Décision

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Section des affaires immobilières

En matière de fiscalité municipale

 

 

Date : 12 juillet 2023

Référence neutre : 2023 QCTAQ 07216

Dossier : SAI-M-295076-2002

Devant les juges administratifs :

MANON GOYER

PHILIPPE TREMBLAY

 

LES SOMMETS DE LA VALLÉE INC.

Partie requérante

c.

VILLE DE SAINT-SAUVEUR

MRC LES PAYS-D'EN-HAUT

Parties intimées

 

 


DÉCISION


 


 


APERÇU

[1]                    La partie requérante, les Sommets de la Vallée inc. (la requérante) conteste la valeur inscrite au rôle triennal d’évaluation 2019 de la station de ski et parc aquatique Sommet St-Sauveur (St-Sauveur) et de la station de ski Sommet Olympia (Olympia)[1].

[2]                    Ces recours sont entendus simultanément, les parties présentant une preuve commune. Des décisions distinctes sont cependant rendues pour chacun des recours.

[3]                    Cette décision concerne St-Sauveur[2] dont la valeur inscrite au rôle est de 32 089 800 $[3]. La requérante demande une réduction de valeur à 20 165 000 $[4], alors que les parties intimées (les intimées), à la suite d’une évaluation particularisée, recommandent une valeur de 29 400 000 $[5].

[4]                    Les centres de ski sont des entreprises dans lesquelles sont exercées des activités dont les actifs principaux sont une montagne aménagée, des immeubles situés au pied des pentes et des équipements constitués de remontées mécaniques. Les revenus perçus proviennent d’une gamme de services et font en sorte que le bénéfice net généré provient de l’exploitation d’activités commerciales.  Des activités estivales viennent parfois s’y greffer, ce qui est le cas de St-Sauveur avec ses glissades d’eau et sa piscine à vague.

[5]                    En fiscalité municipale, puisque seuls les immeubles doivent être portés au rôle d’évaluation, il est nécessaire de scinder la valeur attribuable au fonds de commerce pour n’isoler que la valeur de l’immeuble. Donc d’identifier et soustraire la valeur des actifs intangibles.

[6]                    Pour déterminer la valeur de St-Sauveur, les experts immobiliers des deux parties[6] appliquent les méthodes du coût et du revenu, en privilégiant les résultats obtenus par la méthode du revenu. Ils sont appuyés dans leurs analyses par des experts en évaluation d’entreprise[7].

[7]                    Au terme d’un processus de conférences préparatoires, les parties ont conclu plusieurs ententes qui sont détaillées plus loin dans la décision. Ainsi, le litige se résume comme suit :

  • Quels sont les revenus à retenir pour établir la valeur économique de la propriété en litige selon la Loi sur la fiscalité municipale (LFM)?
    • Selon la thèse de la requérante, les revenus accessoires aux activités du ski et du centre aquatique, soit ceux des restaurants et bars, boutique, atelier de réparation, location d’équipement, école de glisse et consignes, doivent être remplacés par un loyer marchand, puisqu’il s’agit de revenus d’entreprise;
    • Selon la thèse des intimées, l’opération commerciale d’une station de ski forme un tout. Chaque poste de revenu a une raison d’être bien précis et est dépendant des autres postes. Ainsi, la totalité des revenus est considérée et il n’y a donc pas lieu de remplacer les revenus accessoires ciblés par la requérante par un loyer marchand;
    • Les thèses soutenues par chacune des parties provoquent un différentiel de 4,6 M$ dans le revenu brut utilisé pour déterminer la valeur économique de la propriété.
  • Quel est le revenu net, ou le BAIIA[8], à actualiser?
  • Nonobstant la question de la taxation, quel est le TGA applicable?
    • Les deux experts appliquent la méthode du placement gradué pour déterminer le TGA. L’expert des intimées applique également un procédé paritaire consistant à dériver le TGA de ventes de propriétés comparables, ceci afin de corroborer les résultats obtenus par la méthode du placement gradué;
    • Une fois le TGA applicable déterminé, le Tribunal se penchera sur les déductions post-actualisation, puisque les experts déduisent la valeur des biens meubles ainsi que la valeur des biens intangibles compris dans la valeur actualisée, en accord avec l’esprit de la LFM.
  • Existe-t-il une désuétude économique et de quelle ampleur est-elle?
    • Les experts se sont entendus sur tous les paramètres de la méthode du coût, à l’exception de la désuétude économique. Ils la déterminent en fonction de l’écart de valeur, entre la valeur indiquée par la méthode du coût déprécié physiquement et la valeur obtenue par la méthode du revenu;
    • Étant donné la thèse soutenue par chaque partie, l’écart à ce chapitre est substantiel, l’expert de la requérante appliquant 52,5 % et celui de l’intimée 15 %.

[8]                    Le Tribunal s’attardera donc à analyser plus particulièrement la méthode du revenu puisque c’est celle qui est privilégiée par les parties, en accord avec la doctrine et la jurisprudence pour ce type de propriété qui se transige en fonction de la rentabilité.

[9]                    Le Tribunal a effectué une visite des bâtiments situés au bas des pentes dans le but de mieux comprendre la localisation des espaces dédiés aux activités accessoires.

[10]               Après analyse de la preuve et pour les motifs ci-après exprimés, le Tribunal détermine la valeur réelle de la propriété en litige à 27 023 000 $.


CONTEXTE

Description de la propriété

[11]               St-Sauveur est le fleuron des centres de ski détenus par la requérante, les autres étant Avila, Morin-Heights, Olympia, Gabriel et Edelweiss. Cet ensemble de propriétés fait de la requérante une des plus grandes entreprises de ski au Québec et l’une des dix plus importantes en Amérique du Nord en 2016[9].

[12]               St-Sauveur se caractérise par son offre d’activités hivernale et estivale. Il partage la montagne avec la station Avila qui se trouve sur un autre versant, dans la municipalité de Piedmont. La valeur de la station Avila n’est pas contestée et ne fait pas partie de la requête.

[13]               St-Sauveur comprend 30 pistes de ski de catégorie facile à expert[10]. La totalité du domaine skiable, d’environ 142 acres, bénéficie d’infrastructures d’enneigement artificiel ainsi que d’éclairage permettant le ski de soirée.

[14]               D’une dénivellation de 213 mètres, on y compte huit remontées[11] mécaniques, dont une remontée à six places avec bancs chauffants depuis novembre 2019. Comme la majorité des centres de la requérante, on y retrouve une école de ski.

[15]               Concernant les activités estivales, on y retrouve un mini-golf et des manèges ainsi qu’un des plus gros parcs aquatiques en montagne, comportant 20 glissades et une piscine à vague. Le tout est agrémenté de plusieurs terrasses en pavé uni ou béton dans l’ensemble du site[12].

[16]               Sur le site, on retrouve un chalet principal offrant un casse-croute avec une variété de mets chauds et froids, une grande cafétéria, un resto-bar, un service de location d’équipement, une boutique ainsi qu’un atelier de réparation.

[17]               St-Sauveur est fréquenté par la clientèle de la grande région métropolitaine de Montréal ainsi que les villégiateurs de la région, autant l’hiver que l’été. Elle bénéficie d’un bassin de population estimé à 3,5 M[13].

[18]               Par sa localisation, à proximité du village de St-Sauveur et ses facilités d’accès via l’autoroute 15, elle bénéficie d’un statut particulier. Le ski de soirée a fait sa renommée et il s’agit maintenant du domaine skiable le plus éclairé dans l’est de l’Amérique du Nord. Son parc aquatique possède une réputation grandissante par ses innovations continuelles.

[19]               Il s’agit d’une station de type journalier, c’est-à-dire qu’elle est visitée par une clientèle qui skie quelques heures ou une journée, et retourne chez elle après son activité, comparativement aux stations de destination, telle que Mont-Tremblant qui offre de l’hébergement au pied des pentes[14].

Cadre juridique applicable et doctrine

[20]               Il convient de rappeler que le Tribunal doit déterminer la valeur réelle selon les règles prescrites par la Loi sur la fiscalité municipale[15].

[21]               La valeur recherchée par le Tribunal en fiscalité municipale, est la valeur réelle[16] d’un immeuble, définie comme la valeur d’échange sur un marché libre et ouvert à la concurrence, soit le prix le plus probable qui peut être payé lors d’une vente de gré à gré[17], dans les conditions où le vendeur et l’acheteur :

  • désirent respectivement vendre et acheter, mais n’y sont pas obligés;
  • sont raisonnablement informés de son état, de l’utilisation qui peut le plus probablement en être faite et des conditions du marché immobilier.

[22]               Pour établir cette valeur réelle, il faut notamment tenir compte de l’incidence que peut avoir sur son prix de vente le plus probable la considération des avantages ou désavantages qu’elle peut apporter, en les considérant de façon objective[18].

[23]               C’est dans ce contexte que le Tribunal doit rechercher la valeur de l’immeuble à l’étude, laquelle est prescrite comme date de référence à la LFM, dans le présent cas le 1er juillet 2017.

[24]               La jurisprudence constante établit que l’inscription d’une valeur au rôle d’évaluation bénéficie d’une présomption de validité et d’exactitude[19]. Cependant, cette présomption tombe lorsque l’évaluateur municipal, ou son remplaçant, recommande au Tribunal de modifier la valeur inscrite au rôle, ce qui est le cas dans le présent dossier[20]. Ainsi, le Tribunal doit analyser l’ensemble de la preuve et déterminer la valeur réelle en fonction de la règle de la prépondérance de preuve.

[25]               Selon le Traité de l’évaluation foncière, au chapitre des Revenus d’affaires[21], l’application de la méthode du revenu est tout indiquée pour déterminer la valeur d’un centre de ski selon la doctrine et la jurisprudence :

[] dès lors que l’on peut isoler, à partir des revenus de toute nature, la part afférente aux revenus de nature immobilière, la méthode du revenu peut recevoir son application.

Certains types d’immeubles, comme les hôtels, sont conçus et construits pour une utilisation spécifique liée à une opération commerciale. Souvent, ce type de bien est vendu avec l’entreprise. L’entité commerciale, soit l’immeuble et l’entreprise en opération (going concern) peut inclure des biens immobiliers et des biens meubles corporels (ex : le mobilier) et des biens incorporels ou intangibles (ex : le fonds de commerce)9. En évaluation foncière, l’évaluateur doit s’assurer de n’évaluer que la composante immobilière, mais en réalité, le flux de revenus attribuable à l’immobilier peut être estimé, car elle représente la principale composable contributive.

Depuis l’arrêt Skyline de la Cour d’appel10, il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les revenus d’entreprise et les revenus immobiliers. Les valeurs d’entreprise sont généralement équivalentes à la valeur marchande11.


Dans le domaine de l’hôtellerie12, il n’est plus contesté aujourd’hui que l’évaluation d’un hôtel en opération s’effectue généralement au moyen de la méthode du revenu. Il s’agit d’un outil incontournable13, puisque l’analyse concerne une propriété à revenu dont la valeur marchande dépend du revenu net que peut générer son exploitation. Il en va de même des centres de ski14, des cinémas15 et des centres commerciaux comportant des loyers variant en fonction du volume des ventes16
.

[Références omises et soulignements du Tribunal]

[26]               Le Tribunal tient à faire une précision concernant le dernier paragraphe du Traité sous ce chapitre, qui se lit comme suit :

Dans l’affaire de l’évaluation foncière du Centre Bell17, l’honorable juge Richard Landry de la Cour du Québec va même jusqu’à reprocher au TAQ d’avoir omis d’inclure dans les revenus de l’immeuble à évaluer ceux de restauration et de spectacles.

________________

17 1481874 Ontario inc. (Centre Bell), supra note 1, par. 629 à 631.

[27]               La note 17 à laquelle réfère le Traité concerne la prétention de la partie intimée dans cette affaire. Ce paragraphe du Traité est donc erroné, et le Tribunal invite le lecteur à consulter les paragraphes 640 et suivant, du jugement où le juge Landry analyse la décision du TAQ qui tranche en faveur de la position de la partie requérante. Le Tribunal y reviendra d’ailleurs dans la section suivante, puisque la thèse de la requérante se fonde sur la décision du Centre Bell.

Admissions

[28]               Le processus de conférence préparatoire a permis aux experts de convenir des admissions suivantes :

Experts immobiliers[22]

[29]               Pour le terrain, la superficie totale du domaine skiable est de 1 062 045,2 mètres carrés et sa valeur est établie à 8 750 000 $. Il n’y a pas de terrain excédentaire.

[30]               Pour les bâtiments, dont la liste est admise, le coût à neuf est de 7 524 800 $ et le coût déprécié, selon un procédé âge/vie, est établi à 4 223 100 $. Ce coût déprécié exclut la désuétude économique.

[31]               Pour les équipements, dont la liste est admise, le coût à neuf est de 53 623 000 $ et le coût déprécié, selon un procédé âge/vie, est de 19 875 000 $. Ce coût déprécié exclut également la désuétude économique.

[32]               Le Tribunal remarque que selon ces admissions, la plus grande partie du coût de St-Sauveur réside dans les équipements, soit 88 % du coût à neuf[23] et 82 % du coût déprécié physiquement[24].

[33]               Au chapitre des données économiques, les experts ont analysé les états des résultats sur une période de 10 ans, soit de 2008 à 2017, et utilisent la moyenne indexée selon l’indice des prix à la consommation du Québec. Ils ont convenu d’un revenu brut de 20 604 729 $, toutes activités confondues.

[34]               Les deux experts sont d’opinion que l’usage le meilleur et le plus profitable de la propriété est son usage actuel.

[35]               Ils ont présenté d’autres admissions en cours d’instance dont le Tribunal discutera dans la section appropriée.

Experts en évaluation d’entreprise[25]

[36]               La valeur de l’entreprise varie entre 25,8 M$ (bas de la fourchette) et 28,0 M$ (haut de la fourchette). Il s’agit du total du fonds de roulement hors caisse, des immobilisations (terrains, bâtiments, équipements, mobiliers, etc.) et des actifs intangibles permettant de générer les flux monétaires de la société.

