[1] L'appelant se pourvoit contre un verdict de culpabilité de harcèlement criminel à l'égard de Mary-Ann Breton, prononcé le 1er octobre 2010 par un jury de la Cour supérieure, district de Montréal, à l'issue d'un procès présidé par l'honorable Martin Vauclair.
[2]
Pour les motifs de la juge Bélanger, auxquels souscrivent les juges
Hilton et Léger;
[3] LA COUR :
[4] REJETTE l'appel.
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MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER |
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[5] Le 1er octobre 2010, au terme d'un procès de dix-sept jours présidé par le juge Martin Vauclair, j.c.s., un jury a déclaré l'appelant coupable du chef d'accusation suivant :
Entre le 16 décembre 2005 et le 31 mai 2009, à Montréal, district de Montréal, a agi à l'égard de Mary-Ann BRETON, dans l'intention de la harceler ou sans se soucier qu'elle se sente harcelée, en posant un acte interdit prévu à l'alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264(1) (3)a) du Code criminel.
[6] Au terme du même procès, l'appelant est acquitté de quatre autres chefs d'accusation de harcèlement criminel concernant quatre autres victimes qui, comme Mary-Ann Breton, sont toutes des adjointes administratives ou des commis affectés au traitement du courrier et qui devaient, en raison de leur fonction première, prendre connaissance du courrier envoyé par l'appelant. Un autre chef d'accusation de même nature a fait l'objet d'un verdict d'acquittement dirigé.
[7] L'appelant a eu maille à partir avec la Société des transports de Montréal (STM) qui l'aurait poursuivi avec succès devant la Cour municipale pour ne pas avoir acquitté le prix d'un passage de métro.
[8] Mécontent de la situation, l'appelant a fait parvenir, entre 2005 et 2009, de manière répétitive et insistante, une volumineuse correspondance visant à atteindre les élus municipaux qui siégeaient au conseil d'administration de la STM, de même qu'à la direction générale de l'organisme. Cette multitude de documents, comprenant accusations, récriminations, insultes et abus langagiers, a été envoyée à de multiples destinataires, généralement des élus municipaux, par télécopieur et courriels. En bref, l'appelant estime avoir été victime d'une fraude judiciaire, d'abus de droit et de harcèlement et il réclame un dédommagement.
[9] À l'époque pertinente, Mary-Ann Breton est l'adjointe de Claude Dauphin, vice-président du comité exécutif de la Ville de Montréal, maire de l'arrondissement de Lachine et membre du conseil d'administration de la STM. Ses fonctions impliquent qu'elle gère le bureau de son patron, dont recevoir la correspondance et la traiter jusqu'à ce que le citoyen ait reçu une réponse.
[10] Entre décembre 2005 et avril 2009, elle reçoit donc, sur son poste de travail, tous les courriels et télécopies adressés à son patron. C'est elle qui doit en prendre connaissance et voir à leur suivi. Elle estime que les courriels et télécopies provenant de l'appelant équivalent à une pile de 8 à 10 pouces et elle a pris connaissance de tous. Certains courriels sont à caractère haineux, traitant son patron de menteur, de déchet humain, de grossière personne, d'exécrable, etc.
[11] Entre 2005 et 2006, les différentes plaignantes, lesquelles ont toutes reçu des courriels et des télécopies à répétition, ont porté plainte, ce qui a conduit aux accusations.
[12] Le 22 mars 2007, dans le cadre des procédures, l'appelant signe un engagement de ne pas communiquer avec les plaignantes touchées par les accusations de harcèlement criminel, dont Mary-Ann Breton.
[13] Après cette date, les envois se poursuivent, mais sont assortis des mentions suivantes : « À l'attention exclusive des conseillers municipaux de la Ville de Montréal. P.S. Il est strictement interdit de porter le présent au vu et au su des personnes suivantes : Marie-Paule Boucher, Diane Beaulieu, Lise Morais, Évelyn Corcoran, Ann-Mary Breton, Annie Larouche, Jeannine Landry, Francine Chameton et Laurent Miville. »
[14] En post-scriptum, la mention suivante est ajoutée :
Si vous n'êtes pas un conseiller élu municipal de la Ville de Montréal, vous êtes, par la présente, avisé qu'il est strictement interdit d'utiliser, de copier, de distribuer ce courriel, de dévoiler la teneur de ce message ou de prendre quelque mesure fondée sur l'information contenue. Vous êtes donc prié d'aviser, immédiatement, l'expéditeur de cette erreur et de détruire ce message sans garder de copie.
[15] Madame Breton témoigne qu'il lui est impossible de ne pas prendre connaissance de la correspondance transmise à son patron, et ce, malgré la mention indiquée sur les documents, car l'ouverture de la correspondance fait partie de ses fonctions. Ainsi, elle témoigne que lorsqu'elle ouvre cette correspondance, il est déjà trop tard.
[16] Au départ, elle a trouvé les envois dérangeants, parce que les documents joints étaient lourds et volumineux. Par la suite, elle a estimé que le ton utilisé dans les courriels avait changé et qu'en plus d'être désagréable, il devenait hargneux et haineux. Elle s'est interrogée sur ce que serait l'étape suivante. Elle a commencé à craindre pour sa sécurité lorsque l'appelant a pris connaissance de son existence et qu'il savait qui elle était. Elle se demandait toujours ce qu'il allait faire par la suite. Elle a constaté qu'il y avait de la haine et de la colère dans la correspondance.
[17] Dans son mémoire, l'appelant, représenté maintenant par un avocat, ce qui n'était pas le cas en première instance, soulève huit moyens d'appel. À l'audience, son procureur met l'emphase sur quatre questions. Je traiterai donc ces questions en tout premier lieu.
[18] Mais avant, quelques mots sur ce que constitue le harcèlement criminel.
