vraiment le sens que la Cour suprême dans Brosseau, a donné à cette sous-catégorie du troisième type de loi, il faut nécessairement tenir compte qu’elle l’illustre avec les décisions R. c. Vine[97]et Re A Solicitor's Clerk[98], qui sont clairement des applications rétrospectives.
[197] En effet, il importe de souligner que dans l’arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission[99] sur lequel la Cour d’appel dans Da Costa prend appui, il est fait référence à des décisions qui relèvent toutes de la notion de l’effet rétrospectif et non de cas d’application de la présomption de non-rétroactivité :
Cette distinction a été élaborée dans un arrêt ancien, R. v. Vine (1875), 10 L.R. Q.B. 195, dans lequel le juge en chef Cockburn a écrit à la p. 199:
[TRADUCTION] Si on pouvait trouver une raison pour penser que l'intention de ce texte législatif était simplement d'augmenter la peine à l'égard d'une infraction majeure en y ajoutant cette interdiction, je serais sensible à la force de l'argument de M. Poland, qui est fondé sur la règle d'interprétation des lois selon laquelle, lorsqu'elles sont de nature pénale, elles ne peuvent être interprétées rétroactivement, si le texte peut avoir un effet pour l'avenir et n'est pas nécessairement rétroactif. Toutefois, en l'espèce, le but du texte législatif n'est pas de punir les contrevenants, mais de protéger le public contre la possibilité que des débits d'alcool soient tenus par des personnes de m{oe}urs douteuses . . . le Parlement a de façon catégorique adopté une position ferme, de toute évidence pour protéger le public, afin que les endroits publics puissent être tenus par des personnes de bonnes m{oe}urs, et il n'est pas important à cette fin de savoir si une personne a été déclarée coupable avant ou après l'adoption de la loi, car elle est tout aussi mauvaise dans un cas comme dans l'autre et ne devrait pas recevoir de permis.
Dans l'arrêt Re A Solicitor's Clerk, [1957] 3 All E.R. 617, une loi concernant l'exercice de la profession d'avocat avait été modifiée de manière à autoriser une ordonnance empêchant une personne d'agir à titre de clerc d'avocat si cette personne avait été déclarée coupable de vol, d'abus de confiance ou de détournement de biens. Un clerc, qui avait été déclaré coupable de l'une de ces infractions avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, avait contesté son exclusion parce que l'on donnait à la loi un effet rétroactif. La Court of Queen's Bench a rejeté ces arguments. Le juge en chef, Lord Goddard, a conclu qu'il n'y avait pas d'effet rétroactif, étant donné que le but réel de la loi était prospectif et visait la protection du public. Il écrit à la p. 619:
[TRADUCTION] À mon avis, cette loi n'est pas véritablement rétroactive. Elle permet de rendre une ordonnance empêchant une personne d'agir à titre de clerc d'avocat dans l'avenir et ce qui s'est produit dans le passé constitue la cause ou la raison de l'ordonnance; mais l'ordonnance n'a pas d'effet rétroactif. Elle serait rétroactive si la loi déclarait nulle ou annulable une chose faite avant l'entrée en vigueur de la loi ou avant l'ordonnance ou imposait une peine pour avoir agi à tel titre avant que l'entrée en vigueur de la loi ou avant l'ordonnance. La loi permet simplement l'exclusion pour l'avenir, ce qui n'a aucun d'effet sur ce que l'appelant a fait dans le passé.
[Soulignements et emphase ajoutés]
[198] Ainsi, dans Brosseau[100], la Cour réfère à deux cas de figure (R. v. Vine[101] et Re A Solicitor's Clerk[102]) dont l’un concerne une loi qui vient empêcher quelqu’un qui a été condamné dans le passé pour une infraction criminelle de pouvoir détenir un permis d’alcool[103], et l’autre concerne une loi qui permet l’interdiction de devenir avocat si la personne a été déclarée coupable de vol, d'abus de confiance ou de détournement de biens[104].
[199] Il est clair que le texte des nouvelles lois ou dispositions en jeu dans ces décisions emporte un effet rétrospectif implicite en ce qu’un état de fait dans le passé devient une condition pour l’application des nouvelles dispositions qui visent à protéger le public pour le futur.
