Décision

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Thiffeault c. Avantis Coopérative New Holland

2021 QCCQ 15149

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-MAURICE

LOCALITÉ DE

SHAWINIGAN

« Chambre civile »

 :

410-32-700544-202

 

DATE :

 27 septembre 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

 PIERRE LABBÉ, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

NORMAND THIFFEAULT

Demandeur

c.

AVANTIS COOPÉRATIVE NEW HOLLAND

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]                    Le 31 mai 2017, Normand Thiffeault (le demandeur) achète de Avantis Coopérative New-Holland (la défenderesse) un tracteur neuf de marque New Holland au prix de 33 700 $ et un chargeur New Holland, modèle 621TL, au prix de 5 300 $. Une fois la valeur de 17 000 $ déduite pour le tracteur John Deere remis en échange, le prix était de 22 000 $[1].

[2]                    Le demandeur a acheté ce tracteur pour faire uniquement le déneigement de sa cour durant la saison hivernale. Il ne déneige pas d’autres cours pour d’autres personnes.

[3]                    Avant la livraison au demandeur, la défenderesse avait fait deux inspections du tracteur et de ses accessoires dont la dernière le 1er juin 2017. avant la livraison au demandeur. Le tracteur avait alors 43 heures d’utilisation, mais New Holland permettait à la défenderesse de le considérer comme étant neuf puisqu’il avait moins de 50 heures à son actif.

[4]                    Le chargeur était garanti par le fabricant pour une période de douze (12) mois, nombre d’heures illimitées.

[5]                    Le document intitulé « Entente de garantie et de limite de responsabilités, équipement agricole New Holland»[2] remis au demandeur lors de la vente, contient une section intitulée « manuel de l’opérateur / attestation de réception de la garantie ». Il y est notamment indiqué ceci :

« Le concessionnaire vendeur a passé en revue le manuel de l’opérateur avec moi et me le remettra lors de la livraison du produit : oui      /   no    »

« Le concessionnaire vendeur m’a expliqué les mesures de sécurité à prendre : oui       /   no    ».

[6]                    Aucune de ces cases n’est cochée sur la copie jaune du demandeur, laquelle n’est pas non plus datée, ni signée par un représentant de la défenderesse, alors que la copie rose exhibée par la défenderesse à l’audience est cochée, datée et signée.

[7]                    Le demandeur a connu un bris sur le côté gauche du chargeur. Celui-ci a été réparé par la défenderesse le 9 mars 2020 au coût de 2 848,81 $[3]. Le demandeur a payé la facture en faisant part de son mécontentement pour ce bris survenu alors que le tracteur avait 207 heures d’utilisation.

[8]                    Le demandeur réclame le remboursement de cette facture en invoquant la garantie légale prévue à l’article 38 de la Loi sur la protection du consommateur[4] :

38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

[9]                    Le demandeur réclame également 300 $ pour dommages à titre de transport, cette somme représentant ce que la défenderesse lui aurait facturé si elle avait fait le transport du tracteur du domicile du demandeur jusqu’à son atelier.

[10]               Enfin, le demandeur réclame 398,83 $ à titre d’intérêts, basé sur le fait que la défenderesse prévoit un taux mensuel de 2 % dans ses factures.

[11]               La défenderesse conteste la demande en alléguant que le demandeur a fait une mauvaise utilisation du chargeur.

ANALYSE

[12]               Le demandeur a le fardeau de preuve en vertu de l’article 2803 C.c.Q., dont le texte est le suivant :

2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

[13]               La preuve présentée par le demandeur doit être prépondérante, comme le prévoit l’article 2804 C.c.Q. :

2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.

[14]               Il est utile de reproduire l’article 38 et l’article 272 L.p.c. [5]:

38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:

a)  l’exécution de l’obligation;

b)  l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;

c)  la réduction de son obligation;

d)  la résiliation du contrat;

e)  la résolution du contrat; ou

f)  la nullité du contrat,

sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.

[15]               Lors de la vente du tracteur, la défenderesse a remis au demandeur un manuel d’opération du tracteur rédigé en français. Ce manuel ne porte que sur le tracteur et non sur le chargeur.

[16]               Le demandeur n’a cependant pas reçu de copie du volumineux manuel d’opération du chargeur, rédigé uniquement en anglais[6].

[17]               La défenderesse fonde son argument de contestation, soit la mauvaise utilisation du chargeur par le demandeur, sur le texte suivant, prévu à la clause 6.3 dudit manuel :

« (…)    Operating hours  = the time that the loader is in motion. Check that all subframe hardware are tightened to the specified torque, first after 10 hours of operation and then every 50 hours of operation thereafter.    (…) »

[18]               En somme, la défenderesse reproche au demandeur de ne pas avoir vérifié s’il devait resserrer certains boulons du chargeur après les heures d’opération mentionnées à cette disposition.