[37]               Ces experts ont présenté un témoignage simultané et plusieurs autres ententes ont été conclues, selon la thèse de chaque partie. Le Tribunal en discutera dans la section appropriée de la décision.


ANALYSE

[38]               Le Tribunal analysera plus particulièrement la méthode du revenu, cette dernière étant la plus appropriée pour déterminer la valeur de la propriété en litige.

[39]               Les états financiers, fournis par la requérante, ont fait l'objet d'une vérification par DV Consultation[26], firme comptable mandatée par les intimées. Cette dernière a été mandatée pour vérifier les répartitions faites dans les états financiers et aucune incongruité qui pourrait entacher leur validité n'a été répertoriée. Les experts utilisent donc une même base de départ pour déterminer la valeur.

[40]               Par la suite, le Tribunal analysera la désuétude économique qui est tributaire du résultat de la méthode du revenu.

Quels sont les revenus bruts à retenir pour établir la valeur économique de la propriété en cause?

[41]               Les experts ont analysé les états des résultats sur une période de 10 ans, soit de 2008 à 2017, et utilisent la moyenne indexée selon l’indice des prix à la consommation du Québec. Ils se sont entendus sur un revenu brut total, estimé à 20 604 729 $, toutes activités confondues, à la date de référence.

[42]               L’expert des intimées, M. Olivier Rancourt, retient ce revenu puisqu’il soutient qu’une station de ski forme un tout, chaque poste de revenu ayant une raison d’être bien précise qui dépend des autres postes.

[43]               L’expert de la requérante, M. Sébastien Jean, considère que les revenus qui ne proviennent pas des remontées mécaniques ou des activités de plein air estivales, sont des revenus d’entreprise.


[44]               Il répartit le revenu brut total comme suit[27]:

1- Revenus de remontées mécaniques incluant la répartition

13 658 441 $

2- Revenus de débit d’alcool et de restauration

2 829 688 $

3- Revenus de boutique et de réparations

1 612 432 $

4- Revenus de location d’équipement sportif

607 576 $

5- Revenus d’enseignement via une école de glisse

857 046 $

6- Revenus de consignes (casiers à skis)

178 640 $

7- Revenus d’activités plein air

424 572 $

8- Revenus divers

436 335 $

[45]               Les revenus des rubriques 2 à 6, totalisant 6 085 381 $, sont considérés comme des revenus d’entreprise et exclus du calcul du revenu brut. Le reste, soit les rubriques 1, 7 et 8, totalisant 14 519 348 $, est considéré comme un revenu immobilier attribuable à l’exploitation de la montagne.

[46]               Afin d’appliquer un revenu marchand pour remplacer les revenus d’entreprise des rubriques 2 à 6, l’expert Jean détermine ensuite la superficie des espaces locatifs potentiels comme suit :

Débit d’alcool et de restauration

1 126,61 m2

Boutique et de réparations

415,06 m2

Location d’équipement sportif

165,52 m2

École de glisse / bureau / entreposage

185,80 m2

Consigne annuelle (casiers à skis)

151,23 m2

Consigne journalière (casiers à ski)

13,38 m2

[47]               Une admission[28] est conclue concernant ces superficies sauf celles des consignes, pour lesquelles l’expert de la requérante ne calcule que la superficie occupée par les casiers, alors que l’expert des intimées y additionne des aires de circulation.


[48]               Après l’analyse de données du marché recueillies à cette fin[29], l’expert Jean estime les loyers de base potentiels suivants :

Débit d’alcool et de restauration

464,15 $ / m2

Boutique et réparations

279,86 $ / m2

Location d’équipement sportif

279,86 $ / m2

École de glisse / bureau / entreposage

322,92 $ / m2

Consigne annuelle (casiers à skis)

140,00 $ / m2

Consigne journalière (casiers à ski)

464,15 $ / m2

[49]               L’expert calcule un taux pondéré de 375,57 $ /m2 en fonction des superficies, qu’il applique à la superficie globale de 2 057,6 m2 et obtient un loyer total de 772 778 $ sur une base double nette, auquel sera ajouté un loyer additionnel pour tenir compte des frais d’exploitation.

[50]               L’expert fait valoir que le taux retenu est supérieur à la moyenne des loyers bruts observés de 22,54 % et à celui des loyers sur une base double nette de 35 %. Ceci afin de tenir compte de l’aspect exclusif d’une station de ski, d’un parc aquatique et de la captivité de la clientèle.

[51]               Le loyer additionnel comprend les taxes foncières, les frais d’énergie, les frais d’entretien immobilier, les frais d’assurance et une part des frais d’exploitation consolidés. À la suite de l’analyse des frais d’exploitation indexés et après ajustements pour tenir compte que certaines dépenses sont majoritairement attribuables à l’activité ski, l’expert estime un loyer additionnel normalisé de 724 448 $[30].

[52]               Le loyer total est donc estimé à 1 497 226 $. Il s’agit d’un loyer annuel, qui ne tient pas compte que le chalet principal abritant la plupart de ces activités n’est pas ouvert toute l’année.

[53]               L’expert effectue par la suite une analyse afin de vérifier si le loyer qu’il a déterminé permet de générer une marge de profit minimale, sans quoi il devra l’ajuster.

[54]               La marge de profit marchande pondérée par type d’activité est déterminée à 10,31 % sur la base de l’analyse des marges de BAIIA par industrie de l’expert en évaluation d’entreprise, Dominic Pharand[31].

Tableau établissant le profit pondéré cible pour les activités économiques[32]

Revenus

Moyenne indexée

 % du revenu

Profit marchand

Profit pondéré

Débit d’alcool et de restauration

2 829 688 $

46,50 %

10 %

4,65 %

Boutique et de réparations

1 612 432 $

26,50 %

9 %

2,38 %

Location d’équipement sportif

607 576 $

9,98 %

9 %

0,90 %

École de glisse / bureau / entreposage

857 046 $

14,08 %

15 %

2,11 %

Consignes

178 640 $

2,94 %

9 %

0,26 %

Total

6 085 381 $

100 %

 

10,31 %

[55]               L’expert Jean détermine quelle est la marge de profit de ces mêmes activités en utilisant le loyer de 1 497 226 $. Il obtient une marge de 9,64 %. Il apporte donc un ajustement à la baisse au loyer total de 40 634 $ afin d’obtenir la cible de 10,31 %[33].

[56]               À la suite de cette analyse, il détermine le revenu brut total de la propriété de la façon suivante :

Loyer de base

772 778 $

Loyer additionnel normalisé

724 448 $

Réduction du loyer total

(40 634 $)

Revenu attribuable à l’activité ski et aquatique

14 519 348 $

 

 

Revenu brut total

15 975 940 $

ANALYSE

[57]               Le revenu brut total est de 15 975 940 $ selon la requérante, et 20 604 729 $ selon les intimées. Cet écart substantiel est le cœur du litige.

[58]               La propriété en cause, comme centre de ski et récréotouristique, génère des profits de l’exploitation d’un bien immobilier, une montagne, et de son aménagement pour exercer ces activités, soit les remonte-pentes, les glissades d’eau, la piscine à vague, etc.

[59]               Son exploitation est assortie de services connexes liés aux activités principales qui ne seraient pas présents sans l’aménagement de la montagne. Une école de glisse ne peut opérer sans un centre de ski. Sans la présence du centre, la boutique d’équipement de ski, l’atelier de réparation et de location d’équipement sportif ne seraient pas localisés à cet endroit.

[60]               Selon les témoignages entendus, la majorité des biens vendus à la boutique sont des tuques et mitaines ainsi que certains accessoires, soit des biens de première nécessité sans quoi il est impossible de pratiquer l’activité.

[61]               Il en va de même pour la boutique de réparation, qui permet d’effectuer des réparations rapidement, d’affuter les skis selon les conditions du jour, ou de faire l’entretien des fixations.

[62]               En ce qui concerne la location d’équipement, elle permet l’initiation à la pratique du ski ou de la planche à neige.

[63]               Le Tribunal juge que ces activités connexes sont dépendantes de l’activité principale et sont implantées dans un but de rétention de la clientèle afin de maximiser les activités principales. Elles sont intimement liées à l’exploitation du centre de ski.

[64]               En ce qui concerne la restauration et le bar, le Tribunal juge qu’ils sont majoritairement liés à l’opération de la montagne, toujours dans un but de rétention de la clientèle. Ceux qui sont localisés dans le chalet principal sont ouverts seulement en saison hivernale, lorsque le ski se pratique.

[65]               Lors de la visite des lieux, le Tribunal a pu constater que les espaces de restauration et ceux de cafétéria, accessibles à tous pour consommer des lunchs apportés sur place, n’ont pas d’aire spécifiquement dédiée. Sauf pour le resto-bar situé à la mezzanine du chalet principal, il s’agit de grands espaces ouverts.

[66]               Selon le témoignage de M. Jean Mondou, consultant immobilier pour la requérante, il est nécessaire de nuancer la notion de captivité de la clientèle en ce qui concerne la restauration de la clientèle hivernale. Le village de St-Sauveur étant à proximité et offrant toute la gamme des bannières de restauration rapide, une certaine partie de la clientèle va s’y restaurer ou rapporte de la nourriture pour la consommer à la cafétéria.

[67]               Ce n’est pas le cas l’été. Les usagers du parc aquatique apportent leur pique-nique et il n’est pas possible d’entrer et de sortir à volonté du site comme en hiver. Le chalet principal étant fermé pour la saison estivale, on retrouve donc sur le site plusieurs cassecroûtes.

[68]               En ce qui concerne les casiers, ils sont particulièrement nécessaires l’été, puisque la clientèle est en maillot de bain et y laisse portefeuille, bijoux et autres accessoires. D’ailleurs, ils sont déménagés à la saison estivale pour les rendre accessibles à la clientèle, puisque le chalet principal est fermé durant l’été.

[69]               La scission que fait la requérante entre les revenus qu’elle considère de nature immobilière et ceux des services connexes qu’elle considère comme des revenus d’entreprise est-elle adéquate?

[70]               St-Sauveur est conçu et construit pour une utilisation spécifique liée à une opération commerciale. Le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une entreprise et qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les revenus d’entreprise et les revenus immobiliers.

[71]               D’ailleurs, la vente de billets de ski ou de passes de saison, de même que ceux attribuables aux activités estivales ne sont pas des revenus immobiliers. Ce ne sont pas des revenus de location d’immeuble, mais plutôt des revenus d’exploitation d’un bien immobilier spécifique, comme pour un hôtel, un terrain de golf ou un cinéma.

[72]               Il s’agit d’une entreprise qui vend des services ou des activités nécessitant un modèle d’affaires qui n’est pas de nature immobilière.

[73]               Qu’est-ce qu’un modèle d’affaire de nature immobilière? Il s’agit d’un revenu provenant de la location d’un bien immobilier, tels un centre commercial ou un immeuble de bureau, permettant aux locataires d’y exercer leurs activités d’affaires.

[74]               Dans le cas en l’espèce, il ne s’agit pas d’un revenu de location de la montagne à un tiers pour lui permettre d’opérer un centre de ski.

[75]               La théorie de la cause de la requérante repose sur l’analyse du jugement de la Cour du Québec dans l’affaire du Centre Bell[34] qui maintient la décision du TAQ.


[76]               Dans cette affaire, le TAQ retient la position de la requérante qui détermine un loyer immobilier selon le marché, en fonction d’un pourcentage des recettes des diverses activités exercées dans l’immeuble. Ainsi, tous les revenus liés à l’exploitation des entreprises sont éliminés.

[77]               Le litige est bien campé par la Cour en ces termes :

[658]   Ce qui divise les parties ici, ce n'est pas tant le recours à la méthode du revenu ou les principes applicables que la manière de l'appliquer dans le cas du Centre Bell.

[659]   Un amphithéâtre hébergeant un club de la LNH et de multiples entreprises de restauration et de spectacles est différent d’un centre de ski qui se transige uniquement sur la base de ses revenus d’entreprise de ski. Dans le cas du Centre Bell, les revenus d’entreprise sont négociés dans l’Amended and Restated Share Purchase Agreement (« ARSPA ») pour 176,5M$ et non dans le PTLA qui vend les droits dans l’immeuble pour 100M$.

[660]   Tel qu’en fait état l’extrait du traité de Desjardins rapporté plus haut223, la méthode du revenu peut recevoir application « dès que l’on peut isoler, à partir des revenus de toute nature, la part afférente aux revenus de nature immobilière » (soulignements ajoutés).

[661]   Le passage de l’American Institute of Real Estate Appraisers ajoute que le revenu de l’immeuble « may be developed and supported by comparisons in the local market or alternately, by an allocation to the real estate of some portion of the total income derived from operation of a going business in which real estate is a contributing component » (soulignements ajoutés).

[662]   En plus des principes exposés ci-dessus, il faut constater que le TAQ tranche en fonction de la prépondérance et de la qualité de la preuve présentée par les deux parties tout comme il l’a fait, par exemple, concernant le marché de la LNH. Il a choisi dans la preuve celle qui lui paraissait la meilleure, la plus probante et la plus conforme aux principes de la LFM, soit celle présentée par le Centre Bell et son expert Egan. »

[Accentuation du Tribunal]

[78]               Il est important de distinguer le Centre Bell de la propriété en litige. La soussignée est l’un des juges qui ont entendu la cause en première instance au TAQ.


[79]               Le Centre Bell est un amphithéâtre multifonctionnel, abritant le Canadien de Montréal (CHC) et conçu afin de maximiser sa rentabilité par la présentation de spectacles et autres événements du genre. Il est important de noter que les propriétaires de l’immeuble et du CHC sont des compagnies apparentées.