[200] L’arrêt Brosseau concerne une situation bien différente de la situation ici en cause et ne trouve donc pas application. La loi nouvelle dans Brosseau donne des pouvoirs additionnels à la Commission d’empêcher quelqu’un de transiger sur les marchés publics et il appert que dans l’économie de cette législation, l’intention du législateur implique que ces nouveaux pouvoirs puissent être exercés dès leur entrée en vigueur par rapport à des conduites antérieures.
[201] Avec le plus grand respect pour l’opinion contraire, il ne faut pas confondre le principe de non-rétroactivité des lois qui ont un effet préjudiciable avec le principe de l’effet rétrospectif possible si la loi ne crée pas de nouvelles punitions, au sens pénal du terme, pour un évènement passé.
[202] Le Conseil est d’avis que l’augmentation des amendes de la loi 11 vise à sanctionner une conduite passée ce qui n’est pas une situation envisagée pour les lois à effet rétrospectif et n’est pas une situation où l’exception de protection du public peut s’appliquer comme dans Brosseau, Vine et Re Sollicitor’s Clerk.
[203] De la même manière, la décision du Tribunal des professions dans Oliveira[105]suit l’arrêt Da Costa et les mêmes erreurs de droit se reproduisent en plus de ne pas bien interpréter l’arrêt Tran selon les auteurs Boisvert et Côté.
[204] Il en de même en conséquence des très nombreuses décisions des conseils de discipline qui s’appuient sur Da Costa ou Oliviera dont les décisions dans Médecins (Ordre professionnel des) c. Rancourt[106] et Médecins (Ordre professionnel des) c. Coté[107] et la décision Paquette[108], qui traitent de l’une et de l’autre des notions de rétroactivité et de rétrospectivité comme si elles visent la même réalité juridique, ce qui affecte tout le raisonnement de cette décision :
[87] En effet, comme la présomption de non-rétroactivité des lois ne s’applique pas aux lois dont l’objet est de protéger le public, cette présomption doit être repoussée à l’égard de ces dispositions.
[88] Les modifications apportées à l’article 156 font partie de la catégorie de loi nouvelle qui doit recevoir un effet rétrospectif. Ainsi, les nouvelles dispositions constituent des conséquences futures applicables aux faits accomplis avant l’entrée en vigueur de ces modifications.[109]
[205] C’est la présomption de non rétrospectivité qui peut être écartée si l’objet de la loi est de protéger le public et non la présomption de non-rétroactivité contrairement à ce qui est affirmé au paragraphe 87.
[206] Les
modifications à l’article
[207] Vu toutes les distinctions et concepts élaborés plus avant, le Conseil diffère d’opinion avec celle du Tribunal des professions dans Oliveira, du conseil de discipline du Collège des médecins dans la décision Rancourt de même que dans les décisions des conseils de discipline des psychologues sous la même présidence[110] que dans la décision Rancourt.
[208] Nous différons aussi, avec respect, d’opinion avec le conseil de discipline dans le dossier Rancourt[111] quant à la volonté du législateur qui transparaitrait des travaux parlementaires. La lecture de ceux-ci ne nous permet aucunement d’en inférer une intention rétroactive.
[209] Bien évidemment, dans un cas où le législateur s’exprime de façon limpide sur son intention, comme dans la décision Bilodeau[112], les principes de justice naturelle ne peuvent y faire échec.
[210] La loi en jeu dans cette décision a clairement une portée rétroactive et a des conséquences injustes considérant qu’elle vise à valider un décret qui a été annulé par un jugement. En voici le texte[113] :
[28] Puisqu’elle est au centre de la présente affaire, il convient de reproduire les notes explicatives et le texte complet de cette loi. Elle comporte 2 articles:
NOTES EXPLICATIVES
Cette loi a pour objet de valider le décret numéro 1180-2009 du 11 novembre 2009 concernant le prolongement de l’autoroute 73, du territoire de la Ville de Beauceville à celui de la Ville de Saint-Georges.
LE PARLEMENT DU QUÉBEC DÉCRÈTE CE QUI SUIT ;
1. Le décret numéro 1180-2009 du 11 novembre 2009 (2009, G.O. 2, 5845), qui concerne l’utilisation à des fins autres que l’agriculture, le lotissement ou l’aliénation de lots situés en zone agricole pour le prolongement de l’autoroute 73 sur le territoire des municipalités de Beauceville, de Notre-Dame-des-Pins et de Saint-Simon-les-Mines, est validé.
