Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

3077004 Canada inc. c. Tribunal administratif du Québec, section du territoire et de l'environnement

2018 QCCS 646

JL 3280

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-095472-166

 

 

 

DATE :

16 mars 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JEAN-YVES LALONDE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

3077004 CANADA INC.

demanderesse

c.

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC

Section du territoire et de l’environnement

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

défendeurs

 

et

VILLE DE VAUDREUIL-DORION

           mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ

______________________________________________________________________

 

[1]           Vu les dispositions de l'article 338 du Code de procédures civil du Québec;

[2]           Vu l'erreur matérielle constatée au paragraphe 2 du jugement rendu le 23 février 2018;

[3]           CONSIDÉRANT qu'il y a lieu de rectifier d’office ledit paragraphe 2;

[4]           PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :        

[5]           RECTIFIE le paragraphe 2 du jugement rendu le 23 février 2018 pour qu'il se lise comme suit :

L’objet du recours en contrôle judiciaire tire son origine d’une ordonnance ministérielle (no 635) rendue le 26 septembre 2013 par le Ministre du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (Le Ministre).

 

 

 

 

__________________________________

JEAN-YVES LALONDE, J.C.S.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


3077004 Canada inc. c. Tribunal administratif du Québec, section du territoire et de l'environnement

2018 QCCS 646

 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-095472-166

 

 

 

DATE :

23 février 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JEAN-YVES LALONDE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

3077004 CANADA INC.

demanderesse

c.

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC

section du territoire et de l’environnement

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

           défendeurs

 

et

VILLE DE VAUDREUIL-DORION

            mise en cause

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR UN POURVOI EN CONTRÔLE JUDICIAIRE

______________________________________________________________________

 

[1]     3077004 Canada Inc. (la demanderesse), par l’exercice d’un pourvoi en contrôle judiciaire, demande à la Cour supérieure d’user de son pouvoir de contrôle et de surveillance en sa faveur afin d’intervenir et casser la décision du tribunal administratif du Québec (TAQ), section du territoire et de l’environnement, telle que rendue le 10 août 2016.

[2]   L’objet du recours en contrôle judiciaire tire son origine d’une ordonnance ministérielle (no 635) rendue le 26 septembre 2016 par le Ministre du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (le Ministre).

[3]   L’ordonnance fut prononcée en vertu de l’article 115.2 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE)[1].  Elle vise à faire cesser une activité de pompage des eaux d’un lac et la mise en place d’une digue dans son exutoire.  Il s’agit de travaux qui étaient exécutés sur la propriété de la demanderesse notamment sur le lot 3969100 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Vaudreuil, faisant partie intégrante du  territoire de la ville de Vaudreuil-Dorion (la Ville).

[4]   D’après le Ministre, les travaux de pompage contreviennent à la LQE, en raison du fait qu’aucun certificat d’autorisation préalable n’a été accordé conformément aux exigences de l’article 22 LQE.  Le Ministre a jugé la situation urgente, c’est pourquoi l’ordonnance a été émise sans avis préalable comme prévu aux articles 5 de la Loi sur la justice administrative[2] (LJA) et 118.1.1 de la LQE.  Selon le Ministre, les travaux entrepris par la demanderesse portaient une atteinte sérieuse à l’environnement.

[5]   La demanderesse se présente comme la propriétaire du lot 3969100 situé à Vaudreuil-Dorion.  Elle y projette un développement résidentiel.

[6]   On trouve sur ce lot une carrière désaffectée depuis les années 1960.  La majeure partie de cette carrière est remplie d’eau depuis son abandon.  La nature y a repris ses droits comme en fait foi une photographie du site en litige.[3]

[7]   La demanderesse entendait donc pomper l’eau et combler la carrière pour donner cours à son projet.

[8]   Le 19 juillet 2013, la Ville a octroyé à la demanderesse un certificat d’autorisation municipale (C.A. 2013-21897) lui permettant de remblayer une partie du lot 3969100, selon la demande formulée le 21 mai 2013.

[9]   La demanderesse a débuté ses opérations de pompage peu après.

[10]        Le 27 septembre 2013, le Ministre a signifié son ordonnance no 635 à la demanderesse, lui ordonnant de cesser toutes les activités qui étaient en contravention avec la LQE et d’enlever tous les ouvrages réalisés, ceux qui, à ses yeux, entravaient la libre circulation du poisson.

[11]        La demanderesse a cessé ses travaux; toutefois, insatisfaite, elle a contesté l’ordonnance du Ministre devant le TAQ en prenant appui sur l’article 96 LQE qui permet à la personne concernée de contester l’ordonnance du Ministre devant le TAQ.

[12]        L’audience devant le TAQ, section du territoire et de l’environnement, s’est échelonnée sur six jours, l’administration de la preuve fut répartie entre le 9 et le 13 mai 2016 et les plaidoiries soumises le 26 mai 2016.

[13]        Sept experts ont été entendus par le TAQ.  Plusieurs domaines spécialisés ont été abordés, notamment l’ingénierie civile, la biologie et l’écologie urbaine.  La demanderesse a produit 24 pièces, la Procureure générale du Québec 36 et la Ville 28, pour un total de 88 pièces incluant les expertises.

[14]        Devant la Cour supérieure, la demanderesse ne soumet que six de ces pièces, dont aucun des rapports d’expert déposés devant le TAQ.  Aucune transcription des audiences n’est produite.

[15]        Devant le TAQ, les questions en litige ont été identifiées de la façon suivante :

[38]  1.  L’activité de pompage des eaux du lac et la réalisation d’une digue          dans son exutoire contreviennent-elles à la LQE ?

          2.  Le pouvoir d’ordonnance du Ministre, prévu à l’article 115.2 est-il        applicable en l’espèce ?

          3.    Le Ministre a-t-il respecté les principes de l’équité procédurale ?

[16]        C’est la décision du TAQ, portant sur la première question en litige qui fait l’objet de la demande de pourvoi en contrôle judiciaire.

[17]        Le litige porte principalement sur les sujets suivants :

17.1   Le plan d’eau en cause est-il un lac ou une carrière ?

17.2   L’exutoire du plan d’eau de la carrière est-il un cours d’eau ou un fossé ?

17.3 Le certificat d’autorisation 2013-21897 délivré par la Ville à la demanderesse l’exempte-t-elle de l’obligation d’obtenir un certificat d’autorisation en vertu de l’article 22 de la LQE ?

[18]        En réponse à la première question (17.1), le TAQ conclut que le plan d’eau en litige comporte les attributs d’un lac aux fins d’application de la LQE.