[80]               Des entreprises commerciales, dépassant largement l’exploitation immobilière, sont menées dans cet immeuble par son propriétaire et des compagnies affiliées à ce dernier. Il s’agit des revenus de la franchise de hockey, de l’exploitation de restaurants et concessions alimentaires, de la promotion de spectacles, des droits d’appellation, de revenus publicitaires, etc.

[81]               Ce qui distingue cette propriété de St-Sauveur, c’est que ce type d’immeuble est occupé par une ou parfois deux équipes professionnelles selon des ententes de location basées majoritairement sur un pourcentage des recettes de ventes de billets.

[82]               En général, ces baux sont mis en place pour soutenir le financement de la propriété. C’est d’ailleurs pourquoi l’expert de la requérante dans l’affaire du Centre Bell a relevé de nombreux baux d’arénas et de clubs en territoire américain afin de déterminer le loyer marchand du CHC, puisqu’il le considérait comme hors marché.

[83]               En ce qui concerne les revenus de nourriture et boisson, ils sont liés à l’exploitation de la franchise de hockey et à la tenue de spectacles. Il s’agit d’une clientèle captive, sauf en ce qui concerne le restaurant La Cage aux Sports qui a pignon sur rue et est d’ailleurs sujet à un bail, avec une clause au pourcentage des ventes.

[84]               Dans ce cas, l’expert s’est basé sur l’historique de ces revenus et dépenses pour les convertir en revenus immobiliers selon une analyse paritaire. Il a fait l’analyse historique du revenu contributif de chacune des activités et déterminé un loyer au pourcentage qui permet au locataire de dégager un profit d’entreprise.

[85]               En ce qui concerne les revenus de spectacle et tournées internationales, le Centre Bell est en compétition avec tous les autres stades et arénas en Amérique du Nord. L’expert a d’ailleurs enquêté sur la tenue de ce type d’activités dans certains arénas pour conclure que les tarifs de location se comparaient. Le bénéfice net provient du loyer, mais également de revenus de restauration et de stationnement attribuables à 100 % au propriétaire de l’immeuble.


[86]               L’expert de la requérante dans le Centre Bell a considéré toutes les activités de l’immeuble sur la même base, en déterminant un loyer immobilier selon le marché, en fonction d’un pourcentage des recettes. Ainsi, il élimine tous les revenus liés à l’exploitation des entreprises exercée dans l’immeuble.

[87]               Le Tribunal constate que la structure de revenus du Centre Bell est bien différente de la propriété en litige. St-Sauveur est opéré par son propriétaire et on n’y retrouve aucun bail ni concession. D’ailleurs, nulle part dans la preuve, il n’est démontré que les centres de ski sont loués à des opérateurs, tant pour l’opération de l’activité principale, que pour les activités accessoires ici prises en compte.

[88]               On retrouve des concessions dans cette industrie, mais elles sont l’exception, et se retrouvent principalement dans les stations de ski appartenant à des municipalités ou des organismes sans but lucratif, selon le témoignage de M. David Vincent, expert des intimées[35].

[89]               De l’avis du Tribunal, l’expert Jean, en qualifiant les revenus de ventes de billets dans l’immeuble en cause comme des revenus immobiliers, avec égards, fait fausse route. Il s’agit de revenus d’entreprises, au même titre que les revenus accessoires.

[90]               Pour ces motifs, le Tribunal ne peut souscrire à la thèse de la requérante, et adopte plutôt celle des intimées, basée sur la trilogie Mont Saint-Anne et l’analogie à l’évaluation des propriétés hôtelières.

[91]               Dans la trilogie Mont Saint-Anne, les activités récréotouristiques de la station sont décrites comme suit[36]:

1.8.4 Sans limiter la généralité de ce qui précède, les activités récréotouristiques comprennent également, à titre accessoire, les activités commerciales généralement liées et accessoires à de telles activités récréotouristiques (à titre d’exemples seulement et sans limitation : cafétéria, restaurant, bar, boutique de vente, boutique de location, atelier de réparation, garderie, vestiaire, stationnement, navettes, autobus, etc.), mais excluant les activités commerciales d’hébergement.

[92]               Nonobstant les navettes et autobus, toutes ces activités se retrouvent à StSauveur. Les activités d’hébergement sont exclues, ce qui se compare au cas de StSauveur qui n’est pas une station de destination et n’opère pas d’hôtel.

[93]               Au chapitre du litige, il est de même nature qu’en l’espèce[37]:

L’intimée soutient que la valeur de l’entreprise est différente de la valeur réelle immobilière du Mont Saint-Anne et que partant la démarche de l’évaluateur de la plaignante est viciée dès le départ.

[94]               Plus loin dans la décision le BREF s’exprime ainsi[38] :

Quant au second point, il ne faut pas perdre de vue que même si la démarche suivie par l’évaluateur de la plaignante conduit effectivement à une valeur d’entreprise, cette dernière prend nécessairement en compte celle de tous les actifs utilisés pour obtenir des revenus, notamment celle des immeubles et des droits immobiliers en faisant partie. Comme une valeur d’entreprise as a going concern ne peut être plus grande que celle des actifs dont elle tire ses revenus, la seule question qui reste à résoudre est d’allouer une partie de la valeur pour les actifs intangibles, ce qui réduit d’autant celle des tangibles. Or, l’expert de la plaignante ne retient aucune valeur pour les actifs intangibles dans son allocation. Dans les circonstances, la valeur des actifs tangibles ne peut être supérieure à celle de l’entreprise elle-même dans la perspective de sa capacité à produire un revenu.

[95]               Quant à la Cour d’appel[39], elle maintient la décision du BREF en ces termes :

[29]   Puis, prenant appui sur l’évolution dans la pratique de l’évaluation qui reconnaît le lien entre les revenus tirés d’un immeuble et sa valeur et sur le fait que sa mise en marché est orientée sur sa capacité de produire un revenu, le BREF a utilisé la méthode du revenu pour rechercher la valeur réelle de l’immeuble.

[30]   La jurisprudence a retenu l’application de la méthode du revenu dans les cas d’évaluation d’hôtel, de cinéma, de centre d’achats et d’hippodrome8. L’appelante concède donc que cette méthode est justifiée lorsque l’existence d’une entreprise est reliée à l’exploitation d’un bien immobilier, mais elle plaide qu’elle serait inapplicable pour les entreprises qui opèrent à l’aide d’un immeuble.

[31]   À mon avis, l’appelante fait là une distinction que ne fait pas la jurisprudence ou la doctrine9 et son interprétation ne repose sur aucun principe juridique. Le BREF et la Cour du Québec étaient chargés d’établir la « valeur réelle » de l’immeuble visé, au sens de l’article 44 de la Loi sur la fiscalité municipale10 (LFM). Or, comme le reconnaissent la jurisprudence et la doctrine précitées, la valeur d’un bien peut être liée à sa capacité de générer un revenu.

[32]   Certes, aucune décision n’a spécifiquement appliqué la méthode du revenu à l’évaluation d’une station de ski, mais il me semble que les principes qui ont conduit à son utilisation pour celle d’un hôtel ou d’un cinéma peuvent être transposés ici, sans que l’on puisse conclure à une décision déraisonnable puisque le but d’une station de ski est essentiellement de produire un revenu.

[Références omises et soulignements du Tribunal.]

[96]               L’analogie avec l’industrie hôtelière est tout à fait opportune puisqu’on y offre généralement des services de restauration, que ce soit par l’entremise d’un service aux chambres et/ou de la présence d’un restaurant dans l’hôtel, ainsi qu’un service de valet, en plus de louer des salles pour des événements spéciaux (mariages, congrès et autres).

[97]               Les revenus et dépenses des activités autres que la location de chambres sont pris en compte dans l’établissement de la valeur foncière d’un hôtel. Il n’est pas question d’établir un loyer fictif pour déterminer le revenu potentiel brut de ces activités[40].

[98]               La jurisprudence reconnait depuis longtemps ce principe, notamment le jugement Skyline Hotels de la Cour d’appel[41], ou la Cour cite le jugement de la Cour provinciale :

Le bâtiment en question étant conçu pour une utilisation spécifique, celle d’un hôtel, sa valeur est intimement liée à celle de l’hôtel et doit être évaluée en fonction des revenus de l’entreprise.


[99]               Le Tribunal retient de sa revue de la jurisprudence que ce n’est pas tant la qualification de revenus d’entreprises ou de revenus immobiliers ou de location qui est en soi déterminante, car le type de revenus à considérer peut varier selon la nature et l’usage de l’immeuble examiné. N’oublions pas que le point d’ancrage ici est de rechercher la valeur réelle de l’immeuble au sens des articles 42 et 43 de la LFM. Ceci signifie d’établir la valeur d’échange de ce bien, notamment, selon l’utilisation qui peut le plus probablement être faite de l’immeuble.

[100]           Dans le contexte de l’application de la méthode du revenu pour un immeuble de la nature de celui en cause, la valeur réelle de la propriété ne peut être établie, selon le Tribunal, qu’en considérant la totalité des revenus générés par son exploitation. En effet, tout comme pour le centre de Ski Mont-Anne et les hôtels qui font l’objet de la jurisprudence examinée ci-dessus, il est clair pour le Tribunal que ce sont les revenus d’entreprise qui permettent d’en établir sa valeur réelle au sens de la LFM, car ils sont intimement liés à l’utilisation de l’immeuble.

[101]           Au surplus, les loyers retenus par l’expert de la requérante proviennent d’ententes de location dans un marché distinct de celui d’un centre de ski. Il ne s’agit pas de concessions ni de baux dans un marché aussi spécifique que celui d’un centre de ski ou récréotouristique.

[102]           Le Tribunal abonde dans le sens des parties intimées lorsqu’elles plaident la difficulté de retirer toutes les dépenses générées par les activités accessoires afin d’établir le loyer additionnel. En effet, les frais d’exploitation comprennent l’ensemble des activités réalisées dans l’immeuble dont plusieurs sont consolidés, c’est-à-dire sans distinction entre les activités.

[103]           À titre d’exemple, mentionnons la dépense d’énergie qui représente 39 % de tous les frais d’exploitation et qui est majoritairement attribuable à l’activité de ski, pour l’éclairage des pistes et la fabrication de la neige.

[104]           L’expert s’est livré à un exercice laborieux pour déterminer un loyer additionnel normalisé, afin d’obtenir le loyer total des activités accessoires.

[105]           Par la suite, il a ajusté à la baisse ce loyer total pour tenir compte d’un profit ciblé par type d’activités économiques.


[106]           Le Tribunal juge que l’exercice complexe, proposé par l’expert de la requérante, consistant à substituer une partie des revenus d’entreprise par un revenu de location hypothétique, va à l’encontre de l’utilisation véritable de l’immeuble, qui n’est pas détenu pour générer des revenus de location, comme l’est un centre commercial. Il est utilisé pour générer des revenus d’entreprise découlant des activités de ski et récréotouristiques. L’exercice proposé par la requérante nie une composante fondamentale permettant d’établir la valeur réelle de l’immeuble au sens de LFM et qui correspond logiquement à l’utilisation qui en est faite, c’est-à-dire ses revenus d’entreprise.

[107]           Pour l’ensemble de ces motifs, le Tribunal retient donc le revenu brut total toutes activités confondues de 20 604 729 $, basé sur la moyenne indexée des revenus aux états des résultats sur une période de 10 ans, sur laquelle les experts se sont entendus.

Quel est le revenu net, ou BAIIA, à actualiser?

[108]           Les experts s’entendent sur les frais d’exploitation de 13 609 335 $[42] avant la répartition que fait l’expert de la requérante entre les dépenses relatives aux activités immobilières et celles qu’il impute aux autres activités. Ce montant exclut les taxes et la réserve de remplacement pour travaux majeurs qui demeurent en litige.

Quelle est la valeur ou le taux applicable pour déterminer la réserve de remplacement pour travaux majeurs?

[109]           La réserve de remplacement a pour but de créer une provision annuelle pour remplacer des éléments de construction et des équipements qui s’usent plus rapidement que la vie économique de l’immeuble.

[110]           La différence entre les montants retenus par les deux experts à ce chapitre est négligeable. L’expert Jean retient une somme de 1 278 075 $[43] et l’expert Rancourt 1 359 912 $[44].


[111]           C’est au chapitre du pourcentage retenu pour établir la réserve que les experts divergent d’opinion, soit 8 % selon l’expert Jean et 6,6 % selon l’expert Rancourt. Étant donné que le revenu brut retenu par chacun des experts immobiliers diverge, le quantum retenu est similaire malgré la différence de pourcentage.

[112]           L’expert de la requérante l’établit sur la base de 2 % du coût neuf des bâtiments et équipements, soit une somme de 1 266 804 $, ce qui représente 7,93 % du revenu brut qu’il retient. Ce pourcentage est normalisé à 8 %.

[113]           Pour appuyer sa conclusion d’un taux de 8 %, l’expert Jean réfère au rapport de l’expert Pharand[45]. Ce rapport fait état de dépenses en immobilisation moyenne de 5,1 % du revenu et un amortissement de 10,4 %, pour la période 2014 à 2017, et ce pour l’ensemble des Sommets.

[114]           Quant aux sociétés comparables retenues par l’expert Pharand, elles montrent des pourcentages plus élevés, en moyenne 16,9 % et une médiane de 11,9 %[46]. Le Tribunal note le très grand écart, variant de 2 % à 43 %. Il s’agit de très grandes sociétés, de calibre mondial, qui ne se comparent absolument pas à la propriété en cause.

[115]           D’ailleurs, l’expert Pharand retient 6,6 % pour l’ensemble des Sommets. Cependant, il considère ce taux très conservateur, puisque selon son analyse des dépenses d’immobilisations annuelles par montagnes[47], il conclut plutôt à 1,7 M$ pour StSauveur seulement[48]. Dans la conciliation de leurs expertises, c’est d’ailleurs principalement de cette divergence d’opinions que résulte le différentiel dans la valeur d’entreprise, l’expert Vigeant retenant 1,2M $.