Le premier alinéa a effet depuis le 11 novembre 2009 et s’applique malgré toute décision d’un tribunal qui a déclaré invalide, après cette date, le décret qui y est visé.
2. La présente loi entre en vigueur le 8 juin 2011.
[Notre emphase]
[211] Notre
dossier ne vise pas une telle situation de toute évidence puisque le langage
utilisé par le législateur quant à l’article
[212] La décision Milmore[114], ne permet pas de donner une portée rétroactive à une loi qui ne devrait pas en avoir suivant les principes d’interprétation des lois, la présomption de non-rétroactivité et la primauté du droit.
[213] Avec respect, pour toutes les raisons élaborées, le Conseil ne partage donc pas les conclusions du conseil de discipline dans les décisions Rancourt[115], Paquette[116] et Côté[117].
[214] L’analyse de l’arrêt Brosseau qui est faite dans Paquette comporte, avec respect, les mêmes difficultés que celles relevées dans l’arrêt Da Costa puisque Brosseau visait une situation de rétrospectivité et non de rétroactivité.
[215] Le raisonnement à la base de la décision Milmore[118] a été suivi par plusieurs décisions[119], confirmé par les auteurs Boisvert et Côté[120] et conforme au droit suivi de façon constante par les tribunaux du Québec quant à la présomption de non-rétroactivité et ses exceptions.
[216] Avec
respect, les modifications à l’article
[217] La troisième option de Driedger, selon le présent Conseil, n’est pas de la nature d’une loi rétroactive, mais bien seulement d’une loi à effet rétrospectif comme le démontre l’arrêt de la Cour suprême dans Tran. Seules les deux premières catégories de lois mettent en jeu la notion de rétroactivité.
[218] Le Conseil est d’avis qu’il ne peut donc, avec tout le respect qu’il doit, appliquer l’arrêt Da Costa puisque cela irait à l’encontre de la présomption de non-rétroactivité des lois et ses exceptions propres, applicables aux dispositions en cause dans le présent dossier.
[219] En effet, le Conseil est d’avis que la doctrine et la jurisprudence ne supportent pas l’adéquation faite dans Da Costa entre le terme « préjudiciable » de la deuxième catégorie de loi à caractère rétroactif et le terme « punir » de la troisième catégorie de Driedger qui s’applique aux lois rétrospectives.
[220] La signification du mot préjudiciable n’a aucun lien avec la notion de punition.
[221] En s’appuyant sur l’arrêt Brosseau qui met en parallèle le terme « préjudiciable » et le terme « avantage », il est clair que le sens le plus juste de « préjudiciable » ne peut être « punitif », mais plutôt « désavantageux ».
[222] Il est clair que les modifications sont désavantageuses et donc préjudiciables pour l’intimée dans le présent dossier.
[223] L’aspect « non punitif » de la sanction n’a donc aucun lien avec l’exception de « non préjudiciable », permettant de repousser l’application de la présomption de non-rétroactivité.
Conclusion
[224] Il est
clair que le législateur n’a pas prévu de disposition donnant un effet
rétroactif aux amendements de l’article
[225] Il ne s’agit pas de modifications de pure procédure, mais de modifications de droits substantiels des professionnels poursuivis en discipline, ce qui ne permet pas de mettre de côté la présomption de non-rétroactivité des lois.
[226] Des sanctions plus lourdes sont certainement préjudiciables pour l’intimée. La présomption de non-rétroactivité s’applique donc.
[227] Dans l’instance en cours, le Conseil va continuer son mandat suivant la mise en l’ancien juge de la Cour suprême du Canada qui dit : « Bref, les choses seraient plus simples si nous renoncions au fondement même de notre société qui repose sur la démocratie et la primauté du droit. Les choses seraient plus simples, mais catastrophiques. Notre tâche consiste à appliquer la loi avec impartialité, compétence, compassion et, avant tout, humilité. Nous sommes au service de la société, mais notre mandat tire sa source de l'attachement profond de la société à la primauté du droit. »[121]
[228] La présomption de non-rétroactivité fait partie de la primauté du droit.
[229] L’arrêt Tran et les règles de justice naturelle au surplus supportent que l’intimée soit jugée suivant le droit existant lors de la commission de ses infractions.
[230] Subsidiairement, le principe d’interprétation du bénéfice de la sanction la moins sévère s’applique également vu la proximité entre le droit criminel et le droit disciplinaire tel qu’établi en droit québécois[122].