[19]        À la seconde question (17.2), le TAQ retient de la preuve que la portion sinueuse du lit d’écoulement d’eau (208 mètres) est d’origine naturelle (par. 189) mais que la portion rectiligne serait d’origine anthropique.  De l’ensemble de la preuve sur le sujet, le TAQ considère qu’il ne s’agit pas d’un fossé de drainage, mais plutôt d’une partie d’un ensemble hydrique créant un lien entre le lac de la carrière et le lac des Deux-Montagnes (par. 201 et 202).  Par conséquent, le TAQ y voit un cours d’eau assujetti à la LQE.

[20]        En ce qui a trait à la troisième question (17.3) le TAQ conclut que le certificat d’autorisation 2013-21897 constitue une autorisation spécifique de la Ville.  Toutefois le TAQ en déduit que l’autorisation consentie n’est pas génératrice d’une exemption au sens du règlement d’application (par.1 al. 3)[4] et conséquemment que le projet de remblayage du lac requiert l’émission d’un certificat d’autorisation du Ministre en accord avec l’article 22 LQE.

[21]        Il est utile de noter que la Ville a révoqué son certificat d’autorisation C.A. 2013-21897 le 8 mai 2014 et du même coup refusé la demande de permis de lotissement 2013-30015 soumise le 27 mai 2013.  Devant cette révocation et le refus du permis de lotissement, le 20 octobre 2014 la demanderesse a intenté, devant la Cour supérieure, un recours en dommages et pour jugement déclaratoire.  Cependant, le 20 octobre 2014, madame la juge Carole Julien a judicieusement suspendu le déroulement de cette instance jusqu’à la décision finale du TAQ.

LE CONTEXTE PARTICULIER

[22]        Il serait sans doute suffisant de s’en remettre au sommaire des faits qui précède avant de passer à l’étape suivante, soit l’analyse relative à la norme de contrôle, puis à l’analyse de la rationalité de la décision du TAQ aux fins de révision judiciaire.  Mais avant cela, il importe de souligner que certains faits interpellent le Tribunal.  Comme l’exercice de révision judiciaire n’est pas un exercice désincarné, il est opportun d’examiner le comportement de la partie qui recherche une intervention de nature discrétionnaire de la Cour supérieure.

[23]         La bonne foi s’avère de mise.  La théorie des «mains propres» s’applique.  Un comportement de mauvaise foi peut constituer à lui seul une fin de non-recevoir.[5]

[24]        C’est dans cette perspective que le Tribunal tient à mettre l’emphase sur certains éléments de la trame factuelle qui tendent à démontrer un comportement répréhensible de la demanderesse, lequel serait de nature à lui faire perdre son droit au remède recherché.  Le Tribunal est d’avis que la demanderesse était de mauvaise foi lorsqu’elle a entrepris les travaux de pompage et en persistant à y procéder malgré l’avis clair du ministère de l’Environnement et de la Ville à l’effet que les travaux de remblayage et de pompage étaient assujettis à l’article 22 LQE et surtout qu’un certificat du Ministre était nécessaire.

[25]        La lecture des paragraphes 9 à 26 inclusivement de la décision du TAQ ne laisse place à aucune interprétation en ce qui a trait au comportement irrévérencieux de la demanderesse et de ses représentants.  Voyons de quoi il en retourne :

[9]      C’est au cours de l’année 1996 que 3077004 devient propriétaire du site dont Susan Raymer est la présidente. M. Benjamin Wygodny, un promoteur immobilier, président de Les Castels de Vaudreuil inc., est son conjoint. C’est lui qui gère le projet de développement sur le site.

[10]           En 2000, Les Castels de Vaudreuil inc. confie à une firme d’experts-conseils le mandat de réaliser l’évaluation environnementale du projet de développement domiciliaire « Les Floralies du lac » (Évaluation environnementale de 2000)[10]. On prévoit toujours conserver le lac de la carrière, désigné cette fois comme le « lac Chéri ».

[11]           Quelques années plus tard, soit le 23 octobre 2008, M. Wygodny demande à la Ville l’autorisation de remblayer le lac de la carrière en prétendant que les travaux ne nécessitent pas d’autorisation du Ministère. Il indique que ces travaux sont nécessaires pour assurer adéquatement la sécurité du site, étant donné sa vaste étendue.

[12]           De 2008 à 2012, plusieurs échanges ont lieu, car la Ville souhaite conserver le tracé de rues approuvé dans lequel le lac de la carrière est conservé. Elle est aussi d’avis que les travaux sont assujettis à l’article 22 LQE.

[13]           Dans ce contexte, le 11 octobre 2012, mandaté par 3077004, Bernard Lefebvre, ingénieur chez Consultants en développement et gestion urbaine (CDGU) inc., demande un avis au Ministère concernant le projet de remblayage du lac de la carrière.

[14]           Le 26 novembre 2012, Isabelle Piché, biologiste et analyste à la Direction de l’analyse et de l’expertise de l’Estrie et de la Montérégie du Ministère, précise à 3077004, à l’attention de M. Wygodny, que ces travaux de remblayage du lac de la carrière sont assujettis à l’article 22 LQE et, par conséquent, nécessitent un certificat d’autorisation. Elle conclut que le remblayage d’un lac serait inacceptable du point de vue environnemental.

[15]           Le 21 mai 2013, M. Wygodny demande à nouveau à la Ville l’autorisation de remblayer l’ensemble du lac de la carrière dans le cadre du projet connu sous le nom de « Les Castels de Vaudreuil ».

[16]           Puisque la Ville est toujours d’avis que les travaux sont assujettis à l’article 22 LQE, des échanges ont lieu, notamment avec les procureurs de 3077004. Bien que la Ville refuse la demande le 20 juin 2013, elle délivre finalement le CA 2013-21897 pour le remblayage du lot 3 969 100 avec le commentaire suivant :

« Pour votre information, un certificat d’autorisation en vertu de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement sera exigé par le Ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs du gouvernement du Québec (MDDEFP) et par le Ministère Pêche et Océans en vertu de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune serait requis préalablement au projet de remblayage du lac. »

[17]           Quelques jours avant, le 16 juillet 2013, à la suite d’une plainte, l’inspectrice Suzanne Fisette du Centre de contrôle environnemental (CCEQ) de l’Estrie et de la Montérégie du Ministère visite les lieux et constate qu’il n’y a aucun remplissage dans le lac, mais qu’un barrage de castors a été détruit près de la décharge du lac.