[116]           L’expert Vigeant[49] confirme un niveau de dépenses normalisées variant de 5,6 % à 6,5 % de 2012 à 2017.


[117]           L’expert Rancourt s’est également basé sur l’Étude économique des stations de ski du Québec 2017-2018[50]. Il a mis en relation le volume d’affaires total et l’investissement total pour les années 2013 à 2017 et obtient une indication médiane de 6,63 %[51]. C’est l’indication qu’il retient.

[118]           À la suite de l’analyse de l’ensemble de la preuve, le Tribunal retient la position des intimées qu’il considère comme la plus probante, soit un taux de 6,6 %.

Comment considérer les taxes foncières et scolaires?

[119]           L’expert des intimées inclut seulement les taxes fixes dans les frais d’exploitation puisque l’essentiel de la dépense de taxes est lié à la valeur réelle qui sera déterminée par son évaluation particularisée. Afin de considérer l’ensemble des taxes, il ajoute au TGA les taux de taxes foncières et scolaires de l’année 2017.

[120]           L’expert ajuste ce taux pour tenir compte de la valeur des meubles et autres intangibles qui est déduite post-actualisation. Le Tribunal reviendra sur cet aspect plus loin dans la décision.

[121]           Les intimées s’appuient sur la jurisprudence pour justifier leur position[52].

[122]           Selon la requérante, la totalité des taxes devrait être incluse dans les dépenses d’exploitation. Son expert a utilisé la moyenne indexée de la dépense de taxes sur 10 ans.

[123]           La requérante plaide que typiquement, l’acheteur et le vendeur basent leurs analyses sur l’historique des taxes et non sur un mécanisme de conversion dans le TGA.

[124]           La requérante plaide de plus que pour établir la partie fixe des taxes, l’expert des intimées prend en considération un crédit de taxes non récurrent de l’année 2017 d’un montant de 3 530,08 $, ce qui a pour effet de sous-estimer la dépense et donc de majorer la valeur de l’immeuble.

[125]           Les taxes totales pour l’année 2017 sont de 516 481 $[53]. En considérant l’argument de la requérante concernant le crédit de taxes non récurrent, le Tribunal ajuste la dépense à 520 011 $.

[126]           La dépense retenue par la requérante est de 538 556 $. Le Tribunal constate qu’elle est donc surestimée comparativement à la dépense réelle de l’année de référence et a donc pour conséquence de sous-estimer la valeur de l’immeuble.

[127]           D’ailleurs, selon le témoignage de M. Rancourt, la dépense de taxes des années 2014 à 2017 montrée à l’état des résultats[54] ne comprendrait pas seulement les taxes de St-Sauveur, mais également celles du mont Avila, qui est adjacent à StSauveur[55].

[128]           Le Tribunal refait l’exercice de l’expert Rancourt en considérant la taxe réelle de l’année 2017, excluant le crédit non récurrent, et obtient une valeur de 31 705 100 $[56] avant déduction post actualisation. Cette valeur se compare à celle obtenue par l’expert en majorant le taux d’actualisation du taux de taxation, soit 31 787 267 $.

[129]           À la suite à son analyse, le Tribunal retient la prétention des intimées puisqu’elle reflète la réalité à la date de référence.

Conclusion sur le revenu net à actualiser

[130]           À la suite de son analyse de la preuve, le Tribunal retient le revenu net à actualiser déterminé par l’expert Rancourt, soit 3 616 758 $.

[131]           Dans son analyse, et avant les ajustements pour la réserve de remplacement et les taxes, l’expert constate que le BAIIA de la propriété en cause reflète un ratio de 21,7 % du revenu brut normalisé sur 10 ans[57]. Selon L’étude économique et financière des stations de ski au Québec, saison 2017-2018, le marché reflète un ratio de 24,5 %[58]. Sur cette base, il est d’avis que le sujet est représentatif du marché et retient donc les données du sujet, sans autres ajustements.

[132]           Ceci lui permet également d’affirmer que les Sommets ne réalisent pas d’économies d’échelle par la gestion de six montagnes, puisque le BAIIA de St-Sauveur est inférieur à celui reflété par le marché.

Quel est le TGA applicable?

[133]           L’expert de la requérante retient un TGA de 11,89 % alors que celui des intimées retient 10 % avant ajustement pour les taxes variables. Cet écart de près de 2 points de pourcentage a un impact de l’ordre de 15 % sur la valeur avant toute déduction postactualisation[59].

[134]           Les deux experts ont appliqué la méthode du placement gradué. L’expert des intimées a aussi appliqué l’approche par le marché en analysant des ventes de propriétés comparables.

Placement gradué

[135]           Cette méthode, aussi connue comme la méthode hypothèque/mise de fonds, vise à déterminer un taux global d’actualisation par le rendement conjoint du financement et du taux de dividende annuel, selon la formule suivante :

TGA

=

(M x f) + (E x y)

TGA

:

Taux global d’actualisation recherché

M

:

Proportion du financement

f

:

Constante hypothécaire annuelle

E

:

Proportion de la mise de fonds par rapport à la valeur

y

:

Taux de dividende annuel sur la mise de fonds

 

[136]           En ce qui concerne les proportions de l’hypothèque et de la mise de fonds, les experts diffèrent légèrement d’opinion. L’expert Jean retient des proportions respectives de 45 %/55 %, alors que l’expert Rancourt retient 50 %/50 %. Cet écart n’est pas significatif.

[137]           Les experts retiennent la même constante hypothécaire, 8,709, basée sur un taux d’intérêt de 3,75 %, un terme de 5 ans et un amortissement de 15 ans.

[138]           C’est au chapitre du taux de dividende annuel que les experts ont un d’écart, ce dernier provenant des diverses primes de risque associées à ce type d’investissement qui sont additionnées à un taux de rendement sûr.

[139]           Les deux experts immobiliers se fondent sur les primes retenues par les experts en évaluation d’entreprise dans leur élaboration du rendement requis sur les capitaux propres qui est l’une des composantes servant à établir le coût moyen pondéré du capital (CMCP)[60].

[140]           Selon l’expert Jean, sur les marchés connus, la prime de risque varie autour de 8 % à 10 % et monte à 25 % sur les marchés avec grande incertitude. Sur les marchés « nouveaux » (nouveaux produits ou concepts), elle peut monter à 65 %[61].

[141]           L’expert Jean réfère au rapport de l’expert Pharand qui détermine le rendement des capitaux propres[62] dans une fourchette de 14,5 % à 16 %[63]. M. Jean détermine le taux de dividende au bas de la fourchette dont le taux est établi comme suit par l’expert Pharand :

Taux sans risque

2,27 %

Prime de risque du marché

5,00 %

Bêta (avec effet de levier)1

0,82

Prime pour petite capitalisation

5,59 %

Prime propre à la société

2,50 %

Rendement (arrondi)

14,50 %

1 Le coefficient Bêta reflète la sensibilité du rendement d’un titre par rapport au rendement du marché. La prime de risque du marché est donc ajustée à 4,1 % en application du Bêta.

[142]           Pour le choix de la prime de risque propre à la société, l’expert Pharand tient compte de divers facteurs, selon les notes au tableau de son rapport.

[143]           Du côté négatif (plus risqué) le fait qu’il s’agit d’une société privée qui présente une volatilité de ses résultats historiques et une dépendance envers les conditions climatiques. Il constate également la diversité géographique avec six sites en exploitation, dans un marché limité à la province de Québec.

[144]           Du côté positif, l’offre de services de St-Sauveur en toutes saisons.

[145]           L’expert Rancourt retient un taux de dividende de 11,8 % en s’appuyant sur le bas de la fourchette établie par l’expert Vigeant qui varie de 11,75 % à 12,75 %[64]. Le taux plancher est établi de la façon suivante :

Taux sans risque

2,13 %

Prime de risque du marché

5,50 %

Prime de taille

3,67 %

Prime de risque spécifique et d’industrie

0,50 %

Rendement

11,75 %

[146]           Le rapport de l’expert Vigeant donne plus de facteurs à l’appui de sa sélection de la prime de risque spécifique à d’industrie[65].

[147]           Du côté positif, outre le fait que St-Sauveur offre des activités en toutes saisons, il mentionne sa localisation à moins d’une heure de Montréal, la valeur élevée de ses actifs, l’ensemble des pistes enneigées artificiellement, la facilité d’accès à l’eau pour alimenter les canons à neige, une équipe de direction expérimentée et compétente, des barrières à l’entrée élevées dues à l’investissement initial et finalement des équipements bien entretenus.

[148]           Les facteurs augmentant le risque, outre le fait que les revenus dépendent des conditions climatiques, sont le taux de roulement des employés élevé et les défis de recrutement, la concurrence avec les autres centres de ski et celle des autres activités de divertissement et finalement la conjoncture économique relativement au prix de l’équipement et des passes de saison.

[149]           Selon l’expert Rancourt, un élément majeur non mentionné par l’expert Vigeant est la valeur du terrain de la propriété en cause qui représente environ le tiers de la valeur totale de l’immeuble. De plus, le bas de la montagne est zoné pour fins de développement résidentiel. Il s’agit d’un élément positif qui fait grandement diminuer le risque pour un investisseur. Il fait également valoir les passes de saison vendues qui abaissent le risque lié aux conditions climatiques.

[150]           En ce qui concerne la prime de risque de marché, les experts Pharand et Vigeant l’estiment différemment. L’expert Pharand prend comme point de départ 5,00 % qu’il ajuste d’un facteur de sensibilité pour retenir un taux ajusté de 4,1 %. Quant à l’expert Vigeant, il retient 5,50 % sans ajustement. Ainsi, l’expert de la requérante estime un risque moins élevé à ce chapitre.

[151]           Pour la prime de taille, là encore les experts divergent d’opinion, l’expert Pharand l’estimant à 5,59 % et l’expert Vigeant à 3,67 %. Dans ce cas, c’est l’expert des intimées qui estime un risque moins élevé.

[152]           Une différence notable concerne la structure de capital retenue par l’expert Vigeant, composée de 30 % de dettes et 70 % de capitaux propres, alors que tous les autres experts utilisent des ratios dettes-capitaux propres plus équilibrés (Pharand 45 %/55 %, Jean 45 %/55 %, Rancourt 50 %/50 %).

[153]           L’expert Pharand a cependant présenté une analyse de sensibilité du TGA en variant à la hausse le taux de rendement des capitaux propres utilisé dans son rapport d’expertise et dans celui de l’expert Vigeant et en comparant ces scénarios avec les calculs de l’expert Rancourt apparaissant dans son rapport[66] .

[154]           Il obtient les résultats suivants :

 

Rapport Évimbec (expert Rancourt), sans variation

10,25 %

DVC (expert Vigeant) / taux de rendement à 11,75 % utilisé dans le rapport d’expertise

11,06 %

DVC (expert Vigeant) / taux de rendement augmenté à 12,25 %

11,41 %

PWC (expert Pharand) / taux de rendement à 14,5 % utilisé dans le rapport d’expertise

12,07 %

PWC (expert Pharand) / taux de rendement augmenté à 15,25 %

12,49 %

[155]           Les parties intimées plaident qu’un expert qui procède à une analyse choisit des données dans un contexte précis et en fonction de diverses considérations. Un autre expert ne peut pas se servir de cette analyse et modifier certains paramètres afin de créer divers scénarios. Il dénature alors complètement la première analyse et aucune conclusion ne peut en être tirée.

[156]           Le Tribunal constate que cette analyse démontre bien l’aspect théorique de cette méthode basée sur de nombreuses hypothèses et sur l’opinion de divers experts. Dans le cas qui nous occupe, les experts immobiliers se sont grandement fondés sur les hypothèses d’experts en évaluation d’entreprise dans leur évaluation du risque.

[157]           Les experts en évaluation d’entreprise fondent leur opinion des facteurs de risque qui proviennent de publications spécialisées à ce type d’expertise basées sur des paramètres distincts de ceux de l’évaluation immobilière. Ces publications n’ont pas été mises en preuve ni commentées par les experts.

[158]           Cette méthode est rarement retenue par le Tribunal étant donné les conditions de financement qui peuvent varier énormément, tout dépendant de l’investisseur. Elle est utilisée pour corroborer l’approche paritaire, plus directe, qui reflète le comportement du marché. C’est à ce titre que l’expert Rancourt l’a appliqué.

Approche par le marché

[159]           Seule l’expertise des intimées présente une approche paritaire par l’analyse de ventes de propriétés comparables. Il s’agit de la méthode la plus directe pour déterminer le TGA puisqu’elle se base sur l’analyse de ventes de propriétés comparables sur le plan physique, mais plus particulièrement sur l’aspect financier. Le TGA est obtenu en divisant le revenu net normalisé par le prix de vente.

[160]           Aucune vente d’une station comparable, localisée au Québec, n’a pu être relevée. Selon le témoignage de M. Vincent qui a participé à la recherche du marché, les stations de ski se transigent en majorité dans le cadre d’une vente d’actions. L’information disponible est alors très restreinte ou nulle, les propriétaires n’étant pas enclins à révéler les données financières. Il est donc impossible de les analyser, sauf lorsque ces propriétés sont acquises par des sociétés publiques cotées à la bourse, l’information étant disponible pour fins d’analyse.

[161]           Ainsi, les experts des intimées ont répertorié six transactions qu’ils ont analysées en se fondant sur des informations provenant de diverses sources. Il s’agit de centres de ski situés principalement aux États-Unis. Les informations financières proviennent, en principe, de sources sûres étant donné qu’il s’agit de sociétés publiques régies par des organismes qui ont pour but de protéger les intérêts des investisseurs et de partager l’information sur les entreprises et leurs investissements.

[162]           L’expert Rancourt explique qu’il est difficile de trouver des stations parfaitement comparables au niveau des caractéristiques physiques. Cependant, au niveau économique, il y a des similitudes notamment puisque les centres cherchent à rentabiliser au maximum la montagne par des activités estivales ou d’autres formes de divertissement. Il a donc recherché des transactions de stations de ski comparables au niveau de leur rentabilité. Le Tribunal y reviendra plus loin dans la décision.