[19] La disposition du Code criminel interdisant le harcèlement criminel est ainsi rédigée :
Harcèlement criminel 264. (1) Il est interdit, sauf autorisation légitime, d'agir à l'égard d'une personne sachant qu'elle se sent harcelée ou sans se soucier de ce qu'elle se sente harcelée si l'acte en question a pour effet de lui faire raisonnablement craindre - compte tenu du contexte - pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances. Actes interdits (2) Constitue un acte interdit aux termes du paragraphe (1), le fait, selon le cas, de : a) suivre cette personne ou une de ses connaissances de façon répétée; b) communiquer de façon répétée, même indirectement, avec cette personne ou une de ses connaissances; c) cerner ou surveiller sa maison d'habitation ou le lieu où cette personne ou une de ses connaissances réside, travaille, exerce son activité professionnelle ou se trouve; d) se comporter d'une manière menaçante à l'égard de cette personne ou d'un membre de sa famille. |
Criminal harassment 264. (1) No person shall, without lawful authority and knowing that another person is harassed or recklessly as to whether the other person is harassed, engage in conduct referred to in subsection (2) that causes that other person reasonably, in all the circumstances, to fear for their safety or the safety of anyone known to them. Prohibited conduct (2) The conduct mentioned in subsection (1) consists of a) repeatedly following from place to place the other person or anyone known to them; b) repeatedly communicating with, either directly or indirectly, the other person or anyone known to them; c) besetting or watching the dwelling-house, or place where the other person, or anyone known to them, resides, works, carries on business or happens to be; or
d) engaging in threatening conduct directed at the other person or any member of their family.
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[20] L'objet de cette disposition, entrée en vigueur le 1er décembre 1993, est d'assurer la sécurité des personnes, une tranquillité d'esprit et, surtout, de prévenir ou tenter de prévenir les crimes les plus graves qui sont commis lorsque les comportements harcelants dégénèrent.
[21] Bruce MacFarlane[1], dans un excellent texte traitant à la fois de l'aspect juridique et sociologique du harcèlement criminel[2], souligne que l'histoire a démontré que dans plusieurs cas, les femmes victimes de meurtre ou de voies de fait avaient d'abord été victimes de harcèlement. Le harcèlement peut survenir à la suite d'une rupture amoureuse ou encore lorsque les victimes sont l'objet d'une obsession ou d'une fixation de la part d'un inconnu. Les vedettes sont parfois victimes de ce type de harcèlement.
[22] MacFarlane souligne que bien que tous les harceleurs ne soient pas violents, tous sont imprévisibles. C'est l'aspect irrationnel de leur manie qui engendre la peur chez leur victime[3].
[23] La disposition est utilisée ici pour contrer un autre type de harcèlement, soit celui fait par des personnes démontrant des traits de quérulence. Ce type de comportement, souvent hostile et revendicateur, peut, à mon avis, faire l'objet d'accusation en vertu de l'article 264(2)b) du Code criminel, en autant que tous les éléments de l'infraction soient présents.
[24] Comme le soulignait avec justesse la juge Claire L'Heureux-Dubé dans R. c. Hinchey[4], l'évolution de la société fait apparaître de nouveaux comportements, dont certains peuvent être maintenant être considérés comme criminels :
31. La notion de criminalité n’est donc pas statique, mais évolue considérablement avec le temps. Au fur et à mesure qu’une société évolue, les catégories de comportements qui peuvent être considérés comme criminels changent aussi. Il existe une myriade d’activités différentes qui, à une certaine époque, étaient considérées comme licites et qui sont maintenant considérées comme criminelles. L’infraction de harcèlement criminel en est un exemple patent. Pendant de nombreuses années, on ne considérait pas que le fait de suivre constamment une personne et de lui faire craindre pour sa sécurité constituait un acte criminel tant et aussi longtemps qu’il n’y avait aucun contact. Un changement important est survenu depuis l’ajout de l’art. 264 du Code, qui prévoit qu’un tel comportement constitue un acte criminel. À mon avis, le juge Greco a bien exprimé ce principe dans l’affaire R. c. Lafrenière, [1994] O.J. No. 437 (C. Ont. (Div. prov.)), lorsqu’il a dit ce qui suit au sujet des dispositions relatives au harcèlement criminel (au par. 7):
« [traduction] Lorsque l’on analyse cette disposition attentivement, on constate que le comportement d’un accusé qui avait été auparavant considéré comme inoffensif, en ce sens qu’il ne s’agissait pas d’un comportement criminel, peut maintenant devenir un comportement criminel dans certaines circonstances et à certaines conditions. »
Voir aussi R. c. Hau, [1994] B.C.J. No. 667 (C. prov.).
[25] Dans R. c. Lamontagne[5], notre Cour, notant les différences importantes entre le texte français et le texte anglais de la disposition, reprenait à son compte l'énoncé retenu par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'affaire la R. v. Sillipp[6] . La Poursuite doit démontrer hors de tout doute raisonnable chacun des cinq éléments de l'infraction :
1. Que l'accusé a commis un acte décrit au paragraphe 264(2)a),b),c) ou d) du Code criminel;
2. Que la victime a été harcelée;
3. Que l'accusé sait que la victime se sent harcelée ou ne se soucie pas que la victime se sente harcelée;
4. Que sa conduite a eu pour effet de faire raisonnablement craindre la victime pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances, compte tenu du contexte;
5. Que la crainte de la victime était raisonnable dans les circonstances.
[26] Le Code criminel prévoit qu'une Cour d'appel peut admettre un appel dans trois cas seulement : un verdict déraisonnable ou qui ne peut s'appuyer sur la preuve, une décision erronée sur une question de droit (ou une directive entachée d'une erreur de droit) ou en présence d'une erreur judiciaire. (art. 686.(1) C.cr.).
[27] Aussi, l'article 686(1)b)iii) C.cr. prévoit que même en présence d'une erreur de droit, l'appel peut être rejeté si aucun tort important et aucune erreur judiciaire grave ne se sont produits.
1re question : le juge a-t-il erré en droit en ne soumettant pas au jury la défense d'autorisation légitime?
[28] Dans ses directives, le juge a informé le jury que la Poursuite avait rempli son fardeau de démontrer que l'appelant ne bénéficiait pas d'une autorisation légitime, car l'autorisation légitime dans le contexte de l'infraction de harcèlement criminel doit être accordée par un texte de loi. Estimant que l'accusé n'en détenait aucune, le juge a exclu, comme il lui appartenait de le faire, ce moyen de défense. Voici comment il s'exprime :
L'autorisation légitime
Le texte de loi prévoit qu'il peut exister une autorisation légitime dans le contexte de l'infraction de harcèlement criminel. Une autorisation légitime doit être accordée par un texte de loi. Je vous dis qu'en droit, il n'y en a aucune dans ce procès, le ministère public a donc rempli son fardeau quant à cet élément, vous n'avez donc pas à le discuter entre vous.