[18]           Le 22 août 2013, à la suite d’une autre plainte, l’inspectrice Fisette constate que des travaux de remblai ont été effectués dans la bande riveraine du lac de la carrière et qu’un avis de suspension du CA 2013-21897 a été émis par la Ville le 21 août 2013.

[19]           Le 11 septembre 2013, la biologiste Piché effectue une inspection des lieux en compagnie d’une représentante du secteur faune du Ministère. Ses observations lui permettent de conclure que le lac de la carrière est un lac au sens de la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables (Politique).

[20]           Ayant été avisée la veille par la Ville que des travaux sont en cours, l’inspectrice Fisette effectue une inspection le 13 septembre 2013. Elle constate que des travaux de vidange du lac sont en cours à l’aide de deux pompes qui rejettent l’eau dans la décharge du lac de l’autre côté d’un amas de roches recouvert d’une membrane géotextile et que le niveau d’eau du lac a baissé d’environ 3 pouces. Cependant, elle note que les travaux ont été arrêtés par deux inspecteurs de la Ville qui se sont présentés sur les lieux avec un ordre d’arrêter les travaux émis par la Ville le jour même.

[21]           Le 23 septembre 2013, à la suite d’une autre plainte et ayant aussi été informé par la Ville que les travaux de pompage ont été repris, l’inspecteur Stéphane De Garie du CCEQ constate sur les lieux qu’une pompe vide les eaux du lac.

[22]           Le même jour, Me Jean St-Antoine, le greffier de la Ville, transmet à Patrice Bourque, chef d’équipe du secteur hydrique au CCEQ du Ministère, le plan préparé par l’arpenteur-géomètre de 3077004, Louis Boudreault, du 6 mars 2013[12].

[23]           Le 24 septembre 2013, l’inspectrice Fisette constate que la pompe vide toujours le lac, que le niveau d’eau a baissé d’environ 1 pied depuis le 13 septembre 2013 et que le marécage dans lequel les eaux sont pompées est inondé d’environ 9 pouces.

[24]           Le même jour, le Ministère transmet à 3077004 un avis de non-conformité pour avoir exécuté une activité de pompage des eaux du lac sans obtenir préalablement le certificat d’autorisation requis en vertu de l’article 22 LQE.

[25]           Le 25 septembre 2013, l’inspectrice Fisette effectue une autre inspection des lieux et constate que la pompe est toujours en fonction, que le niveau d’eau a baissé d’environ 3 à 4 pouces depuis la veille et que le marécage dans lequel les eaux sont pompées est inondé d’environ 5 pouces.

[26]           Le 26 septembre 2013, le Ministre émet l’ordonnance n635.

                                                                                                      (Notre emphase)

[26]        Comment expliquer qu’après avoir demandé (par. 13) et obtenu (par.14) un avis du MDDEFP[6] énonçant clairement que les travaux de remblayage du lac étaient assujettis à l’article 22 LQE; qu’après avoir obtenu la délivrance d’un certificat d’autorisation de la Ville (P-5), lequel précise qu’un certificat d’autorisation du Ministre était nécessaire avant de débuter le projet de remblayage du lac; qu’après avoir reçu un avis de suspension du C.A. 2013-21897 en date du 21 août 2013, que malgré tout cela, le 13 septembre 2013, l’inspectrice municipale a pu constater que les travaux de vidange du lac persistaient (par. 20)?

[27]        Comment expliquer qu’en dépit d’un ordre d’arrêter les travaux émis le 13 septembre 2013, le 23 septembre 2013 une nouvelle inspection permet encore une fois de constater que les travaux de pompage du lac ont été repris (par. 21) et se poursuivent le 24 septembre 2013 (par. 23)?

[28]        Comment expliquer que le 25 septembre 2013, après avoir reçu un avis de non-conformité de la part du Ministre en date du 24 septembre 2013, une autre inspection révèle que l’opération de pompage est toujours en marche (part. 25)?

[29]        Est-ce là un comportement de bonne foi?  Certainement pas!  Aujourd’hui la demanderesse est malvenue de s’adresser à la cour pour solliciter un redressement discrétionnaire favorable.  Le Tribunal est d’avis que la «théorie des mains propres» s’applique aux faits de l’instance.  3077004 Canada Inc. ne s’est pas comporté en bon citoyen corporatif respectueux de l’environnement et des lois de la province, elle a conséquemment perdu son droit au remède recherché.

[30]        L’exercice de la révision judiciaire est d’abord et avant tout un examen de légalité, mais il ne doit pas s’exercer de manière désincarnée.  Les faits énoncés aux paragraphes 9 à 26 de la décision du TAQ ne sauraient être ignorés de sorte que la décision judiciaire puisse être rendue dans un vacuum juridique.  L’analyse demeure contextuelle.  Ici, la fin de non-recevoir trouve application.[7]

[31]        Malgré ce qui précède, le Tribunal procédera à la révision judiciaire requise.  À cette fin, il convient d’établir la norme de contrôle applicable.

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[32]        La demanderesse propose que la norme de contrôle applicable à la décision du TAQ soit celle de la décision correcte.  Pour soutenir sa thèse, le procureur en demande s’appuie essentiellement sur l’arrêt Forces Motrices Batiscan[8] rendu par la Cour d’appel du Québec en 2003.

[33]        D’abord, il faut rappeler que l’arrêt Batiscan (C.A.) fut prononcé en 2003, soit bien avant que ne soit rendu l’arrêt Dunsmuir (2008).[9]  Malgré cela, le juge Dalphond, sûrement visionnaire, après avoir procédé à l’analyse pragmatique et fonctionnelle et examiné la nature de la question en litige, élabore la conclusion suivante :

[49]  Les trois facteurs décrits plus haut m'amènent à conclure que la Cour supérieure agissant comme tribunal de révision judiciaire ne peut s'écarter de la norme de la décision manifestement déraisonnable à l'égard des décisions du TAQ rendues sur des questions où il jouit d'une expertise ou encore où il exerce l'essence du mandat que le législateur voulait lui confier (par exemple, la détermination des faits et l'application à ceux-ci de la loi constitutive du décideur ou d'une autre loi relevant de sa compétence exclusive). Cependant, lorsqu'il doit trancher des questions d'une autre nature, telles celles relatives à des droits fondamentaux ou étrangères à son expertise, le TAQ peut être tenu de trancher correctement. Une réponse incorrecte, si elle s'inscrit dans une décision comportant plusieurs autres aspects, peut alors suffire à entraîner un résultat que l'on qualifiera de décision manifestement déraisonnable (Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157 , par. 48 et 49; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), précitée, par. 156; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 , par. 14 et 69). Par ailleurs, si elle constitue l'essentiel de la décision, une réponse incorrecte entraînera la cassation de cette décision.