[163]           La documentation consultée fournit une bonne description des propriétés vendues, permet de ventiler le prix de vente entre les divers éléments de l’entreprise et d’obtenir l’information économique pour effectuer l’analyse[67].

[164]           Pour fins d’analyse du TGA, l’expert Rancourt retient le prix attribué aux immobilisations corporelles et incorporelles, autres que le goodwill. Selon l’expert, les immobilisations incorporelles, aussi qualifiées d’intangibles, sont à titre d’exemple la marque de commerce et les relations clients, tandis que le goodwill est la survaleur au-delà des immobilisations qui peut être attribuable à la synergie générée par l’acquisition de la propriété.

Vente 1: Kirkwood Mountain Resort, Californie

[165]           Cette propriété s’est transigée en 2012 au prix de 23,8 M$. Elle nécessitait des investissements de 5 M$ pour améliorer les remontées mécaniques. L’expert la rejette étant donné la date de la transaction, sa localisation et l’ajustement pour les investissements.

Vente 2 : Stowe Mountain Resort, Vermont

[166]           Cette vente a été réalisée en juin 2017. Il s’agit de l’acquisition de l’opération de ski seulement, par Vail Resorts. Le prix originalement négocié était de 50 M$ et a été réduit à 40,9 M$, représentant le montant correspondant au différentiel de BAIIA dépassant les dépenses en immobilisation pour la période du 1er novembre 2016 à la clôture[68]. Il s’agit d’un prix de vente au comptant. L’expert n’a pas le détail de l’ajustement.

[167]           Plus de 45 % des installations sont sur des terres publiques. Le Vermont a établi une compensation de 2,5 % à 5 % des revenus de la station pour la location. Ce centre est situé à proximité du Québec, mais éloigné des centres urbains.

[168]           Le prix de vente retenu pour fins d’analyse est de 42,2 M$, l’expert excluant les autres actifs et le passif assumé par l’acquéreur[69]. Le calcul du TGA se fait selon les paramètres suivants :

Prix de vente

42 200 000 $

Revenu brut (24,5 % selon le marché)

20 408 163 $

Réserve de remplacement – CAPEX (6.6 % du revenu brut)

1 346 939 $

BAIIA

5 000 000 $

TGA (BAIIA – CAPEX / Prix de vente)

8,66 %

[169]           La réserve de remplacement (CAPEX) est normalisée à 6,6 % comme pour la propriété en cause, et ce pour toutes les ventes analysées.

[170]           Dans ce cas, le revenu brut n’était pas disponible, il a donc été estimé selon la relation BAIIA/revenus totaux à 24,5 %. Ce pourcentage est basé sur l’Étude économique et financière des stations de ski du Québec 2017-2018[70] ou l’on retrouve le BAIIA moyen des stations considérées comme majeures.

[171]           Le BAIIA quant à lui provient du communiqué de presse de l’acquéreur[71]. Il s’agit du BAIIA estimé pour l’année 2018. En contre-interrogatoire, confronté à une question sur la perte anticipée de 3,5 M$ lors de l’achat de Stowe, mentionnée dans la documentation consultée[72], l’expert maintient qu’il n’a pas à considérer cet élément, puisque l’acquéreur prévoit un BAIIA positif de 5 M$ pour l’année suivant la transaction[73]. À son avis, le prix de vente est basé sur cette expectative.

[172]           Le Tribunal retient cette explication de l’expert, d’autant que le prix de vente a été ajusté à la baisse par les parties contractantes.

Vente 3 : Blue Mountain Ski Resort, Ontario

[173]           Il s’agit de l’achat par Intrawest de 50 % des actions de l’opération de ski, en septembre 2014. Intrawest était déjà propriétaire de 50 % de ces actifs et complète ainsi son acquisition de l’ensemble.

[174]           Il s’agit de la station la plus grande et la plus populaire de l’Ontario, avec 360 acres skiables et l’enneigement de 93 % des pistes. Blue Mountain exploite également un centre de conférence ouvert toute l’année et offre un ensemble d’activités estivales, dont un parcours de golf de 18 trous, une télécabine en plein air, une installation de VTT et un parc au bord de l’eau.

[175]           Le village au pied des pentes ainsi que le reste des opérations commerciales sont opérés en partenariat avec Skyline International Development.

[176]           Le prix de vente à 100 %, retenu pour fins d’analyse, est de 94,412 M$, soit le total des immobilisations corporelles, 85,751 M$, et incorporelles 8,661 M$[74]. En ce qui concerne les immobilisations incorporelles, il s’agit des marques de commerce et du nom acquis au prix de 4,107 M$ et des relations avec la clientèle à 4,554 M$[75].

[177]           Le calcul du TGA se fait selon les paramètres suivants :

Prix de vente

94 412 200 $

Revenu brut

73 807 000 $

Réserve de remplacement – CAPEX (6.6 % du revenu brut)

4 871 262 $

BAIIA

13 200 000 $

TGA (BAIIA – CAPEX / Prix de vente)

8,82 %

[178]           La réserve de remplacement (CAPEX) est normalisée à 6,6 % comme pour la propriété en cause. Cependant, selon les informations colligées par l’expert, elle était de 7,6 %.

[179]           Le revenu brut est calculé par déduction entre le revenu brut total d’Intrawest avant et après l’acquisition de Blue Mountain[76]. En contre-interrogatoire, confronté au fait qu’il n’a pu vérifier si le revenu de l’année 2014, sur lequel est fondée sa comparaison, avant et après l’acquisition, est demeuré le même après une année d’exploitation, il est d’avis que l’influence sur le TGA serait marginale, puisque le revenu brut sert à normaliser le CAPEX.

[180]           Quant au BAIIA, il provient de la déclaration à Securities and Exchange Commission[77].

[181]           Bien que cette transaction concerne une propriété de plus grande envergure que la propriété en cause et qu’il s’agit d’une transaction de 50 % des droits, l’expert l’analyse puisqu’elle est située au Canada. Il précise cependant qu’il la considère comme la moins comparable des ventes analysées étant donné les circonstances particulières de cette transaction.

Vente 4 : Wilmot Mountain, Wisconsin

[182]           Cette vente n’est pas retenue, car elle requiert une dépense en capital estimée à 13 M$ dès l’achat, pour des rénovations au chalet et le remplacement de cinq remontées mécaniques. L’investissement étant trop important comparativement au prix de vente de 33,3 M$, l’expert préfère la rejeter.

Vente 5: Snow Time, Pensylvanie

[183]           Il s’agit du regroupement de trois stations de ski : Liberty Mountain, Roundtop Mountain et Whitetail Ski Resort, acquis par Peak Resorts, inc. en septembre 2018, au prix de 86,749 M$.

[184]           Ils sont situés à une distance maximale de 1 h 15 l’une de l’autre et desservent les zones métropolitaines de Baltimore et Washington DC. Les stations comprennent également deux parcours de golf de 18 trous, un hôtel de 115 chambres, un centre de conférence et plus de 20 lieux de restaurations.

[185]           Les trois montagnes bénéficient d’une couverture complète d’enneigement artificiel, du ski de soirée et de glissades sur tube. Liberty comprend un hôtel de 115 chambres et un golf de 18 trous. Withetail offre également un parcours de golf de 18 trous. La transaction comprend également un terrain excédentaire dont le prix est fixé à 1 M$.

[186]           Bien que cette transaction concerne un ensemble de propriétés offrant des services hôteliers et deux parcours de golfs, l’expert l’a retenue afin d’obtenir un portrait complet des rendements pour ce type d’investissement.

[187]           Le prix de vente retenu pour fins d’analyse est de 72,958 M$, l’expert ne retenant que les immobilisations corporelles, excluant le terrain excédentaire, et incorporelles[78]. Au chapitre des immobilisations corporelles de 70,433 M$, l’expert n’a pas la ventilation entre le prix attribué à l’hôtel, au golf et aux montages de ski. Il exclut le terrain excédentaire afin d’effectuer une comparaison sur la même base que le sujet.

[188]           Le calcul du TGA se fait selon les paramètres suivants :

Prix de vente

72 958 000 $

Revenu brut

49 400 000 $

Réserve de remplacement – CAPEX (6.6 % du revenu brut)

3 260 400 $

BAIIA

11 116 000 $

TGA (BAIIA – CAPEX / Prix de vente)

10,77 %

[189]           Le revenu brut et le BAIIA proviennent du communiqué de presse annonçant la transaction[79].

[190]           La réserve de remplacement était de 3,5 M$ pour l’année 2018 avec une prévision de 3,3 M$ pour 2019.

[191]           Contre interrogé concernant l’incidence de l’envergure de cette transaction et du fait qu’elle comprenne des parcours de golfs et un hôtel, l’expert réfère au ratio du BAIIA sur le revenu brut qui se compare aux normes de l’industrie, à 22,5 %. Il convient qu’il s’agit d’une autre vente qu’il considère moins comparable à la propriété en cause.

Vente 6: Hunter Mountain Resort, New York

[192]           Il s’agit ici d’un autre achat par Peak Resorts en janvier 2016, au prix global de 44,6 M$. Cette station comprend trois sommets destinés aux skieurs et aux planchistes de tous niveaux, ainsi que plusieurs parcs à neige et un parc de tubes. Elle propose une variété d’activités de plein air estivales, notamment une tyrolienne avec vues sur les monts Catskill. Elle accueille également des festivals et concerts durant l’été.

[193]           Le prix de vente retenu pour fins d’analyse est de 40,241 M$, l’expert ne retenant que les immobilisations corporelles et incorporelles, soit les marques de commerce et les relations clients[80]. Le calcul du TGA se fait selon les paramètres suivants :

Prix de vente

40 241 000 $

Revenu brut

27 000 000 $

Réserve de remplacement – CAPEX (6.6 % du revenu brut)

1 782 000 $

BAIIA

6 000 000 $

TGA (BAIIA – CAPEX / Prix de vente)

10,48 %

[194]           Le revenu brut et le BAIIA proviennent du communiqué de presse de Peak Resorts annonçant la vente[81]. L’expert n’a pu prendre connaissance des états financiers et ces montants sont approximatifs selon le communiqué de presse.

[195]           L’expert présente un tableau résumant les indicateurs financiers du marché[82] qu’il a dérivé des ventes analysées. Il réfère le Tribunal au pourcentage d’intangibles (les immobilisations incorporelles), qui reflète une moyenne de 5,3 %.

[196]           Le Tribunal note la grande disparité dans les pourcentages qui varient de 1,54 % à 9,17 %. En excluant les deux ventes que l’expert rejette, le pourcentage est toujours très variable, de 2,15 % à 9,17 %.

[197]           En ce qui concerne le TGA, il est en moyenne de 9,7 % pour les quatre ventes retenues. Le Tribunal note un écart de près de 2 points de pourcentage dans l’échantillon, soit 8,7 % à 10,8 %. Cet écart persiste lorsqu’on ne tient compte que des deux ventes considérées les plus comparables, Stowe et Hunter, qui indiquent respectivement 8,7 % et 10,5 %.

[198]           L’expert explique qu’il a recherché des propriétés dont le ratio de BAIIA sur les ventes brutes est comparable à celui de la propriété en cause, tel que montré au tableau suivant[83] :

Ratio de rendement BAIIA / revenu brut des ventes retenues

Blue Mountain

17,88 %

SnowTime

22,50 %

Hunter Mountain

22,22 %

Stowe Mountain

24,50 %

Moyenne

21,78 %

Propriété en cause

21,51 %

 


[199]           Malgré le fait que l’information provienne de différentes sources et quelques normalisations, l’expert est d’avis que l’exercice est concluant. Il est à l’aise de retenir un TGA de 10 %, puisqu’il est appuyé par son analyse selon la méthode du placement gradué. Il a appliqué deux approches pour les confronter l’une à l’autre et les résultats se corroborent. Il ne donne pas plus d’importance à l’une ou l’autre approche.

Conclusion sur le TGA applicable

[200]           Les méthodes appliquées par les experts pour déterminer le TGA comportent des faiblesses et imprécisions.

[201]           Dans leur application de la méthode du placement gradué, c’est en grande partie la prime de risque déterminées pour la propriété en cause dans l’élaboration du taux de dividende qui fait une différence dans le TGA, l’expert de la requérante appliquant 2,5 % et celui de l’intimée 0,5 %. Les attributs de la propriété en cause sont indéniables, mais le Tribunal juge que la prime retenue par l’expert des intimées est faible.

[202]           Cette approche est rarement retenue étant donné les conditions et la structure du financement qui peuvent varier énormément, dépendant de l’investisseur. D’ailleurs, les experts des intimées retiennent des ratios distincts : L’expert Vigeant retient un ratio de 70 % de mise de fonds et 30 % d’hypothèque alors que l’expert Rancourt retient un ratio de 50 %/50 %.

[203]           Le risque assumé par le propriétaire des fonds propres étant plus élevé que celui qu’assume le créancier hypothécaire, il est donc justifié de recevoir un rendement plus élevé sur son investissement[84]. Ainsi, l’expert Rancourt en retenant sans ajustement la prime déterminée par l’expert Vigeant, ne considère pas l’impact d’un ratio d’investissement distinct de celui qu’il utilise.

[204]           En ce qui concerne le procédé paritaire appliqué par l’expert de l’intimée, le Tribunal note l’écart d’environ 2 points entre les TGA provenant des ventes que l’expert considère les plus comparables. Il s’agit d’un écart significatif en ce sens qu’il a un fort impact sur la valeur. Cependant, l’expert conclut à la moyenne des taux, ce qui se rapproche du taux obtenu par la méthode du placement gradué.