[29] L'appelant allègue qu'il s'agit là d'une erreur de droit, car l'autorisation légitime comprend le droit d'une personne de communiquer avec une autre. Comme citoyen, il a le droit de communiquer avec les élus municipaux, à la fréquence qu'il désire. Il détiendrait donc une autorisation légitime par l'application de la Charte canadienne des droits et libertés[7], car toute personne élue donne implicitement aux citoyens le droit de communiquer avec elle, même si les communications sont répétitives et non désirées.
[30] Il estime donc qu'il appartenait au jury de décider si l'appelant détenait ou non une autorisation légitime pour poser les gestes qu'il a posés et que cette question mixte de fait et de droit devait être laissée entre les mains du jury.
[31] À mon avis, l'appelant a tort sur l'interprétation qu'il propose, car il donne une portée beaucoup trop large à l'exclusion prévue par le législateur.
[32] L'article 264(1) C.cr. prévoit qu'il est interdit, sauf autorisation légitime, en anglais, without lawful authority, de poser certains gestes à l'égard d'une personne, sachant que celle-ci se sent harcelée.
[33] Dans le contexte de l'article 264(2) C.cr., il apparaît clairement que l'effet de l'autorisation légitime est de rendre légal un geste qui ne le serait pas autrement. Autrement dit, ce que l'autorisation apporte, c'est une exclusion à la loi.
[34] Il est acquis que l'exclusion couvre les cas où une personne est autorisée par la loi ou par la common law à poser les gestes autrement interdits. On peut comprendre que les huissiers et les policiers peuvent ainsi bénéficier de l'exclusion. Peut-être certains détenteurs de permis, tel un détective privé, pourraient-ils aussi bénéficier de l'exclusion, selon les dispositions législatives en cause.
[35] Il ne s'agit donc pas de vérifier si la communication est permise comme l'allègue l'appelant, mais si les gestes, autrement illégaux, peuvent être exécutés parce que permis par un texte de loi ou par la common law.
[36] C'est d'ailleurs l'interprétation retenue par quelques décisions rendues dans d'autres provinces canadiennes. En 1997, dans l'affaire R. c. Sillipp[8], la Cour d'appel de l'Alberta a établi que la définition de lawful authority dans le contexte du harcèlement criminel ne fait que rendre légale une conduite qui serait autrement interdite :
The definition of "lawful authority" in the context of criminal harassment means nothing more than rendering legally permissible that which would otherwise be prohibited conduct. The defence posture at trial was that no prohibited conduct within the meaning of s. 264 had occurred. It follows that the defence of "lawful authority" had no air of reality.
(Accentuation prononcée)
[37] L'autorité légale doit être spécifique. La loi ou le règlement ou tout autre acte comportant une telle autorisation doit être suffisamment clair quant au droit de poser certains gestes, par ailleurs illégaux. Un citoyen ne peut prétendre détenir une autorité légitime ou légale implicite d'enfreindre l'article 264(2) C.cr. parce qu'il aurait, par exemple, le droit de s'exprimer ou de manifester[9] ou, encore, de communiquer avec les élus ou les personnes en autorité.
[38] La légitimité de la communication ou des motifs à son soutien n'est pas pertinente non plus à l'analyse de l'autorisation légitime. Il ne s'agit pas de rechercher une justification ou une excuse qui permettrait un geste, ce que tente l'appelant en plaidant son droit à communiquer avec les élus.
[39] L'appelant n'a pas démontré détenir une autorisation légitime ou légale de harceler la plaignante, ni quiconque d'ailleurs, ce qui justifiait le juge de décider qu'en droit, l'appelant ne pouvait bénéficier de cette défense. Son énoncé est conforme au droit en vigueur au Canada[10] et je suis d'avis qu'il n'a pas commis d'erreur à ce sujet et qu'il n'avait pas à soumettre ce moyen de défense au jury.
[40] Ajoutons que les juges majoritaires de la Cour suprême rappellent, dans R. c. Cinous[11], qu'un moyen de défense ne doit être soumis au jury que s'il présente un air de vraisemblance :
50 La common law reconnaît depuis longtemps qu’il n’y a lieu de soumettre un moyen de défense à l’appréciation du jury que s’il a un fondement probant. Cette règle vénérable reflète la crainte concrète que, si on permet qu’un moyen de défense dépourvu de fondement probant soit soumis au jury, il n’en résulte un verdict non étayé par la preuve et que cela ne contribue qu’à semer la confusion dans l’esprit des jurés et n’empêche de tenir un procès équitable et de prononcer un verdict juste. Depuis l’arrêt Pappajohn, précité, la question de savoir si un moyen de défense a un fondement probant est connue sous le nom de critère de vraisemblance. Voir l’arrêt Park, précité, par. 11.
51 Deux principes bien établis émanent de l’exigence de base que les moyens de défense invoqués aient un fondement probant. Premièrement, le juge du procès doit soumettre au jury tous les moyens de défense qui peuvent être invoqués d’après les faits, peu importe que l’accusé les ait expressément invoqués ou non. Lorsqu’un moyen de défense est vraisemblable, il doit être soumis à l’appréciation du jury. Deuxièmement, le juge du procès est formellement tenu de soustraire à l’appréciation du jury le moyen de défense qui est dépourvu de fondement probant. Le moyen de défense qui n’est pas vraisemblable doit être soustrait à l’appréciation du jury. Voir les arrêts Wu, Squire, Pappajohn, Osolin et Davis, précités. Comme l’illustre l’arrêt R. c. Latimer, 2001 CSC 1 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 3, 2001 CSC 1, il en est ainsi même lorsque le moyen de défense qui n’est pas vraisemblable représente la seule chance de l’accusé d’être acquitté. […][12]
(Mes soulignements)
[41] Les faits mis en preuve n'établissent pas le fondement probant de la défense que souhaite invoquer l'appelant, puisque la loi, la réglementation ou une exception de la common law n'ont pas été démontrées.
2e question : l'acte d'accusation était-il suffisant, malgré l'omission des termes sauf autorisation légitime?
[42] L'appelant estime que parce que les termes sauf autorisation légitime prévus à l'article 264(1) C.cr. ne sont pas repris dans l'acte d'accusation, l'infraction est inconnue en droit. Il ajoute que le juge aurait dû, proprio moto, modifier le texte de l'acte d'accusation.