[231] Le Conseil
en vient à la conclusion que les modifications de la Loi 11 quant à
l’article
[232] Le droit applicable est donc celui en vigueur au moment des infractions.
[233] En
conséquence, le Conseil est d’avis que les modifications adoptées à l’article
B.5 L’application de la règle du stare decisis
[234] Le Conseil est conscient que normalement, les tribunaux inférieurs sont tenus de respecter les arrêts des tribunaux d’appel en vertu de la règle de stare decisis.
[235] Cependant, la Cour d’appel elle-même suggère cependant une application souple de cette règle dans l’arrêt La Laurentienne-vie, compagnie d'assurance inc. c. l'Empire, compagnie d'assurance-vie[123] :
[59] La seconde conception du stare decisis, plus moderne, reconnaît qu'un tribunal est généralement lié par une décision antérieure, mais que cela ne l'empêche pas de reconsidérer les motifs qui en sont à l'origine et de retenir une solution différente.
[60] L'examen de la jurisprudence récente de notre Cour démontre que c'est l'approche moderne du stare decisis qui est appliquée au Québec.
[61] Dans Lefebvre c. Commission des affaires sociales20, le juge Baudouin rappelait que la règle du stare decisis ne doit pas être appliquée avec rigidité pour deux raisons: d'abord, pour éviter la répétition d'erreurs et, ensuite, pour permettre l'évolution du droit avec les mentalités et le contexte social21.
(…)
[67] Dans la mesure où notre Cour ne considère pas manifestement déraisonnable le fait, pour un tribunal spécialisé, de s'écarter des enseignements de la Cour suprême, il est difficile de voir comment elle pourrait qualifier de contraire à l'ordre public une sentence arbitrale qui dévie de sa jurisprudence.
[68] À mon avis, il faut éviter d'appliquer de manière trop stricte la notion du stare decisis en conférant une autorité absolue à la décision de notre Cour dans l'affaire L'Excelsior. Il est d'ailleurs à noter que les parties n'ont pas plaidé cet arrêt au fond. Le cas échéant, notre Cour aurait eu le loisir de reconsidérer les motifs qui en sont à l'origine et peut-être aurait-elle retenu une solution différente.
[Soulignements ajoutés]
[236] Depuis l’arrêt de la Cour d’appel dans Lefebvre[124] en 1991, celle-ci a réitéré à plusieurs reprises qu’au Québec, c’est l’approche moderne ou souple du stare decisis qui est applicable, à savoir qu’on peut s’écarter pour des motifs sérieux et bien élaborés d’une décision d’un tribunal supérieur pour éviter de répéter une erreur de droit.
Juge Vallerand
Lorsqu'à la majorité de ses membres, la Cour suprême revient sur sa jurisprudence, c'est indiscutablement la cour qui modifie l'état du droit pour la gouverne des justiciables.
(…)
Il va de soi que notre cour doit, le cas échéant, rectifier ses erreurs, rafraîchir sa jurisprudence en écho à l'évolution de la société, du droit, en réponse aux directives venues de l'instance suprême. Et cela s'impose d'autant plus que:
Where once this Court could have reasonable assurance its important decisions would be subject to a further review and detailed consideration by the leading legal minds of the land, there is now no such assurance. (ARMCO CANADA LTD. v. P.C.L. CONST. LTD, supra à la p.632).
(…)
Quitte à le redire, une cour dite de direction peut et, le cas échéant, doit, réformer sa jurisprudence. Notre collègue Monet:
...la règle du respect des précédents ne doit pas aveugler. Il ne faut pas confondre respect et culte. Certes, cette règle est importante à bien des égards; cette proposition n'a pas à être démontrée. Entre autres bienfaits, elle favorise l'unité d'interprétation des règles juridiques. (…)
La
Cour suprême du Canada elle-même ne craint pas d'apporter des tempéraments à
cette règle. Il est indéniable qu'elle n'est pas intouchable. (DROIT DE LA
FAMILLE-20,
Bref, il fut une époque où le stare decisis ligotait; il ne fait plus que lier...plus ou moins serré.