                                                                                                      (Notre emphase)

[34]        Le juge Dalphond conclut de son analyse que la réponse que donne le TAQ    (no 2) à la question relative à la compétence du Ministre par rapport à celle du gouvernement, quant à l’émission des certificats d’autorisation, doit être correcte.

[35]        L’exercice consistait donc à interpréter les dispositions législatives et réglementaires de la LQE afin de déterminer qui, du Ministre ou du gouvernement, avait la compétence pour émettre des certificats d’autorisation.  La question en était une de véritable compétence qui requérait une réponse correcte.  Cette conclusion du juge Dalphond s’avère aujourd’hui conforme aux enseignements de l’arrêt Dunsmuir (par. 47 à 55).

[36]        Il n’en demeure pas moins que l’analyse pragmatique et fonctionnelle, dorénavant l’analyse sur la norme de contrôle applicable, faite alors par le juge Dalphond conduit au résultat suivant : On ne peut écarter la norme de la décision raisonnable à l’égard des décisions du TAQ rendues sur des questions où il jouit d’une expertise ou encore où il exerce l’essence du mandat que le législateur voulait lui confier, par exemple la détermination des faits et l’application à ceux-ci de la loi constitutive du décideur ou une loi intrinsèquement liée à sa compétence exclusive.

[37]        On peut dire actuellement que la question à trancher dans Batiscan en était une touchant véritablement la compétence au sens de l’arrêt Dunsmuir (par. 50 et 55).  Dans Batiscan la Cour d’appel devait trancher une question portant sur la délimitation de la compétence du Ministre par rapport à celle du gouvernement, la norme de contrôle de la décision correcte s’imposait.[10]

[38]        Désormais, il faut présumer que la norme de la décision raisonnable s’applique si les éléments suivants sont réunis :

38.1    Une clause privative :  elle traduit la volonté du législateur de faire preuve      de déférence envers la décision attaquée.  Le TAQ bénéficie d’une telle clause privative à l’article 158 de la Loi sur la justice administrative.  Le premier facteur milite donc en faveur de l’application de la norme de la décision raisonnable.

38.2       Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale.  Le TAQ, section du territoire et de l’environnement, possède définitivement une spécialité à deux niveaux, soit celle de disposer d’un recours entre un administré et l’administration (art.1 LJA) et aussi en matière d’environnement, notamment dans l’application de la LQE et toute loi intrinsèquement liée à l’environnement.  Le second facteur milite aussi en faveur de l’application de la norme de la raisonnabilité.

38.3       La nature de la question de droit.  Toute question qui revêt une importance capitale pour le système juridique et qui est étrangère au domaine d’expertise du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (référence omise).  Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.  Il importe donc d’identifier les questions auxquelles était confronté le TAQ dans notre instance.

[39]        Les questions en litige devant le TAQ peuvent être formulées de la façon suivante :

39.1    La preuve et le droit de l’environnement applicable permettaient-ils de conclure que le plan d’eau en litige est un lac au sens de la LQE ?

39.2    La preuve et le droit de l’environnement applicable permettaient-ils de conclure que l’exutoire du plan d’eau en litige est un cours d’eau au sens de la LQE ?

39.3    L’exemption réglementaire de l’article 1(3) du Règlement d’application de la LQE trouve-t-elle application en l’espèce ?

[40]        De l’avis du Tribunal, il ne fait aucun doute que le TAQ a compétence exclusive pour décider des questions en litige (art. 15 LJA).

[41]        Les deux premières questions sont de toute évidence des questions mixtes de fait et de droit qui sont au cœur même de la compétence du TAQ.

[42]        La demanderesse soutient que pour trancher la troisième question (39.3) le TAQ devait interpréter un règlement municipal dont origine l’autorisation spécifique qui lui fut accordée par la Ville en application de son règlement de zonage.  Ce faisant, le TAQ aurait décidé d’une question étrangère à son domaine d’expertise et partant, la norme de la décision correcte s’appliquerait à cette question.

[43]        La demanderesse a tort.  D’abord, pour écarter la présomption d’application de la norme de la raisonnabilité, il faut deux conditions spécifiques.  Premièrement, il doit s’agir d’une question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique et deuxièmement, cette question de droit doit être étrangère à son domaine d’expertise.

[44]        Le Tribunal est d’avis que la troisième question (39.3) que devait trancher le TAQ ne satisfait à aucune des conditions requises à l’application de la norme de la décision correcte.  La position en droit de la demanderesse s’étiole davantage à l’examen de la nature de la question en litige.

[45]        C’est un euphémisme de dire que la question relative aux projets soustraits à l’application de l’article 22 LQE ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique au regard des faits pertinents et du droit applicable au cas d’espèce.

[46]        Puis, décider si l’exemption réglementaire (art. 1(3) du Règlement d’application de la LQE) s’applique aux faits de l’instance, même si elle comprend l’examen d’un règlement de zonage municipal, constitue une question qui n’est pas étrangère au domaine d’expertise du TAQ.  En fait, il s’agit plutôt d’une question étroitement liée à son mandat.

[47]        L’examen de la portée d’un règlement municipal est intrinsèque à l’exercice de la compétence du TAQ.  Décider si le projet soumis s’avère ou non soustrait à l’application de l’article 22 LQE consiste en un exercice dont le TAQ a une connaissance approfondie.  La déférence est de mise.

[48]        Il ne fait aucun doute que le TAQ détient une compétence exclusive pour entendre et trancher le recours de la demanderesse en annulation de l’ordonnance émise par le Ministre.  La juxtaposition des articles 96 LQE et 14 LJA en fait la démonstration.[11]

[49]        Le TAQ, dans l’exercice de sa compétence exclusive, détient le pouvoir de trancher toute question de droit ou de fait liée à l’exercice de sa compétence (art. 15 LJA).

[50]        Le troisième facteur milite définitivement à l’application de la norme déférente de la décision raisonnable.

[51]        La décision du TAQ doit donc posséder les attributs de la raisonnabilité tels qu’ils ont été définis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir (par. 47).  La décision doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[52]        Les questions en litige devant la Cour supérieure peuvent être identifiées comme suit :

A.    Le TAQ a-t-il rendu une décision raisonnable en définissant le terme lac et en concluant de la preuve que le plan d’eau en litige est un lac au sens de la LQE ?