[43] La suffisance d'un chef d'accusation vise à s'assurer que l'accusé connaît l'accusation qui lui est reprochée[13].
[44] D'ailleurs, l'article 581 C.cr. régit le contenu obligatoire de l'acte d'accusation.
Substance de l'infraction 581. (1) Chaque chef dans un acte d’accusation s’applique, en général, à une seule affaire; il doit contenir en substance une déclaration portant que l’accusé ou le défendeur a commis l’infraction qui y est mentionnée. |
Substance of offence 581. (1) Each count in an indictment shall in general apply to a single transaction and shall contain in substance a statement that the accused or defendant committed an offence therein specified. |
[45] Dans l'arrêt R. c. Douglas[14], la Cour suprême se dit d'avis qu'un acte d'accusation est adéquat s'il contient des détails suffisants pour renseigner raisonnablement l'accusé sur l'accusation et pour identifier l'affaire mentionnée.
24 Il ressort de cette jurisprudence qu'un acte d'accusation est adéquat s'il contient des détails suffisants pour renseigner raisonnablement l'accusé sur l'accusation et pour identifier l'affaire mentionnée, de sorte qu'il est en mesure de bien préparer sa défense. La question de savoir si l'acte d'accusation est suffisant dépend des faits de l'espèce et de la nature de l'accusation. Il n'est pas nécessaire de préciser le moment exact à moins qu'il ne constitue un élément essentiel de l'infraction imputée et que l'inexactitude du moment indiqué n'induise l'accusé en erreur et ne lui porte préjudice.
[46] L'acte d'accusation est ici suffisant et la présence des termes, sauf autorisation légitime, n'était pas nécessaire pour permettre à l'accusé de comprendre ce qui lui est reproché, ni pour se défendre. D'ailleurs, le renvoi à la disposition créatrice de l'infraction incorpore la disposition au chef d'accusation[15].
[47] D'ailleurs, dès le début du procès, à l'occasion d'une conférence hors jury, le juge a tenté de déterminer ce que l'appelant considérait être une autorisation légitime.
3e question : le juge a-t-il commis une erreur de droit en ne donnant pas des directives plus globales ou en ne donnant pas d'indices qu'advenant qu'un acquittement soit prononcé pour plusieurs chefs, il devrait l'être sur tous les chefs?
4e question : le juge a-t-il erré en droit en n'expliquant pas suffisamment, dans ses directives, la distinction entre les craintes objectives et subjectives?
[48] L'argument est que le juge n'a pas expliqué adéquatement la notion de crainte objective, tenant compte du verdict d'acquittement rendu à l'égard de cinq des six plaignantes qui auraient reçu des envois similaires. L'appelant estime donc qu'il faut déduire de ces verdicts que le jury a mal compris les directives quant à l'aspect de la crainte objective d'une personne raisonnable.
[49] Les deux moyens seront traités ensemble.
[50] Les directives comportent à la fois une partie commune, où le juge explique bien quels sont les éléments de l'infraction, et une partie dans laquelle il donne des directives plus particulières pour chacun des chefs d'accusations.
[51] À plusieurs endroits au cours de ses directives, le juge informe le jury de ce que constitue une crainte raisonnable. Voici un exemple qui concerne une des plaignantes :
Est-ce que le harcèlement de monsieur Côté a provoqué chez Évelyne Corcoran des craintes pour sa sécurité? Il faut que Évelyne Corcoran ait craint pour sa sécurité. Tenez compte de tout le contexte, utilisez le bon sens pour déterminer cette question.
Pour résoudre cette question, vous pouvez notamment considérer la preuve suivante :
Le témoignage d'Évelyne Cormoran qui explique qu'elle craignait que l'auteur des communications se présente à son lieu de travail. Le fait que Évelyne Corcoran n'a pas elle-même avisé l'accusé du harcèlement qu'elle vivait et les explications qu'elle vous donne pour expliquer qu'elle n'a rien fait. Examinez sa réponse au procès et les affirmations dans les déclarations antérieures pour évaluer si vous acceptez son témoignage.
Si vous concluez qu'il n'y a pas de preuve hors de tout doute raisonnable que Évelyne Corcoran a craint pour sa sécurité, vous devez acquitter monsieur Côté. Si vous concluez qu'il y a une preuve hors de tout doute raisonnable et que Évelyne Corcoran a craint pour sa sécurité, passez à la question suivante.
La question suivante est: Est-ce que la crainte de Évelyne Corcoran est raisonnable? La crainte doit être raisonnable. Une personne raisonnable aurait eu des craintes pour sa sécurité face aux agissements de monsieur Côté. Une personne raisonnable est une personne au tempérament normal qui n'est pas excessivement craintive et qui est consciente de tout le contexte de la cause.
Pour résoudre cette question, vous pourrez considérer la preuve suivante, soit le témoignage d'Évelyne Corcoran et l'ensemble des circonstances pour déterminer si ses craintes sont raisonnables.
[52] En examinant le chef d'accusation à l'égard de madame Breton, le juge Vauclair a donné les instructions suivantes relativement aux éléments se rapportant à la crainte :
Est-ce que le harcèlement de monsieur Côté a provoqué chez madame Breton des craintes pour sa sécurité? Alors, pour résoudre cette question, il faut que madame Breton ait eu des craintes pour sa sécurité, tenez compte de l'ensemble du contexte.
[…]
Est-ce que cette crainte est raisonnable? La crainte doit être raisonnable, je vous le répète. Est-ce qu'une personne raisonnable aurait eu des craintes pour sa sécurité face aux agissements de monsieur Côté?
Pour résoudre cette question, référez-vous au témoignage de madame Breton et l'ensemble des circonstances pour déterminer si ces craintes sont raisonnables.
[…]
(Mes soulignements)
[53] Ces directives sont conformes aux exigences jurisprudentielles qui veulent que l'on détermine d'abord si la victime a effectivement craint pour sa sécurité et ensuite que l'on détermine si cette crainte était objective :
18 In the result, a proper charge to a jury in a criminal harassment case must include reference to the following ingredients of the crime, all of which must be proved beyond a reasonable doubt :
[…]
4) It must be established that the conduct caused the complainant to fear for her safety or the safety of anyone known to her; and
5) It must be established that the complainant's fear was, in all of the circumstances, reasonable.[16]
(Mes soulignements)
[54] L'appelant ne réfère à aucun passage spécifique des directives au jury qui prêterait à confusion quant à ces notions. Ce moyen d'appel doit être rejeté.