[Soulignements et emphase ajoutés]
[237] À nouveau, dans Lacombe c. Sacré-Coeur (Municipalité de)[125], le conseil retient que le constat péremptoire d’une erreur (wrongly decided) qui transcende la divergence d’opinions permet, voire impose, qu’on renie le précédent à peine d’être rigidement, indéfiniment et, inacceptablement, lié par l’erreur qu’on serait contraint de perpétuer tout en souhaitant l’intervention, de plus en plus aléatoire, de la haute instance :
[62] La version du stare decisis maintenant préconisée par la Cour, « reconnaît qu’un tribunal est généralement lié par une décision antérieure mais que cela ne l’empêche pas de reconsidérer les motifs qui en sont à l’origine et de retenir une solution différente », comme le déclarait la juge Thibault dans l’arrêt La Laurentienne-vie, compagnie d’assurance inc. et l’Impériale, compagnie d’assurance-vie c. L’Empire, compagnie d’assurance-vie et al. [31].
[Soulignements et emphase ajoutés]
[238] Dans Groupe Sutton Immobilia inc. c. Ibrahim[126], le tribunal réfère aux auteurs Mayrand et Fauteux qui sont d’avis que, en parlant de la règle du stare decisis, que le magistrat a la faculté de la suivre, mais non l'obligation de le faire. En droit civil, le précédent est un guide et non une source de droit :
La règle du stare decisis
[112] Conscient que la Cour du Québec est un tribunal de première instance, certains le qualifiant de tribunal « inférieur » selon l'ordre hiérarchique judiciaire au Québec, le Tribunal s'est interrogé sur l'application de la règle du stare decisis. Cette règle veut qu'il faille « s'en tenir aux décisions (déjà rendues) ».[4] Selon Mayrand, cette règle signifie:
« […] s'en tenir aux règles établies par les tribunaux et ne pas les remettre en question en les modifiant subrepticement.
Principe en vertu duquel les tribunaux conforment leurs décisions à celles qu'ils ont eux-mêmes rendues et à celles rendues par un tribunal supérieur. » (pp. 493 et 494)
[113] Selon Gérald Fauteux dans son ouvrage intitulé « Le livre du magistrat »: [5]
« Ainsi donc, en droit civil, même si le précédent peut avoir une grande force persuasive, le magistrat a la faculté de la suivre mais non l'obligation de le faire. En droit civil, le précédent est un guide et non une source de droit. » (p. 127)
[114] Albert Mayrand, dans un article intitulé « L'autorité du précédent au Québec », écrit: [6]
« Dans les pays de droit civil, le précédent est moins autoritaire. Il ne commande pas, il recommande qu'on le suive. Son autorité varie selon la qualité des motifs sur lesquels il est fondé et selon le prestige de la cour ou du juge qui l'a rendu. Son invitation à le suivre est souvent acceptée, mais il n'est pas inconvenant de la décliner. On ne déroge à aucune règle, pas même à une règle de courtoisie, en exprimant « avec déférence » une opinion contraire. En common law le précédent s'impose comme une règle, en droit civil il se présente comme un modèle proposé. » (p. 261)
[115] La Cour d'appel du Québec a aussi eu à se prononcer sur l'application de la règle du stare decisis en droit québécois. Dans une note infrapaginale, par les propos du juge Brossard, auxquels ont souscrit les juges Deschamps et Forget, on y lit:
« (16) Avec égards pour mon collègue, je souligne que, la règle du stare decisis n'existant pas en droit civil, je me serais senti libre de ne pas suivre une longue tradition sans fondement rationnel. » [7]
[116] Aussi, le Tribunal prend acte des propos du juge Vallerand dans l'affaire Droit de la famille - 1544: [8]
« Mais il m'a bien fallu convenir que le stare decisis n'a plus la rigueur d'antan, qu'il ne fait plus que lier alors qu'il ligotait. À plus forte raison, le respect du précédent, moins contraignant, du moins en principe.
Il fut une époque où, pour ainsi dire, seules les erreurs per incuriam permettaient qu'on se dissocie d'un précédent contrariant quitte à laisser à l'instance suprême le soin de rectifier les autres. La simple divergence d'opinions ne suffit, à mon avis du moins, toujours pas, mais en revanche le constat péremptoire d'une erreur (wrongly decided) qui transcende la divergence d'opinions permet, voire impose, qu'on renie le précédent à peine d'être rigidement, indéfiniment et, je pense, inacceptablement, lié par l'erreur qu'on serait contraint de perpétuer tout en souhaitant l'intervention, de plus en plus aléatoire, de la haute instance. »
[117] En application de ces principes, le Tribunal considère qu'il n'est pas lié, d'une manière obligatoire et irrémédiable, à la décision de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Ho.