[19]               Le manuel d’opération contient également des informations aux premières pages, sur le mode d’installation du chargeur sur la transmission du tracteur.

[20]               Le témoignage de M. Christian Champoux, technicien à l’emploi de la défenderesse, établit que le bris au côté gauche du chargeur a été causé par ce manque de resserrement des boulons. Il ajoute que le demandeur aurait dû remarquer un certain jeu de ce côté du chargeur. Le demandeur affirme n’avoir rien remarqué de tel.

[21]               La défenderesse invoque aussi l’article 3 du contrat de vente qui prévoit une déclaration du demandeur que le bien faisant l’objet du contrat est nécessaire à l’exercice de son métier, de son art ou de sa profession. Cet argument de la défenderesse a pour but d’établir que le demandeur ne serait pas un consommateur au sens de la Loi.

[22]               Le Tribunal ne peut adhérer à cet argument. Voici pourquoi.

[23]               Premièrement, le document n’est pas complété, en ce sens que ce qui serait l’activité principale du demandeur est laissé en blanc, bien qu’il ait signé le document.

[24]               Deuxièmement, l’article 8 du Règlement d’application[7] de la Loi prévoit que les articles 58 à 65 de cette loi, qui ont pour objet le contrat avec un vendeur itinérant, ne s’appliquent pas au contrat passé entre un commerçant et un consommateur, portant sur un bien nécessaire à l’exercice du métier, de l’art ou de la profession du consommateur lorsque le contrat contient la mention citée plus haut.

[25]               À l’évidence, les articles 58 à 65 de la Loi ne sont pas en cause dans le présent dossier.

[26]               La preuve révèle clairement que le demandeur a acheté le tracteur uniquement pour une utilisation personnelle et non pas pour exercer un métier, un art ou une profession.

[27]               Considérant le prix du chargeur de 5 300 $.

[28]               Considérant le peu d’heures d’utilisation du chargeur par le demandeur, soit 207 heures depuis l’achat.

[29]               Considérant l’utilisation normale faite par le demandeur du chargeur en question.

[30]               Le Tribunal considère que la garantie légale de durée raisonnable de l’article 38 L.p.c. s'applique. Le demandeur a droit aux recours prévus à l’article 272 de cette loi.

[31]               Il est utile de souligner également l’article 26 de cette loi, dont le texte est le suivant :

26. Le contrat et les documents qui s’y rattachent doivent être rédigés en français. Ils peuvent être rédigés dans une autre langue si telle est la volonté expresse des parties. S’ils sont rédigés en français et dans une autre langue, au cas de divergence entre les deux textes, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut.

[32]               Les articles 261 et 262 de la Loi prévoient qu’elle est d’ordre public et que le consommateur ne peut renoncer à ses droits.

[33]               La preuve révèle que le manuel d’opération du chargeur fait partie du contrat au sens de l’article 26 L.p.C. et que ce document, non seulement est rédigé uniquement en anglais, mais n’a pas été remis au demandeur. Il en résulte que le demandeur n’était pas informé de l’obligation d’entretien indiqué plus haut dans le manuel d’opération.

[34]               La défenderesse a donc manqué à son obligation d’information prévue à l’article 1375 C.c.Q., dont le texte est le suivant :

1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction.

[35]               De plus, la demanderesse a manqué à son obligation contenue à l’article 26 L.p.c.

[36]               Dans une affaire portant sur l’application de cette disposition, le Juge Alain Désy de la Cour du Québec a accueilli une demande d’annulation d’un contrat de vente et a accordé certains dommages au consommateur[8].

[37]               La défenderesse a déposé pour sa part, quelques autorités au soutien de son argument portant sur la mauvaise utilisation du bien.

[38]               Dans l’affaire Verlaine c. Piscines Rive-Nord inc.[9], les paragraphes suivants démontrent que les faits de cette affaire sont bien différents de la présente :

[14]       Or, afin de déterminer s’il y a eu mauvaise utilisation du bien par l’acheteur au sens de l’article 1729 CCQ, les tribunaux prennent en considération l’information qui a été donnée à l’acheteur au moment de la vente quant à l’utilisation ordinaire du bien, de même que sa destination usuelle et commune.