[55] L'appelant allègue aussi que le juge aurait dû aviser le jury qu'étant donné que les courriels étaient en tous points identiques et le modus operandi était le même, la question quant à la crainte objective d'une personne raisonnable se devait d'avoir la même réponse pour toutes les victimes alléguées.
[56] Pour pouvoir appliquer ce raisonnement, il aurait fallu que les faits relatifs au deuxième chef d'accusation soient similaires à ceux relatifs aux autres chefs d'accusation. Ce n'est pas le cas. Le jury a choisi de prononcer cinq verdicts d'acquittement. On peut penser que l'explication se trouve vraisemblablement dans le fait que la situation de la plaignante est quelque peu différente. Nul doute que le patron de la plaignante était visé en tout premier lieu et que les courriels haineux lui étaient adressés, le traitant de « menteur, déchet humain, grossier personnage, exécrable, honte de la société, menteur invétéré, hors-la-loi dangereux » et j'en passe. Cinq courriels se situant entre le 11 janvier et le 24 mars 2006 et signés Escouade anti-crime ont été envoyés à Claude Dauphin. À l'exception de ces courriels, les communications reçues par les autres plaignantes étaient uniformes. Il reste que Claude Dauphin est l'objet de l'obsession et de l'attaque acharnée.
[57] On peut raisonnablement croire que c'est dans ce contexte que la crainte de la plaignante, la personne dont la responsabilité est de traiter le courrier de Claude Dauphin, a été évaluée par le jury.
[58] Cette question fait d'ailleurs l'objet de la prochaine question soumise.
5e question : le juge a-t-il erré en droit en ne mettant pas le jury en garde sur la crédibilité à accorder à la plaignante?
[59] L'appelant estime qu'une mise en garde de type Vetrovec aurait dû être faite, étant donné les contradictions de la plaignante avec ses déclarations antérieures relativement à la crainte qu'elle a éprouvée.
[60] Cet argument en soutient un autre. Selon l'appelant, comme la réelle crainte de la plaignante commence à partir du moment où son nom apparaît dans la correspondance, en mars 2007, la Poursuite ne pouvait faire la preuve des événements antérieurs à la crainte. On ne pourrait pas, selon lui, tenir compte de la preuve antérieure au 22 mars 2007 pour analyser la crainte de la plaignante.
5.1. La mise en garde de type Vetrovec était-elle nécessaire?
[61] Dans son mémoire, l'appelant ne précise pas quelles seraient les contradictions dans le témoignage de la plaignante. Le mémoire ne contient aucune des déclarations antérieures de la plaignante ni même les notes sténographiques de l'enquête préliminaire. À l'audience, il réfère la Cour à quelques passages reproduits ici.
[62] Examinons d'abord le témoignage de la plaignante lors de l'interrogatoire en chef :
Me SYLVIE LEMIEUX :
Q. Alors, madame Breton, est-ce que vous êtes en mesure de nous dire comment vous vous êtes sentie, vous, personnellement, au travers de ces années par rapport à cette correspondance reçue?
R. Au départ, c'était un peu dérangeant au niveau travail, quand on reçoit des courriels et des fax sur une base fréquente avec soit plusieurs pages au niveau de la télécopie ou du fax, soit des documents joints volumineux, ça entraîne des boîtes de réception pleines qui font que tu peux plus renvoyer, recevoir de messages par courriel donc, on doit faire un ménage à ce niveau-là. Puis, au niveau du télécopieur bien, quand tu en reçois plusieurs, les pages finissent par toutes se mélanger, ça tombe par terre donc, faire le tri, c'était dérangeant à ce niveau-là. Par la suite, il y a eu quelques courriels cinq ou six qui étaient plus du même contenu donc, le contenu était différent, étaient dirigés directement vers monsieur Dauphin mon patron, par rapport aux autres correspondances qui étaient rédigées... adressées à tous les élus. Le contenu de ces quelques...
[63] Et un peu plus loin, toujours lors de l'interrogatoire en chef :
Me SYLVIE LEMIEUX :
Q. Donc, vous remettre... Avez-vous besoin qu'on vous remette dans le contexte de votre réponse?
R. Non, je peux repartir des cinq ou six courriels qui étaient dirigés directement vers mon patron, c'était des courriels à caractère, pour moi, haineux, c'est peut-être une perception mais, à tout le moins, c'était de la hargne et un peu après, sont venus d'autres... toujours le même document mais, la phrase en haut a encore changé où il était interdit que j'en prenne connaissance de même que d'autres personnes parce que, semble-t-il, j'avais ouvert du courrier illégalement et fait une fausse déclaration à la police. Voilà, ça fait qu'avec tout ça, au départ, c'était dérangeant, par la suite, (inaudible) cet acharnement-là doit mener où, c'est quoi qui vient après, qu'est-ce que... je connais pas monsieur, je connais pas qui il est ce qu'il est donc, c'est toujours, s'il débarque au bureau c'est moi qui est là en ligne de front et c'est moi qui va devoir traiter avec lui, le connaissant pas, étant anxieuse de nature bien, c'était un petit peu inquiétant.
[64] Et encore plus loin :
Q. Donc, je vais attirer votre attention sur les derniers courriels...
R. Oui.
Q. ... à la fin?
R. C'est les courriels dont je parlais plus tôt qui étaient dirigés directement vers mon patron où on traite, entre autres, de menteur, de déchet humain, de grossier personnage, d'être exécrable.
[65] Et en contre-interrogatoire :
Q Bon, ça va. On va revenir, on va passer au sujet, madame Breton, au thème qui a trait à la question que vous posait maître Lemieux hier concernant votre ressentiment ou votre réaction face à la réception des correspondances qui s'accumulaient à votre bureau; alors si je vous demandais la question, comment vous sentiez-vous à la réception de cette suite de correspondances, si vous pouviez peut-être rappeler à peu près exactement ce que vous relatiez aux membres du jury hier après-midi?