[205]           Le détail des données qui ont servi au calcul du TGA n’est pas disponible. L’expert Rancourt a témoigné que l’exercice n’est pas parfait, mais qu’il l’a effectué en colligeant un maximum d’informations et au meilleur de ses connaissances.

[206]           À la suite de son analyse, en tenant compte de la marge d’imprécision dans les méthodes utilisées par les parties, le Tribunal juge approprié de retenir un TGA à la moyenne arrondie de ceux déterminés par les experts, soit 11 %.

Déductions post-capitalisation

[207]           L’actualisation du revenu net comprend la valeur de tous les biens essentiels à la production de ce bénéfice, dont les biens mobiliers, telles les dameuses, machineries de toute sorte, véhicules, ameublements, équipements de cuisines non fixes, etc. Dans le monde immobilier, l’abréviation FFE[85] est utilisée pour décrire ces éléments.

[208]           Cette actualisation comprend également une partie de la valeur intangible qui réfère, entre autres, à la marque de commerce, la relation client, la recherche et le développement, etc.

[209]           La valeur réelle ne concernant que les biens immobiliers, il faut donc appliquer des ajustements post-actualisation pour déduire ces éléments de la valeur actualisée.

[210]           Les deux experts ont retenu une proportion de valeur intangible de 5,3 %. L’expert des intimées se fonde sur son analyse de la valeur attribuée à cet élément dans son analyse de ventes, qui reflète une moyenne et une médiane de 5,3 % du prix de vente. L’expert Jean est en accord avec ce pourcentage.

[211]           En ce qui concerne la valeur des biens mobiliers, les deux experts ont adopté la valeur comptable nette des biens mobiliers selon les états financiers, soit 575 713 $. L’expert Jean déduit directement ce montant, alors que l’expert Rancourt le traduit par un pourcentage qu’il additionne au pourcentage d’intangible et conclut à une déduction globale de 7,5 %.

[212]           L’expert Rancourt procède de cette façon puisque le taux de taxes variable est ajouté au TGA. Il se doit donc d’effectuer un ajustement à la baisse au taux de taxe pour en exclure ces éléments qui ne sont pas de nature immobilière. L’ajustement est fait sur la base de 7,5 %. Ainsi le taux de taxe de 1,49 % est ajusté à 1,38 %.

[213]           Le Tribunal adopte cette méthode.

Conclusion de valeur par la méthode du revenu selon le Tribunal

[214]           Le Tribunal conclut à la valeur économique suivante en application de ses décisions, sur les différents éléments litigieux du débat :

Revenu net / BAIIA

 

3 616 758 $

TGA

11,00 %

 

Taux de taxes

1,49 %

 

Taux de taxes ajusté1

1,38 %

 

TGA appliqué

12,38 %

 

Valeur actualisée

 

29 214 523 $

Moins FFE / intangibles

7,5 %

2 191 089 $

Valeur indiquée (arrondie)

 

27 023 000 $

1 Le taux est ajusté en fonction de la valeur des FFE et intangibles qui sont déduits post-actualisation, soit 92,5 % (1-7,5 % = 92,5 %) du taux de taxes (1,49 % x 92,5 % = 1,38 %).

 

 

 

 

 

 

 

[215]           Les experts en évaluation d’entreprise concluent à une valeur d’entreprise variant de 25,8 M$ à 28,0 M$[86]. L’approche des experts est basée sur le rendement des actifs.

[216]           L’expert Pharand a expliqué que ces valeurs tenaient compte de la synergie existant entre les montagnes détenues par les Sommets.

[217]           En effet, ces centres de ski bénéficient de services en commun au niveau administratif (ressources humaines, comptabilité, service informatique, etc.) et opérationnel (mécaniciens, techniciens, etc.). Il s’agit d’une entreprise à maturité présentant une rentabilité constante.

[218]           La valeur d’entreprise considère le fonds de roulement, les impôts corporatifs et l’avantage fiscal relié à l’amortissement des immobilisations, ce qui la distingue de la valeur immobilière.

[219]           Les deux experts n’ont attribué aucune valeur d’achalandage. Il aurait fallu que la valeur de l’entreprise soit supérieure à celle des actifs tangibles.

[220]           Le Tribunal n’analysera pas plus avant les valeurs déterminées par les experts d’entreprise étant donné les prémisses différentes dans l’élaboration de ces valeurs. D’autant plus, que la valeur déterminée par le Tribunal se situe près du point milieu de cette fourchette de valeur.

Existe-t-il une désuétude économique et de quelle ampleur est-elle?

[221]           La difficulté d’application de la méthode du coût réside dans la mesure de la dépréciation, dans le cas en litige la désuétude économique, puisque les experts se sont entendus sur la dépréciation normale.

[222]           Selon le manuel d’évaluation foncière du Québec[87] :

La désuétude externe1 qui caractérise un bâtiment est causée par des réalités qui en amoindrissent la désidérabilité de façon durable, en raison de circonstances ou d’événements qui sont extérieurs à celui-ci, qui en sont indépendants et qui, à la date de référence, ne relèvent pas de son propriétaire. De tels événements ou circonstances peuvent être d’origine physique, juridique, sociale ou économique, mais, pour donner lieu à une désuétude externe, leur effet doit être à caractère durable et s’avérer significatif. La désidérabilité ainsi amoindrie réduit la valeur du bâtiment et, par définition, cet effet n’est pas corrigible par le propriétaire, bien qu’il puisse évoluer au fil du temps. En effet, si les conditions négatives qui en sont la source évoluent, la désuétude externe peut s’accroître, diminuer ou même disparaître complètement.

__________________

1 Le mot « externe » est employé au lieu de « économique », puisqu’il reflète mieux la réalité immobilière qu’il vise à décrire, alors que le terme « économique » se rapporte à la science de l’économie ou à la réduction des frais, des dépenses, etc.

[223]           Dans le cas d’une station de ski, la demande répond-elle à l’offre pour la région? C’est le résultat de l’application de la méthode du revenu qui détermine si la valeur établie par la méthode du coût est économiquement soutenue par la rentabilité de la station.

[224]           Les deux experts ont donc appliqué le différentiel entre le résultat obtenu par l’application de la méthode du revenu et celui obtenu par la méthode du coût après l’application de la dépréciation normale.

[225]           Dans le cas en litige, le niveau de désuétude est donc grandement influencé par les thèses adoptées par les parties, l’expert de la requérante retenant 52,5 % et celui des intimées 15 %.

[226]           Étant donné cette grande disparité, le Tribunal a demandé aux experts d’analyser les tendances de l’industrie du ski, puisqu’aucune preuve autre que le différentiel entre les résultats des calculs des experts n’avait été présentée au Tribunal.

[227]           Chaque expert a présenté une analyse basée sur l’Étude économique et financière des stations de ski du Québec : saison 2017-2018[88] (l’Étude).

Analyse de l’expert Jean[89]

L’offre

[228]           L’expert Jean traite d’abord de l’offre en présentant les quatre catégories de stations déterminées dans l’Étude, en fonction notamment des revenus de billetterie:

  •             Les stations majeures au nombre de 8 (plus de 3,5 M$);
  •             Les grandes stations au nombre de 10 (1,5M$ à 3,5 M$);
  •             Les stations intermédiaires au nombre de 20 (500 000 $ à 1,5 M$);
  •             Les petites stations (moins de 500 000 $).

[229]           St-Sauveur fait partie de la catégorie des stations majeures par ses revenus de billetterie de plus de 13 M$.

[230]           L’expert examine ensuite la capacité des remontées mécaniques en relation avec l’opération de la station. Selon son enquête auprès des Sommets, lors des journées d’achalandage maximum, le temps d’attente et le stress sur la main-d’œuvre ont un impact sur la désirabilité pour la clientèle. Il établit que la capacité d’opération maximale journalière devrait être de 90 % de la capacité maximale historique 7 215 visiteurs. La capacité journalière est donc estimée à 6 494 visiteurs.

[231]           Il détermine ensuite l’offre totale moyenne annuelle à 974 100 visiteurs sur la base de 150 jours d’opération. En tenant compte que l’offre n’est pas linéaire, puisqu’au début et à la fin de la saison toutes les pistes ne sont pas disponibles, il détermine donc que pour une période de 60 jours, la capacité est de 40 % et que pour les 90 jours restants, la capacité est de 100 %.

[232]           L’offre annuelle totale à atteindre est donc établie à 740 316 visiteurs. Il convertit ce nombre en visiteurs par jours-ski, terme référant à chaque visite à la station pour skier, provenant de tout type de billets confondus (abonnements ou skieurs à la journée).

[233]           Il compare cette donnée à la fiche personnalisée de St-Sauveur et Avila, considérés comme un ensemble dans l’Étude. Selon cette dernière, ces centres se classent en 2e position en termes de performance par rapport aux montagnes de catégorie majeure[90]. Il attribue ce classement à la stratégie d’entreprise des Sommets et à l’excellente performance des opérateurs de la station.

La population

[234]           Il analyse ensuite la pratique du sport de glisse dans la région administrative des Laurentides et sa population. Cette dernière a cru de 12,04 % en 2017, tous sexe ou âge confondus.

[235]           La clientèle cible de St-Sauveur est principalement localisée dans les régions administratives de Montréal, Laval et des Laurentides.

[236]           Il établit que le bassin naturel de population de la clientèle cible est de 3M de personnes en 2017, alors qu’il était de 2,8 M$ en 2008, soit une croissance de 7,82 % qui se révèle légèrement plus élevée que celle du Québec pour la même période.

[237]           Sur cette base, il est d’opinion qu’il y a une croissance naturelle de la demande par la simple croissance de la population.

La demande

[238]           Le marché canadien détient 26,7 % des jours-ski du marché nord-américain. La part de marché du Québec quant à elle est de 8,3 %. Il existe une disparité dans le marché américain pour divers facteurs, dont le taux de change, les habitudes de consommation et le pouvoir d’achat global des ménages.

[239]           Selon l’Étude, la clientèle majoritaire des stations est composée de Québécois, la clientèle hors Québec ne représentant que 19 %. Parmi cette dernière, 13,1 % proviennent de l’Ontario et 4,34 % sont des Américains.

[240]           La tendance historique d’achalandage en termes de jours-ski est en décroissance depuis le début des années 2000, soit une diminution de 10,8 % entre 2000 et 2018 au Québec. La fréquentation varie d’une saison à l’autre en fonction des conditions climatiques.

[241]           Pour la saison 2017-2018, elle se situait à 6,062M jours-ski, soit 4,2 % sous la moyenne des 17 dernières années et 2,4 % au-dessus de la moyenne 2010-2018.

[242]           La fréquentation de la région des Laurentides représente 30,7 % de la fréquentation totale du Québec en 2017-2018.

[243]           Selon l’Étude, le marché québécois est scindé en trois catégories :

  • La clientèle locale, qui réside dans un rayon de 40 km ou moins;
  • La clientèle excursionniste, qui fera un aller-retour dans la même journée d’une distance de plus de 80 km, ou touristique, qui fera un voyage d’une nuit ou plus avec un hébergement commercial ou privé;
  • La clientèle de villégiature qui possède une résidence secondaire dans la région où se situe la station.

[244]           St-Sauveur n’est pas une station de destination avec hébergement, tel MontTremblant. Sa clientèle excursionniste sans hébergement provient de la région de Montréal, ce qui représente une distance d’environ 120 km aller-retour.

[245]           Au chapitre de la billetterie, l’Étude constate que la façon de consommer le sport de glisse a changé, notamment par l’augmentation du nombre de passes de saison. Les abonnements réguliers ont atteint 52 % des jours-ski en 2017-2018.

[246]           La tarification journalière adulte de fin de semaine est de 71,12 $ pour les stations majeures, alors qu’elle est de moins de 46 $ pour les autres types de stations.

[247]           Malgré la croissance du volume des abonnements, la tarification des abonnements de semaine est à la baisse de 16,5 % entre les saisons 2014-2015 et 20172018[91]. Selon l’expert, la perte de profitabilité est supérieure puisqu’elle ne tient pas compte de l’inflation.

[248]           L’expert mentionne diverses aides gouvernementales depuis 1983 pour stimuler l’industrie. Selon lui, l’ensemble de ces aides sont un signe de la difficulté d’un domaine d’activité économique. L’expert ne peut cependant en quantifier l’impact.

[249]           Au chapitre de la concurrence, il constate qu’elle est forte dans les Laurentides puisqu’on y retrouve 12 stations. Il s’agit d’ailleurs de la région ou l’on retrouve le plus grand nombre de stations au Québec. Les Sommets en détiennent cinq, ce que l’expert considère comme une stratégie de réponse à la concurrence, puisqu’elles représentent 38,5 % des stations de la région.

[250]           L’expert mentionne également les autres activités hivernales offertes dans les Laurentides (ski de fond, raquette, randonnée pédestre, motoneige, VTT, etc.) et estivales (vélo de montagne et de randonnée, randonnée pédestre, kayak, canot et rafting, golf, etc.).

[251]           Il fait ressortir que la population ayant un budget restreint pour les activités de loisir fera un choix parmi ces activités dans la région immédiate de St-Sauveur. À son avis, cette concurrence permet de mieux comprendre la stagnation dans l’activité du ski.

[252]           La distribution de la clientèle au sein des Sommets entre 2015 et 2019 montre que le déplacement de la clientèle entre les stations bénéficie à St-Sauveur.

[253]           Le nombre de visiteurs par saison au Québec de 2015 à 2019 reflète l’augmentation de la part des abonnements de saison au fils des ans, ce qui a un impact sur la valeur du billet par jours-ski et la rentabilité des stations, selon l’expert. La clientèle bénéficie des économies d’échelle procurées par la détention d’une passe de saison.

[254]           Ainsi, la tarification de l’abonnement de semaine a diminué de 16,5 % sur une période de 3 ans, entre les saisons 2015-2016 et 2017-2018. L’abonnement de soirée stagne quant à lui pour la même période. Au net, l’expert mentionne que la perte de profitabilité est plus grande depuis 2015-2016 puisqu’il faut également considérer l’inflation, soit une perte additionnelle de 2,2 %.