B.    Le TAQ a-t-il rendu une décision raisonnable en concluant de la preuve que l’exutoire du plan d’eau en litige est un cours d’eau au sens de la LQE ?

C.   Le TAQ a-t-il rendu une décision raisonnable en concluant que l’exemption réglementaire de l’article 1(3) du Règlement d’application de la LQE ne trouvait pas application en l’espèce ?

ANALYSE ET RÉPONSE AUX QUESTIONS

A.   Le TAQ a-t-il rendu une décision raisonnable en définissant le terme lac et en concluant de la preuve que le plan d’eau en litige est un lac au sens de la LQE ?

[53]        Le TAQ devait déterminer si le plan d’eau de l’ancienne carrière était devenu un lac au sens de la LQE.

[54]        Avec justesse, le TAQ précise en toile de fond que la LQE est une loi d’ordre public et qu’il y a lieu de privilégier toute interprétation favorisant le plein épanouissement du droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et sa sauvegarde (par. 34).

[55]        La LQE ne définit pas le terme «lac».  Le TAQ en a recherché le sens commun et contextuel.  Avant de circonscrire le terme «lac», le TAQ a analysé la preuve soumise par la demanderesse, dont le témoignage de l’ingénieur civil Bernard Lefebvre, spécialisé en infrastructures urbaines.

[56]        Le TAQ a aussi entendu Frédéric Déom, ingénieur civil spécialisé en environnement, et Pascal Lapointe, biologiste spécialisé en écologie.  Le mandat que leur avait confié la demanderesse consistait à évaluer le lit d’écoulement et d’expliquer en quoi il possédait les caractéristiques d’un cours d’eau ou d’un fossé.

[57]        La preuve soumise par ces experts est analysée de façon méticuleuse et intelligible.  Le TAQ identifie clairement la conclusion de ces experts.  Selon eux, deux éléments principaux distinguent ce plan d’eau anthropique d’un plan d’eau naturel : 

[57.1]    L’absence d’un lien permanent du plan d’eau de la carrière avec une autre source hydrique.

[57.2]  Les fortes pentes de la bordure de même que l’absence de végétation aquatique qui font figure de situations atypiques d’un lac et témoignent de l’état anthropique de ce milieu.

[58]        Le TAQ  comprend bien ces phénomènes et les évalue en toute objectivité.

[59]        Le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve pouvant indiquer une appréciation erronée du TAQ en lien avec la preuve soumise par la demanderesse.  Au contraire, le Tribunal est d’avis que le TAQ a clairement identifié les enjeux découlant de la preuve offerte par les experts de la demande.

[60]        Puis à l’étape suivante, le TAQ fait état de la preuve soumise par la procureure générale du Québec.  Le TAQ entend d’abord Isabelle Piché, biologiste spécialisée en écologie.  Cette experte conclut que le plan d’eau en litige est bel et bien un «lac» au sens de la LQE.

[61]        Selon l’experte Piché, nous sommes en présence d’un phénomène de naturalisation d’un lac de carrière.  D’après celle-ci, il y a lieu de considérer le plan d’eau litigieux comme un lac au sens de la politique du ministère de l’Environnement, puisqu’il est en lien avec le lac des Deux-Montagnes et constitue un habitat du poisson.

[62]        Le Tribunal ne décèle aucune confusion dans le résumé que fait le TAQ de la preuve soumise par la procureure générale.

[63]        En second lieu, Émilie Chalifour témoigne en qualité d’expert biologiste spécialisée en écologie.  Cette experte soumet que la proximité de la baie de l’île Cadieux favorise un échange des espèces fauniques avec le lac de la carrière.

[64]        La preuve soumise est bien décrite par le TAQ.  Les arguments sont circonscrits de façon transparente.

[65]        Allant de l’avant, le TAQ entend les experts retenus par la Ville, en l’occurrence Grégory Bourguelat, biologiste spécialisé en écologie, et Gaëlle Damestoy, experte en écologie urbaine.  Tous deux attribuent une valeur écologique élevée au plan d’eau en litige.

[66]        D’après eux, bien que le lac soit d’origine anthropique, il constitue désormais un écosystème à part entière.  Ils sont d’avis que nous ne sommes pas en présence d’une simple carrière ou d’un quelconque trou d’eau.  Ils ajoutent que là où l’humain voit des limites, la nature y voit un habitat.

[67]        Le Tribunal ne détecte aucune faille dans le résumé de la preuve et aucun facteur déterminant ne permet de remettre en question l’appréciation qui en est faite.

[68]        À l’étape subséquente, le TAQ analyse la preuve et soupèse la valeur des différents points de vue avancés par les experts.  Mais avant, comme prémisse, le TAQ comme il se doit, réfère au guide d’interprétation du Règlement relatif à l’application de la LQE et au sens courant du terme «lac» tel qu’il est défini par les dictionnaires.

[69]        Puis le TAQ réfère à la définition du terme «eau» prévue à l’article 1 LQE et enchaîne avec la qualification que suggère la professeure Paule Halley du terme «environnement» qui englobe, selon celle-ci, les milieux naturels et artificiels, ces derniers étant le produit de l’activité humaine et non celui de la nature.

[70]        Le Tribunal ne perçoit aucune analyse irrationnelle à cet exercice d’interprétation qui s’avère conforme à l’exercice de recherche de l’objet de la loi sanctionnée par la Loi sur l’interprétation et l’arrêt Bell Express Vu[12].

[71]        De cet exercice analytique, le TAQ tire la conclusion que le terme «lac» peut être défini de la façon suivante :

Par. 115   «Une étendue d’eau, douce ou salée, plus ou moins profonde, plus ou moins étendue, contenue dans un milieu naturel ou artificiel à l’intérieur des terres, avec laquelle les espèces vivantes entretiennent des relations dynamiques.»

[72]        Une autre formation du TAQ ou la Cour supérieure aurait pu sélectionner une définition différente, mais l’exercice de révision judiciaire en application de la norme de contrôle de la décision raisonnable ne permet pas de privilégier une issue par rapport à une autre, mais bien de déterminer si l’issue choisie appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit.  Le Tribunal est d’avis que la LQE est une loi d’ordre public qui commande une interprétation généreuse afin de permettre la réalisation de ses larges objectifs d’intérêt public.

[73]        La définition retenue par le TAQ fait sûrement partie des issues possibles acceptables au regard du droit et s’harmonise avec les objets de la loi (LQE).