R Écoutez, au départ c'était dérangeant au niveau travail parce que les documents joints étaient lourds, ce qui entraînait dans la boîte de réception courriels un dépassement de quotas puis qui faisait en sorte que je pouvais plus recevoir ou transmettre de courriels, pour les télécopies c'était encore de la gestion de papiers. Par la suite quand sont arrivés les courriels dirigés directement vers mon patron, je trouvais que le ton avait changé, en plus d'être désagréable il devenait hargneux, pour moi c'était haineux, ça m'a, ça a fait en sorte que je me demandais jusqu'où ça irait, quelle serait l'étape suivante de monsieur que je ne connaissais pas, j'avais aucune façon de savoir si il était violent ou pas, qui il était. Par la suite, suite à la déclaration de témoin il a pris connaissance de mon existence, donc il savait qui j'étais, donc c'était toujours la même question, qu'est-ce qu'il va faire après.
[66] Toujours en contre-interrogatoire, elle discute de sa déclaration faite aux policiers le 25 octobre 2006 :
SUITE DU CONTRE-INTERROGATOIRE PAR M. CLAUDE CÔTÉ
(ACCUSÉ):
Q Pour la suite des questions, madame Breton, sur le même thème, n'est-il pas exact que vous avez fait une déclaration de témoin le 25 octobre 2006?
R Oui.
Q N'est-il pas exact que lors de cet interrogatoire on vous a soumis la question: *Comment vous sentez-vous par rapport à ces correspondances?*, vous avez souvenir de cette question lors de cet interrogatoire, lors de cette déclaration?
R Oui.
Q N'est-il pas exact que votre réponse à la question à ce moment-là était: *Exagérée par la perte de temps engendrée par l'acharnement de monsieur Côté.*?
R "Exaspérée", premier mot.
Q "Exaspérée", désolé, alors c'est la réponse que vous avez donnée à ce moment-là, n'est-ce pas?
R À ce moment-là, oui.
Q Elle se distingue avec celle que vous avez donnée en 2009 et en 2010 pour quelle raison?
R Parce que c'était au début du processus.
Q Et, et quelle différence qu'il y a entre le début du processus et...
R Des courriels différents sont venus par la suite, j'ai été identifiée dans ces correspondances par la suite, ça l'a un effet sur comment je me suis sentie sur cette période de temps-là.
[67] Au procès, la plaignante identifie deux raisons pour lesquelles elle a commencé à craindre pour sa sécurité. Elle affirme qu'après avoir fait ses déclarations aux policiers, elle a reçu des courriels différents et que son nom est apparu sur ceux-ci. Il est exact de dire qu'elle a admis, en contre-interrogatoire, que certains courriels ont été reçus plus tôt, avant sa déclaration aux policiers. Elle a admis s'être trompée quant aux dates. Toutefois, elle a aussi précisé : « comme je l'ai dit, mon sentiment s'étale dans le temps, à partir du moment où on a commencé à recevoir les correspondances jusqu'à aujourd'hui ».
[68] Le juge Vauclair a pris soin de donner certains indices permettant d'évaluer la crédibilité d'un témoignage :
Par exemple, existe-t-il des raisons pour lesquelles une personne ne dirait pas toute la vérité? Existe-t-il des motifs qui nuisent à la fiabilité de son témoignage? Un témoin a-t-il un motif de livrer un témoignage dans un sens ou dans l'autre? Le témoin vous a-t-il donné l'impression d'avoir une bonne mémoire? Le témoin a-t-il raison de se souvenir des événements au sujet desquels il a témoigné? L'incapacité ou la difficulté du témoin à se souvenir des événements semblait-elle véritable ou était-elle utilisée comme excuse pour éviter de répondre aux questions? Le témoin vous a-t-il dit qu'il sait ce qu'il sait et ce qu'il a vu ou vous donne-t-il un compte rendu de plusieurs sources avec lesquelles il est parvenu à une conclusion? Le témoin vous donne-t-il une version cohérente qui se tient? Existe-t-il d'autres témoignages semblables? Existe-t-il des éléments de preuve qui tendent à confirmer son témoignage ou, au contraire, à le contredire? Le témoin a-t-il dit le contraire à d'autres occasions dans un témoignage ou une déclaration antérieure? Est-ce que c'est une différence importante ou un détail mineur? Est-ce que c'est une erreur de bonne foi ou un mensonge? Le cas échéant, le témoin a-t-il donné une explication raisonnable à cette différence?
(Mes soulignements)
[69] En révisant le témoignage de madame Breton, le juge a invité les jurés, à plusieurs reprises, à s'interroger sur les interactions entre les différents éléments de preuve leur ayant été présentés :
Madame Breton était-elle exposée aux communications qui entraient pour son patron? Examinez les documents en parallèle avec son témoignage sur le mode et la fréquence de réception, notamment, soit fréquemment au début, un répit de cinq (5) mois, puis une fois par semaine ou une fois par mois.
[…]
Le témoignage de madame Breton quant à l'impact sur son travail […]. Avez-vous des motifs d'écarter le témoignage de madame Breton sur cette aspect?
[…]
Le fait que madame Breton n'ait pas elle-même avisé l'accusé du harcèlement qu'elle vivait et les explications qu'elle vous donne pour expliquer qu'elle n'a rien fait. Examinez sa réponse au procès et les affirmations dans ses déclarations antérieures pour évaluer si vous acceptez son témoignage.
(Mes soulignements)
(Reproduction textuelle)
[70] Par ailleurs, l'appelant ne démontre pas que le témoignage de la plaignante s'inscrit dans un des cas décrits par le juge Fish dans l'arrêt Khela[17] :
[3] Il est par conséquent de la plus haute importance, dans un procès devant juge et jury, que les jurés comprennent quand et pourquoi il est risqué de déclarer un accusé coupable sur la foi des dépositions non étayées de témoins « douteux », « indignes de foi », « non fiables » ou « tarés ». Pour les besoins de l’espèce, j’utilise ces termes de façon interchangeable. Ainsi, mes propos visent tous les témoins qui, en raison de leur amoralité, de leur mode de vie criminel, de leur malhonnêteté par le passé ou de l’intérêt qu’ils ont dans l’issue du procès, ne peuvent être présumés dire la vérité — même s’ils se sont engagés par serment ou affirmation à le faire.[18]
(Mes soulignements)
[71] Selon les enseignements de la Cour suprême, le juge de première instance qui estime que le témoignage est digne de foi n'est pas tenu de procéder à une mise en garde de type Vetrovec :
Lorsqu’il apprécie la crédibilité d’un témoin pour décider s’il y a lieu de faire une mise en garde de type Vetrovec, le juge du procès doit éviter de classer le témoin dans une catégorie particulière comme celle des «informateurs dans un établissement de détention». Le juge du procès doit plutôt «s’attacher aux faits de la cause et [. . .] examiner tous les facteurs susceptibles de porter atteinte à la crédibilité d’un témoin en particulier» (Vetrovec, à la p. 823). Si le juge du procès estime que le témoin est digne de foi, aucune mise en garde de type Vetrovec n’est alors nécessaire, peu importe que ce témoin soit un complice ou un informateur dans un établissement de détention.[19]
(Mes soulignements)
[72] En l'espèce, l'appelant ne soulève aucun fait ou contradiction spécifique justifiant que l'on doit considérer madame Breton comme un témoin douteux. Le fait qu'un témoignage soit fondamental à la preuve de la Poursuite n'en fait pas automatiquement un témoignage non digne de foi. En l'absence d'indices de mauvaise foi ou d'attaques spécifiques à sa crédibilité, il n'était pas nécessaire pour le juge du procès de faire une mise en garde de type Vetrovec.
