Laghribi c. Luu | 2023 QCTAL 17202 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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Nos dossiers : | 601451 31 20211207 G 672775 31 20230111 G 672775 31 20230111 S | Nos demandes : | 3412042 3763712 3831125 | |||
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Date : | 12 juin 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Sophie Alain | |||||
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Khaled Laghribi |
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Locataire - Partie demanderesse (601451 31 20211207 G) (672775 31 20230111 S) Partie défenderesse (672775 31 20230111 G) | ||||||
c. | ||||||
Khien Dong Luu
Khien Dung Luu
Nhu Binh Phan
Quynh Chi Thi Pham |
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Locateurs - Partie défenderesse (601451 31 20211207 G) (672775 31 20230111 S) Partie demanderesse (672775 31 20230111 G) | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi de trois demandes[1].
Dossier 601451 31 20211207 (demande 3412042)
[2] Le locataire demande une diminution de loyer de 25% rétroactive au 23 novembre 2020, des dommages moraux (4 000 $) pour les troubles et inconvénients subis et des dommages punitifs (8 000 $) en raison du harcèlement. Il demande aussi une ordonnance pour l’exécution en nature des obligations des locateurs pour les raisons suivantes :
« CONDAMNER les locateurs à avertir 24 heures ou suivant la situation avant d’entamer des travaux ou tout activité qui perturbe la jouissance paisible du logement du locataire.
ORDONNER les locateurs d’arrêter toute forme d’harcèlement auprès du locataire et de designer une seule personne contact pour communications qui ne nécessitent pas l’implication de tous les locateurs.
ORDONNER les locateurs d’arrêter toute forme illégale d’évincer le locataire ou accès au logement sans autorisation.
(…). »
Reproduit tel quel
[3] Au soutien de sa demande, il indique les motifs suivants :
« Les propriétaires de l’immeuble ne respectent pas leurs obligations envers le locataire, harcèlement et tentative d’éviction musclée :
Les locateurs nuisent à ma sécurité, atteignent à ma dignité et me font subir du harcèlement de leur parts. Ils m’envoient des lettres en continue me demandant de quitter le logement. Tentative musclée de m’évincer en recourant à la violence physique et en utilisant une machine perceuse. Access à mon logement sans mon consentement et enlèvement de la serrure en laissant le logement sans aucune verrou et non sécurisé. Menace de couper l’eau chaude avec intimidation et humiliations verbales.
-Ma jouissance paisible du logement n’est pas respectée par les locateurs : Tapage nocturne qui dure jusqu’à des heures très tardives, volume élevé de la télé, la music, claques violent des portes, bruit excessif de de ventilateurs, déplacements violent d’objets, chien qui jappe et aboie jours et nuit »
« Il n’a jamais d’avis qui est envoyé avant de procéder à des coupures d’eau ou tout autre action qui affecte mon logement, incluent l’accès et travaux au balcon du mon logement sans me prévenir. Les travaux font un bruit intolérable sans respect des heures de de travail, et sa continue depuis plus d’une année sans donner aucune date de fin. En plus de la musique jouée pendant les travaux avec augmentation de volume de musique si je demande de le baisser.
- Avoir refuser d’intervenir pour réparer la fuite d’eau au plafond pendant cinq semaines jusqu’à ce que situation soit devenue grave.
- Ignorer ma demande du relevé 31 pour déclaration des revenues jusqu’à expiration des délais.
Les réparations n’ont pas été fait malgré la mise en demeure :
- L’état dégradé de l’isolement et l’insonorisation de l’appartement nécessite d’être réparée. Les portes présentent des preuves de mauvaise étanchéité et fonctionnement, ils doivent être remplacer.
- Les problèmes de moisissures sur les murs de mon logement particulièrement ceux de la salle de bain.