[Soulignements et emphase ajoutés]
[239] Le Conseil se sent l’obligation morale de ne pas attendre que la Cour d’appel se prononce de nouveau sur le sujet, car cela pourrait prendre des années et l’application souple de la règle du stare decisis permet de ne plus se sentir lié par l’arrêt Da Costa particulièrement à la suite de l’article de droit important écrit par les professeurs Boisvert et Côté.
[240] Ainsi, la Cour suprême dans Tran[127] est, avec respect pour l’opinion contraire, la nouvelle décision qui fait autorité et que le Conseil se sent lié de suivre.
[241] Si tant est, qu’une amende ait été prononcée, celle de 1 000 $ aurait été celle applicable en l’espèce.
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL A, UNANIMEMENT, LE 15 DÉCEMBRE 2017:
[242] DÉCLARÉ
l’intimée coupable sur le chef 1, en vertu de l’article
[243] DÉCLARÉ
l’intimée coupable sur le chef 2, en vertu de l’article
[244] PRONONCÉ
la suspension conditionnelle sur le chef 2 quant au renvoi à l’article
[245] DÉCLARÉ
l’intimée coupable sur le chef 3, en vertu de l’article
[246] DÉCLARÉ
l’intimée coupable sur le chef 4, en vertu de l’article
[247] PRONONCÉ la suspension conditionnelle quant au renvoi aux articles 3 et 4 du Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.
ET CE JOUR :
[248] IMPOSE à l’intimée les sanctions suivantes :
- Sur le chef 1 : Une période de radiation temporaire de 15 jours
- Sur le chef 2 : Une réprimande
- Sur le chef 3 : Une période de radiation temporaire de 30 jours
- Sur le chef 4 : Une réprimande
[249] DÉCLARE que les périodes de radiation temporaire seront purgées de façon concurrente.
[250] RECOMMANDE au Conseil d’administration de l’Ordre d’imposer à l’intimée un stage de perfectionnement portant sur les deux prochains dossiers d’évaluations dans un contexte de l’ouverture d’un régime de protection ou de l’homologation de mandat. Au terme du stage, le superviseur fournira au comité exécutif un rapport sur le déroulement du stage et sur l’atteinte des objectifs.
[251] La supervision pouvant comporter les modalités suivantes :
a. L’observation par le superviseur, que ce soit en présence ou au moyen d’un enregistrement audiovisuel, dans au moins un dossier;
b. La révision par le superviseur des deux rapports d’évaluation psychosociale;
c. Le choix du superviseur doit être approuvé au préalable par le syndic adjoint;
d. Les honoraires et frais de la supervision étant assumés par l’intimée;
e. L’intimée consent à ce que le syndic transmette au superviseur la décision du conseil de discipline, le rapport d’enquête et les avis professionnels de Mme Nancy lachance, t.s.;
f. La durée totale de ce stage est de 20 heures pouvant inclure les lectures et travaux jugés nécessaires par le superviseur :
• Ce stage portera sur l'évaluation psychosociale dans le contexte des régimes de protection, du mandat donné en prévision de l'inaptitude et des autres mesures de protection au majeur.
• Le stage doit être exécuté dans les 12 mois de sa réinscription au tableau de l’Ordre, suivant l’échéance de la période de radiation temporaire d’un mois imposée à l’intimée, le cas échéant.
[252] DEMANDE au secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec de publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimée a ou avait son domicile professionnel.
[253] CONDAMNE
l’intimée au paiement des débours en vertu de l’article
[254] ACCORDE à l’intimée la possibilité de se prévaloir d’un délai de 18 mois pour s’acquitter des débours, des frais d’expertise et des frais de publication.
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__________________________________ Me CHANTAL PERREAULT, LL.M., Ad.É. Présidente
__________________________________ Mme MARIA COSTA, T.S. Membre
__________________________________ Mme BRIGITTE CÔTÉ, T.S. Membre
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Me Véronique Brouillette Avocate du plaignant |
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Mme Joanne Robillard |
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Agissant personnellement |
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Date d’audience : Date du délibéré : |
15 décembre 2017 15 février 2018 |
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[1]
Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Grand'Maison,
[2]
R. c. Lacasse,
[3]
Pigeon c. Daigneault,
[4]
Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Lazuno,
[5]
Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Boulet,
[6]
Notaires (Ordre professionnel des) c. Joly,
[7]
Sylvie Poirier, La discipline professionnelle au Québec, Cowansville,
Yvon Blais, 1998, pages 174 et 175; Drolet-Savoie c. Avocats,
[8]
R. c. Nasogaluak,
[9] RLRQ c. S-4.2, art. 19.