5.2. La preuve des envois, antérieurement au 22 mars 2007, devait-elle être considérée?
[73] Selon l'appelant, la Poursuite ne pouvait faire la preuve d'événements et de courriels envoyés avant le 22 mars 2007, moment où, de façon certaine, il connaît l'existence de la plaignante et moment où la crainte de la plaignante est bien établie.
[74] La thèse de l'appelant est que le moment où commence la crainte devrait être concomitant avec la réception des courriels les plus haineux, sinon, l'accusation ne saurait tenir.
[75] À mon avis, l'appelant a tort à ce sujet.
[76] Entre le 10 juillet 2008 et le 3 avril 2009, les envois reçus par madame Breton perdurent, à la même adresse, et réfèrent toujours aux événements passés, en plus de manifester le désaccord de l'appelant quant aux accusations portées contre lui. L'appelant dénonce toujours les abus dont il est victime et la plainte contre le conseil d'administration de la STM est réitérée. Voici un extrait de ces envois :
Le respect de la règle de droit est inviolable
LA DIRECTION DE LA STM
SOMBRE DANS LA CRIMINALITÉ
(En violation des articles 264(1) et 372 1o du Code criminel canadien)
Le SPVM et le Procureur général au service du pouvoir politique pour
réprimer la dissidence, i.e., emprisonner le citoyen qui dénonce les abus
de droit, les abus de pouvoir et les abuseurs
Utilisation des fonds publics à des fins malveillantes et malicieuses :
harcèlement criminel et mandat d'agression contre un citoyen avec
intention de porter, grièvement (fatalement), atteinte à sa sécurité
Lutte incessante pour imposer le respect de la règle de droit et le
respect du citoyen aux sociétés d'état et aux organismes publics
CITOYENS contre le crime légalisé
et le banditisme institutionnel
[77] Le fait que l'appelant, après le 22 mars 2007, ait ajouté une mention interdisant aux plaignantes de prendre connaissance des envois ne diminue en rien leur caractère harcelant. Comme madame Breton en témoigne, elle doit ouvrir les courriels adressés à son patron.
[78] En matière de harcèlement criminel, la crainte de la victime s'évalue dans le contexte de toute l'affaire. La crainte peut naître d'un ensemble de facteurs et la conduite du harceleur, au fil du temps, est l'une des composantes à prendre en considération pour analyser si une personne raisonnable aurait, dans les mêmes circonstances, craint pour sa sécurité. La preuve de la conduite du harceleur est pertinente, même avant la période où la victime commence réellement à craindre pour sa sécurité et même si l'objet du harcèlement était alors une autre personne. En bref, c'est la connaissance qu'a la victime des agissements du harceleur qui permet d'évaluer si sa crainte est raisonnable.
[79] C'est donc parce qu'il faut tenir compte de toutes les circonstances pour évaluer la crainte d'une victime que tous les faits qu'elle connaît peuvent être pris en compte, y compris la preuve d'éléments antérieurs au moment où elle commence réellement à craindre pour sa sécurité.
[80] C'est l'approche adoptée par la Cour d'appel de Colombie-Britannique dans R. c. Ryback[20] et aussi celle de la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire R. c. Krushel[21].
[81] Les directives du juge démontrent qu'il a pris soin d'indiquer au jury ce qui suit :
Les dates apparaissant aux chefs d'accusation balisent la période pendant laquelle le crime a été commis. Pour tous les chefs, sauf le quatrième, la Poursuite reproche à monsieur Côté d'avoir commis le crime entre le 16 décembre 2005 et le 31 mai 2009. Au quatrième chef, la période est plus courte, soit entre le 17 avril 2066 et le 30 septembre 2007. Vous devez conclure hors de tout doute raisonnable que le comportement visé par le chef d'accusation s'est produit à l'intérieur de la période visée, c'est-à-dire que vous devez conclure que le comportement avec tous les attributs pour en faire une infraction s'est produit au moins une fois à l'intérieur de la période du chef d'accusation. […]
(Mes soulignements)
[82] La preuve des actes posés par l'appelant, avant qu'il connaisse l'existence de la plaignante, est pertinente pour évaluer la crainte de cette dernière quelques mois plus tard. Il n'y a pas d'erreur du juge à cet égard.
6e question : les droits de l'appelant d'avoir un procès équitable, une défense pleine et entière et d'être assisté d'un avocat aux frais de l'État ont-ils été brimés par la décision du juge du procès de refuser à l'appelant son droit d'être assisté d'un avocat?
[83] Cette question a été soumise avant le procès, le 27 mars 2008, au juge Claude Millette, j.c.q., lequel a rejeté la demande de l'appelant d'ordonner au gouvernement du Québec de lui fournir gratuitement l'assistance d'un avocat, c'est-à-dire les services d'un avocat qui l'assisterait au cours des procédures, sans le représenter.
[84] Le 5 août 2008, la juge Sophie Bourque, j.c.s., rejetait l'appel de cette décision.
[85] Ces jugements retiennent que monsieur a choisi de se représenter seul, qu'il est admissible à l'aide juridique et que le mandat pour obtenir l'assistance d'un avocat, sans que celui-ci le représente, n'est pas prévu à la Loi sur l'aide juridique et sur la prestation de certains autres services juridiques[22]. D'ailleurs, il a essuyé un refus de la part de la Commission des services juridiques, ainsi que de son comité de révision.