- Débranchement de la sonnette et bouton ouverture et refus de remettre la clé de la porte principale. »
Reproduit tel quel
Dossier 672775 31 20230111 (demande 3763712)[2]
[4] Les locateurs pour leur part requièrent la résiliation du bail pour les motifs suivants :
« 1- Le locataire (défendeur) ne respecte pas ses obligations en vertu de l’article
2- Le locataire avait refusé de donner accès à son logement malgré un avis écrit de plus de 24 heures;
3- Le locataire n’use pas son logement avec prudence et diligence, il n’est pas bien entretenu et a de la moisissure excessive parce qu’il fait sécher ses vêtements à l’intérieur;
4- Le défendeur aurait provoqué des incidents avec une locataire dans l’unique but de la nuire avec de fausses allégations et des plaintes à la police ainsi qu’auprès de la municipalité;
5- Le défendeur invente des faits qui ne sont pas arrivés afin que les locateurs aient des problèmes avec les policiers et au Tribunal administratif du logement;
6- Une locataire de l’immeuble ainsi que les locateurs qui résident dans l’immeuble craint pour leur sécurité;
7- Le défendeur ne respecte pas la vie privée ni l’inviolabilité de la demeure des locateurs et est entré dans le logement des locateurs à plusieurs reprises;
8- Puisqu’il y a des fausses plaints, de la violence physique et verbales ainsi qu’une cohabitation impossible les locateurs veulent avoir une résiliation du bail du locataire;
9- Les locateurs demandent la réunion de ce dossier avec celui qui porte le numéro 601451;
10- Le locataire s’est livré à des voies de fait sur l’un des locateurs qui a perdu connaissance, qui a dû être hospitalisé et a également dû se rendre au Vietnam pour avoir des soins de santé non-couverts au Québec;
11- Le locataire payait fréquemment son loyer en retard, ce qui a causé des préjudices sérieux jusqu’à la première audience au Tribunal;
12- Les locateurs craignent pour leur vie et leur sécurité; »
Reproduit tel quel
Dossier 672775 31 20230111 (demande 3831125)
[5] Finalement, par une demande déposée le 25 janvier 2023, le locataire requiert de déclarer abusive la demande des locateurs et de les déclarer quérulents et forclos de produire toute autre demande contre lui. Il demande aussi 2 000 $ en dommages-intérêts punitifs, plus les dommages-intérêts compensatoires.
[6] Le locataire plaide que la demande des locateurs est abusive et sans fondement et qu’il y a lieu d’interdire le dépôt de toute nouvelle procédure, dans le présent dossier.
[7] Les locateurs contestent vigoureusement le bien-fondé de la requête du locataire.
[8] Le témoignage des locateurs fut traduit par un interprète officiel.
QUESTIONS EN LITIGE
[9] Le Tribunal identifie les questions suivantes :
[10] Pour les motifs ci-dessous, le Tribunal juge que le locataire a été victime de harcèlement, mais il résilie son bail de logement, car celui-ci a assené un coup de poing au visage d’un des locateurs, un acte de violence inadmissible dans le cadre d’une relation contractuelle.
[11] Les parties sont liées par un bail de logement pour la période reconduite du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 au loyer mensuel de 500 $, payable le premier jour de chaque mois.
[12] Le locataire habite son logement depuis 2010[3]. Son logement comporte 3½ pièces. Il est situé à l’étage d’un triplex.
[13] À son arrivée, son propriétaire locateur était Thuy Vinh DUANG. Ce dernier a acquis l’immeuble en 1994 jusqu’à sa faillite. Il témoigne que le triplex fut construit vers 1960.
[14] La voisine du locataire, Liliana Bejarano, a emménagé à l’immeuble la même année que le locataire. Elle y habite toujours, mais elle s’absente souvent depuis le départ de son fils. Elle admet que l’insonorisation de l’immeuble est déficiente.
[15] En juin 2020, Thuy Vinh DUANG vend l’immeuble aux quatre locateurs, Dung, Nhu Binh, Dong et Quynh Chi Thi[4].
[16] Dung et Dong sont frères. Seul Dong parle le français, et ce, avec difficulté.
[17] Dong sera celui qui communique avec le locataire jusqu’à ce que Dung emménage à l’immeuble.
[18] À l’été 2020, Dung et son fils entreprennent des travaux de rénovation au rez-de-chaussée. Les travaux s’étaleront jusqu’au printemps 2021, soit au moment où Dung et son épouse, Nhu Binh, emménagent au rez-de-chaussée de l’immeuble avec enfants et les parents[5] de Nhu Binh qui est leur aidante naturelle.
[19] Dong et son épouse, Quynh Chi Thi, habitent à l’extérieur de Montréal.
[20] Le locataire témoigne qu’un mois après l’achat du triplex, les locateurs ont débuté des travaux fort bruyants avec des outils de type marteau-piqueur. Il y a eu aussi des coupures d’eau. Il produit deux clés USB des bruits, rencontres et altercations[6].