[10] Martin Hébert, Aspects juridiques du dossier de santé et de services sociaux, AQAM, juillet 2002, p. 117 à 119.
[11] S. Philips Nootens, R. P. Kouri, KOURI, et P. Lesage-Jarjoura, Éléments de responsabilité civile médicale, Cowansville, 4e édition, Yvon Blais, p. 447.
[12] Travailleurs sociaux (Ordre professionnel des) c. Rochette, 2012 CanLII 99569 (QC OTSTCFQ).
[13]
Travailleurs sociaux et thérapeutes
conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Moïse,
[14] Travailleurs sociaux (Ordre professionnel des) c. Rochette, supra, note 12.
[15] Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Moïse, supra, note 13.
[16]
Technologues en imagerie médicale, en radio-oncologie et en
électrophysiologie médicale du Québec (Ordre professionnel des) c. Baril,
2013 CanLII 104166 (QC OTIMRO); Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux
et familiaux (Ordre professionnel des) c. Fournier,
[17]
Orthophonistes et audiologistes (Ordre professionnel des) c. Roy,
[18] Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Gaudreault, 2018 CanLII 95928 (QC OTSTCFQ).
[19]
Travailleurs sociaux (Ordre professionnel des) c. Rochette,
[20]
Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre
professionnel des) c. Moïse,
[21]
Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Marquis,
[22] Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Bernier, 2018 CanLII 105824 (QC CDOII).
[23]
Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Roberge,
[24] Pièce SP-1 et SP-5.
[25] Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Gaudreault, supra, note 18.
[26] Supra, notes 9 et 10.
[27]
Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre
professionnel des) c. Lavoie,
[28]
Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre
professionnel des) c. Mathieu,
[29]
Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre
professionnel des) c. Falardeau,
[30]
Travailleurs sociaux (Ordre professionnel des) c. Gamache,
[31]
Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre
professionnel des) c. Peret,
[32]
Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre
professionnel des) c. Carrier,
[33]
Travailleurs sociaux (Ordre professionnel des) c. Rivest-Côté,
[34]
Lagacé c. Gingras, ès qualités (arpenteurs-géo.),
[35]
Avocats c. LeBoutillier,
[36]
Cloutier c. Ingénieurs forestiers,
[37] Notaires (Ordre professionnel des) c. Petrulian, supra, note 34.
[38]
Blanchette c. Psychologues (Ordre professionnel des),
[39] Lagacé c. Gingras, ès qualités (arpenteurs-géo.), supra, note 34.
[40] Loi modifiant diverses lois concernant principalement l'admission aux professions et la gouvernance du système professionnel, LQ 2017, c 11.
[41] Code des professions, RLRQ c. C-26.
[42]
Thibault c. Da Costa,
[43] Pierre-André Côté, avec la collaboration de Stéphane Beaulac, Mathieu Devinat, Interprétation des lois, Montréal, Thémis, 2009, 4e éd., paragr. 509 et 513.
[44]
Boehringer Ingelheim (canada) Ltée. c. Laval (Ville),
[46]
Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile),
[47] Pierre-André Côté, avec la collaboration de Stéphane Beaulac, Mathieu Devinat, Interprétation des lois, Montréal, Thémis, 2009, 4e éd., paragr. 509 et 513.
[48]
Charland c. Lessard,
[49] Id, paragr. 64.
[50]
Rouleau c. Mercier (Ville de),
[51]
Sarrasin c. Roy,
52 Gestion Jean & Guy Hurteau inc. c. Québec (Sous-ministre du
Revenu) (Agence du revenu du Québec),
[53]
Bazile c. Fonds d'indemnisation en assurance de personnes,
[54]
Droit de la famille — 093312,
[55]
Paquin c. Avocats,
[56] R. v. Lungal, [2008] ABPC 282, page 13.
[57] Droit de la famille — 093312, supra, note 54.
[58] Sarrasin c. Roy, supra, note 51.