[86] L'appelant n'ayant pas demandé d'invalider les dispositions législatives en cause pour motifs d'inconstitutionnalité, sa demande a donc été rejetée.
[87] Le 30 octobre 2008, le juge André Rochon, j.c.a.[23], refusait la demande pour permission d'appeler du jugement de la juge Bourque, se basant, entre autres, sur l'affaire Québec (Procureur général) c. R.C.[24].
[8] Dans un arrêt maintes fois repris, la Cour a exposé « les contours de l'obligation conditionnelle du procureur général de défrayer le coût des services juridiques pour assurer l'équité du procès…». La Cour y écrit notamment :
[172] Lorsqu'une règle de droit est jugée incompatible avec la Charte, le tribunal l'invalide ou la rend inopérante par l'effet de l'article 52 de la Charte. Lorsque la validité constitutionnelle d'une disposition n'est pas remise en cause, le tribunal ne peut contourner une disposition législative par le biais de la réparation prévue au paragraphe 24(1) de la Charte. En conséquence, dans le cas d'une requête de «type Rowbotham» - qui vise à déterminer s'il y a atteinte au droit constitutionnel du prévenu à un procès équitable et à décider de la réparation appropriée - le tribunal ne peut pas contourner les dispositions législatives applicables, en décrétant, par exemple, l'admissibilité d'un prévenu à l'aide juridique ou en fixant des honoraires différents de ceux prévus à la réglementation.
[9] En l'espèce, le requérant est admissible à l'aide juridique. Il peut obtenir les services d'un procureur pour le représenter, mais non pour seulement sa seule assistance. Outre les questions déontologiques que peut soulever la demande du requérant, il n'a pas réussi à retenir les services d'un avocat qui accepterait pareil mandat.
[88] Par ailleurs, le juge Rochon retient que l'appelant a déposé une demande de révision judiciaire à l'encontre des décisions de la Commission des services juridiques, demande toujours en suspens.
[89] La question a été soulevée de nouveau devant le juge Vauclair, verbalement cette fois-ci et sans plus de succès. Le juge Vauclair a retenu que l'appelant n'a pas fait de requête écrite, n'a pas attaqué la constitutionnalité de la loi et ne lui a pas démontré qu'il avait besoin de l'assistance d'un avocat pour se défendre des accusations.
[90] Pour les motifs exprimés par le juge Rochon, l'appelant ne démontre aucune erreur dans la décision du juge.
[91] L'appelant reproche au juge d'avoir accepté en preuve le dépôt de la pièce P-25, document visant à démontrer que l'appelant connaissait le nom de la plaignante à compter du 22 mars 2007. Cet argument n'a aucun mérite, car il était pertinent de démontrer que dès le lendemain de son engagement à ne pas communiquer avec les plaignantes, une mise en garde se retrouvait sur les courriels de ce dernier. La mise en garde du juge sur le but du document est d'ailleurs adéquate.
[92] Finalement, l'appelant reproche au juge d'avoir erré en droit en négligeant de rapporter tous ses moyens de défense au jury. Cet argument n'a aucun mérite non plus. Dans ses directives, le juge a clairement fait valoir les moyens de défense de l'accusé. L'appelant reproche au juge d'avoir refusé de remettre au jury son argumentaire écrit. Dans son mémoire, l'appelant ne produit pas ledit argumentaire, quoique l'intimée ait produit le document, constitué d'une page qui n'aurait certainement pas aidé le jury dans son délibéré.
[93] Je propose donc de rejeter l'appel.
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
[1] Q.C., Deputy Minister of Justice and Deputy Attorney General, Department of Justice, Manitoba.
[2] Bruce MacFarlane, « People who stalk people », HeinOnline - 31 Brit. Colum. L. Rev. 37 1997, referring to House of Commons Debates (6 May 1993) at 19015-16.
[3] Ibid., p. 44.
[4] R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128, opinion de Claire L'Heureux-Dubé, paragr.12.
[5] R. c. Lamontagne, (1998), 129 C.C.C. (3d) 181 (C.A. Qué); J.E. 98-1953 (C.A.).
[6] R. v. Sillipp, (1997), 120 C.C.C. (3d) 384 (Alta. C.A.); 1997 ABCA 346.
[7] Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, art. 2 b), 20 et 32.
[8] R. v. Sillipp, supra, note 6, paragr. 20; R. c. Shapira, [1997] A.J. No. 588, 203 A.R. 299 (Alta.P.Ct. (crim. Div.)); R. v. Labrentz, [2010] A.J. No. 546, 2010 ABPC 11 (Alta.P.Ct. (crim. Div.)).
[9] Voir à titre d'exemple Bertrand c. R., J.E. 2011-1401 (C.A.), 2011 QCCA 1412, opinion du juge Cournoyer, bien que cette affaire ne portait pas sur l'exclusion d'autorisation légitime.
[10] Q. v. Vandoodewaard, 20091126 OSCJ, Durno J.; R. c. Sillipp, supra, note 6, paragr. 20; R. c. Labrentz, supra, note 8.
[11] R. c. Cinous, [2002] 2 R.C.S. 3, 2002 CSC 29; Voir aussi R. c. Buzizi, 2013 CSC 27, J.E. 2013-857; R. c. Gauthier, 2013 CSC 32, J.E. 2013-1033.
[12] Ibid., paragr. 50-51.
[13] R. c. Côté, [1978] 1 R.C.S. 8, p. 13.
[14] R. c. Douglas, [1991] 1 R.C.S. 301.
[15] R. c. Côté, supra, note 13.
[16] R. v. Sillipp, supra, note 6.
[17] R. c. Khela, [2009] 1 R.C.S. 104, 2009 CSC 4.
[18] Ibid., paragr. 3.
[19] R. c. Brooks, [2000] 1 R.C.S. 237, 2000 CSC 11, paragr. 5.
[20] R. c. Ryback, [1996] B.C.J. No. 285, paragr. 32 et 33; autorisation de pourvoir refusée, 107 C.C.C. (3d ) vi.
[21] R. c. Krushel, 2000 142 CCC (3d ) 1, paragr.17.
[22] Loi sur l'aide juridique et sur la prestation de certains autres services juridiques, L.R.Q., c. A-14.
[23] Côté c. R., J.E. 2008-2140 (C.A.), 2008 QCCA 2045.
[24] Québec (Procureur général) c. R.C., [2003] R.J.Q. 2027 (C.A.).
AVIS :
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