(…)

[18]       Au surplus, Madame Verlaine reconnaît avoir reçu le Manuel lors de la livraison de la thermopompe. Elle admet qu’elle ne l’a tout simplement pas lu avant de procéder à l’installation de la plateforme et ce, malgré la recommandation du Vendeur. Or, à la page 6 du Manuel, le Fabricant indique clairement et sans aucune ambiguïté ce qui suit :

(a)      sous la rubrique « localisation » : que la thermopompe ne doit pas être installée dans un endroit fermé; et

(b)      sous la mention « Important » : qu’une distance de dégagement d’au moins quarante-huit (48) pouces doit être respectée au-dessus de l’appareil afin que l’air s’échappe et circule librement autour de la thermopompe.

(…)


[20]       Aux yeux du Tribunal, la preuve établit, par la prépondérance, que le Vendeur et le Fabricant ont rencontré leur obligation d’informer Madame Verlaine des moyens ou précautions à prendre pour utiliser correctement la thermopompe et en tirer la pleine jouissance.

[Références omises]

[39]               Dans une autre affaire Pouliot c. Trévi, magasin de Blainville[10], il est utile de reproduire les paragraphes 8 et 20 qui distinguent ce dossier du présent :

[8]      Or, afin de déterminer s’il y a eu mauvaise utilisation du bien par l’acheteur au sens de l’article 1729 C.c.Q., les tribunaux prennent en considération l’information qui a été donnée à l’acheteur au moment de la vente quant à l’utilisation ordinaire du bien, de même que sa destination usuelle et commune.

(…)

[20]      Aux yeux du Tribunal, la preuve établit, par la prépondérance, que Trévi a rencontré son obligation d’informer Mme Pouliot des moyens et précautions à prendre pour utiliser et entretenir le gazebo, de façon à bénéficier de sa pleine jouissance.

[40]               À titre d’information, il est utile de reproduire l’article 1729 C.c.Q., qui fait mention également de la notion de mauvaise utilisation d’un bien opposable à un acheteur lorsque ce dernier invoque la garantie contre les vices cachés :

1729. En cas de vente par un vendeur professionnel, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur.

[41]               Le Tribunal donnant raison au demandeur, il reste à examiner sa réclamation.

[42]               La somme de 2 848,81 $, soit le coût de la réparation, représente une demande de réduction de l’obligation du demandeur, comme prévu à l’article 272 L.p.c. Le Tribunal considère que cette somme doit être accordée intégralement au demandeur.

[43]               La somme de 300 $ à titre de dommages pour les frais de transport ne peut être accordée intégralement puisque la preuve ne révèle pas sur quoi est basée la somme de 300 $ que la défenderesse aurait facturée au demandeur pour un transport aller-retour du tracteur. Le Tribunal juge quand même raisonnable d’accorder au demandeur à ce poste, la somme de 150 $ à titre de dommages.

[44]               Enfin, la somme de 398,63 $ réclamée pour les intérêts ne peut être accordée. Les intérêts auxquels le demandeur a droit sont ceux mentionnés dans les conclusions du présent jugement. Le Tribunal ajoute qu’un intérêt mensuel de 2 %, s’il n’est pas confirmé par un taux annuel, n’est pas conforme à la Loi fédérale sur l’intérêt[11] :

4      Sauf à l’égard des hypothèques sur immeubles ou biens réels, lorsque, aux termes d’un contrat écrit ou imprimé, scellé ou non, quelque intérêt est payable à un taux ou pourcentage par jour, semaine ou mois, ou à un taux ou pourcentage pour une période de moins d’un an, aucun intérêt supérieur au taux ou pourcentage de cinq pour cent par an n’est exigible, payable ou recouvrable sur une partie quelconque du principal, à moins que le contrat n’énonce expressément le taux d’intérêt ou pourcentage par an auquel équivaut cet autre taux ou pourcentage.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[45]               ACCUEILLE en partie la demande.

[46]               CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de 2 998,81 $, plus les intérêts sur cette somme au taux légal, majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la mise en demeure, soit le 3 août 2020.

[47]               LE TOUT, avec les frais de justice.

 

 

__________________________________

PIERRE LABBÉ, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

17 septembre 2021

 


[1]  Pièce P-4 (contrat).

[2]  Pièce P-5.

[3]  Pièce D-3.

[4]  Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1.

[5]  Précité, note 4.

[6]  Pièce D-6.

[7]  Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1, r. 3.

[8]  Samson c. CCE Télécom inc., 2011 QCCQ 3156 (Petites créances).

[9]  2019 QCCQ 784.

[10]  2021 QCCQ 2561.

[11]  L.R.C. (1985) ch.I-15, art. 4.

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