[21] Les locateurs ont admis avoir exécuté des travaux, mais dans le respect des autres occupants. Quant au bruit du ventilateur, Thuy Vinh a témoigné l’avoir remplacé par un neuf et malgré cela, le locataire se plaignait toujours.
[22] Enfin, le soir du 15 octobre 2022 vers 23 h 00, une agression physique survient entre le locataire et Dung. Thuy Vinh explique qu’il était assis face à la rue sur une marche de l’escalier à attendre un taxi Uber à discuter avec Dung lorsque le locataire est sorti par la porte principale de l’immeuble. Après une courte marche sur la rue, le locataire revient et une altercation survient entre Dung et le locataire.
ANALYSE ET DÉCISION
[23] Les règles régissant le bon voisinage sont pertinentes à la présente affaire, car le droit à la jouissance paisible d’un locataire est toujours subordonné à celui des autres résidents. La notion juridique de « trouble du voisinage » est prévue à l’article
« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »
[24] Il s’agit d’un régime de responsabilité sans faute qui est axé sur le résultat de l’acte accompli plutôt que sur le comportement[7]. Il se fonde sur la gravité de l'inconvénient causé à son voisin, sous le prisme de la « normalité » et du « caractère tolérable » de l'inconvénient.
1- DIMINUTION DE LOYER
[25] Un locateur a l’obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués, d’effectuer les réparations nécessaires, de délivrer un logement en bon état d'habitabilité et de maintenir le logement en bon état d'habitabilité. Ce sont des obligations de « résultat ».
[26] L'inexécution d'une obligation du locateur confère, à certaines conditions, le droit de demander, entre autres, la diminution du loyer, des dommages et, dans les cas qui le permettent, une ordonnance d'exécution en nature (article
[27] Les moyens de défense d’un locateur sont limités[8]. Pour s'exonérer, le locateur doit démontrer soit la force majeure ou qu'il n'a pu remplir ses obligations en raison de l'acte d'un tiers ou du locataire. Il ne peut invoquer qu'il a agi avec diligence raisonnable pour atténuer sa responsabilité.
[28] Cela étant dit, toute contravention aux obligations découlant du bail n'est pas synonyme de diminution de loyer. En effet, la jurisprudence reconnaît qu'aucune diminution n'est possible en l'absence de perte réelle et significative de la valeur locative[9] ou dans les cas où la problématique est d'ordre esthétique plutôt que fonctionnel.
[29] De surcroit, sauf exception, la transmission d'une mise en demeure formelle est requise pour donner ouverture au recours, la notification d'une procédure judiciaire pouvant en tenir lieu[10].
[30] Le Tribunal répond par la négative et rejette la diminution de loyer de 25% rétroactive au 23 novembre 2020.
[31] La preuve du locataire ne convainc pas, de manière prépondérante, qu’il y a eu une perte sérieuse de la valeur locative.
[32] Concernant la nuisance causée par les bruits des travaux au rez-de-chaussée, la preuve du locataire n’est pas prépondérante de bruits dérangeants, répétitifs ou excessifs qui excèdent les inconvénients normaux que les voisins doivent tolérer.
[33] Quoiqu’il y ait eu, à l’occasion, des bruits de démolition, de perceuse, sableuse et de marteau, la majorité des autres preuves vidéo démontrent que l’endroit est relativement silencieux ou encore les bruits sont assourdis; on entend davantage les bruits urbains.
[34] Les travaux de 8 h 00 à 18 h 00 ont lieu durant les heures normales par la loi (de 7 h 00 à 19 h 00) à l’exception de deux occasions.
[35] Le Tribunal rejette l’argument du locataire qu’il a besoin de dormir durant le jour[11]. Le Tribunal a rejeté la preuve d’enregistrement du locataire lorsqu’il s’introduit, sans droit, dans le logement des locateurs au rez-de-chaussée.
[36] Le Tribunal rejette l’argument du locataire que Dung et son fils mettaient la musique pour se venger du locataire – ni ne le retiendra pour le motif de harcèlement.
[37] Concernant le jappement du chien de la voisine, la preuve de l’enregistrement du 2 juillet ou du 27 novembre 2022, est loin d’être dérangeante; le jappement est à peine perceptible. Au contraire, elle convainc le Tribunal que le locataire semble intolérant au bruit, comme l’ont noté sa voisine et l’ancien propriétaire dans leur témoignage.