[74]        À l’étape suivante, le TAQ examine la preuve soumise de part et d’autre pour vérifier si les composantes physiques en place correspondent à sa définition du terme «lac» et sont compatibles avec la modélisation hydrologique retenue.

[75]        Le TAQ examine, dans l’ordre, la composante physique relative au substrat et bordures, celle relative au lien hydrologique, pour passer finalement aux composantes floristique et faunique.

[76]        Dans chaque cas, le TAQ s’adonne à une appréciation rigoureuse de la preuve et fait des choix entre les divers postulats suggérés par les experts.

[77]        Le TAQ ne retient pas l’avis des experts Déom et Lapointe, ni celui de l’expert Piché, puisqu’à son avis, ils ne sont pas probants.  Le TAQ s’explique (par. 134 à 137) et chacune des explications est intelligible et transparente.

[78]        La conclusion du TAQ est claire et limpide :

Par. 144   «Le Tribunal constate donc qu’on est en présence d’un plan d’eau avec un substrat et une bordure diversifiés, un apport d’eau provenant des précipitations, des eaux de ruissellement et d’eau souterraine ainsi qu’un lien hydrologique favorisant les échanges entre les milieux terrestre et aquatique.»

[79]        Non seulement cette conclusion fait partie des issues possibles acceptables, mais le Tribunal considère qu’il s’agit de la conclusion la plus judicieuse en regard des faits prouvés et du droit applicable.

[80]        Pour s’en convaincre, qu’il suffise d’examiner la photographie (P-27/V-2) déposée en annexe «A».  On y voit sans équivoque un lac.

[81]        Le TAQ a eu l’opportunité et le bénéfice d’entendre la preuve, d’étudier les rapports des experts, de soupeser la valeur probante du témoignage des experts et des arguments de part et d’autre.  Il n’appartient pas au Tribunal de révision judiciaire de réévaluer tout cela, surtout en absence des transcriptions de la preuve ou l’identification d’un dérapage particularisé dans l’évaluation de cette preuve.  Pour l’heure, l’exercice en est un d’examen de la légalité du processus et, de toute évidence, le TAQ a procédé à un exercice cohérent et pondéré.  Chacune des questions en litige était au cœur de sa compétence et de sa spécialisation.

[82]        L’interprétation retenue par le TAQ du terme «lac» s’harmonise parfaitement avec l’esprit et la finalité de la LQE, de même qu’elle s’avère respectueuse de l’intention du législateur.

[83]        Le Tribunal est d’avis que le Ministre a eu raison de considérer cette ancienne carrière comme étant désormais un écosystème riche arborant une grande diversité d’habitats et offrant refuge à de nombreuses espèces fauniques et floristiques (par. 171).  La LQE s’applique à cet état de fait.

[84]        Force est de conclure que le TAQ a rendu une décision raisonnable en définissant le terme «lac» et en concluant que le plan d’eau litigieux est un lac au sens de la LQE.

      B.   Le TAQ a-t-il rendu une décision raisonnable en concluant de la preuve que l’exutoire du plan d’eau en litige est un cours d’eau au sens de la LQE ?

[85]        Traitant de l’exutoire du lac, encore une fois, le TAQ résume adéquatement la position de chacune des parties.  Selon la demanderesse, l’exutoire du plan d’eau n’est pas un cours d’eau, mais plutôt un fossé de drainage d’origine anthropique.

[86]        De son côté, la procureure générale, par ses experts, favorise la thèse de la présence d’un lit d’écoulement naturel vers le lac des Deux-Montagnes via un marécage au sens de la définition qu’en donne la LQE.

[87]        Le TAQ, avec raison, rappelle que l’article 22 al. 2 LQE vise tant les cours d’eau à débit régulier que ceux à débit intermittent.

[88]        Le TAQ s’en remet à l’exposé des experts Déom et Lapointe qui réfèrent aux définitions de la Politique et Guide du Ministère.[13]  Le Guide contient une définition de «fossé de drainage»  tirée de la Loi sur les compétences municipales.[14]

[89]        Dans les deux cas, on parle d’un fossé qui n’existe qu’en raison d’une intervention humaine.

[90]        Puis, examinant la preuve, le TAQ conclut :

 

Par. 189    «La preuve d’experts soumise est probante à l’effet que la portion sinueuse du lit d’écoulement est d’origine naturelle et à débit intermittent.  Cette portion est donc un cours d’eau au sens de la LQE.» (référence omise).

[91]        Avec rigueur, le TAQ reconnaît que la portion rectiligne de l’exutoire (30 mètres) s’avère d’origine anthropique.

[92]        Poussant plus loin l’analyse, le TAQ réfère à une décision de la Cour supérieure, rendue dans la cause Haute-Yamaska (Municipalité de) c. Camping Granby Inc., 2013 QCCS 3023[15].  À cette occasion, la Cour supérieure a qualifié ce qu’était un «fossé de drainage» en fonction des circonstances particulières à cette instance.

[93]        Le TAQ distingue les faits qui gouvernent notre instance par rapport à ceux dont était saisie la Cour supérieure dans l’affaire du Camping Granby Inc.

[94]        Le Tribunal considère que le TAQ a raison d’en arriver à la distinction suivante :

Par. 199     «Le présent dossier se distingue de cette affaire du fait que le lac est approvisionné non seulement par les précipitations et les eaux de ruissellement, mais aussi par l’eau souterraine, qu’un lien hydrologique favorise les échanges avec le lac des Deux-Montagnes, que le tronçon rectiligne d’environ 30 mètres se prolonge dans un cours d’eau sur un parcours total d’environ 208 mètres et que ce cours d’eau passe au travers d’un marécage affecté par la plaine inondable du lac des Deux-Montagnes.»

[95]        Quand vient le temps de circonscrire le degré de retenue applicable devant une question mixte de droit et de fait, les propos tenus par madame la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Mossop[16] sont toujours d’actualité.  Ils ont d’ailleurs été repris par monsieur le juge Bastarache dans l’arrêt Pushpanathan[17];  ils se lisent comme suit :

«Les organismes spécialisés sont souvent appelés à se prononcer sur des questions de fait et de droit difficiles.  Il arrive que les deux soient inextricablement liées.  En outre, l’interprétation «juste» d’un terme peut dépendre du mandat de l’organisme et de la jurisprudence homogène qu’il a élaborée.  Dans certains cas, même si une cour de justice n’est pas d’accord avec une interprétation donnée, l’intégrité de certains mécanismes administratifs pourrait bien exiger qu’elle fasse preuve de retenue relativement à cette interprétation du droit.»