[255]           La vente des abonnements de saison permet de stabiliser les revenus, mais crée également une pression sur la gestion du service journalier qu’il faut maintenir de façon optimale. Selon l’expert, cela a pour effet d’augmenter le risque opérationnel.

[256]           Selon l’Étude[92], la performance financière de St-Sauveur et Avila considérés comme un ensemble est en avance comparativement à la concurrence du Québec, dans la catégorie des stations majeures.

[257]           L’expert est d’avis que ceci démontre la forte stratégie d’entreprise et l’excellence des opérateurs de la station, qui s’explique par la consolidation des activités d’administration et de vente, ce qui permet une intéressante économie d’échelle dans les frais d’opération.

[258]           À la suite de l’examen de tous ces éléments, l’expert établit le surplus de capacité de St-Sauveur pour l’année 2017-2018 à 53,26 %, ce qui est largement suffisant pour satisfaire un plus grand volume de clientèle.

[259]           Il explique que la capacité de l’offre est linéaire pour chaque jour ouvrable alors que la demande est variable, puisqu’il y a une différence de fréquentation entre la semaine et le week-end. En effet, les équipements et l’ensemble des installations sont prévus pour fournir un rendement quotidien optimal. Le fait de fonctionner à un volume plus limité de façon quotidienne cause la même usure journalière aux équipements, puisque les équipements ont une usure en fonction du nombre d’heures de fonctionnement et non en fonction du nombre de skieurs transportés.

Analyse du Tribunal

[260]           L’expert Jean calcule une désuétude économique de 47,74 %, excluant le surplus de productivité, par une approche de sommation basée sur trois paramètres.

[261]           Au chapitre du surplus de productivité, l’expert Jean le détermine en fonction de la capacité d’opération historique maximale journalière. Il l’établit à 90 % de celle-ci, et la module selon les périodes d’ouverture et de fermeture.  Il s’agit d’un calcul théorique.

[262]           Selon le témoignage de M. Jean Mondou, consultant immobilier des Sommets depuis 30 ans[93], cette surcapacité serait induite par l’offre des fournisseurs de ce type d’équipement spécialisé que sont les remontées mécaniques, l’opérateur d’un centre de ski n’ayant d’autres choix que de s’y adapter. Il s’agirait donc d’une cause externe, d’un effet de marché hors du contrôle des opérateurs.

[263]           L’avocat de la requérante plaide que ce surplus de productivité s’apparente plus à une désuétude fonctionnelle incurable, puisque le nombre de skieurs n’est pas suffisant pour nourrir l’utilisation des équipements.  Cette affirmation n’a pas été démontrée par les experts et le Tribunal ne la retient pas.

Contraction de la demande

[264]           Il détermine d’abord la contraction de la demande à 22,86 %. Il s’agit de l‘addition de la chute de la demande de 10,82 % des jours-skis des 18 dernières années et la croissance de la population des Laurentides de 12,04 % pour la même période.

[265]           L’expert Rancourt fait valoir que le calcul devrait plutôt s’appuyer sur la croissance de la population du Québec, soit 6,96 %, puisque la chute de la demande concerne l’ensemble du Québec.

[266]           Face à cette critique, l’expert Jean modifie son calcul en retenant plutôt le facteur d’augmentation de sa clientèle cible, soit la région des Laurentides, Laval et Montréal, dont la croissance est de 7,82 %. Il réduit ainsi sa conclusion à 18,64 % pour ce premier paramètre.

[267]           L’expert Rancourt fait valoir que tous ne sont pas skieurs, ce dont convient le Tribunal.

[268]           Ainsi, le Tribunal juge que de faire la simple sommation sur la base de la croissance globale de la population, sans ajustement pour tenir compte de cet élément, surestime ce premier volet du calcul.

Impact de l’accroissement du nombre d’abonnements de saison

[269]           L’expert détermine l’impact de l’accroissement du nombre de passes de saison sur la rentabilité à 10,78 %.

[270]           Il se base sur la réduction de 16,5 % du tarif de la passe de saison de semaine et du pourcentage des abonnements réguliers qui s’établit à de 52 %. Il obtient ainsi 8,58 % auquel il ajoute l’inflation de 2,2 % pour obtenir 10,78 %.

[271]           Contre-interrogé sur cet élément, l’expert admet que d’autres tarifs ont augmenté pour la même période.

[272]           Le Tribunal remarque que le tarif des abonnements de saison  tout temps qui représentent 40 % des abonnements totaux en 2017-2018[94] ont augmenté de 3,5 % entre la période 2014-2015 / 2017-2018. Ceux des abonnements de saison  5 jours/7 soirs ont quant à eux, augmenté de 5 % pour la même période[95].

[273]           Face à cette critique, M. Jean modifie totalement son calcul.

[274]           Il puise dans divers tableaux de l’Étude[96] et établit le volume d’affaires par jours-ski générés par les abonnements de saison pour l’année 2017-2018 à 53,74 $ versus celui de l’année 2016-2017 à 52,80 $, qu’il ajuste à 53,35 $ pour tenir compte de l’inflation. Il constate que l’écart très faible.

[275]           Il compare ensuite la tarification moyenne des billets journaliers de fin de semaine des stations majeures, soit 71,12 $, à celui des passes de saison, et constate un écart de 17,38 $, ce qui représente une perte de 24,43 %. Il retient 70 % de cette perte, qui représente la part des abonnements et obtient 17,10 %.

[276]           Le témoignage de l’expert est laborieux, puisqu’il puise dans divers tableaux et effectue plusieurs calculs pour en arriver à ce résultat. Interrogé par le Tribunal, l’expert admet que son analyse sur la base de deux années seulement n’est pas la meilleure approche, étant donné ce faible échantillon temporel.

[277]           Il affirme que ce résultat n’est peut-être pas très probant et que son précédent calcul pourrait toujours être retenu. Il précise qu’on peut conclure tout et son contraire en puisant tel qu’il l’a fait dans les divers éléments de l’étude économique qu’il consulte. Il affirme donc qu’il retient sa nouvelle conclusion à cet égard avec réserve[97].

Perte économique due au changement structurel des habitudes de consommation

[278]           Finalement, l’expert détermine une perte économique de 12 % attribuable au changement structurel dans les habitudes de consommation.


[279]           Il l’explique par l’écart entre le nombre de billets journaliers qui a diminué étant donné l’augmentation des abonnements, qu’il met en relation avec la variation du prix des billets journaliers. Le billet journalier moyen de fin de semaine était de 71,12 $ pour les stations de catégorie majeure et la tarification moyenne du marché ne représente que 40,43 $. Il calcule une perte de 43,15 % par billet pour 30 % de la clientèle, ce qui reflète approximativement 12 %.

[280]           Il a choisi une proportion de 30 % sur la base de la tendance reflétée par la proportion de visiteurs billets qui diminue constamment depuis la saison 2015-2016, soit 39,27 % vs 2018-2019 ou elle est de 33,74 %[98].

[281]           Le Tribunal retient cette comparaison avec réserve puisqu’il s’agit de catégories de stations différentes, les stations majeures étant de plus grande envergure et offrant un meilleur service que les stations de catégorie inférieure, ce qui justifie leur tarif plus élevé.

Conclusion du Tribunal sur la désuétude économique de l’expert Jean

[282]           L’expert Jean a réalisé une analyse complexe dans laquelle il pose plusieurs hypothèses pour réaliser ses calculs, basés sur un ensemble d’informations provenant de L’Étude. Il admet lui-même que l’on peut faire dire tout et son contraire à ce type d’analyse étant donné les multiples variables qui affectent l’industrie du ski.

[283]           L’expert Jean a d’ailleurs modifié ses calculs des deux premiers paramètres à la suite de son contre-interrogatoire afin de répondre aux interrogations soulevées par les intimées. Son but était de raffiner son analyse et le Tribunal ne lui en tient pas rigueur, bien au contraire.

[284]           Cependant, force est de constater que le premier paramètre est surestimé, le deuxième est incertain au dire de l’expert lui-même et le troisième est retenu avec réserve par le Tribunal.

[285]           De plus, nulle part dans la preuve il n’est démontré que la mesure de la désuétude doit provenir de la sommation de ces paramètres.

[286]           La preuve soumise par l’expert Jean à cet égard est jugée déficiente et le Tribunal ne peut y souscrire.

Analyse de l’expert Rancourt[99]

[287]           L’expert Rancourt a ciblé quatre éléments qu’il analyse sur une période de 10 ans, de 2007 à 2017.

Le nombre de jours-ski consommé annuellement

[288]           Cette mesure permet d’analyser l’évolution de l’achalandage au fil des ans. À l’appui de la figure 2 de l’Étude, il établit une courbe de tendance qui démontre une baisse d’achalandage de 13,12 % sur 10 ans et en chiffre réel de 14,18 %.

[289]           L’expert Jean se dit en accord avec cette conclusion.

Volume d’affaires de l’industrie

[290]           Indépendamment de l’achalandage dans les stations, cette mesure permet de voir l’évolution du volume d’affaires au fil des ans.

[291]           Il se base sur la figure 3 de l’Étude, qui présente le volume d’affaires total de l’industrie et celui des activités hivernales seulement, qu’il indexe afin de refléter l’année 2017.

[292]           Il établit une courbe de tendance qui indique une baisse du volume d’affaires total de 4,84 % sur 10 ans et 5,72 % en chiffres réels. En ce qui concerne les activités hivernales seulement, la tendance reflète une baisse est de 8,17 % et en chiffres réels 9,46 %.

[293]           L’expert en déduit que cette baisse du volume d’affaires, qui est inférieure à celle de l’achalandage pour la même période, démontre que les centres de ski ont développé des stratégies pour limiter l’effet de cette chute de la fréquentation.

Nombre de stations de ski en opération aux fils des ans

[294]           Un élément très pertinent selon l’expert Rancourt est le nombre de stations de ski en opération durant cette période de 10 ans qui permet de mesurer si l’industrie est en expansion ou en régression. Pour cette partie de l’analyse, l’expert mesure la période 2004-2005 à 2014-2015. Il se base sur le document Faits + statistiques – industrie du ski et du surf des neiges 2014-2015, produit par le Conseil canadien du ski.

[295]           Sur la base du nombre de stations de ski montrées au tableau des Visites de skieurs et surfeurs par province, l’expert établit une courbe de tendance qui montre une baisse de 10,15 % et en chiffres réels de 9,76 %.

[296]           L’expert Jean n’est pas en désaccord avec cette conclusion.

Proportion du budget des Québécois destiné aux loisirs et à la culture

[297]           Il s’agit d’une mesure générale puisque le secteur des loisirs et de la culture s’étend bien au-delà des activités offertes par une station de ski. Malgré tout, le ski est en compétition avec ces activités et l’expert considère pertinent d’examiner cet élément.

[298]           Sur la base des informations provenant de Statistique Canada[100], l’expert détermine la proportion du budget des ménages québécois en pourcentage du revenu disponible sur dix ans de 2007 à 2017.

[299]           Il développe une courbe de tendance et constate une baisse de 19,55 % et en chiffre réel de 19,51 %.

[300]           Il résume ensuite ces tendances de la façon suivante :

Tableau résumé des tendances sur 10 ans

 

Indicateurs de mesure

Baisses en %

Jours-ski

13,12 %

Volume d’affaires total de l’industrie

4,84 %

Volume d’affaires hivernal de l’industrie

8,17 %

Nombre de stations en opération

10,15 %

Budget – loisirs et culture - Québec

19,55 %

 

 

Baisse moyenne

11,17 %

Baisse médiane

10.15 %

[301]           Il conclut que cette analyse tend à démontrer une désuétude économique qu’il qualifie d’optimiste à 10 %, ce qui supporte sa conclusion à 15 %.

[302]           Il est d’avis que ce niveau de désuétude s’applique également aux stations satellites.

Analyse du Tribunal

[303]           L’expert Rancourt cible des éléments qui sont analysés sans poser d’hypothèses particulières. Il s’agit d’une analyse moins complexe que celle de l’expert Jean, basée sur des constats provenant de l’Étude et de statistiques fiables.

[304]           Elle permet de constater les variations à la baisse d’un ensemble de paramètres qui peuvent s’influencer les uns les autres, et ce, sur une période de 10 ans.

[305]           En calculant la moyenne et la médiane reflétées par ces variations, l’expert brosse un portrait de l’industrie en général qui vient corroborer la désuétude calculée sur la base du résultat de la méthode du revenu.

[306]           En ce sens, le Tribunal juge que le résultat affiché par le calcul de la moyenne et de la médiane reflète un minimum.

Conclusion sur la désuétude économique

[307]           Il est difficile de mesurer la désuétude économique puisque plusieurs paramètres influencent une industrie donnée. Les experts ont préparé deux analyses et le Tribunal salue l’effort déployé pour cerner les tendances du marché du ski, qui fait partie de l’ensemble des activités de loisirs.

[308]           Les analyses démontrent qu’il y a une désuétude économique, mais son ampleur est difficile à déterminer avec exactitude. Il s’agit d’une désuétude structurelle puisqu’elle concerne l’ensemble du Québec. Cependant, ses effets peuvent être différents d’un immeuble à l’autre[101] et d’une région à l’autre.

[309]           Le Tribunal juge que l’analyse de l’expert Jean est déficiente et ne peut la retenir. Celle de l’expert Rancourt cible un minimum seulement.

[310]           Une fois qu’est décelée la présence d’une désuétude économique, la meilleure indication de son ampleur est sans contredit la différence entre l’indication de valeur fournie par la méthode du revenu et celle de la méthode du coût, après l’application des dépréciations normales seulement.


[311]           La différence entre la conclusion à laquelle arrive le Tribunal après analyse de la preuve sur la méthode du revenu, soit 27 023 000 $, et l’indication de valeur selon la méthode du coût avant considération de la désuétude économique, soit 32 848 100 $ est de 5 825 100 $.