[38] D’ailleurs, l’enregistrement du locataire du 14 août 2020 appuie, à nouveau, le témoignage de Liliana que le locataire a provoqué son chien. Quant au vidéo du 22 mars 2021, le Tribunal doit conclure à la normalité du jappement d’un chien lorsque le locataire monte l’escalier pour accéder à son logement, d’autant plus qu’il est de courte durée[12].
[39] Concernant l’écoulement d’eau dans la cuisine du logement du locataire, les locateurs ont fait exécuter les travaux correctifs à la toiture[13], et ce, rapidement[14].
2- HARCÈLEMENT
[40] La loi interdit à un locateur d’user de harcèlement envers un locataire pour diminuer la jouissance du logement ou obtenir le départ du locataire. Cette interdiction est prévue à l’article
« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement.
Le locataire, s’il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
[41] Le Petit Robert définit le verbe « harceler » comme suit : « Soumettre sans arrêt à de petites attaques réitérées, à de rapides assauts incessants »[15]. Me Pierre Pratte définit le harcèlement comme une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement[16].
[42] Le Tribunal comprend que Dung et Nhu Binh voulaient reprendre le logement du locataire pour y loger, vu l’espace insuffisant du rez-de-chaussée pour loger toute la famille. Or, la loi leur interdit cette possibilité puisqu’ils ont acquis l’immeuble avec le frère de Dung et son épouse[17]. Le Tribunal ne sait si l’agent d’immeuble les a informés.
[43] Toutefois, Dung et Nhu Binh ne pouvaient pas agir comme ils l’ont fait.
[44] Le Tribunal est convaincu que Dung et Nhu Binh ont usé de pression indue, voire de harcèlement, envers le locataire pour qu’il quitte l’immeuble.
[45] Par exemple, en août 2020, ils demandent la reprise du logement pour y effectuer des travaux[18]. Le locataire leur répond que leur demande n’est pas valide. Le 25 septembre 2020, Dung et Nhu Binh informent le locataire que leur demande de reprise est reportée[19].
[46] Ensuite, Nhu Binh adresse la parole au locataire en criant en vietnamien de manière injustifiée; le Tribunal ne peut tenir compte qu’elle vit beaucoup d’anxiété en raison de l’aide qu’elle apporte à ses parents malades.
[47] Le 20 novembre 2020, Dung et Nhu Binh exigent le départ du locataire au 30 novembre 2020[20], tout en affirmant qu’il ne détient aucun bail !
[48] Malgré sa mise en demeure le 23 novembre 2020[21] par laquelle le locataire demande que cesse le harcèlement, Dung et Nhu Binh transmettent une nouvelle missive au même effet, le 29 novembre 2020; elle offre deux options dont celle du départ du locataire au plus tard le 15 décembre 2020 !
[49] Le 28 décembre 2020, Dong écrit au locataire que s’il veut la tranquillité, alors il doit déménager[22].
[50] Ensuite, le 1er mars 2021, Dung et Nhu Binh transmettent un avis d’augmentation du loyer de 150 $ par mois, pour faire passer le loyer à 650 $[23].
[51] Le 16 mars 2021, Dong écrit au locataire « toute façon tu vas partir la fin mars ».[24]
[52] Et en avril, Dung utilise un outil électrique pour la serrure de la porte du locataire qui mobilisera l’intervention de la police[25].
[53] Puis, malgré la demande du locataire du 4 avril pour obtenir son Relevé 31, il ne le recevra que le 7 mai 2021, soit après le 30 avril (date butoir pour produire une déclaration d’impôt)[26].
[54] Le 22 novembre 2021, Me Tran, avocate de Dung et Nhu Binh, transmet un avis de reprise au locataire[27]. Le locataire répond le 7 décembre qu’il refuse la reprise à moins qu’on lui verse une somme de 15 000 $[28].
[55] Cette insistance était illégale et irrespectueuse des droits du locataire qui occupe les lieux loués depuis plus de 10 ans. D’ailleurs, à deux reprises, Dung et et Nhu Binh exigent le départ du locataire dans un délai de 10 et de 15 jours!
[56] Leur démarche constitue une tactique en vue d'atteindre un objectif recherché, soit le départ du locataire, malgré son droit au maintien dans les lieux loués, la pierre d’assise du droit locatif québécois.
[57] Ce harcèlement par Dung et Nhu Binh, mais également Dong justifie l'octroi de dommages punitifs.