                                                                                                      (Notre emphase)

[96]        Dans l’arrêt Domtar[18], la juge L’Heureux-Dubé ajoutait qu’il faut laisser au tribunal administratif la responsabilité de régler ses propres conflits de jurisprudence ou d’interprétation.  La déférence s’impose.

[97]        S’en remettant à une décision récente du TAQ[19], les décideurs administratifs en arrivent à la conclusion que l’exutoire du lac de la carrière, soit le tronçon rectiligne d’environ 30 mètres, bien que d’origine anthropique, s’avère un cours d’eau au sens de la LQE.

[98]        Le Tribunal n’y voit aucune démarche irrationnelle.  La portion sinueuse (208 mètres) du lit d’écoulement est clairement d’origine naturelle.  Il n’est pas déraisonnable de considérer que la portion rectiligne, d’origine anthropique, fait dorénavant partie du cours d’eau au sens de la LQE.

[99]        Le TAQ a raison de considérer qu’il s’agit désormais d’un ensemble permettant un lien hydrique entre le lac de la carrière et le lac des Deux-Montagnes.  Le résultat choisi s’appuie raisonnablement sur la preuve et ne laisse paraître aucune erreur d’appréciation.

[100]     Le Tribunal est d’avis que la qualification retenue par le TAQ fait non seulement partie des issues possibles acceptables en regard du droit et de la preuve, mais qu’elle est correcte.  L’exutoire du lac est un cours d’eau au sens de la LQE.

C.  Le TAQ a-t-il rendu une décision raisonnable en concluant que l’exemption réglementaire de l’article 1(3) du Règlement d’application de la LQE ne trouvait pas application en l’espèce?

[101]     D’abord, il importe d’examiner le certificat d’autorisation (C.A. 2013-2187) sur lequel s’appuie la demanderesse pour prétendre à l’exemption réglementaire prévue à l’article 1(3) du Règlement d’application de la LQE.

[102]     En premier lieu, le Tribunal observe que le demandeur de l’autorisation est identifié comme étant CDGU Inc. représentée par Bernard Lefebvre et non la demanderesse.

[103]     Au titre de la description des travaux, il n’est pas clair que le demandeur requière l’autorisation de remblayer le lac de la carrière.

[104]     Au poste des commentaires, la Ville pose une condition non équivoque :

Pour votre information, un certificat d’autorisation en vertu de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement sera exigé par le ministère du Développement Durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs du gouvernement du Québec (MDDEFP) et par le ministère Pêche et Océan en vertu de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune serait requis préalablement au projet de remblayage du lac.

[105]     À remarquer que le demandeur s’engage expressément à observer les conditions de délivrance du permis de même que l’ensemble des lois et règlements pouvant s’y rapporter.

[106]     De toute évidence, la demanderesse ou son représentant CDGU Inc. ne se sont pas conformés à ces engagements.

[107]     En dépit de tout cela, le TAQ juge que le C.A. 2013-2187 constitue une autorisation spécifique de la Ville au sens du Règlement d’application de la LQE (par. 222).

[108]     Le Tribunal ne partage pas cet avis.

[109]     De l’avis du Tribunal, le remblaiement complet d’un lac ne fait pas partie des travaux qui peuvent être autorisés par une municipalité au sens de la Politique de protection des rives[20].

[110]     En conséquence, le certificat d’autorisation émis par la Ville ne peut être considéré, en l’espèce, comme une autorisation spécifique permettant à la demanderesse de prétendre que son projet est soustrait à l’application de l’article 22 LQE.

[111]     Il en résulte que le projet de la demanderesse demeure assujetti à l’appréciation du Ministre de l’Environnement et à l’émission d’un certificat d’autorisation en application de l’article 22 LQE.  Ici, c’est la règle générale qui s’applique.

[112]     Le TAQ emprunte un autre chemin pour arriver à la même conclusion.

[113]     Le TAQ choisit d’examiner le projet faisant l’objet d’une autorisation spécifique en fonction de l’usage auquel sont destinés les travaux de remblayage du lac par rapport au Règlement de zonage 1275 de la Ville tel qu’en vigueur le 26 septembre 2013, date de la demande du certificat d’autorisation (C.A. 2013-2187).

[114]     Le cœur de la décision du TAQ sur cette question réside dans les passages suivants :

[248]  En fait, le seul usage possible est celui qui est permis pour du Communautaire (P) : Espaces publics P1, conformément au Règlement de zonage 1275.

[249]        Or, en vertu de l’article 1 (3) du Règlement d’application, les travaux, constructions ou ouvrages destinés à des fins publiques demeurent assujettis à l’article 22 LQE.

[250]        Notons que sur le relevé topographique réalisé par CDGU en 2013[82], il y a le terme « parc » noté à deux reprises sur la partie où est situé le lac [83].

[251]        En conclusion, le Tribunal considère que les travaux de remblayage du lac et la réalisation d’une digue dans le cours d’eau, le tout situé sur le lot 3 696 100, ne sont pas visés par l’exemption du Règlement d’application et que, par conséquent, ils sont assujettis à l’application de l’article 22 al. 2 LQE.

                                                                                                      (Notre emphase)

[115]     L’analyse du TAQ sur la question relative au zonage est transparente et intelligible bien que non nécessaire.  Le Tribunal n’y voit pas d’erreur déterminante.  Le Règlement de zonage 1275 prévoit effectivement que :  seule une habitation construite en bordure d’une rue existante le 25 octobre 2004 s’avère permise (P-4.1).  Or, aucune rue n’existait lors de l’émission de l’ordonnance ministérielle no 635.

[116]     L’exercice de révision judiciaire n’est pas celui d’un examen de tous les détails de la décision.  Il ne s’agit pas d’un «cherry picking» de l’une ou l’autre des failles du raisonnement s’il en est, mais plutôt un examen de l’ensemble de la décision et du résultat choisi.[21]  Il doit s’agir d’une issue possible acceptable au regard du droit et de la preuve.

[117]     Le Tribunal est d’avis que le TAQ arrive au bon résultat lorsqu’il décide que le projet de la demanderesse demeure assujetti à l’article 22 LQE (par. 249 et 251).

[118]     Le TAQ a raison de conclure que l’activité de pompage des eaux du lac et la réalisation d’une digue dans le cours d’eau, sans qu’aucun certificat d’autorisation préalable n’ait été émis en vertu de l’article 22 al. 2 LQE, contrevient à la LQE (par. 252).

[119]     Le TAQ a raisonnablement conclu que l’exemption réglementaire de l’article 1(3) du Règlement d’application de la LQE ne trouvait pas application au regard des faits particuliers de la présente instance.