[312]           Appliquée à la valeur dépréciée des bâtiments et équipements puisque le terrain ne se déprécie pas, soit 24 008 100 $, la désuétude reflétée par la conclusion du Tribunal est de 25 %.

CONCLUSION FINALE

[313]           La méthode du revenu est celle qui doit être privilégiée pour déterminer la valeur d’une propriété tel un centre de ski.

[314]           Le Tribunal a analysé la thèse des deux parties et retenu celle des parties intimées à l’appui de la jurisprudence et des caractéristiques de la structure du revenu de la propriété en cause.

[315]           Il a cependant majoré le TGA retenu par l’expert Rancourt, puisque l’analyse des méthodes pour déterminer ce paramètre révèle que celles-ci laissent subsister un degré d’imprécision significatif dont le Tribunal doit tenir compte. Dans ces circonstances, le Tribunal établit le TGA à la moyenne des conclusions des experts.

[316]           Les deux experts se sont servis du résultat de la méthode du revenu pour compléter le calcul de l’indication de valeur par la méthode du coût, c’est-à-dire déterminer l’ampleur de la désuétude économique affectant la propriété.

[317]           Le Tribunal a demandé aux experts de lui fournir une analyse démontrant qu’il existe une désuétude économique, ce qui a été démontré sauf en ce qui concerne l’ampleur de celle-ci, puisqu’elle est influencée par le résultat de la méthode du revenu. Le Tribunal a donc déterminé que la valeur qu’il juge raisonnable après son analyse de la preuve, en application de la méthode du revenu, reflète une désuétude économique de 25 %.

[318]           Le Tribunal tient à souligner le travail des parties et de leurs experts afin de circonscrire le débat, par un processus de conférences préparatoires, et le professionnalisme avec lequel elles ont administré la preuve en prenant tous les moyens nécessaires pour maximiser le temps alloué à l’audience.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

ACCUEILLE le recours;

DÉTERMINE la valeur réelle à inscrire au rôle à compter du 1er janvier 2019, compte tenu du facteur comparatif de 1,00, comme suit :

Terrain :

8 750 000 $

Bâtiment :

18 273 000 $

Total :

27 023 000 $

LE TOUT avec frais de justice en faveur de la partie requérante, incluant les frais exigés lors du dépôt du recours devant le Tribunal.

 

 

 

 

 


 

MANON GOYER, j.a.t.a.q.

 

 

PHILIPPE TREMBLAY, j.a.t.a.q.


 

Godard, Bélisle, St-Jean & Associés

Me Alfred A. Bélisle

Procureur de la partie requérante

 

Prévost, Fortin, D'Aoust

Me Stéphanie Provost

Procureure de la partie intimée


 

 

 


[1]  La partie requérante a déposé en temps opportun les demandes de révision administrative et les requêtes au Tribunal.

[2]  Cette propriété est inscrite au rôle sous les numéros matricules suivants : 77043-5482-35-6298 (du 201901-01 au 2021-05-12) et 77043-5482-46-6962 (du 2021-05-13 au 2021-12-31). Le tout selon une tenue à jour du rôle à la suite d’un morcellement. Voir I-S-46, page 5.

[3]  Le facteur comparatif du rôle est de 1,00; la valeur déposée est donc la même que la valeur uniformisée.

[4]  Pièce R-S-1-B.

[5]  Pièce I-S-46-A.

[6]  M. Sébastien Jean pour la requérante. MM. Robert McCann, Jérôme-Olivier Rancourt et David Vincent               pour les intimées.

[7]  M. Dominic Pharand pour la requérante. M. Guillaume Vigeant pour les intimées.

[8]  Il s’agit du bénéfice net avant intérêt, impôt et amortissement, terme comptable équivalent au revenu net utilisé dans le cas en litige. Il est utilisé par l’expert Rancourt ainsi que les experts en évaluation d’entreprise. Le Tribunal utilise ce terme lorsqu’il discute de l’expertise de ces derniers.

[9]  Pièce R-S-1B, p. 17.

[10]  Pièce R-S-1B, p. 22 : Plan du site et de la montagne.

[11]  Trois télésièges quadruples débrayables, un télésièges sextuple débrayable, un télésiège quadruple avec tapis d’embarquement, un télésiège quadruple, un télésiège double et un tapis magique.

[12]  Pièce R-S-1B, p. 23 : Plan du parc aquatique.

[13]  Pièce R-S-30.

[14]  Témoignage de Gregory McCollough, VP aux opérations des Sommets. M. McCollough utilise le terme Rubber Tire pour décrire le type de station comme St-Sauveur et Olympia, selon la nomenclature de l’industrie.

[15]  RLRQ, chapitre F-2.1.

[16]  Article 42 de la LFM.

[17]  Article 43 de la LFM.

[18]  Article 45 de la LFM.

[19] Empire Cold Storage Co. c. Montreal Urban Community, 1987 CanLII 525 (QC CA).

[20] Appartement Hôtel Château Royal inc. c. Montréal (Ville), 2000 CanLII 7171 (QC CA), par. 16.

[21]  Traité de l’évaluation foncière, Jean-Guy Desjardins, 2e édition 2021, section 9.1.3.3.

[22]  Pièce R-S-27.

[23]  Coût à neuf total de 61 147 800 $. Coût des équipements de 53 623 000 $.

[24]  Coût déprécié physiquement total de 24 098 100 $. Coût déprécié des équipements de 19 875 000 $.

[25]  Pièce R-S-28.

[26]  Les données économiques ont été également analysées par Ernst and Young et Price Waterhouse Coopers.

[27]  Pièce R-S-1B, p. 111.

[28]  Pièce R-S-1B, p. 111.

[29]  Pièce R-S-1B, pp. 112 et 113.

[30]  Pièce R-S-1B, pp. 115 et 116.

[31]  Pièce R-S-22, annexe 14.

[32]  Pièce R-S-1B, p. 116.

[33]  Pièce R-S-1B, pp. 116.1 et 117. Il est à noter qu’à la suite de son contre-interrogatoire ou une erreur lui a été signifiée (omission de la CNESST et bénéfices marginaux des salaires), l’expert a modifié son calcul. À l’origine, la marge de profit des activités réalisées par la requérante était estimée à 15.81 %.

[34]  1481874 Ontario Inc. c. Montréal (Ville de), 2012 QCCQ 10371.

[35]  Pièce I-S-2 : L’étude économique et financière des stations de ski du Québec, saison 2017-2018, fait état de marges brutes par type d’activité excluant les concessions. L’information provient de l’enquête de M. Vincent auprès du directeur de cette étude.

[36]  AZ-50000373, décision du BREF Q-96-0807, p. 8.

[37]  Supra note 36, p. 9.

[38]  Supra note 36, p. 12.

[39]  2000 CanLII 9426 (QC CA).

[40]  Gestion LSHPK inc. c. Ville de Québec, 2018 CanLII 121407, par. 59 et 60. Auberge des Glacis c. Municipalité de L’Islet, 2013 CanLII 38244, par. 87 à 91.

[41]  Communauté urbaine de Montréal vs Skyline Hotels (Montreal) Limited et Ville de St-Laurent; AZ51040316, p. 4.

[42]  Pièce I-S-46-A, p. 81 : 15 043 010 $ (moins la réserve de remplacement : 1 359 912 $ et les taxes 73 763 $).

[43]  Pièce R-S-1B, pp. 120 et 121.

[44]  Pièce I-S-46-A, p. 81.

[45]  Pièce R-S-22, annexe de calcul 12.

[46]  Pièce R-S-22, annexe de calcul 15.

[47]  Pièce R-S-28, annexe 5.

[48]  Pièce R-S-28, annexe 2.

[49]  Pièce I-S-45, annexe de calcul B-4 : les CapEx normalisés varient de 5,6 % à 6,5 % de 2012 à 2017; section 5.1.1, p. 16 : CapEx entre 1,2 M$ et 1,260 M$.

[50]  Pièce I-S-2.

[51]  Pièce I-S-46, p. 84.

[52]  Immeubles Félix Roussin inc. c. Ville de Québec, 2021 CanLII 48403, par. 128 à 132; Fonds de placement Immobilier Cominar c. Ville de Charlesbourg, 2001 CanLII 59468, par. 55. Vogis Properties inc. c. Ville de Montréal, BREF, M91-0242, 15-02-1991, pp. 8, 9 et 12.

[53]  Pièce I-S-46, annexe 4.

[54]  Pièce I-S-46, annexe 2.

[55]  Source : Réinterrogatoire de M. Rancourt, 9 février, 9 h 52. Il a comparé les comptes de taxes d’Avila et la dépense de taxes à l’état des résultats de ce mont pour les années 2014 à 2017. Il constate que la dépense à l’état des résultats est très basse et ne reflète absolument pas la taxation réelle. Selon ses calculs, le différentiel se retrouve dans la dépense de St-Sauveur.

[56]  Selon le calcul suivant : EBITDA / BAIIA = 3 616 758 $ (plus part fixe des taxes 73 763 $; moins la taxe réelle ajustée de 520 011 $). EBITDA ou BAIIA ajusté = 3 170 510 $. TGA appliqué de 10 % = Valeur estimée avant déduction post-actualisation = 31 705 100 $.

[57]  Pièce I-S-46, p. 77.

[58]  Pièce I-S-46, p. 78 et pièce I-S-2, p. 38.

[59]  Référence au calcul de la p. 103 de la pièce I-S-46-A. En substituant le TGA de 11,89 % à celui de 10 % dans le calcul, le Tribunal obtient une valeur avant déduction post-actualisation de 27 255 150 $ (arrondi) comparativement à 31 787 267 $.

[60] Le CMPC est un terme comptable.  Il s’agit d’une partie de l’équation qui permet de déterminer le taux de capitalisation fondé sur le rendement requis sur l’ensemble des sources de financement de l’entreprise (dettes et capitaux propres).

[61]  Pièce R-S-1-B, p. 124.

[62] Pièce R-S-1B, p. 126

[63]  Pièce R-S-22, annexe10 : Il s’agit du rendement sur les capitaux propres servant au calcul du coût moyen pondéré du capital. Voir explication dans le corps du rapport aux pp. 34 et 35.

[64]  Pièce I-S-45, annexe B-3.

[65]  Pièce I-S-45, annexe B-3, note 1 au bas du tableau.

[66] Pièce R-S-31, p. 2, première partie du tableau.

[67]  Voir la pièce I-S-47, résumé des ventes 1 à 6 TGA, en liasse.

[68]  Pièce I-S-47 en liasse, vente 2, lien 7.

[69]  Pièce I-S-46-A, p. 87.

[70]  Pièce I-S-2, tableau 12. I-S-46 : l’expert reproduit ce tableau à la p. 78 de son rapport d’expertise.

[71]  Pièce I-S-47 en liasse, vente 2, lien 6.

[72]  Pièce I-S-47 en liasse, vente 2, lien 4, p. 9 de 21.

[73]  Pièce I-S-47 en liasse, vente 2, lien 6, p. 4 de 21.

[74]  Pièce I-S-46-A, p. 89.

[75]  Pièce I-S-21, p. 95.

[76]  Pièce I-S-47 en liasse, vente 3, liens 2 et 7: calcul par déduction 599 060 M$ - 525 253 M$.

[77] Pièce I-S-47 en liasse, vente 3, lien 2 : 6,6 M$ x 2.

[78]  Pièce I-S-46-A, p. 95.

[79]  Pièce I-S-47 en liasse, vente 5, lien 3.

[80]  Pièce I-S-46, p. 97.

[81]  Pièce I-S-47, en liasse, vente 6, lien 3.

[82]  Pièce I-S-46-A, p. 98, tableau du haut de la page.

[83]  Pièce I-S-46, p. 98, tableau du bas de la page.

[84]  Traité de l’évaluation foncière, 2e édition 2021 : Voir les commentaires concernant le taux de rendement sur les fonds propres aux pp. 299 et 300.

[85]  Le terme F.F.E provient de l’expression anglaise Furniture, Fixture and Equipment.

[86]  Pièce R-S-28.

[87]  Manuel d’évaluation foncière du Québec, Édition 2022, pp. 3E-14 et 3E-15.

[88]  Pièce I-S-2.

[89]  Pièce R-S-32.

[90]  Cette analyse est basée sur la version 2018-2019 de l’Étude.

[91]  Pièce I-S-2, p. 68, Tableau 40, catégorie majeure, abonnements de saison-semaine : tarif en 20172018 = 425,20 $ vs 2014-2015 = 509,20 $.

[92]  Année 2018-2019.

[93] M. Mondou s’occupe de la taxation, du maintien des valeurs assurables, de l’achat de propriétés, de l’inventaire des biens immobiliers pour toutes les montagnes du Sommet.

[94]  Pièce R-S-32, p. 13, Tableau 9, nombre d’abonnements totaux au Québec (tout temps = 111 958 vs total = 279 047).

[95]  Pièce I-S-2, p. 68. Voir tableau 40, catégorie majeure, Abonnement de saison – tout temps : 20172018 = 1 089,38 $ vs 2014-2015 = 1 052,50 $; abonnement de saison- 5 jours / 7 soirs 558 $ vs 531,75 %.

[96]  Pièce I-S-2, Tableau 40 (p. 68), tableau 37 (p. 65) entre autres.

[97]  Témoignage de M. Jean du 22 février 2023, 13 h 53 à 13 h 55.

[98]  Pièce R-S-32, Tableau 11, Statistiques opérationnelles : proportion de visiteurs billets.

[99]  Pièce I-S-49.

[100]  Statistique Canada. Tableau 36-10-0588-01, Comptes économiques répartis pour le secteur des ménages, revenu, consommation et épargne, Canada, provinces et territoires, annuel.

[101]  Cepsa Chimie Montréal S.E.C. c. Ville de Montréal et Ville de Montréal-Est, 2011 QCCQ 15251 : par. 32.

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