[58] Le locataire réclame 8 000 $ à titre de dommages punitifs, plus 4 000 $ pour tous les troubles subis.
[59] Les dommages punitifs obéissent à des règles qui leur sont propres. Ils ne sont pas de nature compensatoire, mais plutôt de nature préventive, dissuasive, punitive et répressive.
[60] L’octroi de dommages punitifs « ne dépend pas de la mesure du préjudice résultant de l’atteinte illicite, mais du caractère intentionnel de cette atteinte » [29].
[61] Par contre, le locataire n’a pas fait la preuve de la capacité financière des locateurs.
[62] Dans les circonstances du présent dossier et le respect des principes directeurs de l’article
[63] Quant aux dommages moraux, le Tribunal ne peut retenir la somme souhaitée par le locataire, considérant sa conduite répréhensible avec les locateurs (manque à l’obligation de bonne foi et insistance exagérée dans ses plaintes); il condamne les locateurs à 500 $.
3- RÉSILIATION DU BAIL
[64] Les locateurs invoquent le non-respect des obligations contractuelles du locataire pour obtenir la résiliation du bail en vertu de l’article
[65] Un locataire doit se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres résidents d’un immeuble, comme l’exige l’article
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l’usage du bien ou l’accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »
[66] Si un locataire ne respecte pas cette obligation, le locateur peut demander la résiliation du bail. Pour conclure à la résiliation du bail, la preuve doit démontrer que la contravention du locataire entraîne un « préjudice sérieux » au locateur et/ou aux autres locataires[31].
[67] Néanmoins, le droit à la résiliation de bail n’est pas un droit acquis, même si une faute ponctuelle et le préjudice sérieux sont établis. C’est pourquoi, les motifs relatifs aux retards fréquents ne peuvent, ici, justifier la résiliation du bail puisque depuis juin 2022, le locataire s’est amendé.
[68] Le Tribunal conclut que le locataire a contrevenu à ses obligations contractuelles et qu’il doit résilier son bail.
[69] L’agression physique du 15 octobre 2022 du locataire envers Dung justifie la résiliation du bail à elle seule, vu sa gravité.
[70] Comme le rappelle la juge administrative Marie-Louisa Santirosi, « la gravité d'un seul acte cause un préjudice nocif et continu, comme dans la présente situation, il n'a pas à être persistant ou continu dans le temps pour appuyer la résiliation » [32].
[71] Même en prenant pour véridique que Dung ait pu avoir un comportement confrontant, la réplique du locataire, qui l’a assené d’un coup de poing au visage, était injustifiée. Le locataire aurait dû simplement quitter en montant les escaliers sans répliquer.
[72] La preuve photographique du visage de Dung démontre que les conséquences subies par celui-ci ont été graves. Le rapport radiologique des radiographies prises le 16 octobre 2022 en matinée attestent des fractures au visage de Dong. Il a obtenu son congé le 18 octobre 2022 et fut mis en arrêt de travail durant deux semaines.
[73] Ce seul événement constitue une source de peur et de craintes pour Dung et sa famille. Nul doute qu’il s’agit là d’un préjudice, très sérieux, qui justifie la résiliation du bail et l'expulsion du locataire.
[74] Les actes de violence (verbales, menaces ou physiques) sont graves et tout à fait inacceptables dans notre société.
[75] Il est intolérable qu’un locataire ait ce genre de comportement envers son locateur qui habite l’immeuble. Jamais un propriétaire ne devrait être victime d’une telle agression.
[76] Mais il y a plus[33].
[77] Le locataire est entré, sans droit, dans le logement des locateurs au rez-de-chaussée[34].
[78] Le locataire ne respecte pas l’obligation de collaboration et de bonne foi[35], puisqu’il menace de refuser de coopérer pour le dépôt du conteneur[36].
[79] La preuve convainc que le locataire ne respecte pas l’obligation de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale de sa voisine Liliana; il crie ou il frappe le mur chaque fois qu’elle ouvre le ventilateur de sa salle de bain. Thuy Vinh a témoigné avoir dû intervenir à trois reprises pour régler un conflit de bruit entre le locataire et Liliana. Lors du 4e épisode, il a obligé Liliana à communiquer avec la police. Ensuite, Liliana a témoigné des insultes proférées en arabe par le locataire à son égard qui n’ont pas été contredites par le locataire. La défense du locataire, que sa voisine lui a demandé à l’occasion des services, est insuffisante.