[120]     Le TAQ a conclu raisonnablement en considérant que l’ordonnance no 635 du Ministre était justifiée.

[121]     De l’avis du Tribunal, le TAQ a rendu une décision bien motivée dont le syllogisme ou processus décisionnel est transparent et intelligible.  Il ne fait aucun doute que la décision du TAQ appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[122]     La question relative à l’équité procédurale n’a pas été soulevée ni plaidée devant la Cour supérieure.  Quoi qu’il en soit, le Tribunal considère que le Ministre a respecté les principes d’équité procédurale devant la contravention flagrante de la demanderesse aux prescriptions de la LQE et à ses engagements de bon citoyen corporatif respectueux de l’environnement.  De toute évidence, les travaux de pompage entrepris par la demanderesse constituaient une atteinte sérieuse à l’environnement.

[123]     Une seule conclusion s’impose, le pourvoi en contrôle judiciaire de la demanderesse doit être rejeté.

[124]     POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

[125]     REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire introduit par la demanderesse 3077004 Canada Inc.;

[126]     MAINTIENT la décision du Tribunal administratif du Québec, section du territoire et de l’environnement, rendue le 10 août 2016 dans le dossier : STE-M-217470-1310;

[127]     CONFIRME l’ordonnance no 635 rendue par le Ministre, le 26 septembre 2013;

[128]     AVEC LES FRAIS de justice.

 

 

 

__________________________________

JEAN-YVES LALONDE, J.C.S.

 

 

 

Me Robert Daigneault

 

Me Rémi Jolicoeur

 

Daigneault avocats inc.

Procureurs de la demanderesse

 

 

 

Me Nathalie Fiset

 

Ministère de la justice (DGAJLAJ)

 

Procureure de la Procureure générale du Québec

 

 

Me Jean-François Girard

Me Louis Béland

Dufresne Hébert Comeau inc.

Procureurs de la mise en cause

 

 

Dates d’audience:

7 et 8 décembre 2017

 

 

 

ANNEXE  B

 

Loi sur la qualité de l’environnement

 

Article 96

Toute ordonnance émise par le ministre, à l’exception de celles visées aux articles 29 et 32.5, au deuxième alinéa de l’article 34, aux articles 35, 49.1, 58, 61 et 120, peut être contestée par la municipalité ou la personne concernée devant le Tribunal administratif du Québec.

Il en est de même dans tous les cas où le ministre refuse d’accorder, suspend ou révoque un certificat d’autorisation, un certificat, une autorisation, une approbation, une permission, une attestation ou un permis, refuse de renouveler un permis, approuve avec modifications un plan de réhabilitation qui lui est soumis en vertu de la section IV.2.1, refuse une modification demandée en vertu de l’article 31.60, exige une modification à une demande qui lui est faite, fixe ou répartit des coûts ou des frais autres que ceux visés aux articles 32.5 ou 35, refuse d’accorder des droits d’émission visés à la sous-section 1 de la section VI, refuse leur utilisation à des fins de couverture d’émissions de gaz à effet de serre, suspend, reprend ou annule de tels droits ou impose toute autre sanction en vertu de cette sous-section, détermine une indemnité en vertu de l’article 61, notifie une dénégation de conformité à l’initiateur du projet, refuse de délivrer ou modifie, suspend ou révoque une attestation d’assainissement ou refuse de modifier ou de révoquer l’attestation d’assainissement à la demande de son titulaire.

Dans le cas où le ministre approuve des taux avec modification en vertu de l’article 32.9, l’exploitant peut contester cette décision devant le Tribunal.

Peut également être contestée devant le Tribunal, par la personne ou la municipalité concernée, toute condition, restriction ou interdiction fixée par le ministre en vertu des articles 31.79, 31.80 ou 31.81 lors de la délivrance, du renouvellement ou de la modification d’une autorisation de prélèvement d’eau.

Cependant, le Tribunal ne peut, lorsqu’il apprécie les faits ou le droit, substituer son appréciation de l’intérêt public à celle que le ministre en avait faite en vertu des articles 31.79 ou 31.81 pour prendre sa décision.

 

 

 

Loi sur la justice administrative

 

Article 14

Est institué le «Tribunal administratif du Québec».

Il a pour fonction, dans les cas prévus par la loi, de statuer sur les recours formés contre une autorité administrative ou une autorité décentralisée.

Sauf disposition contraire de la loi, il exerce sa compétence à l’exclusion de tout autre tribunal ou organisme juridictionnel.

 

 



[1]     RLRQ, chap. Q-2.

[2]     RLRQ., chap. J-3.

[3]     Une photographie est produite en annexe «A».

[4]     Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ c. Q-2, r.3.

[5]     Wong c. Le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration 2010 CF 569;  Voir aussi Homex Realty c.     Wyoming [1980] 2 R.C.S. 1011 et Canada (Procureur général) c. Telezone Inc. 2010 CSC 62 par. 56.

[6]      Ministère du Développement Durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs.

[7]   Ce principe de droit n’a pas été plaidé à l’instruction.  Cependant, avant de rendre jugement, Le        Tribunal a requis un argumentaire des parties sur le sujet.  Un délai de 10 jours a été accordé aux parties pour plaider sur ce point, ce qui fut accompli en temps utile (art. 323 C.p.c.).

[8]     2003 CanLII 41711 (QCCA).

[9]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 19.

[10]     Information and Privacy Commissioner c. ATA [2013] 3 RCS p. 654, par. 30.

[11]      Les articles 96 LQE et 14 LJA sont reproduits en annexe «B».

[12]     Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex [2002] 2 RCS 559.  Voir aussi British Columbia Human    Rights Tribunal c. Schrenk 2017 CSC 62.

[13]    Politique et Guide du Ministère, Identification et délimitation des milieux aquatiques, humides et       riverains, 2006.

[14]       RLRQ chapitre C-47.1.

[15]     Confirmé par 2014 QCCA 2200.

[16]     Canada (Procureur général) c. Mossop [1993] 1 RCS 554 p. 599.

[17]      [1998] 1 RCS 748.

[18]      Domtar c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles) [1993] 2 RCS 756.

[19]      2016 QCTAQ 0454.

[20]    Voir art. 3.1 et 3.3 de la Politique de protection des rives, du litoral et des plaines inondables, RLRQ, c. Q-2 r.35 (PPRLP).

[21]    Syndicat canadien des communications, le l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes et Papier    Irving Ltée, 2013 CSC 34.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.