[59]
Angus c. Sun Alliance compagnie d'assurance,
[60]
R. c. Loiseau,
[61]
R. c. Dulude,
[62]
Bélanger c. Commission des libérations conditionnelles du
Canada,
[63]
Longueuil (Ville de) c. Carquest Canada Ltée.,
[64] Entreprises Jacques Dufour et Fils inc. c. Québec (Sous-ministre du
Revenu),
[65]
Green c. R.,
[66]
Benner c. Canada (Secrétaire d'État),
[67] Forest et Unitcast Canada Ltee, 1989 CanLII 6086 (QC CALP).
[68]
Krichtoff c. Québec (Contrôleur des armes à feu),
[69]
9257-2486 Québec inc. c. Régie du bâtiment du Québec,
[70] Ibid.
[71] A. (P.) c. G. (C.), 2002 CanLII 63784 (QC CA).
[72] Droit de la famille — 093312, supra, note 54.
[73] Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), supra, note 46.
[74] Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), supra, note 46.
[75] Ibid.
[76] Ibid.
[77]
Brosseau c. Alberta Securities Commission,
[78]
Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile),
[79] Corporation de Ste-Angèle de Monnoir c. Bérubé, 1986 CanLII 3892 (QC CA).
[80]
Brosseau c. Alberta Securities Commission,
[81] Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), supra, note 46.
[82] Ibid.
[83] Ibid.
[84] Ibid.
[85]
Brosseau c. Alberta Securities Commission,
[86]
Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile),
[87]
Inhalothérapeutes (Ordre professionnel des) c. Milmore,
[88] Thibault c. Da Costa, supra, note 42.
[89] Physiothérapie (Ordre professionnel de la) c. Oliveira, supra, note 89.
[90] Anne-Marie Boisvert et Pierre A. Côté, « L’application dans le temps de mesures pénalisantes : destinées à protéger le public » 2018 Revue du Barreau, vol 77, pages 89 à 115.
[91] Brosseau c. Alberta Securities Commission, supra, note 85.
[92] Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), supra, note 46.
[93] Anne-Marie Boisvert et Pierre A. Côté, « L’application dans le temps de mesures pénalisantes : destinées à protéger le public » 2018 Revue du Barreau, vol 77, pages 89 à 115.
[95] Physiothérapie (Ordre professionnel de la) c. Oliveira, supra, note 89.
[96] Thibault c. Da Costa, supra, note 42.
[97] R. v. Vine (1875), 10 L.R. Q.B. 195.
[98] Re A Solicitor's Clerk, [1957] 3 All E.R. 617.
[99] Brosseau c. Alberta Securities Commission, supra, note 85.
[100] Ibid.
[101] R. v. Vine (1875), supra, note 97.
[102] Re A Solicitor's Clerk, supra, note 98.
[103] R. v. Vine, supra, note 97.
[104] Re A Solicitor's Clerk, supra, note 99.
[106]
Médecins (Ordre professionnel des) c.
Rancourt,
[107]
Psychologues (Ordre professionnel des) c. Côté,
[108]
Psychologues (Ordre professionnel des) c. Paquette,
[109] Médecins (Ordre professionnel des) c. Rancourt, supra note 106.
[110] Psychologues (Ordre professionnel des) c. Paquette, supra, note 108; Psychologues (Ordre professionnel des) c. Côté, supra, note 107.
[111] Médecins (Ordre professionnel des) c. Rancourt, supra, note 106.
[112]
Bilodeau c. Québec (Procureur général),
[113] Ibid.
[115] Ibid.
[116] Psychologues (Ordre professionnel des) c. Paquette, supra, note 108.
[117] Psychologues (Ordre professionnel des) c. Côté, supra, note 107.
[119]
Physiothérapie (Ordre professionnel de la) c. Besner,
[120] Anne-Marie Boisvert et Pierre A. Côté, L’application dans le temps de mesures pénalisantes « destinées à protéger le public » 2018 Revue du Barreau, vol 77, pages 89 à 115.
[121]
R. c. G. (G.),
[122] Inhalothérapeutes (Ordre professionnel des) c. Milmore, supra, note 114.
[123]
La Laurentienne-vie, compagnie d'assurance inc. c. l'Empire, compagnie
d'assurance-vie,
[124] Lefebvre c. Québec (Commission des affaires sociales), 1991 CanLII 3040 (QC CA).
[125]
Lacombe c. Sacré-Coeur (Municipalité de),
[126]
Groupe Sutton Immobilia inc. c. Ibrahim,
[127] Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), supra, note 46.
AVIS :
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