[80] Aussi, le Tribunal n’exercera pas son pouvoir discrétionnaire de prononcer une ordonnance[37], puisqu’il ne s’agit pas d’une solution appropriée, vu les circonstances particulières du dossier.
[81] L’exécution provisoire de l’ordonnance d’expulsion est justifiée puisque la présente situation rencontre les critères de l’article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[38].
[82] Puisque le Tribunal résilie le bail du locataire, il n’y a plus d’objet à analyser la demande du locataire relative à l’exécution des obligations des locateurs.
4- ABUS - REQUÊTE EN LIMITATION PROCÉDURALE - OCTROI DE DOMMAGES
[83] Un justiciable est tenu de ne pas exercer ses droits de manière abusive. L'abus de procédures ne se présume pas[39]. La partie défenderesse qui plaide que le recours est abusif a donc le fardeau de le démontrer; un examen minutieux est requis.
[84] Ce recours s’appuie sur l’article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[40] qui énonce :
« 63.2. Le Tribunal peut, sur demande ou d’office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu’il juge abusif ou dilatoire ou l’assujettir à certaines conditions.
Lorsque le Tribunal constate qu’une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d’empêcher l’exécution d’une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d’introduire une demande devant lui à moins d’obtenir l’autorisation du président ou de toute autre personne qu’il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu’il désigne détermine.
Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d’un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l’article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine. »
[Caractère gras ajouté]
[85] Cependant, tel que l’indique la Cour d’appel : « la barre est haut placée et elle doit le demeurer au risque de banaliser ce qu’est une procédure abusive et de constituer un frein à l’accès à la justice »[41].
[86] Les principes établis par la Cour d'appel en matière d'abus de procédures dans l'arrêt Viel[42] et repris dans l’arrêt Charland c. Lessard[43], sont toujours pertinents : le Tribunal doit faire preuve de prudence dans l'analyse d'une demande qui vise à limiter le droit des parties à s'adresser aux tribunaux pour faire trancher un litige[44].
[87] Le Tribunal répond par la négative. La preuve soumise ne révèle aucune mauvaise foi, insouciance, négligence ni témérité de la part des locateurs dans l’exercice du recours qu’ils ont intenté contre le locataire.
[88] Le Tribunal rappelle qu’à l’introduction du premier recours, la preuve était probante que le loyer était payé en retard, notamment. L’introduction du second recours fut motivée et nécessaire puisqu’une autre juge avait entendu une première audience dans le recours des locateurs[45].
[89] De plus, le Tribunal administratif du logement ne possède pas l’autorité nécessaire pour déclarer un justiciable de « quérulent ».
[90] Enfin, la demande de limitation procédurale (« forclos »)[46] est prématurée tandis que la demande d’attribution de dommages-intérêts punitifs et compensatoires recherchée par le locataire est rejetée. Les décisions soumises par le locataire ne sont pas applicables aux faits en cause[47].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[91] ACCUEILLE, en partie, la demande;
[92] CONDAMNE les locateurs, Dung Luu Khien, Nhu Binh Phan et Dong Luu Khien, à payer au locataire 2 500 $ à titre de dommages punitifs, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[93] CONDAMNE les locateurs à payer au locataire 500 $ à titre de dommages moraux, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[94] CONDAMNE les locateurs à payer au locataire les frais applicables de 119 $[48];
[95] REJETTE les autres conclusions recherchées.
[97] RÉSILIE le bail entre les parties aux torts du locataire et ORDONNE l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
[98] ORDONNE l'exécution provisoire de l’ordonnance d’expulsion, même s’il y a appel, à compter du 21e jour après la signature de la décision;
[99] CONDAMNE le locataire à payer aux locateurs les frais applicables de 84 $[49].
[100] REJETTE la demande du locataire de déclarer abusive la demande des locateurs;
[101] REJETTE la demande de limitation procédurale et de dommages du locataire.
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Sophie Alain | ||
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Présence(s) : | le locataire les locateurs Khien Dong Luu et Nhu Binh Phan Me Caroline Chalut, avocate des locateurs | ||
Date de l’audience : | 21 mars 2022 | ||
Présence(s) : | le locataire les locateurs Khien Dong Luu et Khien Dung Luu Me Caroline Chalut, avocate des locateurs | ||
Date de l’audience : | 20 janvier 2023 | ||
Présence(s) : | le locataire les locateurs Khien Dong Luu, Khien Dung Luu et Nhu Binh Phan Me Caroline Chalut, avocate des locateurs | ||
Date de l’audience : | 14 mars 2023 | ||
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[1] Les demandes sont réunies pour la bonne administration de la justice, comme lui permet l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01.
[2] Ce dossier est essentiellement le même qu’un précédent recours introduit le 9 mai 2022 sous le numéro 631870 31 20220509. Une première audience a eu lieu le 18 juillet 2022 devant un autre juge, laquelle fut ajournée au 11 janvier 2023. Or, comme l’avocate était déjà retenue dans un autre dossier au Tribunal administratif du logement à la même heure et dans une autre ville, cette dernière audience fut remise. Afin de réunir les deux recours pour être entendu par la même juge, l’avocate a introduit un nouveau recours et il y a eu désistement du premier.
[3] L-5.
[4] L’utilisation des prénoms a pour but d’alléger le texte et non à faire preuve de familiarité ou de prétention et ne doit pas être vue comme un manque de courtoisie à l’égard des parties.
[5] Le père de Nhu Binh est décédé le 11 décembre 2022.
[6] L-2, liste des divers enregistrements aux clés USB L-20 et L-23.
[7] Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette,
[8] Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 7e édition par P.-G. JOBIN avec la collab. de Nathalie VÉZINA, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, parag. 40; Vincent KARIM, Les obligations, Wilson & Lafleur, 2015 [en ligne]; École du Barreau du Québec, Volume 5 - Obligations et contrats, Collection de droit 2015-2016, Y. Blais, 2015 [en ligne]. Voir la jurisprudence suivante : Albert c. Tang, R.L, Montréal, 31-090904-108G, 23 novembre 2009, j.a. Francine Jodoin; Medrano Castillo c. Rizutto,
[9] Denis LAMY,
[10] Articles
[11] L-20 audio 006.
[12] L-23 – 304.
[13] P-7 (estimé le 17 novembre et les travaux le 29 novembre 2020).
[14] Georges Allaf et Associés c. Bonnefin,
[15] Petit Robert, Paris, Éditions Le Robert, 1995, p. 1071.
[16] Me Pierre PRATTE, Le harcèlement envers les locataires et l'article
[17] Article
[18] L-4 et L-7.
[19] L-9.
[20] L-12.
[21] L-13.
[22] L-8.
[23] L-22.
[24] L-8, p. 5.
[25] L-20, 029 voice. L’enregistrement du locataire démontre que les policiers intervenus à la suite de l’appel du locataire ont été exemplaires.
[26] L-8, p. 5.
[27] L-21.
[28] P-3.
[29] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand.
[30] Voir parag. 138 à 153 de Genex Communications Inc. c. Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo* (C.A., 2009-11-20), 2009 QCCA 2201,
[31] L’article
[32] Habitations Solid'aires, s.e.n.c. c. Lafrenaye,
[33] Le Tribunal rejette néanmoins les arguments relatifs à l’usage du logement, car les photographies (P-9) ne sont pas probantes.
[34] P-8.
[35] L’obligation de la bonne foi oblige tant un locateur qu’un locataire à agir de « bonne foi » envers l’autre partie ; cela signifie que les parties doivent se conduire honnêtement et ne rien faire qui cause préjudice à une d’elles.
[36] P-6, p. 12 le 23 juillet 2020.
[37] Comme le permet l'article
[38] RLRQ, c. T-15.01.
[39] Cosoltec Inc. c. Structure Laferté Inc.,
[40] RLRQ, c. T-15.01.
[41] Biron c. 150 Marchand Holdings Inc.,
[42] Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée,
[43] Charland c. Lessard,
[44] Pyrioux Inc. c. 9251-7796 Québec Inc.,
[45] Pour éviter des décisions contradictoires s’appuyant sur les mêmes faits et les mêmes personnes (règles de litispendance).
[46] Structures métropolitaines (SMI) Inc. c. Cour du Québec du district judiciaire de Montréal (C.S., 2019-07-18), 2019 QCCS 5368,
[47] Maurin c. Julien,
[48] L’article 7 du Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement, RLRQ, T-15.01, r. 6, indique que les frais comprennent les frais de timbre, plus les frais maximums de notification ou de signification.
[49] L’article 7 du Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement, RLRQ, T-15.01, r. 6, indique que les frais comprennent les frais de timbre, plus les frais maximums de notification ou de signification.
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